[MdO 2021] Chercher des réponses (Pv Lómion)

La situation empirait.
Aegden fixa un instant l’elfe affolé qui lui faisait face dans le miroir. Était-il vraiment cet elfe, effrayé au point de ne pas arriver à retrouver son souffle, et aux traits tirés par la fatigue d’incessants cauchemars ? Où était donc passé le soldat, le mainyth qui savait parfaitement garder son calme ?

Il n’avait même pas besoin de tourner la tête vers la fenêtre pour savoir que le soleil n’était pas encore apparu à l’horizon. Il n’était jamais réveillé de cette désagréable manière qu’au beau milieu de la nuit…

Décidant de passer de l’eau sur son visage, il ne put s’empêcher un instant de fixer ses mains avec appréhension, craignant sans pouvoir rien y faire de les voir difformes, comme griffues, et tachées de sang comme elles l’étaient dans ses cauchemars. Devenait-il donc fou à craindre que ses songes se réalisent ?

Lesdits cauchemars semblaient de plus en plus récurrents ces derniers temps… Il ne savait pas à quoi cela était dû, s’il y avait une raison à tout ça.Au début il avait mis ça sur le compte de la fatigue, se disant que ce n’était l’affaire que de quelques jours, mais le temps avait passé et il avait l’impression de lentement sombrer chaque nuit un peu plus.

Aegden savait aussi qu’il commençait à doucement inquiéter quelques-uns des soldats qu’il côtoyait le plus souvent. Ils avaient été plusieurs à lui faire remarquer qu’il avait souvent l’air pâle et fatigué ces derniers temps.

Il lui fallait trouver de l’aide. Il fallait remédier à cette situation avant qu'elle n'empire.

L’avantage lorsque l’on ne dormait que quelques heures à peine, c’est qu’on avait un temps fou pour réfléchir et écrire. Ainsi, à une heure de la journée suivante, qui si elle fut tôt, restait décente, une missive fut transmise à l’intention du Doyen de l’académie d’Alëandir.

L’écriture y était penchée, quelque peu hâtive, mais restait tout de même lisible. La main qui l’avait écrite semblait s’y être appliqué.

daté du milieux de la seconde énnéade de Vérimios, 
A Lómion Ineinior,

Heru Lómion,
J'en conviens, cette lettre peut vous paraître étrange étant donné le peu de communications entretenues entre nos institutions respectives. Cependant ce n’est pas en tant que commandant que je m’adresse à vous et je vous prie de croire qu’il s’agit là d’une missive tout à fait personnelle.

Les événements auxquels nous avons tout deux étés confrontés ont apporté leur lot de mystères et encore aujourd’hui beaucoup de questions restent en suspens sans que je ne sois capable d’y répondre ni de les ignorer vraiment. Il est grand tant pour moi de mettre un terme autant que possible à d'incessantes réflexions.

Je crains même que la situation soit peux être plus complexe et cela pesant sur ma conscience, je pense sincèrement avoir besoin de vos conseils, si ce n’est de votre aide.

C’est donc humblement que je demande à vous rencontrer dans les plus brefs délais que votre position pourra vous permettre, afin d'échanger sur ces dernières expériences, et peut être éclaircir certaine zone encore bien floues.

Dans l’attente de votre réponse,

Aegden Orian.

Aegden avait affiché un air soulagé qui tira un regard interrogateur à l’elfe qui lui tendis une missive a peine après être rentré d'un entrainement.
Il ne s’attendais pas à recevoir la réponse de l’Archimage aussi rapidement et savoir que celui-ci pouvait le recevoir l’après-midi même semblait lui ôter un certain poids des épaules.

Travailler au sein de la milice avait cela de bon qu’il était difficile de se perdre en réflexions. Il y avait beaucoup à faire et peu de temps pour traîner. C’était paradoxal mais cela avait le mérite de détendre le mainyth. Il y avait quelque chose de rassurant dans cette habituelle agitation.

S’il avait toujours l’air relativement fatigué, c’est donc tout de même un elfe bien plus calme que celui qui avait gribouillé une lettre à la va-vite qui fit son chemin jusqu’à ladite académie quand l'après midi s'installa.

