Il faut que nous parlions vous et moi [PV Maralina]

Vers la fin de la troisième ennéade de Bàrkios, Second mois du Printemps.
Au Palais de Maralina Irohivrah, dans le quartier des Soieries.
An XVIII du cycle XI.

Les choses avaient changées depuis plusieurs jours. Diolando Vega venait de réaliser l’impensable : s’en prendre physiquement à un autre membre influent de Thaar, la Princesse-Marchande Maralina Irohivrah. Lui faire un crochet du pied, lui faire dévaler le grand escalier menant au palais du conseil, la projeter dans le coma, provoquer un accouchement imprévu… Et me menacer moi, Marzaban Ambreroc, Maître des Mille-Caves, Souverain des Durgazdawi et Prince-Marchand de Thaar et des Sept-Monts. « Considérez-vous comme épargné » avait-il dit… Considère toi comme condamné, Diolando. Car tu l’es, condamné.

Par la force des choses, j’ai été obligé de m’entretenir avec un homme de l’ombre, aux habitudes et au comportement étranges, inconnus, et qui, pour une fois, furent une véritable énigme à mes yeux. Une énigme croustillante. J’apprécie les problèmes, surtout ceux relevant de l’arithmétique. J’aime follement les statistiques, les mathématiques, les algorithmes… J’apprécie très intensément les secrets, les codes permettant de cacher les informations aux yeux profanes… Et cet homme était une énigme en soi, mais point la plus agréable, je dois l’avouer.

Toujours est-il que sa façon d’être, et sa façon de faire, me déplurent grandement. Impossible de lui faire confiance, d’aucune manière que ce soit. Impossible de croire un traître mot. Impossible de l’accepter dans l’entourage immédiat des Mille-Caves, ou même le mien. Il est dangereux, très dangereux… J’ai pu le deviner, et pas qu’avec les calculs statistiques. Et si cet homme répond aux ordres de Maralina… Alors c’est avec elle que je dois m’entretenir, et de manière urgente.

Et j’ai pu obtenir cet entretien, fort heureusement. Une ennéade après l’accident. Maralina a dit s’être remise sur pied, après avoir mise au monde deux enfants… Qui ne devraient point vivre. Nul doute qu’il faudrait s’occuper d’eux, un jour, peut-être.

Enfin bref, j’ai rendez-vous avec Maralina. Amené sur un palanquin confortable, escorté par six Barbesables, dont deux membres de la Loge d’Onyx. Drapé dans une chemise de soie et une tunique de satin couleur blanche réhaussée de motifs magnifiques, portant un turban couleur ocre, mes traditionnelles bagues en or et en argent, réhaussées d’un diamant blanc, d’émeraudes, de rubis et d’un très beau kyanite bleuté, je me rends jusqu’au somptueux palais de Maralina. Un peu trop en surface à mon goût, un peu trop ostentatoire également. Mais ô combien confortable, je me dois de l’avouer. Un symbole de richesse et de puissance, placé devant les yeux du monde entier.

Arrivé donc comme je le disais, j’attends dans le grand hall. On m’a indiqué devoir attendre ici, que la Princesse arrive. L’histoire va s’écrire ici.

Ce fut une esclave qui vint finalement chercher le maître des Milles-Caves. Cette dernière s’avança doucement avant de s’arrêter près du nain. Elle fit une légère révérence devant ce dernier avant de murmurer d’une voix douce; « Votre Altesse, si vous désirez me suivre. La Princesse d’Uldal’Rhiz vous attends dans son bureau. » Attend patiemment que ce dernier la suive, la brunette le guida dans les innombrables couloirs du palais blanc, le menant à l’aile est, là, ou le bureau de la Princesse Marchande se trouvait. Ce fut au bout de quelques minutes de marche que le nain arriva finalement dans le bureau de la Princesse d’Uldal’Rhiz. Une pièce qu’il connaissait déjà très bien. La pièce immense, ornée de bibliothèque bien remplie dominait l’un des côtés de la pièce, et de l’autre une énorme cheminée de marbre blanc, là où des flammes dansaient délicatement. Le tout, encadré de canapés au blanc des plus immaculés, la ou était assise nul autre que la Princesse d’Uldal’Rhiz. Cette dernière était habillé plus sobrement que d’habitude – du moins, plus sombrement considérant que l’on parle de la Princesse de la chair.


