Balade en forêt (ou presque) [Aegden, Cilastiel]

Sixième jour de la première ennéade
Printemps, Barkios 18:XI

Trois jours après être arrivée en ville, Cilastiel la quitte enfin. Son séjour ne lui a cependant pas été désagréable car elle n'a pas quitté l'Harmalaica. Elle l'a visité de long en large, retournant dormir chaque soir près de l'Estel, se lovant dans ses branches ou ses racines. Elle n'a rien réclamé. Ni nourriture, ni savon, ni couverture... Elle s'est débrouillée seule pour obtenir ce dont elle avait besoin et ne pas avoir froid pendant les nuits encore fraîches. Après un hiver passé hors des cités, elle commençait à s'habituer aux températures plus basses que celles du Puy et même d'Ardamir.
Pour sa traversée d'Alëandir dans le sens inverse, Aegden lui a proposé de l'accompagner. Et, pour une fois, elle n'était pas contre l'idée d'avoir un ami à ses côtés. La Symphonie des pierres est difficile à entendre pour elle. Elle sait qu'il ne peut pas comprendre... Même un Taledhel qui entend les Chants ne le peut. Elle est désormais liée aux véritables Voix de la forêt et supporte mal de les sentir dénaturées. Durant les quelques dizaines de minutes que dure la traversée, Cilastiel ne dit rien. Elle attire toujours les regards curieux mais n'y prête pas attention. Le fait que le militaire marche à ses côtés apaise les esprits peut-être. Ou bien est-ce parce qu'ils connaissent à présent la raison de sa visite ici, attirée qu'elle était par l'Estel et ce fragment de la Prime oeuvre qui l'entoure ?
Peu importe. Dans tous les cas, son retour à la nature se passe sans encombre et, une fois sortie des murailles, elle commence enfin à se détendre. Alors que les pierres s'éloignent dans leurs dos, la petite elfe finit par s'arrêter. Elle ferme les yeux et laisse sa tête partir lentement en arrière. Elle s'imprègne de la Symphonie, plus agréable que celle de la vile bien que différente de celle de l'Harmalaica... et elle se libère d'un soupir de soulagement et de bien-être. Elle demeure ainsi quelques secondes, ses traits affichant une plénitude proche de celle qu'elle a montré en découvrant le grand arbre de Kÿria.

Soudain, Cilastiel relève la tête. Son expression est devenue plus grave, voire sévère. Son regard est perdu dans le vague et court autour d'elle. Il se passe quelque chose, mais par où ? C'est assez confus... Après tout, c'est la première fois qu'Anaëh lui fait part d'un danger mais cherche-t-elle vraiment à l'aiguiller ? Et puis, finalement, peut-être parce qu'elle insiste ou alors parce que c'est l'occasion de la mettre à l'épreuve, une voie se dessine et ses yeux fixent enfin la direction à prendre.

-Rentre. Commande-t-elle à Aegden avant de s'élancer entre les arbres.

La petite elfe maladroite en forêt a bien changée. Elle court à présent avec une agilité proche de celle de ses frères des bois. Elle s'est vite adaptée à cet environnement qui l'accueille depuis deux mois. Elle ne craint ni les branches basses, ni les buissons, ni les racines. Elle évolue avec vitesse et légèreté, semblant presque voler.
Alors qu'elle se rapproche du lieu de turbulence dans la Symphonie, elle perçoit d'autres voix et s'arrête pour mieux les entendre. Ce sont celles d'une femme et d'un animal, selon toute vraisemblance. Elle est tout proche mais le temps presse. Alors, d'un geste de la main, elle fend les ombres et disparaît dans la faille qu'elle vient de créer. La fissure noire se referme aussitôt après son passage.

