Malgré les obstacles, une tradition demeure (Zofia & Natael)

Bàrkios, second mois de printemps
An 18 du XIe Cycle

Zofia referme la porte de sa chambre derrière elle et s’empresse de se défaire de son tablier ensanglanté, soupirant de fatigue, mais satisfaite de ce qu’elle a accompli comme soin aujourd’hui. Un léger sourire étire ses lèvres ; étrange comment elle a dû prêter main forte à d’autres soignantes pour un accouchement délicat, alors qu’elle-même s’inquiétait de cela quelques jours plus tôt. Bien que terrorisée et ayant perdu beaucoup de sang, la jeune noble et le bébé s’en sont tiré grâce à sa magie vitaliste ainsi qu’aux soins et aux paroles réconfortantes des autres soignantes, une bonne nouvelle pour le mari et leur famille respective.

Elle s’empresse de retirer ses robes de Néera pour se laver et se changer. La prêtresse a très peu dormi cette nuit, occupé à faire son travail et bien qu’elle aurait un peu de temps pour une sieste, elle est beaucoup trop impatiente de revoir Natael; il y a deux jours, elle l’a croisé, accompagnée par une jeune femme très jolie et au regard pétillant de jeunesse et si Zofia s’est efforcée de paraître des plus naturelles malgré la rencontre fortuite et les sentiments contradictoires qui l’agitait, son visage n’a pas pu s’empêcher de s’illuminer de joie lorsqu’il l’a invité à un petit-déjeuner chez lui. Elle meurt d’envie de l’embrasser à nouveau et aurait aimé pouvoir discuter de ce qui s’est passé cette semaine, mais est prête à attendre et profiter au moins de sa présence. Elle avait donc accepté et avait ensuite salué poliment la jeune femme à son bras et le vitaliste avant de retourner vaquer à ses occupations, le cœur battant. Elle avait beau faire confiance à Natael, ça ne l’avait pas empêché de sentir l’inquiétude ternir légèrement son assurance maintenant qu’elle a pu mettre un visage sur le prénom Agathe.

Elle chasse tout cela de sa tête, voulant à tout prix profiter de ce petit moment avec son amant, même s’ils ne pourront s’embrasser ou se toucher.

Elle ouvre son armoire dans le but de choisir une robe sobre, mais élégante. L’ayant enfilé, elle se coiffe ensuite et fin prête, elle fait un dernier arrêt aux cuisines pour attraper les petits gâteaux qu’elle a fait la veille pour l’occasion. Ce n’est peut-être pas une tarte aux pommes, mais ces pâtisseries semblent être une autre de ses spécialités selon les dires de sa famille. Bien emballées dans un morceau de tissu, elle les met ensuite dans un panier et se dirige donc vers le petit quai du monastère, prête à traverser de l’autre côté pour se rendre à la grande maison des d’Orman.

Là-bas, on l’accueille comme à l’habitude. Seulement, ce n’est pas dans les jardins qu’un serviteur la mène, mais dans un petit salon.

Milieu de la 5ème ennéade
Printemps, Barkios 18:XI

Natael n'est pas dupe. Il lui a bien semblé que Zofia n'était pas tout à fait elle-même lorsqu'il l'a croisé fortuitement dans les rues en bonne compagnie. L'occasion pour lui de l'inviter pour leur petite tradition. Il se disait justement qu'il devrait le faire avant même de faire la connaissance d'Agathe. Le fait qu'il en repousse la date se justifie puisqu'il est censé avoir la tête ailleurs... Alors qu'en réalité, il pense toujours autant à elle d'une manière que la bienséance lui interdit de révéler. Il a cessé de compter le nombre de rêves dans lesquels il l'a retrouvée. Et passer de plus en plus de son temps avec celle qui joue de rôle de sa prétendante officielle ne lui occupe pas tellement l'esprit en fin de compte.

