[Althinkalan] Un banquet pour un Grand-Roi ! [Libre aux Nains et amis des Nains]

3ème ennéade de Vérimios.
17ème année du XIème cycle – Dans la salle du trône quelques heures après l’Althinkalan.

Les Nains de Kirgan s’étaient activés pendant des heures. Après l’Althinkalan, les tables furent bougées, réagencées, pendant que les thanes s’étaient tenus en file d’attente afin de jurer fidélité au nouveau Grand-Roi, à la couronne et au Zagazorn. Une fois fait, tous s’étaient retirés, y compris Harald. Non pas qu’il comptait s’enfuir, mais maintenant qu’il était Grand-Roi du Zagazorn, il devait prendre non seulement ses fonctions, mais aussi ses appartements. Aussi fut il conduit vers les appartements royaux jusqu’ici occupés par Hardrek Poing-De-Fer, et y déposa ses affaires en attendant que l’entièreté de ses fournitures soient rapatriées de Lante. Puis, ce fut le moment du recueillement, et Harald s’était enfermé quelques heures dans le caveau de son prédécesseur afin de lui rendre hommage et de peser plus encore – si cela était possible – l’énorme poids qui pesait sur ses épaules aujourd’hui.

Schémas de table :

Pendant ce temps, la salle fut agencée de telle manière qu’une table royale puisse faire face à la tablée des anciens, faite en carré de sorte qu’ils soient tous ensemble et au centre de la pièce – tout comme le culte des anciens était central à la politique de Hardrek et il le serait à la politique de Harald – puis, à la grande tablée générale ouverte sur le trône. Il y avait là de quoi supporter les assises, les ventres et les appétits de tous les thanes qui étaient restés à Kirgan. Ils étaient un peu moins nombreux, car certains, ne pouvant rester éloigner de leurs affaires et de leurs clans trop longtemps, étaient repartis après avoir juré fidélité à la couronne. Les autres attendaient avec impatience dans les tavernes, les couloirs et les dizaines de salles de Kirgan, que le banquet royal soit lancé.

Dans les salles et les couloirs de Kirgan, montaient des odeurs de bières fraiches, de liqueurs fortes et de viandes que l’on faisait cuir sur des pierres chauffées par des systèmes ingénieux. Les cuisiniers s’activaient, hurlant leurs ordres aux Nains qui devaient s’exécuter sans faiblir ni faillir, car, après tout, il s’agissait du premier banquet royal du nouveau Grand-Roi. Les plus superstitieux espéraient que celui-ci soit aussi faste que succulent, comme un signe encourageant en l’honneur du nouveau Gormrik. Harald n’était pas le plus superstitieux, mais il était croyant. Et alors qu’il était parti chercher la bénédiction d’un Prêtre ou d’un Haut-Prêtre d’Ikthor et de Girdon, l’ont s’activait derrière le rideau afin que tout soit parfait. Harald devait profiter de ce jour, car dés le lendemain, il allait devoir régner et conduire la première séance de son conseil royal, et s’approprier tous les chantiers en cours, les projets royaux et les projets de son peuple. Car un Roi ne fait pas que s’asseoir sur son trône et régner depuis sa capitale, il se déplace partout dans son royaume afin d’apporter soutien, clairvoyance, conseils et courage aux Nains et aux Naines désireux de faire valoir leurs clans, leurs projets, leurs besoins. Harald allait devoir se préparer à un véritable travail de régent.

Et le résultat de toute cette après-midi de travail des cuisiniers, chasseurs cueilleurs, brasseurs et taverniers, valait le coup d’attendre. La salle du trône était ouverte, et correctement apprêtée. Les tables portaient, pour chaque thane, plusieurs assiettes de différentes tailles ainsi que plusieurs récipients : deux pour les bières, un pour les liqueurs puissantes, un pour les spiritueux – quelques Nains appréciaient ce que les Umgis nomment « vin » - et, pour chaque Nain, une poubelle de table en bout de table, correctement attachée et régulièrement vidée par les serviteurs du soir. Il y avait également de quoi accueillir les plats, faire pendre de la viande, garder du fromage au frais. Il y avait de la place pour que les plus gros ventres du Zagazorn puissent s’asseoir et prendre place sans gêner leurs voisins. Les anciens, disposés au centre du dispositif, étaient au centre de toute l’attention, comme devait l’être le culte des anciens. Un acte à la fois politique mais aussi culturel, que Harald avait désiré comme un lien entre Hardrek et lui.

