Aveux [PV Elazar]

Les événements se sont succédé à une vitesse déstabilisante. Le jour précédent avait vu ma fuite dans les montagnes, un retour en catastrophe en compagnie d’Aaron pour mettre ensuite le château sur le pied de guerre, l’emprisonnement et l’interrogatoire de mon ancien conseiller, Geoffroy de Hansfelt. Je n’ai pu assister à tout l’interrogatoire mené par mon père. J’ai résisté autant que je le pouvais mais…ce n’est pas tant les actes qui m’ont bouleversées que les paroles qui ont été prononcées. Et la vérité est telle qu’elle m’a tenue éveillée toute la nuit. Je ne suis pas à la hauteur de ce qu’on attend de moi.

Eudes et ma mère ont fait en sorte de me tenir éloignée de tout, de me garder dans ce qu’ils pensaient être une salutaire ignorance, afin sans doute de me préserver. Cependant, en agissant de la sorte, ils ne m’ont pas rendu service. Je me suis aperçue alors que cette ignorance n’a fait que me dépeindre un monde qui n’existe pas. Oui ce monde est violent. Oui ce monde est laid. Oui ce monde est rempli de mauvaises personnes et plus elles sont proches, plus elles sont susceptibles de vous détruire. C’est ce que j’ai ressenti en voyant mon ancien conseiller au sol, torturé par mon père. Je ne ressentais pas de pitié pour lui, j’en ressentais pour moi.

L’espace d’un instant, j’en ai voulu à ma mère. Si j’avais été moins innocente, tout ceci aurait été réglé sans que cela ne nécessite un déploiement de toute ma garde. Si j’avais été moins ignorante, j’aurais compris bien des choses avant qu’elles ne surviennent. Si j’avais été moins sotte…bref.

Je n’ai pas entendu mon père rentrer. Je suis de toute façon à peu près certaine qu’il n’aurait pas choisi de prendre un chemin conventionnel pour regagner son lit. Nul doute qu’il a utilisé ses facultés afin de revenir sans éveiller l’attention de quiconque. Je l’envie. Beaucoup.

Il est très tôt quand je sors de mes demi-songes. L’aube est encore loin, le ciel ne se teinte pas encore de pourpre ni d’or. Et je ne parviens plus à dormir, l’esprit embrumé par toutes ces discussions, tous ces faits, toutes ces découvertes. Assise sur le bord de mon lit, les cheveux éparpillés en boucles emmêlées sur mon dos, je passe une main sur mon visage, me promettant en silence de prendre quelques jours de repos ailleurs quand tout ceci sera terminé, je ne sais pas où encore, mais il le faut. Je ne suis que très rarement sortie des frontières de mon domaine et j’aspire désormais à voir d’autres choses, d’autres gens, découvrir de quoi ce monde est fait en dehors de mon territoire de neige. Dormir. Manger. Dormir. Visiter. Dormir.

Un regard vers la porte dérobée. Puis un autre vers mes pieds, plein d’hésitations. Je me lève enfin et me dirige, en longue chemise ivoire vers la petite porte, à pas de souris. J’ouvre délicatement et me faufile dans le petit passage afin d’entrer dans la chambre de mon père et observe la pièce éclairée par la lune. J’entends le bruit d’une respiration calme. J’aperçois un profil sous le drap fin. De nouveau, j’ai une hésitation, regardant le passage, ma chambre, puis inspire avant de fermer la porte. Peut-être ne sera-t-il pas content. Peut-être trouvera-t-il cela complètement déplacé et totalement malséant mais tant pis. J’en ai envie. Et j’en ai besoin.

L’espace d’un instant, je me revois, quinze ans en arrière, pénétrant dans cette chambre au beau milieu de la nuit pour venir chercher un peu de chaleur et de réconfort auprès de ma mère. Aujourd’hui, c’est mon père qui dort là. Et j’ai besoin de lui. Tout comme j’ai besoin d’Aaron. Même si pour ce dernier, je ne peux décemment venir le surprendre en plein milieu de la nuit. Et cela même si j’en meurs d’envie.

Sans plus réfléchir, je me hisse sur le lit avec prudence et viens me blottir contre Elazar. Je ne dis rien, je profite juste de cela, un moment volé, observant son profil à peine éclairé par la lune. Apaisée, je finis pourtant par fermer les yeux, en souriant un peu, calquant ma respiration sur la sienne.

Il y a des rats dans les murs. Leur maitre a déchu, certes, mais il reste peut-être quelque vermine à Fernel...

Cela ne fait pas longtemps qu'Elazar est revenu du chevet de Geoffroy. Il a tenu et disposé du seau d'aisance après des besoins primaire du captif, a replacé les articulations démises avant qu'elles ne se bloquent en place, laissant planer la menace latente qu'il peut faire ce qu'il veut de ce corp malmené.   Après tout cela, il lui a donné plume et vélin pour qu'il y consigne ses aveux sous sa surveillance, analysant chaque mot et chaque tournure de phrase pour qu'elle concorde avec ses aveux oraux.

Parce que les virgules et les points bien placés, c'est important.

Les jambes molles d'avoir assouvi ses pulsions comme cela faisait longtemps que ça ne s'était pas produit, alangui et satisfait de son travail, il a tenu à récompenser légèrement cet être immonde. Des vêtements propres, les restants de sa propre nourriture, et l'ordre de se rendre présentable d'ici son retour, sous peine d'encourir d'autres leçons de vie.

Il est un bon trois heures du matin quand les ombres s'agitent dans sa suite. Le vieil homme entre et fait une toilette sommaire, enlevant les traces de stupre et de torture de sa personne, il prend la peine de se tailler la barbe et d'enfiler sa chemise de nuit avant de se coucher, exténué.

Dans un demi sommeil, il entend des rats dans les murs... Il entend aussi une porte s'ouvrir. Sa main, lentement, instinctivement, va chercher la lame qu'il garde toujours sur lui... les yeux clos, le vieil assassin écoute. La respiration, les pas hésitants...  Le parfumeur se détend alors, goûtant la nouveauté.

Il aurait aimé que le petit courbache fasse cela. Cette forme frêle et chaude, féminine et douce aurait pu lui causer de l'émoi s'il n'avait pas été préalablement repu. Mais il se doit de se faire à l'idée. En plus de ne pas être de son âge et noble, elle est sa fille de sang bordel!

Après un moment, il n'y a qu'un léger mouvement, ou la jeune fille se trouve couverte par une des couvertures qu'il avait sur lui, avant qu'Elazar ne reprenne exactement sa position initiale, refermant les yeux. Il doit se reposer... Il n'a plus vingt ans tout de même.

