Revenante [Sauveur/Sanaa]

Leurs peaux couvertes de sueur, le souffle court, le cœur battant, le ventre en flamme... La nuit était plus qu'avancée désormais. L'arbre avait été témoin de leurs retrouvailles, de même que l'herbe, un banc, un lit de coussins et l'arrière d'une stèle décorative. Les deux amants se montraient plus qu'insatiables et c'était à peine s'ils avaient parlé depuis le début de la soirée. Les voisins n'avaient bénéficié que de bien peu de répit entre chaque ébat qui se faisaient de plus en plus longs et tendres. Depuis la fin du premier acte, ils pouvaient faire preuve de bien plus de patience et prendre plaisir à simplement fusionner, repoussant le moment où leurs corps exulteraient à plus tard car cela sonnait à chaque fois la fin de cet instant si particulier. Cet instant où ils étaient si proches. Cet instant où ils ne faisaient plus qu'un...

Sauveur posa son regard sur Aerianna, encore en proie au plaisir qu'il venait de ressentir. Il achevait de reprendre son souffle alors qu'il avait arrêté de compter le nombre de positions qu'ils avaient adopté. Il n'avait aucun complexe sur la question et elle non plus apparemment. Il la retrouvait enfin tel qu'il la connaissait auparavant. Passionnée, impatiente et pourtant docile quand il lui faisait comprendre qu'il voulait prendre son temps. Car elle avait confiance en son expérience dans le domaine, elle savait qu'elle ne regretterait jamais d'avoir joué le jeu. L'orgasme qui en découlait était si puissant qu'il avait de quoi faire pâlir d'envie tous ceux qui pouvaient entendre sa voix le crier.
L'Hadjaoui étira un sourire amusé alors qu'une pensée lui traversait l'esprit. Il se pencha pour venir l'embrasser avec amour et ferveur alors que son plaisir l'habitait encore. Il était un peu plus rassasié qu'à son arrivée mais il avait encore faim d'elle... Ils avaient des mois à rattraper et ils étaient encore loin du compte.

-Je crois pouvoir affirmer... Que tu es guérie. Dit-il avant de lâcher un petit rire amusé par sa propre plaisanterie.

Il n'avait pas la possibilité de douter... Il avait constaté les effets que produisaient une simple caresse sur son intimité. Il avait vu son frisson chaque fois qu'il la pénétrait. Il avait perçu tous les signes de son plaisir croissant durant leurs ébats. Il avait ressenti les spasmes de son sexe sur le sien à chacun de ses orgasmes.

-Ça m'avait tellement manqué... Te faire l'amour.

Le dernier élément du décor à avoir servi dans les différents actes de nos ébats était la fontaine à laquelle j’avais pensé au début. J’étais encore haletante alors que je récupérais du dernier effort dans les bras d’un Sauveur qui me maintenait blottie dans une de ces étreintes que j’aimais tant. La margelle de la fontaine était assez large pour rester allongés tous les deux dans la direction de son eau, sa poitrine contre mon dos. Le peu d’énergie qu’il me restait je l’utilisais pour tracer des formes de l’index dans le bassin secoué de petits remous, jouant comme je le faisais uniquement quand j’étais totalement apaisée. Toute cette épopée amoureuse pour finir là où j’avais eu envie de finir, près de cette fontaine, c’en était presque poétique. Comme si le temps s’était réellement arrêté entre maintenant et ce moment où j’avais laissé tomber ma robe au sol dans le noir, comme si nous avions profité de cet instant durant lequel le temps n’aurait même pas dû s’écouler pour rattraper tout ce qui devait l’être.

J’étais comblée pendant un instant et ce n’était pas son trait d’humour qui aller changer tout ça.

« Si mon médecin me dit que je suis guérie… »

Je tournai la tête pour l’embrasser doucement avant de la reposer sur son bras posé sur la margelle froide.

« Tu me croirais si je te disais que tu m’as plus manqué toi que ce qu’on vient de faire ? »

Je ne savais pas moi-même si je croyais cette déclaration, mais rien que le dire m’arracha une petite larme. Était-elle une de joie, pour ce que j’avais retrouvé ? Ou étais-ce une larme de tristesse pour tout ce qu’il m’était arrivé sans lui ? Le temps qu’elle roule sur ma joue je le passai à me remémorer le pire, mais il fallut qu’elle m’abandonne, qu’elle chute sur son bras, pour que je me sente vraiment bien, comme si avec elle j’abandonnais le pire pour passer au meilleur. Ma respiration se calma peu à peu et j’eus l’impression que je pouvais m’endormir d’un instant à l’autre avec tant d’effort fourni, seulement mon jeu avec la surface de l’eau me maintenait éveillée et je savais qu’il n’avait pas à me pousser trop pour repartir pour un tour s’il le désirait. Ce n’était pas ça qui m’avait le plus manqué, mais cela ne voulait pas dire que ce n’était pas quelque chose que je pouvais désirer à chaque instant passé avec lui. Il pourrait toujours me convaincre que je n’avais besoin de rien de plus au monde.

Sauveur étira un sourire à la déclaration d'Aerianna. Ses bras l'enlacèrent un peu plus qu'auparavant. Il ne savait si c'était vrai ou non étant donné que cela faisait plus longtemps qu'ils n'avaient pas couché ensemble qu'ils ne s'étaient vus. Dans tous les cas, cela le touchait qu'elle l'exprime de cette manière. Il se souleva légèrement et ses lèvres se portèrent à son oreille où il susurra quelques mots.

-Être en manque de ton corps ne veut pas dire que je n'étais pas en manque de toi... Observa-t-il.

Puis sa bouche descendit se poser dans son cou afin d'y déposer quelques doux baisers, quoi qu'emprunts d'encore un peu de cette sensualité qui le tenaillait depuis son arrivée. Il prolongea son geste jusque dans sa nuque et le haut de son dos, goûtant à la douceur de sa peau avec envie et délicatesse. Peu à peu, ses mains se remirent en mouvement, partant pour la énième fois à la découverte de ce corps qu'il commençait pourtant à très bien connaître. Ses gestes sensuels se firent caresses tandis qu'il parcourait ses courbes sans la moindre pudeur. La timidité n'était pas une chose qui le caractérisait. Aussi, si son chemin devait rencontrer un sein, une fesse ou même son entre-jambe, il ne faisait rien pour l'éviter. Au contraire, il gratifiait cette partie de son corps d'une attention un peu différente, saisissant ses formes avec assurance et saluant son sexe avec habileté. Ses mains ne restaient jamais au même endroit très longtemps. Il ne souhaitait lui redonner envie mais simplement maintenir les sens de la belle en éveil

-Mais c'était difficile pour moi de me tenir près de toi et de ne pas pouvoir te montrer ce que je ressentais. Murmura-t-il.

