Un bon début à l'horizon.

Le matin de l’assaut sur Sol’Dorn,
Huitième jour de Favrius de l’an 17 : XI.

Le camp sud était vide. C’était nouveau au point que Myr’Hennis n’arrivait pas vraiment à y croire. Alors certes, ce n’était pas parce que le camp était vide qu’il n’y avait pas de bruit, c’eut été trop beau. Toutefois après tant de temps passé à regarder les murs de Sol’Dorn, cela faisait étrange, ça laissait un sentiment d’irréel, de voir les soldats eldéen non pas devant mais à l’intérieur de la ville. Cependant, et évidemment parce que sinon ça n’aurait pas été amusant, il n’avait pas pu dormir. En effet les troupes avaient fait leur boucan habituel avant de partir à l’assaut sans aucune considération pour ce pauvre architecte qui se roulait dans ses draps de soie, seul dans son grand lit. Il ne s’était pas levé en même temps que sa chère et tendre et ce pour une raison très simple : il n’était pas roi et encore moins militaire. Les dieux en soient loués il avait échappé à ça. Les onze avaient vu en lui autre chose qu’un imbécile de guerrier et ce n’était pas plus mal car il servait bien mieux Elda ainsi, en tant que Grand Architecte. Mais voilà, malgré tout ça il n’arrivait pas à retrouver le sommeil. Le grand drow s’étira longuement et décida que si le soleil venait si profondément dans la tente royale pour l’importuner c’était qu’il avait peut-être un peu trop trainé. Et peut-être qu’il aurait dû se lever pour assister à la cérémonie religieuse dirigée par la haute-prêtresse d’Uriz juste avant l’assaut. Peut-être. Ou bien il pourrait simplement aller prier seul, dans le confort de ses quartiers, devant l’autel du Père de sa moitié. Oui, c’était mieux comme ça, il serait plus tranquille et ses dévotions n’en auraient que plus de poids même si la divinité sollicitée ne daignerait sans doute pas le regarder avec la guerre qui faisait rage dans Sol’Dorn.

Alors il se leva finalement, une esclave frappée de la marque des serviteurs de la Chambre Magmatique, qui se tenait jusqu’à maintenant entre deux meubles, se précipita pour l’aider. L’esclave savait très bien que les douleurs dorsales de son maître l’irritaient au réveil et que sans Krish il était irascible toute la journée or elle ne voulait pas avoir un Myr’Hennis insupportable sur les bras pour elle ne savait combien de temps. Le Grand Architecte prit alors son temps pour déjeuner, allant s’attabler à la grande table qui servait à tout et à rien au centre de la tente, poussant cartes et rapports en tous genre et de toutes provenances pour faire de la place aux plats. Après avoir copieusement déjeuné il se tourna vers les rapports qu’il avait justement dérangés mais ils étaient lus ou du moins il lui semblait que la reine s’était donné cette peine. A un moment ou un autre. Enfin il n’en était pas si certain que ça mais il n’avait pas envie de s’en occuper ; ce qui, en étant tout à fait honnête, était peu probable, du moins pas dans l’immédiat, mais savait-on jamais, avec une peu de chance, cela pouvait toujours arriver. Toutefois ce qui l’intéressait davantage c’était ce dont il avait pu discuter avec Krish. Ou du moins ce dont elle lui avait parlé. En effet le projet était des plus intéressants et, surtout, Myr’Hennis était nécessaire pour sa réalisation. Enfin pas tout à fait mais c’était tout comme.

Il attrapa une tranche de cerf qu’il mâchonna distraitement en regardant les plans que les ingénieurs du second ost avaient pu faire. Un travail mal fait. Enfin il n’était pas mal fait mais il était très clairement perfectible et c’était bien ce que le Grand Architecte, parce qu’on ne l’appelait pas ainsi pour rien, comptait faire. Il leva alors les yeux du plan pour regarder en souriant la gigantesque brèche dans les murs de Sol’Dorn. Sans doute avait-on pu la faire de façon plus élégante mais il s’en moquait tant qu’il ne restait pas un jour de plus dans un camp militaire. Une fois la ville entre les mains des eldéens il s’arrogerait sans doute un palais, il aurait même, ça il n’en doutait pas, l’embarras du choix avec toutes ces demeures qui se retrouvaient privés de propriétaires à cause de la guerre. Mais il aurait tout le temps de choisir, en attendant il fallait qu’il réfléchisse à autre chose.