Fernel ne cours aucun danger, il a tout avoué. Nous pouvons dormir en paix.

Dit il d'un ton infiniement las, fatigué. L'ennéade n'a pas été de tout repos.
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Le doux mouvement de la couverture sur moi me fait rouvrir un instant les yeux avant que je ne me pelotonne dedans. Je n’ai pas froid, mais…ce petit geste me réchauffe bien plus que la couverture. Je ne le gêne pas, il m’invite même à rester, en étalant ce morceau de tissu épais sur moi. Un petit poids s’enlève de dessus mon estomac et je laisse alors mon bras enlacer mon père tandis que je me repose contre lui les yeux clos. Ses paroles parviennent à mes oreilles alors que la chaleur de son corps à lui conjuguée à celle de la couverture me plonge à nouveau dans une langueur propre à tout sommeil réparateur.

- Tu as sauvé Fernel…

Inspirant profondément, j’ajoute, engourdie :

- Dors…Nous parlerons demain…

Sans ajouter quoi que ce soit, je m’endors là, contre lui, plongeant dans un monde sans rêves, totalement apaisée. Je n’ai plus rien à craindre pour la première fois depuis des jours.

°°°°°
°°°
°

De courtes heures plus tard, j’ouvre une paupière, puis l’autre, remarquant que je ne suis plus dans ma chambre. Que s’est-il passé ? J’ai trop dormi. Je ne me rappelle plus être venue ici, et …

- … ?

Il n’est pas encore éveillé. Il dort profondément semble-t-il. Qui peut le dire ? Je sais qu’il est passé maître dans l’art des faux semblants, après tout. Mon père doit être fatigué. Très fatigué. Je n’ose le réveiller. Alors je ne dis rien, je me contente de le regarder, avec un fin sourire, avant de me blottir à nouveau contre lui, goutant le plaisir simple de partager un moment pareil avec mon vrai père dans la chambre autrefois occupée par ma mère bien aimée, tout en jouant avec un pan de sa chemise.

Tout le monde y trouverait à redire.

Beaucoup trouveraient cela terriblement malsain.

Et pourtant je m’en fiche.

J’ai gagné le droit de partager des moments comme celui-là en subissant tout ce que j’ai enduré ces derniers jours. Et parce qu’on m’en a injustement privée. Je vois ça comme une revanche sur la vie, une revanche que je m’autorise, que je prends d’autorité, parce que j’en ai décidé ainsi.

C’est mon père, pas mon fiancé, après tout.

Il rêve.

Je le sens aux tous petits mouvements erratiques et désordonnés qui le traversent. Il murmure des paroles incompréhensibles, des noms je crois, il semble…heureux. Apaisé, tout comme je le suis. A quoi peut-il bien songer ? J’ignore tout de lui, de sa vie, de ses habitudes, de ce qui occupe ses journées quand il n’est pas occupé à sauver Fernel. Mon père est une énigme. Où habite-t-il ? Y a-t-il une dame dans sa vie ? Qu’aime-t-il par-dessus tout ?

Le masque de rigidité et de froide distance qu’il m’a montré à son arrivée s’est effrité, tout doucement, pour laisser la place à d’autres visages. Il sourit peu, comme si cela allait le mettre en danger, il semble sans arrêt sur le qui-vive. Il ne parle pas beaucoup non plus et quand il le fait, c’est toujours pour dire des choses rigoureusement exactes, précises, contrôlées. Le contrôle…Je pense que cela a construit une grande partie de sa vie parce que c’est ce qui transparait le plus quand je le vois. Il contrôle tout. Les situations, les gens. Ses sentiments. Sauf là…Là, il se passe quelque chose d’autre. Il semble heureux.

Lorsque sa main vient chercher la mienne, je la serre tendrement, nouant mes doigts aux siens avec douceur, heureuse d’un contact sincère jusqu’à ce qu’il tourne la tête et me regarde…en m’adressant des mots qui ne me sont pas destinés. Cela me fend littéralement le cœur en deux. Un pauvre sourire étire mon visage je le sais, tandis que je murmure :

- Elle me manque aussi…Tous les jours…Je n’ai même pas eu le temps de la pleurer…

Je ne bouge pas, je sais que ce moment là est bientôt terminé et qu’il va falloir me lever pour endosser mes responsabilités, encore et toujours. Rompre un charme. Et bon sang de bois, je n’en ai aucune envie.

- Je n’ai eu le temps de rien, pas même d’apprendre à te connaître.

Inspirant profondément, je me blottis au plus près, retardant une échéance désagréable, celle qui verra ce jour faire de moi, une fois de plus, la châtelaine intouchable et lointaine. La tête enfouie sur son torse, en recherche d’un dernier petit moment de chaleur, je ne peux m’empêcher d’ajouter :

- Je t’envie. Tu peux partir où tu veux, faire ce que tu veux, quand tu le souhaites, sans devoir rendre de compte à qui que ce soit.

La réalité me rattrape pourtant. Geoffroy. Ses aveux. Anaëlle. Il y a des gens à voir, des choses à faire, et je suis littéralement sur les genoux. Fatiguée. Je romps moi-même le contact et me redresse pour m’asseoir en tailleur sur le lit, lui tournant le dos tandis que je triture mes doigts, songeuse. Plus les jours passent, plus tout ceci me pèse.

- Geoffroy…Est-il…Est-il toujours en vie ?

S'étirant, Elazar profite de ce moment béni entre tous. Il tapote la jeune main avec affection

Le temps, jeune demoiselle, nous n'en manquerons plus.  Prends le aujourd'hui...

Le côté jeune chaton de la demoiselle de Fernel le fait légèrement sourire. C'est qu'elle est très affectueuse la petite. Il a quelques hypothèses à ce sujet, mais il tient sa langue et ses pensées en laissent, avant qu'elle ne disgressent du convenable. 

- Je t’envie. Tu peux partir où tu veux, faire ce que tu veux, quand tu le souhaites, sans devoir rendre de compte à qui que ce soit.

Il la serre contre lui en prenant le temps de répondre.

Les gens comme moi ne partons pas ou nous voulons, ne faisons pas non plus ce que nous voulons quand nous le voulons. Nous rendons compte au seigneur ou à l'employeur que nous servons. Ne te laisse pas berner par les apparences. Tu peux partir ou, quand et comment tu veux toi aussi, tu n'auras qu'à me le dire... ne répond rien, je tiens à ce que tu le sache.    

Alors rompt elle le contact, lui permettant en un sens, de son côté, de se lever pour enfiler une robe de chambre tout en laissant le  silence s'étirer de façon confortable pour lui, ne bousculant pas la jeune fille dans ses réflexions. 

