[Correspondance] Echanges entre Louise et Elazar

Peut-être l'a-t-il guetté. Peut-être l'a-t-il espéré. Impossible de le savoir mais toujours est-il qu'en ce matin, un serviteur apporte un petit parchemin roulé et scellé de cire verte, portant les armes de Fernel.

- C'est arrivé ce matin, Monsieur Elazar.

Le serviteur déposera le petit rouleau dans les mains de l'Intendant avant de se retirer, tout en discrétion. Elazar pourra lire ce qui suit.

Diantra
7e ennéade de Karfias an 18 du XI cycle
Au matin

Elazar,

Ne m'en voulez pas de prendre des précautions qui pourraient heurter vos valeurs, je vous désigne par votre prénom pour des raisons que vous comprendrez mieux que n'importe qui d'autre en ce monde.

Je me porte fort bien et parcoure le monde avec force, impatience et curiosité, découvrant un peu plus chaque jour tout ce que j'ai toujours voulu voir et savoir. Mon escorte se montre à la hauteur de mes attentes, nous sommes arrivés à Diantra hier en matinée, après avoir traversé sans embûches Cantharel, Erac, Apreplaine et tous les petits villages, si nombreux que je ne peux décemment tous les nommer.

Ce monde est beau, vaste! Je note tous les jours, ainsi que vous l'avez suggéré, tout ce qui est nouveau et je dois bien vous avouer qu'à mon retour, il est fort probable que je vous partage mes découvertes avec plus d'un calepin de voyage, tant tout me plaît et me ravit.

Claude et moi nous sommes retrouvés par hasard au même endroit, au même moment. Il m'a fait part de ce qu'il vous a vu et du fait que vous avez mis vos affaire en ordre. Je ne peux que me réjouir de cette nouvelle qui confirme votre installation définitive à Fernel. J'espère que vous avez pris toutes les mesures en ce sens et que les travaux vous permettant d'occuper le logis du gardien avancent bien. Je sais le château et le domaine sous bonne garde entre vos mains, prenez soin de tout et de tous!

Nous devons bientôt quitter Diantra pour rejoindre Papincourt. Mon voyage continuera probablement sur Langehack et ensuite Thaar. Je ne vous cache pas toute l'impatience qui est la mienne à l'idée de déambuler dans les rues de cette cité. Je vous ferai part de mes impressions et vous tiendrai informé.

Prenez grand soin de vous!

Avec toute ma respectueuse et sincère considération,

Louise

Le jour vient à peine de se lever sur Thaar et pourtant une fine silhouette drapée de voiles de feu et de carmin observe les alentours, debout derrière une fenêtre ouverte. Le visage est jeune, incroyablement féminin et d’un teint pâle merveilleusement mis en valeur par les couleurs qui l’entourent. Pourtant, ce visage n’exprime rien de plus qu’une dureté dérangeante, tandis qu’il fixe le nord sans ciller.

Elle a eu le temps de réfléchir et de songer à ce qu’il convient de faire pour Fernel au cours de ce long et périlleux voyage qui l’a amenée ici, en terres étrangères. Le contact avec ce pays de libertés et de dangers en tous genres lui a ouvert les yeux sur bien des points et le résumé de sa situation personnelle est tout simplement catastrophique.

Elle est incroyablement isolée, sans réel appui de son Duc qui n’a pas hésité à la renvoyer en ses terres et cela même après avoir imploré sa protection dans une situation périlleuse. Il s’est moqué d’elle, il l’a humiliée devant ses gens en plein milieu de la cour du palais ducal et le souvenir de cette humiliation brûle encore en son souvenir. Il a heurté le cœur tendre d’une femme qui lui est pourtant totalement dévouée. Parce que Louise aime ses terres et aime le Duché de Serramire, même s’il est dirigé par un fat personnage à la suffisance crasse. Le Duché est magnifique, mais il n’est pas assez mis en valeur. Il ne brille plus.

Louise est aussi une femme à la tête d’un territoire du Nord. Sa position est précaire et extrêmement fragile, cela elle le sait aussi et c’est bien pour cette raison qu’elle s’est attelée à renforcer les défenses du château et du village voisins, tout au long de ses derniers mois. Protégé par les Montagnes, par les défenses astucieuses et conséquemment onéreuses déployées en ses terres, tout autant que par l’indomptable volonté de sa Dame, Fernel est à l’abri, pour l’instant, de toute velléité de conquête. Cela étant, il ne faut jurer de rien et ce qui est valable aujourd’hui peut ne plus l’être du tout demain.

Enfin, elle est célibataire. Ce qui fait de Louise une proie facile pour quiconque voudrait augmenter son patrimoine territorial. Elle n’a pas besoin d’un homme à ses côtés pour diriger. Cela aussi elle le sait. Pourtant, elle n’aura jamais le même prestige qu’une épouse, dans le Nord, elle sera toujours regardée comme un objet de curiosité, elle sera toujours mise au ban, tolérée mais jamais vraiment acceptée dans les hautes sphères de la société nordienne tant qu’un prêtre n’aura pas noué sa main à celle d’un autre seigneur. Cela aussi, elle le sait. Et elle ne peut le tolérer. Elle sait qu’elle est bien plus vaillante, plus courageuse et plus intrépide que l’écrasante majorité de ces seigneurs du Nord vautrés dans l’oisiveté d’un monde sans guerre, se proclamant supérieurs à elle tout en se flattant la panse, la lèvre grasse de repas chargés et l’œil éteint par la débauche d’alcool de grain.

