Restaurer l'intangible [Pv Lynn et Mornàndur]

-Si on part pour au moins une ennéade de voyage, il va falloir que je prévienne l’armée. Partir quelques heures ou partir pendant des jours, c'est différent.

Et surtout pour Sinieth. L’armée devait savoir ce qui se passait afin de ne pas se retrouver avec un nouveau Mainyth disparu sur les bras mais ils sauraient facilement se débrouiller jusqu’à son retour. Sa compagne en revanche, elle se retrouvait déjà à supporter une partie de sa grossesse seule. Ne pas la prévenir et la laisser dans l’ignorance de pourquoi son compagnon ne revenait pas, pourquoi il ne donnait plus signe de vie, c’était l’accabler inutilement.

A penser à elle et à leur enfant, Sinieth manqua soudain tellement au soldat. Pourtant il n’en montra rien. Ça n’avait pas lieu d’être à l’instant.

-Si tant est que c’est ce qu’on compte faire au final.... Ajouta-t-il alors, peux certain du chemin à suivre.

Depuis quelques minutes le noss semblait leur dire qu’ils ne pourraient pas grand-chose contre le malaise que semblait subir la forêt. Et paradoxalement il n’avait pourtant par l’air contre de continuer avec eux… Aegden doutait du choix à adopter vis à vis des paroles de leur étrange guide.

Lynn regarda ses deux compagnons l’un après l’autre. L’indécision pesait. La révélation du vieux Noss sur la distance à parcourir changeait effectivement la donne. Elle soupira. Et si c’était seulement vraiment un orteil cogné contre le coin d’un meuble, cela valait-il le coup de s’inquiéter ? Le chant persistait à ses oreilles, mais il lui semblait plus doux, moins agité, l’incitant presque à rebrousser chemin. Son estomac grognait, elle n’avait pas mangé grand-chose depuis son réveil, et midi approchait. Autour d’elle, la vie paisible de la forêt et du fleuve menait son cours. Rien n’indiquait qu’il fallait s’engager sur ce long voyage.

Pourtant, sa curiosité la dévorait, et pas seulement pour la Symphonie. Le Noss l’intriguait beaucoup. Qui était-il ? Quel était son rôle dans cette partie de la forêt, pour tous ces êtres qui l’habitaient ? De plus, le fait qu’Aegden semblait s’habituer, voire apprécier sa présence, était un premier pas vers le rapprochement envers tous les peuples elfiques auquel elle aspirait. Partir à la source était un bon moyen d’engager une longue discussion. Mais ce n’était pas sa décision. Après tout, elle était ici sous les ordres du commandant, et même s’il l’écouterait certainement, il avait sans doute ses propres priorités. Elle avança donc d’une voix résignée :

« C’est toi qui vois, Aegden. On a peut-être beaucoup à faire à Ardamir, mais ont-ils vraiment besoin de nous deux ? Les autres peuvent peut-être se débrouiller seuls... Et c’est l’occasion de découvrir du paysage, et de vérifier que tout se passe vraiment bien. »

Dans tous les cas, ils devraient repasser en ville pour s’équiper. Elle ne partirait pas si loin sans son arme.

Aegden observa Lynn l’espace de quelques seconde, l’air de peser le pour et le contre de la décision qui lui incombait désormais. Ils partiraient longtemps, ils iraient loin, sans aucune idée de ce qu’ils trouveraient sur le chemin… s’ils trouvaient quelque chose. Mais s'il y avait effectivement quelque chose, n'était-ce pas leur devoir de s'en inquiéter?

Au bout d’un moment, le bout de ses oreilles s’agita, il claqua sa langue l’air peu satisfait de sa décisions qu’il énonça tout de même.

-Laissez moi une heure pour prévenir mes soldats et réunir de quoi voyager aussi longtemps. Il lança un regard vers Lynn puis Mornandur. Si rien n’a changé d’ici là, on se retrouve ici et on y va.

Une fois les deux ayant acquiescé, les deux taledhels s’en retournèrent à la cité qui les avait hébergé jusqu’ici et sans perdre de temps, ils s’occupèrent de se préparer en vitesse.

Aegden fit en sorte de rédiger deux missives envoyées en Alëandir. L’une était adressé au siège de la milice royale, informant les officiers du changement de programme du commandant ainsi que du prolongement de son absence. L’autre, plus personnelle, s’adressait directement à sa compagne, lui expliquant d’une écriture penchée mais appliqué qu’il n’était pas en danger malgré le caractère inconnu de sa nouvelle mission et qu’elle n’avait pas à s’inquiéter. Elle lui manquait beaucoup et il espérait de tout son souffle qu’elle et leur enfant allaient bien.

Une fois cela assuré, il s’occupa de prévenir directement ses hommes missionnés et quelques uns des officiers ardamiri eux même auxquels il laissait le soin d’informer leurs autorités s’ils le pensaient nécessaire. Étant particulièrement bien placé pour savoir combien les elfes portaient leur corps d’armée en haute estime et détestaient toute forme d’ingérence, il laissait le soin à la milice de s’occuper de leur sécurité et de la diffusion des informations comme ils l’entendaient.

Enfin il se contenta de demander quelques très minces provisions dont il était certain que personne n’aurait besoin et il fut temps de repartir. S’il croisa éventuellement lynn sur le chemin, il se contera sans doute d’un sourire un peu tendu. Il n’avait aucune idée de s’il avait fait le bon choix ou si tout cela n’était qu’une immense perte de temps.

Si seulement il avait eut un signe…

Affirmer avoir cru une seule seconde qu’ils ne profiteraient pas de mon offre serait mentir. Qu’ils soient restés aussi méfiants par contre est une surprise. Les Taledhels ont toujours eu beaucoup de mal avec la Symphonie, mais j’avoue que jusque là – parmi ceux qui l’entendent au moins – ils ont été relativement rares ceux que j’aie pu rencontrer qui aient à ce point refusé de me faire confiance. Au moins pouvait-on y voir une preuve de leur dévotion envers l’Œuvre. Qu’ils ressentent l’absolu besoin de tout comprendre et tout justifier en tout temps est bien dommage… et risque surtout de leur être dommageable un de ces jours. Mais qu’ils veuillent s’assurer de la santé de la forêt, je ne peux pas vraiment leur en vouloir.