Aucune douleur ne transpirait dans sa voix. Seulement le désir de poursuivre leurs retrouvailles tôt ou tard. Il ne reviendrait pas sur ces heures passées ensemble avant leur séparation temporaire. Elles avaient été aussi éprouvantes pour l'un que pour l'autre, même si lui n'en avait rien dit. Tout ce temps passé à discuter les avait rapproché différemment qu'à leurs débuts mais, s'il se montrait raisonnable et évitait tout contact trop intime, cela ne signifiait pas que la situation lui convenait entièrement. Par amour, il avait eu la patience d'attendre, le tact de ne rien lui montrer de sa propre souffrance et le courage de la laisser partir lorsqu'elle en avait eu besoin. Pour autant, il n'était pas satisfait de la façon dont les choses s'étaient déroulées. Il avait simplement fait ce qu'il fallait au moment où il le fallait. Et que tout cela soit derrière eux faisait son bonheur.

-Pas un jour ne s'est écoulé sans que je pense à toi.

Il avait besoin de me dire toutes ces choses, j’imaginais, et j’éprouvais le même genre de besoin même si ce n’était pas lui qui m’avait demandé cette séparation, mais dans ce cas pourquoi continuer ces jeux avec ses mains et plus particulièrement ses doigts ? J’étais là à me crisper autour de ses attentions et je me sentais bien incapable de lui répondre, alors que mes nerfs étaient toujours comme à vifs. Et j’en avais des choses à dire, même si je ne pouvais pas tout lui dévoiler, même si je ne pouvais pas lui parler de comment je m’étais livrée à Ethirëlon, même si je ne pouvais pas lui parler de cette vie que j’aurais pu donner. Lors de chacune de ces épreuves il avait été là comme un regret, le regret de ne pas avoir pu m’empêcher de risquer de tout perdre face au monstre, le regret de ne pouvoir être dans ses bras aimants au lieu des bras froids comme la mort qui ne m’avaient touché que parce qu’on ne pouvait me prendre sans eux…

Mais il était là, et pour une fois je l’avais à ma portée pendant que je souffrais.

Alors au lieu de m’effondrer j’engageai une rotation un peu maladroite entre ses bras pour finalement lui faire face et me blottir un peu plus contre lui. Une main partit alors à l’aventure contre sa peau pour lui prodiguer le genre de caresses auxquelles j’avais eu droit, tandis que l’autre, plus coincée mais beaucoup mieux située, pouvait se permettre de le caresser là où ce serait le plus efficace. J’allais devoir m’ouvrir à lui d’une façon bien différente de celles qu’il avait déjà bien expérimentées cette nuit, mais il me donnait l’excuse qu’il me fallait pour que je continue de jouer. En vérité j’avais tellement peur que tout s’arrête quand je lui parlerais des choses les plus sérieuses que la moindre excuse pour rester dans ce jeu me convaincrait rapidement. Et puis j’avais quelque chose à faire, quelque chose que je n’avais jamais réussi à faire jusqu’au bout, parce que l’ancien gladiateur n’arrivait pas à comprendre que lui donner une de ces attentions plus… unilatérales… de moi vers lui m’emplirait ironiquement de plus de bonheur encore qu’une nouvelle partagée.

« Il y a quelque chose que tu m’as refusé la dernière fois, j’ai envie, maintenant. »

Aerianna s'avéra bien plus réceptive à ses petites attentions qu'il ne l'aurait pensé. Elle n'était pas seulement remise sur pied, elle rattrapait le retard de plus de deux mois sans contacts aussi sensuels. Cela ne lui déplaisait évidemment pas. Si elle n'en avait pas voulu, elle l'aurait arrêté. Quant à lui, il ne refusait jamais de rapport charnel. Quelque soit le moment, il trouvait le temps et le lieu le moins inadapté pour ce genre de choses. Il n'y avait qu'à voir combien de fois Sanaa et lui s'étaient éclipsés dans un placard, une remise, une ruelle pour assouvir leurs envies avec empressement. Au moins, la Princesse et lui étaient sur un pied d'égalité sur ce point-là désormais. Et il espérait que cela dure.

Lorsqu'il la sentit se retourner, il se redressa légèrement pour se mettre à sa hauteur et l'accueillir dans ses bras. Elle le gratifia à son tour de multiples caresses et son unique main désormais disponible ne demeura pas en reste. Elle était manifestement d'humeur joueuse et il ne tenait pas à ce qu'elle soit la seule à jouer. Depuis qu'ils étaient face à face, il s'était contenté de titiller sa poitrine, palpant ses seins, dardant la pointe, la pinçant sans douleur. Cependant, lorsqu'il sentit des doigts descendre plus bas et s'atteler à faire gonfler son vît de désir, il fit de même et emmena sa dextre retrouver l'intimité de la belle. Les yeux dans les yeux, il n'avait pas honte au sujet de ce qu'ils étaient en train de faire et se tenait même prêt à aller jusqu'au bout si elle tentait de lui tenir tête. L'idée lui plaisait assez à vrai dire.

Mais ce fut alors qu'Aerianna combla le silence seulement entrecoupé de leurs soupirs avec une phrase qu'il ne comprit pas totalement. Il fronça brièvement les sourcils, ne voyant pas ce qu'il avait bien pu lui refuser. En la matière, il était ouvert à (presque) toutes les propositions.

-De quoi tu parles ? Demanda-t-il, incrédule.

« Tu… verras… »

Je souriais, maintenant, alors que la pause n’avait pas duré bien longtemps et que chacun veillait à nouveau à garder l’excitation de l’autre éveillée. J’aurais pu moi aussi aller au bout de cette façon, face à face, le regard de l’un dans celui de l’autre, mais mon désir allait ailleurs, et je me mis sur le dos, me dégageant dans le même temps de tout son corps exceptés de ses doigts. Ramenant ma main sur la sienne je les dégageai eux aussi délicatement avant de m’asseoir sur la margelle, plongeant pour la première fois mes jambes nues dans l’eau froide de la fontaine. Je lançai un regard en arrière pour le regarder encore et lui donner le troisième ordre de la soirée alors que ma main venait tapoter l’endroit à côté de là où j’étais assise. « Assieds-toi là. » Je choisis ce moment-là pour me laisser glisser dans l’eau peu profonde, enfin, et m’éloigner jusqu’au jet d’eau qui s’élevait sur un demi-mètre, le traversant dans un sens puis dans l’autre, revenant faire face à Sauveur. Je ne doutais pas un instant qu’il appréciait le spectacle de mon corps émergeant de l’eau à partir de la moitié de mes cuisses.

