[Papincourt] Petit arrangement entre amis | Dante

Après La charité mon bon seigneur

La rencontre a été sujet à un long, fort long débat animé, en olyian, dans une chambre à l’étage. Les murs de l’auberge du Furet qui Danse ont tremblé, alors qu’une voix masculine, profonde et forte, répondait à une autre voix, féminine mais tout aussi profonde et déterminée. Une porte a claqué et des pas lourds ont heurté les marches de bois. Malek s’en est allé grommeler devant le feu de la salle commune tandis qu’à l’étage Ma’ replie une robe de vieille femme, l’œil luisant d’une colère sourde. Safÿe, assise sur un banc près de la fenêtre, attend que Ma’ dise un mot. La jeune fille sait que cela ne sert à rien de lui adresser la parole tant qu’elle est dans cet état. Un mot, un geste, et la lave qui s’agite en cet être d’apparence fragile et délicate risque d’exploser et d’emporter tout sur son passage.

Ma’, elle, s’apaise du mieux qu’elle le peut, maintenant toute la fureur de ses mouvements par des gestes contrôlés, mécaniques, machinaux. La dispute avec Malek s’est achevée sur des mots difficiles, de sa bouche comme celle du jeune homme. Ma’ ferme les yeux et dit, d’une voix rauque :

- Safÿe…Toi aussi tu penses que c’est complètement crétin ?

La jeune fille se crispe. La réponse ne va pas lui plaire mais elle sait que l’honnêteté est préférable dans une telle situation. Elle inspire profondément avant de répondre, regardant toujours par la fenêtre, observant les environs, comme si elle faisait le guet.

- Il est dangereux. Je t’ai dit qu’il est. Et tu connais sa réputation. Et j’ai peur pour toi, Ma’. J’ai peur que tu ne perdes dans une quête qui te tuera. Et si tu meurs, qu'est-ce je deviens, moi ?

Ma’ dépose le linge plié sur une pette commode et approche de Safÿe, pour poser une main sur ses cheveux sombres, faisant glisser ses ongles avec douceur parmi la chevelure.

- Il sait qui je suis. Et s’il connait ma réputation, il sera sur ses gardes, lui aussi. Ma chérie…Regarde moi.

La jolie blonde prend le menton de Safÿe entre ses doigts et soulève son visage pour qu’elle puisse la regarder.

- Vingt ans…Crois-tu que je devrais renoncer maintenant alors que je sais qu’il est en vie ? Il sait où il est, j’ai vu sa pièce, il a fait exprès de me la montrer et dans notre milieu, ce genre de geste n’est pas innocent. Tu le sais bien. Peut-être est-ce un piège, oui. J’en suis bien consciente mais…n’as-tu pas confiance en moi ? Je t’ai toujours protégée, je t’ai appris tout ce que je sais, tu sais donc que je n’ai pas le choix. Vingt ans, c’est une vie…Je ne peux plus attendre.

Ma’ caresse le doux visage couleur de terre brûlée, avec un sourire rassurant.

- Malek peut bouder autant qu’il le souhaite, je ne changerai pas d’avis. Nous resterons en Péninsule jusqu’à ce que je le retrouve. Il est hors de question que vous regagniez Thaar sans moi. La discussion est close, désormais. Va le chercher et dis lui de cesser ses enfantillages. Du travail l’attend demain.

La dame aux longues boucles dorées s’éloigne pour rejoindre son lit, faisant craquer les os de ses doigts, un fin sourire au visage.

