Un Nain saigne-t-il quand on le pique ? [Hook d'or]

Les délais étaient dépassés. S’il est une caractéristique de mon peuple que je partage, c’est bien la patience et l’opiniâtreté. Toutefois, les plans prévoyaient déjà d’avoir obtenu des suffisamment d’entrevues pour l’achat de bâtiments nécessaires à la réalisation de mes établissements de paris et de jeux de hasards. Il faut dire que, lorsque les missions des Mille-Caves n’occupaient point toutes mes journées, je passais mon temps à rédiger des missives et annonces publiques dans les chambres de commerces, en réalisant appels d’offres et autres annonces commerciales.

Je m’étais vite rendu compte que les Semailles, auxquelles mon maître Salfaryl aura grandement participé, auront entachées notre réputation à nous, les Nains. Il fut plus difficile que prévu de rencontrer quiconque serait assez aventureux pour me rencontrer, et faire affaire avec la main droite du Prince-Marchand des Mille-Caves. Si je n’étais point un fin stratège, je ne me douterais point que redorer notre blason demanderait autant de poigne que de finesse. Salfaryl en serait-il capable ? Ce n’est point trahison que d’émettre des doutes ou de questionner les choses, Salfaryl est un marchand extrêmement doué, mais ses vieux jours assombrissent son jugement et ses réactions jour après jour. Loin de moi l’envie de le remplacer, ni de lui planter une dague dans le dos. Je réserve ce sort à des adversaires dont les noms sont griffonnés dans ce calpin à la reliure de cuir rouge.

Cependant, Ophélia, de l’Aiguille Dorée, avait répondue à une missive par l’affirmative et consenti à un rendez-vous afin de parler affaire. Si son nom ne m’était pas inconnu – les Semailles ayant profondément bouleversées l’échiquier politique et commercial de la province – je ne savais point ce qui en était du mien. J’espérais en savoir plus en la rencontrant, mais, alors que les gardes à l’entrée du Hook d’Or amenaient à moi celle qui s’était annoncée comme mon interlocutrice, je ne pu m’empêcher de ressentir cette légère déception. Ainsi, celle qui tenait les rennes ne daignait point se déplacer, malgré les annonces alléchantes de ma part. Soit.

Le Hook d’Or devait être gênant pour elle, alors que les plafonds étaient bien moins hauts que ceux des autres bâtiments. De plus, l’endroit était bondé, comme à l’accoutumé, puisqu’il s’agissait du principal lieu extra-muros des Mille-Caves, où se réglaient les affaires et se signaient les accords divers et variés. Ainsi, la fumée était omniprésente, et ainsi participais-je à cette atmosphère en expirant un long et épais nuage de volutes, le tabac de mon hook étant bien tassé et brulant agréablement.

Lorsque celle qui se prénommait Moyra fut présentée à moi, je la dévisageais de haut en bas, à ma manière : de façon froide et analytique. Se doutait-elle de qui j’étais ? Se doutait-elle du calculateur, du manipulateur et de la stoïcité que je pouvais être ? Sans doute que oui, car son aplomb, tout à fait semblable au mien fait de rocs et de pierres, était à la fois déroutant et plaisant. Ainsi, Ophélia savait s’entourer de représentants vraisemblablement chevronnés.

Mais oublions un instant mon rôle d’émissaire des Mille-Caves, et reconcentrons-nous. Je ne suis ici qu’en mon nom propre, et si celui-ci est bel et bien lié à la pierre et à l’absence d’émotions, je suis bel et bien l’auteur d’un appel d’offre, ainsi ai-je secoué l’arbre pour voir ce qui pourrait y tomber, et ainsi ai-je donné une faveur à mon interlocutrice. Elle répondait à une demande formulée de ma part, et donc, était en position avantageuse. Toutefois, je disposais d’une marge de manœuvre étroite, puisque, de la même manière que j’offrais mon bras en promouvant un appel d’offre, elle exprimait un intérêt financier et sans aucun doute un besoin économique d’un quelconque montant que ce soit.

