Coucou c'est moi! [Mac]

Bon, c’était le moment. Après un long voyage parfois particulièrement pénible, Zaahrian était enfin tout près du but. Il était à Ardamir, là où sa tante habitait et où son père avait lui-même vécu. Cet endroit était insensé aux yeux du demi-elfe, comme s’il était tiré d’un rêve. Il était pourtant bien réel et les elfes qui y vivaient l’étaient eux aussi. On le regardait toujours un peu curieusement. Il ne sentait pas de méfiance, mais on se demandait vraiment ce qu’il faisait là. La surprise était plus grande encore lorsqu’il se présentait. Ils connaissaient ce nom. Ils avaient connu son père. L’intérêt pour sa personne devenait plus grand encore, mais il devinait aussi de la déception dans leur regard. Zaahrian n’était as l’héritier qu’on aurait espéré d’Halandarin. L’assassin était la preuve vivante que les choses ne vont pas toujours comme on le voudrait, mais que ce n’était pas forcément mauvais non plus. Il faut simplement avoir l’esprit ouvert.

Malgré tout, c’est assez rapidement qu’on lui indiqua la maison de sa famille. C’était bien plus facile que prévu. Zaahrian était prêt à les supplier, mais il n’aura pas eu à se rendre jusque-là. Il n’avait plus qu’à suivre les indications. À mesure qu’il s’approchait de la demeure, les pensées commencèrent à se bousculer dans sa tête. Allait-elle être heureuse de le revoir? Leur séparation avait été brutale. Une troupe d’elfes s’était produite à Thaar et Zaahrian avait pensé que ce serait une bonne idée si Ciryië se joint à eux. Ils avaient été les aborder et c’est sans hésitation qu’ils invitèrent la petite elfe à venir avec eux. Zaahrian n’eut même pas le temps d’organiser une petite fête pour le départ. Il était convaincu qu’elle reviendrait avec lui au moins pour une soirée, sinon quelques jours. Mais non… Ce fut plus difficile que prévu pour lui, mais il savait que c’était la meilleure chose qui pouvait arriver à sa tante. Elle était en sécurité ici et il espérait la retrouver heureuse. Il espérait surtout qu’elle ait recommencé à sourire…

Techniquement, la maison était enfin en vue. À ces yeux, toutes les demeures qu’il avaient croisées jusqu’à maintenant étaient de véritables palais suspendus dans la canopée. Zaahrian ne pouvait donc pas dire si la demeure des Las’Danir était plus importante ou non par rapport aux autres. Son cœur faisait des bonds dans sa poitrine lorsqu’il s’approcha de l’entrée. Qu’est-ce qu’il fallait dire? Depuis qu’il était ici, il essayait d’apprendre un peu la langue et il était presque certain de savoir dire bonjour en elfique, mais s’il se trompait dans sa prononciation, ça pouvait aussi être très embarrassant. Est-ce que ça valait la peine de courir le risque? Non. De toute façon, il aura bien d’autres occasions de passer pour un idiot ici. Zaahrian toqua doucement à la porte et inspira profondément. Il se demandait encore ce qu’il allait dire lorsqu’on lui ouvrit et qu’une silhouette apparut dans l’embrasure. À ce moment, son cerveau cessa complètement de coopérer et la seule chose qu’il trouva à dire fut. « Coucou, c’est moi, Zaahrian… Las’Danir. » Parce que ce n’était pas sa tante qui avait ouvert et qu’il n’avait pas la moindre idée de qui se tenait devant lui, il se senti obligé de spécifier. Il avait fait bien pire comme introduction.

8ème ennéade
Automne, Barkios de l'An 17:XI

La femme qui avait ouvert la porte avait les cheveux cachés par un voile aussi sombre que sa robe. Elle dévisagea le nouveau venu. C'était un être des plus surprenants. Le demi-elfe n'était clairement pas un anedhel et sa façon de saluer une inconnue était on ne pouvait plus cavalière. Cependant, le prénom ne lui était pas inconnu et ce ne fut que lorsqu'il donna son nom de famille qu'une lueur de déduction se mit à briller dans ses yeux. Elle faisait enfin le rapprochement entre cet étranger et les récits qu'elle avait entendu de la connaissance qu'ils avaient en commun.

-Oh, je vois. Je suis Ashera, prêtresse de Tari. C'est moi qui suis chargée de soigner Ciryië. Elle m'a parlé de vous. Elle s'écarta de la porte pour lui laisser le passage. Entrez, je vais leur dire que vous êtes là.