Bien entendu il n’était cette fois pas en complète armure comme c’était le cas lors de sa dernière apparition entre les murs de ce sanctuaire de la magie. Une tunique courte aux couleurs pâles et un pantalon de toile sur de hautes bottes avaient fait l’affaire. Sa chevelure de flamme était simplement nouée en queue de cheval cascadant jusqu'à la naissance de ses omoplates.

Rien ne le distinguant des civils, mages ou non, autour de lui, il se sentait pourtant toujours un peu trop détonant du reste du paysage en ces lieux. Les jardins étaient certes d’une rare beauté à laquelle le soldat n’était pas insensible, cependant il avait toujours eu cette impression de manquer un quelque chose par son absence totale d’affinité avec l’art magique au sein de l’académie. Ça l’avait toujours légèrement mis mal l’aise.

Cette sensation il l’ignora car il ne s’agissait actuellement que d’un détail et comme deux mois auparavant, ne connaissant pas assez les lieux, il demanda poliment au premier venu son chemin jusqu'à l’endroit proposé par le doyen.

-Heru Lómion. Aegden rendit ses salutations au Doyen. Un fin sourire étira ses lèvres. Merci de bien vouloir me recevoir. Je ne m’attendais pas à ce que vous puissiez vous libérer aussi vite.

Se tournant vers l'elfe qui l'avait guidé jusque là, Aegden lui adressa un remerciement sincère. L'elfe avait prit son temps pour l'aider sans hésiter et le soldat lui en était reconnaissant. 

-J’aurais aimé être moins pressant dans ma lettre. Ajouta-t-il ensuite en reportant son attention sur son interlocuteur. Mais je crois que j’ai trop repoussé certaines choses. Il passa machinalement une main dans ses cheveux roux l'air vaguement mal à l'aise puis enchaîna.Comment se porte l’artefact au fait ? Rien à signaler depuis la dernière fois ?

Ce n’était pas la raison première de sa présence c’était certain. Il n’aurait pas eu besoin d’envoyer une missive aussi urgente si il avait juste voulu avoir des nouvelles de la marre. Malgré tout c’était une question importante et à laquelle il souhaitait aussi sincèrement une réponse que ce qu'il pourrait bien dire a l'archimage par la suite. L’artefact n’était pas étranger à nombre de ses préoccupations après tout.

-C’était difficile de faire autrement. Je suis partit longtemps et j'estime que les plus gradés méritent de connaitre la vraie raison. Et puis s’il venait à se produire un autre incident, Aegden fronça machinalement les sourcils rien qu’à l’idée. Ça ne lui plaisait pas d’évoquer cette possibilité, Je ne peux pas me permettre d’être le seul à savoir ce qui se passe. Le soldat afficha une moue mi-figue mi-raisin. Enfin savoir ce qui se passe c’est vite dit. Plaisanta-t-il à moitié. Je crois avoir arrêté de comprendre ce qui se passait à partir du moment où on a mis les pieds en Aduram.

Une pensée un peu trop amère s'insinua dans son esprit. Le moment où tout était partit en vrille datait peux être d’avant Aduram finalement. Il datait de cette druidesse et de sa drogue de malheur. Elle avait commencé à leur faire vivre la tourmente, la forêt maudite avait achevé le travail.

Aegden n’était pas certains d’arriver à exprimer ces pensées-là cependant, ni de le vouloir, en réalité. Il s'effraya même un peu d'avoir eut cette pensée excessive  alors il s'efforça de mettre cela de côté avant de continuer en fixant à nouveau son interlocuteur bien plus avenant qu’il ne devait l’être lui-même.

-C’est en partie pour ça que je voulais vous voir au final. Il prit une discrète inspiration. Je ne sais pas si vous aviez eut le temps de lire les lettres envoyées au cours de la mission, notamment sur le chemin du retour mais si c’est le cas vous avez put constater que je suis resté très vague sur les événements. Il marqua une pause. Je suis incapable d’expliquer précisément ce qu’on a vécu là-bas. Il regarda vaguement ses mains, l’air pensif. Mais il y a eu de la magie à l’œuvre, ça j’en suis sûr...