Alors que l'oiseau menace la Taledhelle, une silhouette apparaît, venant apparemment de nulle part... Si ce n'est de cette forme sombre dans son dos qui s'est évanouie aussi vite qu'elle est apparue. Une petite elfe -une enfant peut-être- vêtue de noir et ornée de plumes se tient entre les deux protagonistes de cette scène improbable. Cilastiel n'était pas préparée à cela et c'est la première fois qu'elle se retrouve confrontée à ce cas de figure. Elle ignore ce qu'est cet animal. Il ressemble à un aigle mais il possède plus d'ailes et il est... immense. Il est extrêmement agité, même si cette apparition soudaine l'a coupé dans son élan, semant la confusion en lui. Surtout qu'il a l'impression que cette minuscule créature lui... ressemble ?
La jeune mage regarde l'oiseau sans savoir quoi faire. Autour d'eux, la Symphonie est aussi troublée que l'animal... La jeune fille ne cille pas, ne tremble pas. Si Anaëh l'a conduite ici, c'est qu'elle doit avoir une raison. Mais elle ne sait pas ce qu'elle est censé faire.

Et puis... Une intuition... A moins que ce soit les arbres qui la guident ? Mais Cilastiel se penche, jusqu'à s'incliner devant le magnifique écarlate. Le rapace ne voit alors plus son visage mais uniquement son ornementation semblable à la tête de oiseau et paré de grandes plumes noires. Ce n'est pas un véritable crâne, l'objet est en métal. Cela intrigue l'aigle qui ne la voit finalement pas comme une menace. Elle fait preuve de respect et d'un calme déroutant dans une telle situation. S'il était plus primitif, l'animal ne réfléchirait pas une seconde à attaquer pour se défendre malgré sa blessure. Mais cette créature est plus évoluée que cela... Elle hésite...

Ce jour-là, Cilastiel avait décidé de quitter la capitale et sans vraiment réfléchir Aegden avait proposé de la raccompagner. Bizarrement elle avait accepté et ils avaient fait le chemin ensemble jusqu’aux portes de la capitale. L’un comme l’autre n’avait pas dit mot du trajet mais ça ne faisait rien. Ils faisaient tous les deux parties du genre d’elfe sachant se contenter de la présence d’un ami.

Cependant lorsqu’il s’apprêta à lui dire au revoir pour de bon et tourner les talons vers la cité le comportement de la jeune noss changea du tout au tout. Le soldat haussa le bout de ses oreilles intrigué à son tour.

Elle eut beau soudain lui dire de rentrer, comme pour se mettre à l’abri. Il n’obtempéra absolument pas. Hors de question. Il était mainyth d’une armée tout de même… De quoi avait-il l’air s’il était incapable de se défendre ? Il se mit à suivre Cilastiel, donc. Son agilité au milieux des arbres égalait celle des ornedhels aux yeux du mainyth et il eut plus de mal que prévu à la rattraper. Surtout que le jeune mage se mit à utiliser son pouvoir étrange permettant d’atteindre une vitesse que le meilleur sprinteur anedhel ne pourrait jamais atteindre.

Lorsqu’il débarqua à son tour, son amie s’inclinait devant un immense oiseau à l’air définitivement effarouché. Derrière elle se tenait une autre anedhelle, visiblement prise de cours par la situation rocambolesque.

-Vous n’avez rien Heri ?

Jetant un regard ver chacun des participants de la scène, il s’approcha de l’inconnue et lui tendis sa main pour l’aider à se relever et se mettre en retrait. En même temps il avait l’air prêt à bondir d’une seconde à l’autre car l’oiseau semblait à la fois intriguée par la jeune fille devant son bec mais aussi effrayé par cette troisième apparition soudaine. Et il le fit savoir d’une manière relativement sonore tendis qu’il toisa le soldat et...l'arme qu'il portait à sa hanche ? Aegden n'en était pas tout à fait certain.

-Cilastiel fait attention, il est blessé, ça risque de le rendre agressif.

Il fallait retirer la lance qui le blessait, mais Aegden avait peur qu’approcher de la bête ne provoque une réaction de défense de cette dernière envers la créature la plus proche de lui : Cilastiel. Si cela n’impliquait que lui il aurait tenté mais il voulait éviter que l’une ou l’autre de ses camarades ne soit blessée.

Vocabulaire:

Cilastiel est surprise... Cela fonctionne. L'animal semble se calmer grâce à son simple geste. La petite elfe ne peut pas s'occuper de la femme derrière elle mais cette dernière ne bouge pas et c'est tant mieux. La Noss a toute l'attention de l'oiseau qui se calme progressivement... jusqu'à ce qu'Aegden arrive précipitamment. Il avance sans se soucier de ce qui est en cours et s'élance vers la femme qui est peut-être à l'origine de tout ceci. Puis il exprime son inquiétude pour la petite elfe qui reste pourtant immobile malgré l'agitation grandissante de l'écarlate.