La jeune femme referma derrière le nouveau venu et lui fit signe d'attendre là. Puis elle s'éloigna, le laissant seul dans cet espace qui servait à la fois d'entrée et de couloir. La maison dans les arbres étaient à la fois grande et atypiques aux yeux d'un thaari. Des branches pénétraient à l'intérieur çà et là tandis que la construction cherchait à se marier avec cette petite intrusion plutôt que de s'en défaire. La demeure était sur deux niveaux mais une marche ou deux étaient parfois nécessaires pour passer d'une pièce à l'autre. Ainsi, si le plafond était à la même hauteur partout, il paraissait plus ou moins haut en fonction de l'endroit où on se trouvait. De là où il était, Zaahrian pouvait apercevoir un salon ouvert sur l'entrée et éclairé par une grande fenêtre donnant sur le feuillage ainsi que l'entrée de la cuisine et, un peu plus loin, de la salle à manger. De l'autre côté se trouvait un escalier qui montait à l'étage et que la prêtresse avait emprunté.
Tandis qu'il attendait, un mouvement put attirer l'attention de l'assassin. A moins que ça ne soit le sentiment d'être observé ? Sortie de nullepart, une petite elfe se tenait là. Ses cheveux noirs étaient un peu plus longs que la dernière fois qu'ils s'étaient vus. En dehors de cela, elle n'avait pas changée. Elle le regardait avec ses yeux bleus clairs tandis que son visage figé semblait toujours aussi incapable de transcrire la moindre émotion. La seule chose qui avait peut-être changé, c'était sa posture. Elle semblait parfaitement détendue. Presque sereine.

-Tu en as mis du temps.

Zaahrian avait envie de disparaître entre les lattes du plancher. Stupidement, il a pensé que ce serait sa tante qui ouvrirait d’où la façon de se présenter à la porte. Il devrait pourtant savoir que ça ne risquait pas d’arriver à moins d’un vrai miracle. Penaud, il suivit la femme à l’intérieur. L’une des premières choses que Zaahrian a remarquées depuis son arrivée ici c’est que tout est construit en fonction de la taille des habitants. L’assassin ne craignait donc plus de se fendre le crane dès qu’il franchissait le cadre d’une porte. Il était même parmi les plus petits ici alors qu’il ne pensait jamais se retrouver dans cette situation. La maison était à l’image de tout ce qu’il avait vu jusqu’à présent avec l’espace de vie cohabitant avec la nature environnante. Ça l’impressionnait toujours autant, mais cette demeure était encore plus spéciale à ses yeux : sa famille y vivait.

Il attendait sagement lorsqu’un mouvement attira son attention. Il se retourna juste à temps pour voir sa tante. Elle n’avait pas vraiment changé. Elle avait le visage aussi impassible que dans ses souvenirs. Pourtant, Zaahrian pouvait voir le changement chez elle. Ciryië semblait beaucoup plus détendue. Elle était bien et ça faisait plaisir à voir. Et la première chose qu’elle lui dit le fit éclater de rire.

« Attends, c’est vraiment la première chose que tu trouves à dire à ton neveu préféré? Bon, je l’avoue, j’ai été retenu et j’ai peut-être un peu traîné les pieds, désolé. Cela dit, l’Anaëh ce n’est pas spécialement la porte d’à côté, tu sais. »

Le sourire de Zaahrian était aussi lumineux qu’un rayon de soleil. Il était vraiment heureux de la revoir. Il avait fait tout ce chemin juste pour ça et ça en valait la peine.

« Tu m’as manqué. La maison est vide sans toi même si tu n’étais pas une invitée particulièrement bruyante… J’aimais bien savoir que tu étais là et te refiler tous les bouquins que je pouvais trouver… Comment vas-tu? »

Et Zaahrian, fidèle à lui-même, ne pouvait pas s’empêcher de parler.

Macabre pencha la tête sur le côté, semblant ne pas comprendre. Zaahrian disait souvent des choses étranges. Et lorsqu'elle demandait ce que cela voulait dire, il répondait que c'était de l'humour. Malheureusement pour lui, la petite elfe y avait toujours été hermétique et les choses ne s'étaient pas arrangées sur ce point...

-Tu es mon seul neveu. Fit-elle simplement remarquer.

Aux douces paroles de l'assassin quant à l'effet que lui produisait l'absence de sa tante, cette dernière n'eut rien à rétorquer. Elle ne connaissait pas les sentiments qu'il exprimait. Il y avait bien une personne dont elle avait toujours réclamé la présence mais cela s'apparentait pour elle à un besoin plus qu'à un manque. Pourtant, les deux notions étaient si proches... Mais pas dans son esprit tortueux.

-Je vais bien. Ils ont vérifié que mon corps était réparé. Ils essaient de réparer ma tête. De me rendre normale.

Voilà ce qu'elle avait compris du suivi que lui offrait Ashera. Ciryië avait depuis longtemps conscience de ne pas être comme tout le monde, de marcher sur la terre des vivants sans la comprendre et sans vivre vraiment. Elle ne se souvenait pas avoir déjà perçu les choses autrement, aussi cela ne la choquait-elle pas. Cependant, elle connaissait désormais le sentiment d'être étrange aux yeux des autres et elle le supportait finalement assez mal. Alors elle faisait l'effort d'écouter et de tenter de faire sienne les notions qu'on lui expliquait. Ce n'était pas facile cela dit...