Les thanes étaient attablés, ainsi que les anciens. Des serveurs furent placés à intervalles réguliers, car, comme tout le monde le sait, le début d’un banquet est toujours le moment ou tout part très vite. Tout était prêt. Il ne manquait plus que Harald.

Et le Grand-Roi arriva. Portant fièrement sa couronne d’or et de joyaux, il était toujours dans son armure noire de jais, celle-là même qu’il portait depuis des années et qu’il avait porté durant les maintes batailles et combats auxquels il avait participé jadis. La différence de ton entre la chaleur de l’or et des joyaux renvoyés par les différentes couleurs de la couronne, et la profondeur du noir de jais, était saisissante. Harald inspirait à la fois la crainte et le respect. Il s’installa à sa place, centrale, à la table royale, et prit la parole :

- J’déclare ce banquet royal, ouvert ! Serveurs, montrez nous ce que vous avez passé l’après-midi à cuisiner et à préparer pour les représentants du royaume. Que Girdon vous honorent de sa fierté !

Ainsi débutait le premier banquet royal présidé par Harald. Il fut servit en premier, et prit entre ses mains la coupe dans laquelle fut servie une des meilleurs bières du royaume. Les serveurs servirent ensuite les anciens, puis le reste des thanes. Levant son bras en l’air, Harald hurla un tonitruant : Gloire au Zagazorn ! Et porta la coupe à ses lèvres. Tous firent de même, et le banquet fut lancé ;

Le vieux forgerune était à la fois nostalgique et satisfait. Nostalgique, car il venait de vivre un énième Althinkalan, provoqué par la mort d’un Grand-Roi et provoquant l’avènement d’un nouveau successeur couronné. Satisfait, car les Nains ont un nouveau Roi, et que ce règne commence de la meilleure des manières : par un banquet royal.

Le vieux runiste fut également agréablement surpris de se retrouver au centre du dispositif du banquet. La table des anciens était idéalement située au centre du dispositif. Symbolique forte de la volonté du nouveau pouvoir de toujours promouvoir le culte des anciens, les Nains les plus vieux du Zagazorn pouvaient suivre toutes les discussions et toutes les animations, et pouvaient échanger directement avec le Roi et les Nains illustres du royaume, tout comme ces nains pouvaient échanger avec les anciens. Bien qu’il continue à arborer un visage renfrogné, le vieux forgerune était satisfait, heureux, et honoré. D’aucun dirait même qu’ont aurait pu voir, à un moment, un léger sourire sur le visage buriné d’Yggdar, sourire rarissime, qu’il gardera bien pour lui.

Le Roi arrive, et le banquet est lancé. Servi parmi les premiers, Yggdar pu apprécier l’odeur des viandes cuisinées et des litres de sauces préparées pour satisfaire aux papilles des Nains. Les bières et liqueurs furent servies, et très vite, les odeurs se mêlèrent aux saveurs et aux rots, aux bruits et aux paroles qui s’élevaient de plus en plus. De ses gros doigts caleux et gras, Yggdar appréciait l’évènement et mangeait avec appétit, avalant les bières afin d’aider à faire descendre dans son gosier les gros pavés de viande qu’il découpait hargneusement avec ses dents. Il allait terminer sa première assiette, lorsque Glumtol Barbe-De-Fer, Haut-Conseiller de Thanor, s’exprima. Et le Nain, fidèle à sa réputation qui grandissait depuis qu’il s’était exprimé lors de l’Althinkalan, était désireux d’ouvrir la partie festive du banquet : le concours de nourriture et de boisson. Ainsi, les rumeurs liées au Haut-Conseiller étaient fondées : non seulement il était énorme, doté d’une panse à faire pâlir le plus dodue des Hauts-Prêtres de Girdon, mais il était également friand et adepte de nourriture et de beuveries. Cela allait être intéressant ! Oh, Yggdar savait qu’il ne pourrait pas battre un Nain deux fois plus jeune que lui, et sans aucun doute dix fois plus entrainé que lui. Mais de telles épreuves étaient très appréciées des Nains, quels que soient leurs entrainements, leurs métiers, leurs façons d’être. Yggdar était heureux de pouvoir participer à ce petit jeu, quand bien même il le regretterait le lendemain, ses vieux os, n’appréciant sans doute pas de s’endormir par terre, ou sur une chaise.

