Creusons, minons, à l'aventure! [PV Braähm-Main Ferme]

2ème jour de la 2ème ennéade de Karfias, deuxième mois d’hiver. An 18 du XI Cycle

Depuis le soir où j’avais enfin terminé mes investigations dans cette loge poussiéreuse et hors du temps, j’avais sauté dans les préparatifs de mon voyage. Un long voyage vers la Haute Virnée. Je n’étais jamais allé aussi loin, mais Braähm avait pris soin de m’indiquer les chemins de montagne à emprunter pour atteindre la Grand Loge des Main-Ferme. Un long voyage de deux ennéades, en plein hiver. La neige tombera abondamment sur les hauteurs.

Groful avait refusé que je fasse le chemin seul, pour lui c’était trop dangereux de se balader dans le Nord tout seul. Partageant ses considérations, j’avais pris avec moi trois forgerons chevronnés, qui avaient accepté de quitter les forges Hargrund pour le mois, histoire que le voyage ne soit pas perdu pour eux. Nous avions également pris un bélier pour porter nos prévisions, en plus de nos propres montures. Une solide bête, à toison épaisse et aux longues cornes recourbées. Uzkular faisait plutôt « bélier de plaine », avec ses poils fins et ses fines jambes. Il ne fallait pas s’y méprendre, il ferait la route, bien qu’il ne s’est reposé que peu de temps.

Nous partîmes de bon matin, sabots claquant le pavé, sans se presser pour notre première étape. Par la suite, en se dirigeant vers la montagne, nous suivîmes la route vers Kirgan avant de se détourner pour emprunter des chemins zizaguant à travers les cols. J’enfonçais mon bonnet tandis que Uzkular chevauchait sans hésiter, sachant où mettre ses sabots pour ne pas glisser. Les nuits restaient tout de même froides, et après le 11ème jour de voyage, j’avais hâte que cet inconfort cesse pour me retrouver bien vite sous la chaleur d’une masure. Une autre éruption arriverait-elle qu’elle ne parviendrait pas à réchauffer mes doigts tellement ils étaient gelés et crispés sur les rennes de ma monture.

Mais, après les tempêtes se lève toujours le soleil, nous atteignîmes ce qui ressemblait à une tour à l’horizon. Bientôt, cette tour s’habilla de hauts remparts, avec une porte principale que nous cognâmes vigoureusement. La sentinelle nous héla, demandant notre nom et nos raisons. Personne ne s’exprima. Avec stupeur, je vis les autres forgerons me regarder, attendant que j’annonce notre groupe. Je me raclais la voix, et je criais pour couvrir le bruit du vent.

« Ici Thordril Hargrund et d’autres membres de son Clan. Annonces nous auprès de ton thane, Braähm Main-Ferme, il attends ma visite ! »

Le cognar étant satisfait, nous vîmes la porte s’ouvrir devant nous.

Le vent soufflait fort dans les montagnes de Haute-Virnée. Quel contraste avec ce début de mois qui avait été si clément ! J’avais vu la météo se dégrader de jour en jour, aux côtés des soldats qui étaient arrivés dix jours plus tôt. On avait été un peu serrés mais l’ambiance était à la camaraderie. Les différents nains qui partiraient avaient appris à se connaître. Je m’étais moi-même rapproché de Dwarthal, l’officier en charge de la main armée de l’expédition, et de sa fille, Sibris. Ils semblaient tout à fait aptes à remplir leur rôle, et ils avaient écouté attentivement nos histoires sur les monstres des mines. Je m’en réjouissais : la quête n’en serait que plus facile. S’ils avaient été aussi bornés que certains Dawis que je connaissais, on aurait sans doute eu des problèmes.

J’étais tranquillement assis dans mon bureau à discuter avec Dailor des possibilités qui s’offriraient à notre clan dans les mois à venir lorsqu’on vint me chercher avec la nouvelle : Thordril était arrivé.

« Ah, c’est pas trop tôt ! »

J’enfilais une tenue plus convenable et sortit en trombes de la pièce pour me diriger vers l’entrée de la loge. On avait fait traverser la cour à Thordril et ses compagnons pour les faire rentrer dans le bâtiment principal de la Loge, quelques minutes auparavant. Ils s’étaient déjà débarrassés de leurs lourds manteaux. Un sourire naquit sur mes lèvres en voyant le visage familier du nain. Je m’approchais de lui en tendant le bras pour le saluer.

« Thordril, quel plaisir de te revoir ! Nous t’attendions avec impatience ! »

Un petit attroupement se forma dans l’entrée, et un petit brouhaha commença à se faire entendre. Ils étaient venus à quatre. On leur amena une chope de lait brûlant chacun pour les aider à se réchauffer.