Le temps qu’ils se préparent, et nous étions partis. Parce que non. Bien sûr, rien n’avait changé. Voilà un moment que la discordance était particulièrement feinte, et loin d’être dérangeante. Mais elle était toujours là. Elle resterait certainement là encore longtemps. Si ce n’est à jamais. Qui sait ?
En attendant, le retour de mes chers compères avait marqué le début de notre petit périple. De notre silencieux périple. Si les citadins se méfiaient de moi ou qu’ils en avaient assez de m’entendre raconter des choses qu’ils n’avaient pas envie d’entendre, et bien ils sembleraient qu’ils aient trouvé la meilleure manière de le faire savoir. Pas de discussion sur le chemin pour le vieux Mornàndur. Pas avec les congénères de sa propre espèce en tout cas. Mais ce n’était finalement que partie remise. De cette façon mon attention pleine et entière pouvait aller aux Chants.

Les Chants non plus n’avaient rien partagé de bien particulier. Rien de plus que ce qu’ils avaient déjà offert ce matin. Alors les heures étaient passées tranquillement. Au rythme d’une excitation de la Sylve devenue notre nouveau calme. Et puis le soleil avait commencé à baisser. Lentement mais sûrement. Soleil de printemps.

- La nuit va bientôt arriver. je me retourne vers mes camarades Vous pourriez monter le bivouac ? Il faut que j’aille me chercher à manger tant qu’il en est encore temps.

L’heure entre chien et loup est la meilleure pour chasser. Les bêtes nocturnes quittent leur abri. Les bêtes diurnes regagnent le leur. Mais toutes les bêtes sont en mouvement et un peu moins attentives qu’à leur habitude. Pas de grande partie de chasse aujourd’hui. L’important c’est de faire vite et efficace. Au pire, à faire chemin à côté du lac, s’il le faut je pêcherai du poisson.

On me dira peut-être que ça n’aura pas été faire preuve de la plus grande politesse, mais mon heure de chasse m'avait creusé l'appétit, et j’avais déjà entamé ma proie du jour en arrivant aux alentours de ce qui nous servirait de camp. Quoique je doute que l’image d’un vieux druide mâchonnant dans les flancs d’un rat musqué soit ce qui les dérange le plus quand le-dit druide s’était retrouvé poursuivi par un groupe de chasseurs Lam’Nir.

- Pourquoi est-ce que tu les emmènes là-bas ? celui qui semble avoir autorité sur le groupe me pose pour la énième fois la question Tu veux qu’ils nous créent un véritable problème, c’est ça ?

- Les événements de ce matin les préoccupent, j’essaie de les aider à comprendre ce qui se passe voilà tout.

- Tu t’embêtes inutilement. Les Taledhels ne comprennent jamais rien. Tout ce qu’ils vont réussir à faire, c’est à nous souiller la Source de l’Elorëa d’une manière ou d’une autre. Et là les événements de ce matin n’auront l’air de rien à côté.

- Tu n’as qu’à le leur dire toi-même.

Qu’il en fasse trop, et de toute façon, j’interviendrais. Mais peut-être qu’une expérience un peu plus à la dure aiderait mes chers camarades à comprendre un peu mieux le monde des Ornedhels.

- Hey vous ! trident en main et attitude menaçante en prime, le chef de meute s’approche des Taledhels Vous ne pensez pas avoir assez déséquilibré la forêt comme ça ? C’est déjà assez insupportable pour nous d’avoir à supporter les discordances que vous provoquez, mais si vous commencez à les utiliser comme prétexte pour légitimement perturber la Sylve… on a autre chose à faire que de passer notre temps à réparer vos bêtises ! Et c’est pas parce qu’il y a un druide pour nettoyer derrière vous que ça y change quoi que ce soit.

Le retour à la cité s’était fait au pas de course ; Aegden semblait vouloir en finir au plus vite, et Lynn le comprenait. Elle avait donc tenu le rythme et ils s’étaient séparés une fois dans la cité. Là-bas, elle n’avait pas attendu bien longtemps. Elle avait d’abord rassemblé de quoi manger pendant quelques jours, soit quelques fruits, du pain et des morceaux de viande séchée, avant de retourner dans ses appartements pour s’habiller convenablement. Elle enfila son armure royale, qui resplendissait à la lumière du soleil. Son arc sur l’épaule, et son carquois attaché sur son sac dans son dos, elle mit de nouvelles bottes plus adaptées à la marche. Enfin, elle accrocha son poignard à sa ceinture avant de ressortir, prête pour ce voyage qui s’annonçait, ma foi, plaisant. Elle ne parla à personne pendant son temps dans la cité. Après tout, Lynn n’avait personne à qui dire au revoir ici, à part ses frères et sœurs d’armes qu’elle ne prit pas la peine de chercher.

L’elfe ne croisa pas Aegden, qui était déjà arrivé depuis quelques minutes lorsqu’elle parvint au point de rendez-vous. Après une brève excuse pour son retard, ils repartirent à travers la forêt. Et quel départ. Si mon commandant et moi échangeâmes quelques mots, au début, la plus grande partie du chemin se fit dans le silence. Seul le bruit de l’eau courante et des quelques animaux que nous croisions venaient ponctuer notre marche. L’après-midi fila donc lentement, et Lynn s’ennuyait assez vite. Elle prit donc le temps d’écouter plus soigneusement la Symphonie, et de s’ouvrir un peu mieux à elle, mais aucun indice ne lui vint, malgré ses efforts. Alors ses pensées dérivèrent vers Naélis, et le regard des Drows qu’elle avait occis passèrent devant ses yeux. Elle n’éprouvait pas le moindre regret d’avoir éliminé cette nuisance.

Le soleil allait se coucher lorsque le Noss leur indiqua qu’il partait chasser. Lynn haussa les épaules et se contenta de se déchausser et de poser ses affaires. Elle garda bien évidemment son masque. Allant chercher de quoi faire un feu, elle demanda à Aegden de surveiller le bivouac. Le bois était humide près du fleuve, elle dût donc s’éloigner un peu pour trouver des branches sèches par terre. L’elfe prit soin de prendre également des feuilles mortes, et un morceau de bois plus gros pour que le feu tienne. Lorsqu’elle revint les bras chargés, elle se contenta d’allumer le feu en engageant la conversation avec le commandant.

« Tu lui fais confiance, toi ? On ne connaît toujours pas son nom, ni d’où il vient, et voilà qu’on le suit à travers la forêt. Si ça se trouve, il nous emmène droit dans le repaire d’un clan agressif, qui se ferait un plaisir de nous ôter la vie, ou pire... »

Bref, partager son inquiétude avec lui la soulageait plus ou moins. Elle n’avait pas envie d’avoir recours à la violence contre des êtres de sa race. Après tout, ils vivaient tous pour et grâce à la forêt, avec les mêmes principes et les mêmes règles. Leur vision des choses était peut-être différente sur certains points, mais les Ornedhels devaient comprendre de l’importance des cités elfiques aujourd’hui, non ?