- Ip ! Moi ! J’veux participer à c’défi ! Me v’la !

Il se leva, et s’approcha de la table qui était ramenée par des serveurs et des gardes. Prenant sa chaise, il s’installa et attendait que d’autres interviennent et que la boustifaille soit servie.

Ah, que le moment était agréable ! Que l’instant fût beau, que l’instant était bon. Voir tous ces Nains, festoyer ensemble comme ils le firent des milliers d’années dans le passé dans le monde du Dessous, lorsque Girdon fut envoyé par le Père pour récompenser les Nains travailleurs, acharnés, dévoués. Aujourd’hui, partout où le nouveau Groman-Rik posait ses yeux, il voyait félicité, ripaille, ventres pleins et grands sourires, rires gras et rots dodus, et une myriade de discussions toutes plus joviales et intéressantes les unes que les autres. L’instant semblait comme figé dans le temps. Loin des tracas de la politique, de la diplomatie, des tensions du Sud, de l’insécurité des régions non reconquises, les Nains festoyaient gaiement. S’il était besoin d’un symbole de renouveau et de grandiose, alors ce symbole était devant les yeux de Harald. Hardrek devrait être fier lorsque, passant devant Heidum le gardien du pont, celui-ci pu observer le monde du Dessus et dire à Hardrek que son règne avait permis de rebâtir le royaume des Nains.

Devant la popularité du concours de nourriture et de boisson lancé par Glumtol, Harald ne pu s’empêcher de sourire et d’être fier que le premier acte de son règne soit un tel moment de festivité et de félicité. Secrètement cependant, il espérait que le reste de son règne se poursuive sur cette lancée. Mais l’instant était à la fête. Alors, il se leva, prit dans une main une coupe tout juste remplie d’une excellente bière, et leva sa coupe en l’air, sa barbe se mouvant, révélant qu’un sourire sincère avait lieu sous cet amont de poils.

- J’déclare l’premier concours d’ripaille, ouvert ! Dawis, n’hésitez pas à r’joindre c’concours quand vous le voulez, il n’est point fermé ! Je s’rais l’arbitre. Quiconque régurgite son plat, sa boisson, ou tombe au sol sans pouvoir se relever seul, aura perdu ! Maîtres cuisiniers ?! Faites cuir plus d’viande, ram’nez carrément des tonneaux d’bières ici. Et exécutez la commande spéciale, j’ai une idée d’cadeau royal pour le vainqueur.Il se retourne vers la table de compétiteurs. Installez-vous. Z’êtes prêts ? Mangez !

Le Roi avait bien parlé. Il avait su lancer les festivités de la manière la plus entrainante possible, comme feu Hardrek Poing-De-Fer l’aurait fait en son temps. Il faut dire que l’ancien Gormirk était doué, très doué même, pour lancer, animer et participer aux discussions de tavernes, aux concours de boustifailles, aux festins gras et bien farcis. En ce jour, le Roi semblait n’être que l’arbitre ici. Sans doute cela était une bonne idée. Après une telle journée, avec autant de tractations et de discours de la part de la Barbe-Sanglante, le voir rouler sous la table ne serait pas la meilleure des choses pour son début de règne. Après tout, il avait souligné beaucoup d’enjeux, beaucoup de projets. Aussi le sérieux de sa tâche devait être sauvegardé.

Yggdar regardait tour à tour ses adversaires. Sans aucun doute, Glumtol devait être le candidat le plus sérieux, le plus difficile à battre, le plus doué pour ce genre de concours. Sans doute qu’il n’avait pas tenu une pioche depuis des années pour que son ventre soit plus proéminent que ses épaules, ou ses bras. Mais après tout, pouvait-on le lui reprocher ? Les Nains sont doués pour tout, absolument tout dans ce monde du Dessus. Ils passent des décennies à apprendre, travailler et maîtriser le moindre aspect de leurs vies, de leurs artisanats, de leurs métiers. Yggdar pouvait lui-même en témoigner abondamment, puisqu’il était resté apprenti pendant plus d’un siècle afin d’apprendre à l’art de la forgerune. Aujourd’hui maître, il œuvre toujours, bien-sûr, mais personne n’oserait jamais lui faire remarquer que sa panse devient aussi développée que ses bras, étant donné son âge et sa maîtrise. Alors, face à Glumtol, en charge de bien des choses, le voir devenir maître des banquets et non plus maître d’une pioche – ou maître des deux ? – n’était pas quelque chose de choquant, ni de reprochable. D’aucun parle de son travail comme celui d’un maître, et d’un bon gérant. Sans doute est-ce pour cela qu’il est Haut-Conseiller. Cependant, une bavette dont il avait oublié le nom, s'était présentée et son envie, et son apparente confiance, laissaient penser à Yggdar que cette tresse devait être, elle aussi, redoutable...

