Une vie sans avenir est souvent une vie sans souvenirs | Solo

Jour 5
De la 5ème ennéade
Bàrkios, an 10 du 11ème cycle

« Comment le trouves-tu celui-là ? »
« Plutôt bel homme mais pas du tout fait pour elle. »
« Alfonso peut-être ? »
« Hum, non. »
« Dario dans ce cas ? »
« Non plus… »
« S’en est assez ! »
« Que se passe-t-il ? »
« J’en ai assez de proposer des noms dans le vide, tu les refuses tous ! »
« Oui mais… Je connais mieux notre sœur que toi, je connais ses goûts, ce qu’elle acceptera ou pas. »
« Je ne pense pas que Victoria soit en mesure de choisir. Elle devrait déjà être mariée et nous ne l’aiderons certainement pas si nous n'arrivons pas à tomber d’accord sur les hommes à lui présenter ! »
« Sincèrement, Lysandra, je sais que tu veux bien faire, mais je pense que Victoria est assez grande pour… »
« Assez grande pour quoi ? » Tonna une voix qui venait de faire irruption dans le petit salon qu’occupait les deux cadettes de la famille Maldi. Le regard émeraude de la jeune comtesse parcourra un instant les portraits qui semblaient s’être amassés les uns sur les autres faisant naître ainsi bon nombre d’interrogations dans son esprit.
« Qu’est-ce que vous trafiquez vous deux ? » Demanda-t-elle alors, s’approchant de ses sœurs, le regard tout aussi inquiet que suspicieux.
« Mais… enfin… Rien voyons ! Que vas-tu t’imaginer ? »
« Elle cherche après des hommes à te présenter. »
« Julietta !! »
« Des hommes ? Comment cela ? »
« Eh bien… » Hésita la petite dernière, âgée de seulement 18 ans.
« Nous sommes mariées, Julietta et moi, nous sommes même en attente de notre première enfant. »
« Oui, c’est ce que je constate à la vue de vos deux ventres arrondis. Vous n’avez pas manqué l’idée d’enfanter en même temps. »
« Victoria… » Un léger silence s’installa, tandis que la comtesse tenta vainement de cacher sa fausse joie. En réalité, il y avait de la souffrance qui se cachait derrière ce visage fermé. La Maldi avait choisi de marier ses sœurs à des seigneurs Sybronds, recevant ainsi en échange leurs soutiens pour faire face à leur cousine ; Camille qui souhaitait tout autant que Victoria, s’accaparer le trône de Sybrondil. Mais là où elle pensait avoir forcé ses sœurs à des mariages malheureux, il en fit en réalité tout autrement, et ce, même pour la cadette, Lysandra, mariée à un homme qui a le double de son âge.

Pourtant, savoir que ses sœurs étaient heureuses dans leurs mariages devrait normalement la réjouir, mais il en était tout autrement. Non pas par égoïsme, même s’il en existait une trace en son cœur, mais pour le simple fait qu’elle-même ne pouvait être aux côtés de l’homme dont elle désirait autant le corps que le cœur. Jamais n’avait elle eu le courage d’avouer les sentiments qu’elle lui portait et sans doute jamais ne pourrait-elle le faire tant celui-ci s’était emmuré dans un silence bien trop pesant et inquiétant.

« Victoria ? »  Murmurait Julietta, la sortant ainsi de ses pensées.
« Oui ? »
« Même si je conçois que la manière présentée par Lysandra est certes des plus maladroite, elle a néanmoins raison sur un point ; il te faut te marier. »
« Je sais. »
« Surtout que tu viens de fêter ton vingt-cinquième anniversaire… »
« Oui, il ne faudrait pas que tu finisses vieille fille. »
« Et alors ? Que je finisse vieille fille ou non, peu me chaut. »
« Vic.. »
« Bon TRES BIEN ! Faites-moi voir ces portraits, si cela peut vous faire plaisir. » Cria-t-elle avant de venir s’installer entre ses deux sœurs. Pourtant, s’il y avait bien une chose qu’elle ne pouvait leurs reprocher c’était qu’elles ne faisaient pas les choses à moitié. Il y avait effectivement une trentaine de portraits, à vue de nez, si pas plus.
« Je sens que l’après-midi risque d’être long… »
« Ne dit pas cela voyons. Commençons ! »

L’après-midi avait effectivement été long car c’était d’un regard las que Victoria regardait chaque portrait que lui présentait sa sœur cadette, écoutant à moitié les descriptifs détaillés qu’elle en faisait. Ce n’est que lorsque le dernier portrait fut posée que la comtesse se permit de se lever, Julietta lui emboitait le pas. Toutes deux près d’une porte-fenêtre, ouverte sur une petite terrasse qui accueillait le soleil toute la journée, Julietta regarda longuement sa sœur aînée, tenant son ventre arrondis de ses deux mains.

