Les couleurs de la révolte [solo / Tsitité]

fin 3ième énnéade de Favrius
Thaar - Soieries, Alentours du Palais du Joyau

Il faisait nuit depuis un moment sur les Soieries de la grande Thaar. Le faible éclat des lunes , dont l'une entamait à peine son cycle, peinait à repousser les ombres qui s’infiltraient partout entre les creux et les parois des bâtiments élégants du quartier. En profitant, deux silhouettes se perchaient sur un toit plat, dans l’ombre d’une cheminée qui les protégeaient. Accroupis dans l’obscurité, tous les deux portaient des tenues discrètes, faites pour ne pas être facilement remarqué. à leur hanches il portaient de lourds sac de cuir. Sur leurs épaules et trainant un peu derrière eux alors qu'ils se tenaient accroupis, ils possédaient tous les deux le même genre de trainée de plumes aux reflets discrètement chamarrés dans leurs mouvements. Cependant dès lors qu’ils se tenaient immobiles, l’aspect irisé disparaissait et les deux silhouettes semblaient ne faire qu’un avec leur environnement.

Leur visage était camouflé de tissus plus clairs, alors que, seulement si l’on tendait l’oreille on pouvait entendre de très léger sifflements aux modulations singulières, qu'on aurait presque put confondre avec l'un de ces oiseaux de nuit qui survolait le ciel nocturne de la cité. Leurs regard à tout les deux se rivaient sur les rues en contrebas, guettant la moindre intrusion risquant le déroulé de leur escapade.

Puis sans plus prévenir, l’une des silhouettes, plutôt petite et très fine fut la première à s’avancer jusqu'au muret du toit où il s'étaient posés, observant discrètement les alentours. Elle releva son foulard une seconde à peine, laissant entrevoir son petit visage à la moue éternelle et bu à une toute petite fiole.

A quelques sauts de là à travers les toits s’élevait un énorme dôme de métal et de verre ouvragée comme les artistes de l’IthriVaan pouvait le mieux faire. Plus imposant que n'importe quel autre bâtiment et orné d'un drapeau qui s’agitait sous le coup d'une infime brise, il faisait penser au ventre gonflé d'un nobliau qu'on aurait couché sur le sol, les stries métalliques tenant le verre de la coupole semblable à un vêtement trop serré, prêt à éclater.

Le second plus grand de bien une tête et plus imposant, suivit la marche de funambule que la première imposait après avoir imité son geste et gouté aux même étrange élixir. Tout deux se jouaient des gouffres et des obstacles imposés par leur périple avec une étonnante dextérité et leurs pas sur les marbres et les pierres semblaient particulièrement étouffés.

Deux ombres dans la nuit, filant de toits en toits, à pas de loups. Ils se dérobent aux yeux des fortunés à la panse bien remplie, ceux-là mêmes quittant tardivement les auberges de ce quartier si prisé. Les gardes patrouillent, comme à leur habitude, veille à ce qu’aucun crève-la-faim n’importune les bonnes gens du Joyau, qu’aucun esprit échauffé ne s’en prenne à un autre. Ici se devait de régner un certain calme et, surtout, la sécurité. Un mélange parfait pour laisser l’allégresse du quartier se répandre dans la sérénité.

Et c’est là bien une chose que ces deux intrus se sont jurés de troubler. À force de sauts, de cabrioles et d’escalade, l’emplacement rêvé pour accomplir leur méfait semble se dévoiler à leurs yeux.
En contrebas, deux soldats sont assis sur des chaises dont le bois grince à chacun de leur mouvement. S’ils prennent leur travail au sérieux, cela ne les empêche pas, habitué par l’absence de déconvenue en ces lieux ô combien importants, de siroter une petite pinte bien méritée autour de quelques babillages.

- L’autre jour, j’étais en train de m'descendre une chopine à L’Ibak Écorné, j’ai croisé Imlek.

- Comment il va ?

- J'sais pas. Il est passé devant la baraque et ma femme lui a dit de me prévenir qu'si j’étais pas rentré avant que l'dîner soit froid, elle le filerait au clébard.

Son camarade pince les lèvres et boit une gorgée sans un mot.

- J'suis rentré, c’était encore bien chaud, j'peux te l'dire. Le garde marque un temps d’arrêt. J’voulais pas qu’il arrive un truc au chien. Un rire gras lui échappe après une seconde de silence. D'ailleurs, j'dois t'dire qu'ça m’impressionne vachement que t’appelles toujours ta donzelle par des p’tits noms après trente longues années. « Ma chérie », « Mon amour », « Mon coeur »…

- C’est qu'j’ai oublié son nom y a au moins dix piges.

Les deux hommes éclatent de rire et trinquent à leur propre santé.

-  Et qu’nos femmes soient jamais veuves !

Le bruit de la conversation des soldats étouffa le peu de son que les deux silhouettes provoquèrent en se perchant enfin sur le verre de l’immense coupole. Avec précaution ils attendirent, petites ombres recroquevillé au-dessus de tous.

La petite femme avait tiré de son sac une autre fiole dont elle imbiba fortement un tissu, qu’elle tendit à son partenaire, puis un second quelle garda. Doucement, ils longèrent le rebord de la coupole, cherchant l’angle parfait.

