[MdO 2022] Conséquences [Marzaban - Maralina]

Printemps – 7ème jour de la 1ère énéade de Favrius, An18 – xième


Après une escale sur les côtes péninsulaires, nous avions repris la direction d’Ithri’Vaan et de Thaar, grande cité cosmopolite que j’appréciais pour la multitude de divertissements qu’elle offrait. Ouais, je sais, j’appréciai peut-être un peu trop l’amusement, au détriment de mon « apprentissage » comme ne manquait jamais de le relever Ballast. Maiiis…. Comment pouvait-on résister à cette sulfureuse ambiance typique de la cité et à ses rires, invitations à la fête, débauches d’alcool et oui, il fallait le préciser de combats !

Aussi quand Ballast m’annonça notre nouvelle destination, m’empressais-je de m’enthousiasmer pour les combats que j’allais pouvoir aller admirer dans les Fosses de Gilgamek, sans parler des beuveries sans fin que je partagerai avec les autres membres de l’équipage ou nos amis durgazdawis.

Mais mon mentor mit rapidement fin à mes aspirations en m’annonçant que j’allais une fois de plus devoir l’accompagner à une de ces rencontres politico-diplomatiques  à la noix que j’exécrai. Ce que mon visage exprima aussitôt de façon flagrante. La mine renfrognée, les bras croisés sur ma poitrine, alors que j’étais installée face à lui, à la table du capitaine, je rouspétai promptement :

- Encooore ? Mais pourquoi veux-tu que je t’accompagne ? Tu as vu ce que ça a donné la dernière fois ? J’crois pas que j’sois faite pour ce genre…. D’exercice. C’est limite si cette demi-drow ne m’a pas traitée d’idiote !

Ballast répliqua avec ce ton ironique qui lui allait si bien :

- Elle nous a tous considéré comme des idiots ! Tu n’étais pas la seule. Et c’est important pour toi, pour ton avenir que tu saches te plier à ce genre de discussions, avec toutes les contraintes qu’elles exigent, manière, tenue, et surtout langage ! De ce côté ma chère, tu as de gros efforts à faire !

Je répondis par une grimace significative, ce qui fit ricaner Ballast.

- Mais rassure-toi, il se pourrait que cette rencontre soit beaucoup moins tendue que lors de notre visite à Ys.

Je lui lançai un regard soupçonneux, pas convaincue du tout.

- J’vais encore devoir jouer l’héritière de Sandrakis ?
- Tu ES une Sandrakis, Deejarah, ne l’oublie jamais ! Mais non, cette fois, ce sera beaucoup moins protocolaire. Et je m’occuperai de mener la discussion. Tu seras là surtout en tant que témoin, pour confirmer mes dires et faire part de ton opinion sur le sujet, opinion qui je pense intéressera beaucoup nos interlocuteurs.

Et Ballast me donna le détail sur cette rencontre qu’il escomptait. Ce qui au fur et à mesure de ses explications, me redonna le sourire.

……


Quelques jours plus tard, nous débarquions sur les docks de Thaar. Et tandis que les hommes s’occupaient de décharger les marchandises dont les cales du Vol d’or étaient remplies, à destination de l’un ou l’autre marchand de la ville, mon maître et moi prîmes la direction de l’Est de la ville, pour y rencontrer un vieil ami de Ballast, un certain Lugal Ambreroc, Durgazdawi illustre appartenant au comptoir d’Ambreroc.

Mais ce n’est pas là-bas que nous nous rendîmes pour commencer, mais au Hook d’or, un endroit fort couru de tout Thaar, et connu pour se prêter parfaitement à des discussions d’affaires. Et ici, l’affaire était d’importance.

Un messager avait d’ores et déjà été envoyé à sire Ambreroc à peine avions nous débarqué du Vol d’or pour lui annoncer notre arrivée et lui donner rendez-vous au Hook d’Or, une similitude de nom qui m’amusa, un peu moins tandis que moi et Ballast pénétrions dans le célèbre fumoir. Les plafonds étaient très bas, chose peu surprenante pour une construction faites par les nains des dunes, mais quelque peu contraignante pour ma taille.

Surtout que l’endroit était très confiné sans parler des fumées d’herbes de toute sorte, ne me mettant pas particulièrement à l’aise malgré une tenue que j’avais été cette fois, libre de choisir. Une jupe de cuir fendue, bottes hautes, chemisier corseté sous mon manteau tout neuf offert par Ballast. Qui plus est, cette fois, j’arborai fièrement mon sabre à mon baudrier et même si je dus me pencher pour avancer dans cet étrange endroit confortablement arrangé, je savais qu’en cas de problème, j’étais libre de me défendre que ce soit à la lame de mon sabre ou grâce à ma magie.

Peu après nous être installés sur ces moelleux oreillers, nous vîmes rapidement arriver celui que Ballast attendait. Une fois les présentations faites et la pipe du vieux mage remplie, la discussion put débuter. Ballast lui expliqua rapidement la raison de notre venue. Des ennuis menaçaient la ville de Thaar et toutes les côtes des principautés vaanies, tout ça à cause de cette regrettable discussion qui avait eu lieu à Ys. Une discussion dont les Seigneurs pirates de Mecan avaient déjà eu vent de la bouche même de Ballast. Ce qui n’avait pas manqué de déclencher leur ire….

Il se pencha pour s’adresser à Lugal.

- Il est possible d’éviter tous ces problèmes, car je crains que ça ne rende service à aucun de nous, mais pour ça, il nous faudrait rencontrer un membre influent de cette cité.

Lugal hocha la tête, fumant sa propre pipe lui aussi, ce qui commençait à me faire tourner un peu la tête. Misère, j’attendais avec impatience le moment où je pourrai remettre le nez dehors.

- Je crois que je connais la personne qu’il vous faut,fut la conclusion de Lugal. La discussion se poursuivit un brin, puis il prit congé, en nous promettant de nous donner rapidement des nouvelles.

- Est-ce qu’on peut y aller à présent ? Suppliai-je à peine le durgazdawi était-il sorti.
- Oui, nous allons marcher un peu, jusqu’aux milles-caves.

Là où Lugal saurait nous retrouver, lui ou son messager. Moi, du moment que nous quittions cet endroit enfumé, tout me convenait !  

Les petits papillons Nains de la Loge d’Onyx s’étaient soudainement afférés plus que d’ordinaire, lorsqu’un curieux navire, aux cargaisons curieuses et aux membres d’équipages tout aussi curieux, fit halte sur les quais de la cité de Thaar.

Tout d’abord, il n’y eut rien de choquant. Les marchandises durent transbordées des cales jusqu’aux quais, et les marins œuvraient avec force et professionnalisme pour décharger les caisses qui, très vite, étaient vendues aux négociants curieux, ou aux étales prévues à cet effet. Toutefois, l’on reconnut rapidement un être au visage connu des Nains des dunes : Ballast, membre éminent – ou tout du moins connu – parmi les corsaires et les pirates qui, disait-on, étaient originaires de l’île mystérieuse que l’on nomme Meca.

Ainsi furent-ils suivis de prêt par deux espions de la Loge d’Onyx. Ils découvrirent bien vite que le dénommé Ballast, accompagné d’une jeune sang-mêlé, dont le nom était inconnu, se rendait dans un endroit qu’il semblait connaître, sans que ce soit le hasard qui ne guide ses pas. Un hasard d’autant moins probable, qu’une missive fut envoyée par coursier à Lugal Ambreroc, un des Nains du Comptoir Caravanier Central d’Ambreroc, et membre du clan éponyme. Aussitôt, les choses furent mises en place : un des espions fut immédiatement envoyé aux Mille-Caves, pour faire son rapport au maître des Caves, moi-même, Marzaban Ambreroc.

Lugal ne tarda pas à faire son apparition dans les profondeurs dorées et reluisantes de richesses des Mille-Caves. Il demanda audience, chose qui lui fut autorisée, bien naturellement. Il entra, et fit son rapport de manière solennelle, rapport qui coïncidait point par point à celui fait par l’espion de la Loge d’Onyx. En cela, je n’avais jamais eu aucun doute, les Ambreroc étant connus parmi la communauté Durgazdawi comme étant des Nains robustes, froids, et calculateurs, mais ô combien fidèles.

- Ainsi donc, les embruns gonflèrent les voiles de ce navire au nom de richesse, pour qu’il vienne jeter l’ancre sur les côtes de Thaar. Et les vents amenèrent les pas de ce…Ballast, jusqu’aux portes des Mille-Caves, avec, parait-il, des informations de première main… Concernant la demoiselle d’Ys… Hum… Garde ! Dis-je d’une voix forte, mon visage se détournant de la missive et de Lugal en faisant une rotation de trente-deux degrés vers la gauche, en direction de la massive porte de mon bureau. Le garde entre, enturbanné et armé d’une hallebarde des dunes. Que Ballast et sa compagne de voyage entrent dans les Caves, et qu’on les installes dans l’Eclaverne, avec tout le confort de notre peuple. Envoyez un messager à pied, qu’il prévienne dame Maralina. Qu’il lui dise ces mots précis : Vous êtes attendue prestement dans l’Eclaverne des Mille-Caves. La protection de Thaar requiert votre présence. Elle saura ce que cela signifie. Puis, qu’il revienne au plus vite, et si la Princesse-Marchande ne peut arriver sur l’heure, nous installerons nous hôtes pour une attente des plus confortables. Lugal, accompagne le garde, pour que nos hôtes ne prennent point peur lorsque vous les accompagnerez dans l’Eclaverne.

