Sur les sentes songeuses | Mornàndur & Lómion

Depuis combien de temps les neiges ne s’étaient-elles pas déposées sur les vertes forêts des territoires d’Alëandir ? Quelques années à peine en réalité ! Faune et flore semblaient d’ailleurs en être plus surprises encore que je ne l’avais été lorsque le premier flocon s’était déposé. Des millénaires durant, le Protectorat d’Uraal avait réussi à conserver la couleur de l’émeraude, et voilà que depuis la dernière Longuenuit, le ciel lui-même s’attelait à le mettre à l’épreuve. Un Cycle sous le signe de l’adversité, du changement, de l’évolution, du questionnement, de la réadaptation. Il était peut-être finalement là le message qu’avait envoyé La Mère en enserrant les Murs des Cités de ronces, et en inspirant le renouveau des partitions de Liltalaima.. Peut-être fallait-il arrêter d’y voir appel ou punition, arrêter d’y voir un quelconque ordre de La Dame Sauvage à ses enfants. Il ne s’agissait peut-être ni de nous réunir, ni de sortir les Taledhels de derrière leurs murs, mais plutôt de l’opportunité d’un nouveau départ. Un rappel à l’ancien pour mieux nous emmener vers le futur. Une première épreuve pour nous préparer à un Cycle que La Très Sage savait destiné à être mouvementé.

S’il en était ainsi, alors ma présence sous les frondaisons ferait d’autant plus de sens. Un rappel à l’ancien pour mieux nous emmener vers le futur. N’étais-je pas justement cela ? Ma vie alors, aurait été conservée telle quelle, plutôt qu’offerte à mon disciple, en tant qu’ancrage pour affronter le changement. En tant qu’inextinguible flambeau au milieu de la tempête à venir… Et c’est qu’il est plutôt flatteur d’y croire. À la fois flatteur et pesant. Parce que cela voudrait dire qu’en ce nouveau cycle plus que jamais, mes conseils se devront d’être sages, et mes actes justes. Ça, et le fait qu’il me faille survivre mille ans encore…

Que La Dame-Ecume me soit clémente, et que La Mère me préserve. Je continuerai de suivre les Chants avec l’espoir de ne pas me fourvoyer, bien qu’il soit probablement difficile de se fourvoyer, quand adoucies par le froid hivernal, les Premiers-Fils sont aussi aisément distraits par la mélodie des mélancoliques.
Louée soit la longévité de la Sylve d’ici. Loués soient leurs yeux, leurs oreilles et leurs cœurs. Loués soient ces êtres qui ont tout vu, qui ont tout appris, et qui à aucune oreille ne refusent leurs secrets. À tous les Souffles s’étant jamais posé la question de ce qui nous rend – nous druides – si aptes à trouver les mots justes : nous ne savons rien. Nous n’avons jamais rien su et n’en apprendront jamais plus. Mais ce que nous ne savons, l’Œuvre nous le fait ressentir. Tant que le veut Liltalaima, nous sommes aptes à nous imprégner d’une part de l’être de chaque créature croisée sur notre chemin. Il n’est après tout pas une seule créature en Anaëh dont le tumulte intérieur échappe à la Symphonie.

- នេះ et surtout pas un Sylvain កំដៅសុភាពរាប

Mes deux flammes parties danser autour de l’ancien solitaire, je me suis à mon tour installé à ses côtés. Face à lui, ou du moins autant que je le pouvais sans mon propre rocher. Quoique même dans ce cas-là, les choses n’auraient pas été bien différentes. J’ai toujours aimé le contact du plancher, alors si second rocher il y avait, c’est probablement mon dos qui s’y serait appuyé. En attendant, lui qui avait posé les fesses sur le sien trouverait certainement utilité d’un autre pilier.

- Les enfants… de drôles de créatures, n’est-ce pas ?

Au moins autant que celle qui, face à moi, trouverait probablement l'excitation de la Mana plus chaleureuse que les flammes qui en sont nées.

J’avais réussi à lui arracher un sourire, et je l’espère, celui que je lui rendis fut plus chaleureux. Le deuil est un dangereux maître. D’autant plus sournois que l’expression de celui qui me faisais face, aussi lisses furent les traits de son visage, respirait une ancienneté que peu d’elfes ont l’occasion de connaître. Aujourd’hui n’est pas l’heure pour un elfe comme lui de trouver le repos, encore moins alors que le guette La Tourmente.

- Mon disciple fut ce que j’avais de plus proche d’un enfant. je me lève, et fais un pas vers le mage Et même alors qu’il n’était pas la chair de ma chair, le laisser partir a été déchirant.