Ce matin, il attend que la prêtresse arrive. Seul avec son premier hôte, il a une mine qui masque mal son impatience et son inquiétude. Son amie a eu l'air ravie à l'idée de le retrouver mais il n'a pas eu le temps de lui dire qu'ils ne seraient pas seuls. Pour le bien de leur subterfuge, une tierce personne devait être présente.
Finalement, le serviteur entre et annonce la jeune femme qui ne tarde pas à entrer à sa suite. Elle trouve alors Natael debout et, non loin de lui, la fameuse Agathe. Il s'efforce de conserver une attitude normale, espérant que Zofia en fera autant. Il s'avance vers la jeune femme et réalise à nouveau ce baise-main tandis que la noble fait une révérence. Puis le maître des lieux se tourne vers le guide de la prêtresse.

-Merci Gontrand. Je n'ai plus l'usage de vos services pour le moment.

Rien d'étonnant à cela. Ils ont tout ce dont ils ont besoin et ce n'est pas la première fois qu'il déjeune seul avec elle. L'homme s'incline alors puis sort, fermant derrière lui. Natael s'avance à son tour vers la porte et tourne discrètement la clef dans la serrure. Puis il fait à nouveau volte-face et revient aux côtés de son amante qu'il prend dans ses bras pour l'étreindre. Se retenant d'être trop démonstratif quant aux retrouvailles qu'il préfèrerait avoir avec elle, il s'autorise néanmoins à se montrer tendre envers elle.

-Tout va bien. Lui murmure-t-il avant de se redresser pour retrouver le regard de Zofia. Agathe est au courant.

Le visage du vitaliste n'est pas aussi détendu qu'à l'ordinaire mais il ne peut relâcher entièrement sa concentration en la présence de sa fausse compagne. Si elle sait pour eux, elle ignore pour Titus. Il doit contrôler ses mouvements involontaires qu'il ne cherche plus à cacher à la prêtresse.

-Nous repoussons nos prétendants respectifs et apaisons nos familles en nous affichant ensemble mais notre but est seulement de gagner du temps. Nous appartenons tous les deux à quelqu'un d'autre.

Zofia sent son cœur faire un bond lorsqu’elle remarque la jeune noble. Elle tente de cacher sa surprise du mieux qu’elle le peut, mais étant déjà un peu fatiguée et nerveuse, elle craint ne pas être la meilleure comédienne aujourd’hui. Elle s’incline légèrement lorsque la noble fait de même, tout en acceptant le baise main de son amant. Et puis, il ferme la porte à clef et se retourne pour la serrer avec tendresse dans ses bras, lui arrachant un air encore plus surpris. Elle risque un coup d’œil à la noble, visiblement confuse. Elle ne peut tout de même s’empêcher de lui rendre son étreinte. Elle aurait bien glissé ses doigts sur sa nuque pour la lui caresser, mais est consciente de la seconde personne qui se trouve près d’eux. Il lui murmure que tout va bien et cela ne fait que semer davantage la confusion dans l’esprit de Zofia. Il se décolle et la suite n’arrange guère toutes les questions qui se bousculent maintenant dans sa tête. Si Natael est doux avec elle, elle peut sentir qu’il est toujours un peu tendu. Plongé dans le regard de son amant pour encore quelques secondes, elle finit par se décoller pour fixer Agathe, sans jalousie ni énervement. Elle veut seulement comprendre.

Lorsque Natael finit par expliquer la situation, elle se tourne à nouveau vers lui et les dernières pièces de l’énigme parviennent enfin à se mettre en place. Si ses épaules ne s’affaissent pas de soulagement, son visage pâle de fatigue s’illumine, lui donnant un peu plus de rougeur sur les joues. Elle ne peut s’empêcher de lui caresser très brièvement sa joue balafrée dans un geste pudique, mais plein de tendresse.

-C’était donc ça que signifiait ton message, lance-t-elle d’un ton plus bas.