- Il s’est présenté sous un nom précis, ce soir. Il faudra que Malek surveille le château et en particulier des personnes venues du Nord. Nul doute que ces personnes résident au château mais rien ne garantit que lui y loge aussi. En toute bonne logique, il devra sans doute se rendre au château, ne serait-ce que pour suivre ces gens. Malek saura le repérer. Il n’est pas difficile à distinguer au milieu des gens tous pâlots…

Deux jours plus tard

Point de claquement au sol, point de dos voûté, point de saleté. C’est une dame habillée simplement, une robe de laine de couleur prune, sans aucun ornement, aux longs plis tombant sur des pieds chaussés de bottines souples, enveloppée dans une cape bleu foncé à la capuche bordée de fourrure, qui se présente là où réside « Claude ». L’endroit, indiqué par Malek, n’a pas été facile à dénicher mais l’essentiel est le résultat.

Elle annonce Bonne Ma’ à la personne qui la reçoit et dit, d’une voix douce :

- Je cherche Messire Claude. Pouvez-vous lui faire parvenir ceci, je vous prie ?

Elle fait glisser une pièce argentée, une face lisse, une autre frappée d’une dague, tout sourire.

- Je patienterai autant qu’il le faudra.

Ma’ n’a rien à apprendre de celui qu’elle visite aujourd’hui, en ce qui concerne la patience, la persévérance et la mise sous tension de ses nerfs. Ce sont des cordes qui ont été maintes fois éprouvées, épouvantablement, tout au long de sa vie. Elle laisse donc la main sur ce point à ce jeune homme de Thaar qui dispose de la seule information qu’elle est venue chercher ici, en Péninsule, afin de le ménager et de lui laisser penser qu’il peut se permettre d’asseoir une petite domination de mâle. Pourtant, si elle ne perd pas de vue son objectif, elle ne compte pas non plus le laisser la fouler aux pieds. Cette méthode de faire attendre est un truc de vieux briscard qui veut juste asseoir sa supériorité dans de futures négociations. Quant on le sait, on adapte sa position, son discours, son langage.

Elle est donc assise, aussi dignement que possible, sur une petite chaise de bois, sous une fenêtre, occupée à regarder les passants, les alentours, le quartier, alors même qu’il fait son entrée. Ma’ le laisse la regarder. Elle n’a presque rien à cacher de toute façon, si ce n’est une beauté radieuse de femme soignée. Elle lui répond, toujours occupée à regarder les détails, amusée, semble-t-il.

- Il aime encore moins la Péninsule qu’avant son arrivée. Il a le nez qui coule d’être resté dehors, au sol, aussi longtemps. Un Thaari enrhumé, c’est à peu près aussi évident à gérer qu’un enfant qui fait des caprices. Le personnel de l’auberge ne vous remercie pas.

Ma’ tourne la tête pour le regarder, fichant un regard noisette fier et direct dans le sien, avant de se lever, et d’avancer vers lui, les mains en avant, paumes levées vers le ciel. Le geste est ouvertement effectué. S’il y a un témoin, le citoyen de Péninsule n’y verra qu’une demande d’accolade, voire de salut familier. Dans le monde auquel ils appartiennent tous les deux, cela signifie qu’elle vient sans arme, pour discuter. Et rien que pour cela. Il n’aura qu’à lui prendre la main et la serrer brièvement pour marquer son accord. Dans le cas contraire elle s’en ira.

- Tu as été inspiré de le laisser en vie. Cela m’aurait très fortement contrariée, dit-elle en olyian, sans rien ajouter à ce sujet. Y a-t-il un endroit où nous pouvons causer affaire ? Une pièce à l’écart, si possible. Les murs ont des oreilles, je ne t’apprends rien.

La jolie dame blonde esquisse un sourire ravissant tout en le regardant. Pas un instant elle n’élève la voix, demeurant d’une douceur exquise dans ses propos comme dans les inflexions de son accent parfait. La détermination est pourtant tout à fait visible dans son attitude, comme dans son regard. Cette femme est prête à tout pour avoir ce qu’elle désire.

- Qu’en dis-tu ?