Sa robe était toujours provocante, mettant en avant ses courbes parfaites, tandis que le bleu faisait miroiter parfaitement les deux prunelles qui habillaient son regard. Sa peau hâlée était couverte de quelques ecchymoses colorées, signe visible des derniers événements du conseil. Décidément, la Princesse de la chair avait subi son lot de blessure ces derniers mois. Entre la poigne d’acier du Karliik Glenn et le coup sans précédent du Prince des arènes, il était temps de s’offrir un moment de paix. Maralina fixaient le nain alors que ce dernier était invité à s’assoir devant elle. Une servante lui demandant s’il désirait un quelconque breuvage alors que cette dernière avait un demi-sourire aux lèvres. Elle attendit patiemment que sa servante dépose un verre finement ciselé devant Marzaban avant de finalement prendre la parole; « C’est un plaisir de vous revoir cher ami. Je dois avouer que je me demandais quand je vous reverrais. » L’attendait-elle? Bien entendu! L’ombre lui avait déjà raconté son entrevue avec le Maître des Milles-Caves, chose qu’elle n’avait pas nécessairement appréciée, mais cela lui rappelait bien une chose; l’ombre travaillait pour lui-même. Maralina pencha légèrement la tête sur le côté en regardant son invité avant de rajouter; « Je suis d’ailleurs contente de vous voir en un morceau. Il semble que la vermine ne vous a pas encore mordu. C’est un soulagement. »

Une esclave pour m’amener à la princesse. Quelques minutes à marcher, les mains cachées dans mes manches au-devant de ma taille, et me voici dans le bureau de la princesse d’Uldal’Rhiz et des Sept-Monts. Une charmante attention, un verre d’alcool, m’est offert gracieusement. Si je reconnais un goût raffiné, je sais que je possède des nectars bien meilleurs dans mes caves, mais je dois reconnaître que cela est très aimable.

Et c’est Maralina qui brise la glace. La formule de politesse est là, mais je devine, je crois, une certaine forme de sincérité. Après tout, ne sommes-nous point associés ? N’avons-nous point échangés des montagnes de secrets, pour nous emparer de Hanning ? N’avons-nous point échanger, au travers de longues discussions, de longues réunions, de nos projets personnels et globaux, à court ou plus ou moins long terme ? Nous sommes mêlés, elle et moi, et en ces termes, la confiance est en partie née. Sans doute arrivera-t-il un jour où nous nous affronterons ? Après tout, ne sommes-nous point les êtres les plus riches et puissants de tout le continent ? Ne sommes nous point les plus ambitieux également ? Un jour, tels deux volcans, nous nous combattrons à grands renforts de mouvements secrets sous l’écorce de ce monde, et à grands renforts d’éruptions violentes. Mais ce jour n’est pas encore arrivé.