Aegden avait relevé la tête vers sont interlocuteur et s’il ne l’avait pas vu pleurer, il ne le sentait pas aussi serein que quelques instants plus tôt et une lueur de sollicitude apparu dans son regard.

-Est-ce que tout va bien ?

Avait-il prononcé la moindre phrase ayant put blesser le paisible Doyen ?  Si c’était le cas il ne saisissait pas lequel de ses mots avait bien pu causer cet effet…

Après un bref instant de silence, laissant à son interlocuteur le soin de répondre, il reprit, non sans se départir d’une certaine forme d’inquiétude.

-Pour ce qui est de ce qu’on a vu…Je dirais plus vécu. Je ne pourrais parler que pour moi-même par contre. Même si nous avons tous plus ou moins vu et entendu les mêmes choses, je suis bien placé pour être certains qu’aucun d’entre nous ne les aura vécues de la même manière.

Après tout, si le dragon était apparu aux yeux de tous.  Personne n'avait été à sa place. Personne n’avait entendu la voix. Si tous avaient marché aux milieux de la dissonance, personne ne l’avait écoutée de la même manière. Si tous avaient finis par se retrouver devant les fées, aucune réaction n’avait été totalement similaire. Et la liste était encore longue…

-Dans un premier temps, il y a eu la dissonance. Ça peut paraître évident, mais c’était la première fois que j’entendais la voix des arbres...

Un coin de sa bouche se plissa en un rictus amer. Il faillit ajouter qu’il aurait aimé l’entendre différemment, avant de se souvenir que ça avait bel et bien été le cas. Chaque chose en son temps, Aegden avait déjà bien du mal à s’expliquer s il fallait qu’il garde le peu de cohérence que son récit pouvait avoir…

-Et puis au bout d’un certain temps on s’est tous mis à faire des rêves. Son air se ferma à nouveau, souvenir et miroir involontaire de son attitude lorsque étaient apparus les premiers mystères au sein de la forêt maudite. Des rêves très doux par rapport à là où on se trouvait. Je ne sais pas si c’est la dissonance qui les a provoqués. Mais dans quel but dans ce cas ? Il n’attendit pas de réponse car il savait qu’il n’y en avait pas. Moi j’ai rêvé d’une immense souche d’arbre. Plus grande encore que ce qu’on pourrait voir à Ardamir. Et bizarrement ça m’apaisait rien qu’a l’imaginer. Mais le plus étrange n’était pas là. Et cette…vision, on l’a finalement trouvée pour de vrai...

Il s’interrompis un instant. On aurait dit un enfant qui avait peur d'expliquer qu"il venait de faire une bêtise. Il voulait continuer, mais en même temps il sentait l’appréhension le gagner. Il osait difficilement enchaîner car il avait vraiment peur que son interlocuteur, aussi compréhensif fut-il, ne le prenne pour un de ces déments que la forêt à perdu. Après tout ils avaient bien perdu Lyorindel à cause d’Aduram…

La main sur son épaule arracha un timide sourire au soldat. Rares étaient les gestes de ce type qui lui apportaient du réconfort et pourtant le doyen réussissait à le rassurer un peu.

-Je n’y ais vu que la clairière, mais sur place il y avait autre chose.

Comment ? Comment l’Archimage pourrait-il croire ses paroles ?

-Il y avait…un saphir, au milieu. D’un geste de la main il mima la taille de l’objet. Il tenait aisément dans une main.  Le récit devenait difficile, emplis de doutes, de suppositions, et Aegden semblait avoir du mal à trouver les mots adéquats. Je crois que ce saphir…contrôlait la dissonance. Je crois qu’il m’a appelé, avec ce rêve. Ça n’avait aucun sens… Et comme j’était attiré par cette pierre je l’ais prise sans me soucier de Lyorindel, qui jusque-là m’avait suivi, et je lui ai tourné le dos.