Les deux hommes avaient le nez dans leur pinte, lorsque l’un d’eux haussa un sourcil, croyant avoir aperçu quelque chose dans le coin de son regard. Mais à peine pensa-t-il à protester que les deux ombres tombèrent sur le sol chacune dans le dos de l’un d’entre eux. Ils n’eurent ni le temps de crier, ni de se lever qu’on les força à respirer le puissant somnifère qui les envoya rapidement dans les ténèbres, non sans vainement tenter de se débattre. D'ailleurs la plus petite des silhouettes eut un peu plus de mal, et alors qu'elle manqua de lâcher son homme, son camarade dû lui asséner un méchant coup dans la tempe pour le tranquilliser tout à fait.

Une fois ce méfait accomplit, la femme se glissa à nouveau là d’où elle venait, cherchant à retrouver le toit de verre, tandis que l'autre versait le contenu de l’une des choppes encore à moitié pleine sur l’un et l’autre, avant de les placer soigneusement, comme dans une mise en scène un peu macabre, sorte à ce qu’on les pense pris par l’ivresse.

Lui, il resta au sol, s’éloignant simplement de quelques mètres du lieu de leur crime, avant de poser son sac au sol, et de venir rapidement y chercher les instruments de son œuvre : une peinture d’un rouge vif et, il l’espérait, d’après les dire de leur alchimiste en ayant accidentellement fait les frais, terriblement agaçant à retirer.

Les murs qui formaient l'enceinte étaient beaux. C'était, même pour un œil néophyte, une splendide composition de pierres fines, dont les sculptures semblaient de dentelle. On y apercevait une débauche de matériaux nobles, de marbres, de dorures, de perles venus de partout. bien évidement, les conseillers ne s'étaient pas retenus de se faire représenter eux même sur la façade...Mais, désormais, lorsque l'on poserait les yeux sur le joyaux, on n'y verrait plus qu'une chose: de biens tristes inscriptions.

Meurtriers. Violeurs. Menteurs. Voleurs. Traitres.

D'autant de bien tristes qualificatifs, désignant les crimes impunis de ces gens, s'étalèrent alors sous les coup de pinceau rapides. Sur les statues, ils n'avait peint que les mains, qui semblèrent alors couvertes de sang.

Sur le toit de la coupole, c'était plus simple. La femme se contenta d'abord de projeter une peinture blanche sur le drapeau qui représentait le chacal aux trois yeux du conseil.  Ensuite, sur le verre délicat, elle dessina une Aile qu'on devait particulièrement bien voir de l'intérieur si l'on levait les yeux. L'esprit particulièrement mutin, elle gribouilla à coté un petit bonhomme  qui tirait une grimace, la langue tiré et les mains à ses oreilles. Pour le reste, elle laissa sa peinture simplement dégouliner le long de la coupole, histoire de recouvrir une majeure partie du verre et d'assombrir suffisamment l'intérieur pour qu'on en rate pas ses œuvres.

Les bruits de pas du garde résonnent sur le pavé. Le bonhomme effectue sa ronde habituelle. Enfin, presque. Parce que ce soir, il y a de quoi être surpris. Il s’étonne de voir ses deux camarades dans le coltar. Dans le doute et en tant que bon professionnel, il hurle d’une voix qui porte à l’intrusion, à l’attaque, appelle à l’aide en dégainant sa matraque.
Des éclats de voix lui répondent au travers du Joyau et, bientôt, les ombres dansent sur les murs, car les gardes affluent, torches et gourdins en main. On essaye de réveiller les deux pauvres hères avec difficulté. Mais la stupéfaction passée, les hommes se dispersent en plusieurs groupes dans les couloirs et les abords du bâtiment à la recherche d’un éventuel voleur ou de traces de son passage.

Une voix résonne soudain, et les bandits sont forcés de s’interrompre. Celui au sol ne prend même pas la peine de ramasser son matériel, préférant balancer ce qu’il reste sur un des murs. Il laisse échapper un strident sifflement et aussitôt sa compagne s’élance déjà sur les toits. Lui ne tarde pas à la rejoindre. Alors qu’il entend un soldat approcher au pas de course, le bandit au sol plie les genoux et saute d’un bond formidable sur un balcon. Puis, sous les yeux médusés de la garde, il file et grimpe à son tour dans les hauteurs avant de s’engager dans une course folle dont il connaît parfaitement le parcours.

Peu importe qu’ils aient étés vu. Tant mieux même. Que tout le quartier se réveille si ça leur chantait. Tous pourraient alors voir leur œuvre dans la lueur des torches, et la prochaine réunion du conseil serait particulièrement colorée… Pendant ce temps les deux ombres se glissaient hors du danger, bien à l’abri.

La rumeur se propagerait sans doute dès l'aube. Là était le but. On moquerait certainement ces tout puissants, incapables de protéger le symbole même de leur splendeur. On parlerait de ces inscription étranges. Peut être même du symbole sur le verre. Ce serait une rumeur de plus dans la ville que le groupe de bandits s'attacherait à ne faire jamais oublier.