- Geoffroy…Est-il…Est-il toujours en vie ?

La voix placide du vieil homme lui répond tandis qu'il rajuste sa mise avec application, ses pieds nus trouvant ses mules.

Il est toujours là où nous l'avons laissé. Ses fluides vitaux sont toujours à l'intérieur de son corp qui ne portera aucune séquelle. Sache que j'ai saigné plus que lui dans le processus. Il est toujours capable de parler, si tu désire d'autres entretiens avec lui. Veux tu réellement parler de cela avec moi? Tu devrais plutôt consulter ton conseiller à mon avis. D'ailleurs, comment va Anaëlle? Si elle survit, je te suggère fortement de la prendre comme camérière. Elle te sera d'une indéfectible loyauté si tu la traite bien... Et elle le mérite.

Il y a un moment de silence.

Puis je vous inviter à déjeûner dans tes quartiers lui et toi pour discuter de la situation telle qu'elle se présente? J'ai des faits nouveaux et très intéressants à vous exposer. je crois que vous aussi, parce que j'ai croisé un nombre phénoménal de gardes lors de mon retour cette nuit.

- Mère me disait la même chose. Elle disait que nous aurions tout le temps du monde, qu’elle serait toujours là, sur mon dos, jusqu’à ce qu’elle soit trop vieille pour chercher la chicane…

Je triture mes ongles, pensive. Cette vérité rend Elazar encore plus précieux à mes yeux. Il est le seul parent qu’il me reste, désormais, si on excepte ce frère adoptif donc j’ignore presque tout, Dante. S’il vient à disparaître, je n’aurai plus personne. Je ne suis pas très adroite pour dire ces choses du cœur -  Aaron en a été un triste exemple – alors je ne sais pas comment lui dire tout cela, tout ce qui m’inquiète. Donc je ne dis rien, je préfère me taire plutôt que de dire des enfantillages. C’est ce que tout ceci doit paraître à ces yeux, finalement. Des enfantillages…Cela étant, je retiens cette proposition qu’il m’a déjà faite, celle de partir en sa compagnie. L’idée est terriblement séduisante. J’adorerais passer quelques jours, une ou deux ennéades en sa compagnie, voire plus, ne serait-ce que pour apprendre à mieux le connaître. Passer du temps avec lui, parler de Mère, parler de lui, parler de moi aussi. Rattraper le temps perdu, au moins un peu.

- Quant à Geoffroy, évidemment que je désire en parler avec toi.

Je l’observe un instant, alors qu’il enfile sa robe de chambre et drape mes épaules peu couvertes d’une couverture de son lit, pensive.

- Aaron n’était pas là. Le couloir était verrouillé, tu es resté seul avec lui. A-t-il au moins expliqué ? A-t-il…émis des regrets ? Un remord ? Quelque chose qui pourrait me donner l’occasion de réfléchir à une éventuelle clémence ?

Parce que oui…Il y a cela aussi. Si toutes les preuves sont contre lui, s’il a signé des aveux, s’il ne regrette rien…Il me faudra prendre de terribles décisions.

- Quant à Anaëlle…Je suis allée la voir hier, je lui ai donné la poupée de chiffon, mais…Elle était terrifiée en la voyant…Elle ne l’a même pas serrée contre elle, elle pleurait sans s’arrêter, pauvre gamine…On dirait un de ces petits animaux abandonnés qui griffent et qui grondent dans un coin parce qu’ils savent qu’on va leur faire du mal…Sauf qu’elle ne peut plus rien faire, elle peut à peine bouger…Sa convalescence, si elle a survécu, sera longue. Pourquoi était-elle effrayée à ce point…Comme si j’allais être brutale…Je ne l’ai jamais été avec quiconque…

Drapée de la couverture, je m’extirpe du lit et passe une main sur mon visage, me rappelant les aiguilles plantées dans la peau de mon ancien conseiller…brrr.

- Nous pouvons faire cela en effet mais…pas dans ma chambre. Je voudrais que ce petit morceau du château devienne mon sanctuaire, un endroit où on me laisserait en paix. La petite salle de réception du rez-de-chaussée sera plus adaptée. Quant aux gardes…

Je le regarde de biais et murmure :

- C’est moi qui les ai déployés. Je voulais m’assurer que si Geoffroy avait des complices, ils auraient été empêchés de fuir. Les gardes avaient ordre de tirer à vue. Je n’avais guère envie de faire dans la délicatesse et la subtilité…C’est ce qui arrive quand je suis excédée. Et fatiguée.

Debout près du petit passage secret, toute joie a disparu de mon visage, je le sais. Je donnerais cher pour un petit instant de paix. Quelque chose qui me détende. Je relève la tête avant de le regarder lui et demande :

- Père, dans tes trésors, aurais-tu quelque chose qui me détendrait un peu et qui me ferait me sentir mieux ? Une herbe magique ? Une potion ? Quoi que ce soit ?

- Mère me disait la même chose. Elle disait que nous aurions tout le temps du monde, qu’elle serait toujours là, sur mon dos, jusqu’à ce qu’elle soit trop vieille pour chercher la chicane…

Oui, évidemment. Elle a perdu sa mère, celui en qui elle avait confiance et ses repères. Il comprend parfaitement mais ne rajoute rien. Qu'y aurait il à rajouter dans ce cas précis justement qui sonnerait soit terriblement faux? Il ne marque qu'un signe d'assentiment marquant qu'il est tout ouïe, avant de prendre ses lunettes pour se les flanquer sur le nez.  

- Aaron n’était pas là. Le couloir était verrouillé, tu es resté seul avec lui. A-t-il au moins expliqué ? A-t-il…émis des regrets ? Un remord ? Quelque chose qui pourrait me donner l’occasion de réfléchir à une éventuelle clémence ?

Oui, certes... Une clémence... Ca serait un risque.

Des remords? les gens comme lui ne connaissent pas le remord. Ils font profil bas, deviennent obéissant et obséquieux tout en rêvant de vous égorger au moindre signe de faiblesse. Peut-être me trompe je, peut-être a t'il du remord. C'est quelque chose que vous devrez discuter ensemble le conseiller Aaron et toi... Pour la jeune Anaëlle, laissez le temps faire son oeuvre, et vous verrez après. je ne conseille pas de l'abandonner ceci dit.

Non, parce que tout le monde l'aime dans ce château et est choqué de ce qui lui est arrivé. Tout le monde se sent coupable à ce sujet. Le vieil homme pense à l'avantage stratégique et au capital de sympathie gagné en l'épargnant et en lui accordant le pardon. En plus, la simplette pourrait être un atout maitre. mais de ces pensées calculatrices, il ne dit rien. Acquiesce quand a la demande pour la salle de réunion, se demandant comment il pourrait y arriver en toute discrétion... Fischtre, s'il avait au moins les plans des passages secrets!!!