Tels furent mes mots, et pour que ma décision soit irrévocable, j’accompagnais cet ordre d’un coup de poing ferme sur mon bureau de marbre.

La princesse repoussa le pot en grimaçant, sous l’œil inquiet de sa servante. Elle lui tendit une coupe remplie d’eau fraîche et la Vaanie se rinça rapidement la bouche avant de redonner le contenant à sa servante. Maralina se laissa tomber sur son lit, en soupirant. Fermant doucement les yeux elle sembla complètement perdue dans ses pensées, la servante s’avança timidement vers sa maîtresse avant de murmurer; « Votre Altesse. Désirez-vous que j’appelle un médecin? Vous avez dû prendre mal à Naélis» Maralina soupira une nouvelle fois avant de lui faire un signe de se taire. « Ce n’est pas nécessaire et arrêté de porter ce parfum, l’odeur est absolument écœurante. Laisse-moi tranquille. » La servante sortie rapidement de la chambre en laissant la Princesse avec son mal. Maralina passa doucement sa main sur ses yeux en soupirant. Inutile d’appeler un médecin alors qu’elle connaissait déjà la cause de son mal… Ce n’était pas la première fois que cela arrivait. Bien au contraire, c’était maintenant la quatrième…  Elle se redressa doucement en caressant son ventre avant de s’arrêter net alors qu’on cognait à la porte. Ulric entra rapidement dans la pièce, mentionnant qu’un messager des Milles-Caves venait d’arriver, sans attendre la Vaanie le suivit, alors qu’il la conduisit jusqu’au grand hall du palais Irohivrah. Sans perdre de temps, le messager lui fit une révérence avant de relever l’urgente missive;


« Vous êtes attendue prestement dans l’Eclaverne des Mille-Caves. La protection de Thaar requiert votre présence. »


Le messager s’inclina devant la Princesse Marchande, attendant ses instructions. Maralina se retourna rapidement vers Ulric, qui sortit d’un pied ferme rejoindre l’écurie pour y rassembler ses hommes. Une servante s’inclina avant de sortir de la pièce, bien consciente de la suite. La Vaanie se retourna finalement vers le messager avant de prendre la parole; « Annoncer au maître des Mille-Caves mon arrivée éminente.» Le messager fit un oui de la tête avant de s’incliner une dernière fois. Maralina tourna les talons avant même que ce dernier ne parte. Si le nain l’avait convoqué ainsi c’était que quelques choses d’important étaient arrivées. Ils avaient travaillé trop dur pour tout abandonner. La Vaanie se changea rapidement, enfilant une longue robe noire – incroyablement provocante comme à son habitude et  finement brodé de perles noires et de dentelle. Elle enfila rapidement une cape en fourrure avant de rejoindre rapidement Ulric, qui avait tout déjà préparé. Sans effort,  Maralina se mit en scellé avant d’attraper les rennes.  Le milicien fit signe au garde qui ouvrit les grilles qui protégeaient le palais et la petite délégation se précipita vers les mille caves. Là, où on conduit la demie-elfe dans l’Esclaverne.  La Princesse Marchande entra rapidement dans la fameuse pièce, balayant du regard la pièce. C'était la première fois qu'elle mettait les pieds dans les mille caves, elle avait toujours imaginé cela comme un endroit grandiose, presque aussi imposant que son propre palais. Si la pièce était richement décorée de pierres en toute sorte, le plafond était atrocement bas, certes la Vaanie n'était pas petite, mais elle ne put s'empêcher de penser qu'elle ne pourrait définitivement pas vivre dans ce - disons - palais. De multiples odeurs vinrent titiller ses narines et elle réprimanda un haut-le-cœur. Décidément, cet urgent rendez-vous serait encore plus difficile qu’elle aurait imaginé. La demie-elfe s'approcha de son pas félin vers une pierre qui scintillait de mille feux, observant le détail de cet attrayant éclairage. Au bout de quelques minutes, elle put finalement entendre la porte derrière elle s'ouvrir. Attrapant doucement du bout de ses longs doigts effilés les pans de sa robe, elle se retourna doucement vers son hôte qui venait d'entrer dans la pièce. Son regard azuré rencontra celui de son allié, et elle s'avança d'un pas déterminé vers ce dernier. « Je suis venue aussi rapidement que possible. Que s'est-il passé? » Dit-elle un air légèrement inquiet. Avait-on découvert un problème dans leurs plans? Qu'est-ce qui pouvait menacer Thaar dont elle n’était pas au courant ?

***

Avec la célérité de la lumière, et la fougue du vent, le messager envoyé en urgence revint aussi rapidement qu'il avait quitté l'antre doré des Mille-Caves, afin de prévenir Marzaban de l'arrivée imminente de la Princesse-Marchande de la chair. Satisfait devant cette information, le maître des Caves ordonna que l'Eclaverne soit vidée des notables Nains qui s'y détendaient, ou qui s'y établirent pour discuter entre eux de leurs propres affaires. Le moment était trop important pour que qui que ce soit ne vienne le troubler. Et en tant que maître des Caves et souverain des Nains des Dunes, la voix de Marzaban faisait valeur de loi.

Il entra enfin, quelques minutes après qu'un garde ait mené Maralina au coeur de l'Eclaverne. Si lui avait bien plus l'habitude que son invitée de faire à la richesse de ce lieu, il ne pouvait s'empêcher d'apprécier l'endroit. L'Eclaverne était creusée dans la roche, laquelle fut recouverte au sol, aux murs et au plafond, d'un marbre blanc d'une qualité exceptionnelle. Les tables, également en marbre, étaient dressées de serviettes en soie et en satin, tandis que moult récipients de cristal étaient dressés, pour recueillir tous les élixirs de ce monde : vins, liqueurs, bières, essences diverses et variées. Les couverts, en or, étaient d'une propreté impeccable, et le cuir des assises rehaussées de fourrures rendait l'impression de véritables nuages pour les nobles postérieurs qui iraient s'y asseoir. L'or, l'argent, le marbre, le cristal, les diamants, les émeraudes, les saphirs ornaient les tables, les fauteuils, les canapés, le bar, les murs et le toit, dans un faste inégalé.

- Dame Maralina, merci pour votre exceptionnelle rapidité. Dit le Maître des Caves qui, debout face à elle, semblait bien moins gêné par la faible hauteur sous le plafond, ses bras croisés, ses mains dans les manches et son visage aussi neutre que le marbre de ce lieu. N'ayez craintes, il n'est rien arrivé de grave, du moins, par pour nous. Là-haut, dans le Hall, nous attendent deux représentants des pirates, qui désirent s'entretenir avec nous pour nous prévenir d'un danger imminent, un danger qui, d'après leurs dires, pourrait être contré, et qui trouve sa source... Dans la cité de Ys. Installez-vous. Un garde ne tardera pas à faire venir ces deux individus, qui demandent à nous rencontrer.

***

Le visage de la Princesse Marchande sembla se refermer lorsque le maître des mille caves prononça le nom de la Princesse d'Ys - si l'on pouvait réellement l'appeler princesse... C'était plutôt une belle façon de lui rappeler qu'elle était encore sous les griffes de Thaar, une belle façon de lui rappeler que sans leur protection elle n'était absolument rien. Elle n'avait rencontré Cassiopé qu'a une occasion - soit pendant le procès - et la demi-drow ne lui avait guère fait une bonne impression. Maralina se demandait toujours comment elle avait pu prendre le pouvoir d'ailleurs... À croire qu'Ys était une cité des plus naïves. Acquiesçant à la demande, Maralina se dirigea vers l'un des sièges, avant de s'y asseoir, l’air légèrement plus blafard qu’a l’habitude. Son visage se referma, devint de marbre alors que son menton se releva un peu. Droite, fière, son regard se porta sur les portes qui s’ouvrirent à ce moment précis. Elle échangea un dernier regard avec son allié, regrettant soudainement de ne pas lui avoir demandé son opinion quant à la représentante d’Ys, avant de retourner ses deux prunelles azurées vers les pirates qui firent leurs entrées.

***

Les pirates firent donc leur apparition, peu de temps après que Marzaban eut fait un état des lieux du pourquoi du comment de sa présence ici. Intérieurement, Marzaban était satisfait de voir la Princesse-Marchande ici, en ce lieu connu de peu de Nains, car cela démontrait - s'il en était besoin - que la relation entre Maralina et Marzaban était effectivement basée sur la confiance, et suffisamment digne pour qu'elle ait fait le déplacement jusqu'au cœur de l'Empire Nain, sans demander ni précision, si présence de ses propres gardes. Nul doute que Marzaban saurait s'en souvenir.


Il fit donc demi-tour, et fit face à la double porte qui laissa entrer les deux pirates. Les deux gardes, eux, restèrent dehors et refermèrent la porte. Debout face à eux, ses yeux mi-clos, ses mains enfouies dans les manches de sa toge de soie brodée de fils d'or, le maître des Caves et souverain des Nains du Sud, les accueillit en ces termes :

- Maître Ballast, gente demoiselle, bienvenus au sein de l'Eclaverne, au cœur des Mille-Caves, cité des Nains du Sud. Je suis Marzaban, du clan Ambreroc, et voici Dame Maralina, Princesse-Marchande d'Uldal'Rhiz. Nous vous remercions tous deux de votre présence en ces lieux. Vous dites que Thaar est en danger, et que ce danger pourrait être solutionné avec vous. D'avance, nous vous remercions. Installez-vous sur ces fauteuils, je vous prie. Il indique les deux fauteuils d'un geste maîtrisé de son bras droit, dans un mouvement contrôlé, ne laissant aucune place au hasard. Si vous désirez manger, ou boire, Bälor vous servira ce qui vous fera plaisir.