La petite elfe tourna la tête vers l'escalier. Un mouvement avait attiré son regard bien avant que le son des pas qui descendaient les marches ne se fasse entendre. Le bas d'une robe apparut, d'une teinte bien trop claire pour appartenir à la prêtresse de la Voilée. Peu à peu, la silhouette d'une femme de grande taille se détacha du plafond jusqu'à ce que son visage n'apparaisse. Ses yeux couleur de pluie se tournèrent vers le nouvel arrivant. La ressemblance avec la tante du vaani était frappante même si ses traits tirés trahissaient son âge ou bien les épreuves qu'elle avait traversé. En découvrant le demi-elfe, elle s'arrêta. Malgré son expression plutôt terne, elle semblait troublée. Elle voyait un peu de son fils en lui...

-Bonjour Zaahrian. Ciryië t'a sans doute parlé de moi. Je suis Maliss, sa mère. Et... Ta grand-mère.

La petite elfe avait eu largement le temps de raconter tout ce qu'elle avait vécu. Elle ne s'était pas étendu sur le Puy et Don'dar auxquels elle ne voulait plus penser. En revanche, elle avait déjà évoqué plus d'une fois le fils d'Halandarin qui avait risqué sa vie pour la sauver avant de prendre soin d'elle. Ses explications étaient décousues mais un peu de temps et de réflexion avaient permis à l'elfe millénaire de faire les liens entre ses différents récits. Elle savait donc parfaitement qui était cet homme et ce qu'elle lui devait pour jouir à nouveau de la présence de sa fille.

« Je sais, c’était de l’humour. Un jour tu comprendras toutes les subtilités des conneries que je peux dire en une seule journée. En même temps, ça ne serait peut-être pas forcément une bonne chose pour moi. Tu pourrais en venir à croire que je suis un imbécile alors que mon seul et unique but est de t’arracher un sourire. »

Zaahrian s’approcha d’elle tout en veillant à garder une distance raisonnable avec la petite elfe. Elle n’aimait pas qu’on soit trop près d’elle et encore moins qu’on la touche. C’était difficile pour Zaahrian qui pouvait se montrer particulièrement câlin avec les gens qu’il aimait.

« Tu sais, je pense que la normalité c’est quelque chose de très relatif qui varie beaucoup d’une personne à l’autre et je pense très sérieusement que la vie est bien plus intéressante quand on est un peu bizarre. » Son sourire s’attendrit. « Ne t’inquiète pas, mon affection pour toi ne changera pas quoi que tu deviens. L’important est que tu sois heureuse et j’ai quand même traversé la moitié du monde connu juste pour m’en assurer. »

Il savait que beaucoup de choses échappaient à la compréhension de la petite elfe. Elle n’arrivait pas à percevoir les émotions et à les comprendre. Elle prenait tout au pied de la lettre, mais ça n’empêchait pas Zaahrian de la traiter comme si elle était parfaitement normale. Elle n’était pas une petite chose fragile qui avait besoin d’être couvée. En plus, elle était techniquement bien plus vieille que lui. C’est elle qui devrait le traiter comme un gamin et si ce jour devait arriver, il sera intraitable juste pour l’embêter. En vrai, il était prêt à donner tout son argent pour l’entendre le gronder. Il serait incapable de garder son sérieux.

Son regard suivit celui de Ciryië et vit la femme descendre l’escalier. Sa première pensée fut sur la ressemblance entre elle et sa tante et il comprit aussitôt qui elle était. Le sourire de Zaahrian s’effaça et il devint soudainement très sérieux, presque timide en fait.

« Oui, elle m’a parlé un peu de vous et, pour être parfaitement honnête, ça fait un peu bizarre de vous rencontrer. »

En réalité, il n’avait pas du tout pensé à elle en venant ici. Il se souvenait que Ciryië ait mentionné son nom à quelques reprises en spécifiant qui elle était. Cela dit, le fait qu’il ait une grand-mère encore de ce monde était un concept qui lui semblait tout simplement impossible. Mais voilà, Maliss est une elfe. Du coup, oui, elle pouvait être sacrément vieille et être toujours de ce monde. Maintenant qu’elle se tenait devant lui, impossible de nier son existence. Elle était même vraiment jolie pour une grand-mère, mais si elle n’était pas ratatinée, toutes les mamies ont le point en commun de retirer une immense fierté de leur progéniture, surtout leurs petits enfants. Zaahrian savait très bien qu’il n’était pas forcément le petit fils qu’elle attendait...

Heureuse. Voilà un mot qui fit se perdre momentanément l'esprit de la petite elfe dans ses propres méandres. Tout le monde lui évoquait cette notion mais elle ne signifiait rien pour elle. Le bonheur était une notion qui demeurait encore inconnue à Ciryië à ce jour. Elle y était hermétique, comme pour beaucoup d'autres choses. Tous les beaux sentiments semblaient lui être interdits. Toutes les belles choses que la vie pouvait offrir, elle ne ressentait rien face à elles. La splendeur d'un paysage, la beauté de paroles sincères, le message silencieux contenu dans un simple geste ou un regard... Elle voyait tout cela sans comprendre. Malgré les explications. Malgré les exemples. Malgré les répétitions...

