Magellan et son tour du monde ; Lysandre et son tour du Nord | Magnus

Arkuisa 50 Karfias de l'An XVIII du Onzième Cycle
Arétria-la-Ville, Comté d'Arétria, Royaume de Péninsule.

Et l'aventure se poursuivait à l'autre portion du Nord. Sainte-Berthilde, le Marquisat de tous les déments, et ses vassaux tous aussi étranges, parfois épatants, les uns que les autres. Ce n'est pas ce voyage en Arétria qui contredirait le gouverneur. Les bourgades empestaient la crasse et la pisse, les routes étaient dans un état indigne des Wandres elles-mêmes, et, pour couronner le tout, voilà que l'on pouvait pas faire cinq pas sans croiser la carcasse d'une personne brûlée empalée sur une pique. La barbarie régnait comme si la civilisation n'avait jamais atteint ces terres. C'est à se demander si Néera elle-même avait abandonné tout espoir d'apporter la lumière à ceux qui daignaient vivre ici. Et dire qu'à une époque, un intendant royal était d'ici. Le monde change plus vite qu'il veut bien le laisser croire.

Arrivé à Arétria-la-Ville, Lysandre se dit que le déplacement en avait valu la peine. La prochaine fois, il s'abstiendra volontiers de voyager jusqu'ici, en souhaitant bien du courage à celui qu'il nommera pour cette peine. Aux portes de la cité, il mit pied à terre, jetant un œil sur son escorte dont les visages grimaçaient de dégoût, voire d'horreur. Lysandre en avait bien trop vu et vécu, des horreurs, pour ressentir la moindre nausée. Mais il n'en pensait pas moins. Vêtu de ses vêtements de factures diantraises, le gouverneur d'Olysséa était comme un animal de foire exotique. Ces bestioles à qui on a envie d'envoyer des cailloux pour savoir comment elles réagissent car on ne les a jamais vu et on n'en a jamais entendu parler. Son épée et son escorte repousseront les moins audacieux, pour sûr, mais cette ville ressemblait plus à repaire de pirates qu'à la capitale d'un Comté. Dans tout ce clapier, Lysandre finit par rejoindre le château comtal, car, après tout, il était venu rencontrer le Comte d'Arétria.

Lysandre entra seul dans le château, congédiant son escorte pour l'instant, même s'il se demandait si c'était une bonne décision. Il était trop tard pour se rétracter, maintenant. Le gouverneur olysséen s'avança dans les couloirs du château, suivant le garde comtal jusqu'à cette salle où le recevrait le Comte. Lorsqu'il avait demandé des descriptions du comte d'Arétria à ses conseillers, Lysandre avait du faire face à quelques divergences. Arétria et Olysséa n'entretenaient pas nécessairement de quelconques relations… De fait, il ne savait pas à quoi s'attendre précisément. Le gouverneur plissa les yeux, comme s'il essayait de deviner qui était le comte parmi les personnes présentes.

« Je suis Lysandre Caervollen, Gouverneur royal d'Olysséa. » se présenta-t-il d'un ton peut-être un peu trop grave. Il se racla la gorge pour faire comme si sa voix l'avait trahi, avant de passer la langue sur les lèvres. « Pourrais-je m'adresser au Comte d'Arétria ? » demanda-t-il, signifiant clairement qu'il ne savait pas à qui faire affaire.

6ème ennéade du mois de Barkios. Voilà, bientôt presque un mois et demi que Magnus s’était doucement remis des effets de l’épidémie de Pneumonie. Il n’était pas encore remis loin de là. Il avait encore des vestiges de cette maudite maladie qui avait fait tant de ravages parmi la population Arétanne dont Magnus. Il avait repris les conseils restreint, les tâches administratives du comté. Il ne sortait pas encore. Il avait encore des difficultés à rester trop longtemps debout et l’air frais du printemps n’allait pas arranger les choses.

Il était donc coincé à la Citadelle d’Arétria-la-Ville. Il devait se remettre avant que les guérisseurs ne l’autorisent à partir en vadrouille. Il devait d’ailleurs se rendre à Lün où le ménage avait été fait des ordures de Radbod de Ruy-en-Vierges, cette nouvelle lui avait fait un bien fou. C’était peut être aussi pour ça qu’il avait survécu … outre son hygiène de vie. Il avait envie de continuer son combat, il avait envie de rendre Arétria meilleure. La corruption était son premier projet, ensuite … eh bien, cela allait être l’économie. Mais chaque chose en son temps. Pour l’heure, il était question des morts de l’épidémie dans le Nord d’Arétria et de la recrudescence du banditisme. Chaque hiver, il y avait un peu plus de pauvres hères qui se faisaient corrompre par cette voie. Mais lors du dernier hiver, cela avait été pire.

Le conseil restreint dura deux heures. Deux longues heures à discuter sur le banditisme et les solutions. Magnus était littéralement avachi sur son trône attablé à la large table en chêne. Il avait une mine de déterré … il se sentait encore malade même si celle-ci l’avait quittée en partie. Il en avait plus que marre de cet exposé. Oui, les bandits étaient méchants, oui, les bandits doivent être éradiqués … mais il fallait un exposé de deux heures pour ça ?