Il semble vouloir discuter lui aussi. Bien. Elle reprend donc sa place, ne se formalisant absolument pas du fait qu’il aurait éventuellement pu tirer sa chaise afin d’être poli. Ce sont des manières péninsulaires et en cet instant précis, elle s’en contrefiche. Elle n’est pas ici pour faire des ronds de jambe ou des révérences. Assise, elle le regarde lui, soutenant son regard sans cesser de sourire, attendant que l’examen cesse. Car il l’examine, il la jauge et il prend la mesure de sa personne, elle en est absolument certaine. Des regards intenses, elle en a soutenu de bien pires et il n’y en a qu’un qui pourra éventuellement lui faire baisser le sien. Et ce n’est pas celui de son hôte.

Le péninsulaire est abandonné au profit de l’olyian. Même si elle n’a aucun doute quant aux capacités de surveillance de Claude, deux précautions valent mieux qu’une.

- Je t’ai observé, dans la rue, à l’auberge. Tu es un enfant de Thaar à qui on a inculqué des bribes d’éducation péninsulaire, ce qui fait de toi une curiosité. Je t’ai observé parce que des choses dans ta manière d’être me rappellent un être que j’ai bien connu. Et mon instinct ne m’a pas trompé puisque tu le connais aussi, je le sais.

Elle fouille sa poche et en extirpe, coincée entre son majeur et son index, la pièce d’argent frappée de ses symboles, les lames courbes et les fleurs. La pièce glisse d’un doigt à un autre, dans un mouvement fluide et rapide, faisant briller le petit morceau de métal de temps à autre, tandis qu’elle le regarde toujours.

- A l’auberge, tu as fait en sorte que je voie la pièce de celui que je recherche depuis des années alors je ne vais pas y aller par quatre chemins.

D’un geste du pouce, la pièce vole, elle la rattrape et la garde dans sa paume, sans même qu’elle ne bouge la tête, le visage fendu par un sourire espiègle.

- Où est le Lys Noir ?

- Ton langage, jeune homme. Nous sommes entre nous, certes, mais ce n’est guère une façon de me parler. Il est inutile d’être grossier.

Il veut de la franchise ou qu’elle lui vende ses secrets ? Parce que la différence est considérable. La paume toujours fermée sur sa pièce, elle penche légèrement la tête, reconnaissant, en effet, cette façon de regarder, de parler avec les yeux que l’objet de toutes ses recherches arborait si souvent jadis. Ce détail n’échappe pas à Ma’.

- Il a certainement du te le répéter de nombreuses fois. « La grossièreté est l’arme des petits esprits qui ne savent pas s’exprimer en termes autrement mieux choisis ». N’est-ce pas ?

Elle ajuste méthodiquement, de sa main libre, un pli de sa jupe, un pli qui n’était pas en alignement avec les autres et reprend, de sa voix profonde et douce :

- Ce que je lui veux ne te regarde en rien. Et ce qu’il m’est ne te concerne pas davantage. Je suis ici pour discuter affaire, pas pour révéler des confidences. Tu as l’information que je souhaite, je dois bien avoir quelque chose qui te convient en retour.

C’est à peine perceptible mais en son regard luit aussi, subtilement, rapidement, éphémèrement, une lueur à l’exact opposé de son attitude pleine de retenue et de dignité. Une sauvagerie contrôlée, pourtant mise à mal par ces questions qui la dérangent un peu. La jolie blonde déteste les interrogatoires, à fortiori quand elle estime négocier selon les codes établis. Elle est venue sans témoin, sans arme, les mains libres. Il a serré sa main. Il doit répondre.

- Donne moi ton prix.

Elle l'énerve, cette façon de se prendre pour sa mère...

Gardant une impassibilité digne de mention, le menton droit, la posture régalienne sur sa posture assise... Il ne fait que dévisager la femme.

- Il a certainement du te le répéter de nombreuses fois. « La grossièreté est l’arme des petits esprits qui ne savent pas s’exprimer en termes autrement mieux choisis ». N’est-ce pas ?