Macabre releva les yeux vers la scène qui était en train de se jouer devant elle et qui ne lui évoquait rien non plus. Elle ne voyait pas le sens caché derrière leurs mots. Elle n'imaginait pas les sous-entendus de Zaahrian dissimulés dans cette phrase. Maliss, en revanche, l'entendait et le percevait tout à fait. Elle esquissa un discret sourire et posa sur lui un regard plus doux que ce à quoi il devait s'attendre. Elle n'avait rien contre lui, contrairement à ce qu'il craignait.

-La réciproque est tout aussi vraie. J'ai eu du mal à croire Ciryië lorsqu'elle m'a dit qu'Halandarin avait eu un enfant. Seulement, elle est incapable de mentir. Et maintenant que je te vois, il me serait difficile de le nier encore.

S'il avait rencontré son père, alors le demi-sang savait très certainement à quel point il pouvait lui ressembler. Elle le devinait derrière ses traits, le revoyait dans ses yeux, l'apercevait dans son sourire... Oui, c'était bien lui. Son fils vivait en lui.
Une ombre de profonde tristesse passa dans le regard de la dame elfe qui détourna la tête. Dans une grande inspiration, elle se tourna vers sa fille.

-Bien. Puis elle revint sur son petit-fils. Si nous prenions un thé ?


*****************


Ashera s'était éclipsée, laissant les Las'Danir entre eux. Si elle devait toujours faire en sorte de demeurer disponible pour Ciryië, Zaahrian devait encore s'intégrer dans sa nouvelle famille et la prêtresse n'avait pas sa place dans une telle situation. Elle avait donc préféré s'en aller avant le début du thé. A présent, tous trois étaient installés dans le salon. Une baie vitrée en forme de demi-cercle donnait une vue magnifique sur les feuillages orangers et la cité en contre-bas. Le soleil se reflétant entre les branches illuminait la pièce d'un éclat automnal. La petite elfe était assise en tailleur sur un fauteuil. Il avait été difficile de lui faire perdre cette habitude qu'elle avait reprise de s'installer à même le sol. L'assassin n'y était guère arrivé, lui apportant simplement un peu plus de confort. A présent, elle acceptait de se mettre à la même hauteur que ses congénères mais elle n'en avait pas encore le réflexe. Elle avait commencé par vouloir s'asseoir par terre avant que sa mère ne la reprenne gentiment. Elle ne cherchait pas à la gronder, seulement à lui rappeler qu'elle était l'une des leurs, ni plus ni moins. Surtout pas moins...

La cuillère de Maliss tinta contre la porcelaine tandis qu'elle mélangeait son miel à son thé. Puis elle la reposa dans sa sous-tasse avec délicatesse. La dame était non seulement très grande mais d'une grâce rare. Son dos était droit et son menton toujours redressé. Les années et les épreuves l'avaient néanmoins rendue un peu moins souple et on sentait une certaine raideur dans ses muscles. A moins que ce soit dû à la situation présente qui n'était confortable pour personne.
Sauf pour Macabre, peut-être...

-J'espère que la route ne t'a pas été trop pénible. Mais tu sembles avoir été plutôt bien accueilli si tu as pu arriver jusqu'ici.

La dame ignorait encore que son petit-fils avait déjà fait le voyage une fois mais avait dû faire marche arrière après avoir été soigné. A priori, il avait dû passer par Celimë, comme tous les étrangers souhaitant pénétrer en Anaëh. Et, à moins d'être très chanceux, il n'aurait pu trouver la piste menant jusqu'à Ardamir sans aide.

-Tu es venu seul ?

Si aujourd’hui Zaahrian fut flatté d’entendre Maliss dire qu’il ressemblait à son père, ça n’a pas toujours été le cas. Pendant un bonne partie de sa vie, il a maudit son sang elfique, convaincu que sa mère avait été violée. C’est qu’elle n’a jamais vraiment parlé de lui, laissant l’imagination de Zaahrian combler les trous. Maintenant qu’il connaissait leur histoire, il comprenait que le silence de sa mère était celui d’un cœur brisé.

« C’est les oreilles, n’est-ce pas? C’est forcément les oreilles! » Évidemment, Zaahrian la taquinait.

++

L’assassin baissa les yeux vers son infusion. Il n’avait pas souvenir qu’on l’ait déjà invité à prendre le thé. Oh, on lui avait déjà fait avaler de force des infusions, mais c’est parce qu’il était blessé et affaiblit. Ça lui donnait donc l’impression d’avaler quelque chose de bon pour son corps à défaut d’être bon au goût. Ce n’était pas dégueulasse, mais on aurait pu lui servir de l’eau chaude et Zaahrian n’aurait pas fait la différence. Pire encore, devant sa grand-mère, l’incarnation même de la grâce immortelle, Zaahrian avait l’air d’un gros lourdaud maladroit. Autant il pouvait se déplacer aussi silencieusement qu’un félin et manipuler les armes avec une précision meurtrière, autant l’art de boire le thé avec élégance n’avait jamais fait partie de sa formation d’assassin. Même le tintement de la cuiller de Maliss sonnait comme un doux carillon alors que Zaahrian avait peur de faire éclater la délicate tasse entre ses doigts s’il serrait trop fort. Il était habitué aux pichets robustes des tavernes, ceux que l’on peut utiliser pour fendre le crâne de son adversaire lors d’une bagarre. Là, tout ce qu’il pourrait faire avec cette tasse c’est se donner une écharde.