-C'est toi qui l'effraie, mon ami. Lui dit-elle posément.

Si elle devait être attaquée, ce serait parce qu'elle se trouve sur le chemin entre l'oiseau et le seul ici qui représente une menace certaine aux yeux du rapace... Il est blessé, oui, mais il ne s'est pas fait mal tout seul. A moins qu'il ne soit tombé sur une lance qui flottait librement dans les airs mais elle en doutait fortement...
Cilastiel ne saurait expliquer ce qu'elle vit en ce moment. Il n'y a pas seulement la Symphonie qui lui parle mais aussi une part de son instinct... La peur et la douleur, elle connaît bien cela. Et elle se souvient de ce jour où Fineldor l'a piégée dans la lumière, l'empêchant de retourner auprès de son maître. Ce qui l'avait apaisée, c'était le calme de l'homme qui se tenait en face d'elle et tentait de la comprendre, tant bien que mal. Alors, elle reproduisait la même chose... sans vraiment s'en rendre compte sur le moment.

-Pose ton arme... Et incline-toi.

Supprimer la menace, et la peur disparaîtra. C'est tout du moins ce qui devrait se produire si le militaire accepte de lui obéir. Cependant, elle n'a aucune autorité sur lui... Sans quoi il ne l'aurait pas suivie jusqu'ici, n'est-ce pas ? Seule sa confiance en elle pourrait l'amener à accéder à sa requête. Et elle espérait de tout cœur qu'il accepterait...

-D’accord d’accord.

Le soldat leva ses mains, paumes ouvertes, comme pour montrer qu’il n’était définitivement pas menaçant. Il n’avait pas de raison de ne pas écouter la jeune elfe, qui semblait savoir s’y prendre avec l’immense oiseau.

Doucement, sans rompre le contact visuel avec l’Écarlate, il baissa ses mains toujours grandes ouvertes. Prenant grand soin de ne pas faire le moindre geste brusque, il détacha la ceinture qui retenait son épée et fini par déposer le tout au sol.

-Là, c’est bon je ne te ferais pas de mal. Fit-il à l’oiseau comme si ce dernier pouvait comprendre son language. Je suis pas là pour ça.

Et suivant le second conseil de la noss, il l’imita et s’inclina. Il espérait que Cilastiel ne se trompait pas et que la créature comprendrait le message car bien qu’il ne souhaitait pas de mal à la créature il était désormais sans défense et n’était pas très à l’aise à cette idée.

Cilastiel ne peut pas se retourner mais elle entend l'arme qui se pose au sol et elle sait qu'Aegden fait tout ce qu'elle réclame. Comment ? D'instinct, mais pas seulement. Si l'oiseau s'agite un peu plus en le voyant agir, il cesse de crier lorsque la lame se retrouve abandonnée sur le sol. Puis il penche la tête sur le côté alors que les trois elfes qui se tiennent devant sont inclinés, mains visibles. Après de longues secondes, il arrête de gesticuler dans tous les sens. Il se fait de moins en moins menaçant, jusqu'à se calmer véritablement.
Parce qu'ils ne peuvent pas rester ainsi indéfiniment, la petite elfe finit par se redresser lentement.

-Restez là.

Elle baisse son masque d'oiseau pour s'en orner. Ses yeux prennent leur place derrière les orifices prévus à cet effet dans le métal. Son bec remplace sa bouche et les plumes ornent sa tête. Ainsi, elle ressemble véritablement à un volatile. D'un pas doux et prudent, elle s'avance vers l'animal. Il n'est pas très rassuré et se redresse, la guettant du regard. Elle est si minuscule... Et pourtant, elle lui fait peur. Lorsqu'il s'agite trop, elle ralentit, parfois jusqu'à s'arrêter.

Finalement, Cilastiel s'arrête. Elle n'est qu'à quelques pas du géant qui la toise de toute sa hauteur, le bec ouvert, respirant difficilement. Il est fatigué et il souffre. La Noss tourne la tête vers la lance puis elle s'adresse à la taledhelle dans son dos.

