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 La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie]

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Lothaire
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MessageSujet: La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie]   La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie] I_icon_minitimeDim 12 Jan 2020 - 12:47


Vers le milieu de la troisième ennéade de Barkios,
An 17 du XIème Cycle,
Alentours de Feldorn


En acceptant à nouveau l’or des Vossula, Lothaire s’était attendu à connaître d’abord une petite ennéade de repos et d’oisiveté, durant laquelle il aurait pu écouler les fruits de sa lucrative collaboration avec le Prince-Marchand. L'existence d’un mercenaire était souvent courte et intense, et la plupart aimaient profiter pleinement de tout ce que la vie pouvait offrir avant qu’un couperet brutal ne les en extirpe par surprise. Un peu de calme et sérénité avant de replonger dans les affres politiques d’Ascanio, voilà tout ce qu’avait demandé Lothaire en revenant des Septmonts.

Malheureusement pour lui, les bourgeois de Feldorn en avaient décidé autrement. Peut-être était-ce la taxe prélevée il y a quelques ennéades dans cette même cité, ou une gronde bâillonnée depuis trop longtemps qui refaisait surface, mais qu’importe ; la ville s’était finalement soulevée. Croulant sous le poids des impôts, les marchands et tisserands feldorniens avaient pris d’assaut la garnison locale par une nuit sans lune. En égorgeant le capitaine et en capturant les hommes loyaux au Prince, les conjurés s’étaient emparés de la ville, et en avaient expulsés tous les représentants d’Ascanio, couverts de goudron et de plumes.

Ces derniers étaient venus agoniser dans le campement de la Vermeille, qui faisait alors route vers Eofel, peut-être afin d’y profiter des facilités citadines. Devant l’outrage, et la possibilité d’un peu d’action en se faisant la main sur de maigres révoltés, la plupart des lieutenants de Lothaire avaient cherché à convaincre celui-ci de marcher sur la cité rebelle. La venue le soir-même d’un émissaire du Prince lui réclamant la même chose avait fini de le convaincre, et c’est avec un agacement certain qu’il avait pris la tangente, et fondu droit sur Feldorn. Le repos du guerrier attendrait.

Disciplinée et rapide, la Vermeille n’eut guère de mal à remonter la route vers le fief des conspirateurs. Ce nid à vipères se cachait des agresseurs derrière une mince palissade, mais à voir la formidable compagnie à ses portes, les serpents devaient pondre dans leur mue. Lothaire avait établi son campement en haut d’une colline, installant des sentinelles autour de la cité afin de la mettre en état de siège. S’installer ainsi devant une ville hostile revigora l’esprit du capitaine, qui se remémorait l’époque des grands sièges durant la guerre du Médian. Un léger picotement à la main lui rappelait souvent son plus grand haut-fait, qui lui vaudrait sans doute une place à la droite d’Othar lorsqu’il rejoindrait la Légion des Morts.

Une délégation de conjurés était sortie de la relative quiétude de la ville pour venir parlementer avec la compagnie mercenaire. Lothaire s’était retenu de glousser en apprenant que les bourgeois s’étaient constitués en commune, et réclamaient la reconnaissance de leur nouveau régime de gouvernance par le Prince Vossula. Robard, lui, ne s’était pas retenu de rire tout son saoul, et sa cuisse en serait encore rougie par les multiples claques qu’il s’y était administrées, si Lothaire n’avait pas promptement mis fin à l’entretien, avec la bénédiction de l’émissaire d’Ascanio.

Car lorsqu’ils sortirent de la tente de commandement pour regagner leur cité en rébellion, les diplomates feldorniens exhibèrent un effroyable avertissement : leurs langues leur avaient été arrachées, avant d’être clouées sur leur main droite.

Les négociations avaient échoué. A présent, l’heure était venue pour le capitaine Lothaire et pour l’homme de main envoyé par Ascanio de définir la marche à suivre quant à la prise, et à la soumission de la ville révoltée.
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Cécilie de Missède
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MessageSujet: Re: La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie]   La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie] I_icon_minitimeMar 14 Jan 2020 - 0:21


Seule. Enfin.

Et cela faisait tant de bien que je me demandais plusieurs fois pourquoi je n'avais pas franchi le pas plus tôt. Arrivée avec une caravane de marchand de soie revenue de Hanning, Feldorn m'avait retenue une journée complète par une promesse à la fois simple et alléchante. Après le mois que je venais de passer, en posant quelques questions dans les auberges de la ville et aux étales des marchés, j'avais rapidement trouvé un artisan mage qui avait accepté de me mettre en relation avec un groupe de théoricien arcaniques dans la cité. Rien de bien folichon, certes, Thaar était bien mieux dotée à ce niveau, mais le Cercle des Penseurs de Feldorn, comme tout cercle de théoricien qui se respecte, donnait salon et lecture à partir d'ouvrages écrits.

Ils ne se réunissaient que le surlendemain de mon arrivée, ce qui aurait put être un mal si j'avais eu un quelconque calendrier à respecter. La liberté à cela de bon qu'elle grandes ouvertes les portes de l'opportunisme. J'avais donc trouvé une auberge dans les quartiers les plus... aminés. Ceux qui se situaient près du mur extérieur. La patronne avait accepté de me loger dans le dortoir des employés contre ma musique et mes contes. Classique. Tout comme l'étaient les mines renfrognées, les regards de conspirateurs et les bruits qui emplissaient les chambres attenante à la notre en fin de nuit. Pourquoi ne pas arrondir ses fins de mois en louant quelques chambres aux catins qui n'avaient pas la chance d'être affiliées à un bordel ?

Mais il n'y avait pas que ça...

Hélas je ne le compris que le lendemain. En sortant de mon lit après un long moment à lutter contre les cris à l'extérieur c'est en chemise de corps qu'une servante croisée dans un couloir me prit dans ses bras pour m'annoncer que la ville était libre. Libre de quoi ? De rien de moins que le pouvoir du tyran Vossula ! Le peuple était maître de son destin ! La garnison venait d'être jetée dehors !

Un long frisson remonta le long de mon dos.

C'est à ce moment précis, que j'ai su que tout finirait en un bain de sang...

... Parce que toute populiste que j'étais dans ma jeunesse, je n'aurais pas hésité à envoyer l'armée pour récupérer une ville dissidente des mains des bourgeois Missédois.

Bon sang...

Un instant, j'inspectais l'idée de courir aux portes extérieur pour tenter de partir. La fuite semblait le plus sage... Mais c'était également le plus risqué. Nous avions entendu parlé de la Vermeille à Hanning durant le dernier mois et nulle doute que le Prince enverrait toute ses forces sur cette cité rebelle. Des renégats péninsulaires... Partir par la terre était le meilleur moyen de se retrouver au milieu des pillages, sans parler des pièges et des habitants eux même qui pouvaient mal le prendre... Non. Il fallait que je trouve mieux.

Une heure plus tard, j’arpentais les quais bondés à la recherche d'un bateau en partance pour n'importe où. "On ne prend pas de femme à bord." "Vous êtes pas qualifiée" "Vous êtes trop maigrichonne" Les yeux doux et les menaces n'y firent rien. Les rares capitaines avec suffisamment de cœur pour déposer des civiles sans expérience à Thaar avaient pris à leur bord ceux qui avaient des enfants. Une boule obstrua ma gorge, mais je ne desserrais pas les dents à se propos.

Pendant qu'il régnait encore un semblant d'ordre, je passais dans le centre ville pour acheter une miche de pain, des dates et des poids sec, ne gardant qu'une dizaine d'écu en pièce sonnante, avant de remplir mon outre à l'une des fontaines publiques.