Je levai les bras pour ramener ma chevelure trempée dans mon dos et m’approchai pour de bon.

Il devait avoir compris, maintenant, il devait se souvenir, alors que nos positions respectives ne pouvaient suggérer beaucoup de types d’attentions différents. Avant de m’agenouiller je poussai doucement de mes mains qui avaient perdu toute chaleur au contact de l’eau sur son torse resté sec, histoire qu’il ne me surplombe pas de trop et que rien ne m’empêche de le regarder quand j’aurais commencé. Une fois satisfaite par sa position j’arrêtai de pousser un temps sans pour autant retirer mes mains, puis je me hissai sur la pointes des pieds pour venir lui voler un baiser alors que mes mains froides posées sur ses épaules me tiraient jusqu’à lui. Dans le mouvement j’avais senti l’objet de mes attentions futures glisser chaudement contre mon ventre, me confirmant en un instant que c’était exactement ce que je voulais donner à Sauveur. J’avais beaucoup pris de cette relation, il m’avait beaucoup donné, j’avais envie de convaincre tout le monde et surtout moi que je pouvais donner, que lui pouvait accepter. Je fis un pas en arrière et me laissai tomber sur les genoux, m’enfonçant encore plus dans cette eau qui me provoqua un unique frisson.

Je me fis lentement une place entre ses jambes et commençai par le caresser. Je n’eus pas besoin d’attiser beaucoup son désir, peut-être que mes intentions seules étaient déjà bien assez excitantes pour lui. Comme la première fois j’embrassai son sommet d’un petit baiser hésitant, gardant mon regard d’ébène fixé dans le sien, et comme la première fois je descendis le long de son membre pour remonter en le gratifiant de plusieurs coups de langues bien choisis. Je répétai ce petit manège plusieurs fois sans jamais le quitter des yeux mais ne m’arrêtai pas là alors que finalement je l’emprisonnai entre mes lèvres. Que ce soit le va et vient lancé à ce moment-là ou ce jeu entreprit par ma langue, je m’attendais aux meilleurs réactions et ne fus jamais surprise de le voir aussi fébrile aux moments où je relevais les yeux. Mes deux mains se joignirent à la fête, une pour l’empoigner et une pour le caresser partout où ma bouche n’était pas, et j’avais l’impression qu’à chaque fois que mes lèvres se rapprochaient de sa base j’allais plus loin que je n’étais jamais allée.

Cette fois, il lui faudrait user de force s’il voulait vraiment que mes lèvres se séparent de lui.

Intrigué, Sauveur se redressa et s'installa là où elle le lui avait demandé. Quoi qu'elle veuille faire, il mourait déjà d'envie de voir en quoi cela consistait et son désir en était d'autant plus visible. Sans honte aucune, il demeura assis, le vît dressé tandis qu'il observait la belle humidifier son corps sous les jets de la fontaine. Elle était nue sous la lune et sous la demeure des Dieux. Ses yeux depuis longtemps habitués à l'obscurité pouvaient la détailler sans le moindre effort. Cette vision lui rappelait leurs ébats dans les bains, bien que la température soit bien différente cette fois-ci. Il étudia avec attention ses courbes, ne faisant preuve d'aucune gêne, comme cela avait toujours été le cas. Il avait envie de goûter à ces perles d'eau qui parsemaient désormais sur la peau de son amante comme pour l'en débarrasser mais pourtant bien conscient que cela ne la sècherait aucunement.
Peu lui importait.

Cependant, il se plia au jeu de la jeune femme et, lorsqu'elle s'agenouilla devant lui, il ne bougea pas. Il écarta les genoux à sa demande afin de lui libérer l'accès à son membre. Là encore, ses yeux ne manquèrent pas une miette de ce qu'il se passa, fixant tant les lèvres que le regard de la belle alors qu'elle prenait peu à peu possession de son attribut. Lorsqu'elle le prit en bouche, il échappa un soupir rauque qui trahissait sa satisfaction et son plaisir. Il ne réclamait jamais une telle faveur et attendait que l'envie vienne à ses partenaires. Si lui descendait avec plaisir entre les cuisses de ses amantes afin de faire monter leur désir, il ne demandait aucune réciprocité. Cela rendait ces moments d'autant plus précieux et intense.
Alors qu'Aerianna entamait des allées et venues sur lui avec ses lèvres, les soupirs de Sauveur se firent de plus en plus présents. Elle faisait cela pour lui faire du bien, aussi ne se cacherait-il pas du plaisir qu'elle lui donnait. Les minutes s'écoulèrent tandis que la Princesse s'évertuait à le mener lentement vers l'orgasme. Son souffle se fit de plus en plus court, des gémissements graves résonnèrent autour d'eux, à peine couverts par les jets de la fontaine. Son vît durcissait et gonflait dans la bouche et la main de la belle. Il ne savait plus quand, il avait glissé une main dans sa chevelure pour accompagner ses mouvements, comme si sa voix et l'expression de son visage ne suffisait pas à lui faire savoir à quel point il aimait ce qu'elle faisait.
Ce petit jeu dura longtemps. Bien plus qu'il ne l'avait imaginé. S'il ne s'en lassait pas, il savait qu'il ne pourrait tenir ainsi indéfiniment et il se sentait l'obligation de la prévenir avant que cela ne soit trop tard.

-Amour... Il faut... que t-hmpf... arrêtes...

Son corps se raidissait de plus en plus à l'approche de l'extase. Le plaisir était là, plus intense que jamais, et si elle ne stoppait pas tout cela bientôt...

Je l’entendais enfin, comme je l’avais entendu cette fois là.

C’était plus subtil que je ne pourrais jamais l’être à moins d’être contrainte au silence, c’était trop subtil pour vraiment l’entendre quand je donnais de la voix, ou du moins, trop subtil pour que j’en discerne chacune des notes si nous étions tous les deux gouvernés par ce même plaisir. Contrainte au silence je l’étais véritablement, alors que fidèle à ses enseignements ma bouche autour de lui mettait un point d’honneur à rester patiente et à faire monter son plaisir petit à petit alors que je n’étais pas pressée par le mien. Parfois je m’arrêtais même pour le regarder sûrement un peu trop longuement à son goût, sans jamais pour autant laisser le plaisir s’estomper, quitte à l’entretenir de quelques habiles caresses de la langue. Il restait docile alors que je détenais entre les mains la preuve qu’il voulait me faire tant de choses et explorer tant de nouveaux endroits de cet immense jardin qui avait finalement trouvé clients avec un appétit assez grand pour l’explorer vraiment.