Elle finit par sourire doucement et pose une main sur son panier rempli de pâtisseries. La prêtresse se tourne ensuite vers Agathe :

-Je croyais être seule avec Natael, lance-t-elle en devenant rouge, car elle se rends compte qu'elle a utilisé son prénom et non son titre. A vrai dire, c'est qu'elle ne sait pas vraiment comment se comporter en présence de la jeune noble et ce, même si cette dernière sait pour leur relation. Mais j’ai fait assez de petits gâteaux pour tout le monde. J’ai aussi apporté des feuilles de thé.

Zofia sait comment réagir avec le vitaliste, mais ignore tout de cette jeune noble. Consciente qu’elle a sans doute risqué beaucoup en avouant sa liaison secrète à un homme, la dernière chose qu’elle souhaite c’est d’être rude envers la jeune femme. Après tout, elles sont toutes les deux dans une position fort similaire. La prêtresse est aussi très consciente de son titre et de celui d’Agathe.

Agathe les regarde avec un sourire attendri. Elle-même rêve de pouvoir se retrouver dans les bras de son amant en cet instant mais elle se doit de prendre beaucoup de distance avec lui. Elle demeure amicale dans son attitude mais aussi distante afin de ne pas empiéter dans ce moment qui n’appartient qu’à eux. Natael n’est pas totalement détendu mais elle remarque que ses traits sont moins durs qu’avec elle, même s’il joue la comédie en public. Il ne lui semble pas totalement naturel avec elle mais elle n’a rien à exiger de lui à partir du moment où leur stratagème fonctionne. Elle ne peut qu’envier les douces attentions qu’ils s'échangent, profitant de cette semi-intimité.

-Croyez bien ma Mère que si je le pouvais, je vous laisserai tout l’espace du monde. Déclare-t-elle avec douceur. Mais c’était cela ou bien déjeuner en public, malheureusement…

Agathe est bien plus jeune qu’eux. Elle n’a pas encore vingt ans, ses traits sont aussi grâcieux que ses gestes et elle est parfaitement bien éduquée. Elle devrait être mariée depuis quelques années déjà mais, par miracle, elle a été préservée de ce destin jusque-là. Zofia aurait de quoi s’inquiéter de savoir son amant en sa compagnie et la jeune noble en a parfaitement conscience. Son comparse a eu plus d’une maladresse avec elle qu’elle tolère pour leur objectif commun mais elle ne pourrait s’attacher à lui, aussi bel homme soit-il. Elle veut donc profiter de cet entretien privé pour rassurer celle qui pourrait la voir comme une rivale.
Natael pose une main dans le bas du dos de la prêtresse et se penche à son oreille.

-Moi qui espérait une tarte aux pommes. Lui murmure-t-il.

Il se redresse pour lui adresser un regard espiègle puis l’invite d’un geste à prendre place autour de la table basse. Tous trois s’installent librement et l’hôte commence à remplir les tasses de ses invitées. Le silence est un peu pesant, voire gênant. Même Natael le ressent un peu.

-Je… sais que ce rendez-vous est prévu pour vous permettre de vous retrouver mais… J’espérais avoir l’occasion d’expliquer ma situation à Mère Zofia. Ceci afin qu’elle soit pleinement rassurée concernant mes intentions.

Elle fixe le jeune homme, attenant son approbation qu’il lui donne d’un signe de la tête, non sans avoir silencieusement consulté la prêtresse au préalable. Il ne veut pas lui imposer cette explication si elle n’y tient pas. Elle n’était déjà pas au courant de sa présence…

-Cela fait plusieurs mois que je suis l’amante d’un homme… Commence-t-elle, tentant de masquer sa gêne face à une telle introduction. Il est propriétaire d’un petit domaine dans le marquisat et fait partie de la cour. Nous ne savions pas vraiment où tout cela allait nous mener lorsque son épouse est tombée malade cet hiver. Elle est décédée alors qu’elle portait leur premier enfant. Il se trouve donc dans une longue période de deuil. Et si j’aimerais pouvoir lui apporter du réconfort après la perte de son enfant, je ne peux le faire qu’à travers les quelques lettres que nous parvenons à nous échanger.

