Sombres retrouvailles | Viconia

Début 5e ennéade de Barkios de l'an 17:XI
Sur la route d'Hanning

Le bruit, le bruit des voix. De voix énervées, qui tempêtent et s'acharnent, exigeant sans obtenir, brisant la monotonie. Dans un craquement, l'essieu fut brisé. La joie, alors, que de porter la chariote jusqu'au plus proche village, les plus proches masures où chercher de l'aide, à la tombée du jour... Mais l'entente ne se fait pas, le conducteur est trop nerveux. Si long, ce voyage, si insupportable ce contre-temps. Le prix, toujours le prix, combien de pièces devront quitter sa poche ? Trop à son goût, toujours trop. Ce qu'il voudrait être loin, déjà arrivé, enfin débarrassé de son passager.

Aux milieux des simples s'en venant dans le nord, arborant parfois quelques curiosités de teint, spécificités de corps, il y en a un, qui déteint. Grand, massif, gris et usé. Qui sans un son a payé qui, sans un son, est demeuré. Quel mal à cela ? Rien, rien que la gueule qui ne plait pas, la présence qui dérange, l'envie, si simple, de vouloir quelqu'un d'autre plutôt qu'un être semblable à son bord. Non, vraiment, aucune raison. Ou peut-être si : le poids du regard rouge, intégralement rouge, qui, d'entre les mèches pendantes sur la tête baissée, pèse et suit. Nul ne le connait, nul n'a échangé de mot... Étranger. Sombre. Mais il a payé...

Les voyageurs patientent alors que le maître de la chariote argumente encore, pour avoir de quoi repartir, au milieu des trois bicoques, entourées de champs secs et d'un petit bois. Finalement, le métal tinte et change de poche, l'homme maugréant après son sort. Du retard, encore, mais sa chariote roulera à nouveau... Demain. Et pour la nuit, les siens auront un toit et du pain. Ah, l'hospitalité vaanie !
D'un signe, de quelques mots, il fait venir ses semblables, pour se cacher de la nuit sous le mince toit d'une masure. Soulagés, ils ne se font pas priés.

L'autre demeure dehors, sans s'en offusquer. Ses yeux trouvent leur lumière dans ses cieux, et son esprit son repos... Vraiment ? Le battoir a quitté l'encolure d'un équidé, alors qu'une idée si simple lui a traversé l'esprit, avant d'être concurrencée par une autre. A l'ombre que dessinent les lunes derrière l'une des bâtisses brutes, le sombre s'agenouille, respire. De longues minutes en silence, alors que retentissent les voix, étouffées, mais libérées d'un peu de son poids. Les mains sagement posées, la sérénité d'une perception acquise... Mais à l'usage fuyant. Lentement, prudent, il attire, dans le creux d'une seule main, comme s'il s'y trouvait quelque masse à faire rouler.

Ridicule. Un début. Plus fort. Pour quel résultat ? Infime.

Finalement, une maigre flammèche au creux de la main. Aussi petite que la flamme d'un lâche.
Un bruit, et elle fut soufflée presque aussitôt.

Avec ce sursaut de sûreté, il se rappelle où il se trouve. L'hôte bruyant, délaissant ses invités, s'en va héler de nouveaux arrivants, inconscient, lui, de la présence du géant agenouillé, deux maisons derrière lui.

Les nouveaux arrivés font leur affaire. Discussion, accueil, et l'homme de peu se fait courbettes et politesse devant tant de rigueur à lui donner son dû. Avec moult manières, une dame est accueillie, et ses séides et sa bête avec elle. L'inconnu, à l'écart, ne salut pas. Attendant, observant... Reconnaissant. A croire que cette terre est bien petite.

Le géant ne bouge pas, le souffle contrôlé, toujours agenouillé. Regard dans la nuit, ouïe aux aguets, alors que son cœur cogne, que son sang caracole dans ses veines. Pourquoi ? La voilà qui ressort. Pourquoi ? Y a-t-il quelque chose d'autre à faire qu'attendre son départ, et tout ce qu'elle transporte avec elle ? Attendre, laisser partir... Les battoirs sont crispés sur les genoux, le souffle maintenu à un rythme lent et puissant, au creux d'un corps usé. Le vent, discret, se glissant entre les herbes sèches et les branches hautes. Indifférent.