Puis, le maître des Mille-Caves fit demi-tour, dans un geste presque mécanique, calculé, et il prit place aux côtés de la Princesse-Marchande de la chaire, face aux deux pirates.

Nous avions donc pris tranquillement la direction des milles-caves, un lieu légendaire dont Ballast, profitant de notre marche, m’en parla en des paroles très élogieuses. Un lieu empli de mystère qui recelait disait-on milles trésors. Ca me fit sourire, et oui ça laissait rêveur mais il y avait aussi de très nombreuses légendes sur Meca et beaucoup étaient exagérées. Moi je ne demandai qu’à voir, même si d’après mon maître, rares étaient les personnes autre que les nains des dunes à pouvoir y pénétrer.

- Ha ? Tu crois qu’on va quand même pouvoir y entrer ?
- Et bien Lugal m’a dit que nous pourrions l’attendre dans le grand Hall et qu’il suffira dans le cas contraire de leur dire que nous venons pour le voir. Nous verrons bien s’ils nous jettent dehors ou pas, s’amusa Ballast.

J’hochai la tête, et le guidais à travers les rues de Thaar dans la direction qu’il m’indiquait. Il n’avait pas vraiment besoin de mon aide, mais il était vieux et aveugle de surcroit le pauvre, fallait bien l’aider un peu, songeais-je en souriant. En fait tout ça ne tenait qu’à des apparences qu’il aimait entretenir. Nous finîmes ainsi par arriver en vue d’un immense mur blanc, le longeant jusqu’à en trouver l’accès. Il s’agissait d’une immense arche à portail d’acier qui donnait accès sur un oasis bien agencé de divers végétaux, marres et autres décors nouveaux pour mes yeux qui scrutaient le tout avec avidité.

Je donnais quelques descriptions à mon maître, jusqu’à parvenir à l’intérieur de ce qu’ils appelaient le grand Hall. J’en sifflai d’ébahissement, oubliant les manières inculquées par Ballast qui me pressa de lui décrire l’endroit, ce que je fis, avec enthousiasme.

- C’est…. Grandiose, étonnant pour des nains, ajoutais-je plus bas avec malice, tandis que des Durgazdawis nous observaient avec curiosité.

Je me moquais, un peu mais au fond, j’avais découvert que j’avais pas mal d’affinité avec ce peuple prompt à festoyer et au grand sens de l’honneur quoique les nains des dunes étaient un peu plus roublards que leurs cousins des montagnes, mais d’aucun ne dédaignaient les divertissements, et beaucoup possédaient un solide sens de l’humour.

- Bon alors qu’est-ce qu’on fait ? dis-je en ne cessant de regarder partout autour de moi ce lieu incroyable.
- Tu as dit qu’il y avait des sièges, et bien installons-nous et attendons que Dugal nous donne des nouvelles.

Ce qu’ils firent et ils n’eurent pas à attendre très longtemps pour voir le sire Ambreroc refaire son apparition. Deejah se redressa aussitôt et lui sourit, alors que le nain semblait plutôt content de lui.

- Ah vous voilà mes amis ! J’ai de bonnes nouvelles pour vous.

Ce n’est qu’à cet instant que je remarquai les gardes qui l’accompagnaient. J’observai la tenue de ces derniers et leurs armes, un peu méfiante malgré tout, mais l’attitude de Dugal se voulait rassurante.

- J’ai trouvé la personne qui serait ravie de vous recevoir, notre cher souverain, maître des milles caves, Marzaban Ambreroc. Si vous voulez bien suivre ces messieurs. Il me faut moi-même hélas retourner à mes activités.

Mon regard revint immédiatement à ce sympathique Dugal qui s’empressa de secouer la main de mon maître, avant de me saluer à mon tour pour tourner les talons aussitôt, pressé comme pas deux. Marzaban Ambreroc ?? je lançais un regard stupéfait à Ballast qui souriait, paraissant grandement satisfait.

- Allons ma chère ! Ne faisons pas attendre plus longtemps le souverain !

Euh….. un souverain ? Carrément ? Oui oui, j’avais déjà entendu le nom de ce nain, qui ne le connaissait pas ? Mais de là à me retrouver en face de lui ?? Hey, non, je n’étais pas prête, mais Ballast me poussa de son bâton, puis m’accrocha le bras. Je n’avais donc plus guère le choix surtout sous le regard acéré de notre escorte. Nous n’avions plus qu’à les suivre, ce qu’on fit, non sans croiser le regard de curieux qui devaient se demander qui on était. Okay, heureusement que sur ce coup, Ballast m’avait assuré que ce serait lui qui tiendrait la conversation. Car moi je ne me sentais pas du tout de taille, le comble pour une demi-elfe face à un nain n’est-ce pas ?

C’est ainsi que nous enchaînèrent un bon milliers de marches, bon ok j’exagérai sans doute un peu, pour nous retrouver dans une salle au plafond ma foi plutôt bas, encore une fois sans surprise. Mais très vite j’oubliai la hauteur du plafond, pour observer les yeux ronds, le décorum de l’endroit. Je fus alors bien obligée de constater que les légendes n’étaient pas exagérées. Toutes ces pierres précieuses, tout ce luxe, ces soieries, ce marbre, ces…..

- Deejarah, voudrais-tu bien me guider jusqu’à notre hôte, s’il te plait ?
- Euh… oui mestre.

Je sentis sa main se faire plus ferme sur mon bras, me pinçant presque. Ok mon langage, je sais, je devais faire des efforts.

- Son...altesse n’est pas seule. Je m’avançais jusqu’à eux, mon regard allant de l’un à l’autre. Sire, Ma Dame, dis-je en leur faisant une discrète révérence comme Ballast me l’avait appris. Je vous présente mon mestre, le mage Cecias Levante, je suis Deejarah, son apprentie.

Ma présentation n’était pas parfaite, mais j’était perturbée par ces deux personnages. Si le nain des dunes était plus petit que moi, il n’en restait pas moins impressionnant par sa… prestance, ou ce visage marmoréen qui ne laissait strictement rien passer de ses émotions, l’exacte contraire de mon visage, tellement, trop expressif.

- Oh on me connait plus sous le nom de Ballast, Maître, et je m'écartai légèrement pour laisser Ballast s'incliner à son tour, avant d'en faire de même devant la dame.

Les deux invités se présentèrent. Ou plutôt, la sang mêlée fit les présentations pour tout le monde. Si, bien-sûr, je connaissais déjà le nom de Ballast, et connaissait son handicap, le nom de son apprentie, et sa qualité d’apprentie, m’étaient tout à fait étrangers. Deejarah, apprentie de Ballast. Voilà des informations qui, à n’en point douter, sauront être sauvegardées pour les années à venir. D’un geste de la main, je les invitais à s’asseoir, laissant toute latitude à Deejarah pour orienter les mouvements de son maître, qui était privé du don de vue.

Je m’installais à mon tour, aux côtés de Maralina. Pour montrer l’exemple, je dis une commande à Bälor, le tenancier de cette magnifique taverne débordante de richesses, d’or et de métaux précieux.

- Un whisky des tourbes de Péninsule, 28 ans d’âge. Servez à nos invités ce qui leur fera plaisir, voulez-vous.

Bälor s’enquérait alors des commandes de Dame Maralina, de la jeune Deejarah et de son maître, nommé Ballast. Un nom bien étrange, bien unique en son genre, mais toutefois point dérangeant étant donné que l’homme était un pirate. Les ballastes, après tout, étaient bien connus des marins, bien que leur utilité me soit totalement inconnue. Chacun son métier après tout, et le mien n’est pas d’aller me mouiller sur le pont d’un navire miteux.

- Ainsi, vous aviez d’importances chose à nous dire.

Maintenant que tout le monde était bien installé, mieux valait commencer les hostilités. Les deux invités étaient en effet reçus avec tous les honneurs possibles, et bénéficiaient d’un confort offert à bien peu de non Nains. Très, très, très peu de non Nains, pour être tout à fait exact.

