Nombre de messages : 690 Âge : 30 Date d'inscription : 05/03/2018
Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 171 ans (An 21:XI) Taille : 1m49 Niveau Magique : Non-Initié.
Sujet: Re: [Missive@Harald] Sans frontières Lun 23 Mar 2020 - 14:37
4e jour de la Neuvième ennéade de Bàrkios An 17 :XI – Lante.
L’automne à Lante est une saison magnifique. Au loin, au Sud, les forêts du Lörn, dont la canopée forme une couverture semblable à du coton aux couleurs aussi chatoyantes qu’elles semblent avoir été peintes par un maître d’art maîtrisant une large palette de couleurs chaudes, forment de larges étendues vallonées, se mouvant aux grès des vents, telle une mer animée d’un seul et même souffle de vie. Au loin au Nord, les montagnes rocheuses de la Virnée et du Septentrion ressemblant à une véritable ceinture de chasteté, aussi solide que le plus solide des rocs et aussi impénétrable qu’un buisson d’épine aux branchages entremêlés. Véritable frontière naturelle, Harald, Gazanundi de Lante et fidèle représentant de son espèce, ne peut s’empêcher d’imaginer que là-haut, dans les monts, se trouve l’antique cité de Molgrunn retrouvée voilà seulement deux ans maintenant. Puis, un écho. Tel le son d’une goutte d’eau tombant d’un feuillage jusque dans une mare d’eau, Harald se souvint soudainement du tombeau retrouvé à Thanor, d’un des descendants de la lignée de Tharkan. Qui pourrait croire que là-bas, loin au Nord, par-delà les monts et les sommets, après des falaises abruptes et des parois apiques, se trouve l’antique cité d’Ankorong détruite voilà des cycles. Y aurait-il un jour, proche ou lointain, où les Nains du Zagazorn retrouveraient cette antique cité, première capitale Naine, socle de tellement de légendes, de récits et de contes ? Le vieux guerrier se prend à espérer, silencieux, appuyé sur le balcon au plus haut étage du « Palais » de Lante, au centre de la ville. Là, si haut, il peut poser ses yeux sur les plaines du Brissalion, son fief. La frontière avec le peuple Elfique est toute proche, et avec elle, les souvenirs de l’entrevue avec Artion en l’an 15, le Roi des Elfes, et avec un autre représentant de ce peuple, plus récemment.
C’est alors que retentirent dans les escaliers rocailleux du Palais de Lante, les pas métalliques d’un cognard essoufflé et tout d’armure vêtu. Le cognard en question venait de recevoir d’un maître des corbeaux, une missive cachetée du sceau des Elfes, dotée d’un petit paquet correctement ficelé et solidement harnaché. Le maître des corbeaux avait reçu un couple de faucons, et avait dit au cognard messager ceci :
- Dawi ! Prend donc c’te missive et va-t’en la porter au Gazanundi dans les délais les plus brefs ! Ce sceau témoigne d’un message d’la plus haute importance !
Et le cognard avait fait au plus vite. Nul doute que dans les rues, certains auraient cru qu’il était poursuivi par le Grand Vers lui-même, qu’il venait de découvrir un gisement d’or et de diamant, ou qu’il avait simplement fait face à Mogar en personne, tant il avait couru vite et loin, sans prendre ni le temps de respirer ni celui de ralentir. Oh, quelques marchands eurent à souffrir d’une bousculade, d’un coup d’épaule – fait d’armure cela ne devait pas être agréable – ou bien d’un coup de botte sur le dos du pied, mais la mission était en passe de réussir, car enfin, il avait trouvé Harald. Essoufflé, quelque peu étourdit par la course effrénée qu’il venait d’accomplir sans préparation ni semonce aucune, il se présenta devant les yeux écarquillés du Gazanundi qui, l’espace d’un instant, croyait à une invasion Wandraise ou à la découverte d’un volcan de Mogarium juste sous la cité.
