Où aller, quoi faire, où creuser

Horund Fend-Roc

Ainsi, les thanes avaient rendu un jugement, sous l’égide du nouveau Grand-Roi du Zagazorn, et de ce jugement naquit une décision, ayant valeur de loi. Une loi du clan, étendue à l’entièreté du Zagazorn. Une loi royale.

Oh, ce n’était point la première fois ni la dernière fois qu’un Grand-Roi ordonnait à l’échelle du royaume, et que le peuple obéissait. Chaque souverain avait marqué de son empreinte, les vélins des scribes et les roches des graveurs de runes, ainsi que les esprits de leurs contemporains. Certains suzerains, les plus éminents, les plus clairvoyants, les plus courageux, mais aussi, parfois, les plus imparfaits, faisaient encore parler d’eux depuis des siècles, des cycles. Leurs noms claquaient encore dans les gueules des Dawis, tandis que leurs os, eux, n’étaient plus que poussières. Mais depuis le Voile, depuis la Mâlenuit, depuis l’Ire de Mogar, le Père des Batailles, c’était bien la première fois qu’un Roi ordonnait de partager, et non de garder au secret.

Certes, cela n’a rien à voir avec les runes. Peuple le plus ancien de Miradelphia – ne laissez personne dire le contraire – ayant, dès le départ, dépassé les frontières du continent de par l’existence de la grande capitale Ankorong, les savoirs liés à la forge et à la mine, étaient partagés et enrichis depuis des cycles et des cycles. Bien moins perdus que le savoir runique, bien plus accessible aussi, plus souvent partagé, la quantité de vélins et de tablettes gravées des runes des scribes de jadis était impressionnante. Décider d’une entité centralisant ce savoir, était à la fois sage et bienvenu. La Grandloge de la Roche et de Métal, faisait donc figure de proue, symbole flamboyant de l’artisanat des forges et des mines, symbole central, fédérant les clans.

Un jugement nous disions. Sous l’égide du Grand-Roi, et sous son regard, et de par sa demande, les thanes des clans de forgerons et de mineurs étaient restés à Kirgan après l’Althinkalan, et s’étaient accordés sur un don incroyable, pour ne point dire, exceptionnel : la confiance. Un jeune forgeron, ayant à peine terminé son apprentissage, bénéficiait maintenant de la confiance des thanes et du souverain lui-même, et était investi d’une mission inscrite dans le roc, en rune d’or et d’argent : acquérir les savoirs, trouver, extraire et forger du Mogarium. D’aucun disait qu’il n’était point seul, qu’un vieux mineur était à ses côtés, et que celui-ci avait fait montre d’une grande motivation et d’une force de caractère, doublés d’une poigne flamboyante et de mots forts. Ainsi, en ce moment dans le Zagazorn, l’on parlait du nouveau souverain, cet ancien Gazanundi, soldat de Lante et du Brissalion devenu gardien de Kirgan et souverain du royaume des nains, mais l’on parlait aussi du clan Hargrund, du clan Barbe-De-Fer et du clan Main-Ferme. La lumière du Zarrat illuminait le destin de ces fiers représentants du peuple Dawi.

Horund, avait vu cela s’établir à Thanor. Ancien de son clan, âgé de 249 ans, il avait, comme tous les anciens du Zagazorn, attendu avec impatience les paroles et les lois de son thane, lorsqu’il revint de la capitale. Tout d’abord, il s’était étonné. Rester aussi longtemps à la capitale n’était pas chose commune, même pour une élection. Quelque-chose devait se préparer. Et il avait eu le renifloir aiguisé. Lorsque le thane demanda aux anciens du clan Thanorien, d’être à disposition d’une jeune barbe nommée « Thordril Hargrund ». Au départ grommelant, Horund c’était rangé à l’avis de son thane, et avait reprit ses activités dans la nouvelle Grandloge de la Roche et du Métal.

Des ennéades durant, il avait vu cette jeune barbe d’un regard bienveillant, doté, toutefois, d’une réserve froide. Le gratifiant volontiers de quelques accolades, il ne lui adressait que peu la parole, préférant parfois répondre par un silence aux questions pointilleuses de la jeune barbe.

Des ennéades durant, il avait scruté les faits et gestes de ce jeune forgeron. Il le voyait sans rien dire, épuiser les vélins et les tablettes, user de son postérieur les bancs de pierre de la Grandloge, écorner les coins des vélins à force de tourner les pages. Il le voyait se prendre silences et dos tournés, alors qu’il était difficile pour un Nain d’accepter de livrer certains secrets. Le savoir du Mogarium se trouvait dans ces écrits qu’il feuilletait à longueur de journées, et parfois, de nuitées. Mais ceux qui parlaient de gisements, dataient de bien des lunes désormais.

Mais il avait vu le jeune forgeron se battre pour sa mission. A chaque silence, à chaque regard en coin, il répondait avec un sourire sincère, ou montrait les dents pour se faire respecter. A chaque fois, jour après jour, il se montrait aussi motivé qu’au début, et aussi courageux que la veille. Jour après jour, il forçait le respect du vieux Fend-Roc. Jusqu’à-ce qu’enfin, le vieux Nain cède, et rende à la jeune barbe l’honneur qui lui est dû, et le fruit de son dur labeur.

