L'Anaëh en Naélis | S'assurer de la suite

Oglicos de la seconde ennéade de Verimios
17e année du Onzième Cycle
En direction du Chapitre Blanc

D’un seul et unique mouvement, tu imposes l’arrêt à ton destrier et saute à pieds joints à terre. À peine un instant d’arrêt à ta réception, que tu envoyais tes longues jambes en avant en direction de l’Académie de Magie. Des couloirs que tu commençais maintenant à bien connaître se déployaient et s’enchaînaient face à toi en un dédale dont tu possèdes déjà la solution. Presque aucun mot d’échangé entre les Sages, les étudiants et toi. Des salutations sommaires à peine échangées, séparé que tu étais d’eux par le masque de ton heaume. Une vision pour le moins intimidante, voilà ce que tu étais. Un gigantesque sylvain de cuir et de métal blanc traversant à grandes enjambées halls, couloirs et antichambres en direction d’un lieu que tous devinaient déjà.

Les quartiers du Chapitre Blanc

À cette heure de la journée, l’Archimage devrait être à son bureau. Devrait étant le mot clef. Tu ne sais que trop bien quelle inconstance dirige les déplacements de l’Ancien à travers son lieu de travail. Lòmion est là où les flux le portent. Là où il se sent utile sur le moment. Là où il se veut utile sur le moment. Certainement est-ce cette bienveillante légèreté une part de ce qui l’aura sauvegardé à travers les siècles passés le Cycle, mais cette bienveillante légèreté pour l’instant te forçait surtout à prier La Très-Sage qu’il ait décidé – au moins aujourd’hui – de suivre son emploi du temps.

La porte entrouverte du bureau de l’Archimage du Chapitre Blanc fait naître un espoir que ta paume gantée s’empresse de saisir. Ou de frapper, du moins. Le métal claque contre la porte de bois alors que tu toques, prenant garde de ne pas pousser un battant que tu espères cacher celui que tu cherches.

- Heru Lòmion ? Vous êtes là ?

Légèrement étouffée du point de vue de ceux à l’extérieur, résonant plus que de raison depuis l’intérieur de ton masque, ta voix porte tout de même loin. Assez loin espérons-le pour – si le Doyen venait à être absent – attirer quelqu’un qui saurait te guider vers lui.

Tu pousses le battant avec une délicatesse tranchant on ne peut plus radicalement avec la présence qu’imposait ton apparence de géant de métal. Avec la même mesure, tu fais tes premiers pas à l’intérieur de la salle, pour mieux te retourner et fermer la porte derrière toi. Les tissus qui claquaient à l’extérieur ondoient maintenant avec une langoureuse majesté dans ton dos. L’énergie déployée par l’Archimage du Chapitre Blanc est très particulière… et extrêmement contagieuse. Difficile d’échapper à cette calme agitation, à ces bienheureux tressaillements intérieurs, à la force tranquille qu’était cet elfe… difficile d’échapper à la nervosité que canalisait Lòmion dans son étude.

- Excusez-moi du dérangement. tu t’inclines, main dans le dos et poing sur le cœur, en bonne et dûe forme Je ne serai pas long.

Si tu es soudainement si paisible quand tu devrais être incisif, c’est parce que lui n’est pas qui il devrait être. Si tu as été contaminé par l’habituelle placidité du mage, c’est parce que quelque chose t’a convaincu que lui-même en avait besoin. Surtout lorsque tu venais lui annoncer que…

- Dès ce soir, je serai forcé de m’absenter pour une durée indéterminée. tu te redresses, pour le fixer de tes yeux masqués Il nous a été rapporté que les Eldéens commençaient leur avancée vers Naélis, et s’il on ne veut pas prendre le risque de leur accorder une nouvelle fenêtre d’attaque vers la Prime-Œuvre, il va nous falloir tant que faire se peut aider les Naélisiens à préparer leur défense. tu marques une courte pause Pour tout ce qui concerne la gestion d’I Mentië i fuinënna, j’ai choisi un Epervier de confiance afin de me remplacer en tant qu’interlocuteur privilégié. J’essaierai aussi de maintenir le mieux possible le contact depuis Naélis, que les elfes qui m’y suivent et moi ne restions pas ignorants de ce qui se passe en forêt, et que vous en forêt ayez une idée de nos avancées.

Tu baisses la tête, soupires dans ton heaume et relâche l’intégralité des quelques minuscules tensions qui se seront accumulées en tes épaules et ton dos alors que tu échappais ta tirade. Ces derniers mots, c’est plus en tant qu’ami qu’en tant qu’Aran que tu les prononces.

- Je compte sur vous pour veiller sur Alëandir en mon absence Lòmion. tu relèves la tête, laissant s’étirer sur tes lèvres un sourire qu’il ne peut pas voir Que la guerre que je pars livrer permette à mes Frères de rester en paix.

- Je le sais bien. tu fais un premier pas de recul, et baisses légèrement le menton Je vous reviendrai, je vous le promets. un pas de plus Et nous pourrons tous profiter d’une Œuvre plus tranquille. tu te retournes, lentement, tes derniers mots prononcés juste avant que ton dos ne soit offert au Mysticiste À bientôt Assaila.

Et sur ces mots tu t’en allais. Allégé. Comme venant de ressortir vainqueur d’une épreuve plus difficile encore que celle vers laquelle tu guidais tes frères. Sur ces mots tu t’en allais, plus assuré que tu ne l’avais été en arrivant. À reculons peut-être, entre les lignes peut-être, Lòmion, fameux qu’il était pour abhorrer l’Art qui était le tien, venait de t’encourager. Lòmion, d’entre tous, te souhaitait la victoire. Lòmion, d’entre tous, avait mis assez de confiance en toi pour s’avouer que ce qu’il se jouerait à Naélis n’était plus de son ressort, que tout cela n’était plus quelque chose qu’il pouvait comprendre… Lòmion d’entre tous venait – silencieusement – de remettre entre les mains d’artistes martiaux le futur de ces Lieux.

Vous ne pouviez plus perdre maintenant. Tu l’avais promis. Il ne pouvait plus y avoir d’autre issue que votre victoire, car même les plus réservés d’entre les vôtres l’attendaient. I Ëmel avait réuni ses enfants. Hiril Lothren les guidait. I Maethor les accueillerait. Ir Iarwin saurait leur donner de dominer sur son cadet.
Il y avait trop en jeu pour que vous échouiez maintenant. Il y avait trop à gagner pour les Cités d’Anaëh pour que la Prime Déesse vous abandonne maintenant. Kÿria était avec vous. Kÿria guidait tes mots, Kÿria guidait leurs cœurs, Kÿria guiderait vos bras. Et I Melethron préparait hymnes et sarabandes pour les elfes du voyage. Car en prenant ce risque vous ranimiez le Prime Désir.

En prenant ce risque vous offriez aux divins amants l’occasion d’une nouvelle union.

Au nom de la Vie vous feriez raison de vos Passions.