- Je suis aussi très heureux de vous revoir aussi très chère. La dernière fois que je posais les yeux sur vous, vos soigneurs étaient inquiets quant à votre santé, et la survie de vos enfants. Je suis fort aise de vous voir belle et bien vivante, et toujours aussi exquise. Dis-je, le visage tout à fait morne. Un individu lambda crierait à la moquerie sans aucun doute. Mais Maralina doit avoir l’habitude maintenant. Si stupeur, ni surprise, ni honte, ni colère, ni joie, ne seraient assez fortes pour faire déformer mon visage aussi rustre et froid que le marbre. La vermine n’est point assez forte pour atteindre le prédateur dans sa tanière. Je suis fort désolé que la vermine vous ait mordue vous. Mais qu’à cela ne tienne : nous trouverons la manière d’éradiquer cette vermine, assurément. J’ai d’ailleurs à vous parler de choses importantes. Commençons l’exposé. Tout d’abord, Hanning. Voilà presque un mois maintenant que la Principauté des Sept-Monts est sous notre contrôle. J’ai fait faire un renouvellement des officiers militaires, civils et judiciaires, que je trouvais peu loyaux. Deux d’entre eux ont été assassiné par mes soins, car mes oreilles dispersées ça et là m’ont permis d’entendre que ces deux individus souhaitaient vendre des secrets, et des produits de contrebande et de recel, à des individus peu recommandables. N’ayez craintes, leurs cadavres n’existent plus. De plus, j’ai pris la liberté d’envoyer des huissiers et des percepteurs, afin de réaliser une estimation la plus précise possible de l’état de cette principauté. Et les premières conclusions me sont parvenues. J’ai vérifié les chiffres et les côtes du marché personnellement, et par deux fois. Hanning possède d’incroyables ressources agricoles et en matières premières, ainsi qu’une armée qui est maintenant la nôtre. Mais les destructions, et les ennéades d’instabilité, ont provoqué un exode, et beaucoup de pertes de main d’œuvre et de matériel. L’investissement promet d’être colossal. Véritablement colossal. Je n’ai pas terminé la prospection, mais les chiffres s’élèvent déjà à plusieurs dizaines de milliers de souverains. Nous sommes puissants, et l’amende des Mille-Caves est bientôt comblée, mais cela reste énorme. Nous allons devoir nous organiser. Voici ce que j’avais à dire, à propos de Hanning. Maintenant, parlons du second objet de ma venue. Ensuite, j’aimerais m’entretenir avec vous à propos de votre homme de l’ombre. Si vous le permettez.

Un compliment? De la statue qu’était le Maître des Milles-Caves? Cela était presque amusant. Disait-il cela avec une arrière-pensée? Après tout, Marzaban était un être des plus calculateurs. Toutes ces paroles étaient pesé, calculé à sa manière. Ce n’était pas qu’un préambule destiné à flatter son ego, non cela était une belle introduction qui semblait bien révélatrice. La Princesse eut un sourire amusé avant de reposer son regard sur son interlocuteur; « Vous me flattez Marzaban. On pourrait presque croire que vous essayez de charmer. » La demi-elfe eut un sourire enjôleur avant de baisser légèrement la tête sur le côté; « Est-ce que le Prince des Milles-Caves serait tombé pour la Princesse de la chair? » Elle était taquine, savait pertinemment que ce n’était pas le cas, s’il était intéressé, disons qu’il n’avait jamais tenté quoique ce soit et qui aurait pu lui en vouloir. Après tout, d’innombrables hommes et femme avaient tombés pour la princesse d’Uldal’Rhiz.


Marzaban continua son monologue, et disons que son entré de jeu fit rapidement perdre le sourire à la Princesse d’Uldal’Rhiz. Les affaires étaient les affaires; « Nous étions déjà au courant qu’Hanning était en miettes et des investissements que cela engendrait. La ville ne se remettra pas de cet épisode de violence facilement. Vous, et moi le savons. L’important est de satisfaire la population, et les gens reviendront peu à peu lorsqu’ils se rendront compte que la ville recommence à vivre. On ne peut espérer que les gens reviennent pour de nouveaux dirigeants. Cela m’a pris près de sept pour relever Uldal’Rhiz de la minable position qu’elle était avec ma prédécesseure, cela sera également le cas pour les Sept-Monts. » Maralina se calla un peu plus dans le fauteuil, le regard fixé sur la table basse. Elle prit quelques secondes pour remettre ses idées en place avant de relever ses prunelles azurées; « L’important pour le moment est de travailler sur la survie de la ville. Satisfaire les besoins primaires. La ville a besoin de nourritures, de protection et de matériaux de construction. Nous avons déjà quelques traités commerciaux avec Erac pour l’importation du bois, je ne crois pas que quelques navires déviés de Thaar ne changeraient quoi que ce soit. Sinon cela retarderait que les chantiers navals. Comme ceux d’Ys par exemple. » Une belle occasion de marquer deux coups en tirant une pierre. « Néanmoins, je déploierais quelques esclaves supplémentaires pour aider à la reconstruction et aux travaux des champs. Bien entendu, cela devra être un accord commercial entre les agriculteurs et Uldal’Rhiz, mais je suis sûr que plusieurs esclavagistes pourront aider. » Inutile de dire que les esclaves seraient probablement donnés gratuitement aux agriculteurs qui le demandaient, moyennant leur loyauté. « La prochaine étape sera de relancer l’économie en créant des marchés, et en encourageant le commerce, mais cela n’arrivera pas avant que les blessures soient pansées. Laissez l’été aux habitants pour se remettre sur pied et à l’automne ils seront définitivement dans une situation bien plus prospert. » Ils avaient besoin de patience. Diriger une ville n’était pas diriger un casino, ils y avaient beaucoup plus de variantes à tenir en compte et pour le moment, tout ce qu’ils pouvaient faire était d’aider à la reconstruction d’une ville qui avait été secoué par la guerre.