Et le début du concours est lancé ! Les plats et les boissons distribués sur la table suffisent pour le début des hostilités, mais, alors qu’Yggdar avalait une pinte entière pour faire descendre dans son gosier sa seconde assiette de frongol et de viande de sanglier, il voit toute une troupe de Nains en tablier, les épaules larges, les vêtements tâchés de sang et de sauces, porter, via des tréteaux de bois, deux larges tonneaux pas encore percés, contenant quelques-unes des meilleures bières de tout le royaume. On plaçait tour à tour des plats sur la table, de nouvelles viandes tout juste cuisinées. Yggdar avait beau avoir les doigts, les mains, pleins de sauces et tellement gras que les os glissaient de ses doigts caleux, il appréciait tout de même toutes les nouvelles odeurs des plats qui étaient déposés sur la table.

Le vieux Rhunki se rappelait d’ailleurs cette fameuse soirée à la taverne de Molgrunn avec un Nain aussi illustre qu’important pour lui : Haldin Barbedrue. Oh, que ce Nain était agréable. Yggdar n’était doué que pour la forgerune. Son irascibilité, sa constante mauvaise humeur et sa façon de dévisager n’importe qui, ne l’ont jamais réellement aidé à nouer des amitiés. C’est déjà un miracle qu’il ait pu s’attirer les faveurs de feu sa femme, et obtenir une famille. Et pourtant, il avait noué une amitié exceptionnelle avec ce vieux barbu de Haldin. Il se souvint, dis-je, de cette soirée où, leurs ventres pleins de nourriture et d’alcool, son vieil ami ne vit pas la petite pierre qui le fit choir dans les escaliers. Il espérait cette fois que cette soirée-ci ne se terminerait pas par l’impotence d’un autre poilu, ou d’une autre bavette. Car aujourd’hui, Haldin ne pouvait se déplacer que grâce à la canne forgerunée construite par Yggdar.

Ses réflexions terminées, Yggdar débarrassa sa table et entama sa 5ème assiette et sa 8ème pinte…

Spoiler:

Que l’instant était beau, que l’instant était bon ! Ce banquet n’était, certes, pas un acte nouveau ni une grande décision de Harald pour le début de son règne, mais il était tout de même quelque chose de bénéfique, de magnifique, de grandiose. Oh oui, le Zagazorn n’était pas encore identique à ce qu’il avait été par le passé, au cycle dernier, resplendissant d’or, de joyaux, de runes, de savoirs et d’anciens. Tout ce que le Zagazorn à perdu, sans doute ne le retrouverait-il qu’à force de travail et d’abnégation, comme inculqué jadis par Yaron le Scribe. Mais aussi à force de combats, qu’Ikthor puisse les bénir tous. Harald se souvenait d’un temps où, lors d’un banquet royal commandité par feu Garmin le Vengeur, il avait pu poser les yeux sur quelques-unes des plus vieilles barbes du Zagazorn. Certains de ces Dawis avait, à l’époque, presque 350 ans. Des ancêtres vivants, dotés de plus de sagesse et de savoir que cent Nains réunis. Ah, qu’elle était belle, cette époque.

Une goulée de bière dans le gosier, et Harald est de nouveau présent ici, là, maintenant, dans la salle du trône excavée et décorée par les Nains de Kirgan voilà plusieurs années, et se dressant de toute sa hauteur, comme une annonce, une promesse des Dawis pour les temps futurs : nous retrouverons notre grandeur.