Que faire ?

Je m'imaginais différentes scenarii. Qui ne pouvait fuir devait se montrer suffisamment rusé pour survivre. La rencontre du cercle de penseur était déjà une chose, mais ne connaissant pas leurs affiliations politiques, il faudrait que je me montre plus discrète. D'ailleurs, politiquement, une fois que tout serait revenu à la normal je me demandais bien qui en profiterait mis à part le prince en titre. Y avait-il une faction sur laquelle pariée ? Un parti qui pourrait m'aider à accéder aux quelques petites choses qui me permettraient de continuer mes études... Mais j'avais si peu de temps et je connaissais si peu la ville. Ce serait peine perdue. Trop risquer. La survie passait avant tout. Bon... La rue était à éviter au maximum... mais si le siège était mis ?

Je refusais de croupir ainsi dans une ville assiégée en perdant un temps précieux !

Quand soudain... Ce serait une folie... mais une folie qui pouvait être payante. Au pire, je serai tuée. Au mieux... il n'y avait pas de limite.

Parfait.

Sautant à bas de mon muret, je rabats sur mon visage le pan de voile bleu-nuit qui me sert de par-dessus et prend le chemin de l'auberge du Jonc de l'Âne. D'un pas altier, je fends la foule, mes iris à la couleur aussi soutenue qu'un ciel d'été attire quelques regards avant que je ne m'oblige a reprendre une attitude plus commune et à baisser la tête, slalomant dans l'artère bondée en revenant à mon état de femme du commun.

Il me fallait me préparer, rassembler des forces et attendre le bon moment. En attendant, trouver des composants et du matériel adéquat.

Comme je l'attendais, le siège avait été rapidement mis en place. Et comme je l'attendais, des diplomates bourgeois avaient traversés toute la ville de leur glorieux palais de noble à la porte extérieure, sous un tonnerre de hourras pavé de crieurs publiques annonçant à tous qu'ils allaient préserver la paix en négociant avec les troupes du Prince. Deux heures avant qu'ils ne reviennent dépourvu d'un appendice quelconque...

Gagné.

Enfin presque puisque les mercenaires avaient eu la délicatesse de laisser la langue qu'ils leur avaient couper dans la main. De charmants hommes. Il n'y avait plus de raison d'attendre.

_____________

La nuit était tombé plusieurs heures auparavant déjà. Portant la robe que j'avais trouvée sur la corde à linge de la cour intérieur de l'auberge, le grand pan de tissus bleu nuit que je portais en guise de cape cachait efficacement le décolleté outrageux et la ceinture large qui soulignait ma taille au dessus de hanches rebondies. Mes cheveux d'un noir corbeaux flottant juste au-dessus de mes épaules autour d'un visage d'ivoire, je remontais la rue le long du mur d'enceinte.

Le bruit de mes fines sandales accompagnait celui de ma voix enivrée chantant à mi ton une mélodie festive que j'avais entendu la veille.

- Hep ! Vous ! Vous n'avez pas le droit d'être ici !

Je me tétanisais et regardait les deux homme qui se dressaient devant moi, tirant sur mes yeux pour les distinguer sans flou. Il étaient postés juste à côté d'un escalier. Sûrement les sentinelles qui devaient empêcher le commun de monter sur les murs. J'approchais doucement, les mains écartées pour garder l'équilibre autant que pour les montrer.

- Je… Pardon. Je vais au Jonc… Je sais pas comment sinon... Vous êtes des gardes… ?
- Regagnez l'avenue principale.
- Ouah !!! » Un gloussement émerveillé s'échappa de ma gorge et je trépignais sur place comme une rosière du premier ordre, le pan de tissus bleu tombant aux trois quart de mes épaules. « C'est merveilleux ! Merci ! Merci pour tout ce que vous faites. Vous êtes des vrais héros de la liberté ! »

Dans un mouvement emporté, je saisissais le bras de l'homme le plus proche… Enfin j'essayais mais son comparse me menaça de la pointe de son arme, me faisant brusquement reculée.

- Pardon…
- Regagnez la rue principale. Vous revenez sur vos pas et vous tournée à gauche. C'est très simple.
- D'… D'accord…

Je reculais à tâtons, puis me retournais pour partir d'un pas rapide… Qui malheureusement n'étais pas suffisamment assuré pour me permettre de tenir debout. A quatre pattes sur le sol dans les échos du cri de surprise que je venais de pousser, j'entendais derrière moi.

- Bordel Dontan ! Y a que toi pour faire du zèle à ce point.

Quelques instants plus tard, l'homme auquel j'avais tenté de m'accrocher me relevait comme il pouvait et je paillais lorsque mon pied droit heurtait le sol.

- Vous pouvez marcher ?
- J'sais pas… Ah ! Non ! Ça fait trop mal !
- Vous avez dit que vous logiez où ?
- Au Jonc de l'Âne. J'suis serveuse.
- Hey Dontan ! Je vais la raccompagner j'en ai pas pour longtemps !
- On est en faction !
- Ouais et il se passe que dalle et on fait ça pour le peuple ! Alors fait pas chier !
- Le peuple le peuple. Tu pense surtout au peuple que t'as entre les jambes abruti !
- Et ta mère en était bien contente !
- Va chier !
- Venez. Je vais vous aider. » reprit l'homme en passant son bras sous celui de la frêle femme que je suis.

____________

Quelques minutes plus tard, Dontan retrouvait son camarade en pleine forme, quoi qu'un peu hagard.

- Je t'ai déjà dit que c'est pas bon pour garder les yeux ouverts. » gronda le barbon en laissant son comparse monter sur les hauteurs pour se rafraîchir un peu. Encore quelques minutes et le garde en faction entendait les pas de son ami s'approcher à nouveau. « Alors ? T'as pissé un c... »

Sa voix goguenarde s'étrangla. Il parvint à demi à se retourner pour voir le regard exorbité de son ami. Il avait l'air horrifié, terrifié et curieusement tendu… mais c'était bien sa main qui tenait le manche du poignard qui venait de frapper Dontan dans le dos. Une grosse main se posa sur sa bouche avant qu'il n'ait la présence d'esprit de hurler.

Le temps passa.

Le corps du garde tomba au sol.

Au changement de quart, on retrouva le gars exsangue sur les dernières marches de l’escalier, mais aucune trace de son camarade. Peut-être les habitants n'étaient pas tous si heureux d'avoir été libérer ? Le Prince pouvait-il faire pression sur la garde ? Une désertion à ce moment précis faisait du plus mauvais effet...

… Et aux premières lueurs de l'aube, les premières rumeurs furent entendues. Un garde se jetait sur tous ceux qu'il croisait pour les tuer sans sommation. Plusieurs morts avaient été trouvés la nuit même dans le quartier autour de la porte extérieure.


Quant à moi, j'étais assise sur ma paillasse, les mains occupées à former de gros nœuds à intervalle régulier sur d'épaisses cordes tout en lisant distraitement un épais volume relié de cuir. Je n'avais plus qu'à espérer que quelqu'un de l'autre côté des murs trouverai le message écrit en péninsulaire que le garde assassin avait envoyé, solidement ficelé à une flèche qu'il avait lancée à l'arc long, aussi loin que possible en direction du campement des mercenaires. C'était un pari, mais je n'avais pas trouvé meilleur moyen de les contacter. Alors je verrais bien s'ils pourraient profiter ou non de l'ouverture que je leur aménagerai.

J'avais encore un peu de temps avant de me mettre en route.

Au capitaine de la compagnie Vermeille

Cette nuit lorsque la lune sera au plus haut, des cordes à nœuds seront suspendues au rempares, à côté de la tourelle nord près de la côte. Soyez à l'heure et ne vous faites pas repérer, la diversion ne durera guère.