Le temps, qui s'écoule lentement, au rythme du regard rouge qui détaille la silhouette, la chevelure, la posture et les gestes. Doute ? Si seulement. L'évidence est là, qui s'ancre et réclame l'action, le geste, ce qu'il exige et craint, réclame et rejette. En silence, le géant observe. Ce que sa gueule tait, son visage raconte, les tressautements, les crispations, des clignements de paupières, un regard tantôt décidé, tantôt perdu, tantôt... Autre.

Un raclement de gorge, un son moqueur, la tête qui rendre dans les épaules. Brutalement, il se relève, dans un froissement de tissu, de ses pieds sur la terre. Un pas, un autre... Vers la drow agenouillée.

Un grand sombre aux vêtements usés par le voyage, dont le tissu flotte presque au dessus d'une charpente massive et maigre. Les cheveux longs et filasses arpentent ses épaules larges, cachant un peu la figure émaciée, à la mâchoire marquée et aux yeux intégralement rouges. Chaque pas le rapproche un peu plus de la sombre, aux atours bien différents des siens, à la figure toujours plus distincte. Plus proche, trop. Il peut presque la sentir bien là. Son sourire ne monte pas jusqu'aux yeux.

A une petite distance, il s'accroupit, les mains ballantes, le corps qui ploie, et le regard qui fixe, froid.

"Lueth ghil ud'phuul. commence la voix grave, le timbre distant, presque doucereux. Jivvin..."
Et nous voici. Amusant...

Un rythme inconnu mais familier. Doucement, Viconia referme son grimoire, dubitative.

Des notes, allant crescendo... Viconia se redresse et se met à genoux, face à la silhouette qui se découpe dans la nuit. Les prunelles d’émeraudes rougeoyantes fixe la grande silhouette qui avance vers elle avec calme et confiance, sans agressivité.

Un silence, un soupir. Il finit de se dévoiler à son regard percant. Les épaules larges, la silhouette maigre avec ces vêtements honteux.

Les prunelles précieuses s’écarquillent, tandis que le visage seleve vers celui qui se baisse vers elle. Les crocs de ce sourire, comment les a t’elle jadis rêvés! Ces prunelles sanglantes qui la regarde... elle avait oublié cet éclat particulier. La belle bouche se ferme. Viconia laisse le silence s’installer et s’étirer. Elle aime le silence. Ça dit plein de choses.

Il vient, cet ancien... et elle le laisse venir à son rythme, essayant de démêler ses propres sentiments à la vitesse grand v. Trop de choses, trop d’eau ont coulé sous les ponts. Il lui semble un mirage, un écho d’une vie passée.

La voix grave, grondante comme la course de milles païm, froide et glaciale, éveille une émotion forte et puissante en l’arcaniste qui ne fait aucun geste pour combler l’écart entre eux.

Tu nous a abandonnés est sa réflexion primaire

Pleins de questions lui passent en tête. Pourquoi tu es parti? Quest ce que tu as espéré obtenir dans cette fuite? Que t’es t’il arrivé durant tout ce temps? Pourquoi n’es tu pas revenu? La voix douce et chantante de Viconia s’élève dans l’air de la nuit, s’enquérant plutôt de lui.

Ca fait plaisir de te voir aussi. Comment vas tu Urgoll’Ven?

Puis, la drow laisse le silence lui parler.

Plaisir... Un frisson, qui n'a rien de doux, à ce mot, comme au nom. Le sourire, maigre, qui s'affine, ne monte pas haut. Massif, il oscille, être usé face à la femelle de chair vive. Une question si simple aux multiples réponses sur de multiples tons. La simplicité nue, ignorante, telle une innocente chandelle, au cœur d'une obscurité bien sombre. Si douce chandelle, dont on aime approcher le doigt, pour une caresse...

"Ssrigg'tul, llaar..." susurre la voix grave, presque rauque.
Un plaisir, vraiment...

Il a cligné des yeux. Son visage n'a pas bougé, à l'inverse de sa main, qui s'est tendue. Est-ce la voix ? Un petit peu. Est-ce le souvenir ? Persistant. Voilà qu'il est déjà si proche, bras levé, main se portant vers une joue, sans prendre l'élan pour franchir une dernière distance. Déjà. C'est allé si vite. Le sourire est aussi raide qu'une corde tendue.

"Ele phu' dos ghil, dalhar... Sans raison, la voix s'étrangle, malgré le faciès figé. Dos phuul feir dal delmah..."
Pourquoi es-tu ici, enfant... Tu es bien loin de chez toi...