Elle marque une pause. Natael n’écoute que d’une oreille cette histoire qu’il connaît déjà mais c’est l’attention de Zofia qui l’intéresse car c’est elle qu’elle veut convaincre de sa bonne foi.

-Mes parents ne sont évidemment pas au courant de tout ceci, je ne saurais leur avouer ma faute… Cependant, ils ont décidé de me marier avant que je n’atteigne mes vingt ans. Le bruit a commencé à courir que le dernier né des d’Orman était soudainement disponible et ceux sur votre relation ont enflé dans le même temps.
-C’était un pari risqué de tout me raconter en supposant que c’était vrai.
-En effet. Concéda-t-elle avec un sourire nerveux. J’ai tenté ma chance… Je n’étais pas certaine que les prochains prétendants seraient très conciliants et il suffit que je plaise à l’un d’eux… Je n’aurai pas voix au chapitre lorsque mon mariage sera ordonné. Et je ne pourrais cacher le fait que je ne suis plus pure. J’ai seulement besoin d’un mois ou deux. Le temps pour mon compagnon d’achever son deuil et que la bienséance l’autorise à reprendre le cours de sa vie.
-Le plan est donc feindre l’idylle durant quelques ennéades avant que notre relation ne décline. Nous « romprons » de manière à ce qu’Agathe soit libre de cœur lorsque son aimé pourra officiellement lui faire la cour et la demander en mariage. Il marque une pause et observe son amante avant de finalement prendre l’une de ses mains dans les siennes. Je t’avoue que j’ai hésité pendant des heures avant d’accepter cette opportunité. La solution ne me semblait pas si mauvaise mais j’aurais aimé qu’on puisse en discuter avant.

Zofia sourit à Agathe pour lui faire signe qu’elle comprend. Elle ne lui en veut pas d’être ici compte tenu de la situation. Elle a seulement été prise de cours. Et puis, son amant lui souffle qu’il avait espéré une tarte aux pommes. Son sourire s’agrandit et elle se retient de lui dire qu’elle réserve tout cela pour la prochaine fois qu’ils ne seront que tous les deux et qu’ils pourront profiter pleinement d’une soirée à s’embrasser. D’ailleurs, la main qu’il a posée dans le bas de son dos lui arrache un frisson et encore un peu rouge, elle accepte de prendre place à la table, pas sans s’être plongé quelques secondes dans les prunelles brillantes d’espièglerie de son amant. Un malaise probant règne autour de la table et de nature discrète et gênée, Zofia ne sait comment engager la conversation.

Et puis, Agathe décide de s’expliquer malgré le malaise qui semble l’habiter. Zofia la fixe de son regard naturellement doux, écoutant avec patience sans l’interrompre. Elle ne peut tout de même s’empêcher d’admirer le courage de cette jeune femme de s’être ainsi exposé à de possibles représailles. Elle a risqué gros en assumant que les rumeurs sur Natael et elle étaient bel et bien vraies. Elle note qu’elle tait le nom de son amant et la prêtresse ne pousse pas ; Agathe a droit à ce secret autant que Zofia et Natael ont droit aux leurs.

Elle remarque d’emblée le sourire nerveux de la jeune noble et la prêtresse ne peut s’empêcher de la couver d’un regard compatissant ; être une femme n’a jamais été chose facile, même dans le sud de la péninsule. Ici, lorsqu’elle se donne à un homme, les conséquences peuvent être très lourdes pour elle, spécialement chez la noblesse où l’on accorde beaucoup d’importance au jeu de pouvoir et aux convenances. La prêtresse se contente donc seulement de son regard doux sans lancer d’opinion. En tant que simple bourgeoise et prêtresse de Néera de l’Ordre des Hospitaliers, ce n’est pas sa place. Elle se doit aussi de faire bonne figure en toute circonstance. Si Agathe connaît son lourd secret, Zofia n’oublie pas non plus son titre malgré qu’elle soit son aînée de quelques années.

