L'Anaëh en Naélis | Sur les pas de Tyral

Oglicos de la seconde ennéade de Verimios
17e année du Onzième Cycle
Sur le chemin de la Place Tyral

Ta main droite s’écarte de la robe de ta monture pour glisser à ta hanche. Tes doigts se referment autour d’un objet fantôme. Tu claques la langue, réalisant le même état de fait pour la énième fois aujourd’hui. Ton cornet n’est pas là. Virìn n’est pas encore là. Mais tu la retrouveras, plus tard, en même temps que l’instrument avec lequel tu l’appelles, lorsqu’il sera le moment de prendre votre départ… en espérant qu’elle ait été assez proche de la Cité pour que les Gardes-Fauves d’Alëandir aient pu attirer son attention. Sinon il te faudrait faire avec un autre partenaire animal. Prendre un risque de plus, privé que tu serais de ta complicité avec la caëngal.

Tu regardes le ciel. Tu cherches une plume d’or. Tu rêves d’un céleste ami. Et puis tu te reprends. Tu rêves de la retraite de Sû, espérant qu’il se soit trouvé une place dans les montagnes, seul qu’il était aujourd’hui. D’ailleurs seul, tu espères qu’il ne l’est plus. Tu espères que d’une manière ou d’une autre, il trouve réconfort dans la présence d’autres congénères que feu la femelle avec qui il partageât sa vie. Tu réfléchis. Tu penses. Tu laisses ton esprit aller. Tu te dis que les animaux ne sont pas bien différents de vous. Pour beaucoup, les créatures de l’Œuvre rivaliseraient presque tant en intelligence qu’en sentimentalité avec vous. Pour beaucoup, les créatures de l’Œuvre auraient pu être à votre place, et vous à la leur. Si seulement il ne vous avait pas été donné Le Souffle. Mais et maintenant que vous l’aviez ? Que faire ? Comment rendre honneur à ce don ? C’était finalement là le plus grand des contentieux animant le peuple Sylvain.

Et de ce contentieux tu étais l’un des acteurs principaux.

Parce qu’aujourd’hui que tu as vu les Lirfelû, que tu as vu Sû et que tu entends distinctement, tu peux comprendre l’idée d’un renoncement. Recevoir un dangereux présent, et y renoncer par amour. Repousser les tentations pour à jamais rester proche de celle qui vous a offert le pouvoir de vous éloigner. C’est ce que font les Noss. Tu le comprends maintenant. La simplicité d’une vie vécue comme celle d’un Aigle, l’authenticité d’une vie vécue au plus proche de la Création telle qu’elle fût avant votre naissance, tu comprends en quoi elles sont désirables. Pourtant tu as beau comprendre, tu n’en veux pas. Parce que dans le renoncement, à tes yeux il y a autant de beauté et d’amour que de lâcheté.
Accepter un présent. Le faire fructifier. Prendre le risque de le voir devenir une occasion de chute, parce que les plus belles choses sont celles pour lesquelles on s’est battu avec soi-même, c’est ce que vous – Citadins – aviez décidé de faire. Le Souffle que La Mère a voulu que vous possédiez, vous l’avez complé aux Passions d’Arcamenel. Plus que tout autre créature vous vous êtes laissés aller à vivre la réalité du Prime Désir, mais parce que vous êtes faillibles, vous avez chuté. Vous Citadins, êtes à la fois le meilleur et le pire du peuple Sylvain. Vous Citadins, étiez les traîtres bien intentionnés. Et là où les Ornedhels par amour devenaient lâches, vous, par amour deveniez téméraires à l’excès.

Pourriez-vous un jour obtenir le meilleur des deux mondes ? C’est la question que tu te posais. Comment obtenir le meilleur des deux mondes ? C’est ce à quoi tu réfléchissais au lieu de penser aux choses plus pratiques, plus urgentes, qui auraient dû accaparer à l’instant ton attention.

Mais peut-on empêcher à un père de rêver un monde parfait pour ses enfants ?