« Ah oui, bien mieux que je pensais, pour être honnête. Surtout que je ne suis pas venu seul, mais avec un humain, ce qui rend probablement ma présence ici encore plus extraordinaire. » En dehors de sa zone de confort, tout ce que Zaahrian pouvait faire c’est d’agir comme si tout allait bien en espérant de pas s’attirer les foudres de sa grand-mère s’il devait détruire l’une de ses tasses par accident. « J’ai toujours entendu dire que les elfes n’aimaient pas trop les gens dans mon genre ni les étrangers en général, mais je voulais faire le voyage… Je voulais… voir. » Il haussa les épaules. « Je m’étais préparé à l’éventualité d’être refoulé à la frontière. Dans ce cas, j’aurais fait transmettre un message. Je suppose qu’on ne me l’aurait pas refusé. » Zaahrian porta la tasse à ses lèvres et en but une gorgée. Vraiment, il ne faisait ça que par politesse.

Maliss sembla d'abord surprise en apprenant qu'un éphémère avait accompagné son petit fils. Puis elle posa les yeux sur Ciryië qui ne lui renvoya que de son impassibilité habituelle. Cependant, elle n'avait pas besoin d'une expression de sa part pour se remettre en mémoire les récits de sa fille. Malgré son âge, elle avait une excellente mémoire.

-Ah oui... Ce... Léonie. C'est de lui dont il s'agit j'imagine ? Demanda-t-elle en revenant sur Zaahrian.

La taledhelle avait un peu de mal à accepter tout cela. Un descendant demi-elfe, vivant en Ithri'Vaan, attiré par les hommes et en couple avec un humain. Elle s'y efforçait pourtant. Elle faisait tout pour. Mais s'il lui avait fallu du temps pour autoriser un homme... un elfe à faire montre de ses sentiments envers sa fille, cette épreuve-ci se révélait plus difficile encore. Mais elle voulait y parvenir.

-Il... Faudra nous l'amener la prochaine fois. Fit-elle en se forçant à sourire aussi amicalement et sincèrement que possible. J'aimerais... Comprendre comme tu vis et... Apprendre à te connaître.

Ciryië était loin de prendre toute la mesure de ce qui se jouait devant elle. Sa mère avait passé le millénaire avant sa naissance, qui n'était plus attendue ni espérée. Chambouler sa vision du monde était un exercice extrêmement compliqué à son âge. Seulement, après avoir perdu son époux, son fils mais aussi sa fille par deux fois, elle réalisait qu'elle devait s'attacher au peu de famille qu'il lui restait. Et, qu'elle le veuille ou non, que la chose soit ou non aisée pour elle, Zaahrian en faisait partie. Elle devait donc l'accueillir tel qu'il était. Avec ses manières venues d'ailleurs, son passé douloureux et son humour étrange.

-Il est dommage que tu arrives juste au moment où nous allons nous absenter pour plusieurs ennéades. Comptes-tu rester longtemps ?

Son intérêt pour la réponse du vaani était sincère. Si elle n'aurait que peu de temps à lui accorder dans les jours qui suivraient, elle espérait pouvoir passer plus de temps avec lui à leur retour.

« Vraiment? Avoir su, je serais arrivé plus tôt… En vérité, je ne sais pas exactement combien de temps je vais rester, mais je vais essayer de vous attendre. » Zaahrian était un peu déçu d’apprendre qu’elles seront absentes pendant un moment, mais que pouvait-il y faire? Il pourrait peut-être essayer de s’incruster dans leur expédition, mais voudraient-elles de lui?

En mentionnant qu’il était venu avec un humain, Zaahrian avait jeté un léger froid dans la conversation. Il aurait dû s’attendre à ce genre de réaction, mais l’assassin n’avait tout simplement pas réfléchi. Pour lui, sa présence était parfaitement naturelle et s’il avait choisi de ne pas l’amener ici aujourd’hui, c’était simplement pour profiter un peu plus de ses retrouvailles avec Ciryië. Léonie comprenait le lien spécial qui les unissait et lui laissait donc ce moment en tête à tête. Il y aura certainement d’autres occasions, de toute façon. Mais il n’y avait pas que ça. Zaahrian n’était pas con. Il savait bien qu’il n’était pas ce que Maliss aurait espéré d’un petit fils. Non, il n’avait rien du vaillant guerrier elfique en armure étincelante, prêt à défendre de sa vie ces terres immortelles. S’il lui disait qu’il n’avait aucun sens de l’orientation en forêt et qu’une fois il a même gravé des organes géniaux mâles sur des troncs d’arbre afin de marquer son chemin, elle en ferait certainement une attaque. Tout ce qu’il pouvait essayer de faire, c’était de lui montrer qu’être différent ne veut pas dire être mauvais.