- Eh bien jeune barbe, cesse donc d’t’étriper et r’prend ton souffle ! T’as l’renifloir qui cherche l’air comme un Umgi r’cherche une bourse pleine d’souv’rains. Qu’est-ce qui t’amène aussi vite ? Demanda Harald, quelque peu interloqué et amusé de voir ainsi un jeune Nain être au bord du malaise après un tel effort, juste après la collation d’après-midi. - Gazanundi ! Dit-il, chaque mot semblant si difficile à être prononcé. Une missive ! D’la plus haute importance, qu’y dit l’maître d’corbeaux ! Deux faucons ! Et… L’sceau… - L’sceau d’Artiön, l’Roi des Elfes d’Anaëh. Par Ikthor !
Harald était resté très discret quant aux discussions issues de ce concile frontalier, le premier depuis des cycles. Certains anciens, thanes et conseillers, s’étaient montrés si pressant que le Gazanundi avait été obligé de laisser fuiter des informations. La grogne était quelque peu montée, alors que certains Lantais – ou certains réfugiés issus du Voile et venant de Kirgan, d’Almis ou de Thanor – étaient réticents à l’idée de laisser déambuler, même sous surveillance, des oreilles pointues dans le Lörn, cette région durement conquise, au prix de milliers de vies Dawis qui, voilà plusieurs cycles, livrèrent d’affreux combats jusqu’à la Bataille des Mille-Souches. Outre le souvenir largement partagé par les Nains aujourd’hui, il reste l’apparence de la forêt, faiblarde, n’ayant jamais pu reprendre sa force et sa grandeur d’antan. D’autres Dawis pensèrent qu’il s’agissait d’un mal pour un bien. Lante, pleinement engagée dans les chantiers de l’Ungordrinin, engageants de grands frais dans le maintient de l’Hunzrung-Langk, et envoyant vivres, main-d’œuvre et ressources à Molgrunn la retrouvée, avait cruellement besoin d’optimiser l’utilisation de son environnement et de ses ressources naturelles. Et les Elfes étaient, il fallait bien l’avouer, passés maître dans le développement durable des ressources et du respect de l’environnement. Deux poids, deux mesures, qui échangèrent longuement face à cette décision prise par Harald. Celle-ci ne faisait donc pas l’unanimité, mais le Gazanundi, chef de guerre, héro de guerre et descendant d’un clan maintes fois héroïque, avait la confiance de ses ouailles. Aussi devait-il jouer finement, et ne point faire chavirer sa barque.
Il se rendit le plus rapidement possible jusqu’à ses bureaux, risquant à plusieurs reprises de prendre ses pieds bottés d’acier dans sa grande cape de velours flanquée des armoiries de la ville. Une fois arrivé, il s’installa, prit sa pipe préalablement bourrée de tabac, l’alluma et lit avec attention la missive dont l’écriture trahissait une volonté de l’interlocuteur de se rapprocher de l’écriture des Nains, quand bien-même celle-ci était, parfois, hésitante. Sans doute le vieux Nain pouvait-il saluer cette initiative du Roi des Elfes. Il lit la missive avec une attention toute particulière.
Lire le mot « ami » en début de lettre, provoqua chez Harald un léger sursaut. Ses petits yeux vissés dans ses orbites s’écarquillèrent. Ses sourcils broussailleux firent de même, celui de droit s’élevant tandis que celui de gauche s’abaissa, dans une mimique circonspecte. Un Elfe qui ose appeler un Nain, un « ami ». Quelle étrange sensation, quelle étrange situation. La dernière fois qu’un Nain et qu’un Elfe durent s’appeler « ami » doit remonter maintenant à des siècles, si ce n’est plus.