Son expression semblait figée sur les deux invités. Maralina les détaillait attentivement, tentant tant bien que mal de déterminer qui était réellement ceux qui se présentaient devant eux.  L’homme semblait beaucoup plus en contrôle de ses émotions, alors que la jeune femme semblait beaucoup plus nerveuse. Qui aurait pu la blâmer? Faire face à un seul Prince n’était pas facile, imaginer lorsque vous êtes devant deux! Alors que Marzaban la présenta,  ses prunelles azurées se déplacèrent doucement vers le nain. Dame? Non, mais! Il avait du culot quand même! C’était Son Altesse, elle n’était pas une petite bouseuse de la péninsule sans pouvoir! Si la Princesse Marchande bouillonnait intérieurement, son visage lui, ne laissa rien paraître. Elle retourna son attention sur les deux pirates. Elle lui ferait le message lorsqu’ils seront seuls, ce n’était pas le moment de s’énerver pour une pacotille.  Le serviteur lui proposa du vin, mais cette dernière l’arrêta net, demandant plutôt de l’eau, a la grande surprise du nain. Ce dernier acquiesça avant de lui servir son breuvage. Lorsque Marzaban prononça ses dernières paroles, la Princesse Marchande ne put s’empêcher de changer d’expression. Si elle était restée de marbre jusqu’à présent, la hargne avec laquelle le maître des Milles-Caves avait présenté la chose ne laissait rien au hasard. Les deux êtres étaient définitivement bien similaires… Alors que  le serviteur déposait doucement la coupe remplie d’eau claire. Son regard azuré se porta sur sa coupe, avant qu’elle ne le retourne vers la jeune rouquine. « Si je peux me permettre de rajouter quelques choses. »


La Princesse d’Uldal’Rhiz se releva doucement, se mettant à marcher de son pas félin, en réalité l’odeur du whiskey lui déplaisait au plus haut point et elle ne souhaitait que s’en éloigner le plus rapidement possible. « Si je me fie à ce que mon collègue me dit, vous n’avez pas reçu le meilleur des accueils sur nos terres. » Elle s’arrêta derrière le canapé où elle était assise, avant de mettre ses deux paumes sur le dossier, son regard azuré fixant les deux invités. La négociation était un art, un mélange de connaissances et de flexibilité. Le but étant que les deux parties repartent heureuses avec leurs acquis. Si elle n’appréciait pas réellement être mise sur la sellette ainsi par Marzaban alors qu’elle n’avait aucune idée de ce qui s’était passé, elle savait au moins une chose. Elle devrait découvrir rapidement ce que les pirates voulaient en échange, car il n’était pas ici pour discuter d’un arrangement commercial. Qu’elle était leur motivation? La vengeance? Où venait-il reporter les faits par crainte? Les yeux de la Princesse observèrent avec attention les invités avant de rajouter;  «  En tant que représente du conseil de Thaar, je souhaite m’excuser pour toute action qui aient pu porter préjudice a vous et vos semblables. J’ose espérer que cette conversation est le début d’une collaboration des plus lucratives entre la Principauté et  Meca. » Les collaborations avaient diverse figures, diverses fonctions. Avoir des pirates devant elle, lui semblait un cadeau du ciel. Elle avait une idée en tête, ne restait a savoir comment la mettre en place dépendamment de comment la discussion irait. Les dés étaient jetés et Maralina était impatiente d’en savoir plus sur la situation. Naviguer dans le néant était réellement la pire façon de débuter une discussion de ce genre…

Avant de passer commande, Ballast qui avait de son bâton trouvé son siège, remercia nos hôtes pour leur accueil. Oui il valait mieux qu’il prenne le relais parce que j’étais pour ma part, un peu trop empruntée pour faire les choses correctement.

- C’est un insigne honneur de rencontrer d’aussi illustres représentants de Thaar ! Il me faudra songer à remercier grandement messire Dugal Ambreroc pour avoir su quérir votre attention sur…. Le problème qui nous amène aujourd’hui dans cette si belle cité.

Son visage se tourna ensuite vers le tenancier et d’un ton très poli, Ballast commanda :

- Une hydromel s’il vous plaît.

Le regard du tenancier se tourna ensuite vers moi et, retrouvant la parole, je lançai d’un trait :

- Bière..ambrée, s’il vous plaît.

Je sentis le soupir contrarié de mon maître, même s’il affichait toujours un sourire poli. Ben quoi ? On était chez les nains, je n’allais quand même pas commander un rhum.

[hide]A présent que nous étions tous assis sur ces drôles de fauteuils tellement confortables, l’échange pouvait commencer et ce fut le souverain nain qui entra dans le vif du sujet . Je caressai du bout des doigts la fourrure qui enrobait mon siège, avec un regard toujours aussi admiratif sur tout cet incroyable décor, mais mon attention revint très vite sur Marzaban tandis qu’il évoquait la Dame d’Ys en des termes si peu élogieux qu’ils firent briller mon regard de satisfaction. J’aurais été moi-même bien plus âpre dans mes propos, et ses paroles mirent du baume à la colère que je ressentais encore dès qu’il était question de cette rencontre.

Ainsi il avait eu lui aussi affaire à cette demi-drow et ce qu’il nous en dit, me fit comprendre que ce n’était pas parce que nous représentions les pirates de Meca qu’elle s’était montrée si insultante, mais qu’apparemment c’était dans ses habitudes. Parvenir à fâcher un souverain nain, c’était tout de même d’une maladresse sans nom, voir d’une bêtise dont même moi, j’étais consciente.

Ce fut ensuite à la princesse d’enchérir et celle-ci sembla soudain ressentir le besoin de se relever. Deejarah inclina légèrement la tête, trahissant sa curiosité. Ballast commença par répondre à Marzaban :

- En effet, nous avons été invités il y a environ trois énéades, à nous rendre à Ys, pour une affaire qui disait-elle ne manquerait pas de nous intéresser. Et je dois dire au vu de ce qui s’est passé, que nous regrettons nous aussi cette rencontre. Mais comme il est plutôt rare que nous soyons invités à une table de négociations, j’ai suggéré à mes amis qu’il serait intéressant d’aller entendre ce qu’elle avait à nous dire.

Il prit un temps de pause, laissant le soin au tenancier de servir nos boissons, pour reprendre en souriant à la princesse.

- Me concernant, j’estime que vous n’avez pas à vous excuser du comportement de la protectrice d’Ys. Vous n’êtes pas responsable de ses erreurs. Cependant, j’espère que vos excuses ne manqueront pas d’être entendues du conseil des seigneurs pirates de Meca. Je vous remercie pour ça, et pour votre généreux accueil.

Ballast eut une ombre de sourire, avant d’ajouter pour la princesse de cette voix légèrement teintée d’amusement :

- Ma présence ici et celle de Deejarah n’est point motivée par des intérêts pécuniers, même si c’est ce qu’on pourrait attendre de pirates. Non, la seule chose que nous souhaitons, c’est éviter des conflits qui seraient néfaste pour chacun de nous et oui pourquoi pas nous entendre sur une certaine collaboration ? C’est ce que j’ai tenté de faire comprendre à la protectrice, mais elle est restée obstinément sourde à mes paroles.

Il soupira avant de reprendre.

- Je crains que la protectrice n’ait rien compris à ce que nous représentons. Son aveuglement et son entêtement à croire que nous aurions pu accepter d’ouvrir une route commerciale entre Ys et Meca, m’a rapidement fait comprendre que cette demoiselle s’inquiète bien plus de ses propres intérêts et de ceux de ses treize que ceux d’Ys, ou ceux de Thaar. Je ne vous parle même pas de toutes les menaces à peine déguisées qu’elle a formulé à l’encontre des pirates. Si bien que cette négociation ressemblait plus à un vil chantage, voir à un tribunal qu’à autre chose.

- Mais ses paroles, je le crains pourraient bien mettre le feu à nos deux factions. Les seigneurs pirates ont déjà eu un retour sur l’échange qui a eu lieu à Ys, et je peux vous dire qu’ils sont sur des charbons ardents. Ils souhaitent donner une leçon à la principauté d’Ys et ses alliées, mais peut-être pourrais-je parvenir avec votre aide à limiter les dégâts si je sais les convaincre que Thaar n’est en rien concerné par ce différend.

- Nous sommes tous conscients que les pirates ne sont pas des modèles de vertu. Cependant ils ont leur propre code de l’honneur, malgré des activités discutables. Et comme tout un chacun se voir traité de la sorte, n’aide pas à entretenir… de …bonnes relations si j’ose dire. Disons que si le pillage est leur façon de survivre, il pourrait devenir prétexte à bien plus d’expéditions que nécessaire, visant particulièrement les côtes d’Ithri’Vaan, et ce à mon grand regret. Voilà pourquoi je suis venu vous voir aujourd’hui, ne serait-ce que pour vous informer de tout ça et pourquoi pas essayer de trouver ensemble une solution pour apaiser la colère des seigneurs pirates ?

Après ce long discours, Ballast s’interrompit enfin, me faisant lever mon nez de ma chope pour fixer nos interlocuteurs tour à tour, essayant de deviner ce qu’ils pouvaient penser de tout ça. Je regardai le roi des nains des dunes, et me laissant emporter par mon élan, l’interrogeai à mon tour :

- Et les dragons, on en parle ? Non parce qu’essayer de nous faire avaler que nous risquions tous de partir en fumée à cause du dragon de Nelen, je me demande vraiment à quel point elle nous a pris pour des imbéciles. Avez-vous eu de votre côté quelconques soucis avec cette créature ? L’un de vos navires peut-être ?

Après tout, Thaar possédait sa propre flotte navale, alors si quelqu’un devait savoir quelque chose à ce sujet, hormis les pirates, c’était bien eux, non ? Quoiqu’il en soit, mon ton montra à quel point ces menaces de dragon, me laissait complètement dubitative. Je sentis un nouveau frémissement venir de Ballast, mais je l’ignorai. Tout ça me concernait aussi, avait-il dit, non ?