- C’est moi qui les ai déployés. Je voulais m’assurer que si Geoffroy avait des complices, ils auraient été empêchés de fuir. Les gardes avaient ordre de tirer à vue. Je n’avais guère envie de faire dans la délicatesse et la subtilité…C’est ce qui arrive quand je suis excédée. Et fatiguée.

Lentement, il passe de l'autre côté du lit, boitant légèrement.

Tu affirme tes limites en tant que Dame de Fernel et tu annonce aussi la couleur de ce que sera ton règne... N'en ai pas honte. Les circonstances sont exceptionnelles, et personne ne t'en tiendra rigueur. Au contraire, tes voisins se tiendront tranquille, sachant qu'il ne faut pas essayer de te manipuler.

- Père, dans tes trésors, aurais-tu quelque chose qui me détendrait un peu et qui me ferait me sentir mieux ? Une herbe magique ? Une potion ? Quoi que ce soit ?

Oh non.... Pas ça. Si elle se met aux potions aujourd'hui, elle en deviendra accroc pour sûr. Il est une chose de soigner une crise de nerfs, une autre que de fournir du soulagement sur demande.  Il L'enlace alors et pose le menton sur la tête de la jeune fille.

Je n'ai que mes bras à t'offrir ma chère. Je ne crois pas que les plantes soient appropriées. Les sentiments que tu éprouve sont le lot de tout le monde. Et ce sont eux qui te diront comment agir.  Tu as été protégée par amour. Maintenant, laisse moi t'aider à t'éveiller au monde réel et les plantes ne feraient que te couper de cet apprentissage essentiel.

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- Je ne compte pas l’abandonner. Je me sens terriblement coupable de n’avoir rien vu. La pauvre petite…Il faudra que j’interroge les plus jeunes servantes du château, Anaëlle n’est pas la plus jeune, il y a ici des enfants, garçons, filles, il y a toutes les petites mains qui sont employées à l’entretien, aux écuries, aux cuisines…Ce sont tous des orphelins qui trouvent ici un toit, de la nourriture et un traitement digne en échange de petits services. Si ça se trouve, Anaëlle n'est pas un cas unique... Pourquoi n’est-elle pas venue me voir ? Je l’aurais écoutée…J’ai vu ses petits bras…Ils sont couverts d’ecchymoses. Elle aurait pu en toucher un mot à un ami, un autre enfant, n’importe qui…Personne n’a rien vu ou personne n’a rien osé me dire, je trouve ça effrayant.

La laideur de ce monde me donne la nausée. J’aurais aimé le surprendre en train de malmener une de mes servantes. Il aurait probablement payé immédiatement ses agissements. Haha mais non, suis-je sotte…Je ne sais même pas me servir d’une arme. Dépitée, je passe à nouveau une main devant mes yeux tout en soupirant. La frustration de ne pas savoir comment réagir ou de ne pas avoir les bons outils au bon moment pour ce faire m’envahit un peu plus tous les jours.

- J’irai prendre de ses nouvelles un peu plus tard. Efren s’occupe d’elle, de ce que j’ai pu constater. Et elle est donc entre les meilleures mains qui soient, meilleures que les miennes en tout cas.

J’esquisse un rapide sourire en évoquant le charmant petit tableau que j’ai vu en entrant dans la chambre du jeune homme. Il lui tenait la main, et elle s’y accrochait comme un noyé s’accrochant à la branche garante de sa survie. Les Kohle, de père en fils, sont décidément de preux chevaliers et de parfaits gentilshommes. Aaron doit être fier de son fils…

- Je n’ai pas honte d’avoir déployé mes soldats. C’est par contre une extrémité qui n’a pas souvent eu cours à Fernel. Nous sommes en paix depuis longtemps, j’aimerais que cela reste ainsi. Du coup oui…J’ai l’impression d’avoir fait cela pour rien, j’ai tellement peur qu’on me juge sur mes erreurs et pas sur le reste…C’est fatiguant…d’essayer d’être parfaite…Je n’ai pas vraiment le droit à l’erreur, tu sais…Le Nord…Ce n’est pas une région tendre avec les Dames…

Lorsqu’il vient tout près de moi pour me prendre dans ses bras, je m’y réfugie avec gratitude et confiance, les yeux fermés. Il refuse de m’apporter un soulagement factice, bien sûr, pour d’excellentes raisons, mais…

- Je ne sais pas si j’en ai envie… être éveillée à la réalité d’un monde pareil…Pratiquement tout m’effraye. Je me sens idiote, niaise, imbécile…Un jouet avec lequel on s’amuse même si j’essaye de couper les petits fils qui m’entravent…Et une fois qu’ils seront tous coupés…Que me restera-t-il…des désillusions et des cauchemars…Crois-tu que cela me donne envie de continuer à me battre pour rien ? Père, tu connais ma situation mieux que personne…Je suis totalement perdue et cela me torture. J’ai envie de bien faire pour les gens de Fernel, de tout le domaine mais je n’ai pas pu voir la taupe galeuse qui se cachait sous mon toit. J’ai envie de protéger ces gens, mais…je ne parviens même pas à me protéger moi-même…Il y a tellement de réalités auxquelles je n’ai jamais été confrontée. Des choses courantes pour tout le monde, mais pas pour moi. Parce qu’on m’a mise sous une cloche…

Les mots cruels de Geoffroy à mon endroit me revinrent en mémoire. S’il n’a pas réussi à atteindre ses objectifs, il aura au moins réussi à me déstabiliser. Je n’ai pas été protégée par amour, j’ai été protégée par intérêt. J’enlace enfin mon père nouant mes bras autour de sa taille, en ajoutant :

- Les sentiments que j’éprouve sont peut-être le lot de tout le monde, certes, mais…tout le monde n’a pas un château et un territoire à gérer…Des vies suspendues à chaque décision…Mais soit, je ferai comme tout le monde alors...Je prendrai sur moi.

Un doigt prend le menton et doucement Elazar oblige Louise à le regarder.

Tu es très intelligente et tu as déjà un coup d'avance sur lui. Tu l'a entendu, c'est depuis ta naissance qu'il te forme et te modèle à sa convenance. Pour que tu sois sienne… C'est normal que tu doute, que tu te sente inapte et bonne à rien. C'est ainsi qu'il te voulait. Geoffroy avait cette aptitude de faire croire beaucoup de chose. Tu as une tête bien faite et bien remplie… Il ne te faut que l'expérience et la confiance en toi et cela ne s'acquiert pas en criant ciseaux. Mais les gens de Fernel ont confiance en toi… C'est perceptible.