Ce qui le sauva c’était l’arrivée impromptu de celui qui se disait être le Gouverneur Royal d’Olysséa… Quoi ?! Il se releva presque aussitôt de son siège et observa les membres qui se trouvaient autour de la table aussi stupéfiaient que leur comte. Bon sang ? On l’avait prévenu de cette visite ? Il avait reçu une missive ? Bordel ! Ça allait encore finir avec le Prademont ? Il tapa dans ses mains.

« Sortez. Q’ramène de qu’désaltérer l’Gouverneur ! »

Dit-il au serviteur qui était durant la réunion et qui partit à sa besogne. Magnus observa alors l’émissaire royal … bordel, c’était comme avoir le gamin ici. Il aurait au moins pu prévenir, merde ! Il attendit que tout ceux qui faisaient parti de la réunion s’en aillent puis lorsque les portes se fermèrent laissant un vague silence entre les deux nobles, Magnus reprit.

« J’suis l’comte d’Arétria. Seigneur Magnus d’Terresang. Qu’me vaux l’plaisir d’vot’ visite, m’ssire ? »

Outch. Les choses se compliquaient déjà, alors qu'elles n'avaient même pas commencé. Enfin… les a priori étaient déjà nombreux dans l'esprit de Lysandre, mais il ne pensait pas rencontrer en personne l'archétype parfait des clichés que les diantrais avaient à l'égard des nordiens. Cela l'amusait presque, mais si le déchiffrage de ses paroles finirait par devenir compliqué. Ce n'était pas ce à quoi il était habitué, ni à Diantra, ni à Apreplaine, ni à Olysséa. Et, faute de clarté politique en Arétria, allez demander à quelqu'un de vous décrire correctement son Comte alors qu'il changeait tous les trois mois.

Le gouverneur accepta d'un sourire léger le verre de vin que lui avait donné le serviteur, senti la boisson et agita son verre de sorte d'examiner la robe. Cela laissa le temps aux autres personnes de quitter la salle. Il y avait peu de chance que cela soit un grand cru, mais peu importait : Arétria n'était pas célèbre pour ses vignobles. Une fois seul à seul avec Magnus, Lysandre s'approcha de lui en buvant une gorgée (aucun commentaire sur le goût), et posa le verre sur la table. Il resta debout, son fessier étant bien trop endommagée par ce long périple.

« Dans les grandes lignes ? J'ai été nommé par mandat royal Gouverneur d'Olysséa, et je me suis donc confié la tâche de rencontrer ceux que j'appellerai cordialement “mes voisins”. » répondit Lysandre en écartant les mains d'un air démonstratif. « Comme vous êtes nombreux, je voulais éviter de perdre temps et messagers pour des lettres sans queue ni tête. »

Oësgard, Alonna, Etherna, Odélian, Arétria, Serramire, Sainte-Berthilde, sans compter les voisins du Médian, avec Hautval, Erac et Ancénis, et les tous les modestes seigneurs d'ici et là. Cela commençait à faire beaucoup de monde. Avec le risque de perdre les messagers en cours de route à cause de bandits ou de gobelins. Cela serait effectivement une perte incroyable de temps pour moins qu'un seul et unique déplacement par mois. Et, le temps est de l'argent, certes, mais pas que.

« Je colporte moi-même la nouvelle, dirons-nous. » ajouta-t-il en étirant un demi-sourire. Ce n'était pas si loin de la réalité, finalement. « Cela me permet de savoir à qui j'aurai affaire à l'avenir, donc de m'éviter de mauvaises surprises. »

Autrement dit celles des pals sur les routes, elles-même dans un état pitoyable pour commencer. Celle du Comte au problème de diction était vraisemblablement quelque chose de moins rare pour que Lysandre le relève comme “une mauvaise surprise”. De toute façon, il serait bien forcé de faire avec, en ayant plus qu'à espérer que ce ne soit pas trop contagieux.

« Pour une fois que la Péninsule semble connaître un semblant de paix et d'unité, j'imagine que c'est une meilleure base pour espérer prospérer. » Il n'avait sans doute pas besoin d'explications supplémentaires, d'autant plus que Magnus était probablement mieux placé pour savoir comment le Nord avait été agité par les guerres… comme tout le monde finalement. Lysandre reprit une gorgée de vin. « Je crois que nous avons tous autre chose à faire que mener des guerres. »

Magnus avait une royale personne dans sa demeure. ‘fin, ce n’était pas le Roi en personne mais c’était tout comme. C’était son représentant dans les terres Olyséennes. Et il était chez lui. Bon sang, si cela se passait bien, de nombreuses portes pourraient s’ouvrir à lui… il fallait donc se la jouer fine. Pas ce la jouer à la Prademont. Pas non plus se la jouer en faux cul seigneurial. Il détestait ça. Etre faux dans les paroles n’était pas le genre de la maison, loin de là. Mais il fallait mettre de côté son égo Malelandois.

Et puis quoi encore ? Il était chez lui. Il n’allait pas baisser ses braies devant le premier cul royal qui allait venir ici. Il avait certes un soutien royal mais c’était pas Bohémond en personne.

Cela faisait bizarre à Magnus. Depuis quand les terres Arétannes n’avaient pas eu une telle visite ? Une visite d’un émissaire royal, bien sûr. Les péquenauds et les petits seigneurs étaient habitués à ses mauvaises routes … mais si l’entraide Péninsulaire était de mise, ça se saurait. La paix, comme l’énonçait si bien le gouverneur, allait peut être changer cela. Cela allait peut être faire avancer les choses. Il n’y aurait pas de raison qu’une guerre se déclare de nouveau alors que les Humains se remettaient doucement de ces dernières années merdiques.