« Ma façon de vivre… Il y a beaucoup de choses à raconter, c’est certain! J’ai quand même 109 ans, mais pour être honnête, je ne pensais pas dépasser les 100 ans et chaque fois que mon anniversaire arrive, je suis toujours un peu surpris. Ah tiens, une autre année de passé et je n'ai toujours pas fini la gorge tranchée dans le fonds d'une ruelle!» Soudainement, Zaahrian devint un peu plus sérieux. S’il souriait toujours, il n’arrivait pas à cacher complètement la déception dans ses yeux. En présence de sa famille, il n’avait pas de masque qui tenait. « Malheureusement, mon histoire n’est pas heureuse et je ne pense pas que vous serez très ravie de l’entendre. J’ai parfaitement conscience de ne pas être le petit-fils idéal. Je vois que vous n’êtes pas entièrement à l’aise. J’ai été entraîné à déchiffrer le comportement des gens et je remarque ce genre de détail. Je vois aussi que vous faites de gros efforts pour que ça fonctionne et j’en suis touché, vraiment. » Il la regarda dans les yeux. « Laissez-moi simplement vous dire ceci : je ne peux pas changer ce que je suis, je n’ai pas choisi d’être, mais je suis là et je fais mon possible. » Il regarda en alternance sa tante ainsi que sa grand-mère. Zaahrian n’était pas là pour causer des problèmes et il espérait vraiment qu’on l’accepterait tel qu’il est. « Je peux aussi dire que je serai toujours là pour chacune de vous, peu importe le risque. Ciryië peut en dire quelque chose.»

Maliss hésita un instant. D'un côté, elle aurait voulu être parfaitement honnête avec son petit-fils, c'était un membre de la famille après tout. Mais, de l'autre, elle ne le connaissait que si peu finalement. Pouvait-elle réellement se permettre de tout lui dire ? Même des secrets conservés par les anedhels depuis des cycles ? Non, certainement pas. Elle se contenterait donc du minimum requis pour lui répondre.

-Nous ignorons également combien de temps nous seront parties. Puis son regard se tourna vers Ciryië pour faire comprendre qu'elle serait la raison de leur absence prolongée. Les Taledhels... Les elfes des cités ne peuvent pas faire beaucoup pour elle. Les soins sont très lents... Et la magie de l'esprit l'a tellement affectée qu'il est impossible d'en faire à nouveau usage sur elle pour la guérir. Elle revint sur Zaarhian pour achever son explication. Le clan de Miresgal s'est proposé pour nous aider, en remerciement pour avoir sauver une des leurs. Les Noss n'utilisent pas les mêmes soins que nous et chaque clan a sa spécialité. Quelques Mirtil'Di vont nous escorter à travers l'Anaëh sauvage à la recherche de quelqu'un qui sera peut-être en mesure de la soigner plus rapidement, afin qu'elle puisse enfin profiter de sa vie.

La légèreté avec laquelle le demi-elfe parla de sa mort éventuelle choqua quelque peu sa grand-mère qui se contenta de déglutir dans un clignement d'yeux. Elle savait que la vie en Ithri'Vaan était très différente de celle des anedhelles et ses paroles ne faisaient que lui faire découvrir à quel point. La mort n'était pas un sujet dont on plaisait en Anaëh. Non pas pour des raisons religieuses mais parce que les elfes mettaient la vie en priorité dans toutes leurs actions. La mort, si elle devait survenir, n'arrivait qu'en cas de réelle nécessité.

-Je suis consciente... que ton mode de vie m'est totalement étranger. Et je ne ferais pas mine d'essayer de le comprendre d'une manière ou d'une autre. Je suis trop âgée pour cela. En revanche, ce que je peux faire, c'est t'accepter, toi. A partir du moment où tu respectes les quelques règles de vie que nous avons ici, tu seras toujours le bienvenu. Elle se tourna à nouveau vers sa fille. J'ai accepté Ciryië telle qu'elle est, en sachant ce qu'elle à fait et en sachant qu'elle n'en éprouve aucun regret.
-J'ai fait ce qu'on me demandait. Se contenta de répondre la jeune fille de sa voix monocorde.
-Je sais. Et je sais aussi que, de toi-même, tu n'as jamais fait de mal à qui que ce soit. Alors, même si je ne comprends pas, j'accepte. Tu es ma fille. Et quelqu'un de bien, malgré ce que tu as pu faire. Elle revint une nouvelle fois sur Zaahrian. Tu es mon petit-fils. Et être un assassin ne t'empêche pas d'être quelqu'un de bien, toi aussi.

Ces histoires avec la magie… Zaahrian n’y comprenait rien. Ça le dépassait et probablement que Maliss put voir les points d’interrogation dans le regard de son neveu alors qu’elle expliquait ce qu’ils allaient tenter de faire pour Ciriyë. Il savait que la magie était dangereuse et que, pour certains, il suffisait d’agiter les doigts pour tout faire exploser et laisser derrière ruines et dévastation. Personne ne devrait avoir le droit d’avoir un tel pouvoir, car il connaissait suffisamment la nature des gens pour savoir que même quelqu’un avec les meilleures intentions du monde pouvait être confronté à une situation qui le mettrait hors de lui et le pousserait à commettre l’irréparable. Cela dit, il savait aussi que la magie pouvait guérir et il était raisonnablement certain que sans les talents d’une jeune femme fort sympathique, il ne serait pas là à prendre le thé avec sa tante et sa grand-mère. Comme quoi même la magie n’était pas toute blanche ou toute noire.