Dante la regarde ajuster un pli de sa jupe, trahissant son émoi. Non, il en lui répond pas. Pas pour le moment... il la laisse se pendre.

- Ce que je lui veux ne te regarde en rien. Et ce qu’il m’est ne te concerne pas davantage. Je suis ici pour discuter affaire, pas pour révéler des confidences. Tu as l’information que je souhaite, je dois bien avoir quelque chose qui te convient en retour.


Le regard de la femme change... Il perce cette carapace. Et tiens, un plan particulièrement tordu se profile dans son esprit. Rien ne transparait dans la physionomie de l'homme cependant. Bonne Ma' pourrait presque parler à un mur. Presque.

- Donne moi ton prix.


Il finit par s'animer. Elazar lui a bien apprit à ne pas avoir d'émotions. Ainsi est l'Ombre, sa créature...

Sache en premier lieu que même si je maitrise les circolocutions et les moeurs inhérentes à la bonne société Péninsulaire, je préfère nettement m'exprimer avec franchise, directement et sans détour. Donc, si mon langage vous parait grossier, je ne m'en excuserai pas. Je préfère la brute grossièreté au miel amer de l'hypocrisie.

IL marque une pause, passant de son olyian châtié à son olyian habituel

Ensuite, je ne te dirai pas où est mon père... Oui, parce qu'il est son père quand ca lui arrange le vieux. Voyons voir comment elle va réagir à ca la bonne femme. Sans raison, à la première venue qui me poursuit de ses assiduités. TU comprends sûrement ma position. Donc mes questions sont toujours valables...

Il se penche en avant, posant ses coudes sur ses genoux, la fixant droit dans les yeux. lA voix grave reprend alors toujours du même ton.

Quand au prix, a part la satisfaction de ma curiosité, il y a quelque chose sur laquelle on peut s'arranger.

- Être poli n’est pas être hypocrite, même si j’admets que l’on peut confondre. Mais je t’ai interrompu, continue.

Elle ôte un petit grain de poussière venu de la rue, accroché à la laine de sa robe quand elle suspend soudain son geste. Ma’ redresse la tête et le regarde intensément, alors que dans son esprit des suppositions, des calculs s’opèrent à la vitesse de l’éclair. Un fils ? Elle l’observe de façon accrue. Quel âge a-t-il ? Une petite trentaine d’années en comptant large ? Alors oui il pourrait être son enfant sauf que…

- Il ne m’a jamais dit qu’il avait eu un enfant. Curieux.

Ma’ éjecte le petit grain de poussière de sa robe. Il lui aurait dit, c’est une absolue certitude. Jamais il ne lui aurait caché un fait aussi important. Les sourcils froncés, elle réfléchit. Quoique…Si. Il y a tant de choses qu’il lui a cachées. Tellement. Mais ça…C’est bien trop important…Puis…

- Vous ne vous ressemblez pas le moins du monde.

Il avait à peu près l’âge de son hôte quand elle l’a rencontré. Et non. Le souvenir de cet homme est tout entier gravé dans sa mémoire. Et ce qu’elle voit en ce moment n’a absolument rien de commun avec ce souvenir. Le gris tendre, le sourire merveilleux…Il n’y a rien de tout cela là face à elle. Il n’y a qu’un homme au regard et aux façons étranges, un curieux mélange de deux mondes. Quel fils montrerait la pièce de son père, de cette façon ? Elle sent qu’il y a anguille sous roche. Baleine sous petit caillou. Aussi garde-t-elle ses impressions, ses questions et ses doutes pour elle, se contentant de satisfaire à demi sa curiosité.

- Je souhaite le libérer d’une promesse vieille de plus de vingt ans. Une promesse qui ne concerne qui lui et moi. Personne d’autre. Et quelle est cette chose sur laquelle nous pouvons nous arranger ?

Le tuer ? Elle a un petit rire. Un rire léger, comme un petit pépiement d’oiseau.

