Grand faste à vous, amis lointains ! | Lohie et Tibéria

Début première ennéade de Karfias 18:XI

Un navire venu de Thaar portait une missive à l'intention des futurs époux de Brandevin. Le jeune homme qui porte le message est un Vaani au teint basané et au crâne enroulé d'un turban de grosse toile. Il se prosterne pour un rien et ne  regarde jamais qui que ce soit dans les yeux, attendant avec patience la réponse qu'il espère se voir confier.

Un simple étui de bois d'un gris étrange cacheté d'un ruban et de cire entrelacés. On ne trouve pas ce genre d'arbre en péninsule : de l'arbre à soie de l'est des plaines Valmar. Nulle gravure, nulle inscription. Seulement la douceur du bois poli et le raffinement du cordon de coton blanc légèrement sali par son long voyage.

A l'intérieur, un rouleau d'un rouge aussi vif et profond que les feux de la passion. Au moment de le tirer de son écrin, quelques grains d'encens rouleront à terre, libérant pleinement la fragrance exotique de ces pays lointains. La trame de la lettre en est imprégnée.

Une fois déroulé, le papier d'une qualité certaine dévoile ses enluminures raffinées. Des formes végétales chamarrées ont été tracées sur tout son pourtour, laissant un large rectangle pour un texte écrit en péninsulaire. L'encre noire a été posée à la plume de calligraphie et l'élégance de l'écriture toute en boucle laisse rêver à la main d'une femme aux mouvements gracieux.

Missive

Grand faste à vous, amis lointains !

Nous, Lionnes de Nisetis, avons appris la grande union de vos importantes personnes Lohie de Brandevin et Tiberia Soltarii-Berontii. Vie de grandes joies, chances et bénédictions !

Notre art s'expose aux Princes et aux Princesses de notre pays. Du magnifique Joyau aux beautés de Baaz'Hima nous partageons un moment de beauté avec les véritables esthètes. Mais à grande occasion sourient les nouvelles expériences. Garati, Liss, Elaheh et Talrae vous offrent leurs danses le temps d'un jour.

Que l'Amour et la Beauté de ce jour soient honorés.

Que les Dieux vous gardent, dans ce monde et dans les autres.

Les Lionnes

« Leurs danses ? ici ? Qu'est cela ? » Installé à côté de Tibéria sur des cathèdres de chêne au bout de la grande salle où il recevait d'ordinaire les doléances et réglait les affaires litigieuses, Lohie, intrigué, se redressa quand Azzerelo, l'intendant du château de Papincourt eut fini de lire la missive. Car le vicomte était entouré d'une dizaine de proches compagnons, dont ses favoris, de quelques gentilshommes et de nobles dames et d'au moins autant de clercs, assis alentours de leur maître, devant des écritoires ou par terre, une table de cire entre les jambes, qui avaient soulevés leurs yeux fatigués vers l'intendant à la lecture de l'étrange et inhabituel missel.

« C'est sûrement, mon doux seigneur, quelques nobles artistes d'Estrevent qui demande à se produire à l'occasion de vos noces. L'étui qui contient la missive est d'une facture de belle et grande qualité, voyez... » 

Et ce disant, un petit page vint se saisir de l'étui et de la missive, et les porta incontinent à Lohie et Tibéria, qui en examinèrent les enluminures raffinées, avant que de sentir les douces fragrances exotique qui s'en échappaient.

« C'est là de la bel ouvrage en effet ! Bigre ! L'Estrevent ? La chose vous agréerait-elle, m'amie ? » demanda Lohie à Tibéria, en sourcillant. C'est que contrairement à sa femme, lui n'était jamais allé en Estrevent. Et ce faisant, il songeait curieux et tout sourire, à cette contrée lointaine dont on faisait venir les épices et sur laquelle on racontait mille histoires, contes et merveilles dans la Péninsule. Ignorant tout à fait ce que signifiait la lettre quand il entendait « Joyau aux beautés de Baaz'Hima » ou « partager un moment de beauté avec les véritables esthètess », l'impétueux vicomte se montrait très intrigué par ce que tout cela voulait dire. Et aussi par ces curieuses et sans doute avenantes visiteuses, qui se nommaient rien de moins que - quel nom mystérieux et pittoresque c'était là ! - Les Lionnes !