« Que se passa-t-il, Victoria ? » Un seul regard échangé avait suffi à éveiller la curiosité de la cadette, qui, plus ronde qu’un ballon s’était empressé de les rejoindre.
« Cesse de courir ! » Gronda Victoria en s’apercevant de la vitesse à laquelle Lysandra les avait rejointes.
« Il faut faire attention à mes nièces ! »
« Tu crois que ce sont des filles ? »
« Oui je crois. Du moins, c’est ce qu’une voyante m’a affirmée. »
« Une voyante ? Très donc ? Depuis quand écoutes-tu ce genre de sornettes ? »
« Depuis que je me pose des questions auxquelles personne n’a de réponses à m’offrir. »
« Et du coup, tu t’es dis qu’une voyante aurait assez de science infuse pour te les divulguer ? »
« Au moins, je me dis que j’ai une réponse, aussi fausse peut elle être, cela calme un temps soit peu ma conscience. »
« Et quelles sont ces questions, dis-moi ? »
« Rien d’important. » Répondit-elle simplement, se rendant bien compte que cela ne calmait en rien la curiosité ni même l’inquiétude de ses sœurs.
« Est-ce tous ces prétendants qui te rendent aussi triste ? »
« Non Lysandra, mais… ces hommes, si valeureusement présenté ne sont pas de bons prétendants. »
« Ah.. Je comprends pas… je.. »
« Lysandra, je suis une comtesse, avant de penser à moi-même, je dois penser à Sybrondil et aux Sybronds. Mon mariage devra être profitable pour le pays, avant de l’être pour moi-même tout comme l’ont été vos mariages à vous deux. Je ne vois pas pourquoi je me permettrais d’avoir le choix alors que je ne vous l’ai nullement laissé. »
Une main vint timidement se poser sur l’une de ses épaules alors qu’elle inspira profondément pour tenter de calmer ses émotions, ne souhaitant en aucun cas carboniser la pièce, ni les occupantes de celle-ci.
« Quelque chose me dit qu’il y a autre chose. »
« Parfois je me demande si tu n’es pas une sorcière tant tu arrives à tous les coups à me comprendre. »
« Je suis pire qu’une sorcière voyons ! Je suis ta sœur. »
« Que se passa-t-il ? » La petite Lysandre tenta vainement de se faire une place dans la conversation, se sentant un peu à l’écart de ses deux grandes sœurs. Elle était certes la cadette, dernier enfant de ses parents mais enfant encore aujourd’hui, du moins aux yeux de ce qui lui restait comme famille.
« Rien. » Répondit la comtesse, sur un ton plutôt sévère comme si elle espérait que cela suffise à clore la discussion.
« Je crois qu’un homme lui plaît déjà. » Ces quelques mots sortit de la bouche de Julietta aura suffit à mettre Victoria terriblement mal à l’aise.
« Ce n’est pas vrai ! »
« Ta réaction le prouve. » S’amusa-t-elle encore, jouant de la situation.
« Cesse donc de dire des balivernes ! »
« Ce n’est pas en hurlant que tu me convaincras de mes torts. »
Elles ne reçurent en retour qu’un silence, accompagné de sombres regards.
« Révèle-nous au moins son identité. »
« Tu sais très bien qui il est, ne fait pas ton innocente qui vient de découvrir à l’instant la peine que je ressens ! »
« Où est donc passée la Victoria que nous connaissons ? Où est donc celle qui ne cesse de se battre pour obtenir ce qu’elle souhaite ? Qu’attends-tu pour monter dans un bateau, te rendre auprès de lui ? »
Spectatrice depuis quelques instants maintenant, Lysandra tenta d’intervenir mais au lieu de cela, Victoria quitta la pièce trop empreinte à une colère qu’elle ne pouvait plus maîtriser.
« Tu vas finir par brûler tout le palais. »
« Ce n’est pas moi l’élémentariste ici ! »
« Mais c’est toi qui la provoque. »
« Certes… Bon, hâtons-nous, nous avons un voyage à lui préparer. »

Victoria n’avait répondu pas répondu oui, mais pas négativement non plus. Cela qui laissa une chance à Julietta de la convaincre de rendre auprès de celui qui lui causait tant de peine.