La Princesse redressa son regard vers le Prince des Milles-Caves alors que ce dernier mentionnait Dante. Elle savait très bien ou il allait avec cela. « Je vais vous dire, que je m’attendais à ce que cela soit votre premier point… Qu’avez-vous à me dire au sujet de l’ombre que je ne sais pas déjà? » Oh oui, elle était bien au courant du petit entretien que les deux -disons – hommes avaient eu, mais il y avait toujours plusieurs versions de la vérité, et elle avait bien hâte de voir celle de Marzaban.

Bien. Dois-je déceler dans ces mots aux fragrances doublées, un sarcasme bien senti, ou une réelle curiosité ? La princesse de la chaire doit-être on-ne-peut-plus habituée aux regards insistants, aux jeux de regards, aux mots bien sentis désignant la volonté d’un rapport charnel plus que partageur. Ai-je laissé un temps soi peu cette entrevue ? Ai-je été trop… Familier ? Ne vous y méprenez point, j’ai beau être aussi stoïque que le marbre et aussi vivant qu’un cairn, je demeure un être vivant. J’ai faim, j’ai soif, et j’ai des désirs. Et pour une humaine, Maralina possède des formes agréables. Mais nous sommes des partenaires commerciaux et des alliés diplomatiques. Franchir cette frontière ainsi ténue, serait une bien mauvaise idée.

- Loin de moi l’envie de vous faire défauts. Je tenais seulement à souligner d’un trait familier cette première discussion après de tragiques évènements. Ne vous méprenez point.

Elle s’en doutait surement, Maralina. Depuis les mois que nous apprenons à nous connaître au travers de conseils, de réunions secrètes, et de projets communs, elle a sans aucun doute dû comprendre pourquoi mes gens me nommaient « Sa Stoïcité ». Ses réponses, à mon argumentaire, tombent sous le sens. Je n’ai point dit tout ça pour former une complainte quelconque, mais pour réaliser un rapport complet. M’en prend-elle pour un béta ? Ou ai-je été moins statisticien que d’ordinaire. Dans le doute, étayons…