Un coup de chope sur la table, qu’il dresse vers le thane du clan Hargrund lorsque celui-ci prend la parole et annonce la venue d’une grande et importante quête, qui était si chère à Harald. En signe de respect, le Grand-Roi lui adressa un tonitruant « BARUK ! » suivi d’un signe de chope, avant de reporter son attention sur le concours dont il était l’arbitre. Une petite larme à l’œil fut presque tirée lorsque, sans crier gare – ou presque, après tout, Glumtol n’avait rien caché – le fumet produit par Glumtol et ses entrailles vint titiller l’odorat et les sens du Roi, qui manqua presque de s’étouffer dans sa bière. Pour sûr, toute cette nourriture ingurgitée devait lui faire produire des quantités incroyables de fumier ! Et l’odeur ! Mais que serait un banquet sans odeur, sans bruit, sans gras et sans rots ? Point un banquet Nain, pour sûr !

C’est enfin la blague de Glumtol qui déride définitivement Harald. Le vieux guerrier possède la vieille habitude de rester toujours et en permanence à l’affut du moindre signe quelconque. Quand bien même il était en sécurité, sa légendaire vaillance prenait toujours le pas, et il restait constamment prêt à agir et réagir, quoi qu’il arrive, quoi qu’il en coûte. Bien souvent impassible, sa barbe fournie, aidant à ne laisser passer aucune émotion. Il faut dire que les Nains étaient habitués à ne rien voir des émotions de leurs congénères. Mais là, Harald était hilare. Il avait frappé son bock si fort sur la table, que ce qu’il restait de bière vola dans les airs tel un geyser ambré, et retomba en grande partie sur le bois de la table et sur la pogne du Roi, sans que celui-ci n’en fasse cas, ni soucis. Il était hilare. Et pour beaucoup, c’était la première fois que le rire de Harald se faisait entendre. Sa première frappe sur la table fut ensuite suivie d’une seconde, puis d’une troisième. Et son rire gras, était aussi sincère que jovial. Très agréable pour Harald de se laisser ainsi aller. Reportant son regard sur sa chopine décidément vidée, il se tourna vers un nain qui s’occupait de percuter les épais tonneaux et de servir les carafes, et lui tendit sa chope sans aucune autre forme de procès. S’exécutant, le chope fut remplie, et vidée d’une traite par le Grand-Roi qui n’en finissait plus de sourire. Puis, il se lève, afin de dire une bonne blague à son tour :

- C’deux cognards qu’ont bin’ trop bu à la taverne. Y’en a un qu’rentre, bin’ arrosé chez sa bavette. Et en ch’min, y tribuche et y tombe, et paf, y rend sa Braise-Vie ! Y s’présente d’vant Heidum qui dit « eh, l’poilus, ta mort est quand même bin’ honteuse. J’ai vu qu’t’avais d’la volaille par chez toi. J’te réincarne en poule, pour t’apprendre à être plus courageux ! ». Et l’poilus, vla qu’c’est une poule ! Et il parle à d’autres poules, jusqu’à-ce qu’il ait mal aux entrailles. La poule dit : « eh, t’va pondre un œuf ! Vas-y, pouce ! t’as qu’ça à faire ! », et l’Dawi, bah y pousse, c’est une poule ! Hop, v’la t’y pas qu’c’est un œuf ! Il a encore mal, alors y r’pousse ! Hop, un deuxième œuf ! L’est content l’poilu ! Y veut r’pousser mais ça vient pas. Y pousse, y pousse… Et là, y s’prend une grande claque dans la gueule ! Et y a ça bavette qui dit : « Eh oh ! T’as pas bientôt fini d’chier dans l’lit là ?! »

Et il rit de plus belle…

Le moins qu’Yggdar puisse dire, c’est que l’instant était vraiment très agréable. Il en avait vécu des banquets, son ventre bedonnant pouvait en témoigner. Il n’était, encore une fois, pas aussi proéminent ni impressionnant que celui de Glumtol, mais Yggdar n’avait point à rougir : il mangeait également pour 12, et il savait boire. Oh oui, il savait boire. Il faut dire qu’après deux siècles passés derrière une forge, à respirer les fumées, à avoir la bouche et les poumons remplis de cendres et de microparticules de scories, cela donnait soif. Très soif. Et quand un Nain à soif, il boit toujours deux fois : la première chope est pour gouter, et la seconde, est pour la soif. Alors imaginez deux siècles à boire dix fois par jours, deux bières à la fois, en ajoutant les banquets, les repas et les divers rassemblements se terminant immanquablement en orgie alimentaire et de breuvages, et vous obtenez un nain, petit, certes, mais doté d’un gosier aussi profond que le monde du Dessous.