"-Non je ne lui fait pas confiance." Aegden soupire. "Je n’en sais rien. Si c’est le cas. On n’aura pas le choix on se défendra. En attendant, on est là et je m’en voudrais de faire demi-tour..." Il marque une pause et fixe lynn. "Et toi Lynn ?"
« Moi non plus, dit-elle en se grattant la nuque. J’ai l’impression qu’il nous cache des choses. Il va falloir nous tenir sur nos gardes. »

Leur discussion continua quelques minutes avant de retomber dans le silence, attendant patiemment le retour du vieil elfe, qui ne tarda plus. Son arrivée fut précédée par le bruit d’échanges de voix, un peu plus loin. Lynn posa la main sur son arme et tendit l’oreille. Visiblement, les elfes qui l’accompagnaient ne semblaient pas d’humeur très… cordiale. Discrètement, elle tira une flèche de son carquois et la planta à la verticale devant elle, et garda une main sur son arc.

Le groupe ressortit des taillis, et ce qu’elle vit lui fit grincer les dents. Ils étaient huit, tous armés, et le visage menaçant. Lynn ne lâcha pas son arme mais ne fit aucun geste agressifs non plus : inutile de prendre des risques insensés. Lorsque le Noss leur parla et leur reprocha leur simple présence et leur curiosité, les sourcils de Lynn se froncèrent. Elle se relève, en lâchant son arc et fait trois pas vers lui, sans trop réfléchir.

« Dis donc, t’as du cran pour nous parler sur ce ton. » Elle siffle de mécontentement et continue de s’avancer. « Tu l’entends encore, la Symphonie, non ? Tu vois bien qu’elle a toujours un problème. À t’entendre, j’ai l’impression que tu cherches juste à cacher une gaffe que t’aurais faite. » Elle s’arrête, croise les bras et penche la tête légèrement sur le côté. « Fais bien attention à ce que tu insinues sur nous. »

La tension montait en flèche. Peut-être valait-il mieux tenter de la désamorcer, mais Lynn était à des kilomètres de cet état de pensée.

-Ah oui, les FaMeuSes dissonances crées par les Graaand Méchants Citadins. Avait-il marmonné avec acidité tandis que lynn fut la première à réagir.

L’elfe roux jusqu’ici adossé à la souche d’un arbre robuste émis un bref rire jaune lui retroussant le coin des lèvres. Il en avait franchement marre de ce comportement puéril. A écouter le chef du groupe débarqué de nulle part ils étaient quasiment aussi terribles que les arin… Avait-on déjà entendu pire idiotie ?

Lentement, le soldat se remit debout. Croisant les bras, il ne se faisait pas non plus menaçant. Il n’était simplement pas intimidé par les noss. Sa lance n’était même pas dans son dos mais contre l’arbre près de l’assise que le soldat venait de quitter.

-Pour un peuple qui hurle à tue-tête que leurs frères ne comprennent rien à rien à propos de l'Oeuvre,entre leurs murs, je te trouve bien peu décidé à remplir la mission qu’I Emel nous a tous confié. Vous aboyez, menacez sans cesse de mordre les mains qu’on vous tend, mais avez-vous ne serait-ce qu’une seule fois donné de raisons valables à vos soit disantes mise en gardes ? Avez-vous jamais fait autre chose que ralentir les taledhels alors qu’ils tentaient de protéger vos petites personnes ?

Avaient-ils jamais fait mine d’un comportement qui ne soit pas celui de la maudite druidesse ou bien de Faëlwen?

C’était toujours la même rengaine. Toujours la même haine, toujours la même ingratitude envers des elfes qui s’évertuaient pourtant à faire un effort qui n’avait rien de mérité. Quand cela cesserait-il ?

Il fit un pas, se rapprochant de lynn et du noss qui se toisaient comme le défiant de se servir de son arme et de les attaquer alors qu’il était lui désarmé. Que le noss le fasse et il prouverait pour la millième fois que les elfes empoissonnées par leur propre crainte quitte à en défigurer leurs valeurs n’étaient pas ceux derrière des murs.

- Libre à toi de rester terré dans ton camp si ça te chante. Cracha-t-il  finalement au chef de la bande. Moi je ne prendrais pas le risque de voir les choses empirer. Et si on se trompe ? Qu’est-ce qu’une ennéade face à la certitude d’une œuvre en paix ?

Il ne revint pas sur les accusations de perturber volontairement la sylve. Ils savaient tous que ce n’était là que des paroles insensées et Aegden ne se donnait même pas la peine d’y prêter plus d’importance.

Des enfants turbulents. Voilà ce qu’ils étaient tous. Et qu’à moins que la vie ne les forces loin de cette phase de leur vie, c’est ce qu’ils resteraient probablement pendant quelques décennies encore. S’il y a une chose que les Ardamiris – des Cités comme de la Sylve – savent tous : c’est qu’il ne fait jamais bon répondre sur ce ton aux Lam’Nir. Ce que moins d’Ardamiris savent – bien que les rumeurs soient légion chez les habitants – c’est qu’il y a une raison à cela. Mais ça mes camarades de voyage l’apprendraient bien assez tôt.
Quand le ton était monté, je m’étais trouvé forcé de prendre quelques pas de recul pour retrouver un peu de tranquillité. Et c’est paradoxalement au milieu du groupe de chasseurs resté légèrement en arrière que je l’avais trouvée. Certes, les mains des archers étaient serrées sur leurs armes, mais aucun arc n’avait été bandé. C’est qu’ils devaient avoir l’habitude de ce genre de rencontres après tout.

- Ne vous inquiétez pas. j’avais chuchoté au groupe, qui y avait d’ailleurs trouvé un peu de réconfort J’interviendrai s’il le faut.

J’espérais malgré tout ne pas avoir à le faire. Utopiste que je suis. Mais les choses étaient mal partis. Et s’il restait tout de même l’option qu’elles n’aillent pas trop loin, la confrontation directe était inévitable. Le chef du groupe était en colère, les mots des Taledhels l’avaient poussé à bout, et on sait tous ce qu’il arrive lorsqu’un elfe avec un trident entre les mains est poussé à bout.
La réputation des prouesses martiales des guerriers Lam’Nir n’était pas usurpée. L’enchaînement avait été rapide et efficace. Ah… le pauvre guerrier Citadin n’était pas sans défenses, et cela se voyait, seulement, désarmé qu’il était, arrêter la passe d’arme s’était trouvé impossible. Le plat de la fourche du trident s’était écrasé sur sa tempe, et il avait fini au sol… la seule raison pour laquelle les pointes ne le menaçaient plus étant que l’Ornedhel devait maintenant tenir en respect sa collègue.