- Oui, nous le savions, les chiffres allaient tous en ce sens. Bien. Voici donc mon rapport valable pour le mois actuel. Nous prévoyons une augmentation d’officiers civils, judiciaires et militaires, de +42%, soit le retour à des effectifs semblables à ceux existants avant les troubles de Hanning, sauf pour ce qui est de l’armée où nous devons poursuivre les recrutements. La différence entre la production hebdomadaire de nourritures, de céréales, de denrées, de bois et de matières premières diverses, et les besoins hebdomadaires, s’est réduite agréablement. Il existe toujours un déficit de 12,87%, déficit comblé par les importations extérieures de vos terres, des miennes, ou de nos accords extérieurs. Ces 12,87% sont donc répartis entre nous, et forment un coût direct sur nos revenus propres. Pécuniairement parlant, enfin, investissements, salaires des fonctionnaires locaux, et fournitures régulières, ponctionnent 32% de nos revenus mensuels, taxes et impôts locaux déduits. Afin d’éviter notre propre déperdition, nous devrions ouvrir la Principauté aux investissements extérieurs dès le mois prochain. Je vous laisse une copie détaillée de ce rapport, ici. Dis-je, en plaçant ladite copie sur la froide table de marbre qui nous sépare. Hanning est plus importante que cet homme de l’ombre. Je dois vous dire que je n’ai point apprécié son attitude arrogante. Si je savoure les secrets, cet homme est un électron beaucoup trop libre à mon goût. Je crains que sa position ne lui ai fait naître des principes qui empêche la naissance d’une véritable confiance. Je crains qu’il ne puisse se retourner contre vous, dès lors qu’il recevra de meilleures propositions que les vôtres. Pour un homme de l’ombre, son regard cherche désespérément la lumière. Avez-vous foi en lui ?

Il semblait qu’elle avait touché juste, à croire que sur l’attitude froide et le visage inexpressif se trouvait un nain qui avait des besoins, et qui ne semblaient pas nécessairement satisfaits. « Bien entendu. » commença-t-elle un sourire amusé aux lèvres, « Après tout Sa Stoïcité n’a pas de besoin qui doit être comblé. » Flirtait-elle? Peut-être un peu. Torturé les âmes avaient toujours été son dada, elle qui adorait les plaisirs de la chair en tous genre. Néanmoins, elle le laissa reprendre alors que ce dernier lui étalait d’innombrables nombres et statiques sur Hanning. Elle prit doucement le document que ce dernier mit sur la table avant de la lire, tout en portant une oreille attentive aux dires de son associé. « Il a toujours été prévu d’ouvrir Hanning aux autres principautés. Ils auront besoin de l’aide de Geresh pour les céréales et les autres principautés. Pour le moment, je n’ai aucun problème à les supporter. Mais il faudra négocier ses accords commerciaux rapidement. Surtout pour la nourriture. Avez-vous découvert s’ils avaient des précédents accords avec les autres principautés? Peut-être que nous pourrions toujours jouer avec la validité de ces derniers en attendant que nous en négocions des nouveaux. »


Maralina pencha la tête sur le côté alors que ses prunelles azurées observaient doucement Marzaban. C’était une situation des plus amusantes, lui, qui, savait pertinemment bien comment elle était. « Et si je vous retourne la question Marzaban. Me faites-vous réellement confiance? » La Princesse de la chair eut un sourire amusé alors qu’elle se cala légèrement dans le confortable fauteuil, déposant doucement l’un de ses bras sur l’un des accoudoirs. « Soignez honnête, vous êtes un Prince Marchand. Vous savez pertinemment que faire confiance aux mauvaises personnes pourrait vous coûter énormément cher et c’est pour cela que vous déplacer vents et marées pour brouiller vos traces et assurez vos arrières. Vous savez comment je suis, parce que vous voyez une version plus féminine, plus extravertie de vous et jamais vous ne me ferez entièrement confiance. » Maralina eut un sourire amusé, fixant de ses prunelles le nain qui lui faisait face. « Et personne ne pourrait vous en blâmer… alors la réponse est simple. Est-ce que je fais confiance à l’ombre? Non, aucunement, je ne fais pas totalement confiance à personne. Libre à lui d’aller au plus offrant, mais il sait très bien ce qui lui arrivera le jour qu’il me trahira. »


La princesse de la chair perdit rapidement son sourire alors que les prunelles azurées fixaient le nain qui se trouvait devant elle. « Pour le moment, ce dernier m’aide dans la toute nouvelle guerre qui s’est déclenché il y a quelques ennéades. Il a un rôle critique, et il ne doit pas prendre d’autres contrats. Cela serait dangereux pour lui, comme les autres. » En effet, si Dante prenait d’autres contrats pendant qu’il espionnait Diolando, ce dernier pourrait rapidement descendre des bonnes grâces de la Princesse Marchande. Soit il travaillait avec elle. Soit il était un ennemi. « Mais une chose est sure, son avertissement était véridique. Si vous voulez vous mettre en travers de moi et Diolando, je peux vous garantir que cela serait la plus grossière erreur que vous aurez faite. » Elle allait le détruire. Détruire tout ce qu’il aimait, toute cette grossière image qu’il avait manipulée, et les gens verraient l’insecte qu’il était.