- Le tuer…Quelle idée extravagante…

Ma’ cesse pourtant de rire.

- Et non, crois moi, les souvenirs…les souvenirs sont parfois plus cruels que la mort. Parce qu’ils te rappellent ce que tu as eu. Et que tu n’as plus.

La jolie blonde abaisse alors sa capuche. C’est qu’il fait chaud sous la laine et la fourrure. Le ravissant minois que voilà. Si beau, si tendre, si parfait pour une femme de presque quarante années. Comme si le temps refusait de laisser son empreinte sur ces formes pleines de grâce. Elle est belle, elle l’a toujours été mais les années l’ont épargnée. Quoiqu’il en soit, elle ne peut plus vraiment reculer. Elle sait qu’elle va devoir annoncer la couleur si elle veut obtenir un résultat.

- Je suis prête à tout pour retrouver mon époux. Absolument tout.

Elle a gardé son sourire et l’observe toujours du même air tranquille, la pièce toujours dans sa main fermée.

- Donc…Quelle est cette chose sur laquelle nous pouvons nous arranger ?

Bonne Ma’ est patiente. Très patiente. Cela étant, il y a des choses avec lesquelles elle ne badinera jamais. La politesse. Le libre arbitre. Sa quête longue de vingt ans.

- Nous nous retrouvons donc au sujet de la surprise. Je ne savais pas davantage que j’avais un beau-fils.

Voilà qui change considérablement les choses et bouleverse absolument toutes les perspectives. Elle se lève, d’ailleurs, autant pour se donner une contenance que pour dissiper les sentiments contradictoires et violents qui hantent son corps. Insoupçonnables, tant elle se maîtrise, évidemment. Quoiqu’il en soit, il lui faut réfléchir vite. Et bien. Son propre code de conduite l’empêche de faire du mal à ceux qui appartiennent à son cercle. Or, ce beau-fils tombé du ciel ne l’a pas encore intégré. Et il demande pourtant beaucoup, il pose beaucoup de questions, il semble impatient et en plus de cela très directif. Ma’ défait sa cape et la dépose sur la chaise, sa pièce toujours dans sa main, pensive.

- Il n’est absolument pas question que je partage nos retrouvailles avec qui que ce soit. Tu me donneras les indications, je m’y rendrai seule. On appelle cela la décence…mon fils.

Elle se redresse et le regarde, les lourdes boucles blondes tombant sur ses épaules, comme de soyeuses rivières d’or. L’expression de son visage ne trahit rien de plus qu’un certain agacement.

- Tu me demandes en plus ma loyauté et mon obéissance ? J’espère que tu plaisantes. Je travaille seule depuis des années et j’ai toujours été plus que satisfaite de mes…affaires. Le fait est que je ne donne pas ma confiance aussi facilement. Faire confiance à quelqu’un, dans notre monde, revient à se laisser entraver par un collier. Et s’il y a bien une chose que je déteste par-dessus-tout, c’est que l’on essaye de m’entraver et de me soumettre.

Elle approche en douceur, tranquille, non agressive, et sans aucune intention de l’être. Si elle avait voulu être menaçante, elle ne s’y prendrait pas de cette façon. Une odeur fraîche de lilas sera perceptible.

- Faire revivre cette guilde…Tu n’es pas le premier à tenter l’aventure. Il faut des épaules solides, des gens de confiance, d’une loyauté indéfectible. Or…la loyauté n’est pas un sentiment à sens unique. Elle se mérite, par chacune des parties. Tu ne peux exiger la loyauté de quelqu’un qui te demande un service, tu n’aurais qu’une loyauté totalement factice.

Ma’ s’arrête à un pas de lui, et demande, pour vérifier quelque chose :

- L’on dit du Lys Noir qu’on ne peut le voir assez longtemps pour pouvoir le reconnaître et que si c’est le cas, c’est que la mort est imminente. Alors dis moi, mon garçon, quelle est la couleur de ses yeux ?