« Allons, fichez-moi le camp, m’exclamais-je à l’assemblée. On fera les présentations plus tard. Dîtes à Dwarthal et Jnordil de nous retrouver dans la grand-salle, et ramenez de la bonne purée et du lard pour nos invités. Vous devez être affamés ! »

La petite foule se dissipa et j’enjoignis le groupe à me suivre le long du couloir qui menait vers la salle. Je leur parlais des derniers jours passés, en leur expliquant les préparatifs que nous avions faits. Tout était prêt pour le départ. Nous nous installâmes tous les cinq à la première table venue et on nous apporta bières deux pichets de bière et des chopes déjà pleines.

Les visages devant moi me parurent roses ou rouges, tellement je m’étais habitué à voir les visages blanchis de mes compagnons. Le temps était bien plus froid qu’à l’accoutumé, selon le gardien de la porte. D’emblée, un nain sortant d’un bâtiment accolé au mur s’empressa de saisir la bride de nos montures afin de les emmener au chaud. Sentant que la fin du voyage était arrivé, ils s’empressèrent de rentrer se réchauffer. Quant à moi, je suivais le gardien qui m’ouvrit la porte de la Loge.

Tout de suite, la chaleur de l’air irrigua nos membres, notre visage. Je retirai mon manteau en laine lorsque que Braähm s’avança rapidement pour venir me saluer, parmi le monde curieux qui s’était amassé pour regarder les visiteurs. Je saisis la chope que l’on me tendit, découvrant un lait chaud et revigorant pour l’intérieur de l’estomac. En Thane autoritaire et bourru, l’hôte écarta la foule impolie et nous invita à dîner. Tant mieux, mon ventre grognait. A la suite de mes compagnons, je le suivais dans un couloir, dont on sentait la chaleur émaner. La cuisine n’était pas loin.

Laissant un peu les membres de mon Clan à l’écart, je me rapprochais de Braähm, qui m’expliquait avoir réuni des soldats, des mineurs et quantité de matériel et de vivres pour notre futur expédition. Il avait fait tout cela dans un temps record. C’était impressionnant. Ma dernière expédition dans un tunnel au fin fond de la montagne s’était assez mal terminée, même si elle était vouée à mal se terminer dès le départ. Aussi, même si cela faisait parti de ma quête, j’étais un peu réticent à repartir dans les ténèbres.

Nous étions déjà attablés, des pintes à la main, lorsque les assiettes furent posées. Oubliant peut être la politesse, je me jetais sur ce dîner chaud et copieux, et je ne m’arrêtais qu’à la deuxième assiette grassement rempli. Là dessus, je commençais mon récit, très rapide, de ma venue à la GrandLoge de Thanor pour étudier des tas de vélins et de tablettes poussiéreuses.

« Et là que j’commençais à désespérer de rester assis pour toujours le cul sur un banc de pierre tu vois, un soir, un Ancien v’na me voir. Un Fend-Roc, ptêtre que tu connais. Donc le voilà, et il me donna ceci »

Plongeant ma main dans mon habit, près de mon torse, je sortais précautionneusement une pochette de cuir, qui abritait le vélin. D’un revers de la main, je poussais en grognant une assiette et les quelques restes qui surmontait la table, et j’apposais le parchemin tout en l’ouvrant en mieux. Je laissais Braähm jeter un coup d’œil sur la carte.

« Selon lui, c’est près du Nerania, très proche des Hautes-Terres. Est-ce que c’est dangereux selon toi ? »

Un frisson parcouru mon échine lorsque Thordril mentionna la zone. Je me laissais aller sur ma chaise en poussant un long soupir. L’atmosphère chaleureuse de la salle contrastait avec ce qui se tramait à la table. Jnordil nous avait rejoint lors du repas, et nous nous regardâmes d’un air sinistre. Il acquiesça en secouant la tête.

« Ça va pas être simple, Thordril. »

Je buvais une longue rasade de bière avant d’entamer ma diatribe d’une voix sombre.

« C’t’infesté de trucs pas très amicaux par là. Engeances, sauvageons, Kobolds,… J’en passe et des plus gros. C’t’une bonne chose que Harald nous ait confié une quinzaine de soldats. »

Le calme relatif qui s’installait était ponctué par le bruit des couvert des convives. Je respirai un grand coup et continuai.

« On va pas tenter Mogar, on empruntera la route du sud qui mène à Almis avant de bifurquer vers notre destination. T’façon, les montagnes sont trop impraticables avec ce qui tombe depuis quelques jours, on a pas le choix, on perdrait trop de temps sinon. Faudra être vigilants, j’en connais quelques uns qui sont pas revenus de c’coin là. »

Dwarthal entra en trombe dans la salle, un sourire sur son faciès. Son attitude se métamorphosa en nous observant : il se doutait que les nouvelles n’étaient pas que bonnes. Je tapais de mes paumes sur la table doucement.

« On se doutait que ce serait pas facile, et ça va pas nous empêcher de faire du bon boulot. Va falloir s’armer jusqu’aux dents, mais ça on sait faire, pas vrai ? »

Il hocha la tête et reprit d’un sourire hésitant :

« C’mon métier, Braähm. »

Je lançais de nouveau un regard pétillant à Thordril.