Mon regard dans le sien n’a pas l’assurance que j’aurais bien voulu lui montrer mais :

- Je ne veux pas devenir comme elle. Comme ma mère.

Je ne bouge plus, consciente que mes mots ne sont peut-être pas adaptés ni justes mais ils traduisent une réalité qui me taraude depuis que j’ai lu son journal. Je continue dans un souffle :

- Elle a suivi les désirs des autres, elle a suivi les traditions, elle a été brisée et elle est morte sans avoir eu le droit de dire au seul homme qui comptait qu’elle l’aimait toujours. Elle n’a été qu’un faire valoir toute sa vie. Ma mère…était gentille et douce, une dame parfaite mais au fond d’elle, ce n’est pas ce qu’elle était. Je ne veux pas finir mes jours ainsi, à faire semblant et à regarder l’horizon en attendant que les choses changent. On a fait de moi une poupée. Un jouet. Je refuse…

Je prends la main de mon père entre mes doigts et ajoute, dans un petit murmure :

- Il me faut des armes pour faire face à cela. Il me faut des armes et des gens fiables. Pourrai-je compter sur toi, père, afin de m’aider dans les tâches difficiles qui m’attendent ? Je vais tomber, je ferai certainement des erreurs mais…papa, j’ai besoin que tu m’aides à me relever, comme tu l’as fait ces derniers jours. Le feras-tu ?

Dans un geste tout simple d’affection, je dépose un délicat baiser sur sa vieille main avant de la placer sur ma joue, maintenue par mes doigts. J’ai besoin de lui. Mon regard plein d’espoir parlera pour moi.

- Elle pouvait dire non…Elle aurait pu s’enfuir…Au lieu de rester ici. Je me sens responsable de ses malheurs et de ses chagrins. Elle est restée ici pour moi et regarde le résultat…

Il me serre si fort, alors. Et ce geste d’une tendresse immense m’apaise. J’ai l’impression d’être sans cesse en demande, de devoir vivre cela pour me sentir bien. A la vérité, Mère n’était pas très démonstrative envers moi, elle estimait – à tort – que les sentiments sont des émotions qui ne peuvent que nous desservir dans l’écrasante majorité des situations possibles que l’on rencontre dans une vie. Eudes l’était parfois, mais sans réel excès. Geoffroy…N’en parlons plus. Je sais, j’ai l’impression d’abuser, de trop en demander mais…j’en ai besoin. Puis j’imagine que le jour où mon père jugera cette attitude inconvenante il me le fera savoir. En attendant, je profite donc allègrement de la situation et reste là, secouée par un petit rire discret, les yeux fermés.

- Nous sommes dans le Nord, ici, Père. Les nobles dames ne font pas de telles choses mais…tu as raison. Je devrais apprendre à utiliser une petite lame, ne serait-ce que pour me sentir moins désemparée…Quant au prince charmant…

Un soupir s’exhale de ma poitrine.

- Je n’ai pas eu besoin de l’attendre ou de le débusquer. Il lui a suffi de parler et de rester lui-même. Il est d’une noblesse…un vrai gentilhomme. Patient, doux, tendre…Nul besoin de l’attacher ou de le menacer d’une arme…

Je pose ma tête sur son torse et ajoute :

- Un jour, j’irai là-bas, en Estrevent. J’aimerais y aller avec toi. Je ne suis jamais allée plus loin que Serramire…Je voudrais voir de mes yeux tout ce dont j’ai pu apprécier la découverte dans les livres. Soulever la cloche du bout des doigts, me faufiler dessous et partir loin.

Je ne dis plus rien pendant de longues secondes et murmure, en regardant la porte qui mène vers la petite pièce annexe :

- Père...Que penses-tu d'Aaron?

La seule fois où le jeune Dante eut un semblant de considération pour autrui comme celle que la châtelaine a en ce moment, lui valu un brusque rappel à l'ordre on ne peut plus mémorable.

Elazar se rappelle que l'éducation des deux jeunes n'a pas servit le même but. Un noble doit se soucier de ses sujets. Un assassin se doit de n'avoir aucune émotion. Elle est une femme là où il est un garcon. Elle est de Péninsule et il est Estreventin. Elle est une noble là où il est un garçon de la rue. Elle semble parfaitement saine d'esprit là où le gamin a déraillé. Elle a été élevée sans lui et Dante avec lui presque exclusivement.

Elle est née pour diriger et il est né pour tuer.

Le vieil homme une anxiété diffuse se répandre dans sa poitrine. Sera t'il à la hauteur ce coup ci?

Les prunelles grises gardent leur lueur bienveillante jusqu'à ce que Louise pose la tête sur son torse. Il l'écoute en silence parler d'Aaron. Retient la jalousie qui menace de se poindre. Il est son père, certes, mais il n'a aucune autorité sur cette jeune fille qu'il ne connait que depuis même pas une ennéade.

-Je ne l'ai vu que pendant trois minutes, il me serait difficile de me faire une idée si rapidement. Mais je devine que c'est un homme de principes. Et… Vieux… Son fils a presque ton âge je crois non? Mais si c'est de lui que tu parle... Fais attention veux tu? Je ne voudrais pas que tu  ...    

Il lui déplairait fortement que Louise se retrouve enceinte. Elazar a un léger rire.

Ta mère t'a t'elle parlé de comment on fait les enfants quand tu as saignée pour la première fois? Je sais que c'est brusque et indélicat comme entrée en matière, probablement que je suis très en retard... Thaar m'a appris une certaine ouverture d'esprit qu'il n'y a pas ici, et je m'en voudrais que tu en fasse les frais. Ca doit être mon côté paternel qui se réveille je présume mon petit Bouton de Marguerite.

Je ne dis plus rien pendant de longues, très longues secondes, les yeux fixés sur la porte qui mène dans la pièce annexe. Mes paupières battent un peu plus vite que d’ordinaire avant qu’un soupir ne s’exhale de ma poitrine. Cette question était peut-être prématurée, il ne connait Aaron qu’à travers un prisme long de trois minutes, c’est vrai. Cela étant…Il ne m’a pas fallu trois minutes pour savoir à qui je confiais mon embarras, cette nuit-là, alors que la servante venait de s’enfuir dans les couloirs de l’auberge après m’avoir vue dénudée.

En silence je m’écarte légèrement de lui afin de bien l’avoir en face de moi, afin de pouvoir le regarder en murmurant :

- Tu n’es pas sérieusement en train d’évoquer une différence d’âge, n’est-ce pas ? Pas toi ? Parce que si c’est le cas…tu sais que cela n’est qu’un détail…N’en suis-je pas la preuve vivante ?