Ton nom sonne à ton oreille, t’arrachant à tes rêveries. Tes pupilles glissent vers le coin de tes yeux, et se posent sur l’image d’un Mainyth s’approchant au pas de course. Ton regard se retire à lui pour se poser sur ton autre accompagnateur, l’autre Mainyth, celui de l’Armée Royale, avant que ta main n’appuie contre l’épaule de ta monture, l’appelant à ralentir. Tu quittes la selle, presque immédiatement imité par Elrendil, et ainsi votre convoi continue son chemin à pied, vos pas s’élargissant de manière à ne pas entièrement perdre le rythme donné par celui des chevaux.

- Bien. tu souris derrière ton masque Prêt à prendre la parole ? Je crois savoir que ce n’est pas ton activité favorite.

En cela Elrendil et lui ne se ressemblaient que trop… et c’était presque trop triste. Combien de fois avait-il suffi d’un discours pour rasséréner la milice Daranovane ? Les mots sont une chose puissante, et bien que les deux elfes aujourd’hui ton bras droit et ton bras gauche soient probablement ceux en qui te sentais le plus libre de mettre ta confiance, tu restes persuadé que leurs taciturnes attitudes un jour se prouveraient un obstacle à franchir.

Mais au moins aujourd’hui, l’un des deux semblait s’être décidé à en commencer l’ascension.

Juste à temps.

Le Lëandrin soupira mentalement. Ce n’était en effet pas sa passion… De toute façon mauvais menteur, Aegden avait souvent l’impression de ne pas avoir besoin de mots pour communiquer. Il n’appréciait guère les grands monologues qui se perdaient dans de jolies tournures de phrases au lieu d’aller à l’essentiel. Et pourtant…

-J’ai affronté la foule Thaarie, je peux faire face à mes frères et sœurs. Sa voix ne souffrait d’aucune hésitation. Pas plus que son attitude.

Il le fallait, même lui, taciturne qu’il pouvait être, le comprenait. Il leur devait une explication autant que l’Aran. C’était son peuple à lui aussi, sa responsabilité de les protéger.

Il devait leur faire comprendre que c’était justement pour cela qu’il partait. Non pas simplement pour suivre un roi avide de guerre, ce qu’Artion n’était pas de toute façon, mais parce qu’il fallait que des elfes se confrontent à cette menace assombrissant toujours plus l’horizon.

Il fallait, si ce n’est la réduire à néant, la ralentir assez pour donner un maximum de répit à la prime Œuvre. Et puisqu’il fallait des elfes, il ne fuirait pas ce pourquoi il était soldat depuis plus de trois cents ans. 
C’était par amour des siens qu’il mènerait cette guerre, plutôt que par haine, aussi dangereusement fin était le fil qui séparait les deux.

Il lui fallait simplement prier I Mîngely de lui inspirer les justes mots autant qu'il lui faudrait plus tard prier Hiril Lothren de lui accorder la résilience nécessaire pour tenir ses promesses.

Traduction:

Alors que le couple qui a demandé ton aide ferme la porte derrière eux, tu te retournes pour embrasser ton salon du regard suite aux aurevoir de circonstance. Eryvïnn n’est pas encore là, tu n’es d’ailleurs pas certaine qu’il rentrera avant ce soir, et tu as quelques minutes. Quelques minutes que tu penses à utiliser pour répéter ce que t’as appris Aegden, du moins ce qu’il a essayé de t’apprendre, et même si, seule, la danse est loin d’être aussi intéressante qu’à deux, il faut bien t’entraîner ; ce n’est pas avec les quelques séances que tu arrives à caser dans ton emploi du temps chargé que tu réussiras à réellement t’améliorer. Toutefois tu aurais à peine le temps de faire de la place que tu devrais repartir alors tu sors à ton tour, ferme ta porte, et te dirige vers un jardin qui se trouve à deux rues d’ici.

Dehors, tu fais quelques pas avant de te rendre compte que tu avances à contre-courant, les gens se déplaçant tous dans une direction. Alors tu t’arrêtes et tu arrêtes également quelqu’un.