Magnus se tourna vers les portes qui s’ouvrirent sur la personne de deux serviteurs qui amenèrent une cruche en terre cuite et ses coupes mais aussi une écuelle avec deux quignons de pain, du fromage et deux oignons. Ces derniers posèrent leur fardeau sur la table, le porteur de nourriture partit tandis que l’échanson versa du vin dans chaque coupe en terre cuite et les tendit à chaque seigneur puis partit aussi sec tandis que la salle du trône se referma presque aussitôt par les gardes.

Le seigneur Malelandois leva alors son verre avec un petit sourire malgré sa mine fatiguée.

« A l’santé d’la paix n’velle en Péninsule alors. »

Il but alors à sa coupe, c’est vrai que le vin n’était pas fameux mais les dépenses actuelles n’allaient pas à l’importation de vin de qualité. Il valait mieux éviter sinon on risquait de bouffer des pierres durant quelques mois.

Magnus observa alors le nouveau seigneur-régent de Olyséea, de bonne carrure. Il n’était ni pâle, ni bronzé … il n’était pas du Nord et pas du Sud… du Médian alors. Un Diantrais ? Hm… un gars de la capitale ? Cela ne pouvait pas être si mal, une personne neutre pour une terre aussi meurtrie qu’elle. Il fit tourner son breuvage dans sa coupelle et reprit :

« Qu’sont v’projets p’remett’ à flots Olysséa ? »

Le gouverneur imita Magnus et leva son verre avec un petit sourire. “La paix nouvelle” en Péninsule était souvent un doux rêve, rien de plus. Aujourd'hui, ce rêve reposait sur les épaules d'un jeune garçon entouré par les serpents. Lysandre n'avait plus qu'à espérer que cette fois-ci serait la bonne. Personnellement, il en avait assez de toutes ces guerres. Et, actuellement, aucune région ne pourrait soutenir un nouvel effort de guerre sans plonger dans la disette et la récession. Arétria en paraissait encore plus loin que les autres.

Des projets pour remettre à flots Olysséa, Lysandre en avait. Tout le monde en avait pour leurs terres respectives, mais certains projets nécessitaient l'intervention des autres, et vice versa. Pour Olysséa, ce serait plus facile que pour d'autres vue sa position géographique, mais les autres pourraient en profiter tout en étant profitable. Arétria était plus loin, certes. Et alors ? Le Nord avait des ressources, bien plus qu'un suderon ne pourrait l'imaginer. Tout le monde pensait à leur armée, à juste titre cela allait sans dire, mais le gouverneur voyait les choses autrement. La nourriture, les métaux, voire la pêche. Arétria avait forcément quelque chose qui pourrait l'intéresser, non ?

« Olysséa est une terre de commerce, je compte bien ne pas lui retirer cela et continuer à le faire fleurir. » répondit le gouverneur avant de boire une nouvelle gorgée de vin. « J'ai probablement des ressources que d'autres non pas, et les autres ont probablement des ressources que je n'ai pas. »

Bien entendu, quand Lysandre parlait de “ressource”, il ne parlait pas des objets pourris et bas-de-gamme que n'importe qui pourrait fabriquer. Quand on désire une épée, on fait en sorte d'aller chez le meilleur forgeron. Dans ce cas là, c'était pareil. S'il voulait du bois, s'il voulait du poisson, s'il voulait des bijoux, s'il voulait du tissu, il voulait le meilleur. Et donnerait, en échange, ce qu'il a de meilleur également. Ce n'est pas comme s'il n'avait rien, en Olysséa.

« Mais, je vois les choses à grande échelle. Il serait temps de tourner les armes du Royaume vers d'autres horizons. Je n'ai pas plus peur des nordiens ou des suderons que les dangers, hors de nos frontières, qui guettent et s'approchent. » ajouta Lysandre. Tout Nordien qu'il était, Magnus devait certainement comprendre de qui il parlait… au moins l'un d'entre eux. Si les nains s'avéraient être des alliés, cela pouvait également faire un danger de moins. « Le commerce ne peut suffire, à lui seul, à la prospérité du Royaume. Il faut également voir les choses politiquement, diplomatiquement et militairement. » Le gouverneur avala une nouvelle fois une gorgée de son vin en souriant. « Bien entendu, cela prend du temps, et me coûte d'interminables voyages. Mais bon, il faut bien faire ce qu'il faut. »

Magnus aimait la façon de penser du nouveau gouverneur royal. Il avait raison sur le fait que la Péninsule ne devait plus se battre contre elle-même mais bien penser à plus grande échelle. Les seigneurs Péninsulaires devaient penser à ce qui pourrait arriver aux frontières, Magnus était en première ligne avec les Wandres. Il y avait souvent des raids de sauvageons en Arétria. Le Malelandois avait eu son baptême de feu, il avait eu la joie de verser le sang en contrant un raid de Wandrais. Il avait tué des sauvages pour sa première fois.