Son cœur se serra en se remémorant son ami. Il aurait dû voir venir la lente descente dans la tourmente du diplomate, il aurait dû le forcer à faire demi-tour avant qu’il ne soit trop tard.

-Vous voyez cette cicatrice ? Aegden tourna la tête et ses doigts tracèrent le chemin de la balafre partant de sa joue et parcourant son cou tout près, trop près, de sa jugulaire. Sans même le voir, il connaissait le chemin par cœur à force de machinalement passer une main dessus depuis des années. Je ne supporte pas qu’on y touche. Expliqua-t-il calmement en cessant son geste. Ça me tend. Alors…je vous laisse vous faire une idée de la panique qu’a put causer le contact d’une lame normalement amie, et donc totalement inattendue sous ma gorge, même en ayant quelques centaines d’années dans la milice. Il a des chances pour que ça ait joué ce qui s’est produit ensuite.

A nouveau une pause. Il traînait des quatre fers, le commandant. Alors même qu’il était lui-même à l’origine de cette discussion.

-J’avoue qu’encore une fois, je n’ai aucune fichue idée de comment, Il ferma la main qui commençait à trembler pour en reprendre un contrôle approximatif. J’était tétanisé et je voulais que ça s’arrête. Que tout s’arrête. Que Lyorindel retire son couteau, que la dissonance qui ne me gênait pourtant plus se taise…Il y a eut un éclair…et, quand j’ai rouvert les yeux, je n’étais plus…moi. Il prit une inspiration. Enfin j’était moi, mais mon corps, c’était celui d’un dragon.

Venait-il vraiment de dire cela sérieusement ? Sa main gauche était discrètement venue imiter la première et se trouvait crispée sur ses genoux pour ne pas trembler. Il ne devait pas. Il était un soldat, il était mainyth. Il devait passer outre l’angoisse et les doutes. S’il flanchait, il échouait à protéger ceux qu’il aimait. Il ne pouvait le permettre à aucun prétexte.

-Je n’ai probablement plus vraiment approché la magie depuis mes soixante ans. Et je vous parle de choses impossibles. Que même les druides ne peuvent pas accomplir comme ça. Il retint un rire nerveux . Ses traits tirés s’accentuèrent un peu. Vous ne me croirez pas j’imagine. Moi non plus parfois…J’ai bien dû me persuader une ou deux fois que je ne faisais que sombrer dans la folie. Il ajouta a voix si basse qu’il doutait même d’avoir réellement exprimé sa pensé. Ça hante pas mal de mes nuits.

Et il n'avait encore même pas évoqué la voix...

-Je ne sais pas. Aegden secoua la tête. Il se força à respirer profondément. Le Doyen disait qu’il le croyait. En tout cas, il n’avait pas eu de réaction négative. C’était déjà ça. Ça a dut se passer trop vite pour réagir avant que….je soit…un dragon. Phrase si étrange à prononcer. J’étais déboussolé à vrai dire. Peut-être qu’il a tenté quelque chose, je ne me souviens pas.

L’elfe cherchait dans sa mémoire. Il cligna une ou deux fois des yeux, troublé avant de relever le menton vers son interlocuteur. Il ne se souvenait pas que le diplomate avait tenté d'escalader sa patte, puisqu’il s’était alors bien plus focalisé sur ladite patte.

-Il y avait aussi une voix avec moi. Dans ma tête. Ajouta-il en prenant son courage à deux mains. Ses prunelles inquiètes s’ancrèrent dans celles plus paisibles du mage. Il se souviendrait pour le restant de son existence du singulier dialogue qu’il avait eu avec l’esprit. Je ne sais pas vraiment ce que c'était. Un esprit ? Un Eäla ? Un druide mort dans la chute du Linoïn ? Dans tout les cas cette voix assurait avoir été ce que je pense être le dragon que j’était devenu, et aussi « l’un des miens ».

La voix n’avait jamais donné bien plus de précisions et le soldat n’avait put que soulever multiples théories sans pouvoir jamais connaitre la vérité. Il ne se doutait bien évidement pas du potentiel impact que ses mots pouvaient avoir sur son interlocuteur.