Le reste de la missive était toute aussi intéressante. Le Roi des Elfes, partageait avec Harald un savoir et une connaissance que les Nains connaissaient sans réellement la mesurer. Les Nains savaient les Elfes proches de la nature, par une force, une entité, ou quoi que ce soit qu’eux, peuple du Nord, du sol et de la terre, n’arrivaient pas à comprendre, à apprécier ou même à approcher. Les Nains étaient respectueux de leur environnement, bien plus que la plupart des autres races, mais bien moins que les Elfes, passés maîtres dans la maîtrise de leur environnement et de l’exploitation durable des ressources naturelles. Et les Elfes possèdent ce lien, liant chacun d’entre eux à ce que la forêt, la nature, possède comme aura, comme mémoire. Ainsi, le Lörn possède une importance bien plus grande pour les Elfes que ce que les Nains purent penser jusqu’ici. Harald prenait la mesure de cette nouveauté, de ces informations, et de la symbolique des décisions du concile : permettre aux Elfes de se recueillir dans cette région qui leur fut prise voilà 5 cycles, était sans doute le meilleur cadeau que la race du Nord aurait pu faire à la race des Elfes.
Puis vient le moment de découvrir le cadeau envoyé par les Elfes. La fameuse étoile à 7 branches d’or, accroché à un pendentif lui aussi en or. Ce bijou scintillant, à la pureté exceptionnelle, était un ouvrage finement ciselé, finement taillé, finement ouvragé. Les feuilles, le style, l’exécution, était typique de l’art du peuple des forêts, bien plus atypique et bien plus fin que l’art des Nains, plus brusque, plus buriné. Bien-sûr, un tel ouvrage siérait aux Elfes, et même aux nobles parmi les Hommes, qui raffolent aussi bien de la préciosité du métal que de la finesse d’exécution de l’ouvrage. Mais chez les Nains, de tels bijoux ne trouvaient généralement preneur que pour être à nouveau revendus, ou échangés via les lois du commerce. Harald ne pouvait décemment pas porter ce bijou en pendentif. Un rapprochement avec les Elfes faisait déjà jaser beaucoup de Nains de Lante, ceux qui sont pour, et ceux qui sont contre. Alors porter à la vue de tous un pendentif de manufacture Elfique, risquerait de créer plus de tensions que nécessaire, et de créer un précédent qui pourrait condamner la réputation du Gazanundi, et, si le Grand-Roi le juge nécessaire, sa place à Lante.
Il prit grand soin d’extraire le bijou de son écrin, et le plaça dans un tiroir de meuble dont seul lui avait accès. Un tiroir de bois, dans un meuble de pierre savamment taillé, parfaitement exécuté. Là, il demeurerait en sécurité, jusqu’à-ce que l’entrevue ait lieu. Cette entrevue d’ailleurs, pesait lourd sur le cœur de Harald. Il aurait espéré qu’après tant de gestes, qu’après tant d’efforts de la part des Nains, les Elfes se seraient montrées plus dignes de rencontrer le Gazanundi. Au lieu de cela, d’autres Elfes iraient se présenter à la frontière afin de jouir du cadeau offert par les Nains. Harald se sentait quelque peu spolié, trahi même. Mais le bijou offert par le Roi des Elfes traduisait sans doute une clairvoyance de la part du suzerain qui, connaissant le peuple du Nord, et les concessions faites lors du concile par un peuple que d’aucun connaissait comme cruellement autarcique et aussi buté et immuable qu’un roc, souhaitait maintenir et alimenter ce début de confiance et d’entente, et de prouver leur bonne foi. Harald, quelque peu grimaçant et bougonnant, prit quelques minutes afin de calmer cette colère sourde faite principalement de fierté.