Il me fallut sentir cette main se joindre au mouvement pour comprendre que sa docilité n’était pas un choix.

Alors au lieu de chercher à lui redonner cette liberté de choisir je fis ce que je savais être la bonne chose, je continuai, et lui me récompensa encore et encore par ces soupirs et ces gémissements, tous deux gagnant en intensité. Je me perdis assez dans l’instant pour aller plus loin que je n’étais allée cette fois où il m’avait interrompu, plus loin que je n’étais jamais allée avec lui ou avec quiconque, lui arrachant des sons qui venaient de plus loin encore, de plus profond encore. J’aurais souri bêtement si je l’avais pu, me rendant compte que je n’avais jamais été aussi heureuse avec lui qu’en lui offrant ce qu’il n’avait jamais demandé, en ne demandant rien en retour, alors je continuai, encore et encore, laissant cette main qui n’avait désormais plus de prise glisser contre sa peau et se raccrocher à cette margelle sous lui. Je commençais à reconnaître chez lui les signes reconnaissables entre mille du moment qui arrivait à son terme, et je l’entendis s’essayer avec quelques mots sans que je ne puisse dépasser le premier prononcé.

Amour, il l’avait déjà utilisé ce mot, mais rarement comme ça.

Je descendis une dernière fois totalement sur lui et restai là alors qu’il tressaillit plusieurs fois et que son extase explosa en moi. Il me fallut un instant pour me remettre et assumer ce choix avant que je ne reprenne doucement le mouvement et que quand il n’eut plus autant de sa vigueur, finalement, presque à contrecœur et après un petit baiser, je me dégage de lui. Je souris en relevant le regard vers le sien, j’étais heureuse et je n’étais capable de lui lancer aucun autre signal. Ce fut avec le sourire également que je me redressai, ce fut avec le sourire également que je me hissai sur le rebord de la fontaine, ce fut avec le sourire également que je me collai contre lui, la joue contre son épaule. Je mourrais d’envie de savoir ce qu’il en avait pensé, même s’il m’avait envoyé tant de signaux, j’en mourrais d’envie et pourtant je n’en dis rien alors que j’avais encore à m’habituer à un nouveau goût.

Si Sauveur voulait se retenir, il en fut bien incapable. Aerianna jouait avec son plaisir depuis bien trop longtemps et avec bien trop d'habileté. Il ne put empêcher que sa jouissance vienne et c'était la première fois qu'il la vivait de cette manière. Sa voix gronda tout autour d'eux tandis que sa main se crispait dans la chevelure de la belle. Son dernier assaut avait eu raison de lui. Jamais encore elle n'avait eu une telle maîtrise sur son plaisir, une telle maîtrise de l'instant. Il n'était pas désagréable de se laisser mener, bien qu'il se soit laissé surprendre par l'instant présent. Il pensait qu'elle ne faisait que raviver le désir. Il n'imaginait pas qu'elle irait jusqu'au bout. Mais il était évident qu'elle avait tout fait pour que cela se produise.

Alors qu'il se remettait de ses émotions, son regard croisa celui de la Princesse toujours agenouillée. Il eut une moue faussement contrariée. Ce qu'il aimait dans le fait de faire l'amour, c'était le plaisir qui montait crescendo et l'explosion qui en découlait, mais à deux. Cependant, après tout le temps qu'il avait passé la tête entre ses cuisses, il ne pouvait lui reprocher d'avoir voulu inverser les rôles. Il appréciait même. Alors, lorsqu'elle revint à sa hauteur, il l'enlaça d'un bras, malgré la fraîcheur de son corps rendu humide par l'eau de la fontaine.

-J'avoue que je ne m'attendais pas à ça. Déclara-t-il, masquant volontairement s'il s'agissait d'un reproche ou non. Puis il reprit un peu plus sérieusement. C'est la première fois que ça va aussi loin pour moi de cette manière. Et j'ai l'impression que ça t'a plu autant qu'à moi.

Une légère étincelle dans son regard gris-bleu.
Il ne lui avait pas échappé la façon dont elle lui avait sourit. Ce n'était pas la première fois qu'elle l'embrassait à cet endroit. Ni la première fois qu'elle lui proposait de lui donner du plaisir de cette façon. Dans les bains, il avait eu du mal à la déloger. Il croyait que c'était parce qu'elle ne réalisait pas ce qu'il allait se passer. Il n'avait pas imaginé que c'était réellement ce dont elle avait envie.
Maintenant, il savait.

-Tu es gelée. Remarqua-t-il. Puis ses lèvres se perdirent dans sa chevelure de jais, au niveau de son oreille, et il susurra quelques mots avec langueur. Je sais comment te réchauffer.

Sans plus attendre, il se détacha doucement d'Aerianna. Il se mit debout, présentant son corps musculeux sans la moindre gêne alors que son plaisir à lui s'était envolé pour un petit moment encore. Puis il joua un peu la même comédie qu'elle, s'aspergeant de l'eau des jets avant de revenir vers elle, posant un puis deux genoux au sol, écartant ses cuisses avec le regard rivé dans le sien... Il se pencha en avant, approchant sa tête de son intimité. Il ne pouvait que constater que son petit jeu ne l'avait pas laissée insensible. Aussi, lorsque ses lèvres arrivèrent au niveau des siennes, il se jeta dessus pour les embrasser avec avidité. Elle venait de le faire transpirer de plaisir et il tenait à lui rendre la pareille.
Avec dextérité, il s'efforça de faire revenir la voix de la Princesse qui lui avait tant manquée ces dernières minutes. Et plus encore au moment où son extase était à son point culminant. Il l'avait pourtant laissé faire. Il avait décidé de s'abandonner à ses soins jusqu'à ce qu'il perde tout contrôle sur ce qu'il se passait. Il avait été à elle durant ces quelques instants. Il lui avait appartenu, de la seule manière qu'il aimait. Sans qu'il soit question de statut. Sans qu'il soit question de pouvoir ou d'argent. Ici, il n'y avait que de l'amour. Rien de plus.
Alors il voulait renverser la vapeur. Inverser les rôles. Qu'elle soit à lui. Qu'elle lui appartienne... Qu'elle ressente à quel point il l'aimait. A quel point elle lui avait manqué. Il voulait l'entendre crier l'amour qu'il lui donnait. Avec ses lèvres. Avec sa langue. Et il n'avait pas l'intention de s'arrêter là.