-Que s'est-il passé ?

Son ton est assez neutre. Qui que soit cette femme, elle était présente. Peut-être sait-elle pourquoi cet oiseau a un jet de bois qui lui perfore l'aile ? Ou peut-être pas... Mais elle est la seule ici a pouvoir apporter un semblant de réponse.

Aegden avait croisé les bras lorsque la noss avait cessé de s’incliner. Comme elle semblait bien s’en sortir, le soldat luttait pour la laisser s’occuper du problème à sa manière. C’était un gros effort qu’il faisait mine de rien, il détestait rester en retrait les bras ballants comme cela. C’était un peu plus de trois cent ans d’habitude à changer en quelques minutes.

-Tout ce que je sais c’est qu’il faut retirer cette lance de son aile avant qu’il ne s’agite un peu plus. Si vous arrivez à détourner un peu son attention le temps que je m'approche, je peux essayer de le faire en limitant les dégâts.

Ça lui ferait mal dans tous les cas, mais y s’y prenant de la bonne manière ils pourraient probablement faire en sorte que la blessure ne s’aggrave pas trop. Sinon l’elfe craignait que l’oiseau ne puisse plus jamais se servir de son aile.

Il n’était pas guérisseur, les vagues notions qu’il pouvait avoir dans ce domaine ne venait que de l’observation ou de l’expérience de soins véritables. Cependant il était un soldat et surtout un lancier, de telles blessures il en avait vu et causé plus d’une. Il savait comment ça marchait.

-Pour ce qui est de l’après en revanche, je ne suis pas un expert.

D’habitude on bandait les plaies, appliquait il ne savait qu’elle mixture cicatrisante, mais sur un oiseau géant on faisait quoi ?

Cilastiel pèse les mots de la rousse. Rien dans son récit n'explique la lance. Pour autant, elle ne croit pas que cela vienne d'elle. Elle ressent les traces de magie autour d'elle et cela corrobore son récit. Elle reporte donc son attention sur l'animal qui n'a pas profité de sa distraction pour s'en prendre à elle. C'est donc qu'il ne la craint plus ou qu'il est trop fatigué pour faire quoi que ce soit. Elle observe sa blessure et est parcourue d'un frisson. Elle a vu et fait bien pire dans sa vie mais... elle était quelqu'un d'autre à cette époque. C'est alors qu'Aegden reprit la parole, suggérant de retirer la lance de l'aile du pauvre rapace.

-Tu me sembles en effet le mieux indiqué pour cela. Même s'il lui faudra sans doute plus de soins.

Elle relève les yeux vers l'écarlate. Ils échangent silencieusement durant quelques secondes dans un grand silence. Puis elle lève une main dans sa direction. Elle est si petite qu'elle ne peut atteindre sa tête mais c'est aussi bien. Il ne faut pas qu'elle soit la seule à faire le pas... C'est bien mieux qu'ils fassent la moitié du chemin tous les deux... Et c'est d'ailleurs ce qu'il se produit. L'oiseau hésite mais, finalement, il s'avance lentement. Il descend... et descend encore sa tête jusqu'à ce que son bec soit à la hauteur de sa main. Puis il baisse encore pour qu'elle arrive sur son front. Et là, il approche jusqu'à ce que la petite elfe sente ses plumes sous ses doigts.
Cilastiel respire plus fort qu'elle ne l'aurait cru. Elle ne réalise pas vraiment ce qui est en train de se passer et s'impressionne elle-même de ce qu'elle parvient à faire. Agit-elle par instinct ou la Symphonie la guide-t-elle ? Elle n'en sait plus rien. Troublée sous son masque de fer et de plumes, elle n'en oublie cependant pas que tout est loin d'être fini. Alors, lentement, elle se tourne vers son ami et lui tend la main afin de lui permettre de la rejoindre. S'il le fait sur son invitation et non de sa propre initiative, cela se passera sans doute mieux auprès de l'oiseau.