Aussi décidais-je d’être courtois, sans pour autant ôter mon masque de pierre froide. Me levant de ce qui me servait de palanquin, je baissais la tête d’un angle 22° afin de saluer la nouvelle arrivée, et lui indiqua d’une rotation de 24° du buste, et d’une main tendue, l’assise faite de coussins qui lui était réservée.

- Barukazar Moyra, ufdinin Ophélia. Dit le garde à mon intention, alors que je reprenais place sur mon palanquin au confort luxueux.
- Mingazkul. Ordonnais-je au garde, lequel fit marche arrière afin d’appliquer l’ordre que je venais de lui donner.

Les portes du Khazalide étant fermées au commun des mortels et des immortels, et le code verbal l’étant encore plus, l’envoyée de l’Aiguille Dorée ne se doutait point qu’elle se trouvait dans un endroit qui fourmillait d’espions à la solde des Mille-Caves, et, par la présente, à ma botte également. Ainsi, ses moindres faits et gestes seront scrutés et analysés, et ses propos, consignés, car, comme maître Salfaryl aime le dire : notre puissance se trouve dans la quantité de secrets que nous possédons.

- Dame Moyra, bienvenue au Hook d’Or, propriété des Nains de Thaar. Je vous remercie de votre déplacement, vous, et la dame que vous représentez. Désirez-vous un hook ? Un alcool ? De la nourriture ?

Autant commencer doucement, les négociations, cela prend du temps.

Je fus quelque peu surpris par ce mot exprimé dans un Khazalide à la fois écorché et imparfait, mais dont la justesse forçait une sorte de respect, stupeur et respect invisibles, car rien, pas même un poil de barbe, n’aura bougé face à cette découverte stupéfiante. Elle connaissait donc quelques mots de Khazalide, sans doute appris sur le tard pour faire bonne impression. Nul doute que les espions tout autour de nous, s’empresseront de creuser la chose avec grand intérêt, et avec rapidité. Il me faut savoir jusqu’où cette dame connait nous us et coutumes, et jusqu’où elle connait réellement notre langue natale du Nord.

- Ainsi soit-il.

Je tournais ma tête jusque dans l’axe parfait d’un serviteur attentif. Je levais le bras, mon épaule accompagnant le mouvement, jusqu’à ce que mon index arrive à hauteur de mes yeux, dans un mouvement ordonnant l’exécution de la commande. Pour moi, ce serait comme d’habitude : une vieille liqueur ambrée des tréfonds du Brissalion, maturée en fût de palissandre et épicé et mélangés à chaque solstice, et changé de fut tous les cinq ans. Un véritable délice, qui ne se trouve ici qu’en quantité limité – le gros du stock étant réservé à l’Eclaverne, au cœur des Mille-Caves… et à ma cave personnelle – et un Hook aux senteurs de noisette. Un peu de finesse, parfois, ça fait du bien.

Je reportais mon attention sur l’émissaire de l’Aiguille Dorée. Son teint halé était un signe indiquant de ses origines, et du soleil qui inondait sans doute sa région et… En fait, inutile d’y réfléchir. A la fin de la journée, j’aurais sans doute un rapport détaillé sur elle… Ou peut-être demain. La Loge d’Onyx est à ce point efficace.

- Ainsi, je vous remercie à nouveau de votre présence en ce lieu. Puisque vous avez répondu à mon appel d’offre, permettez-moi de vous demander de commencer l’entretien, en me présentant votre bien, et vos conditions. Voulez-vous ?

Des débuts un peu trop lents pour moi, mais bon. Les Humains sont parfois lents à la détente.

J’enclenchais donc une vitesse supérieure, en annonçant à l’émissaire de la dame à l’aiguille dorée – j’espérais qu’il n’y ait pas que l’aiguille qui soit dorée – le début des présentations, et donc, des négociations. Cette vitesse semblait la dérouter, en témoigne son sourcil arqué. Pourquoi ? Comment ? Peut-être s’attendait-elle à recevoir d’abord sa commande ? Ou peut-être pensait-elle devoir passer par une épouvantable longue présentation de titres, de choses réalisées, ou de vantardises de lignées ou de commerces réalisés ? Je ne saurais véritablement le dire, ne connaissant pas assez bien l’émissaire pour mettre une émotion ou une pensée derrière ce sourcil arqué. A vrai dire, je ne savais même pas quelles étaient ses pensées quant à mon peuple et à mon maître, ni ses connaissances quant à notre race souterraine. Je savais juste qu’elle connaissait le mot Khazalide pour bonjour, et commerçant. Ce qui était déjà plus que la plupart de ceux de sa race et de sa condition.