Un sourire malicieux étire mes lèvres. Mère était très jeune quand elle a rencontré mon père pour la première fois. Très très jeune. Lui était déjà un homme accompli.

- Il n’est pas homme à prendre avantage de la situation. J’ai énormément de respect et d’affection pour lui et j’ose croire que l’inverse est tout aussi vrai.

Mon sourire finit toutefois par s’estomper tandis que mes joues s’empourprent avec violence, en quelques secondes. Vient-il vraiment de poser cette question gênante entre toutes ? Il verra à mon embarras immédiat que ces choses-là...ne sont que des rumeurs, des supputations, des craintes à mes yeux. Je n’ose même plus le regarder, je me détache de lui et rajuste inconsciemment le drap autour de mes épaules, terriblement gênée.

- Plus ou moins…Elle n’en parlait pas beaucoup, Eudes n’en parlait jamais, Geoffroy en parlait parfois mais je ne comprenais rien à ce qu’il disait…Tout ce que je sais à ce sujet…

Je lève un regard timide vers lui en ajoutant :

- Je l’ai appris en écoutant mes gardes, parfois en surprenant des conversations de serviteurs, en lisant le journal de mère et…en t’écoutant parler avec lui, hier, dans ce cachot…ça a l’air d’être…brutal. Et douloureux.

Mes parents m’ont tellement bien mise sous cloche que je n’ai même pas un ami avec qui j’aurais pu parler de tout ceci. Tout ce qui concerne ces choses ont presque l’allure de légende horrifique, je ne suis guère tentée de vivre des expériences aussi ignobles que celles que j’ai pu lire ou entendre. Je baisse la tête et ajoute.

- J’ai l’âge d’avoir des enfants, je le sais. Je sais plus ou moins comment on fait et par où ça se passe. Si ça peut répondre à ta question. Et…non, ça ne m’est jamais arrivé.

. Au regard de Louise, Elazar reste imperturbablement calme et zen, soutenant sans mal le contact visuel. C'est un sujet qui le rend quand même mal à l'aise, le seul avantage qu'il a c'est que l'expérience lui permet de cacher ce malaise.

Je crois que nous avons manqués quelques étapes mais que celle ci, Elisabeth me l'a judicieusement mise entre les mains la maligne... Je vais, malgré le malaise que cela me cause parce que tu es une femme presque faite et très jolie ceci dit et que tu devrais savoir, essayer de t'éclairer du mieux que je peux...

Il lui aurait volontier enseigné lui-même, mais elle est trop vieille maintenant. Aussi se contentera t'il de lui expliquer. Reculant un peu, le vieux lui indique le bord du lit pour s'asseoir avant de le faire èa son tour pour prendre les petite menottes dans les siennes. Bon... par ou commencer?...

Tu as eu un contact initial étrange avec la chose je le concois. Laisse moi te dire que ce n'est pas représentatif. Bıen préparée, avec la bonne personne, cela sera merveilleux, crois moi. Ce que j'ai dit à la pauvre petite chose

à ton prisonnier hier est une méthode d'interrogation classique. Il ne faut pas prendre tout ce que j'ai dit pour une loi universelle et immuable, ni pour pure vérité. Ni ce qu'il a dit non plus... Il a voulu nous déstabiliser soit pour lui accorder pitié, soit pour que nous luis donnions une mort rapide et sans douleur.


Le vieil assassin marque une pause, relevant ses lunettes.

Tu sais, elle a été ma première aussi. Bon, ce n'est pas tout à fait vrai ni faux non plus, elle a été la seule qu'il n'ait jamais aimé en fait. Les prostituées ca ne compte pas. La première à me regarder, me parler comme une personne entière... Néammoins, il a fallu de nombreuses années avant que ...

Du haut de son jeune âge... Il lui a résisté un temps, mais elle était jeune, fraîche, dégourdie et très déterminée... Une de ces nuits, il lui rendit une petite visite... Il n'en pouvait plus... Et il fut acceuilli à bras plus qu'ouverts avec un léger sourire victorieux, il le jurerait. Un léger sourire nostalgique souleva le coin des lèvres minces.

Bon, au moins, si tu connais le vague principe de base, je pourrai passer outre le malaisant sujet anatomique de la chose, Néera soit louée. Je ne sais pas si mon vieux coeur aurait survécu. Elazar a un léger rire... Je ne te dirai pas que ca ne pourra pas être douloureux au début, ca serait te mentir. La première fois, tu pourrais saigner, mais ne t'en fait pas, ca sera normal. Cela voudra dire que tu ne sera plus vierge. Si ton amant s'y prend avec douceur et délicatesse, et que tu le veuille, ton corp s'adaptera sans mal. Ne confond pas non plus brutalité et passion ma fille...

L'Empoisonneur a une profonde inspiration.

Je vais écrire à mon ami, qu'il m'envoie une recette qui te permettra de réduire considérablement les risques de grossesse intempestive, et une autre pour après l'acte, si tu oublie ta tisane. Je vais te demander de les mémoriser par coeur. Il me déplairait que l'histoire ne se répète. J'ai été négligent à l'époque. J'aurais dû y penser...

Il baisse la tête, regardant le sol, apparamment gêné.

Pour cela, je te demande pardon. J'ai l'impression d'avoir ruiné la vie d'Elisabeth... et la tienne...

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A peu près trois mille questions à la seconde me parviennent, alors que mon père semble prêt à me révéler des secrets. Cependant, je ne dis rien, je me contente de sagement m’asseoir sur le bord du lit à ses côtés, lui laissant mes mains, attentive. La chose a l’air sérieuse, importante, énorme. Visiblement j’ai soulevé un point capital, quelque chose qui le plonge dans un embarras étrange, et cela parce que je suis une femme. Oui… Je peux comprendre, étant moi-même probablement aussi rouge qu’une petite fraise des bois en ce moment. Ceci étant précisé, je suis curieuse. Personne n’a jamais pris la peine de m’expliquer, de me raconter…de parler avec moi de ce sujet-là et je compte bien tout écouter jusqu’au bout. Même si je ne compte pas utiliser ce potentiel nouveau savoir dans un avenir proche. C’est à peine si j’ose prendre Aaron dans mes bras alors…ça…

Je regarde les mains dans les miennes, me rappelant ce qu’il avait dit à Geoffroy, d’un ton de confidence masculine, des mots gravés au fer rouge.

- Mais enfin…même pour déstabiliser, c’est parfaitement ignoble…Et tes réponses père…J’ai cru que j’allais me sentir mal, j’ai du me forcer à rester impassible…Comment as-tu dit déjà ??