Lorsque la noss l’invita, il s’approcha de la créature blessée. Celle-ci darda un œil mitigé en sa direction. Aegden attendit alors, s’y prenant avec lenteur pour ne pas ré-effrayer l’oiseau. Il n’avait pas fait très bonne impression. Au-delà de son arme qui reposait toujours dans l’herbe, Aegden se demanda un instant si l’oiseau percevait il ne savait quoi chez lui le catégorisant comme un combattant, et donc par extension une menace potentielle.

Quoi qu’il en soit le volatile émit un petit cri et secoua très faiblement sa tête sans la retirer de la main de Cilastiel et le soldat pris cela pour un signe de pseudo confiance. A son tour il posa sa main dans les plumes de la créature.

-Tu es magnifique Sornambal. Murmura-t-il avant de continuer plus haut. Je n’en avais encore jamais vu d’aussi près…

Malgré son arrivée quelque peu brutale, Aegden était tout aussi sensible que les deux autres elfes à la beauté de la créature. Et malgré son armure psychologique de soldat habitué à la vue de drames en tout genre, ça lui fendait le cœur d’observer un être aussi majestueux dans une telle posture. Et ça lui fendait le cœur de s’apprêter à lui faire mal de nouveau même si c’était pour son bien. En fait paradoxalement Aegden n’aurait jamais pu se résoudre à être guérisseur.

Tout doucement, guettant une réaction négative de l’Ecarlate, il se décala vers ses flancs, sans rompre le contact physique avec ce dernier. En passant avec douceur sa main dans les plumes de l’animal il espérait transmettre une partie de son calme ainsi que ses bonnes intentions.

La Lance était rivée dans la plus grande de ses ailes, juste à la jonction avec le reste de son corps. Cela avait dû l’empêcher de s’en servir et donc le faire s’écraser ici. Sans doute l’avait-on attaqué depuis le sol. Peut-être le jeune avait-il sans le vouloir menacé un clan noss qui s’était défendu tant bien que mal ? Il ne semblait pas au lancier que l’objet qui blessait l’oiseau fut un harpon et c’était bon signe, il pourrait la retirer sans risque de dommages internes supplémentaires.

-Tu ne va pas m’aimer mon grand. Pardonne-moi.

Aegden jeta un regard vers Cilastiel puis vers la mage dont il ne savait toujours pas le nom. Il s’assura que tous deux étaient prêtes et il se saisit de la hampe de l’arme au plus près de la blessure, tandis que sa seconde main vint se poser contre les plumes carmins. Il entendit le cri de protestation de l’animal qui devait avoir compris ce qu’il se passait mais avant qu’il ne s’enfuit, le soldat fit glisser la lame et l’ôta de l’aile blessée.

L’aigle géant poussa un deuxième cri de protestation et darda des prunelles agacées vers l’elfe roux qui lui semblait décidément bien peu agréable en comparaison de l’elfe oiseau devant son bec et de la femme qui restait à une distance respectable. Il l’envoya sèchement paitre d’un coup de sa seconde aile. Le soldat ne le vit pas venir et atterrit un mètre ou deux plus loin, sur le dos. Plus de peur que de mal et la lance dans sa main plutôt que dans l’aile du volatile, il ne s’en offusquerait pas.

-On va dire que c’est de bonne guerre…

-Chhhhhht... Souffle Cilastiel en sentant l'oiseau s'agiter sous sa main à l'approche d'Aegden, souhaitant lui confirmer la confiance qu'elle a en son ami. Les paroles du militaire la font sourire, amusée. Tu devrais m'accompagner parfois. Anaëh m'a déjà réservée quelques surprises durant mon voyage.

L'aigle géant n'est pas le premier animal hors norme qu'elle croise, même si c'est peut-être le plus insolite jusqu'à présent. Elle s'est retrouvée avec un couple d'écureuil jouant sur elle. Une expérience très belle, même au prix de quelques petites griffures. Sans parler de cette famille de cerfs si particuliers dont elle avait oublié le nom... Si le taledhel apprécie cette expérience-ci, il pourrait aimer tout autant celles qu'elle a la chance de vivre en fusionnant avec la Prime Oeuvre tel qu'elle le fait.
Mais Aegden n'en oublie pas pour autant la raison de sa présence auprès de l'oiseau et se décale lentement. Lorsqu'il se retourne vers elle, prêt à retirer la lance, elle laisse la magie entrer en elle, se tenant prête à s'évaporer dans les ombres en cas de réaction violente de l'animal. Ceci fait, elle hoche la tête dans la direction de son ami et attend.