Le nouveau seigneur-régent de Olysséa avait-il en tête d’unir la Péninsule pour pacifier les Wandres ? Cela serait une bien mauvaise idée. Le Dragon Vert avait établi son nid là bas. Son idiot de cousin avait voulu jouer les héros avec d’autres crétins sans équipement et organisation adéquats … ces idiots s’étaient fait bouffer comme des amuses-gueules… peut être que si la Péninsule s’unissait, ce problème n’en serait plus un tout comme le Bleu qui se trouvait au large de Nelen. Était-ce cela que Lysandre parlait ? Etait-ce ce genre d’ennemis ? Ou alors parlait-il des Drows ? Cette menace noirelfique qui planait quasi toujours depuis la guerre d’Amblère qui avait causé la mort d’Alwin de Karlsburg. Magnus y avait participé et en était ressorti avec des cicatrices mais là n’était pas la question.
La Péninsule avait tant d’ennemis, externes ou intérieurs qu’on ne savait jamais de qui on causait … fort heureusement, une paix s’était installée et il était temps que chaque seigneur aide à sa consolidation, c’était d’ailleurs ce que faisait notre cher émissaire royal et cela plaisait au Malelandois.

Magnus soutint alors le regard du gouverneur d’Olysséa et avec un sourire a peine masqué, il but à sa coupelle avant de reprendre :

« Et en quoi m’comté pourrait v’aider, Gouv’neur ? Arétria a s’bit d’plein fouet l’hiver qu’est venu ‘vec u’d’ses bonnes amies… la maladie. »

L’hiver avait était rude dans les terres Arétannes. Il avait causé son lot d’orphelins et ce n’était pas qu’à cause de l’épidémie ou des températures. Non, c’était également à cause des bandits et des reîtres qui n’avaient pas été payés par les plus petits seigneurs de la Malelande.

« Néanmoins … n’avons d’hommes. D’soldats qu’s’ennuient p’manque d’combats autre que cont’ d’la gueusaille … n’avons également d’grands projets p’Arétria sitôt qu’la situation s’ra fav’rable à l’réalisation. Qu’puis-je p’vous, Gouv’neur Caervollen ? »

Ainsi donc c'était vrai ? Arétria avait donc été frappée par l'épidémie, ce n'était pas une information fausse ? Lysandre se frotta la barbe d'un air pensif. Comment était-ce possible que cela ne se soit pas répandue au Marquisat de Sainte-Berthilde ou au Duché de Serramire ? Du moins, il n'en avait pas entendu parler, et, de toute façon, Olysséa, comme tout le Nord, aurait pu connaître ne serait-ce que quelques cas. Mais, concernant sa terre, le gouverneur était certain ne pas avoir entendu parler de cas de pneumonie. Pas même à Kahark, la ville la plus proche de Sainte-Berthilde.

Cela rendrait les négociations difficiles. Très logiquement, Arétria n'était pas dans un bon état économique. Entre l'épidémie, l'état des routes, et la disette dont plusieurs rumeurs parlaient (et qui étaient probablement une réalité), Lysandre ne pouvait espérer grand chose d'une terre économiquement en crise. Il ne voudrait pas piller le peu d'argent qui leur servirait mieux à affronter leurs crises, et il ne pouvait pas plus leur faire don de certaines ressources sans être sur d'en revoir la contrepartie financière ou en nature. Pas à court terme, à tout le moins. Cela laissa le gouverneur pensif un moment, et surtout silencieux. Il termina son verre de vin en dessinant une moue dubitative de ses lèvres.

« Il faut bien s'en débarrasser, de cette “gueusaille”, comme vous dites. J'imagine que c'est eux qui garnissent les routes du Comté. » en déduisit Lysandre, qui comprenait un peu mieux la présence des pals sur les routes. Ne pouvait-il pas se contenter de les exécuter et brûler les cadavres, tout simplement ? Qu'est-ce que c'était que cette manière de se montrer plus barbare que ne l'étaient des bandes de bandits ? « Vos projets concorderont peut-être avec les miens. »

Lysandre supposait, probablement à raison, que Magnus voyait les choses à long terme. Un Comte ne pouvait avoir quelques défauts, mais pas celui de la stupidité. Certes, il devait se concentrer sur ce qu'il se passait aujourd'hui, mais une fois la crise passée, il devrait bien se projeter. C'était une bonne chose, si ses projets passaient par d'autres choses que les guerres et les pillages… ou du moins contre leurs semblables. Quitte à vouloir des guerres, autant les diriger contre les véritables ennemis du Royaume. Mais, le Royaume n'y était pas encore apprêté. Tant mieux.

« Au départ, je cherchais à faire connaître un projet à qui j'aurais voulu donner une certaine universalité. Mais, je ne connaissais pas la situation du Comté d'Arétria. » dit-il en haussant les épaules. Son ton n'était pas critique ou moqueur. C'était un simple constat de fait, aussi terrible pusse-t-il être. « Je voulais fonder une école d'ingénieurs, car un Royaume puissant repose sur une bonne infrastructure. Mais, vous l'aurez compris, un tel projet nécessite fonds, architectes, artisans, ouvriers… »

Magnus se rendait bien compte que le gouverneur royal n’était pas là pour parler autour d’un thé et des cookies et il semblait déçu de voir que le Comté d’Arétria n’allait peut être pas pouvoir l’aider dans ses projets au vu de sa situation actuelle qui était … pas catastrophique loin de là mais préoccupante. Il fallait tout refaire, les routes, l’économie … remplir les greniers. Il y avait beaucoup à faire et peu d’argent. Il fallait s’occuper de tout cela au plus vite.