Je regarde ailleurs, récupérant mentalement les mots pour murmurer :

- « Le plaisir de les sentir se révulser sous…sous notre queue, parce qu’elles sont trop faibles et soumises pour se soustraire à notre plaisir » ? Quelque chose comme ça ?

J’inspire longuement avant de regarder le plafond, encore secouée par ce que j’ai entendu entre ces quatre murs. On peut dire que pour un baptême du feu, c’en était un.

- Après ce que Mère a vécu ici…et Anaëlle…Quand il a parlé des cris qui résonnent, cela m’a brisé le cœur en deux, c’était comme si on tuait ma mère une seconde fois, c’était horrible. Est-ce donc la norme, d’agir de cette façon ? Une femme n’a pas d’autre choix que de se soumettre ?

Tant de questions, tant d’interrogations en boucle dans ma tête, j’en serre ses mains un peu plus fort, surtout quand il évoque cette fameuse première fois. J’en ai une moue dégoutée. Inévitablement l’image d’Aaron s’impose à mon esprit, une image que je dissipe très très vite en toussant nerveusement. Il ne me ferait jamais le moindre mal je le sais. Mais…non. Impossible de parvenir à potentiellement visualiser la « chose ». Je n’y parviens pas. L’image d’un autre, à la voix grave et profonde, éveillant quelque chose au fond de moi, surgit de nulle part et je la dissipe de même, très très vite, horriblement gênée. Est-ce possible d’être aussi gourde…Je n’ai aucun sentiment pour celui-là, que vient-il faire ici ?

- Brutalité et passion ne sont-elles pas choses semblables ? Quand Eudes prenait ma mère de force, était-il brutal ou était-il passionné, selon toi ? Je ne comprends plus rien…

A l’évocation de cette tisane miracle, j’ouvre de très grands yeux, avant de secouer la tête, incrédule.

- Mais enfin, père…Je…enfin…Je ne compte pas…tu comprends ? Nul besoin de demander des herbes magiques ou des tisanes pour cela…je t’assure…Hem…

Une honte sans pareille s’empare de moi alors à l’idée même de prendre ce genre de choses. Je n’ai nul besoin. Je suis en sécurité, ici, et le seul homme que j’aime est d’une probité sans faille sur tous les points, y compris celui-là. Non, décidément, ces potions sont inutiles.

C’est alors que, à l’évocation de son passé, mon père baisse la tête, chose qu’il ne fait jamais. Serrant ses mains avec douceur, je murmure :

- Père, regarde moi.

Je suis écarlate, pas très à l’aise, probablement pathétique mais je suis sincère.

- Ce n’était pas de la négligence, tu l’aimais. Et quand bien même tu considèrerais cela comme une « négligence »…cela m’a permis de voir le jour. Alors je t’en prie, ne demande pas pardon…

Dans un mouvement de réconfort, je viens déposer ma tête sur son épaule, pensive. Quel curieux tableau nous devons faire en ce moment, il est heureux que personne ne puisse survenir intempestivement en cette pièce…M’occupant à distraitement faire jouer ses doigts entre mes mains, pensives, je demande alors :

- As-tu fait des choses que tu regrettes, à ce sujet-là, papa ?

.  C'est avec une patience infinie que le vieil homme prend la peine de répondre, répéter et développer son argumentaire.

Elisabeth n'a pas crié, j'en suis convaincu... Sinon elle l'aurait dit dans son journal et je crois plus ses écrits à elle que les divagations de cet individu. Sache, Louise, que les gens acculés dans leur derniers retranchement auront toujours ce genre de parole surtout s'ils savent que tu es lié émotionnellement à quelqu'un qui a été lésé par leur actes. . Dans des situations moins extrêmes, ca se transcrit par des infimes gestes d'impatience, un ton qui change ou une passive agressivité sous entendue. J'ai dit ce que j'ai dit pour me mettre à son niveau, fille. Tant qu'il n'avait pas réellement peur de moi, il n'aurait rien révélé.

Non, elle n'a pas à tout connaitre sur lui. Elazar sachant pertinemment que ce qu'il aime est réprouvé par la grande majorité de la société. Pour établir le lien de confiance nécessaire entre tout seigneur et son maitre des Ombres, il écoute attentivement et essaye de lui répondre du mieux qu'il peut. Surtout à la question suivante.

La différence est dans le consentement ma chère. Une brute prend son plaisir et uniquement son plaisir. Une passion est un désir, un élan, une rencontre voulue, désirée et partagée de part et d'autres et elle prend diverses formes. Elle peut être douce et effectivement plus brutale, mais elle est toujours pleinement consentie et la jouissance qu'elle procure n'est pas destinée qu'au seul homme. C'est ici que je vois que l'éducation des dames de Péninsule laisse à désirer sur ce niveau. Les Estreventines sont beaucoup en avance sur nous sur ce point.

Il sent venir le mal de tête... Sans marquer aucune impatience, il laisse la petite fraise des bois triturer ses doigts. Vient ensuite la question du regret. Elazar regrette bien des choses, mais il ne les laisse pas régner sur sa vie. Vient alors la question qui tue.

Mon seul regret, c'est d'avoir tenu ma promesse ce soir là. Si j'avais su... Je vais essayer de me rattrapper d'accord? Et si... J'invitais ton frère à venir te rencontrer?


Oui, avec Dante, mieux vaut prendre les devants... Déjà qu'il ne sait pas trop ce qu'il lui veut. C'est peut-être un traquenard pour mieux le tuer. Ca serait dommage, sachant que sa rédemption est peut-être au bout de ses doigts.

Tout cela est parfaitement abstrait à mes yeux. De la passion, du désir, de la jouissance…Tout cela est totalement incongru et parfaitement vide de sens même si je sais, même si je sens que mon père essaye de trouver les bons mots, les bonnes explications qui me permettraient de comprendre un peu tout ceci. Mais non. Il n’y a rien à faire, ce ne sont que des mots creux qui décrivent des choses que je ne connais pas. Cela revient à tenter d’expliquer les couleurs à une personne aveugle de naissance…Je ne dis rien pourtant, j’opine de la tête, comme si j’avais compris. Je sortirai donc d’ici aussi innocente qu’à mon entrée mais probablement bien plus troublée aussi.

Je pousse un soupir sur l’épaule de mon père et murmure :

- Notre vie aurait été différente, si tu avais rompu ta promesse, tout simplement. Nous savons tous ce que nous avons eu, nous ne savons pas ce que nous aurions pu avoir. Peut-être aurions-nous été heureux. Peut-être que non. Quoiqu’il en soit, même si mère n’est plus là, il me reste mon père pour me guider, et j’en remercie la DameDieu de le permettre.

Je m’écarte un peu de lui pour tenter d’accrocher son regard et de lui sourire.