L'Enchanteresse
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Ascanio Vossula
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MessageSujet: Re: La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie]   La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie] I_icon_minitimeSam 18 Jan 2020 - 22:51


« Raides morts, je te dis. Tous les cinq.
- Tu déconnes.
- J'aimerais bien pouvoir ! Ça m'avait déjà retourné l'estomac quand ces enflures de mercos nous ont renvoyé nos gars la langue tranchée ; mais là, c'était dégueu, de la bidoche partout, des viscères dans tous les sens. Et Dontan qui baignait dans une flaque de pisse ; on essaie encore de savoir si c'était la sienne ou celle d'un autre.
- Qu'est-ce qu'on s'en fout, que ce soit la sienne ? Ça va nous aider à retrouver l'assassin ?
- Le barbier dit qu'un jour, on trouvera peut-être une méthode pour identifier quelqu'un à partir de ses urines, et que ça vaudrait le coup qu'on...
- Le barbier, il est complètement con ; et nous, on vaut pas mieux que lui. Tout ça va mal finir.
- Eh, je dois avouer qu'on n'est pas à la fête, mais qu'est-ce que tu veux faire ? La ville est déjà cernée.
- On pourrait se tirer par la mer.
- C'est trop tard pour ça.
- Pourquoi, trop tard ? Il reste quelques navires.
- Ils partent plus, les navires. La Curie les a mis sous bonne garde, dès qu'elle a senti la panique.
- Quand même, on devrait trouver une moyen de...
- Écrase ! Regarde qui arrive. »


Romeus et Siméon-Gerhard prirent aussitôt une posture plus alerte ; droit dans leurs bottes, piques en mains, les deux gardes s'écartèrent pour laisser passer les membres de la Chambre Restreinte de la Curie du Peuple. Quelques jours plus tôt, tous ces hommes n'étaient que de modestes artisans tisserands ; la révolte avait fait d'eux des dirigeants, mais pour combien de temps encore ?

Ce matin-là ne prêtait guère à l'optimisme ; une aube rouge sang se levait sur Feldorn, et la petite cité se réveillait hâve et languide, sans illusions pour son avenir. L'euphorie qui avait suivi le massacre de la garde n'avait pas fait long feu ; les citoyens avaient vite perdu le goût de célébrer leur liberté chérie, quand les épreuves avaient commencé à se succéder, émoussant leur courage et leur patience.

La Chambre Restreinte de la Curie du Peuple tenait séance ce matin-là dans une salle du Manoir aux Céladons, l'ancienne résidence des Vossula à Feldorn. Le peuple, en chassant la garnison, s'était si bien approprié les lieux que les couloirs étaient bondés de familles démunies qui dormaient à même le sol, et la plupart des pièces étaient désormais vides ; le mobilier avait été pris d'assaut par la populace avide, de même que la collection de porcelaine de jade qui avait donné son nom à l'édifice et qu'on avait dispersée aux quatre vents. Seul subsistait, dans la salle où siégeait la Chambre Restreinte, un beau tableau représentant une femme nue, probablement l'épouse du Prince Vossula ; l'œuvre avait toutefois subi les outrages de visiteurs indélicats, qui avaient laissé là moult graffitis obscènes.

« Mes amis, l'heure est grave, entama tout de go le Prévôt Su'hu per Stahar, l'une des figures de la rébellion. La Vermeille a opposé à nos tentatives de conciliation un refus des plus fermes, et cette nuit, plusieurs membres de notre milice urbaine ont été sauvagement agressés. Les gens s'inquiètent, à juste titre ; mais nous ne pouvons nous permettre de perdre le contrôle à un moment si crucial. Si nous résistons à ces épreuves, nous serons plus forts - et mieux à même de plaider notre cause auprès de Thaar.
- De bien belles paroles
, intervint le persifleur Kamasoutros, qui disputait de longue date l'influence de Su'hu. De bien belles paroles, oui, mais creuses, j'en ai peur. Nous avons négligé le risque des représailles, et voilà qu'une armée de mercenaires nous assiège.
- Nous étions tous d'accord pour agir, et tu l'étais aussi
, rappela Su'hu, une pointe d'agacement dans la voix. Notre erreur était de penser que le Prince Vossula, cet âne libidineux, s'enliserait dans les Sept Monts. Hélas, les choses étant ce qu'elles sont, nous avons eu tort. Mais notre cause n'est pas perdue pour autant. Nous allons renforcer le couvre-feu, et concentrer nos patrouilles dans les secteurs où ont été commises les agressions, à savoir les rues jouxtant le rempart près de la porte extérieure. Qui que soit cet assassin, nous le trouverons.
- Cela réglerait le problème intérieur, mais ne nous sauvera pas du joug de la Vermeille
, commenta Kamasoutros.
- En ce qui concerne la Vermeille, sachez, mes amis, qu'à l'heure où je vous parle, le plus redoutable des espions s'apprête à infiltrer leur Compagnie. Sur mes ordres, il a quitté la ville à la faveur de la nuit, et sous peu, il sabotera chacune de leurs initiatives tout en nous tenant informés de leurs moindres projets. » Un sourire fier et satisfait étira les lèvres de Su'hu alors qu'il achevait de prononcer ces mots. « Vous verrez, c'est un cador, et l'échec ne fait pas partie de son vocabulaire. »


*


A l'extérieur de la ville, ce matin-là, un drôle d'olibrius se présenta à l'entrée du campement de la Vermeille. Les cheveux mi-longs, les moustaches en pointe, le nez busqué, son visage couturé de cicatrices se fendait d'un sourire hâbleur.

« Salutations, nobles guerriers ! Je me prénomme Josélito, chroniqueur des temps modernes. Où puis-je trouver vos chefs ? Je désire mettre ma plume et mon verbe affûtés au service de gens méritants, ainsi que vous-même le faites de vos bras vigoureux. » Il poussa un léger ricanement, avant de glisser, l'air de rien : « Rassurez-vous, hein, je ne suis pas un espion. Héhé ! »
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MessageSujet: Re: La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie]   La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie] I_icon_minitimeLun 20 Jan 2020 - 12:06

« L’Enchanteresse... »

Lothaire était sous la tente de commandement, en compagnie d’une partie de ses lieutenants : Milon, sire Robard, sire Edmond Gamelin et Hassar Merohès. Il venait de lire l’étrange courrier que l’un de ses sbires avait trouvé ce matin, un pli qui avait rendu perplexe tout le monde. Robard avait été le premier à répondre, haussant d’abord les épaules avant de lâcher :

« Un piège grossier. »

Ce sur quoi tous semblaient s’accorder, sauf Merohès. Ce dernier rétorqua avec une légère hésitation :

« Ce n’est pas ce que disent les messages de Yabbad. »

Lothaire observa Hassar, curieux de connaître la teneur des échanges secrets entre son officier relié à la piétaille et l’homme s’étant infiltré entre les murs de la cité.

« Yabbad se fait passer pour un marchand. Il s’est mis au courant auprès de ses clients. Toute la ville est en panique, car des traîtres sévissent dans les rangs de la milice. Il y a déjà eu des meurtres, apparemment. »

Edmond Gamelin fronça les sourcils.

« Cela ne nous confirme guère si cette missive est un leurre ou une réelle invitation. A présent, nous nageons encore plus dans le mystère, puisqu’en sus d’une ruse, il pourrait s’agir d’une véritable opportunité. Le problème se complexifie. »

Lothaire ne dit mot, la tête occupée à mille réflexions. Il lança soudain un regard à Milon qui, silencieux, observait le lointain, vers les murs de Feldorn.