Un soir, alors que Thordril lisait avec attention un épais recueil de vélins écrit voilà maintenant une quinzaine de siècles, le vieux Horund s’approcha. Le bruit caractéristique du vieillard claudiquant, à la hanche bruyante, et au souffle s’accentuant lorsque le pied douloureux touche le sol, avait tôt fait de tirer Thordril de sa lecture. S’approchant, s’éclairant d’une lanterne, le vieux prit place aux côtés du jeune, sans rien dire. Il posa délicatement sa lanterne, sans un bruit. Il plongea ensuite son épaisse pogne mainte fois blessée par des décennies sous terre, dans sa toge et son manteau de cuir, et en sortit un vélin sans doute aussi vieux que lui.

Il le plaça doucement sur la table, et plaça son index et son majeur dessus, déplaçant le précieux ouvrage sur la table de pierre, jusqu’à l’emmener presque sous la trogne du jeune poilu. Puis, il se racla la gorge, et prit la parole :

- P’tiot, c’ça qu’tu cherches. J’t’ai vu t’sais, r’luquer toute c’te paperasse bin’ plus vieille qu’moi. Ça fait qu’que ennéades qu’t’es rev’nu d’Kirgan, avec l’fardeau sur les épaules. T’as pas démérité, neh. C’sont des temps bin’ uniques qui s’déroulent. L’Grand-Roi, à b’soin d’symboles, d’choses qui permettent d’recentrer notre monde afin d’le faire avancer. J’sais point s’il a raison, mais j’sais point s’il a tords. Mais c’que j’sais, c’est qu’t’as l’courage de dix cognards, et la patience d’un dragon. Alors tiens, v’la. C’l’endroit d’un gisement d’Mogarium, en Haute-Virnée. Mon clan a longtemps creuser par-là, avant d’aller plus au Nord, puis de r’descendre à cause du Voile. C’filon, on se l’transmet d’puis bin’ longtemps, car c’tait point possible pour nous d’le miner. Mais avec toi, c’ra possible. Alors tiens, j’te l’donne. J’prierais Smedan qu’il t’accorde l’pouvoir d’le trouver, et d’le miner. T’as des questions p’tiot ? Si c’est l’cas, va donc m’chercher une bonne bière, la poussière d’ce lieux assèche l’glissoir.

Horund Fend-Roc

L’enthousiasme de la jeune barbe faisait plaisir à voir. Le vieux Fend-Roc s’était prit un instant d’une certaine affection pour le jeune Hargrund, alors qu’il venait de se rendre compte que toutes ces ennéades de travail et de recherches, n’avaient pas été vaines. Au contraire, il avait maintenant de quoi se rendre auprès de Braähm Main-Ferme, et d’entreprendre, enfin, les travaux de mine et de forge.

Cependant, l’ancien était resté quelque peu stoïque, et distant. Non pas qu’il ne voulait pas se montrer proche, ou affectueux. Mais il venait d’offrir un savoir, un secret de son clan. Bien-sûr, le thane avait donné son accord, et des discussions au sein du clan avaient mener à cet accord. Mais cela demeurait néanmoins exceptionnel, et, quoi qu’il en dise, un certain pincement au cœur.

La jeune barbe avait pris les propos de l’ancien au pied de la lettre, et était revenu avec deux pintes de bières. L’ancien leva la sienne, en hommage à la jeunesse en plein essor, avant d’en boire une rasade. S’asseyant enfin aux côtés du jeune Thordril, l’ancien prit à nouveau la parole.

- L’endroit s’trouve donc dans la Haute-Virnée. Faudra qu’vous alliez à l’Est d’la région, à une trentaine d’kilomètres d’la frontières Est avec la Nérania, et une douzaine de la frontière Nord avec le Septentrion. Il faudra r’monter un ancien sentier d’boucs, qui r’monte haut dans c’qu’les miens nomment « le mont crocheté », car son sommet érodé sur un côté lui donne une impression d’crochet. A l’époque d’ce vélin, les anciens on estimé la profondeur du gisement à presque deux kilomètres d’profondeur, si c’n’est plus. Pour l’reste, eh bin’… Prions Smedan qu’les Grobis, les Kobolds et aut’ salop’ries qui grouillent, soient éloignés d’vot’ chemin. Fini ta bière, Thordril Hargrund. La mission qu’t’as sur les épaules t’appelle.

Une réponse détaillée, mais une fin concise. Cependant, si le jeune forgeron prenait le temps de regarder les mires de son interlocuteur vieillissant, il pourrait voir que cette phrase, cette ultime phrase, n’est point une façon de congédier le jeune, mais, au contraire, un appel à la confiance, et au courage, alors que le vieux plaçait sur le jeune, l’espoir d’un clan en plus de celui d’une nation, et d’un souverain.