Elle expose donc les détails de la fameuse possession qui serait mise en vente. Tout d’abord, un petit récapitulatif du pourquoi de cette obtention au préalable, et de ce qui en fut fait. Inutile, mais bien venu toutefois. Connaître les préalables utilisations de cet établissement, m’aiderait à en faire ce que je voulais ensuite. Ainsi, l’Aiguille Dorée aura absorbée l’activité qui fut celle de ce lieu, avant d’en faire l’acquisition. Bien. Cela trahis – ou plutôt indique – une propension visionnaire, et somme toute très tactique de cette fameuse dame à l’aiguille précieuse qui, au lieu de simplement tout transformer, aura absorbé l’endroit – et je suppose les fournitures et les employés – s’assurant là, j’en suis sûr, un mouvement de coup de maître à moindre frais, et à la rentabilité immédiate. C’était intéressant.

La description du bien, ensuite, était toute aussi intéressante, sinon plus encore. Quatre étages, c’était parfait. Sa localisation aussi – proche de tous les commerces et autres enseignes, et donc, drainant un maximum de flux – ainsi que son agencement. Six caves, c’était plus qu’il n’en fallait pour construire un coffre-fort, un bureau de change, et Heidum sait encore quoi d’autre. Une cour intérieure rajoutait du charme, tout comme les terrasses, et le petit luxe au dernier étage, était une plus-value certaine. Je me voyais déjà transformer une partie de cet étage, en une aile de luxe pour joueurs impétueux, qui bénéficierait d’attention toute particulière de la part de mes gens. Au troisième étage, cependant, se trouverait la fameuse loge d’Onyx. Un étage inconnu, secret, sans accès autre que ceux prévus dans l’ombre, où tous les clients seraient espionnés. Oui, cette idée me plait bien.

Et vient le prix. Bizarrement – ou pas – le serveur vint apporter les deux Hooks, faits d’argent, et placés sur de petites tables d’appoint à proximité de nos assises. Sur la table centrale, une carafe d’eau, ainsi qu’une coupe en cristal, furent déposé du côté de l’Emissaire de la compagnie dorée, et, de mon côté, une pinte de grande capacité, en cristal toujours, et à la poignée adaptée, en plus de mon hook.

Regardant l’émissaire de l’Aiguille Dorée, j’appréciais ce petit silence qui parvint une fois l’annonce du prix et de prétentions, réalisée. Froid, sans émotion, je traitais l’information en préparant mon Hook, et en portant à ma bouche l’embout qui délivrait en moi cette senteur noisette, délicate, et parfaite. J’expirais lentement, profondément, ces volutes aux senteurs enivrantes. Reposant l’embout, je pris ensuite une gorgée gouleyante de ce breuvage parfait, que dis-je, divin !

Puis, je sortais mon petit carnet noir, celui que j’utilisais pour faire mes comptes. J’y trouvais les chiffres des comptes, ceux actualisés ce matin même, et ils étaient plaisants à lire. Le chiffre annoncé par l’émissaire, n’était ni effrayant, ni d’une quelconque menace à mes finances. Fort heureusement, l’amende décidée par le conseil de Thaar contre les Mille-Caves, n’avait impactée que les Mille-Caves, et cette affaire était la mienne. Bien-sûr, les Mille-Caves toucheraient une part, un impôt, un tribut, comme toutes les affaires Naines ici. Je griffonnais donc deux ou trois choses, puis refermais le livre sur mes genoux.

- Bien. Et quels sont ces avantages, je vous prie ?

Il me fallait les connaître, avant d’entamer une contre-proposition.