Je ne répondis pas à son commentaire, je ne répondis rien parce que je n’avais rien besoin de savoir, rien besoin d’exprimer, j’écoutais simplement cette voix qui m’avait tellement manqué, cette voix qui était la seule capable de me rassurer. Ce sourire qui lui était désormais invisible ne s’était pas éteint et il ne le ferait pas tant que je pouvais physiquement le garder là, il ne le ferait pas tant que d’autres de ses attentions ne venaient pas afficher tout autre chose sur mes traits. Et s’il avait aimé l’expérience autant que je l’avais fait… il n’y avait pas de meilleur endroit dans ce monde pour moi. Je me blottis encore un peu plus contre lui, pas certaine que ce soit possible alors que son bras me tenait en place et semblait essayer d’arrêter des légers tremblements. Je commençais à avoir légèrement froid, un petit vent de fin d’automne caressant ma peau humide, mais je ne voulais pas bouger alors qu’il me susurrait à l’oreille des mots que je trouvais si doux.

Il était toujours aussi beau, peut-être plus, et il n’avait pas le moindre besoin de jouer avec l’eau pour le montrer.

Le reste des jeux qu’il avait prévu je les attendais à bras ouverts, et j’attendis à peine le premier contact de ses lèvres sur moi pour sentir mon souffle se raccourcir. Aux soupirs succédèrent les gémissements, aux gémissements les petits cris, aux petits cris des cris encore plus forts. Si c’était la première fois que j’étais allée au bout de mon idée, lui connaissait l’endroit si bien qu’il n’activait chacune de ces étapes du plaisir presque qu’en y pensant. Les deux actes semblaient si similaires, les deux actes nous avaient vu tous les deux jouer le même jeu, les deux actes tiraient de nos gorges des sons aussi différents qu’ils se ressemblaient… c’était plus ou moins intense que quand c’était moi à sa place ? La question se poserait peut-être plus tard, la question n’aurait vraisemblablement jamais de réponse, et quelle qu’elle soit, mes cris restaient aussi bruyants alors que j’avais prévu de réveiller une nouvelle fois tout le voisinage.

Quelque part, au détour d’une pensée, j’avais placé les deux mains sur sa tête, et je le pressais contre moi.

Voilà tout ce qu'il cherchait à obtenir. Son souffle court, ses gémissements, ses cris, sa fièvre... Tout ce qu'il n'avait pas pu obtenir durant les derniers instants et qu'elle s'était évertué à lui faire enduré avec un bonheur non dissimulé. A la différence que lui ne disposait pas que de sa bouche comme arme...
Alors que l'extérieur de l'intimité de la Princesse était déjà harcelé par les baisers langoureux et sulfureux de son amant, ce dernier approcha l'une de ses mains de son entrejambe. La paume tournée vers le haut, un doigt pénétra en elle avec lenteur. La pulpe de son index caressa la paroi de l'antre de sa compagne depuis l'entrée jusqu'au plus profond de son être en un seul mouvement doux et délicat. Ainsi, il étira le plaisir de la belle jusqu'au point culminant qui déclencherait bientôt sa jouissance. Il procéda ainsi à quelques allées et venues en elle, reproduisant le même geste encore et encore. Un second doigt s'associa bientôt au premier, rendant le contact bien plus appuyé et le plaisir d'autant plus grand. Avec douceur et savoir-faire, il prenait possession d'elle sans même utiliser son membre qui pourtant se raidissait malgré l'eau froide en entendant la voix de plus en plus forte d'Aerianna. Les mains sur sa tête lui commandaient de ne jamais s'arrêter mais il n'en avait pas la moindre intention. C'était bien trop bon de la sentir aussi fébrile sous ses assauts...

Cependant, Sauveur ne laissa pas le suspens s'étendre trop longtemps. Ce soir, il n'avait pas envie de jouer avec les nerfs de son amante, elle lui avait bien trop manquée. Elle aimait sentir le plaisir monter en elle et se laisser envahir par la puissance de l'extase et il avait bien l'intention de l'aider à l'atteindre.
Peu à peu, les mouvements de ses doigts se firent de moins en moins amples tandis que ses premières phalanges pressaient de plus en plus ce creux dans le ventre de la Princesse qu'il connaissait si bien. Cette zone d'où s'échappait et se diffusait la jouissance chez une femme. Cet endroit que, si l'on savait la solliciter avec habileté, provoquait à coup sûr un plaisir aussi fort que soudain. Un plaisir auquel il ne l'avait encore jamais fait goûter de cette manière et qui représentait un bien juste retour des choses après tout.
Bientôt, elle crierait à réveiller tout le quartier et il ne s'arrêterait que lorsque sa voix cesserait elle aussi.

Je m’étais seulement attendue à la réciproque de ce que je lui avais fait subir, je m’étais seulement attendue à ce qu’il veuille dans une fausse vengeance m’offrir ce que je lui avais offert pour la première fois, même si je connaissais sa bouche, même si je connaissais sa langue. Il me le donna, mais pas que, et finalement, dans son jeu, je compris bien vite que mes mains ne me rendaient pas maîtresse de lui, elles n’étaient qu’un agrément supplémentaire, quelque chose dont il aurait pu se passer. Je sentis ses doigts s’introduire en moi et après quelques allées et venues je changeai mes plans. Mes mains se retirèrent et doucement, à chaque creux dans mon plaisir, quand il semblait vouloir se retirer, avant qu’il ne revienne à la charge, je m’abaissais légèrement plus jusqu’à finalement sentir ma tête se poser sur la pierre. Il n’y avait pas de raison que je profite moins dans cette position, même si je ne pouvais plus le voir, même si mon regard se perdait désormais quelque part dans le ciel nocturne de Thaar. Je le laissai continuer sans jamais le frustrer alors que chacune de ses attentions exigeait et obtenait une réponse.

Puis je compris de moins en moins ses mouvements.

Puis je devinai ce qu’il cherchait.

Puis je hurlai.

Il n’y aurait pas de cri plus puissant que celui là, j’aurais pu penser, et je me serais vraiment demandée comment il ne pouvait venir que maintenant au vu de toute l’énergie qu’il avait déployée jusqu’à maintenant, au vu de toute l’énergie que j’avais dépensée jusqu’à maintenant. La soudaineté de la sensation aurait pu éventuellement être une réponse, aussi, mais mon esprit n’était plus vraiment là, il s’était totalement focalisé sur le plaisir qui avait aussi pris possession de la moindre parcelle de mon corps. Juste avant que ce hurlement ne retentisse mon corps s’était raidi et mon dos s’était arqué en arrière, mais quand le son franchit ma gorge les tremblements si caractéristiques commencèrent. Il aurait pu en être satisfait, il aurait pu me laisser redescendre toute seule, mais ç’aurait été mal connaître Sauveur que de penser qu’il n’irait pas jusqu’au bout, et fier de ce résultat il activa ses doigts en moi de la même façon qu’un instant plus tôt. Il ne voulait pas que je redescende, il voulait que tous ceux qui avaient été réveillés entendent les autres cris, les autres hurlements, il voulait que tout le monde sache à quel point nous étions comblés.