- Un père et un frère. Ce n’est pas rien. La vie peut parfois nous apporter des présents. Tu en es pour moi, j’espère en être un pour toi. Je serais heureuse de faire sa connaissance, nous n’avons pas eu beaucoup d’occasions de parler de lui…

Un frère. J’ai passé toute ma vie seule à Fernel, sans aucune fratrie. Je me suis toujours demandé ce qu’aurait été mon existence si un frère ou une sœur avait accompagné ma vie en ces murs épais transis de froid et maintenant que je sais qu’il existe quelque part un être qui est lié à moi…

- Dante…J’ai tellement de mal à me le représenter. Peux-tu me le décrire un peu ? Qu’aime-t-il ? Est-il gentil ? Est-ce qu’il m’aimerait tu penses ? Après tout…je suis l’intruse, dans votre relation…Peut-être qu’il ne sera pas content de savoir que j’existe…Crois-tu qu’il serait heureux d’avoir une sœur telle que moi ? Tu me l’as décrit comme un solitaire…un chasseur…

Voici le sujet dangereux des choses de l’amour vite planqué sous le tapis. Dante, ce frère dont j’ignore tout, me passionne énormément.

- Si tu sais où il se trouve et si tu penses que c’est une bonne idée alors…Il sera toujours le bienvenu ici.

Je l’écoute, avec un sourire. Un grand homme aux cheveux sombres et à la peau mat avec une passion pour l’herboristerie. En un instant, l’image de cet homme rencontré dans une taverne me revient, avant de repartir aussitôt, comme si cela n’avait été qu’une parenthèse, un modèle qui me permettrait de trouver un point de ressemblance afin de mieux imaginer ce frère tombé du ciel. Peut-être ressemble-t-il à Claude oui. Peut-être pas. Quoiqu’il en soit, lorsque mon père prend mon menton entre ses mains, je souris, heureuse :

- On ne peut pas plaire à tout le monde, père, tu le sais bien. Et puis…Nous n’avons pas été élevés ensembles, nous n’avons pas vécu les mêmes choses, nous devons être terriblement différents, je le crains. Si cela ne me pose pas de souci, il n’en ira peut-être pas de même pour lui. Tout est possible.

Cela me ferait énormément de peine d’être rejetée par Dante.

- J’essayerai de ne pas l’effrayer avec mon affection. Je resterai sage, c’est promis. Mais…Que pourrais-je bien exiger de lui, père ? Nous ne nous connaissons même pas, je serais bien malavisée de prétendre exiger quoique ce soit.

Je demeure pensive quelques secondes.

- Les gens farouches le sont parce qu’ils ont peur des autres et en demeurent éloignés pour d’excellentes raisons. Je ne connais pas les siennes mais…il n’aura aucune raison d’être farouche avec moi. Tout ce que je souhaite, c’est apprendre à le connaître. Tout que je veux apprendre à mieux te connaître. Mais soit…je n’exigerai rien de lui, père, c’est promis. Quand penses-tu que sa visite pourrait survenir ? Je ferai préparer une des chambres de l’étage pour lui de manière à ce qu’il ait un petit pied-à-terre et un endroit où se reposer en paix.

Déjà je suis occupée à remettre mentalement de l’ordre dans la dernière chambre du couloir, celle qui jouxte la chambre du Capitaine Atréis, mon capitaine de la garde. Il faudra un nouveau matelas de paille fraîche, de nouveaux draps frais et des bûches à profusion dans la pièce pour qu’il ne prenne pas froid. Il fait froid à Fernel quand on vient d’aussi loin que lui.

- Ecris-lui père, fais le venir. J’en serai ravie. Peut-être pourrons-nous passer quelques moments à trois, à discuter et à se découvrir…Qu’en penses-tu?

- Je ne sais pas, Père…Je n’y ai pas vraiment réfléchi.

Si mon père se lève et s’en va à son écritoire, je profite du fait qu’il soit parti pour m’asseoir en plein milieu du lit, ramenant mes jambes contre ma poitrine, avant d’inspirer profondément. Nouant mes bras autour de mes jambes, je pose ma tête sur mes genoux, regardant pensivement Elazar occupé à préparer tout ce qu’il faut pour un courrier.

C’est vrai, que pourrais-je lui dire ? « Bonjour, je suis Louise de Fernel et je suis ta sœur. Tu viens à la maison pour qu’on se fasse un repas en famille histoire d’apprendre à se connaître » ? Ce serait tout simplement immonde. Lui apprendre la nouvelle de cette façon serait trop direct. Il faudrait une formulation plus douce, quelque chose qui serait susceptible de lui donner envie de venir, quitte à utiliser un prétexte un peu idiot. J’avise la fenêtre juste derrière mon père et aperçoit la neige déposée sur les hauts arbres entourant le château. La neige. J’esquisse alors un sourire et dit, d’une voix douce :

- Père, toi qui es parfumeur, connais-tu les Carmines de Fernel ? Ce sont des fleurs qui ne poussent qu’en hiver, extrêmement odorantes, délicates, d’un blanc nimbé de rouge, comme si on avait plongé les extrémités de leurs pétales dans du sang. La floraison ne devrait plus tarder, et il est herboriste…Peut-être que cela pourrait l’intéresser…Ce sont des fleurs rares et belles. On dit qu’elles s’abreuvent du sang de la terre pour offrir au monde, en contrepartie, un parfum unique, persistant et entêtant.

J’adore ces fleurs, plus qu’aucune autre, d’ailleurs. Il y en a quelques exemplaires dessinés dans mon boudoir, je me promets de les lui montrer.

- Elles poussent un peu partout, spontanément, aux pieds des montagnes. Leur floraison est un spectacle étrange, un peu comme si la neige se tâchait de rouge, un peu partout. Je te montrerai, c’est magnifique.

Je relève la tête pour observer mon père, en silence.

- Le convoquer avec mon sceau ? Mais…Ce serait très solennel…très rigide comme façon de procéder. Il ne me connait pas et il y a peu de chance qu’il connaisse Fernel, d’ailleurs. S’il est farouche, recevoir un pli frappé d’un sceau d’une seigneurie inconnue risque de le faire fuir. Autant l’inviter ici avec des mots et une écriture qu’il connait, ne crois-tu pas ? Enfin tu le connais infiniment mieux que moi mais…autant ne pas l’effrayer…Je n’ai pas envie qu’il ait une mauvaise opinion de moi…

J’ajoute enfin, amusée :

- Parle lui des fleurs, tout n’est jamais qu’une question de fleurs dans notre famille. Des marguerites, des boutons, des carmines...peut-être que cela éveillera son intérêt.