Alors, Yggdar mangeait et buvait. Combien de bières ? Combien d’assiettes ? A vrai dire, il n’avait plus réellement compté. Dès qu’il voyait un morceau de viande dégoulinant de sauce, bien gras, bien dodu, il sautait dessus, quand bien même son ventre commençait à lui faire ressentir les affres d’un estomac suffisamment rempli pour ne plus savoir dans quel sens ajouter la nourriture ne trop.

Puis vient l’odeur de flatulence de Glumtol. A cet instant, Yggdar aurait préféré avoir le groin au-dessus de sa forge brûlante alors qu’il plonge une lame chauffée à blanc dans un bac d’eau. L’odeur de l’eau portée à ébulition si violemment mélangée au métal chauffé, à l’humidité ambiante, et aux débris encore bouillant, était plus agréable que celle-ci ! Elle parvint à lui arracher une grimace. Chose plutôt exceptionnelle, car Yggdar était l’archétype du Nain brute, impassible, et impossible à cerner. Ses petits yeux inquisiteurs mêlés à des rides fortement marquées et un visage aussi buriné que l’acier qu’il frappe à longueur de journée, une barbe soigneusement tressée, une moustache blanche remontant sur ses joues telle deux cornes de ce que les Umgis appellent taureau, son front dégarni et ses cheveux tressés en une natte, parachèvent ce physique bourru aussi impassible que le roc cycléen.

Il eut, disais-je, une sensation désagréable et pourtant si commune lors des banquets : une sensation de trop plein. Et l’odeur, vint provoquer ce qui aurait pu être un splendide vomissement en jet, mais le vieux parvint à le retenir. Frappant du poing autant sur la table que sur sa poitrine, il parvint à transformer cette envie de vomir en un tonitruant, gargantuesque et ô combien gras, rot de gorge. Qu’il était long, qu’il était fort, qu’il était gras. Lui-même manqua de vomir, une seconde fois. Puis il se mit à rire, et à frapper la table à chaque gosserie.

Et enfin, viennent les blagues. Et elles étaient toutes plus tordantes les unes que les autres. Si tordantes, si drôles, que le vieux rhunki ne pu s’empêcher de partir en arrière, se gossant sans fin, appuyant ses deux mains sur son ventre pour éviter de vomir – encore une fois. Et plus il partait en arrière, plus sa chaise faisait de même. Et ce qui devait arriver, arriva. La chaise ne pu retenir bien longtemps le quintal qui se gossait et qui avait mangé plus que son saoul, et les deux chutèrent en arrière. La chaise n’eut aucun dommage. Yggdar non plus d’ailleurs, mais tomber ainsi au sol en arrière provoqua une hilarité à l’ensemble des autres tablées. Voir un nain, un ancien qui plus est, aussi célèbre et respecté, choir sur son dos à force de beuverie, de garniture et de gosserie, avait de quoi faire rire n’importe qui.

Avait-il perdu ?

Harald était comme transporté dans le monde du dessous, comme attablé avec les fils de la Première Forge, le Père des Batailles trônant au bout du meuble de pierre, Girdon lui-même, cuisinant, préparant, assaisonnant, distribuant, remplissant nourritures et boissons, petits plats et gros mets, tout en perçant des tonneaux comportant les plus ambrés et les plus amères et les plus fortes des bières du royaume du Dessous, le royaume qui vit naître les fils de Mogar, les œuvres forgées dans l’acier le plus brut, animé par la braise éthérée que le Père aura insufflé en chaque Dawi depuis lors.

Il était hilare, il était rassasié et il était plein de bières et de liqueurs. Alors pourquoi avait-il soudainement pensé aux tablées du monde du Dessous ? Pourquoi, en ce jour de couronnement, en cette nuit de festin, de rire, de liqueur et de musique, avait-il repensé à Mogar, le Père des Bataille, le Père du peuple Nain, celui-là même qui avait, à peine dix-sept années plus tôt, presque anéanti son propre peuple ? Mogar, le fléau du Nord, le créateur de l’Ire destructrice, l’initiateur du Voile… Harald le maudissait, il le détestait… Mais il le craignait aussi. Sans doute une part de lui le respectait encore. Après tout, avant de renouer avec le culte des divinités et de reconnaître Ikthor le Puissant, Harald était un fidèle de Mogar convaincu, comme tout bon guerrier qui se respectait alors, jadis. Combien de batailles furent livrées par Harald, après qu’il ait loué Mogar autant qu’il loue Ikthor aujourd’hui.