A la manière d'une main tendue vers un félin. Une présentation, une hésitation ? D'infime tic sur les rides parcourant la peau usée, dégringolant depuis les yeux de sang, cernant le sourire fendu, aux crocs absents, cachés. Les mots, murmurés, sont presque moins forts que les éclats de voix venant de la bâtisse.

Quelle étrange position, lui accroupi, elle assise, un bras tendue, une main qui se lève. Le sourire qui se fait vicieux... Un rire. Doux comme une lame, léger comme un dernier souffle. Le faciès arrogant, le regard direct... Quel reflet elle lui renvoie, avec ses yeux, sa question ! Qu'y a-t-il a dire ? Que veux-il en dire ?

"... Lueth vel'uss xun dos talinth dos phuul... ?" dit-il bas.
...Et qui penses-tu être ?

Les doigts osseux se plient, touchant tout juste les fins qui se hasardent là, si proches. Un espace ridicule, entre leur deux peaux. Toucher, se laisser toucher, quelle différence au vue de ce qui fut ? Une réalité de distance. Qu'il ne la touche pas, et il pourrait presque se détourner, et oublier qu'elle fut là, à portée. Un souffle ample qui tend le tissu, la tension qui lui raidit les jambes... Les veines saillent sur l'avant-bras à la musculature maigre comparée au passé.

"Natha jalil...? Natha m'thain...? Un peu de poison, dans ce murmure. De mépris, puis de moquerie. Natha valsharess ?"
Une femelle... ? Une prêtresse... ? Une triumvir... ?

Le sourire s'élargit, serré, les doigts viennent tapoter ceux de la femelle, comme jouant avec ce contact, un toucher léger, un petit jeu qui n'a pas sa place en pareil instant. Une fausseté dans le reflet des yeux, le rouge qui fixe sans voir, ailleurs.

"...Dos zhal'la naut tlu ghil...  Vel'bol nibele phu' dos jivvust, yallt ?" dit-il bas, les mots fuyant sans une émotion.
...Était-ce un jeu plaisant, au moins ?

Les mires qui s'étrécissent quand elle affirme. La main qui se recule quand elle nie. Le sourire qui se tend quand elle joue, pourtant. Face au géant accroupi, la femelle baisse la tête. Un éclat humide, une figure contrariée... Sans valeur. D'autres choses, qu'il ne dit pas. Sans un mot, l'être massif qui juge en silence. Lentement, le battoir se déploie, vient s'appuyer sur la terre sèche, les innombrables grains grattant, picotant, si nombreux, si agaçants, qui roulent et s'écrasent et s'immiscent au creux de la peau, se plantent dans la chair, profond. Innombrables picotements...
Un doute. Est-ce vrai ?

D'un simple changement d'équilibre, il pèse vers l'avant, et se penche un petit peu. Balancent, les vieux cheveux blancs. Fixe, le regard de sang. Demeure, le sourire-grimace, incertain et tendu. A distance encore, mais penché néanmoins.

"Zhah ol... Jal ? Fébrile. Zhahus ol ulu dosst ssrigg'tul ? Dur. Xunus dos inbau vel'bol dos ssinssrinil ?" Moqueur.
Est-ce... Tout ? Était-ce... Ton plaisir ? As-tu eu... Ce que tu voulais ?

Des changements infimes, dans un souffle craintif, telles des facettes d'une même pièce tournoyant sans cesse, l'une ou l'autre, le flou du mouvement. Une voix si grave, pour des mots si égarés. Semblant égaré, puis juste le mot d'après, c'est un masque changeant qui apparaît. Dans la retenue, le souffle presque tu, il semble aux aguets du moindre mot, de la moindre expression. Un grand corps coupé en deux par cette attention vers la sombre.

"Whol ji verve... Whol vel'bol ? Vel'bol gre'as'anto... ?" Un murmure.
Si longtemps... Et pourquoi ? Quelle paix... ?

Des propos décousus, elle ne tira rien, tandis que la psyché du sombre étouffait dans leurs ramages obscurs. Cette vérité qui s'imposait, diffuse, s'affirmant depuis l'infime... Les mots choisis, les mots retenus, les mots qui demeuraient en son esprit telles les marques d'un fer rouge. Celui qui se logeait dans les mires écarlates confuses, où dérivaient désillusion et espoirs absurdes.