Son amant lui prend ensuite la main et accroche donc son regard au passage, poursuivant quelques explications de plus sur la situation et ce qu’il l’a poussé à accepter ce compromi aussi rapidement. Elle lui caresse la peau de son pouce :

-Ne t’en fais pas, lance-t-elle avec tendresse. Je ne peux te cacher que l’inquiétude m’a tenaillé quelques jours, mais je comprends combien nous nous trouvons dans une délicate position. Mon oncle et mon frère aussi semblent soudainement pressés de me trouver un mari malgré mes obligations au monastère. Ils ont peur pour ma réputation et que cela puisse affecter le commerce familial, mais maintenant qu’il y a cet arrangement, je crois que cela les apaisera.

Ces quelques jours ne l’ont pas seulement éprouvé à cause de cela, mais cela, elle le partagera le moment venu. Sans lâcher la main de Natael, elle se tourne ensuite vers Agathe :

-Merci pour votre sincérité Dame Agathe. Cela m’a rassuré et je ne vous souhaite que du bonheur avec celui que vous aimez et qu’il puisse vous retourner cet amour dans un futur proche.

Natael entend tout ce que dit Zofia et mesure bien évidemment l'impact que pourrait avoir leur liaison sur sa famille si elle était rendue publique. Il doit bien avouer qu'il n'avait pas forcément cela en tête. Il savait que cela ruinerait les projets de carrière de la prêtresse mais il ne songeait pas aux faits que les dégâts ne se limiteraient pas forcément qu'à elle. Bien sûr, il sait que, de son côté, la réputation de sa famille pourrait être ternie s'il se faisait renier pour elle... Mais plus le temps passe et plus la situation lui semble inextricable.

Cependant...

-Si nous jouons suffisamment bien la comédie, les rumeurs sur nous cesserons. Evidemment, cela n'empêchera pas nos parents de vouloir nous marier. Soupire-t-il en se radossant à son siège après avoir attrapé un des gâteaux sur la table.

Que ce soit aujourd'hui ou dans deux mois, les Marger et les d'Orman continueront de chercher. Les ragots ont réveillé leurs craintes réciproques, sans parler de l'annulation des fiançailles du vitaliste. Ils ne les lâcheront plus jusqu'à ce que l'un ou l'autre ou même les deux ne soient mariés. Leurs problèmes sont donc loin d'être réglés, même avec leur subterfuge. Natael aura la paix jusqu'à la rupture mais il craint que, contrairement à ce que Zofia pense, Rainier et son oncle lui chercheront toujours de nouveaux prétendants. Maintenant qu'ils sont lancés, peuvent-il vraiment s'arrêter aussi facilement ?

Le jeune homme chasse ses noires pensées et mord dans la pâtisserie. Il mâche tout en observant le gâteau puis étire un tendre sourire en direction de son amante. Elle est bonne pâtissière en effet, et il a d'autant plus hâte de goûter à sa spécialité. De son côté, il saura sans doute la surprendre à son tour.

-Je vous remercie de votre sollicitude, Mère Zofia.

Le vitaliste a du mal à entendre les deux femmes s'appeler par leurs titres mais il se contente de les regarder lorsqu'elles échangent entre elles sans faire de commentaires. Il n'a sans doute pas à dire quoi que ce soit. De son côté, il aime s'affranchir rapidement de cette obligation sociale lorsqu'il le peut. Avec son amie, c'était chose facile. Feindre une relation avec Agathe a été un prétexte pour passer outre le "Dame" et quelques autres conventions d'usage.