« Garde. » Appela-t-il alors que ses yeux redescendaient sur les plans.
« Votre Grâce ? » Demanda un garde d’ébène à l’entrée de la tente, la main posée nonchalamment sur le pommeau de son épée.
« Allez me chercher le façonneur je vous prie. » Le soldat haussa un sourcil avant de sortir.

Myr’Hennis jouait avec une mèche de ses cheveux en griffonnant des plans, en faisant des calculs et, maintenant plus que jamais, il regrettait de ne pas avoir pris Plynnil avec lui, il avait d’ailleurs plusieurs fois hésité à la faire venir à Sol’Dorn. Toutefois il savait que, même si c’était possible, c’était loin d’être une bonne idée et ce pour une myriade de raisons. Il poussa donc un soupir et demande un massage aux esclaves présents. Après s’être à moitié dénudé il s’allongea sur le lit et profita des mains habiles d’une esclave qui, en un an, avait eu le loisir d’apprendre à ne pas faire mal au Grand Architecte en s’occupant de son dos. Ce dernier poussa un soupir d’aise lorsque le façonneur entra dans la tente royale. Pendant un moment il n’eut que le silence pour toute réponse.

« Vu que tu es direct, je vais en faire de même : j’ai un travail à te proposer. » Dit-il, la tête posée sur un coussin, regardant un côté de la tente où il n’y avait personne.

L’architecte poussa un grognement et poussa sur ses bras après avoir signalé à l’esclave qu’il pouvait partir d’un vague signe de la main. Il se retourna lentement, s’assit sur le lit avant de finalement se relever et de marcher jusqu’à la table qu’il avait quitté peu de temps auparavant.

« On t’offrirais peut-être plus souvent le thé si tu étais plus aimable, si tu te décidais à être autre chose que ton métier, d’ailleurs à ta place je serais un peu plus sympathique avec celui qui te propose un moyen de rester en vie. Enfin bon, ce n’est pas pour parler de ça que je t’ai fait venir, au risque de me répéter. » Il lui fit signe de s’approcher et tourna les plans qu’il avait fait, il s’agissait de tours au sommet des quelles se trouvaient un miroir et une pierre précieuse. « L’idée est plutôt simple : transmettre des messages sur de longues distances, du Puy à Sol’Dorn pour commencer, via la lumière et pour que ça marche on m’a dit qu’il fallait des pierres façonnées. »

Myr’Hennis regarda le façonneur avec un masque inexpressif, il attrapa une coupe qu’il tendit à un esclave pour qu’elle soit remplie et après l’avoir bue durant l’exposé qu’il n’écouta de toute façon que d’une oreille. Alors il se leva à la fin du long monologue et remit sa toge correctement, il resserra cette dernière en remettant en place sa seconde ceinture et il termina en tirant légèrement sur le tissus qui lui couvrait l’épaule.

« Je ne sais pas comment un mage de l’Etude Noire a bien pu devenir façonneur sans savoir qu’une idée peut être simple mais difficile à exécuter, à mettre en place. Mais je ne veux pas le savoir, j’ai bien peur que ça ne détruise un peu plus l’image que je me fais de cette institution. Dans tous les cas, j’ai essayé de te sauver la vie si tu préfères mourir c’est ton problème, gardes, jetez-le dans une cellule du temple de Kiel. »

Les gardes en question ne laissèrent pas le temps au façonneur de répondre, l’attrapant par les bras pour le tirer en dehors de la tente royale et le trainer dans la geôle dont Myr’Hennis n’aurait pas dû le faire sortir.