« Quel est ton avis sur la question, mon brave Milon ? »

Le magicien ne répondit pas tout de suite. Il avait les yeux fixés sur la cité. Il la fixait avec tant d’intensité que Lothaire crut d’abord qu’il faisait un malaise. Mais le sorcier finit par arracher son regard des lointains édifices pour les poser sur son capitaine. Il dit :

« Quelque chose se trame derrière ces murs. Je ressens des perturbations. Des exercices… contre-nature. »

Lothaire en fut plus qu’intéressé, se relevant légèrement sur son siège.

« Quelque chose qui aurait avoir avec cette fameuse… Enchanteresse ? »

Le mystique plissa les yeux.

« Peut-être, seigneur. Toujours est-il que ces perturbations ne sont pas dirigées contre nous. Elles frappent la cité. »

Edmond Gamelin frissonna et détourna le regard de Milon. Depuis le temps qu’il connaissait ce magicien, jamais il n’avait réussi à l’encadrer. Cet homme énigmatique restait un mystère pour toute la troupe, et nombreux étaient ceux qui l’évitaient. Seul Lothaire montrait un intérêt et de la sympathie pour lui. Celui-ci esquissa un léger sourire, avant de se relever et de jeter le bout de papier en travers de la table.

« Il faut prendre des risques, à la guerre. Hassar, réunis des volontaires. Nous allons utiliser la même ruse qui a fait ma renommée outre-olienne. »

Robard ricana de toutes ses dents.

« Comme à Christabel ? »

Lothaire ne put s’empêcher de lui retourner le même sourire.

__________________________________

« Un gros niqueur ? »

L’un des gardes était déjà en train de s’esclaffer tout seul, le visage distordu par la grimace. Il était très fier de sa blague. Malheureusement, l’autre factionnaire à côté de lui n’était pas de la même trempe.

« Un chroniqueur, idiot. C’est quelqu’un qui sait écrire des choses. »

Devant le manque d’humour de son comparse, le bout-en-train perdit toute envie de se marrer, et lui lâcha avec une certaine irritation :

« Malheur Jaffab, t’es encore moins drôle que le capitaine. »

« Ça parle mal du cap’taine ici ? »

Les soldats se raidirent, entendant approcher le lieutenant Estranglepoulet. Le truculent Arétan vint se poster derrière les deux gardes, posant ses mains sur leurs épaules.

« Alors mes p’tits merdeux ? Qu’est-ce qu’on bâille aux corneilles ? C’est qui ce corniaud ? »

Le dénommé Jaffab se racla la gorge.

« Un chroniqueur, m’sieur. »

Prosper le détaille de la tête au pied, fronçant les sourcils.

« Un chroniqueur, hein ? »

Il fit pression sur les deux épaules pour déséquilibrer les gardes en faction, qui titubèrent chacun sur le côté pour laisser passer le reître malpoli. Prosper renifla bruyamment, bien derrière les sinus, avant de cracher un gros glaviot à la couleur surnaturelle aux pieds du voyageur louche. Il croisa ensuite les bras, et lui dit sur un ton soupçonneux :

« Un chroniqueur qui voyage sans parchemin, sans encre et sans plumes ? Vous écrivez les annales dans l’sable ? »
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Ascanio Vossula
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MessageSujet: Re: La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie]   La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie] I_icon_minitimeLun 20 Jan 2020 - 23:27


« Désopilant ! » s'esclaffa Josélito, avant de comprendre avec effroi que l'Arétan ne plaisantait pas vraiment. Catastrophe ! Ma couverture est compromise. Il se fendit d'un grand sourire pour donner le change, et gratifia son vis-à-vis de la meilleure explication qu'il put trouver : « à quoi me servent le parchemin, la plume et l'encre ? J'ai une bonne mémoire, Messire, et toutes mes histoires sont dans ma tête. Si vous m'ouvriez le crâne, vous y trouveriez des volumes entiers ! » Il ricana, avant d'ajouter précipitamment : « mais ça m'arrangerait quand même que vous évitiez. »
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Cécilie de Missède
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MessageSujet: Re: La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie]   La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie] I_icon_minitimeMer 22 Jan 2020 - 3:17


Attention nécromancie et lupanar dans ce poste.
Certains actes peuvent choquer la sensibilité des plus jeunes.

Nouer des cordes s'était révélé bien plus long et plus épuisant que ce que j'aurais imaginé... Aussi il n'y avait finalement qu'une corde à nœud sur les trois qui seraient suspendues cette nuit. Elles étaient destinées à des guerriers, ils pouvaient bien grimper sans. Puis c'était lourd aussi ces machins. Heureusement, l'étalon pur-sang que m'avait offert la protégée de la princesse d'Uldal'Rhiz les soutenaient sans soucis.

L'après-midi était avancée lorsque j'arrivais à l'un des bordel des docks après avoir longuement discuté avec la patronne et les filles du Jonc de l'Âne. Les marins qui n'avaient pu prendre la mer bouillaient. Pour l'instant, ils profitaient encore de leur répit forcé, mais d'ici quelques jours ce quartier serait parmi les plus instables de la ville à n'en pas douter. Des hommes à la fois puissamment battis et oisifs, cela ne faisait jamais bon ménage...

Je découvre ici un endroit enfumé et plein comme un œuf. Les rires, l'odeur de nourriture, la musique d'un vieux luth grésillant, les grincements et les bruits de toute sorte. Pas de doute, je suis au bon endroit.

Dans les frusques maussades d'une voyageuse, je me pose au bar, échange quelques mots, quelques nouvelles. Visiblement, mon doux garde n'a pas encore été arrêté. A croire que la milice est encore moins douée que ce que je pensais... Une goule livrée à elle même dans les rues d'une cité en proie à l'anarchie, laissant une trainé de cadavre derrière et personne pour lui mettre la main dessus. Certes, les berserkers gardaient une part des réflexes qu'ils avaient de leur vivant et un combattant restait un combattant mais tout de même, il avait l'intellect d'une moule avariée... A croire qu'il avait été récupéré et caché par de véritables opposants à la révolte qui avait cours.

Enfin... Je n'attendais rien de plus qu'un peu de chaos de sa part. La paranoïa et la crainte qu'il continue à semer peuvent se prolonger, je n'en ai que faire.

Après un verre et une ribambelle de blagues graveleuses, je pose quelques écus sur le comptoir, très vite ramassé par le gérant. L'Ithri'Vaan à cela se bon que les femmes peuvent trouver leur bonheur aux bordels au même titre que les homme, qu'elles apprécie la compagnie de l'un ou de l'autre sexe. A Thaar certains établissement des lanternes se sont même spécialisés dans les offres d'hommes stériles. Je n'ai pas encore eu l'occasion de me pencher sur leurs méthodes de sélections, mais il est certain que l'idée a de quoi charmer... Ou horrifier selon le côté de l'Olienne.

Au premier étage, ce n'est qu'une enfilade de portes. Sur les poignées des foulards sont posés. La jeune fille à peine en âge qui me guide frappe à l'une de celle dont la poignée n'est pas décorée... L'une des deux seules desquels ne proviennent aucun cri exagérément sonore. A l'intérieur me reçoit une femme encore à peu près jeune. Une hybride avec un peu de sang elfe dans les veine... ou de sang drow ? De toute façon je n'ai cure des maladies.

Elle minaude et vient m'aider à me défaire de mes vêtements dans la chaleur moite et l'odeur des fleurs sécher qui tentent de couvrir un tout autre parfum. Un sourire, quelques effleurements, mais très vite, deux lourdes boucles d'oreille faite de bronze et d'or atterrissent sur les draps.