Parmi ces choses à faire, Lysandre Caervollen avait pris conscience que l’anéantissement du banditisme était l’une des priorités. Ces maudits brigands qui sillonnaient les routes Arétannes, ‘fin les chemins, qui brûlaient et tuaient tout ce qu’ils voyaient. Magnus faisait en sorte de faire des exemples mais cela ne suffisait pas. L’hiver avait engendré son lot de malheur et parmi les restes, il y avait ces maudits lurons. Il allait devoir s’en occuper personnellement mais il devait garder l’âtre pour encore quelques jours et ensuite, cela allait être un carnage. Un carnage pour le bien de son peuple. Ça sonnait un peu monstre, non ? Bah, qu’importe.

Ce qui retint l’attention de Magnus c’était le souhait du nouveau seigneur-régent d’Olysséa de créer une académie d’ingénieurs … petite idée ambitieuse, il faut dire. Nous n’étions guère dans le Sud où ce genre d’Académie pullulaient mais cela pouvait avoir son avantage. Il but à sa coupelle et attendit quelques instants.

« V’doutez bien qu’j’ne p’allouer d’fonds à vot’ projet, messire. L’peu qu’nous avons d’nos coffres n’permett’ de p’yer n’hommes ‘core m’bilisés pour tr’quer l’bandits qu’assaillent n’routes et n’villages. Mais c’un grand projet … J’peux m’biliser d’hommes pour vot’ chantier. C’tout c’que j’peux offrir … m’comté est au p’mal mais j’ose esp’rer l’remettre à flot d’ici l’mois à v’nir mais... »

Il se mit à soupirer. Il ne voulait pas se l’admettre mais il y était bien obligé. Si les terres Arétannes étaient dans un tel état c’était bien à cause de ça. Il reprit alors.

« S’n’sommes d’cet état, c’que l’politique is’lationniste d’mes pr’décesseurs a causé l’ruine de not’ comté. C’pourquoi, l’Arétans n’devront l’salut qu’à l’aide qu’peux n’apporter n’voisins. I’semblerait qu’cela c’mmence ‘vec vous, m’ssire … s’vous êt’ d’accord, bien entendu. »

Lysandre songea à la proposition de Magnus. Si c'était la crise en Arétria, nul doute que des ouvriers plus ou moins compétents avaient besoin de travail et étaient prêts à partir moyennant salaire. Vu la taille du comté, le gouverneur pouvait certainement espérer au moins des bâtisseurs, et peut-être plus qui sait. Force était d'admettre que c'était toujours mieux que rien, d'autant plus qu'il devra payer des ouvriers quoi qu'il arrive. Si les Arétans avaient un quelconque savoir faire en la matière, il pourrait toujours en profiter. Et, même s'ils n'exécutent que des tâches rudimentaires en se contentant de monter les pierres, ils pouvaient être utiles. Seul un examen sur place ne pourrait l'aiguiller correctement.

« Si vous disposez d'ouvriers, architectes ou que sais-je encore de compétents, je suis prêt à les payer si jamais ils acceptent de travailler sur mon projet. » répondit Lysandre. « Me reste à savoir s'ils connaissent bien leur métier pour un édifice d'une telle envergure. »

Une université, qui plus est d'ingénierie, n'était pas une simple ferme ni une maison de ville. Le bâtiment devait à hauteur du projet. En plus d'accueillir des élèves prêts à apprendre le métier, Lysandre voulait qu'il soit apte à laisser libre court aux travaux de ses membres, en terme de recherche, d'innovation et de fabrication. De fait, un grand édifice serait nécessaire, malgré une éventuelle spécialisation dans le militaire ou le civil. Il devait être plus grand encore si l'université était amenée à se populariser et à accueillir toujours plus d'étudiants. Toute aide était alors bonne à prendre. Lysandre avait compris que le Nord était garni de nombreuses ressources, humaines ou naturelles. S'il réussissait à monter son projet, le résultat pouvait aller au delà de ce qu'il escomptait.

« J'imagine que cela peut dépendre de ce que l'aide que vous souhaitez obtenir. » dit le gouverneur, en haussant les épaules. Militaire ? Financière ? Alimentaire ? Personnelle ? Politique ? Cela pouvait aller très loin, finalement… mais un gouverneur royal n'était pas le Roy. « Olysséa dispose de nombreuses ressources, dont celles que j'allouerai à mon projet. Je ne peux pas vous promettre de posséder celles dont vous avez besoins, mais dites toujours. »

Magnus se mit à sourire. Un sourire qui avait tardé à arriver. Un sourire qui faisait bien grise mine avec celle du seigneur qui était on ne peut plus fatigué. Arétria disposait d’ouvriers, de bâtisseurs et même d’architectes. Les académies du comté étaient désormais fermées et il comptait bien les réhabiliter mais pour le moment, les finances comtales en avaient décidés autrement depuis bientôt dix-huit ans. Il y avait la dernière génération qui avait suivi les derniers cursus, fort heureusement ces derniers avaient enseignés leur arts, même si ce n’était pas des maîtres en la matière, à ceux qui s’y intéressaient. C’était des paires de main dont ne pouvait pas se passer, même s’il y en avait peu. Magnus était prêt à fournir le Gouverneur.