L'écarlate lève subitement la tête en criant, repoussant de ce fait la main de la petite elfe. Mais il ne lui fit aucun mal. Un simple coup de bec aurait pu la blesser ou même l'assommer. Alors il a pris soin de l'éviter du mieux qu'il avait pu. Puis il se retourne vers le militaire et la petite elfe n'a pas le temps de le prévenir avant qu'il ne reçoive un grand coup d'aile qui l'éloigne de l'animal. Elle n'a pas non plus l'occasion de se soucier de lui plus longtemps... L'oiseau vient quémander son attention d'un coup de tête qui, bien que doux, lui ferait presque perdre l'équilibre. Alors Cilastiel se retourne vers lui et prend son immense crâne dans ses bras. Cette étreinte l'apaise, au moins jusqu'à ce que la femme s'approche à son tour et pose son tissu mouillé sur la blessure de l'aigle. La Noss l'a vue venir et retient l'écarlate en resserrant légèrement son emprise sur lui. Elle ne peut pas vraiment lutter contre une créature de cette taille, elle le sait bien... Elle veut simplement qu'il comprenne que c'est pour son bien. Qu'il parvienne ou non à interpréter son message, il n'essaie pas de se soustraire à elle et reste là... jusqu'à ce que l'elfe minuscule le libère en voyant la mage des airs s'éloigner.

A la question que cette inconnue lui pose, l'ornedhelle se tourne vers Aegden avant de revenir sur elle et de pencher la tête sur le côté. Pourquoi elle ? Parce qu'elle est Noss et qu'ils se trouvent en forêt ? Croit-elle qu'elle est de la région ? Elle finit par lui répondre très calmement.

-Le seul soigneur de... mon... peuple que je connaisse n'est pas dans la région. Quelqu'un pourrait bien m'en indiquer un mais nous sommes trop près des murs pour trouver des Noss à proximité et cet oiseau ne pourra pas attendre indéfiniment si nous ne voulons pas qu'il perde son aile. Alors... Je vous retourne la question.

Elle a hésité sur la fait d'être effectivement ornedhelle ou non. C'est le militaire qui l'a qualifiée ainsi mais elle n'a pas l'impression de rentrer dans une case ou une autre. Elle a adopté un mode de vie encore différent de celui de la plupart d'entre eux. Et elle s'interroge encore sur tellement de points... Alors elle est Noss parce qu'elle vit dans les bois mais est-elle vraiment une des leurs ? Elle ne soulèvera pas la question, ils en ont une bien plus importante à régler. Il faut soigner l'écarlate au plus vite.

-La cité n’est qu’à quelques pas. Aegden intervint finalement. Il y a des postes de secours tout désignés pour ce genre d’urgences.

Pour les avoir fréquentés plus d’une fois, à causes de cas plus ou moins graves, il savait parfaitement comment ça fonctionnait.

-Vous pensez arriver à le retenir le temps que j’y aille ? Demanda-t-il.  C’est le plus rapide et le plus simple qu’on puisse faire actuellement.

La bête ne lui faisait pas confiance, raison pour laquelle il était sagement resté assis au sol avant que la rousse ne lui tende la main et qu’il s’en tenait encore relativement loin, les bras croisés. Il était le plus désigné à s’éloigner un moment chercher de l’aide.

S’adressant aux deux femmes, il lança un regard au volatile, comme s’il lui demandait silencieusement à lui aussi s’il pourrait supporter d’attendre quelques petites minutes qu’on vienne enfin le soigner.

Aegden eut un bref sourire lorsque la jeune femme se présenta enfin, mentionnant au passage son titre. Ainsi donc elle se trouvait être une académicienne. Pas étonnant qu’il ne l’ait jamais vue dans ce cas.

-Ne vous inquiétez pas, je connais assez les soldats lëandrin pour savoir qu’aucun ne rechignera à venir aider. Je les ai  guidé pendant dix ans. Tournant les talons, il eut cependant un dernier regard en arrière. Au fait, je m’appelle Aegden. Si tu pouvais faire attention à mon épée heri Obrielle…. Fit-il avec un air amusé, en référence à l’arme toujours au sol. J’y tient.