Chassant ses pensées, Harald retrouva un franc sourire qui déforma son visage et sa barbe, avant de retourner aux festivités qu’il devait honorer, étant donné que celles-ci étaient en l’honneur de son propre couronnement.

Cela était d’ailleurs, une autre source de réflexion et de pensées, depuis bien des heures maintenant. Il était le Groman-Rik du Zagazorn, il était couronné. Plus Gazanundi, mais Groman-Rik. Chose incroyable, chose qu’il n’arait point désirer à aucun moment, point aujourd’hui, point en cette période. Sans doute aucun, il aurait préféré suivre Hardrek pendant bien des années encore, et se battre en son nom.

La chute du vieil Yggdar fut l’évènement permettant à son esprit en ébullition de revenir définitivement à la raison, et à l’instant présent. Le vieux forgerune, lequel aura offert à feu Hardrek Poing-De-Fer, une arme forgerunée d’une puissance impressionnante, d’une valeur légendaire, et d’une rareté tout à fait unique, s’était retrouvé sur le dos après une bonne ventrée de rire. Il ne fallut pas longtemps pour qu’il soit relevé et remit sur ses trois jambes, et qu’il reprenne sa place à la tablée du concours. Non, il n’avait point perdu.

- Tant qu’il n’y a point d’régurgitation, point d’abandon d’l’esprit et du corps en s’drapant d’sommeil alcoolique, vous n’avez point perdu maître Frappe-Rune ! Soyez sans crainte ! Mangez ! Buvez ! Festoyez ! J’veux un vainqueur ! Ha !

Puis il vida sa coupe d’un trait, et replaça son postérieur dans sa chaise royale.

Yggdar ne s’en était jamais rendu compte, mais le plafond de la nouvelle salle du trône – nouvelle car n’existant que depuis quelques années, un battement de cil en comparaison à l’ancienneté de Kirgan et de ses ruines en reconstruction – était très grand. Et la décoration était typique de l’art des nains : à la fois finement ciselée et massivement taillée dans le roc. Mais voilà que la terre se met à nouveau à se mouvoir, et ce n’est plus le poisson qu’il voit, mais la tablée, ses concurrents et le Groman-Rik. Ainsi devina-t-il qu’il était revenu à une position plus verticale, que d’aucun dirait plus normale.

Mais voilà, cette hilarité et cette chute n’aura point aidé le vieux Nain, et celui-ci pu bien vite se rendre compte que ces aléas auront eu tôt fait d’accentuer les affres de l’alcool qu’il aura bu sans modération. Ainsi était-il saoul, plein et plus réellement en état de poursuivre ce concours. L’époque où il était en forme au point de pouvoir assumer les pires cuites du royaume était belle et bien révolue. L’on ne peut être et avoir été, cela, tout le monde le sait. Mais l’accepter n’est point chose aisée, en aucun cas. Yggdar allait devoir se rendre à l’évidence, il avait atteint sa limite.

Aussi tenta-t-il de prendre la parole, levant sa main droite en pointant l’index vers les cieux, et balbutiant quelques mots :

- Hé.. Héhé, Eh ! C’est qu’il est *hic* bin beau c’*hic*, c’plafond ! Ha ! Haha ! Hahaha… Il tousse, il se racle la gorge, puis il boit cul sec une chopine qu’on venait de lui servir pour qu’il reprenne ses esprits. Haaaaa ! Alors, quécecé qu’ce… Un rot bien gras et ô combien annonciateur de la terrible suite à venir. Arh ! C’t’ai un sacré rot par Girdon ! Mais… Quéce… Quéce.. QuébeeeuuuuAAARG

Visiblement, l’estomac était trop plein, et le corps ne pu que faire ressortir ce qui ne pouvait pas rester ni être digéré. Le sacro-saint vomit salvateur. Affalé sur la table une fois ses entrailles vidées, il ne tenait plus debout.