- Parce que nos vies ne sont pas des raisons valables peut-être ? la gorge serrée, le guerrier hurlait d’une voix rauque Chaque fois que la moindre goutte de sang est versée dans le Palais de Chêne, c’est un membre de notre clan qui est sacrifié pour maintenir la santé de l’Arbre Maître. Et dès que la forêt souffre, c’est le Souffle de l’un des nôtres qui est sacrifié pour l’en délivrer. Mais ça, vous êtes trop occupés à vos petites guéguerres pour vous en préoccuper hein ?

J’avais fini par m’asseoir. Manger debout n’étant pas des plus agréable. Et les regards curieux des chasseurs Lam’Nir s’étaient tournés vers moi. Quelques-uns d’entre eux m’avaient même souri, et accompagné au sol.

- Vous les Taledhels n’avez aucune retenue. La forêt vous tend un doigt, et vous lui arrachez le bras jusqu’à l’épaule. Vous voyez quelques pierres qui vous plaisent, et vous défigurez la Sylve pour en faire des murs. Un caillou qui brille, et vous éviscérez la terre pour extraire tout ce qui pourrait lui ressembler. Et tout ça pour quoi ? Pour quoi ? Parce que vous n’êtes même plus capables de vivre avec la forêt ! je soupirai, sachant déjà où allaient ce genre de discours, comme je savais déjà où iraient probablement les réponses Taledhelles Vous en êtes tellement déconnectés que vous ne l’entendez même plus gémir quand vous la frappez au cœur ! Et ensuite c’est à nous, à nous de payer pour ce que vous faites.

C’était généralement ce moment du discours le moment crucial. Celui où se posaient les questions de vie ou de mort. C’était le moment où galvanisés par leurs mauvais souvenirs respectifs, les deux partis se tendaient de plus belle, et le chef guerrier ne briserait pas la règle aujourd’hui. Ses appuis s’étaient faits plus bas, sa prise sur sa lance s’était raffermie, et s’il existait autre chose que les deux Taledhels à ses yeux, c’est que les Citadins avaient de la chance.

- Et maintenant que la forêt s’essaie à vous accommoder, et de vivre un peu plus fort pour ne pas se laisser tuer à petit feu, on doit se taper les discours en grandes pompes des quelques imbéciles qui parce qu’ils ne sont pas Sourds se pensent plus proches de La Mère que n’importe qui d’autre ? extraordinaire démonstration de confiance en lui, il s’était permis de baisser sa garde l’espace d’un instant pour cracher au sol La vérité, c’est que tôt ou tard vous finissez toujours par ruiner tout ce que vous touchez. Alors occupez-vous de ce qui vous concerne, et laissez ceux qui la connaissent s’occuper de la Forêt.

Tout s’était passé très vite. Aegden avait rejoint Lynn et s’était placé à ses côtés, visiblement encore plus mécontent qu’elle. Elle avait vu le vieux mage reculer, presque inquiet. Dans les yeux de celui qui semblait être le chef du groupe, elle avait vu de la rage, de la passion, et de la tristesse. C’est pourquoi Lynn eut un cran de retard. À dire vrai, elle ne s’attendait pas non plus à une attaque contre deux adversaires désarmés. Elle le vit lever son arme dans un mouvement fluide et rapide. Elle n’eut pas le temps d’essayer de l’arrêter qu’elle entendit le choc sourd du métal contre la peau.

L’elfe vit avec effroi son camarade chuter, le coup ne l’avait probablement pas assommé, mais il aurait certainement mal au crâne le lendemain. Sa main empoigna le manche de son poignard qu’elle dégaina. Elle réfléchissait à la meilleure manière de se jeter sur le Noss pour lui arracher la mâchoire, mais déjà, il pointait son arme sur elle. Il était trop imprudent de l’affronter, surtout si ses compagnons semblaient vouloir en découdre eux aussi. Même si elle parvenait à le désarmer et le mettre à terre, jamais elle ne pourrait venir à bout d’un groupe aussi nombreux. Pourtant, après avoir jeté un coup d’œil derrière lui, certains d’entre eux semblaient dans un autre monde. Était-ce un abus de confiance envers leur compagnon ? Ou seulement une impression de déjà-vu qui les poussait à se dire qu’il n’avait pas besoin d’eux ?

Le chasseur commença alors son monologue, qu’elle écouta attentivement. Son poignard levé vers lui, elle s’accroupit et détourna les yeux un instant pour vérifier qu’Aegden allait bien. Elle lui tendit le bras pour l’aider à se redresser, sans lâcher des yeux le Noss. Ses mots n’avaient aucun sens, pour elle. De quel sacrifice parlait-il donc ? Défigurer la Sylve était un bien grand mot. Les citadins prenaient soin de ne prendre que ce dont ils avaient besoin, en respectant la nature le mieux possible. Ils replantaient ce qu’ils consommaient, ils veillaient à ne creuser que les filons nécessaires pour la défendre,… bref, ils respectaient la nature. Lynn abaissa de quelques centimètres sa lame, sans pour autant baisser sa garde. Elle voulait ouvrir la discussion mais ne prendrait pas de risque inutile. Son poing se serra alors qu’elle lui répondait sur un ton de défi.

« Non, c’est faux. Nous ne prenons que ce que la Sylve nous offre, et rien de plus. Et au fond, je suis certaine que tu le sais. » Sous son masque, sa voix étouffée parvenait sans doute aux oreilles de tous, mais elle ne s’adressait qu’à lui. « Je comprends ta peine. La même hantait mon clan, autrefois. Mais nous avions tort, comme tu as tort aujourd’hui. »

Elle sentit les larmes monter à ses yeux, mais tenta de garder la tête froide. Il ne fallait pas se montrer trop émotionnelle ici, mais elle avait tant réfléchi et médité à ce sujet qu’elle ne pouvait que le prendre à cœur.