Rien qu'un masque vide, voilà ce qu'il trouvait face à lui. Un esprit fermé à son délire, renvoyant un reflet aussi distordu que le reste... La compréhension en était une torture, celle de l’incertitude, de l'égarement, et du chemin parcouru. Par la chair comme l'esprit. Quelles voies trouver, dans ce dédale d'ombres scrutatrices ?

Il était une femelle face à lui, faite de chair et de souvenirs inconstants. Teintés par tant d'autres, qui lui laissent le regard fuyant quand résonnent les mots abscons. Un temps pour agir, un temps pour maudire. Un temps pour jouir, un temps pour souffrir. Celui-ci s’avérait adéquat pour autant de choses...

L'être massif ploya encore, sa figure s'abaissant sous le regard d'émeraude. L'incompréhension s'était vue dans son expression, de même qu'une souffrance sans origine distincte. La charpente semblait tomber, petit à petit, sous son propre poids... Les doigts se tendirent, pour toucher bel et bien cette fois. Le vélin, aux formes sombres et troubles. Qu'est-ce qu'un simple geste, au milieu de milles cris ? Une distraction bienvenue, pour le sombre effacé.

"De' gre'as'anto, ol zhahus neitar bauth... souffle-t-il avec émotion, amer, complétant seul le propos sybilin. ...Nausbyr aster, usstan zhaun."
De paix, il ne fut jamais question... Ni de vérité, je le sais.

La peau usée et sèche se répondit en doigts maigres sur les formes noircies, effaçant davantage ce qui l'était déjà, recouvrant ce qui ne l'était pas encore.

"Ele t'yin, telanth bauth nelgeth ?" Un sourire se devine dans la voix.
Comment, alors, parler de pardon ?

Avec patience, la main se retourne et s'élève, révélant la trace, se montrant noir comme le bois brûlé, plus noire qu'elle ne l'avait été depuis des siècles entiers. La tête demeurait basse, la chevelure tel un voile mortuaire, la paume déversant de maigres cendres.

"Vel'bolen nelgetha whol lil' rath'arg lueth lil' naut'ssran ?" Et le timbre s'efface un petit peu, se fend dans de faibles aigus, aux échos de pleurs et de rires.
Quel pardon pour le lâche et l'indigne ?

Encore plus proche de la sombre, main levée, tête baissée, le sombre évoque davantage une bête recroquevillée et plaintive, qu'un être vivant et digne.

Et une main se glissa dans la sienne, telle un pied sur un pont suspendu. L'équilibre était précaire, entre acceptation et déraison, salut et perdition. L'être qui se tenait devant elle n'avait rien de glorieux, à peine eldéen. Nombres en eurent été révulsés, d'autres amusés d'énième encore, ennuyés. Pourtant, cela n'était pas le cas de la femelle. Silencieuse et attentive, offrant sa main... Une plume dans une colonne d'air brute. Déchaînée.

Car en son cœur, le sombre ressasse. Ressasse tant d'obscurité qu'il n'est de lumière. Que le contact est une aberration comme une bénédiction, l'un ou l'autre, qui pour le dire, certainement pas lui, où est le sens dans tous ceci... Les intentions se contredisent, de même que la musculature. C'est fébrilement que ses doigts se referment sur la paume. C'est avec violence qu'il refrène un grondement.

Y croire ou rejeter ? Tenter l'impossible, ou se complaire dans l'offense ? Les possibilités sont abjectes ou absurdes... Si l'esprit était encore capable de les saisir dans leur simplicité. Mais comment cela serait-il possible ? Il n'est plus de vérité, plus de voie claire... Rien qu'un chemin perdu, dans une vallée de cendres amères...

Il déglutit, alors que sa gorge se serre, serrant la main fine avec une retenue étrange, la tension tendant l'entièreté de son bras, alors que ses doigts se verrouillent pour ne pas l'écraser. La tête reste résolument basse, la gueule crispée en une grimace indécise.

"Vel'bol valyrin de' ulnar orn'la ol tlu... souffle-t-il avec un amusement étranglé. ...Rena f'sarn kyorlin ulu kyorl ussta xuz, lueth treemma ol wun lil' toha draeval...?"
Quel mensonge serait-là... Alors que j'attend cette fin, et la redoute tout-à-la fois... ?