- Prend ta pose, j'ai envie d'un plan à trois sans engraisser ton patron. Tu continues ta journée et je vais voir dans les chambres attenantes pour voir s'il y a des intéressés ? "

Les boucles d'oreille et une pose bien mérité valaient bien le risque de se faire prendre. De toute façon j'avais payé pour une heure et personne ne viendrait l'emmerder avant. Du moment qu'elle était disponible à l'heure dite, il n'y avait pas de raison de ne pas s'accorder un extra...

Le corsage ouvert et les chaussures à la main, j'écoutais pour choisir une porte qui ne gueulais et ne grondait pas encore. La pêche était plutôt bonne. Derrière la porte, un marin large, tout en muscle et aux mains aussi épaisses que sa trogne était laide palpait allègrement la charmante catin replète qui s'était assise sur ses genoux pour défaire sa chemise. Se croyant sûrement doté d'un esprit particulièrement hilarant, l'homme s'esclaffait, prétendant ne pas s'attendre à être doublement gâté... Mais il ne pensait pas si bien dire le drôle...

Irulan, jeune putain en voyage vers Thaar, obligé de trouver une place dans ce lieu bien en dessous du standing des lieux dans lesquelles elle officie. Mes vêtements posés près de l'entrée, je me glisse derrière lui. Des paroles, une voix, des gestes enjôleurs promettant mille délice... Et un rustre en rute qui n'attend qu'une brève et basse délivrance. Décevant... Mais prévisible. Étrangement, je ne dois mon salut qu'à l'égo de l'autre fille qui visiblement me prenait comme une rivale et comptait bien ne pas se laisser voler son client. Son entrain se trouve être un allier de choix. Je propose un jeu et la met au défi de se bander les yeux. Les quelques pas qu'elle est sensé faire pour nous retrouver, le client ou moi, sont largement assez long pour moi.

Un doigt sur les lèvres et la mine mutine, l'homme trouve sans peine le chemin du matelas dans le silence propice au tour que nous allons jouer à notre très chère colocataire. Voir deux femmes rivaliser de ruse et de mal honnêteté pour s'accaparer son corps le met en train visiblement... Mais au contact de sa peau, la mienne se couvre soudain de symboles aux couleurs défraichis. Le véritable jeu commence. Nous sourions. Il se fige. Nous dévorons. Il s'effondre sans un son.

Abandonnant la dépouille sur le lit une minute plus tard en étant contrainte de gigoter comme une anguille pour m'extraire de sous sa masse, je gronde et je me glisse près de l'impatiente souris. J'enlace sa taille, caresse ses courbes, ravage se défenses mentales pour lui ordonner finalement de se taire. Attachée et bâillonnée d'une boule de tissus dans la bouche, voilà qui ne me gênera plus pour les préparatifs.

Barrant la porte en y trainant une chaise, je tire de mes affaires le couteau rituel volé au temple de Teiweon. Un corps. Un souffle disponible. Les matériaux sont à portée de main et le sablier sur la coiffeuse m'annonce que j'ai encore le temps de procéder. Je me rhabillerai après, la maîtrise n'empêche pas ce travail s'être parfois salissant.

________________________________


Lorsque le Soleil tombe sur Feldorn, une jeune femme aux courts cheveux noirs et un imposant marin aux manières embrumées par la boisson ou la pipe rejoignent un cheval attaché devant l'un des lupanar des docks.

Dans son sillage, l'étalon laisse un bordel parmi d'autres. Peut-être quelques cris de peur et de surprise y retentiraient... Et encore. Le gérant n'a pas intérêt à ce que ça se sache. Ce genre de détail est mauvais pour les affaires. Et les gardes auront-ils le temps d'enquêter sur la mort d'une putain poignardée au cœur par l'un de ses clients ? Certes il y a beaucoup de sang, un cœur humain pourrait être trouvé dans la ruelle fangeuse sous sa fenêtre et l'homme a été assez méticuleux pour se laver dans le baquet de la travailleuse... Mais les tisserands sont-ils aussi à cheval sur la protection de ces dames que ne l'était le prince aux mœurs légères ? Sur certains sujet, la décadente noblesse a souvent plus de bienveillance que la bienpensante bourgeoisie...
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MessageSujet: Re: La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie]   La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie] I_icon_minitimeMar 28 Jan 2020 - 9:49

Prosper l’Arétan était un homme plein d’humour. A son grand dam, la plupart des gens ne comprenaient guère à quel point ses facéties tenaient du pur génie. Il se complaisait depuis longtemps dans son art incompris, qu’il ne s’empêchait pas de pratiquer aux dépens des soupirs ou des regards dégoûtés. Il se sentait libre, libre de faire tout ce que la vie l’autorisait à créer.

Aussi, lorsqu’il empoigna le chroniqueur par l’épaule pour l’emmener dans le camp, il décida de lui faire une de ces blagounettes dont il avait le secret.

« Viens là mon bon bougre ! J’connais justement un type qui saura vérifier si ton crâne c’est pas la Bibliothèque de Missède ! »

Allègrement, et entouré de deux autres malotrus aux mines patibulaires, Estranglepoulet menait son nouveau copain de plaisanterie vers la tente du barbier, qui lui devait une petite faveur…


______________________________


La nuit était tombée sur Feldorn. Dans les rues, calme et tension se livraient un bras de fer sans merci. Les disparitions et meurtres n’avaient pas cessé, et la garde elle-même craignait les traîtres. C’était le moment parfait pour frapper.

Le petit commando qu’avait composé Hassar Merohès comptait uniquement des vétérans très légèrement armés. Lames fumées, oripeaux noirs, ils auraient pu sortir tout droit des tréfonds du Puy. Ils avaient été sélectionnés parce qu’ils étaient discrets, bons combattants, mais surtout d’excellents grimpeurs. Ironiquement, c’était Hassar lui-même qui était le plus mauvais en escalade, petit et trapu comme il était. Ils se faufilèrent donc à la faveur de l’obscurité vers la section des remparts de laquelle devraient normalement dépasser les cordes.

Passant près de la tourelle nord, ils longèrent la palissade en silence. Tous étaient un peu à cran. C’était une périlleuse mission, mais si elle réussissait, la victoire se ferait à moindre coût. Le capitaine avait toujours su échafauder des plans pour arriver à ce moindre coût en vies humaines. C’était d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles ces hommes étaient présentement en train de risquer leur propre vie.

Un net soulagement les cueillit lorsqu’ils virent dépasser les cordes à l’endroit indiqué, vite rattrapé par quelque sentiment d’appréhension. Après tout, qui ce qui les attendait derrière ce mur de bois ? Une armée prête à les massacrer, ou un allié de circonstance ? Hassar Merohès était cependant assez discipliné pour s’assurer que ses ouailles gravissent la palissade sans poser de question. Des trois cordes, seule l’une d’entre elles avait des nœuds, un détail qui ne passa guère inaperçu. Les hommes commencèrent à se bousculer pour pouvoir l’emprunter, mais ce fut finalement le lieutenant Merohès qui s’arrogea le droit à la facilité, eu égard à ses difficultés ascensionnelles, et à son autorité indiscutable.

L’escalade se fit sous le bruit des cordes qui grincent, semblable à celui que produit un pesant gibet lorsque le vent souffle. Jetant des regards inquiets sur la tourelle nord, ils arrivèrent au sommet de la palissade en observant craintivement les alentours, prêts à bondir en arrière au moindre signe d’activité ennemie. A califourchon sur le mur, ils s’étaient baissés pour ne pas attirer l’attention et scrutaient la noirceur de la nuit à la recherche de leur allié providentiel…

… ou de leur traître ennemi.
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MessageSujet: Re: La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie]   La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie] I_icon_minitimeMer 5 Fév 2020 - 0:50


En haut des remparts, l'endroit est calme... Du moins dans l'entourage immédiat.