« Les Taledhels… Non, nous protégeons Anaëh des dangers de l’extérieur, et elle sait que nous ne pourrions faire face sans son aide. C’est pareil pour toi : les outils, et les armes que ton clan fabrique. Le bois qui compose ton trident, tu l'as tiré de la même terre que la pierre de nos murs. Tu en as besoin, pour ta propre survie. C’est le même principe pour nous, mais à plus grande échelle. Certes, tu utilises uniquement ce qui est déjà perdu, mais nous n'avons pas le choix, nous ne ferions pas le poids. Sans nous, sans notre combat, la Sylve n’existerait plus depuis longtemps. »

Lynn soupira en se remémorant le premier carnage qu’elle avait vécu.

« Tu as déjà vu les Drows. Tu les as peut-être déjà combattu. Tu connais le danger qu'ils représentent, et ils ne sont pas seuls. Sans nos cités et notre organisation, nous n’aurions jamais fait le poids, et ton clan aurait péri comme le mien. Arrête de penser que nous agissons par égoïsme, c’est pour que vous puissiez vivre en paix que nous tenons la frontière. »

Elle avait volontairement omis de parler de ces soi-disant sacrifices qu’il avait évoqués. Après tout, ils sacrifiaient eux aussi beaucoup pour la Sylve. N’était-il pas logique que les Noss doivent partager ce coût ?

Les Ornedhels défendant que souvent les Citadins se montraient abusifs envers la forêt.
Les Taledhels défendant que sans eux, les Clans seraient incapables de protéger la forêt.
Ornedhels et Taledhels qui s’érigeaient tous en martyres, sans jamais ni les uns ni les autres reconnaître la moindre vérité dans ce que disaient leurs vis-à-vis. En un Cycle de vie, je l’avais vu se jouer un million de fois ce scénario, et presque jamais il n’avait manqué de se répéter. Eteniril et Ardamir du temps du jeune druide Wen’Döril avaient réussi à parfois briser le cercle vicieux, à faire un pas en avant, mais jamais jusque-là l’avancée n’avait été durable. Alors non, ce n’était pas là mon rôle. Ce n’est pas pour agir en médiateur que La Très Sage m’avait choisi, mais cette fois-ci je n’avais pas pu rester silencieux.

- Il n’a pas totalement tort. contrairement à eux, mon ton n’était ni monté ni tremblant. J’avais déjà bien trop connu ces situations pour profondément m’en émouvoir Et penser que tu puisses comprendre sa peine est assez réducteur.
Ce n’est pas là le fait de tous les Citadins, loin de là, ni des citadins en tous temps. Seulement il a été des époques où les Taledhels se sont écartés de l’Œuvre, et il est encore aujourd’hui des instants où sans rappels, ils outrepasseraient – même de peu – les limites implicites imposées par la Forêt.
Quant à sa peine… combattre les Drows est une chose. Une chose que les Taledhels font sans conteste bien plus efficacement que les elfes des clans… une chose à laquelle les clans participent tout de même activement à leur échelle. Mais entre combattre les Drows, et ce que font les Lam’Nir pour préserver la quiétude d’Ardamir, il y a un monde.

J’avais cherché l’approbation de ceux qui m’entouraient pour continuer de parler. Les forces mystiques gardées par les Lam’Nir n’étaient pas des sujets dont ils aimaient parler. Pourtant, elles étaient, toutes discrètes qu’elles étaient, au cœur de la vie du Protectorat.

- Lorsque le Grand-Chêne est souillé, et que son Chant est compromis, ce sont les rituels des Lam’Nir qui permettent de le restaurer. Sauf que chacun de ces rituels leur coûte au moins une vie. Et ce n’est pas une vie perdue au combat. C’est une vie perdue pour réparer les erreurs directement commises par leurs propres Frères, dans un sacrifice qu’on ne leur reconnaît que rarement. Et quand la Sylve d’Ardamir va mal… le clan Lam’Nir est gardien d’une force. D’une force portée par l’un d’entre eux au coût de son Souffle, qui lui donne le pouvoir de libérer la Sylve de ses peines… au prix de sa propre quiétude. La Bête des Lam’Nir dévore les maux d’Anaëh jusqu’à en mourir, à quel point le clan est forcé de lui trouver un héritier qu’ils devront à son tour voir lentement rongé par des douleurs qui ne sont pas les siennes.
Ce n’est peut-être pas un combat à une aussi grande échelle que celui que vous livrez contre les Sombres, mais il est peut-être plus douloureux encore.

Les Taledhels voyaient rarement les sacrifices fait par les clans pour leur bien, trop aveuglés qu’ils étaient par leur réalité conflictuelle. Pour autant, les Ornedhels n’avaient rien à envier à leur cécité, convaincus qu’ils étaient de mieux savoir ce qui était bon ou pas pour Anaëh.

- Quant à accuser les Taledhels de ruiner tout ce qu’ils touchent… les Taledhels ont un rapport différent à la forêt. Ils la vivent moins… moins viscéralement peut-être ? à ce moment je m’étais retourné vers les Citadins, cherchant une forme de confirmation dans leurs regards Mais ils y tiennent tout autant que vous tous. La détruire n’a jamais été dans leurs intentions, et historiquement, les procès que leur ont fait les clans ont toujours été plus délétères à la santé de la Sylve que les actes des Taledhels en eux-mêmes, parce qu’ils n’ont jamais été plus éloignés de la forêt que durant les époques où les clans ont décidé de faire d’eux des exilés de cœur. Que je sache, La Mère a toujours su restaurer sans grand effort ce que les Taledhels ont exploité. Que je sache, La Dame Sauvage n’a pas choisi de faire s’effondrer toutes les Cités de pierre. Alors qui sommes-nous en tant que ses enfants pour condamner ce qu’elle n’a pas condamné, elle qui a tout pouvoir sur sa Création ?

Voyant la passe d’arme arriver, le soldat leva son bras pour la parer une seconde trop tard. L’impact l’envoya violemment à terre et il dû bien mettre quelques dizaines de secondes à reprendre ses esprits. Mais ce qui lui fait le plus de mal c’est de réaliser qu’il s’est encore trompé. A chaque fois ça recommence. A chaque fois le prétexte change mais à chaque fois les noss tirent les armes avant de reprocher toute cette violence aux citadins.

Il est en colère. Contre lui-même et contre eux. Il est triste. Il est fatigué. Lorsque Lynn lui tend son bras il l’accepte et se relève doucement. Si le druide n’était pas intervenu, son ton aurait incisif. Maintenant il est simplement empreint d’une infinie lassitude.

-Tu crois que les citadins ont choisis d’être sourds ? Tu crois que ça ne rend pas un elfe fou de savoir qu’il n’entendra jamais ? Tu crois que je n’ai pas passé ne serait-ce que les vingt dernières années, si ce n’est tout ma foutue vie à me demander pourquoi ?!