« Excusez-moi mais… Qu’est-ce qu’il se passe ? Où va tout le monde comme ça ? » Le forgeron à qui tu as demandé de s’arrêter hausse un sourcil, se demandant si tu te moques de lui ou si tu ne sais vraiment pas.
« Le roi va faire un discours sur la place Tyral, votre Bienveillance. » C’est à ton tour d’hausser un sourcil et devant ta réaction il poursuit. « Vous savez…le depart pour Naélis. »

Tes oreilles se couchent en arrière, plaquées contre ton crâne, et après l’avoir remercié tu décides de passer par une ruelle et tu te diriges le plus vite possible vers le palais. Tu regrettes presque d’avoir ton sceptre, qui te ralentis plus qu’autre chose, qui t’encombre dans ta course et tu décides de ralentir lorsque ta couronne manque de tomber. Décidément tu cours trop ces temps-ci. A la place tu marches vite, ton bâton en ébène vivant frappant le sol au rythme de tes pas. Il faut que tu trouves l’Aran avant qu’il n’atteigne la place et qu’il commence son discours.

Et tu le trouves, ou les trouves parce qu’il n’est évidemment pas seul, avant qu’ils n’aient pu se présenter devant les léandrins. Tu pousserais bien un soupir de soulagement mais tu sais que tu viens d’accomplir la partie la plus facile de l’épreuve qui se dresse devant toi.

« Artiön, Aegden... » tu les appelles sans hausser le ton alors que tu t’approches, le bruit de ton sceptre battant le sol compensera sans doute le volume de ta douce voix pour attirer leur attention. « Est-ce vrai ? Allez-vous vraiment partir à nouveau pour l’Ithri’Vaan si peu de temps après votre retour ? »

Cette fois tu n’as pas le temps ni l’envie et encore moins le cœur d’enrober tes paroles dans des histoires ou des anecdotes ayant un vague lien avec le sujet en question alors tu es directe bien que tu n’aimes pas vraiment ça. Alors tu t’arrêtes devant eux et tu gardes l’espoir de t’être trompé.

La réponse du roi ne te plaît guère, comme tu t’en doutais bien. Mais peut-être que ta tâche en est facilitée par ladite réponse. Ou peut-être que c’est l’inverse. Tu ne sais pas trop, tu ne saurais le dire, mais ce n’est pas une raison pour abandonner.

« Vous devez bien savoir pourquoi je suis là. » Ta main se serre davantage autour de ton sceptre, tes phalanges blanchissent, et de l’autre tu remets en place ta couronne de vigne. « S’il vous plaît, Aran, reconsidérez votre décision. »

La suite, tu n’as pas envie de le dire ou d’y penser et encore moins de l’imaginer mais, encore une fois, ça fait partie de tes responsabilités, de ton devoir.

« Cela fait deux fois que vous quittez la Prime Œuvre en peu de temps, en trop peu de temps. La première fois était une erreur... » ton regard passe pendant une seconde sur Aegden avant de se concentrer à nouveau sur le grand elfe qui a accepté la lourde tâche d’être votre figure de proue. « Ne faites pas la même erreur deux fois… deux fois de suite qui plus est. Nous avons besoin de vous ici, en Anaëh, pas en dehors, loin d’I Emël et de la Symphonie. »

Tu ne sais pas ce que tu dois craindre le plus : qu’ils ne reviennent jamais ou l’état dans lequel ils reviendront. Sans pour autant être proche des druides, tu sais qu’être privé du chant d’Anaëh n’est pas bon et ce pour qui que ce soit, que l’on soit taledhel ou ornedhel. La dernière chose que tu veux c’est voir une figure aussi centrale que le roi ou aussi importante que le commandant de la milice d’Alëandir finir dans un temple de Tari. Evidemment tu ne le souhaites pour personne mais si tu peux l’éviter alors tu vas essayer ?

« Nous avons besoin, maintenant plus que jamais, de l’unité que seul notre roi peut nous apporter. Surtout ceux qui cherchent encore leurs marques dans leurs cités d’adoption. Nos frères et sœurs ont besoin de vous ici, Artiön, pas à Naélis. »

Si tu t’es dépêché de chercher le roi ce n’est pas parce que tu avais envie de courir, ou de marcher plus vite que d’ordinaire, tu aurais simplement pu attendre, comme tout le monde, sur la place qu’il arrive enfin. Mais tu ne l’as pas fait.

