Vers les étoiles (Solo)

Il se tenait devant cette falaise connue de tout Vethërill en âge de comprendre son monde. Le dos droit, la tête haute, les yeux rivés sur le sommet qu’il ne pouvait voir.

Cela faisait une bonne heure qu’il se tenait là sans bouger. Le corps presque entièrement dévêtu si ce n’était les peaux et les cuirs sur ses hanches, ses mains et ses pieds. Son dos et son torse était peint d’arabesques d’or et d’argent brillant parfois lorsqu'un rayon de lune venait s'y refléter. Ces mêmes couleurs venaient souligner la ligne inférieure de ses yeux, rendant son regard jaune plus intense qu’à l’accoutumée. De ses objets personnels on ne lui avait laissé que son amulette qu’il avait l’impression de sentir peser comme mille.

Il fallut attendre que les rayons rougeoyants du soleil apparaissent pour qu’enfin il se mette à l’action. Il récita une prière à voix basse. Kÿria l’observait enfin.

Le chef de son clan lui avait d’abord refusé ce périple. Comment en faire autrement ? Sërythil était devenu infirme par ces mêmes dangers qu’il affrontait à nouveau. Et cette fois, la chute serait fatale. Mais Sërythil n’avait pas cédé. Il devait savoir. Et s’il devait en mourir alors soit. On lui avait alors asséné que le clan ne souffrirait pas de déroger à sa tradition et que personne n’aiderait l’elfe à grimper, blessé ou non. Il avait renchéri, peut être avec orgueil, qu’il ne souffrirait de toute façon à ce qu’on l’aide, quand bien même mettrait-il des ennéades à y parvenir.

Alors ils avaient cédé. Et un jour et une nuit plus tard il se tenait prêt.

Une prise, puis une autre, son périple débuta. A la frontière des frondaisons il savait qu’ils étaient là, les manipulateurs d’ombres, quand bien même il ne saurait les voir. C’était ainsi, les ombres se tenaient toujours témoins de celui qui allait chercher la lumière.

Demain peut-être narreraient-ils l’exploit du grimpeur solitaire, imaginant ce qu’il avait bien pu voir tout là-haut.

Prise après prise, l’infirme s’élevait, le regard si déterminé qu’on aurait pu y lire que les sommets des Monts Handil eux-mêmes semblaient être le bout de son périple. Si sa difformité l’avait handicapée, elle n’avait pas ébranlé sa volonté. Au grand dam du sage et vénéré guide de la Vethërill, lui qui, resté loin de cette folie, se rongeait les sangs. Car l’Ombre dans la Lumière l’emporterait, convaincu que tôt ou tard, il chuterait.

Sa décision fut difficile, en son cœur l’inquiétude et le regret se déchiraient. L’amour et la tradition s’entretuaient. Pour que l’Ombre ne l’emporte, elle devait réduire son inconscience à peau de chagrin, entériner sa folie, briser sa volonté.

Témoins depuis les frondaisons. Pas uniquement.

S’abandonner au vide serait souffrir le baiser mortel de la terre mère. Sërythil combattait la sensation d’impuissance que sa jambe meurtrie lui infligeait avec froideur, quand les rayons de l’astre solaire dans sa course effrénée firent jouer les ombres de la paroi. Et sa main sûre fut pétrifiée par le doute. À ses yeux, sa prise s’était dérobée. Immobilisé contre la roche, son regard chercherait désespérément le chemin qu’il s’était tracé. En vain. Le fleuve tranquille s’était fait torrents impétueux, une poignée de secondes seulement, pour devenir divers rus et ruisseaux.

Partisans depuis les frondaisons. Sûrement.

Dent serrées, mâchoire crispée il avançait. Une après une les prises se succédaient et l’infirme jamais ne flanchait. La douleur avait fini par se réveiller avec l’effort. Lancinante mais familière, Sërythil s’entêtait et à chaque mètres de franchit il se rapprochait de son but.

Il pouvait le faire. Il devait le faire. Pour les réponses dont il avait besoin. Peut-être aussi pour se prouver lui-même qu’il n’était pas moins que ses frères.

Et l’espace d’un instant le jour commença à changer artificiellement et il se figea contre la paroi. Les yeux écarquillés il fixe le creux d’une pierre sur laquelle il s’apprêtait à poser la main. Ou du moins en fixe-t-il le fantôme puisque les rayons solaires l’ont fait disparaitre...

Déboussolé un instant il ne bouge plus. Il perçoit les flux s’agiter au loin et alors la colère gronde à côté de la terreur. Ceux qui auraient dû être ses camarades n’étaient pas étrangers à la soudaine disparition de son chemin.

L'indignation agite le cœur du noss. Ils n’avaient pas le droit de faire cela ! La tradition lui permettait comme tout autre de demander conseil à anaëh et c’est ce qu’il ferait ! Ils n'avaient pas le droit de l'en empêcher. C'était injuste.

-Je ne crains pas les ombres. Gronda-t-il finalement entre ses dents.

Et, s’assurant de ses trois autres appuis, la rage au cœur il releva une main pour venir attraper une nouvelle roche découverte par les jeux d’ombres traitres. Puis son pied, son autre main et ainsi de suite. son premier chemin disparu, il en trouverait un autre. Et s'il changeait encore, il retrouverait de nouvelles accroches.

Il ne se laisserait pas abattre. Abandonner c’était mourir.