Au loin, à cent ou deux-cent mètre le long du mur extérieur, les cris résonnent et les ordres tonnent plus forts que les coups. Un non-mort a attaqué la troupe la plus proche de la cloche d'alerte. Les équipe alentours se sont précipitées à leur rescousse, ne laissant qu'une ou deux sentinelles seules pour maintenir le périmètre. Près de l'escalier d'accès qui avait été repéré à deux pas de la tourelle nord, deux sentinelles étaient d'ailleurs étendues sur le sol près des cordages. L'une transpercée d'un coup d'épée, l'autre prostrée et tremblante, ses yeux observant obstinément son compagnon d'arme étendu sur le sol. La femme de belle stature ne regarda même pas les intrus poser pied sur le chemin de ronde. Elle semblait tout simplement vidée.

Au niveau des escaliers, une silhouette encapuchonnée se tenait en retrait. La moitié d'un visage jeune à la peau d'une pâleur lunaire et était encore visible dans la pénombre. Une femme à l'expression aussi froide que son maintient était noble. S'apercevant qu'ils n'étaient pas venus en nombre, un bras tout aussi blanc sortit de sous la cape pour faire signe aux nouveaux arrivants d'accélérer le mouvement, leur indiquant le bas des escaliers. Les seuls mots qui s'échappèrent de sous la capuche furent souffler comme un ordre.

- N'oubliez pas les cordes. "
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MessageSujet: Re: La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie]   La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie] I_icon_minitimeJeu 6 Fév 2020 - 9:02

Était-ce la traître nuit assombrissant la silhouette de son allié, ou les cris lointains des soldats qui s’activaient qui firent se dresser les poils des bras du lieutenant Merohès ? Sans doute les deux. La femme en capuchon, au bras d’une pâleur cadavérique, n’était pas pour rassurer les soupçons des hommes du commando, que les cris d’alerte mettaient en éveil tous les sens. La propre voix de l’ombre noire au pied du mur n’était qu’un souffle froid et glacé, comme la Voilée venue étreindre un mourant. L’injonction fut exécutée avec la promptitude de ceux qui sont pris au piège : les cordes furent ramenées et cachées, tandis que les hommes se regroupaient, spectres tout aussi obscurs que leur ténébreux guide.

Hassar Merohès eut le courage de faire un pas vers celui-ci, et de lui susurrer de sa voix rocailleuse :

« Le capitaine Lothaire vous transmet ses plus sincères salutations, et saura se rappeler de vous à l’heure de la victoire. »

Sur ces mots, il tourna la tête vers ses hommes, à qui il désigna d’un menton l’endroit où se trouvaient les portes de la ville. Une infiltration pareille relevait d’une savante alchimie entre pure folie, témérité et surtout, génie. Le capitaine de la Vermeille avait rassuré Hassar en lui disant qu’il avait lui-même effectué cette manœuvre lors d’un lointain siège péninsulaire. Il avait bien entendu omis l’histoire de la main broyée, un détail superflus, d’autant qu’en cette cité les portes n’avaient aucun pont-levis à abaisser.

Une fois leur curieuse alliée remerciée, les troupiers camouflés se dirigèrent discrètement vers la porte, étudiant les moindres ruelles à la recherche d’une patrouille pouvant en émerger. Difficile de distinguer qui que ce soit dans la nuit noire, mais cela tendait à rassurer la petite formation ; si eux ne voyaient pas l’ennemi, alors l’ennemi ne pouvait non plus les voir.


____________________________________________


Lothaire était juché sur son cheval, harnaché comme s’il allait à la rencontre d’un destin funeste. Dans sa main, une pomme à moitié rongée commençait à s’oxyder, mais l’absence complète de lumière rendait le détail invisible à l’œil humain. Entouré de ses âmes damnées, le capitaine avait les yeux rivés sur la palissade si lointaine et pourtant si proche de la ville de Feldorn. Les troupes avaient laissé une légère garnison au sein du camp, pour simuler la vie nocturne de ce dernier tandis qu’une masse informe de soldats le quittaient pour se mettre en ordre de bataille un peu plus loin.

Le plan était simple. Tandis que les hommes de Lothaire ouvriraient les portes, les cavaliers chevaucheraient à l’intérieur de la ville pour en soulager les patrouilles, tandis que les troupiers plus légers viendraient assiéger les casernes et prendre possession de la maison du gouverneur. Simple, certes, mais une telle machination réclamait une exécution parfaite, nette et sans bavure. Hassar Merohès avait été choisi parce qu’il possédait deux qualités essentielles à ce genre de mission : le sang-froid et la méthode.

« Sire, je n’étais pas à Christabel, mais êtes-vous sûr que tout ceci n’est pas un peu… risqué ? »

C’était le brave Alain d’Alonna, dit Rossecaboche, qui s’était subrepticement avancé avec sa monture. Lothaire, qui n’avait plus faim, donna le reste de la pomme à son destrier.

« Complètement. Mais comme dit sous la tente, faire la guerre sans prendre de risque c’est la défaite assurée. J’ai confiance en la résolution de mes hommes. »

Alain secoua la tête.

« Vous avez surtout confiance en leur avidité, seigneur. »

Lothaire sourit. Promettre dix pourcents du butin supplémentaires avait permis à faire se lever quelques bras de plus parmi les volontaires. Les Vaanis avaient toujours besoin d’une motivation plus grande encore que celle d’acquérir de l’honneur et du prestige. Fort heureusement, depuis ses récents combats pour Ascanio Vossula, l’or était ce qu’il lui manquait le moins.
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MessageSujet: Re: La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie]   La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie] I_icon_minitimeSam 8 Fév 2020 - 1:30


Le contingent avait au moins la bonne idée de savoir se coordonner. Un bon point. Qu'importe la réputation ou la qualité du capitaine de la Vermeille, il semblait s'être entouré de quelques hommes capables d'infiltrer une ville inconnue sans paniquer au premier imprévu. La confiance très relative que j'avais en ce plan pouvait monter d'un cran.

- Parfait. Peut-être pourrais-je encore vous être utile d'ici là.


Aux quelques mots de celui qui semblait être le chef de fil, j’acquiesçai respectueusement. Personne n'avait le temps pour plus de politesses éculées. En quelques mots je leur proposais de les conduire par les ruelles ou de les suivre jusqu'à leur destination de ce soir. Je n'étais pas certaine qu'ils attaquent directement. A vrai dire, j'étais même convaincue qu'ils prendraient une journée pour étudier la situation à l'intérieur de la ville avant de tenter d'ouvrir les portes... Mais j'avais visiblement tort.

Qu'ils me refusent le droit de les suivre et je me retrouverai contrainte de le faire en douce, de loin en loin. Un exercice risqué dans lequel j'étais loin d'exceller, mais une fois qu'on trouve un bouclier, on reste derrière. Pas question de les laisser disparaitre pour me retrouver prise à partie par leurs compagnons qui n'auraient aucun moyen de savoir que je suis bel et bien de leur côté.

Tout en avançant sur les pavés obscures, ce n'était pourtant ni vers ce petit groupe, ni vers son hypothétique destination que mon esprit se tournait. Les sens en alerte, l'oreille tendue et les yeux mi-clos, je guettais l'imprévu. Les grattements furtifs des rats et les grincements des enseignes ponctuaient une progression part trop monotone. Une apparence trompeuse s'il en est. Je n'oubliais pas qu'une goule de soldat errait encore quelque part... et qu'en Ithri'Vaan, les mages ont toujours été bien moins rares qu'ailleurs.