Le doyen semblait être devenu le parfait miroir de sa propre angoisse. Les oreilles de l’elfe roux se plaquèrent vers l’arrière. L’elfe en face de lui ne lui disait certainement pas tout et si cela semblait relativement compréhensible, il était dans une position où cela le mettait mal à l’aise.

-J’ai parlé deux fois avec lui. Commença-t-il, presque sur la défensive. Cette première fois, il m’a dit qu’il…lui, le dragon…les deux…Bref qu’ils étaient…morts là-bas. La voix à ajouté qu’elle pouvait protéger mes camarades, tant que les siens n’avaient pas à souffrir. Aegden guettait la moindre réaction sur le visage de l’Archimage. Et puis il m’a fait m’envoler et je l’ai entendue.

Sa voix se tut d’un coup. Ce souvenir avait quelque chose de magnifique. L’elfe sourd avait entendu la symphonie telle qu’on lui décrivait depuis toujours, pour la première fois de sa vie. Mais ce souvenir avait aussi quelque chose d’infiniment douloureux, parce que ce souvenir lui rappelait que ce cadeau de la mère, il ne le percevait plus.

Plus jamais.

-J’ai entendu la Symphonie. Réellement. Il précisa. Comme dit plus tôt, je ne l’entends pas en temps normal. Je ne perçois même pas sa présence.

Il se força à décrisper l’une de ses mains avant de la passer sur son visage, évitant à un début de larme de déborder.

-Excusez-moi. C’est un exercice difficile. Un sourire contrit s’afficha sur ses lèvres avant de tenter de se reprendre.Je suppose que je…partageais certaines de ses capacités et peut être aussi certaine de ses sensations, si ça à le moindre sens de dire ça à propre d'une voix... J’ai vite fini par redevenir moi-même. Je veux dire…dans mon propre corps. Mais l’esprit est resté. Après un temps j’ai retenté de lui parler, seul je précise, et il a plus ou moins confirmé ça. Le soldat chercha un instant ses mots. Ses paroles n’étaient vraiment pas claires, mais je me souviendrais d'une de ses phrases pour le restant de mes jours : « Tant que je suis avec toi, je suis toi et tu es moi. Je sens ce que tu es, et tu es ce que je vis. Souviens-toi, et tend la main. ». Je m’en souviens parce qu’après ça, il ouvrit sa main toujours agitée de légers tremblements devant lui, comme revivant ce souvenir, la musique qui flottait autour à changé et un rocher en face de moi s’est brisé net. Après il me semble que j’ai perdu connaissance. De fatigue probablement. 

A nouveau son regard se posa sur le mage.

-c’est ce qui arrive aux plus jeunes quand ils ne maîtrisent pas leur sorts non ?

Aegden avait devant les yeux le parfait exemple de pourquoi il était militaire et non diplomate…
Il était et avait l’air profondément affligé. Il se sentait idiot et mesquin d’avoir provoqué de telles émotions chez son interlocuteur.

-Je…Je suis désolé.

Il ne connaissait pas l’histoire du doyen, ne s’était jamais posé la question de s’il avait des enfants et bien entendu il n’avait pas envisagé une seule seconde que le vieil elfe ait put perdre un être aimé au sein de la forêt maudite.

La douleur d’avoir laissé un ami, l’angoisse des innombrables questions lui sembla bien moindre à coté de la souffrance d’avoir perdu un fils. Certes Aegden n’avait pas d’enfant, il n’était pas marié, mais il comprenait à quel point cette souffrance pouvait être terrible. C’était le même genre de souffrance qui avait achevé sa propre mère déjà en proie au mal de l’éternité.

Une question lui brûla les lèvres, il hésita à la poser craignant de dépasser la limite du raisonnable. Après tout il en avait déjà assez fait. A la place il ajouta :

-Si vous voulez en parler…

Il n’était pas le meilleur interlocuteur qui soit, n’aurait probablement que peux de mots à lui offrir afin de l’apaiser, mais il devait bien ça à l’archimage : une oreille attentive.