«N’avons d’ouvriers, m’ssire. Heureusement d’lleurs, qu’ferions n’sans ? N’allons avoir b’soin d’certains d’ent’ eux p’l’projets futurs d’Arétria. M’j’suis disposé à v’en fournir, G’verneur. »

Il but une lampée de son horrible breuvage âcre puis reprit :

« I’connaissent l’métier p’beaucoup. N’ne vous fournirons qu’les meilleures mains, pour sûr. En espérant qu’i’ v’conviennent… s’v’vous voulez un exemple. R’gardez l’révonation d’la citadelle ou d’murs d’Arétria. Une m’rveille d’archit’cture. »

C’était même certain. Il en fallait des compétences pour colmater les fissures des murets de ce monstre financier. Les comtes des anciens temps avaient vu gros, beaucoup trop gros. Peut être qu’à l’époque, Arétria était riche à s’en baigner dans les écus mais ce n’était plus le cas maintenant. Et il fallait se démener pour trouver un budget quand le moment des rénovations arrivaient.

On entrait finalement dans le vif du sujet. Magnus avait besoin de soutien, d’alliés dans ce qu’il allait mener pour Arétria et il était prêt à voir plus loin mais nous n’en étions pas encore là. Il fallait refaire prospérer le comté, il fallait remettre debout ces terres martyres. Il observa alors le seigneur-régent d’Olysséa et reprit :

« N’êtes pas s’savoir qu’j’ai eu d’différents ‘vec feu Gaubert d’Prademont, l’cher ami d’notre régent, l’seigneur d’Sainte Berthilde. M’lgré m’innocence dans c’te d’sagréable situation qu’à conduit c’femmelette aigrie d’mes geôles, et m’lgré l’fait qu’il y ait point eut d’procés suit’ à son meurt’ … regrettable. »

Il n’en pensait pas un mot. Il avait eu ce qu’il méritait cette vieille pute dégarni et il était content que cela se fasse de la main de ce cher Dante. Au moins, il avait prouvé sa compétence et il aurait peut être besoin de celle-ci dans les mois à venir.

« M’lheureusement … c’te histoire à assombri m’relations ‘vec m’suzerain qui r’fuse d’me venir d’une quelconque aide. Mon peuple v’bientôt souffrir d’la faim mais n’nous en occupons. N’allons avoir des soucis d’trésorerie, également et p’le moment, n’sommes faibles. S’on u’terre hostile v’nait à vouloir n’attaquer, n’serions faibles. N’avons d’hommes, oui, mais n’avons p’la trésorerie n’cessaire p’les lever. N’avons déjà l’strict minimum d’mobilisé p’traquer l’bandits. »

Il se mit à soupirer. Magnus détestait mendier de l’aide et pourtant, il devra s’y habituer. Il allait le faire plusieurs fois ce mois-ci. Il allait devoir mettre son égo au cachot.

« N’avons b’soin d’un soutien m’litaire mais ‘galement financier. N’avons d’ressources. D’fer d’qualité qu’nous extrayons d’Pyks d’Ortheim. »

Que les nains extraient mais Magnus n’allait pas leur laisser de choix de céder une partie de leur minage. Il allait de la survie du comté dont ils faisaient parti. S’ils refusaient, cela donnerait un prétexte à Magnus de les mettre à genoux le moment venu.

«N’avons d’reîtres, j’peux vous en allouer une compagnie f’sant office d’mercenaires … dont l’fonds r’viendront à Arétria. N’avons aussi d’bourrins d’élevages. R’pides et surtout fr’cassants. »

Lysandre n'était définitivement pas venu pour rien. Il était même plutôt très bien tombé. Il avait besoin d'architectes et d'ouvriers et, selon le Comte, Arétria en avait de très bons. Bien entendu, la frontière du chauvinisme était difficile à ne pas franchir, mais tout chauvinisme avait pour origine un semblant de réalité. C'est comme si Lysandre se targuait d'avoir les meilleurs forges de la Péninsule. Les concurrents crieraient au mensonge en estimant qu'ils en avaient de très bons également. Pourtant, Olysséa avait bel et bien de très bonnes forges, et du bon acier. En tout cas, personne ne pouvait tout avoir, et, au même titre que le bon acier ne fait pas nécessairement l'artisan, la pierre ne fait pas le bon constructeur. Autant profiter du savoir faire des autres.

Le gouverneur ne comprenait pas le lien fait entre ce sujet économique et l'évocation du sujet Gaubert de Prademont. Il avait entendu parler de cette histoire, notamment par le Régent, et plus encore depuis qu'il était le gouverneur d'une terre frontalière à Odélian. Mais, s'il pouvait être honnête, il n'hésiterait pas à affirmer qu'il n'en avait strictement rien à faire et qu'il avait d'autres chats à fouetter. Sauf que Lysandre avait oublié de faire le lien entre le Régent, qui était également Marquis de Sainte-Berthilde, et Magnus, son vassal. Et Louis avait visiblement ce “talent” pour gérer les affaires royales en même temps qu'il gérait ses affaires marquisales. L'un dans l'autre, le gouverneur ne tenait pas à se mettre le Conseil à dos et perdre son mandat aussi vite qu'il ne l'ait obtenu. Ce boulet de Louis, il faudra le traîner encore quelques années avant de pouvoir s'en débarrasser.