Il ne les craignait pas, ces ombres. Et pourtant, malgré toute sa hargne et son courage, les chemins se dérobaient à ses yeux, les uns après les autres, ne laissant qu’une obscurité insondable et instillant le doute aux tréfonds de son Souffle.

La tradition ainsi bafouée ne laissait qu’une immense nappe sombre sur la falaise, un océan de désespoir dépourvu de ride. Mais qui pouvait prétendre à ce droit ? Comment pouvait-on s’opposer à cette liberté sacrée ? Empêcher le déroulement de cette tradition cycléene ?

Pas eux, qui, se parjurant, attirèrent l’attention du plus vénérable éclat des cieux. La plus ancienne lueur d’espoir qu’ils avaient eu l’insigne honneur de connaître. Là, s’embrasa l’ardeur du grimpeur dans son combat contre la montagne et l’obscurité. Simple tâche luminescente, perçant malgré les volontés au travers de l'étendue d’ombre, signe d’espoir autant qu’avertissement, les feuilles d’une liane grimpante se mirent à luire, révélant une échappatoire.

Les volontés conjointes, dès lors réfugiés plus que jamais sous la frondaison protectrice des forêts, furent ébranlées. Certains s'en retournèrent à toute hâte pour la demeure de l'ancien, quelques-uns s'agenouillèrent et reprirent leur rôle de témoin.

Ainsi le regard de la Mère pu à nouveau se poser sur son vaillant enfant.

Sërythill ne renonçait pas malgré la trame qui s’agitait de plus belle. Il serrait les dents et tentait d’ignorer son cœur qui saignait devant les ombres qui s’amusaient à le perdre inlassablement. Une fois une de ses prises avait disparu au mauvais moment et il avait bien faillis basculer à nouveau vers la terre qui ne cessait de l’attirer.

Il leur en voulait et sa peine s’alourdit de plus belle lorsque les ténèbres grandirent au point de forcer le grimpeur à s’arrêter. Il s’écoula de longue secondes d’un silence marqué par la seule respiration du noss. Mais soudain, au coins de son regard une lueur. L’espoir pris la forme d’une simple feuille doucement luminescente qui ordonna au ténèbres de se cantonner aux frondaisons. Ni une ni deux, il se décala vers ce nouveau phare.

-Calnith… I Elen, Hantalë. Souffla-t-il

Et cela lui redonna assez de courage pour continuer son long périple. Et grâce à ce courage il grimpa. Prise après prise, son cœur allégé par l’image de cette simple feuille qui avait brillé. Le jour était bien installé et le soleil lui piquait le dos, lorsque la main du Vethërill avait atteint une surface plane. De la pierre et de l'herbe.

Il avait réussi.

Lorsque que ses pieds touchèrent le sol de pierre de la cavité étrange du mont, le noss était épuisé mais habité par une fierté extrême. Il avait réussi, il avait gagné par deux fois le droit de se trouver là. Malgré l'infirmité, malgré les siens, malgré tout il était là où il devait être.

Il resta un bon moment d’abord à quatre pattes, cherchant son souffle puis assis frottant sa jambe douloureuse à cause des effort qu'il s'était imposé. Il observait ce qui se trouvait devant lui et qu’il n’avait jamais vu que dans les contes , comme un enfant qui découvrait sans oser rien toucher.

Le sanctuaire n’était pas aussi grand qu’il l’avait imaginé mais il n’en était pas moins impressionnant. Sërythil avait la sensation d’avoir rejoint un autre monde. Ici tout semblait si…calme. Si pur. On n'entendait que le vent qui s'engouffrait parfois au milieux des pierres et de l'eau qui tombait, véritable métronome du temps. Comme l’endroit était un renfoncement dans la roche même, il flottait une clarté bien moindre que les flans à nus, exposés aux rayons du soleil. Seul, l'herboriste se sentait comme à l’abri du monde extérieur ici.

Son regard s’était posé ensuite sur les quelques plantes luisant faiblement parmi les autres tout à fait normales, souvenir sans doute du passage de précédents êtres en quête de réponse. Leur guide habitait bel et bien cet endroit et bien que le vethërill n’en ai jamais douté cela bouleversait son souffle d’en observer la preuve. Sans qu’il s’en rende compte sa main était venu s’accrocher au médaillon à son cou.

Traduction:

Sifflements du vent et clapotis de l'eau, seuls instruments de cette étrange symphonie. Chaque pas que le noss faisait semblait briser l'harmonie d'un orchestre jouant une musique si douce qu’une oreille, même entraînée, peinerait à entendre.
En ces lieux hors du temps, loin de tout et pourtant si proche à la fois, régnait en maître une tranquillité à nulle autre pareille. Chaque fois que son talon touchait le sol, se réveillait la végétation. Curieuses luminescences faisant de brins d’herbes comme de pétales les guides de ce sanctuaire sans âge, traçant un chemin jusqu’aux cavernes dont l’origine nimbée de mystères fut oubliée déjà des cycles auparavant.

Hôtes, gardiennes et seules habitantes des lieux, les quelques lucioles aux couleurs aussi chaudes que pétillantes semblaient surveiller ces entrées perçant la roche dure et froide de ces impitoyables montagnes. Elles s’engouffrèrent dans la pénombre à peine le jeune vethërill avait daigné s'approcher, virevoltant à hauteur d’yeux et s’enfonçant toujours plus profondément dans l’obscurité grandissante. Semblables aux étoiles parsemant le ciel nocturne, ces lucioles montraient la voie, un chemin dont la finalité ne saurait être connue que de ceux l'ayant parcouru.