Après tout, le Roi des Elfes avait mandaté un Elfe de confiance pour apparaître au Concile, et ce dernier avait exécutait sa mission jusqu’au bout en indiquant l’offre et les conditions des Nains. Certes, les Elfes semblaient ne pas pouvoir respecter la condition de Harald, à savoir, octroyer un passage au Lörn aux Elfes désireux d’y venir en pèlerinage, à la condition que le Roi des Elfes accepte de le rencontrer à Lante, ou en Anaëh. Harald ne connaissait que très peu la situation géopolitique en Anaëh, mais il avait reçu des nouvelles du lointain Sud. Les évènements de Sol’Dorn, l’emprise grandissante des Drows sur la lointaine Ithri’Vann, les craintes des Nains des Dunes… Ainsi comprit-il, au fur et à mesure de sa réflexion, que l’absence du Roi des Elfes indiquait une situation plus précaire encore que ce que les missives du Sud ne semblaient indiquer. Ainsi mesurait-il que, dans le Nord, on ne savait pas tout ce qui se passait dans les autres contrées, et que toute cette absence d’information, tout cet éloignement, était autant le verrou de la sécurité du peuple du Nord que son principal adversaire. L’autarcie avait permise aux Nains de se concentrer sur eux-mêmes et de se relever, et de sécuriser les frontières Sud du Zagazorn afin de se concentrer sur le Nord et les territoires perdus voilà presque deux décennies durant l’Ire du Mogar. Mais rester aveugle et sourd aux évènements et menaces qui sévissaient au Sud, c’était risquer un danger suffisamment grand pour qu’il puisse, un jour, peser sur les Nains dans le Grand Nord. Harald comprenait alors, que l’absence du Roi était probablement due à un grand danger qui guettait le Sud de son propre pays.
Cela demanda plusieurs minutes de réflexion et d’effort de la part de Harald, le Gazanundi de Lante. Le vieux guerrier, qui avait d’abord voulut réagir avec violence, hargne et colère, fierté et orgueil, avait craché son courroux dans son bureau avant de prendre enfin le temps d’analyser la situation et de mettre en commun les informations dont il disposait. Comprenant alors que les Elfes devaient sans doute être dans une terrible attente, ou faire face à un terrible danger, le Gardien des Plaines accepta de ravaler sa fierté et de faire un dernier geste à l’intention des Elfes.
Aussi s’empara-t-il de son plus beau vélin, d’une plume et d’un pot à encre de couleur légèrement bleutée, et il rédigea cette missive en Khuzdul.
Joint à cette missive, Harald emballa soigneusement une dague qu’il possédait. Etant le Thane d’un clan de guerrier, il disposait de nombreuses armes, lames et armures. L’une de ses lames, une dague d’apparat, avait été forgée par un maître forgeron de Lante. La lame portait des runes qui indiquaient « protège le peuple ». Le pommeau de la dague était fait d’un cuir tanné et coloré de rouge, les couleurs de Lante, et le bout du pommeau portait le sceau de Lante. Très légère, elle pouvait être transportée par un faucon sans problème. Harald espérait que cette missive et ce présent, seraient appréciés à leur juste hauteur.
La missive et le cadeau furent données au messager qui avait eu le temps de reprendre son souffle, et qui s’empressa d’accomplir sa mission. Harald lui, pestait légèrement en son fort intérieur. Il aurait apprécié plus de geste de la part des Elfes, plus de choses tangibles, et non seulement une lettre et un bijou. Il aurait espéré plus de choses, lui qui avait fait un si grand pas en direction des Elfes, pas qui pourrait lui être reproché si longtemps et avec tellement de véhémence. Le vieux soldat se demandait ce qui avait bien pu se passer en lui pour qu’il ait fait tant et tant face aux Elfes, sans jamais ni dégainer ni tirer la hache d’une quelconque manière que ce soit. Lui qui, à l’époque, aurait sans doute préféré se battre plutôt que de parlementer, était maintenant un dirigeant capable de décider seul. Mais il avait le goût du travail accompli, et de l’œuvre bien faite. L’autarcie avait sauvée le Zagazorn, cela était indéniable. L’inventivité, le courage, la clairvoyance du Grand-Roi, permirent à la race Naine de survivre, de s’adapter puis de s’élever. Aujourd’hui, Harald espérait avoir été digne.