Un instant, les couleurs dépareillées de la terre et du jade dansèrent dans mon esprit. Inutile. Je les chassaient d'un froncement de sourcils. Il n'y avait personne pour surveiller mes arrières cette fois.
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MessageSujet: Re: La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie]   La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie] I_icon_minitimeDim 16 Fév 2020 - 23:35


« Nos hommes viennent de trouver l'agresseur », clama fièrement Kamasoutros, dont la voix résonnait entre les murs de la Chambre Restreinte de la Curie du Peuple. « Il s'agissait d'un membre de la milice.
- Ce devait être un homme des plus discrets, pour avoir déjoué si longtemps nos patrouilles
, fit remarquer le Prévôt Su'hu per Stahar.
- Détrompez-vous », répliqua Kamasoutros d'une voix chargée de mépris. Il était couvert de sang, et il lui manquait même un pied, si bien qu'il marchait sur sa moitié de jambe en vociférant dans une langue inconnue. Apparemment, il a chargé une patrouille de six hommes il y a une heure. C'est comme ça qu'ils l'ont trouvé, en fait.
- Hmm. Peut-être avons-nous eu tort de chasser toute la garde du Prince lorsque nous avons pris la ville ; nos miliciens manquent d'expérience.
- Sauf votre respect, vous auriez dû y penser avant »
, grinça Kamasoutros. « On ne fait pas de miracle avec des tisserands, vous savez.
- Ce qui est fait est fait. L'ont-ils pris vivant ?
- Eh bien, ça c'est une bonne question, en fait on ne sait pas trop.
- Comment ça ?
- Apparemment, notre homme continuait de se battre avec une épée dans l'oeil qui lui perçait le crâne de part en part. Au bout d'un moment, il a quand même fini par se calmer, mais les gars ont trouvé ça bizarre. »


Su'hu per Stahar blêmit.

« Nécromancie », murmura le Prévôt. « La Vermeille a recours aux arts noirs pour nous terroriser.
- Eh bien, ça a marché. Je peux vous dire qu'il a mis un sacré bazar avant qu'on le choppe.
- Espérons qu'il n'y en ait pas d'autre. »


A peine le Prévôt avait-il formulé ce vœu pieux qu'une cloche résonnait au loin, aussi sinistre que le croassement d'un corbeau. Même Kamasoutros frissonna.

« Je me demande ce que fait votre foutu espion », murmura Kamasoutros. « Il était censé nous prévenir de ce genre de mauvais coup.
- J'ai confiance en Josélito »
, assura Su'hu per Stahar. « S'il est resté silencieux, ce ne peut être que pour une bonne raison. Je n'hésiterais pas à placer ma vie entre ses mains.
- Si la Vermeille parvient à pénétrer nos murs, votre vie ne vaudra plus un pet de lapin. »



*  *


Josélito cracha un flot de sang. Le baillon qu'on lui avait fourré dans la bouche retint tout ; il hoqueta un moment, luttant pour trouver de l'air, ravalant à moitié son glaviot sanguinolent, et pendant un moment, il fut au bord de l'asphyxie.
Lorsqu'il émergea enfin de cette lutte à mort, ce ne fut que pour prendre conscience de la douleur lancinante qui tenaillait chacun de ses muscles. On l'avait assis sur une chaise, ligoté ; il tira vainement sur ses poignets, grimaça à cause de la douleur de ses bras écorchés - la réaction en chaîne ravivant sa bouche meurtrie par les coups de ses geôliers. Enculé de barbier, songea l'espion, qui avait subitement perdu la finesse de son verbe fleuri.

Autour de lui, tout n'était que ténèbres dans la sordide tente du barbier. Nuit ? Jour ? Il n'arrivait toujours pas à ouvrir complètement les yeux, mais il avait l'intuition qu'il faisait nuit. Cela dit, au point où il en était, ça lui était à peu près égal. Il allait crever là, et n'y pouvait plus rien faire, pas plus qu'il ne pourrait empêcher la Vermeille de s'emparer de la ville et passer au fil de l'épée tous ses amis. Fous que nous sommes, que d'avoir crus que nous serions libres, réalisa Josélito, fataliste. Par quel incroyable coup du sort les hommes de la Vermeille étaient-ils parvenus à démasquer sa couverture, cela, Josélito ne le comprendrait jamais. Il avait pourtant suivi des courts d'art dramatique au théâtre de Feldorn - cela dit, la seule pièce qu'on y jouait était une oeuvre écrite par Ascanio Vossula. Peut-être n'avait-elle pas permis à Josélito l'acteur d'exploiter son plein potentiel...

Soyez maudits, mercenaires, marchands, rebelles, tous, Vaanis comme d'ailleurs. Soyez tous maudits !


*  *


La cloche retentissait toujours au loin. Dans l'atmosphère de psychose qui régnait en ville depuis le début du siège, nombre de patrouilles s'y dirigeaient dans l'affolement le plus complet. Le poste de garde qui jouxtait les portes de la ville restait néanmoins protégé par deux des meilleurs éléments de la milice urbaine de Feldorn.

« Il se passe quoi, à ton avis ? » demanda Basile, tendant l'oreille en direction de l'origine du tumulte, quelques centaines de mètres plus loin. « Tu crois que c'est le fameux agresseur ?
- Impossible »
, répliqua Philémond. « Il est mort, l'agresseur, ils l'ont dit tout à l'heure.
- J'en reviens pas qu'il ait tué Béryl »
, se lamenta Basile. « Lui et moi, on était comme les deux doigts de la main.
- J'ai jamais pu blairer ce mec, il était con comme ses pieds. Tout le temps à faire des olives ou à crier "chat-bite" en m'attrapant le paquet.
- Il t'aimait bien, pourtant.
- Ouais, il m'aimait un peu trop. »


Basile médita quelques instants les paroles de son camarade, puis, après moult réflexion, résolut qu'il s'en foutait. Il passa son regard en direction des portes.

« C'est bizarre de se dire que peut-être, si les tarés de dehors réussissent à entrer, c'est sur nous qu'ils vont tomber en premier.
- Vaut mieux pas penser à ces choses-là »
, répliqua Philémond avec sagesse. « Avec un peu de chance, ils lèveront le siège et la ville sera épargnée.
- Ouais, peut-être. Si tu le dis.
- Je te le dis.
- Dis, Philémond ?
- Oui ?
- Tout ce qu'on fait, là, la révolte, machin truc, le Prévôt Su'hu per Stahar dit que c'est pour qu'on soit libres, pas vrai ?
- Oui.
- Ça va changer quoi pour nous, d'être libres ? Par rapport à avant, je veux dire.
- J'en sais rien, moi, pose la question au Prévôt.
- Ouais, d'accord. Tu sais pas, en fait.
- C'est pas ça, mais je saurais pas t'expliquer. »


Basile aurait aimé qu'il fasse un effort, mais Philémond n'était pas d'humeur à bavarder ce soir. Béryl était tellement plus drôle. Lui, il fait la gueule tout le temps. Ah ! Si seulement il pouvait le dérider un peu...

Le regard de Philémond se porta sur la rue. Tout était si calme... même le tumulte au loin semblait s'être atténué. Sous peu, chaque patrouille rejoindrait son secteur respectif. Cela vaudrait mieux ; ça ne le rassurait pas vraiment, de monter la garde seul avec Basile. Surtout à un emplacement aussi crucial que la porte.
Dans la sombre nuit, il lui sembla distinguer plusieurs silhouettes en approche. Leurs camarades qui revenaient, peut-être ?

