A l'ombre de Sainte-Iselda | Lucretia

Hiver - 5e jour de la 1ere ennéade
An 18 du XIe Cycle

L'ombre d'une fine silhouette en robe noire sous une simple cape bleu roi, marchait le long de la rue qui longeait le temple. Le soleil déclinait rapidement en cette fin d'après-midi prématurée et les nuages ne rendaient le ciel que plus sombre, rappelant les souvenirs douloureux du Long Hiver.

Puisque je partais, il était bien temps de me faire plaisir une bonne fois. A quand remontait mon dernier prêtre ? Geresh... Il était temps de recommencer. Une victime qui ait véritablement du sens, pour me faire pardonner ces élans de sensiblerie auprès de mon frère et me remettre le cœur en face. Et pour ne rien gâcher, ma garde robe réclamait la douce tenue sacerdotale d'une jeune néérite pour remplacée celle sur laquelle j'avais mis la main près de quatre ans plus tôt.

Depuis deux jours, je trainais donc autour du grand hospice de Néera : Sainte-Iselda. Les fidèles étaient nombreux en ces temps difficiles et les patients étaient plus diversifiés que je ne l'aurai cru. Soins gratuits obligent après tout... Enfin, cela m'arrangeait. J'avais eu tout le loisir d'observer les allé-et-venus, de noter les heures de service et les silhouettes les plus proches des miennes. Une femme assez svelte et pas trop grande, voilà ce qu'il me fallait trouver pour faire d'une vie, deux victoires.

C'était exactement ce que j'avais trouvé la veille au soir.

J'avais passé la journée à guetter l'occasion et voilà qu'elle se présentait à moi. Enfin. L'eau à la bouche, mes compagnes frémissant d'excitation, j'accélérais le pas. Je devais l'atteindre avant qu'elle tourne à l'angle. Le dernier badaud venait de disparaitre. Le prochain pouvait arriver à tout moments. C'était risqué, mais le jeu en valait la chandelle.

- Ma mère ! "m'exclamais-je pour la retenir un instant de plus et combler la distance qui nous séparait. Je n'était pas armée et bien légèrement vêtue pour un temps pareil. Ma main se referma sans hésitation sur son bras pour la retourner. Les lamentation se propagèrent le long de mon dos, prêtes à frapper.

... Mais elles ne gagnèrent jamais la lumière du jour. Le coup ultime qui n'aurait du prendre qu'une minute resta suspendu dans l'air froid. Un son... Il avait suffi que la prêtresse ouvre la bouche pour m'arrêter. Ses mots n'avaient pas d'importance. C'était sa voix. Si ce visage m'était inconnu, cette voix, je la connaissais. Elle éveillait des souvenirs de discordes, de douleur, de lutte et d'espoirs. Jadis, j'avais été l'alliée farouche de cette femme en terres barbares. Nous n'étions pas amies à proprement parlé mais nous avions été alliées et elle s'était toujours montrée aussi déterminé que moi. Elle avait été le témoin lointain du mépris et du dédain de mon odieux mari. Nous avions répandu la parole de la DameDieu à Nelen... Jadis...

Si proche que je ne pouvais ni me dissimulée, ni gauchir le souvenir de mon visage, cette femme sur laquelle j'avais jeté mon dévolu n'aurait jamais du se trouver là. Atterrée, je fronçais les sourcils et soufflait le mots qui sonnait à ma mémoire.

- Lucrétia ?