« Regardez-moi, Artiön. » Tu attends que son heaume ne se baisse légèrement pour que son regard croise le tien. « La seule chose que vous faites c’est mettre en danger nos frères et sœurs. »

Tu laisses tes mots floter dans l’air entre vous deux pendant une seconde avant de poursuivre.

« Et peu importe que vous en ameniez cent, dix ou un seul avec vous en dehors de la Prime Œuvre, c’est, et ça sera, toujours trop. Et qu’arrivera-t-il si vous perdez ? Y avez-vous pensé ? »

Toi, oui et tu as passé plus d’une heure à contempler le plafond de ta chambre avant d’aller rejoindre ton époux dans la sienne. Repenser à cette nuit et les scénarios plus horribles les uns que les autres qui se sont bousculés dans ton esprit enfiévrés par la peur te fait frissonner. Tu n’as pas envie de le faire et pourtant tu t’y sens contrainte.

« Que vont penser les drows? Que nous n’avons qu’une poignée de guerriers à envoyer ? Ne vont-ils pas se jeter sur des cités privées de leur roi ? Comme vous le dites si bien, Heru Aran, vous êtes le Protecteur du peuple Anedhel, son bouclier en somme, pas son épée et un bouclier se doit de rester près du corps qu’il défend sous peine d’échouer. »

Tu déglutis ensuite mais les mots qui se bousculent dans ta tête ne franchissent pas tes lèvres, pas encore, ceux-là, ils sont trop brutaux, trop horribles, tu n’es pas encore assez désespérée alors tu en cherches d’autres, plus mesurés. Des mots que tu n’as pas vraiment de mal à trouver d’ailleurs.

« Avant de partir faire couler le sang des mainyth Orian et Silad et des autres enfants d’I Emël qui vous accompagnent, assurez-vous que la Prime Œuvre puisse se passer d’un… de plusieurs de ses plus grands tacticiens. Assurez-vous que vous n’êtes pas convaincus que ce que vous faites, vous le faites pour Hiril Lothren alors que vous laissez Artir vous aveugler. »

-Chacun des elfes qui participent à tout ça sont volontaires, Heri. Intervint Aegden qui avait jusque là laissé faire la discussion, puisque la Main s’adressait avant tout au roi. Il n'aimait pas que l'on parle de lui comme s'il n'était pas là. Oui on prend un risque, oui on se met en danger, nous soldats.

Le nier était aussi stupide qu’inconscient. Ils partaient en guerre, leur vie serait constamment sur le fil et certains ne reviendraient peux être pas. Celui qui n’était pas conscient de cela n’avait probablement pas sa place dans l’expédition.

-Seulement, votre bienveillance, ce risque il est mesuré.  Son ton, bien que l’on pouvait y sentir une tension évidente se trouvait relativement calme.  Bien plus que si nous laissons les drows atteindre la Prime-Œuvre.

Des milliers de vies seraient ainsi épargnées. Le carnage des dernières guerres ne recommencerait plus. C’était d’un pragmatisme effrayant mais la réalité était ainsi : Naëlis servirait de bouclier et d’appât contre les drows.

Quant à réfléchir à une éventuelle défaite, oui ils y avaient probablement tous pensé. C’était là des réflexions inévitables. Seulement Si Naëlis tombaient, il restait aux elfes une chance de se détourner de ce bastion. Aucun n'aurait à affronter l'idée ,ou pire la visions même, de voir sa forêt natale partir en fumée par la barbarie de l’ennemi.

-Si nous perdons, Naëlis sera tombée et les drows deviendrons une menace bien plus tangible à nos frontières. Mais si nous laissons faire, Naëlis n’a pas la moindre chance et cette menace nous n’aurons pas fait le moindre effort pour l’en empêcher. Est-ce qu'on peux vraiment se permettre de laisser passer une chance de protéger nos terres ?