« Hé, Philémond, fit la voix de Basile, et Philémond détourna les yeux de la rue.
- Quoi ?
- Chat-bite !
s'écria un Basile hilare, avant de lui empoigner l'entrejambe.
- Ah, mais t'es con, putain, t'as quel âge ! » rugit Philémond, et, pris d'un élan instinctif, il colla une méchante droite à son camarade.
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MessageSujet: Re: La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie]   La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie] I_icon_minitimeMar 25 Fév 2020 - 9:24

Les ombres se faufilaient dans la nuit comme une vadrouille de chats de gouttière. Les infiltrations nocturnes avaient un effet étrange sur les mercenaires, comme si flirter avec les voiles de Tyra les enivrait assez pour supporter la pression et la peur d’être découverts. Au loin, les cris, au loin, une mort certaine. Mais en se rapprochant de la porte, ils remarquèrent que celle-ci n’était gardée que par le strict minimum. Un sourire avait un instant donné du contraste au visage sombre du lieutenant Merohès. Deux gardes à peine, c’était du pain béni. A condition bien sûr d’arriver dans leur dos sans qu’ils ne s’en rendent compte et sonnent le tocsin. Heureusement, il avait un autre atout dans sa manche, un atout qui les suivait à distance respectueuse.

Alors qu’Hassar faisait signe à ses spectres de le suivre vers le poste de garde, l’un des pandores jeta son regard dans leur direction, et leurs muscles se tendirent d’un seul coup. Figés comme des gargouilles, ils observèrent avec des yeux pétrifiés les miliciens feldorniens. Lorsque ces derniers se mirent à parler comme si de rien n’était, ils se retinrent de pousser un soupir collectif de soulagement. Merohès, lui, exultait, une mi-molle lui saisissant les pans de ses braies noires. Il avait toujours eu ce vieux fantasme du danger, ce rendez-vous manqué perpétuel avec la Mort qui attisait son désir et ses passions. Grisé par l’expérience, et profitant de la conversation des gardes, Hassar ordonna tacitement à son commando de s’approcher subrepticement du poste, et des gonds de chêne renforcés de fer de la palissade.

Ce moment, Hassar s’en souviendrait toute sa vie. Mais une fois arrivés à distance respectable du corps-de-garde, tout s’accéléra. L’un des soldats, hilare, agrippa le paquet de l’autre en hurlant « Chat-bite ! ». Piqué au vif, son comparse vociféra son mécontentement et lui envoya un revers digne d’un patriarche. Les Vermeils étaient trop loin pour frapper les gardiens, mais trop près pour ne pas être vus. Merohès réagit donc à la vitesse du son.

Se mettant à courir le pavé, il arriva au poste alors que les miliciens taisaient leur querelle et se rendaient compte de leur présence. Profitant de la surprise, le lieutenant engagea les hostilités. Bientôt les autres mercenaires de la Vermeille se lancèrent à l’assaut, résolus à tailler en pièce le menu fretin avant que celui-ci ne puisse tendre ne serait-ce qu’un ongle en direction de la cloche en bronze qui lancerait l’alerte. Le déchaînement de violence, accentué par la peur d’être pris saisissant les tripes des hommes, s’était avéré proverbial : de Philémond et Basile ne restait qu’une chiffonnade de tendons, muscles et tripes emmêlées, un casse-tête dont même un boucher ne saurait dire à quel animal ces restes appartenaient. Les têtes décollées des jeunes gens avaient si bien bondi de leur carcasse, que l’une d’elle alla carrément se ficher sur le toit du poste de garde, sordide tignasse figée dans une expression de profonde surprise qui vous regardait avec des yeux encore criants de vie.

Le souci, c’est que cette immonde tête avait encore un relent de patriotisme dans sa cervelle mourante. Et comme poussée par le vent du destin, elle bascula lentement depuis le toit pour venir se cogner avec bruit contre la cloche à présent maculée de sang. Bong ! Le son glaça les sangs des mercenaires, qui rivèrent chacun leurs yeux vers l’énorme cymbale qui semblait se jouer de leur peur panique. Puis, fiévreusement, ils regardèrent autour d’eux. Pas un rat. Pour le moment. Peut-être l’écho avait-il été confondu avec l’autre tocsin sonnant plus loin en ville ? Comment le savoir ? Impossible. Aussi, les Vermeils sentirent bien vite une menace sourde sur leur nuque, et Hassar Merohès ne perdit pas de temps à réagir, et donna ses instructions à ses hommes, qui poussaient déjà les portes de toute leur force. Il avisa la nigromancienne non loin de lui, d’un regard appuyé lui signifiant de venir le rejoindre.

Le commando allait ouvrir les gonds, fissa, avant qu’une patrouille un peu trop proche ne vienne s’enquérir de cet étrange coup donné à la cloche de la porte…


_______________________________________


Lothaire avait passé la nuit à attendre l’ouverture de ladite porte, scrutant l’ambiance assombrie comme un chat guettant la sortie d’un mulot. Au loin, les gonds étaient informes, presqu’invisibles. Et pourtant, lorsqu’ils bougeraient, Lothaire était sûr de voir le mouvement assez distinctement pour donner l’ordre à la cavalcade.

Et pourtant, lorsque les portes commencèrent leur lente ouverture, ce ne fut pas le capitaine qui s’en rendit compte, mais bien Rossecaboche.

« Ça remue. Ces bâtards ont réussi ! »

Lothaire avait souri de toute ses dents.

« Bien observé, sire Alain. Va reléguer l’ordre ; que chacun se tienne prêt à charger sur cette putain aux jambes écartées. »

Avec un rire à mi-chemin entre la malfaisance et l’excitation, l’Alonnan fit tourner bride à sa monture, allant apostropher de sa voix de stentor les suivants du dieu Othar, sa mesnie sanglante et brutale.
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Cécilie de Missède
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MessageSujet: Re: La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie]   La révolte des tisserands [Ascanio / Cécilie] I_icon_minitimeMar 3 Mar 2020 - 1:28


« Chat-bite ! »

De toutes les façons dont la perte de cette cité aurait pu être évitée ou déclenchée, jamais je n'aurais imaginée que ses acteurs soient... ça. La scène était si cocasse, que je ne pensais même pas à faire un geste. Nous restions simplement là, à regarder des idiots se faire littéralement étripés par des brutes. Un revers patriarcal valait bien moins qu'une lame visiblement.

J'avais à peine cligner des yeux que la mort avait fait son œuvre... Et ce ne fut que le son d'une cloche qui me sortie de mon hébètement. Bon sang, mais à quel point les hommes pouvaient-ils être de stupides montagnes de muscles ?!

Lançant un regard noir au cuivre désaccordé et bruyant, je m'empressais de rejoindre l'homme aux commande de l'opération. S'il voulait que je pose mon épaule contre la porte, je le ferais, mais il n'y avait aucune chance que je sois de la moindre utilité dans cette entreprise.

Aucune chance !

...

A deux pas du guerrier, je fis volte face.

Mon maintient noble et raide ne s’affaissa pas. Mon regard suspicieux resta le même... Mais nos gorges se serraient. Quelqu'un était là. Quelque chose. De la magie. Ou des morts ? Quelque chose d'improbable qui suivait cette compagnie ? Je goutais l'air et tendais l'oreille.

- Il y a... quelque chose qui vient de ce côté. " laissais-je tomber dans le doute de la nature de la menace. Avec un peu de chance je pourrais passer pour une idiote et il n'y avait rien d'autre qu'un esprit errant ou un rat un peu bruyant.

Malheureusement, la chance et moi étions brouillés depuis bien longtemps...
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