Une larme de frustration roule sur sa joue abimée. Il a essayé. Des dizaines, des centaines de fois. Il a essayé d’entendre. Il a prié, il a réfléchi, il a interrogé. Et rien, jamais. Rien que l’oppressant silence. Et la terreur qu’ils aient put avoir raison.

Il guette le moindre signe de la part de son agresseur. Il est prêt à se défendre s’il l’autre n’en démord pas mais il ne veut pas de cette violence. Il ne l’a jamais voulu.

-On apprend pas à un frère à écouter en le battant à mort. Sa mâchoire encore douloureuse se serre mais il fait un violent effort pour ne pas cracher ses paroles de nouveau. Il y a un an j’étais sur les exacts même sentiers, cherchant à protéger tant ton peuple que le mien. Ce que j’ai fait en dépit des obstacles que v…qu’on a mis sur notre passage. Et ce que je referais encore et encore. J’ai essayé d’écouter. Je suis allé jusqu’à trahir mes promesses envers mes propres frères pour écouter. Et en échange...Ce sont des souvenir douloureux. Les exhumer lui garantira probablement de longues nuits supplémentaires de cauchemars, pourtant il continue. En échange des cris, la douleur et la folie. Trois chevaux mort, deux ardamiris mort, si ce n’est plus, un de mes camarades fou furieux et les trois autres marqués pour le restant de leurs jours . Pour quoi ? Rien ! Des paroles creuses. Du vide. Des énigmes qui ne faisaient et ne font aucun sens. Une dissonance, un ramassis de souffrance, créé par l’une des votre. Une qui si j’en crois les légendes est censé protéger l’œuvre et pas la souiller. Une qui se cachait derrière la Mère pour torturer des innocents.

Un instant son regard se pose sur le druide tranquillement assis. Aegden le regarde une demie seconde avant de se focaliser de nouveau sur le noss dans une posture que le lancier ne connait que trop bien. Il est prêt à frapper pour de bon cette fois. Le soldat est toujours tendu, il a peur non pas pour sa vie mais pour celle de sa camarade. Dans quoi l’a-t-il entrainé ? Si le noss bondit il compte bien s’interposer coute que coute.

-Si tu veux jouer à qui à payé le plus le prix du sang, on y est encore jusqu’à demain. Ton clan a souffert ? Moi j’ai vu je ne sais combien d’elfe, des amis, de la famille, payer de leur vie leur abnégation sous les flammes et les lames des drows. J’ai vu des familles s’écrouler parce qu’un de ses membres aura choisi de donner sa vie pour Anaëh sans le moindre regret. Est-ce que leur sacrifice est plus important que ceux des tient ? Non. Et l’inverse n’est pas plus vrai. Il est différent. Mais une vie en vaut une autre. A nouveau il jette un nouveau bref regard au druide qui a pris la peine d’au moins un peu clarifier les hurlements du guerrier. Je refuse d’admettre que les Talehdels sont une nuisance constante. Tant que tu ne m’auras pas prouvé tes paroles, je ne te croirais pas. Tant que tu ne m’auras pas donné une preuve tangible du mal que j’ai pu faire. Non je ne ferais pas demi-tour. Non je n’accepterais pas de penser que j’ai abimé ce que je protège. Parce que ce. n’est. pas.vrai.

Le problème était toujours là. Les noss hurlaient, les noss frappaient, tuaient. Mais jamais ils n’expliquaient. Jamais ils ne prenaient la peine de s’ouvrir. Jamais ils ne sortaient de leur position d’agresseur pour prendre celle du sage qu’ils auraient dû être.

-Comment veut tu que nous Taledhels prêtions confiance à la moindre de vos paroles quand vous forgez cette confiance dans le sang et les larmes ? Comment veut tu qu’on comprenne quoi que ce soit à vos énigme si la moindre réponse se solde par la violence ? Oui on est peut-être pas aussi proche que vous de la Mère, mais on fait avec ce qu’on as et je peut te présenter des dizaines de citadins qui ont autant l’œuvre à coeur que vous.

Beaucoup de mots pour ne rien dire. Des accusations sans prise de recul. Des comptes à régler. Ni plus ni moins. Pas d’envie de dialogue, juste celle de faire payer ceux qui se trouvaient devant eux pour les torts causés par d’autres. Comme à leur habitude à tous. J’avais outrepassé mon rôle en intervenant, et La Très Sage me l’avait rappelé par l’inutilité de mes mots. Un guide, un conseiller peut-être, mais pas un médiateur. Je n’avais plus rien à faire ici.
Alors je m’étais levé, et j’étais parti sans dire mot, alors qu’un chef chasseur au comble de l’agacement tremblait, lance en main, son corps entier vigoureusement secoué par la colère. Et c’était une elfe, l’une des Lam’Nir qui – probablement comprenant que j’étais impuissant – avait semblé reprendre le rôle que je m’étais attribué.

Trop proche de craquer pour se permettre de garder son arme en main, le chef chasseur ficha les dents de sa lance dans le sol, pour péniblement se tenir debout, les mains tremblantes et le regard mauvais, face aux Taledhels. Et c’est cette femme au regard sévère qui à sa place avait pris la parole.

- Vos guerriers ne sont pas différents des nôtres. elle annonce d’une voix grave Ils font un Choix de vie.

En arc de cercle autour des quatre elfes, les autres chasseurs s’étaient rapprochés. Une interdiction aux quatre de fuir cette inutile discussion, et l’occasion pour moi de faire ma presque fuite sans avoir à m’inquiéter d’être poursuivi.