La situation avait pris un inconfortable tournant, autant pour lui que pour le doyen, auquel il ne s’attendais pas du tout. Il se demanda pendant une dizaine de seconde s’il ne valait pas mieux laisser son interlocuteur souffler au lieu de l’accabler mais comme il avait fait mine de vouloir continuer, Aegden laissait faire.

-Oui. Répondit-il après quelques secondes. Il ne comprenait pas vraiment pourquoi ce détail là en particulier intéressait tant le doyen. Il était…posé sur une plante ? Il se tut à nouveau, l’air perplexe avant de finir par continuer ses explications impossibles. Il brillait énormément, à un point où il aurait fallu qu’on soit aveugle pour le rater. Et encore, comme je le disais tout à l’heure, il avait quelque chose…d’attirant. Il fronça les sourcils.  Rien qu’à le voir, j’était persuadé qu’il était ce dont j’avais besoin.

Tout en parlant avec une certaine lenteur, le mainyth guettait une fois de plus les réactions de son interlocuteur. Il avait compris qu’il fallait prendre des gants s’il ne voulait pas finir avec un archimage effondré plus qu’il ne l’était déjà sur les bras. Mais comment faire ? Difficile de savoir quelles informations faisaient écho à la mémoire du Doyen pour son fils.

-Avec lui j’avais l’impression de pouvoir faire...plus. Il soupira, il devait expliquer certains de ses actes et certains événements par sa façon de penser propre et il n’était jamais à l’aise dans un tel exercice. En tant que commandant et que soldat plus généralement, je considère certaines actions comme étant ma propre responsabilité, et Aduram en faisait partie. C’était…à moi de le faire. Ajouta-il comme une évidence. Je…j’ignore si la forêt m’a fait tourner la tête à propos de ça, mais j’avais devant moi l’objet qui pouvait m’aider à avancer. Qui pouvait m’aider à lutter contre la Dissonance. Qui pouvait m'aider à assumer mes responsabilités. C’en était presque obsédant. C’est pour ça que je l’ai pris sans même laisser une seule seconde à mon camarade.

Aegden ouvrit la bouche mais ne répondit rien. Il venait de comprendre. Non seulement Lomion repensait à son fils mais en plus il pensait visiblement que la voix était la sienne, et pour une raison que le soldat ignorait encore, la présence du saphir dans son récit semblait appuyer cela.
Il n’ajouta rien, se contentant de baisser les yeux vers le sol.

Ça tournait à mille à l’heure dans son esprit. Il réfléchissait à chaque scène vécue là-bas en Aduram avec ce nouveau prisme. Cherchant de nouvelles réponses, de nouveaux sens aux paroles de cette si singulière voix, si Lomion avait bel et bien raison.

-Vous pensez que cette voix était…celle de votre fils ? osa-t-il finalement demander comme confirmation après une minute, relevant les yeux vers le doyen.

Un vague sourire qui se voulait réconfortant autant qu’il était désolé.

-A vrai dire, je n’avais pas beaucoup d’espoir que même vous puissiez m’aider. Un rictus étira un coin de ses lèvres, teintant le réconfort d'une légère amertume. I Emël seule à probablement réponse à tout ça.

Il marqua un silence, cherchant les mots pour tenter comme il pouvait d’apaiser un tant soit peux le chagrin de son interlocuteur. Que disait-on dans une telle situation ?!

-ça ne vous le rendra pas, mais...si ça peut vous soulager ne serait-ce qu’un peu, sachez que sans…Estiam, je ne serais pas là pour en parler. Le soldat déglutit, forçant sa voix à rester stable, priant de tout son cœur ne pas commettre une énième maladresse dont il ne voulait pas. Votre fils, si c’était lui, nous as sauvé la vie en faisant…ce qu’il a fait.

Non décidément, il fallait qu’il se taise. Aegden fixa à nouveau ses mains, puis releva la tête vers le doyen.

-Je devrais vous laisser. Il en avait bien assez fait comme ça. Je ne vous remercierais jamais assez de m’avoir prêté un peu de votre temps.