Telle une ombre, l'autre battoir vint se poser sur l'épaule de la femelle. Si loin, elle eut dû être... Un mensonge, un énième... Lequel, parmi tous les autres ? Le pardon... Mais qui en voudrait ? Qu'y a-t-il encore à attendre de pareille idée ? Cela n'empêche pas sa voix de s'étrangler, du sanglot de s'imposer dans son timbre grave. Quelque chose qui ne devrait pas être. Ainsi est-il à présent, vieux sombre décharné, rongé par quelques démons. Tombé. Tombant encore, alors qu'une main le tient, et que sa charpente massive se penche, comme cherchant le réconfort d'un doux giron.

"Xun dos ajak... murmure-t-il, avec une teinte de regret. Vel'drav ussta yinnin zhahen wun dos, zhahus zhah sel'tur ? Et la gravité se fit railleuse et cruelle. Saph jal nind ulnen ?"
Te souviens-tu... Quand mes crocs étaient en toi, était-ce doux ? Comme leurs mensonges ?

Venues s'appuyer contre l'omoplate, la figure s'était relevée, à l'ombre du visage arrogant. Nulle douceur, nulle regret, nul espoir, au creux des yeux de sang... Rien qu'une folie hargneuse. Et brutalement, les crocs furent à nu, cherchant la gorge de la sombresang.

Une étreinte... Une étreinte qui n'a rien de sensuelle, alors que le sombre massif s'écrase contre la femelle, que sa pogne emprisonne l'une de ses mains, et que sa mâchoire se tend pour rompre son fil de vie. Cela pourrait presque se faire dans la douceur et le silence, dans un mouvement assumé et lent, loin de l'attaque furieuse et soudaine.

Mais la lame frappe. Passant sans problèmes au travers du tissu vil, pour s'enfoncer dans la chair du dos.  Presque aussitôt, le grand corps s'arque, repoussant le bras armé. Le battoir, posé sans violence sur la cuisse, se relève pour s'en emparé. En un instant, le calme disparaît, car dans ce même mouvement, le sombre se jette vers l'avant, un hurlement de douleur au bord des lèvres.

Et celui-ci se noie, alors que les dents transpercent. Douleur et pulsions, violemment entremêlés, agitent le grand corps qui pèse, se plaquant comme autrefois, comme d'autres fois, dans une parodie morbide d'étreinte. Des dents et de la chair, de la force dans la violence, la pression, la pulsion, et un corps qui s'effondre sous un autre dans des sursauts d'agonie. Sans qu'il y prenne garde, elle tente de l'enlacer, sans plus le frapper. Les mots qu'elle eut pu prononcer, il les détruit à la naissance du moindre son. Les seuls bruits se faisant entendre sont un souffle ravagé, des grondements indistincts, et l'impact de leurs êtres joints par le sang sur la terre aride.

Les insectes chantent dans l'air frais, des voix se font faiblement entendre dans la cahute. A l'intérieur, l'odeur de nourriture emplie les nez... Mais une attention détourne le maître de la chariote du spectacle des siens : une ombre massive dans la nuit... Et le bruit de sabots frappant la terre. Pris d'un mauvais frisson, l'homme finit par se lever, et par se hasarder dehors. Il lui faut un instant pour se défaire du souvenir du feu... Et alors, il distingue mieux. Le cheval, le sombre massif... Le regret le saisit d'avoir accepté pareil passager, avant qu'il ne s'élance en hurlant vers le cavalier.

Saisir les rênes, c'est l'une de ses bêtes, elle devra bien... ! Agitant les bras, il ne voit qu'une silhouette sombre sur la bête claire. Dans un hennissement, la bête se cabre, mais la poigne sur ses rênes est dure, de même que les coups portés à ses flancs. La voilà qui s'élance, mais l'homme, encore, peut saisir... ! Mais son geste se suspend quand il découvre : un corps, en travers de l'encolure. Une longue crinière pâle. Estomaqué, il recule face à l'animal. Derrière-lui, un éclair argenté : une lame est dégainée. En noirelfe, le garde crie avec rage et s'élance. Un hurlement de douleur. La monture et ses cavaliers s'enfuient dans l'obscurité.

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Autant de coups de sabots que de coups au coeur. Laissant une piste de sang dans l'herbe sèche, le cheval blessé a été poussé à bout par son cavalier, qui a abusé sans pitié de sa docilité, restant indifférent à ses cris de douleurs, à son souffle toujours plus violent, à ses flancs écumant alors que la plaie profonde pulsait d'une vie fuyante. A présent, la bête gisait, abandonnée à son sort. Elle avait servi, voilà tout ce qui avait importé au sombre.