Tout le monde était bien installé. Les commandes étaient prises, et l’on entendait ce bruit si agréable qui, si j’avais été seul, aurait su dessiner une risette sur mon visage, ou du moins, un léger écarquillement des yeux : c’était le bruit d’un fut mit en perce, percé par un clou enfoncé avec maîtrise grâce à un marteau utilisé uniquement pour ce genre d’occasion. Dans le trou, le tenancier plaça un robinet, et ainsi l’on pu entendre le doux bruit du liquide quittant son contenant pour venir dans un verre en cristal. Puis, vient le doux bruit du bouchon de liège scellé à la cire, qui saute sous les assauts d’une pogne experte pour libérer un liquide ambré aux relents tourbés. Puis vient l’hydromel, gardé dans une bouteille de verre, et… Le verre d’eau. Pourquoi pas, après tout. Bien que cela provoque chez moi une réelle curiosité, alors que mon visage tournait à quatre-vingt-dix degrés en direction de Maralina. Si l’expression demeurait tout à fait neutre, je n’ai que peu de doute quant au fait qu’elle aura devinée ma curiosité ambiante.

Puis vint la longue tirade de Ballast, le maître mage aux yeux aveugles mais, je le devine, à la longue expérience de vie, et aux larges habiletés en négociation et en médiation. Sa voix, posée, et son attitude résolument maîtrisée, trouvent un certain écho en moi, alors que tout, absolument tout, est calculé, que ce soit dans mes actions, mes réactions, mes pensées et mes mots.

Toutefois, je ne m’attendais pas à autant de détails. Visiblement, les pirates veulent jouer franc jeu, en n’omettant aucun détail du pourquoi du fiasco de cette rencontre avec la protectrice d’Ys – cette appellation est risible étant donné le nombre de dangers qui planent sur Ys à cause d’elle. Parfaitement stoïque, mon corps ne bouge pas d’un centième de millimètre, sinon à intervalles réguliers afin de me servir une gorgée de ce précieux liquide ambré que j’apprécie tant.

La longue tirade de Ballast terminée, j’avalais une énième gorgée de ce précieux breuvage divin qu’Heidum lui-même devait savourer sur le pont menant au monde du Dessous. Reposant le verre de cristal sur son socle de marbre, le doux bruit du matériau parfaitement pur sonna comme un tintement merveilleux, une douce symphonie à mes oreilles. Je m’apprêtais à répondre, mais Deejarah, l’apprentie, s’empressa de parler à son tour et de lancer le sujet des… Dragons. N’étant pas certain de la fin de sa propre tirade, je décroisais mes bras, libérant mes mains cachées dans mes manches, signe de ma prise de parole.

- Maître Ballast, permettez-moi de me joindre à son altesse, la princesse-marchande d'Uldal'Rhiz, en exprimant, à mon tour, mes excuses les plus sincères, au nom des Nains des Dunes, et des Mille-Caves. Certes, nous ne sommes pas à l’origine de l’affront qui fut fait à Ys, mais, comme vous l’avez si bien dis, la proximité entre Ys et Thaar est telle qu’il est fort probable que les conséquences des actes de celle qui se dit être la protectrice de sa cité, retombe sur les innocents de Thaar, et nous-même. Puisque vous avez eu le courage et l’honnêteté de venir jusqu’ici, malgré les risques marins, des excuses sincères semblent s’imposer, afin de vous prouver, si cela était nécessaire, que la Dame d’Ys n’est en rien similaire à nous, et que vous êtes, ici, les bienvenus. Un peu de pommade ne faisait parfois pas de mal. Non pas que je ne pensais point un mot de ce que je venais de dire, mais il est plus que rare de voir un Nain demander pardon pour ses propres erreurs, alors pour les erreurs d’une autre ? De sa propre adversaire qu’il plus est ? Toutefois, les négociations, et la survie de Thaar et de l’Ithri’Vaan face à la menace guerrière venue du Puy, obligeaient à revoir un peu les habitudes de fierté Naines, et à se montrer… Plus souple que d’ordinaire. Son altesse et moi-même n’avons qu’une seule obsession : protéger nos gens, et notre territoire. Et je perçois en votre sagesse, maître Ballast, ce même désire de protection envers votre apprentie, mais aussi, envers vos frères et sœurs de Meca, et cela, je le respecte au plus haut point. Nous sommes ici pour nous entendre. Quant à votre question, jeune Deejarah, si le dragon représente réellement une menace, celle-ci se limite principalement aux environs de Nelen, et disparaît à mesure que l’on s’éloigne des rivages. Si des incidents ont effectivement été répertorié parmi les nombreux marchands de la cité, ceux-ci ont globalement été régulés simplement par des mesures d’éloignement de l’archipel. Je ne sais point pourquoi la Dame d’Ys aura ressentie le besoin de vous mentir à ce propos, cela dit, vous voilà informés, votre maître et vous-même. Je me retourne vers le maître magicien. Maître Ballast, que pouvons-nous faire pour laver cet affront ?

Maralina évita le regard de Marzaban, alors qu’elle ne demandait que de l’eau. Après tout ce n’était guère de ses affaires. Peut-être lui annoncerait-elle la nouvelle éventuellement, mais il était encore trop tôt pour admettre quoi que ce soit. Les mains de la Princesse Marchande firent une légère rotation, alors qu’elle s’appuyait légèrement sur le canapé, les yeux fixés sur les invités. Elle ne manqua pas l’expression satisfaite de la jeune femme alors que son homologue parlait durement de la treizième. Décidément, elle les avait réellement offusquées… Si son expression semblait s’être légèrement adoucie alors que le dénommé Ballast prenait la parole, ses doigts se crispèrent peu à peu sur le dossier au fur et à mesure que le pirate leur racontait les faits alors que ses yeux et son expression se durcirent. Du Cassiopée tout cracher! Décidément cette écervelée d’hybride ne s’était pas améliorée dans la dernière année! Toujours à faire des idioties… Une route commerciale entre Meca et Thaar? Pour y faire quoi? S’assurer que les pirates aient des petits fours frais? C’était définitivement une connerie hors du commun! Même la voix de Qyriah – le très célèbre Diolando Vega  - avait plus de bon sens qu’elle! Et il faut se rappeler que la Princesse d’Uldal’Rhiz avait déjà mentionné que ce dernier avait l’intelligence d’une babouche…


Les paroles de Marzaban n’aidaient en rien, « Je tiens à rajouter qu’Ys tente depuis plusieurs années soit d’avoir son indépendance ou de faire son entrée au conseil, malheureusement ce que vous venez de nous dire, ne vient que prouver le danger qu’une telle situation pourrait apporter.  » Maralina se redressa, faisant quelques pas pour se retrouver près de Marzaban pour lui échanger un regard; nul besoin de lui faire un dessin, il comprenait très bien ce qu’elle voulait dire. La principauté n’aurait jamais tenté un tel rapprochement. C’était culoté et très inconsidéré. Sans le vouloir, la treizième venait de déclarer une autre guerre, comme s’il n’y en avait pas assez… Maralina déposa doucement ses doigts sur l’accoudoir du fauteuil avant de retourner son regard vers la rouquine; « Quant aux dragons, à moins que vous alliez directement l’affronter, je ne vois pas pourquoi cela serait une inquiétude, et je vois encore moins pourquoi Cassiopée vous aurait lancé une menace des plus futile. Néanmoins, la treizième à prouver de nombreuses fois que l’intelligence n’était pas une de ses vertus. » Elle put sentir à nouveau l’arôme de whiskey du maître des mille caves et fit quelques pas de reculons, en faisant une grimace qui ne dura qu’une fraction de seconde, avant de revenir derrière le canapé. Décidément cela serait une négociation facile…

Ballast avait écouté poliment et sans jamais chercher à les interrompre les paroles de l’un et l’autre des représentants de Thaar, affichant une ombre de sourire qui me laissait de plus en plus intriguée. Tout autant que je l’étais pas les excuses de ces deux hautes personnalités. Je savais combien les nains, et même les durgazdawis pouvaient être fiers et que des excuses de leur part comptaient bien plus qu’un plein fût de leur plus précieuse bière de Criss. Surtout si nous considérions que nous n’étions après tout que de viles pirates !

OU plus précisément, nous les représentions en ce moment même, tout comme je savais que Ballast essayait de protéger mes intérêts. Mais était-il motivé par autre chose en venant ici qu’aplanir un différend entre deux parties ? J’avais cru au départ qu’il ne s’agissait que de ça, qu’il cherchait en venant à Thaar, à limiter les retombées de ce qui s’était passé à Ys, mais peut-être qu’au fond, il y avait autre chose ? Autre chose qui justifiait de voir ces deux souverains se montrer aussi obligeant envers des représentants de Meca. Quoi ? Oui, j’étais de nature méfiante tout le temps, peut-être plus encore avec des gens qui se montraient aussi courtois envers nous, même si j’appréciai beaucoup cela. Ca nous changeait des « On vous pendra haut et court ».

Alors enfin le vieux mage prit la parole, parlant lentement et avec une grande courtoisie :

- Sachez que j’apprécie grandement vos excuses, elles montrent bien que vous êtes au moins aussi sage que moi et me rassure sur le fait que Thaar n’a rien de commun avec les dirigeants d’Ys.

Je levai un sourcil moqueur en l’entendant se dire sage, maiis bien sûr je fermai mon clapet, sachant quand il était judicieux d’intervenir ou non.