-Par ailleurs, je profite de cette occasion pour aborder un autre sujet. Le noble tourne alors son regard vers son amante. Il sait visiblement de quoi il s'agit et c'est une assez bonne nouvelle pour eux. Si tant est que la chose soit réalisable de côté de la prêtresse. Durant l'ennéade prochaine, nous devons nous absenter. Officiellement, pour quelques jours loin du tumulte de la ville afin de faire plus amples connaissance sous le chaperonnage de ma Dame de compagnie. Mais en réalité, je vais rejoindre mon ami à mi-chemin entre Chiard et chez lui. Natael m'accompagnera uniquement pour ne pas laisser deux dames seules sur les routes. Mais une fois que je serai arrivée, il sera totalement libre.
-En d'autres termes : est-ce que tu penses pouvoir te libérer ? Peut-être pas pour la totalité de notre absence mais ne serait-ce que pour une partie. Je connais un endroit par là-bas qui te plaira.

Le vitaliste a mêlé ses doigts à ceux de Zofia. Il a une idée derrière la tête et il sait que cela leur fera le plus grand bien. Ils ont besoin de se retrouver après les quelques ennéades qui viennent de passer, même s'il ne se doute pas de ce que son amante a traversé ces derniers temps. Il a envie d'elle à un point qu'elle n'imagine même pas. Et si Agathe n'était pas là...
Seulement, il a conscience que la prêtresse a des obligations et que son agenda est bien moins libre que le sien lorsqu'il est dans la peau de Natael. Il ne peut qu'espérer qu'elle pourra se rendre disponible. Sinon, il se contentera d'aller à cet endroit et de le préparer pour leurs prochaines retrouvailles seuls à seuls.

En effet, de savoir le noble avec une prétendante les calmerons, mais Zofia sait très bien que son âge joue contre elle en ce moment. Ils l’ont bien laissé tranquilles avec cela durant toutes ces années vu ses devoirs envers son Ordre, mais cette situation semble avoir ressassé leur désir de la marier à quelqu’un qui bénéficierait le commerce familial. Cela l’agace, mais si elle a des obligations envers le monastère, elle en a aussi envers sa famille.  Elle ne peut s’empêcher de poser sa main libre sur celle que son amant a glissé dans la sienne, consciente qu’ils ne peuvent plus reculer. Le sourire qu’il lui lance après avoir mordu dans sa pâtisserie arrive tout de même à apaiser un peu la prêtresse et à effacer pour un instant ses soucis futurs.

Dame Agathe avoue ensuite qu’elle est ici aussi pour proposer quelque chose et Zofia remarque d’emblée l’intérêt poindre dans le regard de Natael. Curieuse, elle écoute la noble et l’excitation de revoir enfin son amant seule forme de plus en plus une boule de chaleur au creux de son ventre. Elle serre avec tendresse les doigts qu’il a entrelacés entre les siens et plante un regard brillant d’excitation et d’envie dans celui du vitaliste lorsqu’il explique qu’il a une surprise pour elle. Elle se retient de l’enlacer avec passion, toujours aussi consciente de la présence de Dame Agathe. Zofia en a terriblement envie, mais sait qu’elle devra trouver une excellente excuse. Père Lambert ne pourra lui accorder autant de jours sans travail et surtout, loin du monastère. Elle fronce légèrement les sourcils, signe qu’elle cogite.

Un plan se forme peu à peu dans son esprit…

-Combien de temps avez-vous prévu vous absenter et à quel endroit environ? Il y a sans doute des gens dans les villages qui auront besoin de mes soins. Cela justifierait mon déplacement. Habituellement, je ne fais pas ces voyages seule, mais à cela, je trouverai une solution.

Elle regarde ensuite amoureusement Natael.

-Mes soins terminés, je pourrai ensuite te rejoindre là où tu m’attendras.

Natael lui rend son regard, regrettant de plus en plus qu'Agathe soit obligée d'être là. Lorsqu'ils seront enfin seuls, il ne passera pas par quatre chemins car il sait de quoi ils ont envie tous les deux pour ces retrouvailles. De son côté, la jeune noble se sent terriblement gênée et détourne le regard pendant cet échange silencieux mais criant de vérité. Elle est jeune et peu expérimentée. Voir cet éclat dans le regard de son amant la fait rougir alors, dans celui d'un autre couple... Elle sait qu'elle est de trop dans cette pièce mais elle ne peut malheureusement pas s'en aller sans tout faire rater.
A la question de Zofia, son amant récupère sa main et la glisse à l'intérieur de sa veste. Il en retire un morceau de parchemin plié en quatre qu'il lui tend.