Louise de Fernel est pleine de fougue et de feu, sous une épaisse couche de glace. Et ce feu, à défaut de le partager avec un homme digne d’elle, elle le partagera avec sa terre. Parce que Fernel sera toujours sa maison, son repaire de louve ardente et vaillante, sa maison. Le Duché est en manque de prestige. Un prestige que ne semble pas rechercher le Duc qu’on ne voit plus nulle part. Peut-être que Fernel pourrait modestement réamorcer cette aura d’argent qui nimbait autrefois ce beau Duché qu’elle habite.  Sa terre a des choses à proposer au monde. De belles choses de valeur. Alors sa décision est prise.

Se détournant de la fenêtre, elle s’installe au petit bureau installé dans cette immense suite du manoir de Rutsi et rédige une lettre, une des plus importantes de toute sa vie.




Elazar,

A cette heure où je vous écris, l’essentiel de mon escorte a du revenir à Fernel, les coffres chargés de présents pour vous et nos amis. Enguerrand, Guillaume et Nicholas sont à mes côtés, ils veillent sur moi tout en profitant des délices que peut procurer cette ville de lumière. Veillez à rassurer Henri sur la bonne conduite de son fils, Nicholas. Je n’ai qu’à me féliciter de lui, il sera, sans nul doute possible, un homme sur lequel je pourrai m’appuyer plus tard.

Nous résidons au manoir d’un homme influent de Thaar, ami de Claude. Je vous raconterai en détails ce qui occupe mes journées ainsi que cette éprouvante traversée mais ce n’est pas l’objet de cette lettre.
Voici les volontés de votre Dame.

Faites tisser les plus beaux velours de Fernel, de cette couleur rouge cramoisi que j’affectionne, et faites en sorte qu’ils soient agrémentés de fils d’argent aux motifs de feuille de chêne. Je désire que cet ouvrage soit une pure merveille. Quand cela sera fait, vous rangerez cette étoffe dans un coffre de chêne spécialement travaillé pour l’occasion. Là aussi mandatez le meilleur ébéniste de Fernel afin qu’il procure la meilleure essence disponible.

Entretemps, je désire également que vous prépariez trois de mes meilleurs hommes, dont le capitaine Atréis, à un voyage plénipotentiaire de la plus haute importance. Parez les de nos meilleurs chevaux et d’habits neufs, enseignez leur l’art et la manière de parler. Ne regardez pas à la dépense, les coffres de Fernel peuvent se permettre cela, je le sais. Permettez-leur de conserver leurs armes, cependant.

Dans le même temps, je vous prie de les préparer à un long voyage sur le fleuve et en mer qui les enverra en terres étrangères, emportant des cadeaux et une lettre que je dois encore rédiger. Elle vous parviendra probablement peu après ce courrier. Je vous remercie d’ailleurs de ne pas la décacheter et de la laisser intacte pour son prestigieux destinataire.

Je les envoie à Kirgan.

J’imagine la stupéfaction qui doit être la vôtre. Sachez cependant que, comme pour tout le reste, je ne manque pas de jugement et que ce voyage est crucial pour Fernel. Faites donc en sorte que les représentants de mes terres soient de dignes ambassadeurs de notre savoir-faire. Il y va de notre crédibilité au sein du Duché mais aussi du monde extérieur.

Enfin, je vous remercie d’ajouter deux recommandations non discutables dans les textes qui régissent mes terres.

- Toute personne surprise à massacrer un loup, une louve ou un louveteau sera sévèrement puni par moi-même.

- Les Drows, demi-Drows et autres Hybrides de cette engeance doivent être abattus à vue et seront pourchassés sans pitié. Prévenez la garde et les habitants. Aucun œil rouge ne brillera sur mes terres.

Je vous remercie pour tout ce que vous faites, Elazar. Croyez bien que j’ai grande hâte de vous revoir et de vous raconter en détails mes aventures. Il ne se passe pas une journée sans que je ne songe à vous et à Fernel. Je vous ferai savoir la date approximative de mon retour par courrier.

En attendant de pouvoir vous revoir, je vous prie de croire, Elazar, en ma plus respectueuse et sincère affection.



Louise

Un tout petit courrier parviendra à l'Intendant de Fernel, transmis par la voie habituelle.


Elazar,

Je vous annonce mon retour en mes terres pour la deuxième ennéade de Barkios.
Rassurez Henri sur la bonne conduite de son fils, je le lui ramène grandi.
Nous aurons l’occasion de discuter de mon long voyage à mon retour.
J’espère que vous vous portez bien.

Vôtre,

Louise