- …. Même si au fond, je m’en doutais, mais il me fallait en avoir la confirmation. La confirmation que vous n’avez pas les mêmes considérations envers les pirates que celle qui se dit la protectrice d’Ys, sachant que celle-ci dépend justement de votre sphère. Et que ce qui risque d’arriver, ne se transforme pas en guerre rangée contre les pirates de Meca. En venant ici, c’était ma préoccupation première. Je doute que vous y trouviez là quelconque intérêt à voir une recrudescence d’attaques pirates sur vos côtes. Ce n’est pas le mien non plus, sachez-le. J’aspire à des relations beaucoup plus diplomatiques entre nos deux factions. Même si ce n’est là que mon avis personnel sur la question.

Mon regard continuait d’aller de l’un à l’autre. Je sentais combien Ballast pesait chacun de ses mots et mesurait la portée de ce qu’il pouvait dire à ces deux personnages, dont la femme qui me paraissait un brin agitée tandis qu’elle se déplaça à nouveau, comme si quelque chose la dérangeait.

Mais je ne me laissai que momentanément distraire, pour dénouer les nœuds de cette conversation qui semblait pleine de non-dits. Ballast venait de bien insister sur le fait que c’était là son avis personnel. Moui, je voyais bien ce qu’il voulait dire, surtout après avoir entendu la colère des autres seigneurs pirates. Ceux-là, excepté peut-être l’un d’eux, n’aspiraient plus désormais qu’à donner une cuisante leçon à la Protectrice d’Ys qui avait cru pouvoir les traiter que comme de la poiscaille dont on se débarrasse trop facilement.

Qui plus est, Cassiopée Meldyrin souhaitait l’indépendance d’Ys, mais apparemment Thaar ne l’entendait pas de cette oreille. Était-ce ce que Ballast avait cherché à entendre en venant ici ou… comme l’avait suggéré la princesse marchande, il voulait plus encore ? Je connaissais son engouement pour la politique avec ses façons de vouloir nouer des liens avec tout le monde et je me demandai en fin de compte où il voulait en venir avec tout ça.

Concernant les dragons, Marzaban et la princesse  venaient de me donner la confirmation que tout ça c’était de la pure connerie, oui, bien sûr, ils ne l’avaient pas dit en ces termes mais cela m’apporta une grande satisfaction, leur valant un large sourire content de ma part.

- Je l’savais ! Tout ça ce n’était que de viles menteries pour nous faire passer pour de sombres crétins. Comme si nous ne connaissions rien à la navigation !

Ballast coupa rapidement court à mon éclat :

- veuillez pardonner la fougue de mon apprentie. Deejarah est... le parfait reflet de la réaction qu’ont eue les seigneurs pirates en découvrant le compte rendu de cette « discussion ». Ce qui vous laisse imaginer les retombées qu’auront les paroles de Cassiopée Meldyrin.

Je me renfrognai dans mon fauteuil, me donnant une certaine contenance en avalant un peu de cette bière délicieuse et évitant de croiser le regard des autres. Il venait de me remettre à ma place devant un souverain et une princesse, et cela était des plus déplaisants. Ballast conclut enfin en tournant son visage vers Marzaban et répondit à sa question :

- Je doute hélas que vous puissiez faire quoique ce soit pour apaiser la colère des seigneurs pirates, je crains que rien ne pourra les faire renoncer à s’en prendre à Ys, ou plus particulièrement à leur flotte oliyane. Cependant j’ai bon espoir de pouvoir limiter les dégâts et d’éviter qu’ils ne s’attaquent à Thaar et à ses représentants, surtout quand je leur aurai rapporté vos paroles pleines de sagesse. Peut-être qu’une confirmation par écrit dans un message que je leur transmettrai, les aidera à comprendre que vous n’avez rien à voir avec tout cela ? Que vous n’êtes en rien responsable des provocations de la protectrice d’Ys et que vous n’interviendrez pas lors des représailles qui auront sans doute lieu à son encontre ?

Ah ouais, en somme, il leur demandait de ne pas intervenir quand les seigneurs pirates enverraient leurs flottes pour s’attaquer à Ys et à sa compagnie marchande. Je restai les yeux grands ouverts, ne manquant pas une miette des réactions des uns et des autres. Mui, enfin difficile de lire quoique ce soit sur le visage de Marzaban.

Ainsi donc les pirates avaient un quelconque accord en tête. Ça, c’était une nouvelle intéressante! Et lui donner quelques jetons supplémentaires ne faisait qu’agrandir la mise. Maralina avait déjà une idée d’où le pirate allait. Cela devenait de plus en plus clair. Les Seigneurs Pirates ne semblaient pas vouloir s’attaquer à la principauté. Et qui aurait pu les blâmer. Une guerre entre la Meca et Thaar la géante n’apporterait rien de bon. Ni pour eux ni pour nous. Maralina déposa doucement ses mains contre le fauteuil derrière Marzaban, dominant légèrement la pièce. Ses prunelles azurées se déplacèrent doucement sur la dénommée Deejarah qui expliquait sa vision des choses d’une façon la plus virulente, ce qui fit sourire la Princesse d’Uldal’Rhiz. « Il n’y a rien à pardonner cher Ballast. Au contraire, il vaut mieux choquer en disant la vérité que mentir et je ne peux en vouloir à quelqu’un qui demande justice. » Maralina fit un clin d’œil à la jeune fille qui semblait s’être renfrognée dans son fauteuil. Elle semblait aussi vive que l’éclair, et ses paroles étaient énormément révélatrices. Les prunelles azurées de la Princesse d’Uldal’Rhiz se retournèrent vers Ballast alors que ce dernier faisait la plus délicieuse des propositions. Maralina ne put s’empêcher d’avoir un sourire moqueur. Ce moment était trop beau, un véritable cadeau pour affaiblir une personne qu’elle trouvait insignifiante. Cassioppée voulait jouer dans la cour des grands? Elle lui montrerait qu’elle n’était pas de taille à la Princesse de la Chair.


La Vaanie posa doucement ses longs doigts effilés sur l’épaule de Marzaban pour attirer son attention. Ils n’eurent besoin que d’un seul regard pour se comprendre. Retournant ses prunelles azurées vers les pirates, Maralina reprit la parole; « Je crois que la confirmation par écrite ne soit tout simplement pas suffisante pour faire la leçon à la treizième et sa suite de marchand à deux écus. » Oh non, ils avaient besoin d’offrir beaucoup plus à Ys. Une leçon que ces derniers n’oublieraient pas et qui leur rappellerait qui était vraiment le patron sur ces terres. « Nous avons l’obligation d’intervenir si nos terres sont attaquées, j’espère que vous pouvez comprendre cela. » Maralina, toujours un sourire aux lèvres, se remit à marcher de son pas félin avant d’aller se rasseoir sur le canapé au côté de son homologue. «Vous comprendrez que la principauté a été mise en danger pendant ces négociations, et c’est pourquoi nous allons réagir. » La Vaanie se calla dans le confortable fauteuil, fixant le dénommé Ballast avec un sourire amusé aux lèvres. «C’est pourquoi moi, Maralina Irohivrah, Princesse Marchande d’Uldal’Rhiz et membre du conseil de Thaar vous promettent 600 souverains par navire de la compagnie Olyane ou tout navire ayant un pavillon Yssois que vous coulerez. » Son regard sembla s’obscurcir alors qu’elle mit son offre sur la table. «Bien entendu, si vous désirez des vivres ou autres matériels, nous pouvons négocier pour la somme que je viens de vous mentionner.» Puis, se retournant vers Marzaban, Maralina continua; « Ys a fait du tort à sa suzeraine, et je crois que cette dernière devra apprendre de ses erreurs. Je crois que vous approuvez mon point de vue n’est-ce pas? » Puis faisant non de la tête, un air faussement attristé elle continua; « Qui plus est, je suis dans l’obligation d’expulser la compagnie Olyane d’Uldal’Rhiz. Cette dernière est une bombe à retardement, et je n’ai point besoin de plus de drame dans ma cité. »  Maralina attrapa son verre d’eau, avalant une gorgée avant de se retourner vers les pirates l’air satisfait. C’était si drôle de voir ses ennemis mordre la poussière et tomber par soi-même, rien ne l’amusait plus. Cassioppée apprendrait bientôt que ce n’est pas le titre qui honore une personne, mais cette même personne qui honore le titre. Et la treizième n’avait rien d’une Princesse Marchande…

Voilà, la princesse avait tout compris. Et c’était ainsi que je fonctionnai. Je n’aimais pas les ronds de jambes, quitte oui à être choquante, je préférai la vérité aux mensonges et aux faux semblants. Mon sourire traduisit mieux que des mots, ma reconnaissance pour cette grande dame qui venait de faire comprendre à Ballast qu’il n’avait pas besoin de me mettre un bâillon sur la bouche. Et voilà vieux grincheux !

Je vis son léger sourire prendre un pli moqueur un très bref instant, ses mains tenant toujours son bâton dressé entre ses genoux, le regard fixé sur un point qu’il ne pouvait pas voir, pas avec les yeux en tout cas. Je compris dès lors que j’aurai le retour, mais plus tard. Que là, pour le moment, il se contenta d’acquiescer doucement de la tête, préférant visiblement se concentrer sur l’objectif de sa visite.

Ballast en vint alors au fait, leur expliquant que nous n’étions pas venus pour marchander mais pour limiter les dégâts que la colère des seigneurs pirate ne manquerait pas de créer. Thaar n’était en rien concerné par ces représailles, mais si Ballast voulait pouvoir convaincre les seigneurs pirates que Thaar ne se mêlerait pas de ce conflit, il lui faudrait une preuve écrite. Leur parole écrite, entre autre que Thaar ne lancerait pas de campagne de guerre en retour contre Meca pour avoir attaqué une des cités sous la domination de la grande cité.