-Voici nos dates d'arrivée et de départ ainsi qu'un itinéraire à suivre à partir du village le plus proche. Tu en trouveras d'autres aux alentours dans lesquels tu pourras également apporter ton aide avant de me rejoindre. A toi de voir comment gérer ton absence mais il vaudrait mieux qu'au moins une de tes dates ne coïncide pas exactement avec les nôtres. Je suppose que nous pourrons justifier de rentrer ensemble si tu œuvres dans la région dans laquelle nous sommes censés séjourner.

L'endroit indiqué sur le parchemin se trouve en retrait à une bonne heure du fameux village. Il n'y a pas forcément de route pour s'y rendre, aussi l'itinéraire fait-il surtout référence aux points cardinaux pour se diriger, mentionnant quelques repères sur la route afin de s'assurer que l'on est dans la bonne direction. C'est au milieu de nulle part, pas très loin de la mer, au milieu de dunes de sable parsemées de grandes herbes sèches. La plage à proximité est désertée car elle donne sur un cul de sac formé par une falaise. Rien n'est censé se trouver par là, si on ne connaît pas bien la région. Agathe n'a pas la moindre idée du lieu où ils doivent se retrouver et ne cherche pas à regarder le parchemin, préférant boire un peu du thé servi par leur hôte et entamer une pâtisserie.

Tandis que Zofia regarde le parchemin, Natael observe son amante, profitant de pouvoir la détailler sans que personne ne trouve à y redire. Il remarque alors une chaîne en argent qui disparaît sous ses vêtements. Un sourire discret se peint sur son visage. Elle porte son cadeau tel qu'il l'espérait : proche de son cœur. Mais il est à ce point en manque d'elle qu'il envie un peu ce pendentif de pouvoir se lover ainsi contre son sein... Il lui tarde de l'observer pendre à son cou durant ce petit séjour au cours duquel il n'a pas prévu beaucoup d'activités... Ni beaucoup de vêtements. Cela lui rappelle d'ailleurs un de ses nombreux rêves. Il est interrompu dans le cours de ses pensées sensuelles par un raclement de gorge d'Agathe qui souhaite reprendre la parole.

-Afin de faire croire que nous montrons un réel intérêt dans notre relation, je suggère que nous essayons de passer un peu de temps ensemble, Dame Zofia. Il est de bon ton d'apprendre à connaître l'entourage de son prétendant pour mieux le connaître lui et, en dehors de sa famille, j'ai bien peur que son entourage soit limité.
-Je ne suis guère très présent à Chiard et guère apprécié non plus.
-Certes, mais vous allez sans doute devoir changer un peu cela... Et fournir quelques efforts pour mes proches.
-Pour ce qui est des voyages, je n'avais pas prévu de repartir prochainement.

Il pose alors son regard sur son amante. Alors que sa mère veut le forcer au mariage, il s'échapperait bien à bord du premier bateau venu mais elle est sa raison de se retenir de le faire. Lorsqu'il part, c'est au moins pour un mois et il a déjà du mal à supporter de ne pas la voir pendant quelques ennéades... Il ne pourrait pas endurer une telle absence.

-Et pour les efforts ?... S'enquit la jeune noble avec un soupçon d'inquiétude.