« Oh, Miresgal… Je pensais aussi la revoir en venant ici, mais je comprends qu’elle ne vient pas des cités. Enfin, je le savais pour le peu qu’on a pu discuter ensemble… Bref, vous lui direz bonjour de ma part! Je me serai bien proposé pour vous accompagner, mais j’ai l’impression que je ne serai pas le bienvenu. De toute façon, dès qu’il y a de la magie d’impliquée, je préfère garder mes distances. Honnêtement, j’y comprends rien, mais si ça peut lui faire du bien, ça vaut la peine d’essayer. »

Un sourire taquin se dessina sur ses lèvres, lui donnant des airs d’un gamin sur le point de faire une bêtise.

« Je n’ai jamais été très doué pour suivre des règles, mais je vais faire attention. » Rien pour rassurer Maliss, mais celle-ci finira bien par comprendre que son petit-fils prenait un malin plaisir à taquiner les gens. Heureusement, elle le voyait comme quelqu’un de bien malgré tout. Elle serait peut-être tentée de changer d’avis en apprenant tout ce qu’il a pu faire dans sa vie, mais pour plusieurs de ces choses, on ne lui avait pas laissé le choix non plus. « J’essaie d’être quelqu’un de bien. Je n’ai pas vraiment choisi d’être un assassin… J’étais un enfant quand on m’a mi un couteau dans les mains. C’était une question de vie ou de mort. Apparemment, je voulais vivre, mais ça s’est fait aux dépens d’autres gamins comme moi qui n’avaient pas demandé à être là. » Il fronça les sourcils. « Pendant longtemps, je n’en avais rien à faire. C’est que je suis très doué dans ce que je fais et je crois que plusieurs ont mérité leur sort, mais un truc est arrivé et tout a changé. La mort d’Halandarin a été le point culminant dans ma chute. En tout cas, pas longtemps après, j’ai vraiment touché le fond du baril au propre comme au figuré. Je buvais tellement… Un humain ne pourrait pas boire autant que je l’ai fait sans y laisser la peau. Je voulais mourir. On m'aurais posé la question, j'aurai nié, mais c'est pourtant vrai. Je voulais mourir, mais je n'avais pas le courage de le faire moi-même. Je me disais qu'un jour ou l'autre, je finirai par me saouler en compagnie des mauvaises personnes et que ça se terminerait comme ça... Ce n'est pas arrivé. Éventuellement, j’ai fini par remettre un peu de sens dans tout ça grâce à Léonie et j'ai commencé à utiliser mes aptitudes pour aider. Je me suis retrouvé dans des situations incroyables. Vraiment, j’attire les emmerdes… Chaque fois je me dis que je vais me mêler de mes affaires, mais je recommence toujours. Du coup, soit je suis quelqu’un de bien, soit je suis un idiot… Je suis probablement un peu des deux. »

-Tu pourras la voir. Sourit doucement Maliss. Son clan sera sûrement ravi d'accueillir et de pouvoir remercier celui qui a sauvé l'une des leurs. Et puis... Miresgal ne vient pas avec nous. Malgré toute la reconnaissance et l'amitié qu'elle a pour Ciryië, elle a besoin de demeurer parmi les siens. Elle sera sûrement heureuse de te revoir.

Pendant un temps, la jeune ornedhelle avait vécu sous son toit. Pas longtemps, juste assez pour permettre à sa fille de passer sereinement la transition alors qu'elle changeait une fois encore d'environnement. Même si elle connaissait cette maison, elle n'était pas rattaché à de paisibles souvenirs... Quant à sa mère, elle ne pouvait plus l'approcher. Aujourd'hui encore, leurs contacts se faisaient rares et toujours à sens unique, la petite elfe restant maîtresse de ces rapprochements physiques inconfortables.

-Tu n'aurais en effet pas été le bienvenu. Mais pas pour les raisons que tu crois. Les Noss peuvent se montrer très étroits d'esprit. Il est des endroits reculés où même nous, taledhelles, seront tout juste tolérées. Pour ta propre sécurité, tu ne dois pas nous accompagner.