Elle se lève et s'agite. Dante savoure l'inconfort de son interlocutrice. Il l'a déstabilisée. Et si elle pense le déstabiliser lui, Dante Corvac, avec la notion de famille, elle fait fausse route. Il a cependant l'utilité d'une telle personne dans ses plans personnels. Elle a vécu sa carrière en étant sous les radars, et seulement ça c'est digne de mention.

Remarque on peut devenir riche comme crésus en acceptant les ptits contrats pépères sans grands danger. IL analyse sa façon de bouger... Une noble.

Ce qui le rend méfiant c'est que le vieux pleure son tendre amour dans les catacombes de Fernel... Et celle là se targue d'être son épouse. ca se peut, il a toujours été un sale pervers. iL y a un pan de l'Histoire encore dans l'ombre. Comment pourrait il savoir que celle qu'Elazar pleure est bien en vie?  

Elle défait sa cape... En réponse, la posture de l'Ombre devient plus coulante et souple. Il ne la sous estimera pas. Ils sont prêts.

- Il n’est absolument pas question que je partage nos retrouvailles avec qui que ce soit. Tu me donneras les indications, je m’y rendrai seule. On appelle cela la décence…mon fils.


Pense t'elle vraiment l'amadouer avec ce mot vides de sens? Dante est fier de son absence de famille. Mais joue le jeu mec. Quand tu mordras, la morsure n'en sera que plus venimeuse. le plan pour la chute d'Elazar change... Il va leur montrer la vraie nature du vieux...L'agacement de Bonne Ma' ne rencontre qu'un mur flegmatique de l'Estreventin. Mais il lui fait la grâce de se lever, lui faisant face, la noyant dans son ombre à lui.  

- Tu me demandes en plus ma loyauté et mon obéissance ? J’espère que tu plaisantes. Je travaille seule depuis des années et j’ai toujours été plus que satisfaite de mes…affaires. Le fait est que je ne donne pas ma confiance aussi facilement. Faire confiance à quelqu’un, dans notre monde, revient à se laisser entraver par un collier. Et s’il y a bien une chose que je déteste par-dessus-tout, c’est que l’on essaye de m’entraver et de me soumettre.


Et de lui répondre tandis qu'elle s'approche tranquillement de sa personne. il peut sentir le lilas et ca l'énerve un peu. Ce n'est pas l'odeur qu'il aimerait sentir.

Qui parle d'entraver? Je te demande simplement de me rendre la pareille de ce que je vais t'octroyer... "mère"... Si tu l'es vraiment. Tu me demande une confiance aveugle en tes desseins concernant mon père et ce, sans que je ne sache si tu me dit réellement la vérité ou non... Je te demande ta loyauté et ton obéissance quand  ca sera le moment. Il manquait quelque chose aux Silencieux... Cela te sera révélé au moment venu.

- Faire revivre cette guilde…Tu n’es pas le premier à tenter l’aventure. Il faut des épaules solides, des gens de confiance, d’une loyauté indéfectible. Or…la loyauté n’est pas un sentiment à sens unique. Elle se mérite, par chacune des parties. Tu ne peux exiger la loyauté de quelqu’un qui te demande un service, tu n’aurais qu’une loyauté totalement factice.


Et pourtant c'est ce que tu me demande... maman... Ne me répond pas tout de suite. Je te laisse réfléchir là dessus. je n'ai pas demandé ta soumission non plus.

Ma’ s’arrête à un pas de lui, les prunelles s'affrontent encore.

- L’on dit du Lys Noir qu’on ne peut le voir assez longtemps pour pouvoir le reconnaître et que si c’est le cas, c’est que la mort est imminente. Alors dis moi, mon garçon, quelle est la couleur de ses yeux ?