- Et même s’ils étaient forcés de le faire, pour un guerrier, la survie est au moins une option. Mais ceux que l’on doit sacrifier n’ont pas le Choix. La Bête, elle choisit elle-même ses hôtes, et ses hôtes choisissent les sacrifiés. Mais ça, elle pointe un doigt accusateur en direction du roux ça tu t’en fiches, parce que c’est moins important que ce que t’a infligé une druidesse à tes yeux. Le fait qu’on sacrifie les nôtres autant pour vous que pour le reste de l’Œuvre, tu t’en fiches, parce que c’est moins important que ce que vous, vous faites à tes yeux. elle roule des yeux, prête à couper la moindre intervention qui viendrait l’interrompre Et non, pour tout ce que tu as pu et que tu pourras dire, Je refuse à mon tour de croire que nos sacrifices t’importent, quand toute ta pensée est dégoûtante d’égoïsme.
« Tu crois que je n’ai pas passé les vingt dernières années à me demander pourquoi ? »
« Je cherchais à protéger tant ton peuple que le mien. »
« J’ai essayé d’écouter. »
« Je refuse d’admettre. »
« Donne-moi une preuve à moi. »
« Du mal que j’ai pu faire. »
Devine quoi ? Tu n’es pas le centre de notre monde. Et encore moins de celui de La Mère. Tu n’as peut-être pas fait de mal, mais tu n’es pas le seul Taledhel qui marche sur cette terre, et malheureusement, il y en a eu assez de prêts à faire du mal à l’Œuvre pour qu’on en arrive là. Votre Roi d’il y a deux mille ans n’avait aucun respect pour la Création. Il a scarifié la forêt au nom de ce que vous appelez « science ». Et malheureusement pour nous tous, vous portez encore son héritage. Vous commettez encore parfois des actes irraisonnés. Mais qu’un Ornedhel ose vous dire que vous allez trop loin son ton finit par s’emporter, et à son tour elle se met à hurler et vous défendrez vos pommes pourries coûte que coûte, en invoquant l’intégrité des autres. Et vous laissez les autres pourrir au contact du miasme. Et c’est ensuite nous qui mourrons. Tout ça parce que protéger votre égo est plus important pour vous que protéger l’Œuvre ! Et ensuite, vous vous étonnez qu’on préfère vous tuer que de voir les nôtres mourir !
Vos tours d’ivoire vous ont rendus froids. Vous n’en avez plus rien à faire de ceux qui ne marchent pas avec vous. Vous nous traitez comme inférieurs. Mourir de la main des Drows est une chose. Être tué par la négligence de celui qui se dit un Frère en est une autre.
Mais tu sais ce qui est mieux ? Ne pas mourir. Et pour ça, on n’a malheureusement plus d’autre choix que de tuer.

Lynn sentit ses oreilles s’abaisser en entendant les paroles du vieil elfe. Quel rôle jouait ces Lam’Nir dont il parlait, exactement ? À l’entendre, les Noss face à elle en faisait donc certainement partie. Et selon ses dires, les citadins étaient à l’origine de nombre de leurs maux.

Elle n’avait jamais entendu parler de ça. Qui donc aurait pu deviner que des vies étaient perdues à cause des actes des citadins ? Allaient-ils vraiment trop loin dans certains de leurs travaux ? Oui, c’était évident, maintenant qu’elle y pensait. Après tout, tous n’étaient pas aussi soigneux avec la Sylve qu’elle le pensait. Elle se souvenait de son sentiment lorsqu’elle avait rejoint la capitale, des siècles auparavant. Ce sentiment de dégoût profond, de penser qu’elle souillait son passé rien qu’en pénétrant entre ses murs. Et puis, finalement, elle s’y était faite. Elle avait compris, jour après jour, à force de discussions et de méditation, la nécessité de cet endroit. Mais ils n’avaient pu y arriver sans provoquer de vraies douleurs à la forêt, c’était impossible.

Et puis, Aegden parla de nouveau, et un frisson la parcouru. Qu’avait-il donc vécu pour tenir un discours pareil ? Elle retiendrait ses mots, et serait présente lorsqu’il en aurait besoin. Elle osa poser une main réconfortante sur son épaule, tandis qu’une nouvelle interlocutrice s’avançait, toute aussi véhémente que son compagnon. Ce contact lui était inhabituel, elle n’était pas d’ordinaire très tactile. Toutefois, elle ressentait son besoin de réconfort. Sinieth saurait quoi faire, elle. Lynn sentit la futilité de son geste mais ne se démena pas, écoutant en silence la plainte de la nouvelle. Elle observa les mouvements d’encerclement du groupe, et une seule chose lui vint en tête : s’ils ne trouvaient pas un moyen de calmer le jeu, ils ne sortiraient pas vivants de cet affrontement. Et ça, il n’en était pas question.

Lentement, elle baisse les yeux et sa lame, avant de la laisser tomber. Elle plante son regard dans les yeux de celle qui a parlé et s’en approche lentement. À peine un mètre les sépare lorsque Lynn s’arrête. Elle touche sa poitrine du bout des doigts, et sent une larme venir imprégner son masque.

« L’ignorance n’est pas une excuse aux actes de nos frères, mais je pense que personne n’en savait rien. Nous ne connaissons pas vos rituels, ni ce que nos actions vous coûtent. Mais aujourd’hui, d’après vos dires, nous avons tous des choses à nous reprocher. »

Elle soupire et regarde l’assemblée. Elle se demande si elle faisait le bon choix. Peut-être valait-il mieux laisser Aegden parler ? Non, dans l’état où il était, rien ne serait résolu si elle ne prenait pas les devants.

« J’aimerai pouvoir m’excuser au nom de nous tous, mais ce n’est ni mon rôle, ni ma mission. Cela fait 18 années maintenant que la plupart des citadins entendent de nouveau la Symphonie, et que nous essayons de nous rapprocher de la nature. Il est temps pour nous tous d’arrêter cette folie et de nous battre entre nous, ça n’a que trop duré. »

Elle pose de nouveau ses yeux sur son interlocutrice, après avoir jeté un bref coup d’œil au vieux Noss en retrait.

« Apaise tes craintes, nous n’avons pas l’intention de blesser la Sylve. Comme l’a dit notre ami commun, nous sommes tous ses enfants. Essayons de nous comprendre, pour le bien de notre mère. Kÿria en serait ravie. »

-Tu ne m’as pas écouté.

Aegden soupira, loin de renchérir sur le même ton que l’Ornedhel. Oh s’eut été facile d’hurler encore et encore. De lui reprocher sa bêtise et sa surdité. Mais à quoi bon ? Le soldat en avait assez. Les oreilles tombantes et la mine profondément abattue, il semblait presque déçu par cette nouvelle réaction.

Au moins Lynn faisait un dernier effort…

-Tu entendu de l’égoïsme dans mes paroles alors que tout ce que je te dis, c’est qu’à défaut de comprendre, je reconnais vos actes et vos sacrifices. Parce que non je ne les comprends pas et contrairement à ce que tu as l’air de penser je ne suis ni assez mesquin ni assez arrogant pour me penser au-dessus de n’importe quel elfe et savoir ce qu’ils ressentent. Je ne peux pas savoir ce que tu ressens parce que je ne suis pas toi.

Il secoua la tête. Le simple fait qu’ils soient autant persuadé des torts qu’ils hurlaient depuis de longues minutes à leur visage était d’une tristesse aberrante.