A part lourd, l'échine frissonnant au souvenir du coup porté, pulsant encore dans son dos, il avait avancé, perçant l'obscurité de son regard hagard, un sourire hideux plaqué sur ses traits, une chose morte dans ses bras. Ses bras la serraient fortement contre lui, comme une chose aimée et perdue, comme quelque chose qu'il ne voulait pas voir lui échapper. Qu'elle eut pu entendre, et aurait cogné à ses oreilles le pulsant hagard du géant gris.

La fin de son chemin vint avec l'épuisement. Brutalement, son pied ne parvint pas à prendre appui. Dans un entrelacs de membres, vivant et morte chutèrent lourdement. Avec un grognement, il se retourna, et se tortilla aussitôt avec un éclat de rire nerveux alors que l'herbes et terres venaient appuyer - gratter - raviver la plaie à son dos. Un premier son, après une petit éternité de silence, d'un souffle rauque et étranglé. Par l'effort, par le choc, par tant de choses.

Qu'il se redresse, et ses yeux ne purent que trouver la forme allongée et immobile. Il ne voyait presque pas la plaie. Il la savait là. Là, à jamais. Un symbole de délivrance... Ou un énième bas au coeur de l'errance ? Tremblant, fébrile, il se redresse et, dans un geste incompréhensible, il la dispose mieux. Contre un roc, dans une position assise, un peu affalée mais néanmoins plus naturelle que les membres éparpillés. Les gestes sont méthodiques, étonnement doux, alors que les mires s'écarquillent, regardant avec une fixité folle ce qui est. Un corps autrefois chaud et vif, connu jusque dans l'intimité. Un corps il s'est autrefois emparé. Un corps en lequel il s'est consumé un peu plus.

Loin de tout. Le sombre qui cherchera sa maîtresse l'indiffère, la plaie dans son dos l’indiffère, demain l’indiffère... Il n'y a que cet être devant lui, dont le souvenir revient un peu plus. La réalité devrait effacer le souvenir mais il n'en est rien, celui-ci s'impose, de plus en plus. Avec difficulté, il s'avance vers elle. Laborieusement, il porte la main à son visage. Juste un peu plus bas, la plaie, la plaie immonde, les ravages que peuvent causer ses dents, qu'il connait tellement. Sourire, sourire encore. De joie, vraiment ? De quoi d'autre ?

Sans qu'il ne sache comment, son visage s'est approché, et il l'hume à présent pleinement : son odeur, mêlée à celle de son sang. Comme hier, à présent aujourd'hui... Un rire sombre s'écoule de sa gorge, nerveux, larmoyant, hagard. Peu à peu, ses gestes se font plus sûrs, venant retrouver l'angle d'une mâchoire, la courbe d'un sein, le creux d'une intimité... Avant de s'en éloigner, alors que le rire s'affirme.

Chair froide. Évidence, pour un esprit logique. Mais lui, lui, le réalise seulement. Elle, plutôt que les autres. Un désir soudainement réalisé... Trop vite. Et des mots alors, se fraient un passage dans sa gorge dont le souffle s'étrangle.

"Dos zhal'la naut inbal tois... Naut hwuen usstan lassrinn dos z'lonzic..."
Tu n'auras pas dû mourir... Pas avant que je ne t'ais brisée suffisamment...

Les souvenirs se heurtent, lui enserrant le cœur. Un corps chaud sous le sien... Un qu'il écrase... Une danse vive à laquelle il se mêle... Une qu'il impose... Une peau qu'il couvre de multiples petits coups... Une autre qu'il arrache... La jouissance, la jouissance du plaisir urgent, violent, partagé... Celle, solitaire et insatisfaisante, de la vie arrachée trop tôt pour le reste. Elle n'a frappé qu'une fois, puis l'a enlacé. Enlacé, quand bien même il lui prenait tout. Un énième mensonge, en lequel il ne trouve qu'un sens qui lui est abject.

Des larmes, il en verse enfin, alors que de caresses, il n'y en a plus. Rien que la brutalité des membres saisis, des ahanements d'efforts, pour les tordre, sur la sombre musique d'une respiration irrégulière, où s'entrechoquent rires et pleurs. Il ne peut plus l'entendre hurler... Et dans son impuissance, il n'a de cesse de chercher sa voix dans les plaintes de sa peau, les cris brefs de ses os, et les geignements sanguins de sa chair. En vain.

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