« En tant que Gouverneur Royale, je ne peux pas mobiliser l'Armée Royale à ma guise pour vous soutenir. » répondit résolument le gouverneur, qui souhaitait rapidement couper court à toute question militaire auquel il ne pourrait rien. « Et la milice olysséenne est trop maigre pour que je me permette des mouvements de troupes car elle n'existe que pour protéger le territoire. »

Fût-ce faux que Lysandre ne se serait pas plus permis d'apporter un tel soutien à Arétria… de peur, justement, de se mettre à dos son suzerain. En tant que Gouverneur, il avait compétence sur bien des domaines mais le militaire lui échappait. Cela répondait à une certaine logique. Si tous les châtelains des terres royales avaient accès à l'armée, cela ne serait qu'un joyeux bordel à gérer pour le Roy et son Conseil. Bien entendu, ils avaient interdiction de former une armée parallèle, également. Si cela peut paraître décadent, c'est pourtant une très bonne chose. Le pognon qui ne termine pas dans les poches d'un soldat est forcément utilisé ailleurs. De toute manière, le Gouverneur n'était pas assez implanté à Olysséa pour se permettre de jouer avec les agents de la Couronne, et encore moins avec le Régent.

« Cela dit… je ne peux pas prétendre que les ressources d'Olysséa peuvent, à elles-seules, soutenir un tel projet. » reconnut Lysandre en secouant la tête. Il en faudrait, des pierres, du fer, des briques et autres matériaux pour bâtir un tel édifice. « Si Arétria a des pierres, du fer ou n'importe quoi qui peut aider à faire tenir le bâtiment debout, je ne refuse aucune approche, si tant est que le matériau est de bonne facture. Bien entendu, je suis prêt à examiner la marchandise et à l'acheter si elle correspond à ce que je recherche. »

Le gouverneur ne pouvait pas lever une armée pour Arétria. Le Roy avait bien entendu tout prévu, s’il y avait des terres sous tutelle royale ce n’était pas pour faire joli. Il y avait bien eu une couille dans la tambouille. Mais qu’importe, il ne voulait pas d’une quelconque armée étrangère, même si elle était royale, dans son pays. Cela montrerait le peu de sécurité que les terres Arétannes ont pour le moment. Non, il avait besoin d’argent pour lever ses propres troupes et peut être même quelques gars bien robustes d’Olysséa, eh, ça serait pas de refus.

Il posa alors sa coupe sur la table, il avait bien assez bu pour le moment et il voulait avoir les idées claires… de toute façon, ce n’était pas avec ce picrate daubé qu’il allait pouvoir se retourner la tête.

Il se mit à soupirer puis se mit à sourire. Il y avait fort à parier que le gouverneur resterait quelques jours dans le comté d’Arétria, il n’allait pas repartir aussitôt. Non… ou alors, si. Boarf ! Il n’en savait rien. Le mieux était de lui demander.

« V’resterez bien j’squà d’main n’est c’pas ? N’avons donc t’loisir p’discuter c’venablement affaires. »

Magnus n’était pas dupe. S’il n’avait pas les hommes qu’il voulait, eh bien… il les aura autrement. Il avait besoin d’argent. Il avait besoin d’hommes. Le fer des Nains serait une bonne affaire. De toute façon, avec ce qu’il leur laissait faire, ils pouvaient leur laisser quelques caisses de leur si précieux fer. Il ne leur donnerait pas le choix. Les larges portes de la salle du trône s’ouvrirent alors sur la personne d’Alicia, de son intendant et du capitaine de la garde d’Arétria-la-Ville… bon sang, qu’est ce qui se passait encore ?

Le seigneur Malelandois se mit à soupirer une nouvelle fois et annonça :

« J’vais avoir d’affaires c’rantes à régler … c’la risque d’me prendre l’journée. J’vais d’mander à m’intendant d’faire préparer une chamb’ p’vous et c’que n’disposons actuellement d’nos stocks … n’pourrons en r’parler c’soir ‘tour d’un bon dîner. Si c’la vous conviens, m’ssire. En ‘ttendant j’vous laisse ‘vec ma sœur, Alicia. »

« Rester jusqu'à demain, c'est fort probable. Il faut encore que je rencontre vos artisans, et consulte leur savoir-faire et leurs tarifs. Mais je ne resterai pas bien longtemps. Cela fait plusieurs ennéades que je suis sur les routes, et il faut que je rentre à Olysséa avant de m'engager définitivement. »

Lysandre avait sondé le Nord pour mieux le cerner et le comprendre, quitte à passer un mois complet sur les routes. Cela ne pouvait pas se faire sans rentrer dans le vif du sujet : politique, économie, diplomatie, militaire… Après six ennéades, il avait une certaine vue d'ensemble, bien qu'encore incomplète pour l'heure. C'était pour cela qu'il ne souhaitait pas s'attarder chez ses hôtes. Il voulait rentrer à Olysséa pour prendre conseil, vérifier que tout était au point économiquement, et une fois ceci fait pour lancer le projet. Il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation, et si Arétria possédait vraiment de bons architectes, ce n'est pas pour autant que Lysandre était prêt à les payer dans l'heure qui suit pour les amener à Olysséa. Il lui faudrait encore du temps pour tout organiser.