Lorsqu’éventuellement mes cris s’arrêtèrent le sourire que j’affichais ne pouvait que lui prouver que je l’étais…

Comblée.

Le jour illuminait déjà le ciel mais les maisons alentours demeuraient désespéramment sombres. Le soleil n'était pas encore levé mais il pointerait bientôt le bout de ses premiers rayons, éclairant les façades de la cité de Thaar. La nuit n'avait été ni courte ni longue pour les deux amants qui avaient depuis longtemps perdu le compte de leurs ébats. Combien de lieux, combien de positions, combien d'orgasmes... Il leur faudrait un moment s'ils devaient se remémorer le tracé de leur périple ainsi que chacune de leurs étapes.
Des jardins, ils avaient fini par entrer à l'intérieur des bâtiments. Ils n'avaient croisé personne en chemin et c'était une chance au vu du nombre d'arrêts qu'ils avaient effectués en chemin. Rien ne semblait pouvoir atténuer le désir qu'ils s'inspiraient l'un l'autre. L'absence, le manque, l'incertitude. Voilà tout ce qui les avait alimenté ces derniers mois.
Et ils avaient tout rattrapé en une seule nuit.

Sur le tapis, un certain nombre de coussins était rassemblé afin de constituer une couche confortable pour le couple enfin rassasié. Après les couloirs et le salon derrière eux, ils avaient échoué sur cette terrasse d'où ils pouvaient voir la cité s'étendre devant eux et s'éveiller lentement. Allongés dans les bras l'un de l'autre, ils ne se témoignaient plus désormais que tendresse, les doigts de Sauveur parcourant la joue et le cou d'Aerianna tout en la couvant d'un regard amoureux. Ils échangeaient parfois quelques baisers bien moins passionnés que durant la nuit. La fatigue se ressentait un peu mais le sommeil pourrait attendre. Le mercenaire voulait encore profiter de la présence de la jeune femme contre lui. Cela faisait si longtemps qu'ils ne s'étaient pas retrouvés ainsi... Nus. Allongés. Paisibles.

-Tu n'as pas froid ? Demanda-t-il doucement afin que sa voix grave ne vienne pas perturber ce moment.

Maintenant que la fièvre ne les tenait plus, il leur était aisé de réaliser que la matinée était fraîche. Lui-même le ressentait mais il pourrait aisément le supporter. En revanche, si tel n'était pas le cas pour la Princesse, il n'aurait qu'à tendre le bras pour saisir la couverture encore à moitié pliée qui se trouvait sur le coin du canapé.

Cette nuit n’aurait jamais été aussi merveilleuse si quelque part en Karfias, quand j’étais rentrée de Geresh, aucun monstre n’était passé si près de me détruire. Elle n’aurait pas été des pires, il n’y avait aucune raison qu’elle le soit, mais d’une certaine façon un peu malsaine j’étais heureuse d’avoir été privée de ce genre de plaisir si longtemps. On ne se rendait après tout vraiment compte de la valeur de ce qu’on avait que quand on nous le retirait. Je ne pouvais l’avouer à Sauveur, pour ne pas réveiller l’inquiétude qui avait dû lui faire tant de mal et sur le retour vers le palais il me surprit sûrement à être particulièrement pensive par moments. J’étais pensive mais chacune de ses incitations allait tout de même faire mouche et rentrer dans ce palais n’avait jamais été aussi long. Il n’y avait personne dans les parages mais je savais que de nombreux regards nous épiaient quand même, et j’aurais droit à des multitudes de commentaires de la part d’un certain trio qui était sans aucun doute particulièrement intéressé par le spectacle que nous leur avions offert.

Allongés l’un contre l’autre il s’inquiéta alors de mon bien être de la manière la plus naturelle qui soit, comme si c’était le plus grave qui puisse m’arriver. Bien sûr que j’avais froid, entre la fatigue et ce petit air frais, mon corps le montrerait d’ailleurs particulièrement bien si Sauveur en cherchait les signes, et d’une petite voix je lui répondis par un petit mensonge. « Non. » Si je le supportais, ce froid, c’était seulement parce que le corps de mon amoureux retrouvé, bien plus chaud que le mien, m’apportait cette chaleur en chaque endroit qu’il touchait. Et ils étaient nombreux, ces endroits, entremêlés que nous étions. Je m’étendis pour rapprocher le visage du sien et déposer mes lèvres sur les siennes pour les décoller presque aussitôt. Je n’avais d’yeux que pour lui, et si parfois mon regard partait explorer son corps et tout ce qui m’avait fait tant de bien dans la nuit, en cet instant c’étaient ses yeux à lui que je cherchais.

« Tu pensais que je reviendrais ? »

Je ne savais pas ce que je cherchais à provoquer, comme bien souvent quand il était question de ces choses là, comme bien souvent quand il était question de Sauveur. Ce n’était pas la première fois que je lançais une petite question, un petit appât, et que j’attendais une réponse que je n’aurais jamais pu prédire. Enfin, je pouvais prédire la plupart, mais seulement celles qui nous emmenaient sur la voie de l’amour charnel, une voie bien souvent arpentée en finalement peu de temps passé ensemble. Pour le reste il me restait une impression de mystère, même s’il avait levé beaucoup de ce mystère lors de nos nombreuses discussions avant cette trop longue séparation. Était-il homme à s’appuyer sur l’espoir quand ceux à qui il tenait disparaissaient ou reportait-il son attention sur ce qu’il avait à la maison pour oublier la crainte qu’ils ne reviendraient jamais ? La réponse aurait dû être évidente, il m’avait raconté l’espoir qu’il avait de réunir sa famille… mais… sur la question de l’amour… l’autre avait porté ses filles tandis que je n’avais qu’été de passage.

Sauveur gronda son amante du regard. Il voyait bien qu'elle avait froid mais elle était si têtue... Qu'à cela ne tenait, il l'enlaça encore un peu plus de manière à la maintenir au chaud contre lui. Peau contre peau, il ne connaissait pas de meilleur moyen de se transmettre la chaleur. Et, après la nuit qu'ils venaient de passer, il en avait à revendre...