Cette fois, il avait perdu.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la situation avait évoluée bien rapidement. La chute du maître runiste avait été la prémisse de ce qui serait la fin de ce concours. Car après avoir chuté, le vieux runiste s’était senti bien mal et avant qu’il n’ait pu terminer proprement sa phrase, avait régurgité le trop plein de son estomac sur la table, et même sur cette pauvre bavette qui n’avait rien demandée.

L’hilarité générale battait son plein. Les pognes des Dawis hilares, frappaient le bois des tables afin que ce qu’ils ne pouvaient évacuer en rire puisse l’être d’une autre manière. Vous savez, ces moments si drôles, si amusants, qui provoquent en vous un tel besoin de rire que vous ne réussissez pas à le faire correctement pour vous, et vous ressentez le besoin de le manifester plus physiquement, en frappant du plat de la main sur une table, par exemple.

Puis, vient Glumtol Barbe-De-Fer, le haut conseiller de Thanor et le Nain à l’origine de ce concours de nourriture et de boissons. Il avait promis que quiconque gagnerait ce concours, bénéficierait d’un cadeau à la valeur inestimable de la part Glumtol, et que si aucun vainqueur autre que lui-même ne sortait de ce concours, alors le cadeau irait au Roi. Et comme tout Nain qui se respecte, Glumtol tint parole.

Se dressant sur la table pleine de garniture et à moitié recouverte d’une substance produite par le vieux runiste, alors que le bois, les pieds de la table et les jointures, grincèrent de concert trahissant le poids du fardeau qui s’était abattu sur le mobilier, Harald eut un instant, peur de voir ladite table choir sous ce poids. Mais c’était mal connaître le mobilier des Nains.

Et voilà le fameux cadeau : la clé de la loge des Barbe-De-Fer. Un tel présent était un grand honneur et d’une signification incommensurable chez les Nains, car la loge d’un clan appartenait uniquement au clan, et à ses anciens, et sous la protection et la responsabilité du thane. Recevoir un tel présent était, comme déjà dit, un immense honneur.

La salle passa d’un joyeux brouhaha à un silence pesant. Tous les Nains ici présents comprenaient l’enjeux de ce cadeau ainsi que sa signification. Et ajoutez à cela que ce présent, offert au Roi, se déroulait le soir même de l’Althinkalan, quelques heures après que tous les thanes, y comprit Glumtol, eurent offert à Harald leur confiance dans son accession au trône… Et ce cadeau revêt une importance toute particulière. Surtout en provenance de Glumtol, qui avait soutenu la candidature de Harald non sans lui faire part d’une critique, de sa seule critique, évoquée lors de l’assemblée des thanes.

Glumtol serait-il un ami ?

Harald se leva alors, son sourire et son rire, ayant disparu en même temps que celui des autres. Faisant le tour de sa table, il se planta devant Glumtol et porta le bras et la main en direction de l’épaisse clef sombre. Passant ses doigts calleux sur l’objet, dont le pommeau était visiblement érodé, signe d’une existence très ancienne. Mais il ne s’en saisit point. A la place, il plongea son regard dans celui du vainqueur.

- C’est un immense honneur, que d’recevoir c’cadeau. La loge d’un clan, est le point central d’notre société, et se voir offert la clé d’une loge, est un immense, immense signe de confiance, et d’honneur. Haut-Conseiller Barbe-De-Fer, je ne puis prendre cette clef, d’une manière tangible, car elle appartient au thane de votre clan. Cependant, je fais la promesse solennelle de me joindre à votre loge pour un festin digne des divinités. Et j’avais, moi aussi, parlé d’un présent à offrir au vainqueur. Il fait quelques pas en arrière, afin d’être visible de tous. Ce présent est bien moins grand, bien moins honorifique, aussi veuillez m’en excuser, je ne m’y étais point attendu. Des Nains rient, il faut dire que tous furent surpris, évidemment. Puisqu’il s’agissait d’un banquet royal, je ne pouvais offrir autre chose au vainqueur qu’un Bëarog découpé et préparé par les meilleurs cuisinier du royaume. Maître Glumtol, désirez-vous cette viande maintenant ? Ou êtes-vous trop repu ?

Evidemment, si la viande était acceptée maintenant, elle serait sans nul doute partagée avec les autres participants, qui méritaient bien une partie de la récompense. Cependant, Harald réfléchissait déjà à un présent significatif, afin de témoigner à Glumtol toute sa gratitude.