Et l'Ombre de réciter sans aucune émotion

Tu te trompes. Ca c'est moi, pas lui. Dans les ténèbres les plus sombres, elles ont le pâle éclat argenté de la lune. Quand il est perdu en lui même, elles prennent l'éclat d'un lac une journée de tempête. Quand il est en colère, elles prennent la profondeur des nuages annoncant un cyclone. Retranché derrière son masque, elles sont d'acier brut. Et quand il pleure, il ne verse pas de larmes... elles deviennent troubles, sans éclat, comme une lame négligée. Maintenant mon tour. D'où lui vient sa canne, quel en est le pommeau et depuis quand l'a t'il?

Pour Bonne Ma', qui en l'a pas revu depuis des lustres, c'est une question piège. Si Elazar aime raconter cette histoire, il ne la raconté qu'à quelques rares privilégiés.

Il est immense cet homme. Tellement grand. Il est incroyable de songer qu’ils ne se sont jamais rencontrés à Thaar mais cela fait sens. Même s’ils naviguent tous les deux en eaux troubles, cela ne signifie pas pour autant qu’ils utilisent la même embarcation. Ils ont chacun leur façon de se déplacer afin de ne pas éveiller les soupçons et en ce qui concerne Bonne Ma’, la bonne éducation reçue de Péninsule lui a été d’une aide non négligeable afin de garder une attitude digne en toutes circonstances. Toutes, ou presque.

- Ne m’appelle pas « mère ». Fais comme tout le monde. Appelle-moi Ma’. Ou Bonne Ma’.

Elle n’est pas bien grande, mais elle n’est pas effrayée. Même si elle devrait, elle le sait. Cela étant, elle sait aussi que s’il avait voulu lui faire du mal, il aurait eu cent occasions d’y parvenir. Puis, Ma’ n’est pas une novice, aussi souple et dangereux qu’il soit, elle ne manque pas de répartie. Mais il n’y a rien de tout cela dans le sourire qu’elle lui lance.

- Je te ferai savoir ma décision en temps utile.

Ma’ écoute alors la réponse de son hôte, une réponse qui est à la hauteur de ses attentes. Ce regard qu’elle chérit tant, il le décrit avec justesse et précision. Une précision qui la plonge dans ses souvenirs adorés, qui sont tout ce qui lui reste de lui. Un sourire tendre fend son visage de poupée.

- Tu ne l’as jamais connu heureux, dirait-on…Tu parles de perdition, de retranchements, de colère et de pleurs refoulés. Tu n’as jamais vu le visage de ton père lorsqu'il est heureux, parce que tu aurais alors mentionné l’éclat iridescent qui teinte ses prunelles d’acier, rehaussé par un sourire magnifique.

Elle s’est vouée à toutes les causes pour revoir ce regard-là, pendant longtemps. Elle l’a cherché, traqué, en vain, pendant de si longues années…Au lieu d’être bouleversée comme le serait n’importe qui, Ma’ est heureuse. Tout simplement heureuse de discuter avec quelqu’un qui le connait bien. Et l’échange se poursuit sur une question en retour, qui lui fait plisser les yeux. Un sourire mutin s’affiche sur son joli visage.

- Ton père n’utilisait pas de canne la dernière fois que je l’ai vu. Il était le plus beau gentilhomme que j’aie jamais rencontré. Sobre, élégant, plein de cette noblesse que ne possédaient point ces autres qui lui faisaient du mal.

Un souvenir précis lui revint en mémoire, effaçant en un instant cette joie qui était la sienne. Le bruit sourd d’un coup porté dans le silence d’une bibliothèque, un coup encaissé sans dire un mot, porté par une canne qui accompagnait toujours les pas d’un individu parfaitement détestable. Et détesté.

- Pourtant…Il y avait un homme, particulièrement déplaisant et ignoble, qui utilisait une canne à pommeau d’argent, une canne surmontée d’un dragon. Son père. Ton grand-père. Est-ce de cette canne dont tu parles?