La voix d'Aerianna l'interrogea sur les mois qui venaient de s'écouler en une simple phrase. Une phrase dont elle était le centre. Craignait-elle qu'il l'ait oubliée ? Craignait-elle qu'il ait balayé tout ce qu'ils avaient vécu ensemble ? Craignait-elle qu'il ait balayé ses déclarations d'amour d'un revers de main par peur de trop souffrir ou manque de sincérité ? Il aurait pu s'en offusquer mais, en réalité, il ne savait pas vraiment ce qu'elle entendait par là.
Il était curieux de voir comment les relations amoureuses pouvaient être si différentes les unes des autres... Avec Sanaa, la conversation serait immédiatement partie en vrille. Leur couple était ainsi. Ils avaient commencé en se disputant presque dès leur première fois et c'était allé de mal en pis jusqu'à ce qu'ils comprennent et admettent ce qu'il se passait entre eux. C'était intense, c'était passionnel mais c'était sincère. Alors chaque dispute devenait une occasion de se réconcilier sur l'oreiller. Des réconciliations toujours mémorables... En revanche, avec Aerianna, il se sentait très différent. Ce n'était pas une bonne ou une mauvaise chose. Leur début à eux avait tout simplement trouvé d'autres bases. Il avait envie de la protéger, d'être doux et attentif. Il n'était pas question de tempérament fougueux entre eux, c'était plus tendre. Ne pas comprendre par là il n'était pas tendre ni attentif envers Sanaa... C'était simplement la relation qui fonctionnait autrement.

Une main vint écarter une mèche de cheveux de la Princesse d'un effleurement tandis qu'il plongeait son regard dans le sien.

-Je ne savais pas à quoi m'en tenir. J'attendais, simplement. Mais il ne s'est pas écoulé un jour sans que je pense à toi. Il marqua une pause. Après la nuit qu'il venait de passer, il ne voulait pas remuer de mauvais souvenirs mais il devait malgré tout frôler un sujet sensible. Libre à elle d'en parler ou non, il souhaitait simplement lui faire savoir qu'elle était dans son cœur lors de l'épreuve qu'elle venait de traverser. Surtout l'ennéade passée.

Evidemment, la mort de son père était parvenu jusqu'à ses oreilles. Il était d'autant plus facile pour lui d'accéder à des informations sensibles ou d'en avoir la primeur en travaillant pour une Princesse Marchande. Elle avait voulu que les funérailles soient privées et il avait respecté sa décision, sans quoi il serait venu. Elle n'avait pas souhaité qu'il soit à ses côtés pour la soutenir et il avait respecté son choix. Chacun endurait le deuil à sa façon. Courtois, c'était par la solitude et l'alcool. Aimé, c'était en s'occupant davantage des autres. Lui, c'était en recherchant la tendresse d'une compagne. Elle avait le droit d'avoir d'autres besoins que les siens.

Je n’avais pas de raison de ne pas le croire, car si j’avais été celle à décider de l’abandonner le temps que tout revienne en place, car si j’avais eu l’impression de véritablement l’abandonner sans espoir de jamais le revoir, car si j’avais été à l’origine de cette séparation douloureuse, je n’avais pas non plus passé une seule journée sans penser à lui. Il aurait dû m’en vouloir, lui, l’être abandonné par ce monstre qui ne pouvait pas se passer de la souffrance, au point de passer si près de la mort. L’être abandonné par ce monstre qui avait été convaincu qu’il lui fallait sacrifier son père pour se libérer de ce frein mental. L’être abandonné par ce monstre qui en plus d’avoir été convaincu était bel et bien passé à l’acte. L’être abandonné par ce monstre qui avait en plus eu raison. Son esprit malade avait été guéri par la mort de son père, et le pire, sûrement, c’était que le monstre avait mis beaucoup trop longtemps avant de comprendre ce qu’il s’était passé l’ennéade précédente. Alors, enfin, l’incompréhension qui se lisait dans mon regard s’effaça.

Le monstre avait simplement oublié avoir exécuté son père.

« Je suis désolée, j’aurais dû t’en parler avant. »

Mais comment parler de ça ? Sans mensonge le récit était atroce. C’était l’histoire d’une jeune femme qui privée de la possibilité de ressentir du plaisir avait offert son corps à tous ceux qui auraient pu en vouloir. Contre toute attente personne n’avait voulu la prendre vraiment, et quand elle avait été en possession de l’argument ultime pour qu’on ne la refuse pas elle s’était refusé le droit de s’en servir. Alors Ascanio Vossula s’était débarrassé de celle qui aurait pu porter un autre bâtard s’il avait été patient, alors Ethirëlon Nas’olen en avait fait une pièce de mobilier. Et c’est en tant que pièce de mobilier qu’elle avait compris quel lien la retenait le plus fortement. C’est en tant que pièce de mobilier qu’elle s’était rendue compte ne pas être à sa place. Quand elle s’était libérée au lieu de sombrer définitivement dans la servitude elle avait sombré dans un autre trou. Engager cette mercenaire, celle qui l’avait insultée, celle qui avait osé la violenter au lendemain de cette nuit d’horreur, pour tuer celui qui détenait les chaînes de sa vie mais aussi de sa jouissance, c’était le fond de ce trou.

Malheureusement, ou heureusement, après tout ça, c’était facile de cacher la vérité.

« Il est… mort… dans mes bras. Je l’ai vu se crisper… sur son… cœur… »

Une larme glissa le long de ma joue, le monstre n’était pas dénué d’émotions.

« Je suis restée pour les funérailles, mais j’ai fui le lendemain, loin de Geresh, vers toi… »

Je l’embrassai, je me blottis encore plus contre lui pour avoir un peu plus de sa chaleur, je ne voyais plus ses yeux.

« Je suis vraiment la Princesse de Geresh… je ne sais pas si je suis prête… je m’enfuis déjà… »

Sauveur fronça légèrement les sourcils. Le discours d'Aerianna était assez décousu, comme à chaque fois qu'un sujet la touchait de près. Mais il y notait aussi une incohérence. S'il était mort aussi subitement, comment aurait-elle pu le prévenir avant que cela ne se produise ? A moins qu'elle ne parle du fait de lui donner la primeur de l'information, ce qui était plus logique à ses yeux. Alors il s'arrêta sur cette idée et prêta bien plus d'attention aux tourments qui animaient la jeune femme et auxquels il répondit en la serrant un peu plus contre lui. Il était bien placé pour savoir ce que cela faisait de se retrouver orphelin.

Princesse. Oui, elle l'était bel et bien à présent. Et si cela ne changerait rien aux yeux de son amant, il y en avait bien d'autres qui sauraient faire la distinction. Ceux qui autrefois s'adressaient directement au patriarche pour obtenir quelque chose se tourneraient à présent vers elle. Ils la testeraient, tenteraient de la rouler, comme les marchands l'avaient fait avec Aislinn et essayaient à présent avec Sanaa. A la différence près qu'Aerianna avait une chance : elle était riche et puissante. La rouler s'avérait donc aussi juteux que risqué en cas d'échec.