Je regardai l’un et l’autre de nos interlocuteurs, revenant finalement sur la princesse qui laissa paraître un étrange sourire, comme si tout cela l’amusait. Est-ce qu’une fois encore nous allions devoir subir les moqueries des hauts responsable d’Ithri-vaan ? Est-ce que mon maître en demandait trop ? J’eus un instant de doute que Ballast lui ne semblait pas du tout éprouver mais….. il était bien plus habitué à cacher ses sentiments que moi.

C’est là que la princesse prit la parole et aussitôt ce qu’elle dit me remplit de stupéfaction. J’avais bien entendu ? Mon expression surprise se transforma en un large sourire amusé. J’aimais aussitôt son franc-parler même si Ballast de son côté se montra beaucou plus mesuré. Je le vis même froncer légèrement les sourcils quand la princesse expliqua qu’ils avaient l’obligation d’intervenir en cas d’attaque.

Quant à la mise en danger de toute la principauté Thaar, ouais, Ballast avait bien tenté de prévenir la protrectrice d’Ys, mais celle-ci était restée sourde à son avertissement. Jusqu’à cet instant où elle proposa de nous payer pour couler les navires de la compagnie oliyane. Hein ?? Je regardais Ballast, pas sûre d’avoir bien compris, ou de comprendre ce qui se passait. Ils voulaient nous payer pour couler la flotte de cette prétentieuse d’Ys ? Et la princesse d’ajouter qu’ils pouvaient même nous fournir le matériel nécessaire.
Hoho, apparemment les pirates n’étaient pas les seuls à avoir pris en grippe cette Cassiopée, quoique là ça dépassait ce que Ballast avait escompté !

En fait la princesse voulait lui donner une leçon, avec notre aide, enfin notre aide rémunérée, c’était un détail à ne pas négliger ! Ballast après un bref silence, répondit à la question de la princesse.

- Tout à fait ! Un point de vue que nous partageons entièrement ! dit-il avec un demi-sourire et sur ce même ton poli et calme.

Un sourire qui se fit plus cynique quand il ajouta :

- Vous n’aurez peut-être même pas besoin d’expulser cette compagnie,  pas une fois que les pirates se seront occupés de ses navires.

Il prit un temps de réflexion avant de reprendre.

- Donc en clair, vous nous proposez des lettres de marques qui donneront les pleins droits aux pirates de Meca pour attaquer la flotte Oliyane, moyennant une généreuse contribution de votre part ? Une lettre qui je suppose sera signée de votre main ? précisa Ballast, tournant son visage vers la princesse, même si le regard opaque lui, restait accroché dans le vague.

Je regardai alors le souverain des durgazdawis. Et lui ? Il en disait quoi de tout ça ? Est-ce qu’il voulait signer lui aussi ?

Le fait que ce soit Maralina qui mène la danse, me permet d’agir dans l’ombre d’une lumière aveuglante. Alors que les regards, sont tous tournés vers la princesse, alors que le pirate aux yeux aveugle réagit par des mimiques souvent savamment contenues, alors que la jeune, elle, se laisse aller à toutes ses émotions, je peux regarder, que dis-je, observer à la loupe les moindres réactions de nos deux interlocuteurs. Je vois les sourcils se froncer, puis s’arquer. Je vois les yeux s’agrandir, ou au contraire, se faire tout petits, signe d’une réflexion intense.

Je vois ces petites rides, celles qui se présentent aux extrémités latérales des yeux lorsqu’on les plisse. Je vois les narines qui se gonflent, à mesure que la respiration se fait plus profonde. Je vois aussi ces légers mouvements de des iris de nos deux interlocuteurs, qui s’élargissent sous la stupeur, et se rétrécissent sous l’adrénaline. Je prends une gorgée de ce délicieux, véritablement délicieux whisky, et repose le verre de cristal, le tout, dans une succession de mouvements parfaitement maîtrisés.

D’un regard accordé, Maralina fait son offre, offre que je soutien à plus de 100%, si cela était possible. Enfin, cela l’est. Après tout, en affaire, tout n’est que dividendes, recettes, augmentations… Il est possible d’être d’accord à plus de 100% avec quelque chose, de même qu’il est possible d’obtenir bien plus de 100% de quelque chose. Et j’escompte bien obtenir au moins 200% de bénéfices sur cet investissement fait en cette entreprise : les pirates contre Ys.

Car Cassiopée n’aura que ce qu’elle mérite. Insulter les Nains, est déjà contracter l’assurance de plusieurs souffrances et d’un raccourcissement de la vie sur cette terre. Mais m’insulter moi… C’est là une idée pire que de vouloir rencontrer directement une divinité destructrice. Son nom, Cassiopée Meldyrin, est écrit en lettres d’encres dans mon carnet à la reliure de cuir noire, mon livre des rancunes. Et à rancune, vengeance glaciale.

Toutefois, une chose me déplait fortement : la notion de lettre de marque. Déjà, car je n’apprécie point de laisser des traces directes et indirectes, et deuxièmement, je ne m’attendais pas à autant de procédures de la part de pirates. Toutefois, devant un individu comme Ballast, l’on ne s’attendait tout simplement pas à une telle appartenance. Les apparences sont trompeuses, et j’en suis le parfait exemple. Lorsque Ballast termine sa phrase, je prends immédiatement la parole, en conservant une assise droite et parfaite, tel le bloc de marbre que je suis.

- Non. Ma voix rauque, grave, résonne comme dans une église alors que l’Eclaverne est exceptionnellement vide. Nous ne vous proposons que la confiance, et une généreuse compensation. Voyez-vous, je ne peux me résoudre à laisser autant de lettres de marques voyager sur le continent, et prendre autant de risques de les voir tomber entre de mauvaises mains. Si les vôtres, maître Ballast, et celles de vos pairs, sont destinées à recevoir lesdites lettres cachetées, le risque de les voir arriver, par mégarde, par erreur, par trahison, dans les mains de la demoiselle d’Ys, ou de qui-que-ce-soit d’autre, demeure trop grand pour que nous puissions accepter cela. Toutefois, je peux vous proposer la confiance des Nains… J’appuie cette dernière phrase en présentant face à mon interlocuteur, une main tendue généreusement, paume vers le haut. Je suis certains que vous connaissez la valeur d’une promesse faite par un Nain, et la solidité d’un accord liant un Nain à un partenaire. Cette confiance est indéfectible, tant qu’elle perdure dans le sens du partenaire des Nains. Toutefois, je conçois volontiers qu’une parole donnée, même la mienne, ne puisse suffire aux intérêts des Seigneurs Pirates, aussi, je vous propose une autre chose : en plus des 600 souverains offerts par la Princesse, pour chaque navire coulé, je vous propose la somme de 6.000 souverains afin de conclure cette alliance en ce-jour, ici même.Ma main tendue paume vers le haut reprend ensuite sa place sur ma cuisse.

Attendons la suite.

Maralina eut un sourire amusé, elle croisa ses jambes, dévoilant la chair dénudée de ces dernières, avant de porter son regard sur Deejarah. Cette dernière était définitivement très – disons – vive. N’hésitant pas à dévoiler le fond de sa pensée, si Maralina avait été une simple marchande elle aurait définitivement pensé comme elle, mais ce n’est pas n’importe qui peut se vanter d’être au conseil de Thaar… « C’est en effet beaucoup plus compliqué que cela. Ce n’est pas un acte de violence irréfléchi, mais le début de quelques choses de beaucoup plus dangereux. » Maralina eut un sourire amusé avant de regarder les bouts de ses doigts alors que le dénommé Ballast reprenait une nouvelle fois la jeune femme. Elle l’aimait bien cette petite, elle lui rappelait la fougue qu’elle avait lorsqu’elle avait commencé le métier de marchande. Sa voix méritait d’être entendue, et elle avait définitivement beaucoup de potentiel. Maralina savait pertinemment que Deejarah était le genre de femme qui surmonterait toutes les épreuves qui se dressaient devant elle. Mais la politique est très souvent un jeu des plus compliqués, et l’impulsivité ne fonctionnait jamais dans ces situations…  Par exemple, si Cassioppée découvrait qui était réellement derrière les attaques, elle répliquerait forcément et bien que la Princesse d’Uldal’Rhiz attendait ce moment avec impatience, elle ne pouvait pas dire la même chose de son homologue nain. Marzaban n’était pas encore dans le conseil. Bien que cela soit une question de temps, avoir un contrecoup ou une attaque directe contre lui pourrait endommager sa réputation qui était déjà si fragile. Par contre, si la treizième ouvrait les hostilités contre Maralina, elle se ferait rapidement remettre à sa place, car la Vaanie était dans une position assez confortable pour répliquer et tout le monde savait à quel point la Princesse d’Uldal’Rhiz était dangereuse. Abattre un autre Prince Marchand ne l’empêcherait pas de dormir. Après tout, combien était tombé déjà à cause de ses manigances?  Beaucoup plus que tous les autres Princes Marchands réunit…