Si l'histoire de Zaahrian aurait dû choquer Maliss, elle n'en montra rien. Tout juste se contenta-t-elle de déglutir son thé avec un peu plus de difficultés. Elle ne pouvait qu'imaginer les souffrances que sa fille avait enduré et elle avait connaissance de ses crimes. Le parcours de son petit-fils n'était finalement pas si différent. Une chose était sûre, elle nourrissait de moins en moins de bons sentiments à l'égard de ces pays où la mort régnait en maître. C'était une chose si inconcevable à ses yeux que l'on puisse ainsi s'entretuer... Et pour des choses aussi futiles que des biens ou du pouvoir... Cela n'avait aucun sens pour elle.
Elle écouta malgré tout et ne put que répondre par un nouveau sourire alors qu'il évoquait ce Léonie à qui il devait tant. Ainsi donc, la mort de ce père qui ne l'avait pourtant pas élevé lui avait fait autant de mal ? Elle en était à la fois surprise et touchée. Ils avaient donc tous deux passés des heures bien difficiles suite à son décès et n'avait pu se relever que grâce à la présence d'une tierce personne.

-Nous avons des points en communs, finalement. Répondit-elle, forçant sa voix qui aurait voulu se nouer en confiant cela. Finalement, elle posa sa tasse sur la table basse et se redressa. Suis-moi. L'invita-t-elle.

Elle sortit alors de la pièce, sous le regard de la petite elfe qui pencha la tête sur le côté en voyant sa mère s'éloigner. Elle longea le couloir pour atteindre de nouveau l'entrée. Elle se dirigea vers l'escalier et monta les marches qui menait à l'étage. Il desservait un pallier composé de plusieurs portes. L'une était si faiblement entrouverte que l'on ne pouvait voir qu'un filet de lumière qui en réchappait depuis la fenêtre d'en face. Une autre donnait sur une chambre à la décoration très minimaliste et où reposait quelques livres sur le lit, dont certains encore ouverts. Les deux dernières portes étaient fermées. Elle se dirigea vers l'une d'elle, tourna la poignée et repoussa le pan de bois.
Cette troisième chambre était vide depuis longtemps. La plupart des meubles étaient recouverts d'un linge, attendant qu'on vienne les en libérer pour se rendre à nouveau utile. La poussière sur le sol trahissait l'absence de visite depuis des années. Après avoir laissé à Zaahrian le loisir de découvrir la pièce, elle se tourna à nouveau vers lui.

-C'était sa chambre. Dit-elle comme si le nom du propriétaire des lieux coulaient de source. Elle marqua une pause avant de continuer. Elle peut devenir la tienne si tu le souhaites. Et celle de Léonie, bien sûr...

Il arrivait parfois que Zaahrian, d’ordinaire peu impressionné par le danger, décidât quand même de ne pas tenter sa chance. Ici en Anaëh, il était l’étranger, il était l’autre et cette forêt était peuplé de mystères qui ne sont pas tendres avec les gens qui venu d’ailleurs. Autant il souhaitait être avec sa tante pour cette périlleuse mission, autant il comprenait qu’elle devait faire le chemin sans lui. Il y aura d’autres occasions et puis, quand il la reverra, peut-être que la petite Ciriyë sera enfin entière. Il sera là pour voir le résultat et, en fin de compte, c’était bien la seule chose qui importait vraiment.

Zaahrian suivit Maliss dans les méandres de la maison, son regard ne perdant rien des petits détails qui ornementaient les lieux. Son père avait grandi ici. Étrangement, il n’arrivait pas à l’imaginer petit. Quand il pensait à Halandarin, il ne voyait que le géant blond. Sa vie n’avait pas commencé à l’instant où il a franchi la porte de cette taverne où ils se sont retrouvés. Ironiquement, c’est là qu’elle avait failli se terminer. Zaahrian fut tellement furieux lorsqu’il comprit que l’elfe qui se tenait devant lui était son père. Sans Guilin pour l’arrêter, il l’aurait tué et Halandarin se serait probablement laissé faire, trop bouleversé par cette découverte. Il en avait appris un peu sur son père, quelques bribes d’une longue existence, mais à bien des égards, il était encore un étranger lorsque leurs chemins se sont séparés. Avec sa mort, l’assassin s’était résigné à vivre avec le peu d’information qu’il avait. Aujourd’hui, il avait la chance de marcher dans ses pas et de découvrir à travers le regard de ceux qui l’ont côtoyé, qui était son père.

Quand Maliss ouvrit la porte, Zaahrian sut avant même qu’elle le dise que c’était la chambre de son père. Il entra dans la pièce, silencieux. C’était bien la première fois depuis son arrivée qu’il ne trouvât rien à dire. Il fit lentement le tour de la pièce, s’arrêtant ici et là pour toucher les meubles et les objets. Il avait l’impression d’être entré dans un sanctuaire. Il se demanda si son père l’aurait laissé entrer. Après tout, c’était sa chambre, ses choses… Zaahrian lui-même était plutôt protecteur par rapport à ses affaires et n’aimait pas qu’un étranger les touche. Mais Halandarin n’était plus là et cette chambre était restée intouchée depuis longtemps.

« Merci. » Dit-il enfin après un long moment de silence. « C’est très apprécié... » Il tourna le dos à Maliss. Zaahrian était bien plus bouleversé qu’il ne l’aurait imaginé et il ne voulait pas que sa grand-mère voie ça. Lorsqu’il eut retrouvé sa contenance, il se plaqua un sourire sur le visage et se retourna vers elle pour lancer d’un ton enjoué. « Je promets de ne rien briser! »