-Ce n'est qu'un titre. Déclara-t-il d'une voix douce. Tu traitais déjà des affaires toute seule. Tout ce que cela change, c'est que c'est toi qui aura le dernier mot.

Il n'y avait qu'à voir la façon dont elle avait géré l'affaire de la propriété familiale. Un seul rendez-vous lui avait permis de tout racheter pour une bouchée de pain. Si la nouvelle avait rendu son compagnon heureux, il ne lui avait pas dit à quel point cela l'avait affecté aussi. Les créanciers avaient connaissance de la rentabilité des terres. S'ils les avaient cédées aussi facilement, c'était sans doute parce que cela leur retirait une épine du pied... Leurs terres, l'endroit où presque tous ses frères et sœurs étaient nés, ne valaient plus rien...

D'une main douce, il caressa la joue de la belle du dos de ses doigts et continua sur un ton toujours aussi tendre.

-Entoure-toi de conseiller si cela peut t'aider d'avoir un second avis pour peser le pour et le contre avant de te décider.

Sauveur sourit intérieurement en retenant une réflexion. Il ne pouvait pas évoquer son père devant elle. Pas aussi tôt. Mais il n'en était pas moins amusant de se souvenir que les conseillers d'Honoré n'étaient autre que ses épouses...
A la place, il préféra parler d'un autre sujet. Cette fois, il ne retint pas son petit rire amusé.

-Parce que c'est vrai que ton dernier investissement en date n'était pas très judicieux. Dit-il en faisant clairement référence aux terres Hadjaoui.

« Mmmh… »

Je m’en voulus légèrement pour la pensée qui me traversa l’esprit en l’entendant essayer de me rassurer, voire même de me donner des conseils. Il était si loin de tout ça, même si la structure du monde d’Ithri’Vaan faisait que ceux en bas étaient parfois confrontés à des problématiques de ceux d’en haut, comment pouvait-il savoir si ce n’était qu’un titre ou non ? Je ne laissai pas cette pensée prendre possession de mes traits et de mon humeur, qu’il sache ou non, ses paroles touchèrent leur cible bien facilement, bien aidées par son étreinte. Et puis, finalement, quand il me conseillait de m’entourer de tels conseillers, ne faisait-il pas que me dire de faire exactement ce que j’avais fait en laissant le drow argenté tenir la cité en mon absence ? Il avait mon autorité au moins jusqu’à ce que je rentre du Puy d’Elda et quand c’était déjà arrivé il n’en avait jamais abusé, comme il n’avait jamais abusé de ce qu’il savait, pour Aethka ou d’autres. Et puis, j’avais laissé quelqu’un pour le surveiller. Je souris d’un doux sourire en répondant finalement par des mots un peu plus travaillés que le dernier.

« Tu connais déjà un de ces conseillers… »

Mais le sujet changea et je fus ravie qu’il soit à l’origine de ce changement, il ne pouvait savoir à quel point je n’étais pas affectée par ce décès, et même si je me posais des questions et si j’avais bien fui la cité pour me laisser une chance de faire le vide, j’avais forcé ce changement. A la place il y avait un trait d’humour auquel je voulais répondre le plus sérieusement possible parce qu’au pire il faisait abstraction de quelque chose de primordial, au mieux il sous estimait son importance. Je me dégageais doucement mais avec une pointe de force de son étreinte avant de le pousser jusqu’à ce qu’il se retrouve parfaitement allongé sur le dos. Je me redressai sur un coude puis un regard noir vint le percer, même si je ne pouvais pas totalement effacer ce sourire et devais avoir l’air d’une folle ou d’une idiote. Alors je le questionnai comme s’il avait dit une horreur, n’hésitant pas à ramener une main devant la bouche pour signifier mon choc.

« Pas judicieux ? »

Je m’assis alors sur son ventre, laissant ma fausse fureur s’estomper totalement, et me penchant pour l’embrasser.

« Ce n’était pas pour les bonnes raisons, je te l’accorde, mais tout ce qui te fait du bien est judicieux. »

Je m’étais alors redressée en appuyant des deux mains sur ses épaules. J’avais froid, mais j’étais heureuse.

Sauveur sourit. Il n'était guère surpris d'apprendre qu'Ulk avait bénéficié d'une promotion. C'était un homme de confiance, sans compter qu'il avait une amitié sincère pour la Princesse. Aussi agirait-il donc toujours dans l'intérêt d'Aerianna avant tout. C'était tout ce dont elle avait besoin.

-Rappelle-moi de le féliciter la prochaine fois que je le croiserai.

Devant son changement de sujet, la belle prit une expression d'un sérieux plutôt bancal. Sans broncher et tâchant de cacher son sourire amusé, il lui obéit, se laissant allonger sur le dos, et la regarda s'asseoir sur lui, lui offrant la vision de son corps nu. Ce qu'elle pouvait être belle dans son plus simple appareil. Pourquoi s'évertuait-elle à porter des robes lorsqu'il était là ? Elle était parfaite ainsi.
Il la laissa jouer à son petit jeu tout en prêtant toute l'attention qu'il fallait à ses paroles. Ils étaient d'accord sur le fait que ses motivations n'étaient pas les bonnes au départ. Mais finalement, elle avait persévéré, pour lui. Ou plutôt, par amour pour lui. Elle avait tenu parole et ne leur réclamait rien en retour, quand bien même il n'avait plus voulu la toucher face à son état, quand bien même il n'avait pas voulu qu'elle le touche pour la ménager, quand bien même ils avaient été séparés des mois durant.

Soudain, Sauveur se redressa par la seule force des muscles de son buste. Ses bras l'enlacèrent, ramenant son corps contre le sien avec une certaine poigne non dénuée de sensualité. Il plongea ses mires dans les siennes et lui parla à mi-voix, ses mots venant effleurer sa peau.

-Dans ce cas, toute cette nuit était judicieuse...

Il approcha son visage et l'embrassa avec amour et ferveur. Oui, elle lui faisait du bien. Et ce n'était pas seulement physique contrairement à ce que toute la maisonnée devait penser après tout ce qu'ils avaient pu entendre et peut-être même voir. A travers ses gestes, c'était son cœur qui s'exprimait. Il avait réprimé son amour si longtemps... Quoi de plus normal qu'il explose au moment de le libérer enfin. Et il était prêt à recommencer une dernière fois alors que les premiers rayons du soleil effleuraient enfin les toits des maisons d'en face. Une dernière fois avant de se laisser sombrer dans le sommeil, conservant Aerianna dans ses bras jusqu'à leur réveil.