Et cette fois-ci sans plus attendre de réponse il prit le chemin de sa cité, au pas de course tout de même. Autant ne pas faire patienter l’oiseau trop longtemps. Arrivée au poste de secours, deux elfes visiblement détendu se relevèrent et dardèrent un regard inquiet autant que surpris à leur ancien commandant qui leur fit vite comprendre qu’il allait bien.

-Tout va bien. J’ai juste besoin d’un guérisseur. Un Ecarlate blessé par une lance. Voyant l’air de ses compagnons il s’empressa d’ajouter : Non je n’y suis pour rien.

L’un et l’autre des deux elfes échangent des regard mi-amusé mi surpris par la situation peu commune. L’un deux fit mine d’aller chercher un troisième elfe dans une autre pièce du petit bâtiment et revint avec un grand homme aux cheveux blancs et à la peau plus sombre que la plupart des taledhels.

-Je te suis, Aegden. Fit-il sans rien ajouter de plus. Habitué à agir vite, il ne s’embarrassait pas de paroles inutiles.

Et après de brefs remerciement aux deux compagnons qui reprirent leur garde monotone, le soldat et le guérisseur s’en retournèrent auprès du blessé.

-Les patrouilles te manquaient tant que ça ? Ne put cependant pas s’empêcher de faire remarquer le guérisseur avec une certaine pointe d’humour.

 -Je ne patrouillait pas. Une amie à sentit quelque chose dans la symphonie je l’ai suivie.

-Mais ça te manque pas vrai ?

-hm un peu. Il marmonna. Mais j’aime la vie que j’ai maintenant si c’est ta question Haradon. L’armée royale m’offre d’autre possibilités, je t’assure que je ne m’ennuie pas.

L’autre n’eut pas l’occasion de renchérir puisqu’ils arrivèrent sur les lieux. Aegden s’y prit doucement pour se rapprocher du groupe et le guérisseur en fit de même par mimétisme.

-Haradon voici Obrielle, Cilastiel et…Notre écarlate. Cilastiel, Orbrielle, Haradon.

-C’est lui notre blessé ? Hé ben…

Et sans oser s’en approcher il lance un regard interrogateur aux deux femmes. Pouvait-il ?

Cilastiel est de plus en plus silencieuse. L'état de l'oiseau la préoccupe. Elle reste là, debout et immobile, la main posée sur la tête de l'animal, les traits graves. Elle le sent faiblir lentement mais sûrement. Laissant les taledhels à leur discussion, elle ne les écoute plus. Elle ne répond pas à la question de l'aéromancienne, son esprit n'est pas tellement avec elle et c'est à peine si elle entend Aegden partir à toute vitesse.

L'attente est longue du point de vue de Cilastiel. Pourtant, le militaire ne met pas longtemps à revenir. Mais ses yeux ne quittent pas l'Ecarlate qui s'affaisse de plus en plus. De temps en temps, il crie. Il souffre, elle le voit dans ses yeux. S'il le pouvait, il pleurerait peut-être. Ce n'est qu'un enfant après tout.
Cette dernière information ne vient pas d'elle. Quelqu'un la lui a soufflée.

Des pas s'approchent de nouveau et l'oreille de la Noss immobile se tourne vers les militaires qui les rejoignent. Elle n'écoute pas vraiment les présentations et tend une main en direction du soigneur, l'invitant à la rejoindre. Lorsqu'elle sent ses doigts dans les siens, elle tourne enfin son regard vers lui et découvre ses traits atypiques. Mais elle n'a pas le temps pour cela. Son visage juvénile étiré par l'inquiétude et le sérieux, elle attire le soigneur à elle. Lorsqu'il se trouve à ses côtés, elle approche sa main... et la soustrait à la sienne. L'oiseau les regarde faire mais ne bouge pas. Plusieurs secondes s'écoulent... Puis, les doigts toujours sur ceux d'Haradon, elle le fait glisser sur le plumage de l'animal. Dans une caresse, ils parcourent son cou et son flanc jusqu'à l'aile blessée. Là, elle libère le vitaliste de son emprise et soulève le tissu sacrifié par Obrielle afin de lui montrer la blessure. Puis elle s'éloigne à reculons, le laissant agir à sa guise, certaine que l'écarlate ne dira plus rien maintenant qu'il va être soulagé.