Pas plus que Lynn je n’ai l’autorité ou la morale de parler pour l’ensemble des Taledhels, je ne suis effectivement pas le centre du monde. Je ne suis même pas grand chose dans ce monde. Alors oui je parle en mon nom et seulement en mon nom. Je suis navré pour ce que certains on put faire et si je peux éviter qu’un nouveau drame se produise alors j’aiderais sans hésiter. Je ne me bats pas pour les Taledhels. Je me bats pour Anaëh.

Il était sincère et s’ils faisaient l’effort de mettre leur haine de côté, les noss s’en rendraient compte aisément. Aegden était en colère et il avait peur, mais il n’était pas sans cœur bien au contraire.

Tu veux que je laisse mon égo de côté ? Aegden ouvrit les bras, s’il avait eu sa lance, il l’aurait lâché net. Oui les Taledhels sont parfois irraisonnés, parfois à l’excès. Je le suis. J’ai peur. Je suis terrifié à l’idée de mettre ou laisser la prime œuvre en danger. Je suis terrifié à l’idée de provoquer la mort de n’importe quel elfe par erreur. ET Oui, sourd qu’on est, éloigné de nos racines qu'on est, citadins, on a besoin de vous.

Le soldat fait un violent effort pour ne pas ajouter qu’ils ont aussi besoin d’eux. Ses bras reprenant leur place naturelle, le citadin avait l’air de peser ses mots. C’était loin d’être un exercice facile, agacé et frustré qu’il était de reconnaitre certaines choses alors que les ornedhels ne faisaient pas mine d’essayer une seule seconde de se mettre à leur place. Aegden en avait marre de toujours être celui qui faisait un pas vers l’autre. Pourtant il recommençait encore. Encore et encore, comme si un jour les fichus elfes des bois comprenaient qu’ils n’étaient pas une aberration.

-Mais aucun citadin ne comprendra vos intentions par les armes. Personne ne voudra reconnaitre quoi que ce soit par la violence. A par créer un cycle infernal ça ne fera rien. Non Aegden ne pourrait jamais cautionner le meurtre d'anedhel. Alors s’il vous plait,Aegden inclina la tête et haussa ses mains. Posez-les et expliquez-nous ce qu’on risque à aller vers la source de l’Elorëa. Que cette soirée serve à tous.

Un regard vers le premier qui s’était exprimé, un silence passa avant qu’il ne fixe de nouveau sa compagne, renonçant visiblement à une remarque qui n’aurait pas arrangé la situation. Il a fait un énième pas en avant. A eux de s’en servir maintenant.

- Vous risquez d’essayer de réparer ce qui n’a pas besoin de l’être, et ça, ça n’amène jamais rien de bon.

Les dents de sa lance plantées dans le sol, et par-delà l’énervement, prenant un ton résigné, le chef chasseur reprend la parole. Un regard triste, déçu par ce qu’il est persuadé savoir être son futur est partagé avec sa Sœur. Un soupir général traverse sa suite. Combien de fois les Taledhels avaient-ils été prévenus ? Combien de fois les Taledhels avaient-ils été conseillés ? Et combien de fois avaient-ils choisi de tout ignorer pour n’en faire qu’à leur tête ?

- La forêt va bien. Le fleuve va bien. Si ce n’était pas le cas, La Bête le saurait, et on serait les premiers à réagir. C’est le plus grand devoir de notre clan. la demoiselle serre les mâchoires Alors s’il vous plaît, ne faites rien d’inconsidéré.

Un archer s’avance, venant offrir une main réconfortante au dos de son chef et un regard sévère aux Citadins.

- Si vous voulez tout savoir, c’est exactement comme ça que les Citadins finissent par mourir. la chose avait déjà été dite, mais une fois de plus ne lui semblait pas de trop Dire « qu’aucun citadin ne comprendra nos intentions par les armes » est bien facile. Mais après tout ça il ouvre les bras, désignant la scène venant de se jouer il faudrait que vous finissiez par comprendre que tuer ne nous amuse pas. Mais quel autre choix est-ce qu’on a ?

- La peur est la seule chose qui suffise encore à vous dissuader.

- Les Taledhels n’écoutent jamais.

- Même lorsque nous faisons des efforts.

- Même quand on essaie de trouver un compromis.

- Et ensuite ils font comme vous. Ils justifient leur comportement en appelant nos paroles des « énigmes. » Sauf que s’ils acceptaient vraiment d’écouter, et d’entendre ce qu’on a à dire, ils se rendraient peut-être compte qu’elles ne sont pas si difficiles à décoder, nos « énigmes ».

Lynn soupira. La discussion tournait en rond. Personne ne cherchait de solutions, et les Nöss semblaient vouloir ignorer les propositions des citadins. Les deux partis étaient sourds aux accusations de l’autre, et ainsi, le dialogue s’éternisa, parfois les poings serrés, et des larmes coulèrent sur certaines joues. Toutefois, aucun coup ne fut échangé, et c’était peut-être la première étape en avant. Après tout, un échange si violent aurait pu très mal se terminer pour Lynn et son commandant.

Ainsi, quelques temps après, le groupe de Lam’Nir leur fit un signe peu courtois avant de repartir, le vieux Nöss avec eux. La menace pesait lourd sur leurs dernières paroles. Lynn et Aegden n’avaient pas d’autres choix, ils devraient rentrer chez eux.

Ils s’assirent tous deux côte-à-côte près du feu, pestant silencieusement contre ces elfes sauvages insensés. Le repas fut âpre, Lynn garda un goût détestable dans la bouche tout le long, et la bonne viande séchée n’y changea rien. Quel gâchis, vraiment.

Le lendemain matin, et après une nuit peu reposante, les deux compagnons rebroussèrent chemin en longeant le fleuve. Ils n’échangèrent plus sur le sujet de la discussion de la veille. Ni l’une ni l’autre n’avaient envie d’en parler. Ils discutèrent de banalités, de leur travail à Ardamir et du succès de leur mission. Ils pourraient bientôt repartir à la capitale et retrouver leurs foyers respectifs.

La Symphonie pleurait toujours silencieusement. Elle ne semblait pas complètement réparée. Les jours suivants, elle se tairait finalement, et l’incident serait en effet résolu. Les soldats d’Alëandir repartiraient, sous le regard fatigué d’un vieux Nöss déçu.

[N.B. : Après un accord entre les joueurs, ce RP prend fin brutalement, mais il n’y avait pas d’autre solution.]