Encore une fois, une phrase, une réponse, faite de doubles sens. Qu’elle utilise ainsi mon titre, suivi d’une phrase très clairement tendancieuse, prouve que la princesse s’adonne à un jeu qu’elle connait bien. Au mieux, elle cherche tout simplement à me déstabiliser, à voir si ce masque de marbre demeure réellement imperméable aux avances et divers leviers qu’ont les femmes quand il s’agit d’user de… Leviers, justement. Au pire, elle cède elle-même à ses propres pulsions. Nul doute qu’être ainsi libérée du fardeau que le fait d’être parturiente, aura rendue à la princesse de la chaire, cette pleine sensation d’être femme – ou féminine à défaut d’être pleinement humaine. Et avec cette sensation doit venir l’appétit.

Ses propos suivants sont presque insultants. Pense-t-elle réellement que je ne sois point au fait de nos discussions passées, lesquelles portaient justement sur l’ouverture économique et l’injection de capitaux extérieurs, au sein de la principauté de Hanning ? Mais passons. Passons. La suite est bien plus intéressante.

Car bien-sûr, je ne lui fais point confiance. Enfin, point entièrement, ni totalement, ni aveuglément. Elle ne m’a point donnée de raisons de me méfier outre mesures, mais depuis la visite de cet… Atout, j’avoue, et je confesse, avoir repris quelques surveillances quant aux agissements de la princesse d’Uldal’Rhiz.

- Bien. Répondis-je alors sobrement, tandis qu’elle m’assure que non, elle ne fait point confiance en cet atout. Permettez, toutefois. Je me sens obligé de rectifier. Par essence, vous êtes extravertie, voyante, flamboyante, et vous agissez sur les cordes sensibles et les divers défauts de ce monde. Moi, je demeure dans l’ombre, dans les secrets, et j’œuvre par les calculs. Si vous et moi sommes effectivement d’excellents maîtres d’œuvres, négociants, et politiciens… Nous sommes les exacts opposés. Vous n’êtes donc point une version plus féminine de moi-même. Pardonnez-moi pour cet éclaircissement tout à fait cartésien et… Eh bien, hors de propos, je dois bien l’avouer. Quant à cet… Avertissement… J’ai eu la courtoisie, et l’intelligence, de ne jamais vous menacer d’aucune sorte. Et la bienveillance de vous conseiller. Si vous m’avez rendu cette bienveillance, j’avoue ne point apprécier cette… Menace peut voilée. Même vous, vous vous doutez, pour ne point dire, vous savez pertinemment, que je ne me mettrais jamais sur votre route, surtout si celle-ci vise à annihiler Diolando Vega. D’ailleurs, je serais bien plus enclin à vous y aider. Aussi, ne me faites point l’affront de me menacer, encore moins via votre pion. Je vous en serez reconnaissant, princesse.

Voilà qui est fait. Nul besoin d’épiloguer, à mon sens. Les choses sont claires. Et comme les mathématiques nous l’apprennent, l’usage d’un nombre adéquat de mots, et l’usage approprié de qualificatifs forts, mélioratifs, font passer un message bien plus facilement qu’un long discours. Ainsi, qu’en est-il de la suite ?

- Et donc, quid de votre guerre ? Avez-vous besoin de mes lumières ?