A quelques pas de l'oiseau, Cilastiel attend, sentant les flux se mouvoir autour d'elle. Au bout d'un moment, elle se rend compte qu'elle tient toujours le tissu dans ses mains. Alors elle le lâche puis sent un liquide poisseux sur ses doigts. Elle les regarde alors et voit le sang qui les macule. Sa mâchoire se serre et son regard son trouble. La vue de ses mains rougies ne l'avait encore jamais affectée mais elle n'avait plus de Souffle à l'époque... A présent, non seulement elle en a un mais elle a tissé un lien tout particulier avec son environnement. Sur ses mains, c'est le sang de l'un de ses frères. Et elle tremble d'horreur devant cette vision.

Le guérisseur se mit à incanter avec soin, rassurant par quelques caresse l’oiseau fatigué et effrayé. Ce n’était qu’un tout jeune écarlate…

L’attention du soldat en revanche se porta d’avantage sur la petite elfe prostrée près de la créature.

-Cilastiel. Appela-t-il en fronçant les sourcils.

Comme elle ne répondit pas, il réagit rapidement. Il s’approcha et s’agenouilla à la hauteur de la jeune elfe. Oh il reconnaissait parfaitement l’état dans lequel elle se trouvait. Il avait vu tellement de jeunes elfes pas encore prêt à se battre perdre pied à la vue du sang. Combien de fois avait-il lui-même fait de cauchemars depuis aduram faisant remonter des souvenir plus anciens ?

-Hé. Cilastiel. Répétât-il. Regarde-moi. Avec une certaine douceur il prit ses mains dans les siennes, cachant par la même occasion le sang qui les recouvrait. Ça va aller. Haradon à déjà soigné bien pire que ça.

Comme lorsqu’il était dans son rôle de mainyth, il gardait un air neutre, détaché de toute potentielle inquiétude. Cilastiel n’avait rien à craindre ni pour elle ni pour l’oiseau à présent.

-Grâce à toi et Héri Obrielle, notre ami volera bientôt à nouveau.

Focalisée sur ses mains, Cilastiel ne réagit pas tout de suite. Parce qu'elle n'a pas entendu... Son esprit est totalement coupé du monde qui l'entoure. Mais au second appel, elle relève brusquement la tête. Quand Aegden s'est-il approché pour se planter devant elle ? Son regard oscille avec hésitation entre son ami et ses mains et il finit par les prendre dans les siennes afin d'en masquer le sang qui les macule. Alors elle se fixe sur le militaire. Elle l'écoute. D'accord, elle a aidé l'oiseau mais cela ne l'aide pas à se sentir mieux pour autant. Elle vient de comprendre... De réaliser... C'est la première fois qu'elle voit les animaux comme ses égaux, au même titre que les trois elfes qui l'entourent. Le sang qu'elle a sur les mains, ce pourrait tout aussi bien être celui d'Aegden, cela lui ferait le même effet.

Tremblante, elle recule de quelques pas. Elle regarde un instant l'Ecarlate qui semble s'être apaisé en comprenant que l'elfe près de lui le soigne et le soulage. Alors elle pivote et s'éloigne, se dirigeant vers le ruisseau. Là, elle s'agenouille et plonge les mains dans l'eau froide. Elle frotte frénétiquement pour en retirer toute trace rouge. L'eau se teinte au début puis retrouve peu à peu sa transparence. Et même lorsqu'il n'y a plus rien, elle continue à frotter. Seule la fraîcheur de l'eau venue d'un glacier finit par lui faire arrêter. Ses doigts sont si froids désormais qu'ils lui font mal. Elle les regarde, de la même manière qu'elle les regardait tout à l'heure. Ils sont propres mais la sensation du sang sur elle lui colle à la peau... Alors elle frictionne ses mains sur ses cuisses pour les sécher et retirer le contact du liquide sur ses phalanges.