Et déchirant de plus d’une manière. Parce qu’en le laissant aller, j’avais aussi brisé une séculaire tradition. Mais après tout, pouvais-je m’en plaindre, quand j’y avais gagné de vivre un Cycle de plus ?

- Mais ce fut tout de même la meilleure décision de ma vie.

Je continuais de m’approcher, tant que lui se refusait à fuir. Je finis par arriver à portée de doigts, assez près pour le toucher, pour prendre ses mains dans les miennes, et ainsi apprécier un peu plus la différence qui marquait nos deux carcasses. Des mains à l’image de nos visages. Les siennes encore largement lisses, à l’exception de la dernière phalange de l’annulaire droit, portant la corne du porte-plume. L'homme était un érudit. Un sage. Un puissant mage.

- Ce n’est qu’en s’en allant que nos enfants se réalisent pleinement.

Mes doigts enserrèrent les siens, ma poigne se raffermit quelques peu, parce que je sais ces mots durs. Durs en particulier pour un elfe qui n’a pas seulement vu son enfant prendre son envol. La douleur bouillant dans le cœur du Taledhel qui me faisait face est celle d’un père ayant vu le dernier battement d’aile de sa progéniture. La chair de sa chair a rejoint les Terres d’Emeraude avant lui, le condamnant à vivre son absence pour le reste de son Eternité.

- Alors même dans la tristesse, soyez fier.

Et que cette fierté devienne votre flambeau, jusqu'au jour où viendra votre heure. Car votre heure n'est pas encore venue. Lómion, père de l'enfant Faerin.

- យប់

Je chasse ma propre lueur, ne nous laissant au Mysticiste et à moi que les Lunes et les étoiles pour nous éclairer. Avec les ombres de la nuit pour cacher ses traits, l’endeuillé gagnait un peu d’intimité. Avec l’obscurité pour gommer les miens, mon visage perdait en importance. Ma personne perdait en importance. Seule comptait ma présence. La présence d’une oreille prête à écouter.

- Et quel est-il ?

Je pose la question, et prends un risque. Les siècles m’ont appris que même dans les plus grands moments de faiblesse, les paroles d’un elfe sont tout sauf innocentes. Peut-être pour rendre cet hommage le mage aura-t-il besoin – d’une quelque façon – de moi. Certainement puisqu’il m’a laissé le choix de me faire ou pas son confident jusqu’au bout, attend-t-il quelque chose de moi. Mais maintenant… ce service, je ne peux qu’espérer être en mesure de le lui rendre.

Bien que La Mère m’en soit témoin, il y a en réalité bien peu de choses qu’elle ose refuser à ses enfants.

La décision est folle. Complètement folle. Mais elle est probablement la plus sage qu’un elfe puisse faire. Je souris doucement, laissant les timides lueurs des astres nocturnes dessiner le contour de mes lèvres. Rien n’est plus enrichissant que de chercher à comprendre. Et rien n’est plus libérateur que de trouver une réponse. Seulement quand le second sans le premier n’est jamais que source de frustrations, le premier sans le second est une accroche à la vie, une mission comme d’autre, qui lorsque l’on fait attention à ne pas s’y perdre, ne saurait que continuer de faire grandir un elfe. L’elfe avec moi, je lui fais confiance pour ne pas se perdre.

- Prends garde à ne te laisser séduire ni par le fantôme de ton enfant, ni par celui qui l’aura séduit. j’ajoute calmement, hochant la tête Il ne fait jamais bon s’approprier une mission qui n’est pas la sienne.

Mes mains se font moins insistantes, et je délie mes doigts des siens. Il est temps de le laisser aller. De lui rendre la liberté. De lui retirer mon gardiennage. Il n’est plus temps pour moi de le guider. Son chemin, il faut qu’il se le laisse dicter par son cœur et son Souffle. Son chemin, il ne faut pas qu’il y prenne de raccourcis. Il faut qu’il voie, il faut qu’il vive, il faut que le temps d’un pèlerinage, il prenne le temps de se détacher des murs, et se laisse emporter par la course de Ruthwentè.

- Mais j’ai assez confiance en ton cœur, et en celle à qui il appartient, pour te guider à travers ce pèlerinage. je soupire Sois juste prêt, Taledhel, à accepter la douleur pour guérir la douleur. La vie sous les frondaisons peut parfois se montrer cruelle. Pour autant, elle reste l’heureuse réalité de ceux qui la vivent. le bout de mon doigt vient se poser entre ses sourcils Le temps d’un pèlerinage, il te faudra mourir à celui que tu es, ou le deuil continuera d’agripper celui qui se réveillera.