« Tu t’assures un futur plein de gloire, jeune Barbe. Je peux te le garantir. »

Braähm ne semblait pas partager mon enthousiasme. Il semblait même déçu que mon annonce. Allait-il renoncer ? Je le couvrais d’un regard suspicieux. Il se mit à énoncer tout les dangers présents sur la route, des noms bien connus depuis la malenuit. Alors que tout le reste des invités continuaient à manger comme si de rien n’était, Braähm et moi étions déjà dans le froid glacé des montagnes.

Toutefois, il reprit courage lorsqu’un de ses compagnons rentra dans la salle et se dirigea vers lui. Le Thane avait déjà prévu son trajet, qui semblait rallonger le voyage. Par ce froid, je préférerai être tout autant au fond d’une mine le plus rapidement possible ! Néanmoins, je ne pouvais que m’en remettre à lui, car je n’avais pas d’expérience du voyage, encore moins en plein hiver. Je n’éprouvais pas vraiment plus d’inquiétude qu’en arrivant. Je savais depuis quelques ennéades déjà que le travail n’allait pas être facile, et qu’il était loin d’être terminé. De nombreux obstacles se dresseront sur notre route. Mais pour aboutir, il fallait passer par là.

Le nain m’accorda un sourire avant de replonger dans la bière. Quant à moi, je rangeais le précieux vélin à l’intérieur de mon manteau, avant d’enchaîner sur une question.

« Pour la route, comme tu voudras, tant qu’on arrive à destination. Rien n’arrête un nain qui veut aller miner, pas vrai ? Avec tout les préparatifs déjà effectué, quel jour partirons nous ? Je suppose que ça s’ra pas demain, mais ptêtre bien après demain ou encore après ? Il faudrait être sur la route avant la fin de l’ennéade ! »

La fougue du jeune Thordril ne m’étonnait pas. Était-ce de l’insouciance, de l’inconscience, de la méconnaissance, ou simplement une bonne dose de courage ? Les jours suivants me le diraient très certainement. En tout cas, ses questions me laissèrent un moment dans mes réflexions. À vrai dire, il fallait partir le plus tôt possible. Toutefois, la tempête qui s’annonçait n’allait pas nous faciliter la tâche. Les routes seraient très peu praticables, et on avancerait lentement. J’estimais à environ 20 jours pour une caravane de notre taille pour arriver à destination, mais le déneigement et les intempéries pouvaient très facilement doubler un voyage de telle envergure. Je soupirai en constatant que rien ne serait facile, une fois qu’on aurait quitté la Loge. Je fis part de mon ressenti à la jeune barbe et choisissant soigneusement mes mots.

« Tu as bien raison ! C’pas quelques flocons de neige qui vont nous arrêter ! Toutefois, il faut être vigilants : la montagne est dangereuse quand on ne voit pas où on met les pieds. Pour peu que la neige tombe beaucoup, on en aura jusque dans la barbe ! J’avais prévu que nous partions quelques jours après ton arrivée pour que tu puisses te reposer, mais je sais pas si tu as vu les gros nuages noirs au loin... Personnellement, et je pense que je parle pour tout le monde, ça me dit rien d’aller affronter ça dehors. Le plus sage serait d’attendre que le plus gros de la tempête qui s’annonce soit derrière nous. Qui sait quel genre de dangers on rencontrera dans les montagnes, là-haut. Si on arrive là-bas et qu’on est trop épuisés, on pourrait prendre un sacré coup. »

Je me redressai et serrai le poing.

« Soyons patients, Thordril. Vaut mieux être en retard qu'échouer. Et je n'ai pas l'intention d'échouer. »

Mon gant frappa la table au moment même où je prononçais ce terme plein de signification pour le Zagazorn tout entier : "Baruk!". Je repris ensuite d'un ton plus calme, et déterminé.

« Si dans quinze jours la tempête est toujours là, nous partirons tout de même. Ça te convient ? »

Malheureusement, il fallait être réaliste. Les choses ne pouvaient pas toujours bien se passer. Braähm me remit les pieds sur terre, en détaillant combien la traversée de la montagne sera rude pour une compagnie nombreuse et chargée, et qu’une tempête s’annonçait. Pour moi, c’était déjà une tempête, avec tout ce vent. J’étais curieux de voir à quoi ressemblait une vraie tempête de neige...de l’intérieur.

Néanmoins, ce retard ne pouvait que nous être bénéfique. Quite à devoir s’arrêter pour se reposer, autant le faire ici. Je prendrai mon mal en patience. Le Thane proposa un accord, pour ne pas prendre trop de retard. Attendre 15 jours au maximum, puis partir. J’acquiesçais, signifiant mon accord. Nous serions surplace à la 5ème ennéade. Le voyage ne devrai tout de même pas prendre plus d’une ennéade entière, non ?

Sur cet accord, je repris le cours de mon repas, désormais entièrement réchauffé par l’ambiance.

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