C’était une étrange sensation de se retrouver là. Assise aux côtés de Lohie, elle écoutait les gens parler, présenter les différentes requêtes et doléances nécessitant une intervention du seigneur. La première fois, elle n’avait presque rien dit, n’ayant pas l’impression d’avoir le droit de parler, mais rapidement, Lohie s’était tourné vers elle pour lui demander son opinion. Alors, elle s’exprimait, prudemment. Tibéria n’osait pas trop s’avancer et optait pour la modération, se contentant parfois de simplement soulever un point pour que toutes les éventualités soient étudiées avant qu’une décision ne soit rendue. Évidemment, se retrouver là faisait remonter des souvenirs pas forcément agréables. Parfois, elle voyait une autre salle aux dimensions bien plus grandes, bondées de courtisans dans des habits somptueux, le visage placardé d’un sourire charmant infiniment dangereux. À l’époque, elle ne l’avait pas vu tout de suite, la raillerie. C’était peut-être le passage du temps qui faussait la netteté de ses souvenirs, mais maintenant, elle ne voyait que ça. La première fois que Lohie lui avait demandé de se joindre à lui, elle s’était excusée moins d’une heure après en prétextant une migraine. Plus tard, lorsqu’ils avaient retrouvé l’intimité de leur chambre, elle lui avait expliqué la vraie raison. La fois d’après, elle resta jusqu’à la fin. Tibéria refusait de laisser la peur avoir le meilleur d’elle. Ce n’était pas Soltariel et elle n’était pas seule, mais la crainte restait dans un coin de son esprit comme une bête tapie dans l’ombre prête à bondir à l’instant où Tibéria baisserait la garde.

En ce jour, Tibéria et Lohie y étaient depuis un certain temps déjà. Dans la salle, la plupart des personnes présentes commençaient à perdre intérêt. Les questions étaient généralement sans grand intérêt, mais à l’occasion, elles touchaient l’organisation de leur mariage comme cette lettre venue d’une contrée lointaine. Enfin, pas si lointaine, mais follement plus exotique que la Péninsule à n’en point douter.

« L’Estrevent? »

Lohie n’allait pas accepter sans son accord, mais Tibéria voyait clairement dans le regard de son époux cette lueur que l’on pouvait interpréter comme de la curiosité ou même de la fascination. Pour un jeune homme comme Lohie, l’Ithri’Vaan était synonyme d’aventure. Il n’y était jamais allé, mais elle savait que si un jour elle proposait de s’y rendre, il n’hésiterait pas un seul instant à le faire.

« Elles ont sûrement un riche protecteur. Ça expliquerait la qualité de l’étui. » Elle fit une autre pause. « J’ai déjà assisté à des spectacles de danse lorsque je vivais là-bas. Il faut savoir que si certains sont tout à fait appropriés, d’autres sont nettement plus exotiques, disons-le ainsi. » Tibéria avait prononcé « exotique » de façon à ce que tout le monde dans la salle comprît tout de suite ce qu’elle entendait par là. Tous les hommes fixèrent leur attention sur elle, leur excitation palpable. Elle était surtout visible chez les proches compagnons de Lohie qui partageaient son goût pour l’aventure, mais personne n’osait parler ou même respirer. Ils comprenaient que Tibéria avait le pouvoir de refuser.

« Je n’ai pas vraiment de problèmes avec ça. » Finit-elle par dire avec un sourire. « Garde simplement en tête qu’il est possible que l’on choque certaines sensibilités. Faudra voir ce qu’elles ont à offrir. »