Tu ne doutes pas un instant que tous sont volontaires pour partir et c’est bien le problème. Non pas que tu ne veuilles qu’on force qui que ce soit à se battre mais se battre lorsque ce n’est pas nécessaire te laisse toujours un arrière-goût on ne peut plus désagréable dans la bouche. Tu secoues la tête, l’est-il ? Est-il réellement mesuré ce risque ? Et s’il l’est, l’est-il correctement ? Puis un sourire triste apparaît sur tes lèvres. Tu l’avais suffisamment entendu cet argument et d’ordinaire tu lui trouvais un certain mérite, tu le considérais, mais là il était absurde.

« Je… je n’arrive pas à croire que vous voulez partir défendre ceux qui sont responsables de l’existence même des drows. Ceux qui ont créé la menace qui s’approche insidieusement de la Prime Œuvre pour la détruire. » Tes passent tour à tour sur Aegden et Artiön avant de se poser sur le commandant de la milice d’Alëandir. « Il me semble que vous vous êtes récemment aventurés dans le Linoïn récemment, mainyth, je me trompe ? »

Tu ne le laisses pas répondre à ta question rhétorique, de toute façon tu connais déjà la réponse. A la place tu tentes de reprendre la maîtrise de ta voix dans laquelle se lisent la myriade d’émotions contradictoires que tu ressens. De la peur, évidemment ; de l’amour et de la haine ; de la colère et un certain soulagement ; de la tristesse et de la fierté… et tant d’autres.

« Je suis prête à parier que ça n’a pas été un voyage des plus plaisants, n’est-ce pas ? Alors pourquoi protéger ceux qui sont responsables de l’Aduram ? Et vous, Aran, vous savez que tous sont prêts à donner leur vie pour protéger la Prime Œuvre mais pourquoi le faire, ou ne serait-ce qu’en prendre le risque, lorsque ce n’est pas nécessaire ? »

Tu déglutis dans l’espoir de dénouer ta gorge, en vain.

« Mais qu’est-ce que ça change que vous y alliez ou pas ? Les risques que vous prenez sont inutiles. »

Tu savais déjà que tu aurais dû avoir cette conversation avec le roi bien avant ce jour, peut-être que tu aurais dû le faire lorsque tu es allé voir Artiön pour lui poser des questions à propos de l’arc de Kÿria, quand il travaillait sur la planification de sa campagne. Tu ne te rends compte que maintenant que c’est trop tard, que tu as surestimé le temps qu’il te restait pour l’empêcher. Pour le moment, la seule chose qu’il te restait à faire c’est poser une question dans l’espoir que la réponse te permette d’empêcher que ça ne se reproduise.

« Quand ?... » tu déglutis encore. Contrairement au roi qui fait virevolter son sceptre, le tiens reste immobile, planté dans le sol, ta prise sur le manche de faën ornë mort est plus forte que ce que tu pensais possible de ta part quand soudain tes épaules s’affaissent. Tes doigts se décrispes lentement alors que tu relèves la tête, les larmes aux yeux. « Quand est-ce que j’ai échoué ? Quand est-ce que j’ai manqué à mon devoir ? »

Aegden eut l’air d’avoir reçut un coup de poing lorsque la Main évoqua ses dernières mésaventures. Son visage pâlit et ses poings se fermèrent. Pas maintenant, la Main n’avait pas le droit à ce genre d’argument. Pas maintenant...

-C’est pour que des horreurs comme le Linïon n’arrivent plus jamais qu’on fait ça. Répondit-il d’une voix enrouée. Il se força rapidement à se reprendre, respirant profondément, laissant derrière lui l'afflux de souvenir et l'angoisse qui y était lié. Ce n’est pas eux qu’on protège Bienveillance. C’est nous, à travers eux.

Il s’en fichait pas mal des humains, ils pouvaient bien tous aller se perdre dans la tourmente. Seulement Naëlis restait un obstacle supplémentaire entre les drow et Anaëh. Chose que la Main ne semblait pas comprendre.