Pourtant, le gouverneur d'Olysséa déchanta rapidement. Il ne s'attendait absolument pas à ce que le Comte Magnus le quitte si tôt, qui plus est de manière aussi soudaine. Lysandre ne s'engagerait pas avant quelques temps, et encore moins sans être passer examiner les marchandises et les artisans. Qu'Arétria ait une réputation ou non, il tenait à la vérifier. Il était plus facile de la perdre que de l'entretenir, surtout lorsque l'argent vient à manquer. Impassible malgré la surprise, le diantrais regardait les arrivants, et voyait Magnus les rejoindre. Parce qu'en plus, il escomptait lui envoyer sa sœur pour lui tenir la chandelle et lui donner un os à ronger ? Et pourquoi ne pas plutôt lui envoyer un conseiller ou un spécialiste avec qui il pourrait continuer de tracter ? De plus, cela ne paraissait pas très fraternel, ni élégant. Lysandre avait l'impression qu'Alicia n'était là que pour le distraire, et il n'en ressentait ni le besoin, ni l'envie… et vraisemblablement elle non plus. Elle ne connaissait pas les motifs de sa visite, ni le contenu de cette entrevue. Elle ne savait même pas qui il était.

« Sauf votre respect, je n'ai rien contre votre sœur, bien au contraire, mais quitte à ce que cette entrevue s'achève, j'aimerais en profiter pour mieux connaître vos artisans. » dit le gouverneur en levant les mains. Il ne serait pas contre emmener Alicia, mais elle était visiblement pas en état de le faire. Et il n'était pas venu à Arétria, comme nul part ailleurs, pour flâner dans les corridors d'un château. « Sauf si vous insistez, je peux tout à fait prendre congé et retrouver mes hommes et mon informateur pour cela, et revenir ce soir pour le souper. »

Si on devait se rappeler de Magnus dans les prochaines générations, outre son caractère de merde, c’était peut être sa facilité à déconcerter ses interlocuteurs et prévenir d’éventuels incidents diplomatiques. Il y avait eu l’affaire du conseil de régence, l’affaire Prademont et maintenant celle-ci, peut être surnommeront cette entrevu comme la Bourde Diantraise.

Magnus voulait faire escorter l’homme par sa sœur mais il n’y tenait pas des masses … quoi ? Il croyait que la jeune Alicia n’allait être qu’un misérable poids, un boulet enchaînait à sa cheville ? Hmm… il n’avait peut être pas tort. Mais c’était aussi une Terresang et elle était peut être lente mais c’était tout ce qu’il avait sous la main.

« M’sœur v’vous conduire jusqu’a not’ intendant en charge d’nos artisans, m’ssire. N’artisans s’trouvent d’leur casernement plus bas près d’la citadelle. I’ s’ra vot’ interlocuteur privilégié … j’devrais d’ailleurs m’entretenir ‘vec lui avant not’ entrevue d’ce soir mais i’ pourrait v’faire connaît’ l’artisanat Arétan pour sûr. »

L’artisanat Arétan … ah, Arétria savait rénover des murs. Elle avait de très bons maçons, des bâtisseurs et même des architectes, même s’ils étaient peu, mais les routes étaient pas foutu d’être rénovées ou d’être créés, c’est au choix. Le seul truc que les Arétans exportaient c’était des poteries … ça c’est de l’artisanat. Ça ne faisait même pas rentrer de quoi subvenir aux besoins du peuple. Ah, je vous jure. Les comtes précédents étaient pas des flèches. Pour guerroyer ou partir à l’autre bout du pays, ça ils savaient faire mais s’occuper convenablement d’un comté, c’était une autre paire de manche.

« Alicia est c’tes limitée mais v’irez plus vite pour trouver vot’ chemin. »

« Bien. De toute manière, il me faudra plus d'une demie-journée pour en savoir plus. »

Lysandre se leva finalement de son siège après avoir ingurgité le fond de son verre de vin. Il n'avait visiblement pas de quoi convaincre le Comte de déléguer ses “affaires courantes” pour une autre plus exceptionnelle. Donc, il n'insista pas plus que de raison, craignant de le mettre en rogne et de finir comme Gaubert de Prademont pour une histoire aussi crétine qu'une sœur boiteuse qui se retrouve à devoir faire le planton. L'âge avait appris au gouverneur à faire preuve de patience… pas que l'âge, d'ailleurs. Le gouverneur était contraint de faire avec.

Le temps avait aussi filé plus rapidement qu'il ne l'avait pensé. Les jours avaient beau se faire plus long depuis la fin de l'hiver, ils ne l'étaient jamais assez pour réaliser un projet d'envergure comme celui de Lysandre. C'est également pour cela qu'il ne voulait pas perdre son temps, mais il semblait déjà l'être désormais. Magnus l'avait invité à diner avec lui, et il ne pouvait pas plus lui refuser cela que la compagnie de sa sœur. De toute manière, il avait déjà trainé, là et là, à retarder son départ d'un jour ou deux. Arétria n'échapperait peut-être pas à la règle.

« Je vous retrouverai à votre diner » affirma-t-il en hochant la tête. La dernière chose dont il avait envie était d'arriver en retard pour un diner plutôt protocolaire. Et puis, c'était le seul moment où les deux hommes pourront se retrouver, alors il valait mieux ne pas le manquer. « Je ferai en sorte de rentrer avant le coucher du soleil, pour ne pas être en retard. »

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