La Vaanie attrapa doucement son verre d’eau pour porter le tout à ses lèvres, son mal de cœur ne semblait pas vouloir la lâcher. À croire celle-ci serrait définitivement comme les autres – à son grand détriment. Elle fut rapidement sortie de ses pensées alors que Ballast lui révélait qu’il ne souhaitait pas de représailles de la principauté. « Des représailles? » Maralina haussa un sourcil avant de perdre rapidement son sourire, elle déposa son verre d’eau sur la table devant elle, avant de reporter son regard sur les deux invités des Milles-Caves.  « O mon cher ami, je crois que l’on se soit mal compris… » La demie-elfe se redressa rapidement sur le fauteuil avant de déplacer son regard azuré vers Ballast, « Nous ne voulons pas que nos relations s’arrêtent à cela, et je crois que je peux parler pour mon collègue en vous avouant que cet arrangement est le début d’une très longue relation d’affaire… Et qui serions- nous si nous ne protégeons pas nos alliées? » Oui, ils avaient bien compris. Ce premier arrangement était le début d’une très longue relation d’affaire. La différence avec Ys était que Marzaban et Maralina était douée dans leur domaine… « Bien entendu, nous ne demanderons jamais l’accès à la Meca, mais les temps sont durs, et le plus d’alliés nous avons, le mieux vous et moi nous porterons. » Et c’était vrai. Tous les alliés de la Princesse d’Uldal’Rhiz avaient toujours été incroyablement bien traités, et Maralina voyait l’importance que les pirates pourraient avoir dans un futur rapproché. Garder une bonne relation avec ces derniers semblait nécessaire… Non. Était vitale à la suite des événements qui s’annonçaient.  « Bien entendu, nous sommes conscients que les conditions changeront à chaque contrat, et libre à vous de refuser d’aller plus loin avec nous. Mais sachez, que nos coffres sont loin d’être vides et nos moyens sont presque illimités. » Retrouvant son sourire, la Vaanie sembla se détendre petit à petit avant de se caler à nouveau dans son fauteuil. « Est-ce que cela est le résultat que vous attendiez? Ou vous souhaitez réellement un bout de papier pour confirmer mes dires? » Maralina baissa légèrement la tête vers l’avant, plongeant son regard dans celui de la rouquine.

Quelque chose de plus dangereux ? Je les regardai tour à tour, pas sûre de comprendre. Ballast serait sans doute furieux de mes interventions, maiiis je voulais comprendre de quoi nous parlions exactement. Et puis s’il voulait que je serve de potiche, il n’aurait jamais dû m’inviter. A cette pensée, je m’interrogeai brusquement sur tout ça. Le vieux mage me connaissait par cœur, il devait bien se douter que j’interviendrai…….. Alors en fin de compte, est-ce que tout cela n’était pas juste qu’une partie d’échec dont je n’étais que le pion ? Et donc, quels étaient les enjeux exactes de cette partie ?

Pour Ballast j’avais compris au moins en apparence qu’il souhaitait préserver Meca d’un retour de bâton. Mais pour la princesse marchande et le souverain durgazdawi ? Pourquoi nous offrir toujours plus d’argent alors qu’ils savaient que les pirates voulaient par-dessus tout lui faire payer à cette Cassiopée ? Pour acheter notre silence sur leur implication dans cette affaire ? Je ne voyais que ça. En même temps, je n’étais pas aussi au fait des affaires politiques que mon maître.

Ballast qui leur expliqua donc en gros que les lettres de marques étaient en fait une garantie de ne pas voir Thaar retourner soudain leur veste contre eux, mais il pouvait tout aussi bien se contenter de la parole du nain et de la princesse, surtout connaissant la valeur de cette parole.

Et la réaction de la princesse ne se fit pas attendre. Elle semblait surprise par les inquiétudes de Ballast, mais connaissant la puissance de frappe de Thaar, s’ils venaient brusquement à décider de prendre parti pour Cassiopée une fois que les pirates les auraient débarrassés de cet obstacle à leurs affaires, les inquiétudes de Ballast n’étaient pas vaines. Surtout que ça ne serait pas la première fois que ça arrivait.

C’est là que pour la seconde fois de la conversation, la princesse prononça un discours des plus surprenants, enfin à mes oreilles. Je regardai Ballast mais il ne laissait rien paraître d’autre qu’un très léger sourire. Ils voulaient que nous soyons leurs alliés ? Elle parlait même d’une longue relation d’affaire.

Ah ouais ! ok ! Là je n’avais rien à dire. Si j’avais eu mon mot à dire concernant la colère des pirates de Meca, concernant les affaires, c’était une tout autre paire de manche pour moi. En clair, j’étais larguée !
Ballast confirma  d’un hochement de tête pour l’accès à Meca, c’était utopique de croire qu’ils autoriseraient qui que ce soit, à avoir un accès à l’île, mais il se montra très attentif à la suite.

- Nous partageons donc le même point de vue.

Oui Ballast aimait avoir des alliés plein les poches. N’était-ce pas ça finalement qui l’avait poussé à venir ici à Thaar ?

- Oui de bien entendu, répondit enfin Ballast reprenant les mots de la princesse, des contrats, c’est toujours quelque chose de difficile à négocier, surtout face à des pirates. Et pour vous dire franchement, si le conseil tient grandement compte de mon avis sur la question et qu’ils sont évidemment toujours très intéressés pour toute affaire qui pourrait leur rapporter, je ne peux de mon côté vous garantir qu’ils accepteront autant que moi je le souhaite, cette collaboration. Ce sera un travail de longue haleine, pour moi. Mais si vous êtes prêts à traiter à travers moi, je crois que nous allons pouvoir faire de grandes choses ensembles. A commencer par débarrasser votre principauté de cette épine dans le pied. Sur ce point, je n’aurai aucun mal à convaincre le conseil d’accepter vos conditions, puisqu’ils seront gagnant sur tous les plans, vengeance sera rendue, et ils seront payés pour le faire. Donc… autant dire que pour ce contrat-là, nous sommes entièrement d’accord, conclut Ballast en souriant et en leur tendant sa main.

Avant d'ajouter à la dernière question de la princesse:

- J’ai la parole du souverain des nains des dunes et d’une princesse marchande, et la promesse que les cales des navires pirates seront bientôt remplies d’or. Alors non, je n’ai rien besoin de plus.

Et soudain je me réveillai après avoir observé chacun d’eux pour lancer.

- Voilà qui s’arrose non ?

Bah quoi ? c’était ce qu’on faisait pour célébrer un nouveau contrat non ? et là en plus nous avions de nouveaux alliés !

Bien. Ainsi, l’un des premiers fruits de notre entente, n’était pas mon accession au siège de Prince-Marchand de Thaar – même si cela ne devrait plus tarder – mais la naissance d’accords vraisemblablement profitables, entre nous, et un représentant des pirates de Meca.

Il est à anticiper d’éventuelles difficultés : comme l’a indiqué Ballast, il n’est pas Seigneur Pirate, il parle en son nom et ne se fera que l’avocat de ces accords. De plus, les pirates sont connus comme étant des partenaires commerciaux aussi labiles que volatiles, et s’accorder avec eux, c’est être en perpétuelle renégociation. Il est à parier que lesdits accords nous coûteront plus chers que ce que nous pourrions projeter en termes de dépenses et de fluctuations rapportées à d’éventuels proratas calculés sur un index compensatoire lié aux pertes probables et aux différents échanges possibles. Mais ces calculs viendront en temps et en heure.

Alors que la notion d’alcool arrive, pour arroser ces accords nouveaux, je claque des doigts, la main en l’air, et le serveur disparaît quelques instants… Pour revenir avec une véritable escadre de serviteurs. L’on nous apporte de nouveaux verres, de nouveaux couverts, de nouvelles draperies, et surtout… On apporte un alcool fait de bulles, que d’aucun nommerait champagne, mais issu d’une cuvée autrement plus prestigieuse. Si les pirates connaissaient le prix de cette bouteille, ils s’en empareraient tout de suite !

- Trinquons ensemble, à une relation durable et profitable.

Espérons-le ! L’immense amende imposée par le conseil de Thaar, à l’issue des Semailles de Sang, impactent encore aujourd’hui les finances des Mille-Caves.

Le sourire de la Princesse Marchande s’agrandissait alors que la conversation venait finalement à sa fin. Elle n’avait jamais cru à la chance. Elle croyait aux opportunités, et elle n’aurait jamais laissé passer celle qui venait de se présenter devant elle. Ils avaient gagné, pas seulement elle, mais tous les participants de cette conversation. Et tout ça, c’était une réelle négociation, chose que bien des personnes n’avaient pas encore comprise. C’était une victoire cinglante pour le nouveau duo, généralement toutes les opportunités apparaissent sous la forme de malchances ou d’échecs. Au moins, ce n’était pas LEUR échec. Néanmoins elle devait avouer que toutes ses manigances lui prenaient énormément d’énergie, et pour une fois elle se sentait à l’aise de partager avec quelqu’un qui n’avait pas partagé son lit. Le moins que l’on puisse dire est que tout cela était différent. Maralina échangea un regard avec son homologue alors qu’une bouteille de champagne faisait son apparition. Un serviteur s’approcha doucement avec des coupes de cristal avant de les remplir à part égale par le délicieux nectar. Il tendit les coupes aux pirates, avant de donner celle de la Princesse Marchande et de son homologue. Maralina déposa doucement son verre sur la table avant de prendre le verre d’eau.


« Au début d’une très longue et durable relation d’affaires. »


Maralina leva son verre rempli d’eau, laissant le verre de champagne intouché. Au moins, l’odeur de ce dernier ne lui levait pas autant le cœur que le whiskey de Marzaban…