-C’est Anaëh. Notre maison Notre peuple qu’on part défendre.

La prêtresse en vint aux larmes et le mainyth lëandrin lâcha un soupir. Il aurait voulu ne pas en arriver à ce point…

S’approchant un peu de la Main, il osa poser une main sur son épaule. Dans son regard il n’y avait nulle colère, seulement de la peine pour cette femme qui se faisait bien trop de mal alors qu'ils avaient besoin plus que jamais de la voir forte.

-Vous n’avez échouée nulle par Calemirhel. Votre devoir vous le remplissez et vous le remplirez encore pour des centaines d’années, je vous le souhaite. Seulement il faut que vous nous laissiez remplir notre propre devoir. C’est difficile, je le sais. Mais il le faut pour le bien de la prime-Œuvre. Pour que le vôtre de devoir vous puissiez effectivement le remplir longtemps

Tu ne sais pas quoi dire de plus. Aegden semble persuadé que tu ne comprends pas, et peut-être a-t-il raison. Cela dit tu comprends l’objectif de ce déplacement : arrêter les sombres avant qu’ils ne puissent s’en prendre à la Prime Œuvre. Une entreprise louable, sans aucun doute. Ce n’est pas le souci, ce n’est pas ce qui t’as motivé à venir tenter l’impossible. Ce qui t’as poussé à tenter de faire changer l’avis d’Artiön c’est que tu es persuadée que le prix est trop important. Tu veux lui répondre que tu le sais, ça, qu’en protégeant Naélis, ils protègent, par extension, l’Anaëh. Mais ça serait perdre du temps pour rien. Lorsque le commandant s’approches de toi, tu es déjà résignée. Tu sais qu’ils vont partir et que, peu importe ce que tu peux dire, tu n’y changeras rien.

Alors tu murmures, tu t’assures que seul un souffle passe tes lèvres, pour être certaine que, malgré l’ouïe développée des anedhels, seule Aegden entende les mots qui vont suivre.

« Comment puis-je la contacter? Au cas où… vous savez... » ce n’est pas une idée à laquelle tu veux penser mais tu y es forcée.

C’est aussi ça, boire à la coupe amère de l’échec et ce peu importe ce que le commandant peut bien te dire. Tu te mets de profil pour libérer le passage des cavaliers, ta main, toujours un peu crispée sur ton sceptre, est la dernière partie de ton corps à bouger pour déplacer ce nouveau symbole de ta fonction, ce souvenir douloureux qui te rappel chaque jour pourquoi la Prime Œuvre se doit de rester en dehors des affaires du monde. Et même si à ce moment précis, plus qu’il y a quelques minutes le faën ornë te brûle les doigts, tu t’y accroches. Pour te souvenir. De ta main libre tu essuies la larme qui roule sur ta joue et tu lèves la tête vers le roi pour ne rien lui dire.

Tu te sens un peu soulagé de savoir que même s’il ne devait pas revenir, au moins Elorëa aura toujours sa mère même si savoir que son futur frère, ou sa future sœur, ne connaitra peut-être jamais son père te fend le cœur. Au moins le culte n’aura pas à s’occuper des orphelins du roi.

Ce que tu aimerais pouvoir en dire autant pour les cent cinquante autres.

Tu leur tournes le dos pour t’en aller. Tu n’as pas le cœur d’écouter leur discours, à la place tu vas prier Hiril Lothren sous l’Estel dans l’espoir qu’elle leur permette de rentrer.

Un second coup de poing. La Main se montre bien cruelle…

Aegden se recule un peu désarçonné par cette question qui le blesse. Il ne sait pas, et espère de tout son cœur que ce n’est pas le cas, si la main utilise cela comme dernière arme mais elle peut voir la peine que ça lui fait. L'Aduram passe-encore, elle ne pouvait pas forcément savoir le mal qu'elle faisait, mais cela...Il lui avait fait confiance, s’était montré dans ses jours les plus vulnérable et c’était cela le résultat…

Il répondit pourtant. Du bout des lèvres et d’une voix glacée.