Natael soupire. L'un des reproches que lui fait la noblesse et qui le rend impopulaire auprès d'elle, c'est la franchise de ses paroles et son manque de politesse parfois. Il n'a jamais aimé jouer la comédie, cela ne lui ressemble absolument pas. Même avec Zofia, il ne fait pas d'efforts particuliers pour se montrer plus agréable. Il l'apprécie depuis toujours, ce qui le rend sans doute moins insupportable à ses yeux qu'à ceux qu'un autre. Agathe a du mal avec ce pan abrupte de sa personnalité, même s'il est apparemment quelqu'un de bien.
Après quelques secondes, il finit par hocher la tête en signe d'acquiescement. Ce n'est pas comme s'il avait le choix. Tout le monde doit sincèrement croire à leur affection réciproque. Il a alors un regard pour la prêtresse. Il ne produirait pas cet effort pour quelqu'un d'autre qu'elle. Et c'est pour eux qu'il fait tout cela.

Zofia consulte le parchemin, enregistrant les noms des villages environnants et les dates de départ du faux couple pour faire en sorte qu’elle parte à l’avance. La prêtresse connaît les environs, juste assez pour s’y retrouver et sait qu’avec le dégel, le risque de blessures chez les paysans retravaillant leur terre est plus élevé et les maladies aussi. Elle a donc toutes les raisons du monde de vouloir prêter main forte en tant que soignante et prêtresse.

-Je tâcherai donc de partir avant vous, dit-elle en tentant de contenir l’excitation qui l’anime à l’idée de passer du temps seul avec Natael.

Elle vient ensuite tracer le chemin de son doigt jusqu’à l’endroit marqué par Natael. Elle ne peut s’empêcher de sourire doucement en remarquant la mer tout près et ce qui semble être des dunes de sable entourant la marque que son amant a fait. Même s’il n’y a rien sur la carte, elle comprend que ce n’est sans doute pas le cas et que c’est probablement son propre havre de paix qu’il souhaite partager avec elle. Une pointe d’excitation lui fait un soubresaut au cœur, d’autant plus qu’elle sent le vitaliste l’a fixer librement malgré la présence de Dame Agathe, la faisant rougir un peu. Elle n’a plus rien à lui cacher et pourtant, elle peut toujours sentir l’envie poindre dans ses prunelles lorsqu’il pose les yeux sur elle. Elle même le désir plus que tout en ce moment, mais de savoir qu’ils auront toute la liberté du monde de l’assouvir près de la mer l’aidera à patienter quelques jours encore.

Dame Agathe propose ensuite qu’ils se revoient pour ainsi ajouter du réalisme à leur stratagème. Natael réplique qu’il est très peu apprécié ici et qu’il n’est donc rarement présent aussi longtemps à Chiard, mais qu’il n’a tout de même pas prévu d’autres voyages. Cela arrache de nouvelles rougeurs à Zofia qui comprend ce qu’il sous-entend. Malgré que ce doit être difficile pour lui de passer tout ce temps ici avec une noblesse qui chuchote beaucoup dans son dos et une famille qui le pousse autant au mariage, il reste pour elle, signe qu’il tient à ce qu’ils construisent petit à petit tous les deux. Quant à elle, elle resterait bien autant de temps qu’elle le souhaite, mais elle ne peut prévoir où l’Ordre l’enverra dans les prochains mois. Elle ne peut s’empêcher de lui caresser la joue quelques secondes, pleine d’amour pour cet homme qui sous ses apparences froides, ne cesse de la couver d’attentions et de faire attention à ses sentiments aussi. Peut-être s’est-il montré distant un peu au début, mais cela n’a jamais découragée la prêtresse. Après tout, ils n’étaient qu’amis avant d’être amants sauf que cela n’a jamais empêché le vitaliste d’être sincère.
Elle regarde Dame Agathe et hoche la tête, en lui souriant toujours d’un air avenant.

-N’hésitez pas à me rendre visite au monastère Dame Agathe. Je trouverai une place dans mon horaire pour passer du temps avec vous sans problème. Et...Mère Zofia suffira. Ou même seulement Zofia, dit-elle, un peu gênée à l’idée de se faire appeler « Dame ».

Elle sait que c’est une proposition pour aider à épaissir cet écran de fumée que consiste cet arrangement, mais son caractère naturellement affable et sociable ne voit pas du tout d’inconvénient à passer un peu de temps avec une nouvelle personne.