-Je n’en sais rien, l’oiseau que nous partageons n’est pas revenu depuis des ennéades. Il serra les dents. Il y a une lettre scellée sur ma table de chevet, dans mes appartements. Donnez-la-lui si elle revient. Elle s’appelle Neassa-Laella.

Parce que oui, cette éventualité morbide, il y avait pensé. Parce que malgré ce qu’avait l’air de penser advienne que pourra la Main, il n’était ni idiot ni inconscient.

Il recula et comme elle fit mine de s’écarter, il fit un pas en avant, vers la foule anxieuse et curieuse, quittant définitivement la prêtresse du regard.

-Finissons-en.

Le roi n’aurait même pas eu besoin de son geste discret. Aegden fit un pas en avant sans aucune hésitation. Il avait l'air sûr de lui, le Mainyth lëandrin car il ne ressentait, à juste titre, aucune crainte devant les siens.

-A mon tour je vous dois des mots. Je vous les dois à vous mes frères parce qu’aujourd’hui est un bien triste jour. Son regard vogua d’un elfe à un autre sans vraiment fixer personne. Ce soir nous partons effectivement en guerre. L’affirmation tomba comme un couperet alors même qu’ils venaient déjà d’entendre cela. Nous partons loin de notre foyer. Loin de nos frères, de nos sœurs, de nos mères et de nos pères. Loin de vous. Sa main se posa contre son cœur, il flotta une seconde avant qu’il reprenne. Et par ça, je sais qu’elle est votre peur. Sa main vint reprendre sa place naturelle alors que ses sourcils se fronçaient. Je sais à quel point il est difficile, non, terrifiant, d’imaginer les nôtres prendre les armes loin de leur foyer. Je le sais parce que c’est cette même peur qui me serre le cœur. Son air s’adoucît un peu. Parce je suis tout autant Anehdel que vous, tout autant Lëandrin que vous réunis ici. Je suis né et j’ai grandit dans cette cité. J’ai marché, couru, ris, pleuré dans ses rues et ses jardins, parmi vous, mes frères et mes sœurs. Il releva légèrement la tête, son cœur emplis de fierté à cette idée, à nouveau il laissa un silence s’installer, permettant il l’espérait a tout un chacun d’imaginer les mêmes images que lui, de se remémorer pour ceux qui le pouvaient, de quoi il parlait. Mais c’est pour cela même qu’aujourd’hui je ne peux l’abandonner, pas plus que la Prime-Œuvre dans son ensemble. Ses prunelles anthracites vinrent s’arrêter sur quelques miliciens. Un jour viendra peut-être, où les sombres ne trouveront plus obstacle pour se ruer sur Anaëh. Ce jour là sera un jour terrible. Sa voix se fit plus ferme alors qu’à nouveau son regard dardait les elfes qui l’écoutaient. Mais ce jour, il n’est pas encore apparu. Et ce jour, nous pouvons le repousser ! Ce jour nous pouvons aujourd’hui en faire disparaître ne serait-ce la crainte !  Nous pouvons faire cela, sans qu’il en coûte une seconde à notre foyer ! Nous le Devons à notre Mère qui nous as offert cette terre. Nous en somme les protecteurs comme elle l’a voulu. Il leva un instant les yeux vers le ciel, comme si ses derniers mots avaient été aussi adressé à I Emël. Il nous en coûtera sans aucun doute à nous tous elfes d’armes  de se retrouver forcés par les sombre à nous battre au dehors. A nouveau son poing était venu se poser contre son cœur alors que ça voix se faisait à nouveau plus forte. Mais ce sacrifice, nous le faisons la tête haute. Pour chaque affront envers un Anedhel, le double sera infligé aux ennemis de l’Oeuvre, j’en fait le serment, et nous reviendront la tête tout aussi haute. Sa lance se trouva dans sa main et la hampe claqua au sol. Sur son visage s’affichait une sévérité solennelle. Il était commandant et l’on pouvait difficilement douter de pourquoi en cet instant. Parce que peu importe l’endroit, nos cœurs et nos souffles sont ceux d’Anedhel fier et c’est Anaëh que nous défendrons !