Maralina eut un sourire amusé alors qu’elle observait le nain. Ce dernier, bien qu’inexpressif c’était définitivement offusqué. Ces paroles étaient tranchantes mais ornées d’une touche d’ironie qui ne laissait rien au hasard. Son regard descendit doucement vers le bas, avant de se relever, lorsqu’il eut finalement terminé sa question. Sans attendre, la demie-elfe se releva doucement, fit quelques pas dans la salle alors que la soie de sa robe virevoltait mollement derrière elle. Silencieuse, elle contourna doucement le fauteuil du nain avant de se retrouver derrière ce dernier, posant légèrement les mains sur ses épaules, le massant délicatement du bout des doigts. « Vous semblez tendu, Marzaban. Y’a-t-il d’autres événements qui vous ont dérangé ces derniers temps? » Ses mains descendirent doucement sur son torse alors qu’elle approchait doucement sa bouche de son oreille. « Je crois que vous m’avez mal compris. » murmura-t-elle alors que ses lèvres étaient dangereusement près de son oreille. Cela aurait été si tentant de lui mordiller sensuellement l’oreille, peut-être ce dernier se déraidirait, qui sait? Peut-être que ce dernier n’était pas insensible au charme de la Princesse de la Chair comme il le laissait transparaître.


Ses mains descendirent doucement sur le torse du Prince Marchand, alors que cette dernière continuait; « Vous l’avez dit vous-même. Vous êtes l’ombre, je suis la lumière. L’un ne va jamais sans l’autre. C’est un tout magnifique, dangereux, certes, mais ô combien attrayant. Les deux peuvent vous aveuglés d’une façon ou d’une autre, les deux ensembles forment une merveilleuse équipe. » Elle arrêta le mouvement de ses mains alors que la demie-elfe laissa doucement son souffle caresser le cou du Prince des Milles-Caves. « Vous n’êtes pas un pion, Marzaban. Vous êtes mon homologue, mon égale. Vous savez aussi bien que moi qu’à nous deux, nous sommes intouchables. » Son parfum sucré emplissait la pièce alors que son nez caressait doucement l’oreille du nain. « Je ne mentionnais qu’un fait de votre charmante conversation avec un pion. Conversation que vous avez accepté d’avoir alors que j’étais hors-jeu. » Il ne fallait pas oublier qu’il avait accepté la demande de l’assassin, alors qu’il savait pertinemment la condition de la Princesse d’Uldal’Rhiz. Si la demie-elfe respectait son confrère, jamais cette dernière aurait été pigé dans les contrats des Milles-Caves. Mais en faisant cela il lui avait révélé une précieuse information, et elle déployait ses prochains mouvements avec cette trahison en tête.  « Peut-être devrais-je vous retourner la question, Marzaban. Voulez-vous participer au feu d’artifice? ». Le regard de la Princesse de la chair sembla s’assombrir alors qu’elle remontait doucement ses mains sur les épaules du Prince de Milles-Caves. Elle avait un plan, mais si son allié souhaitait se joindre à elle. Le spectacle n’en serait que plus spectaculaire.

Mais… Qu’est-elle en train de faire ? Que lui prend-elle ? Pourquoi ? J’avoue essayer de comprendre… Il existe toutefois une explication rationnelle : la princesse de la chaire est connue et reconnue pour ses frasques et pour son comportement parfois à la limite de la décence, flirtant toujours avec cette ligne tendue, ténue, jouant de ses charmes pour obtenir ce qu’elle désire, ou pour prendre le dessus. Mais parfois, pour faire valoir une idée, un argument. Tout cela est connu Statistiquement donc, il est fort à parier que cette manœuvre doit être un moyen d’appuyer un point, une idée, un propos.

Aussi ne me formalisais-je point. Ses mains passant sur mes épaules, sur ma poitrine, son nez pointu caressant mon oreille, et son souffle chaud s’engouffrant dans le col un peu trop évasé d’une digne tenue de soie, me font me dire que j’ai raison. Maralina veut quelque chose. Et je trouverais de quoi il s’agit.

Et je pense avoir trouvé quoi, finalement. Cette entrevue avec ce « pion » qu’elle nomme, n’est point pour lui plaire. Et elle n’était point une partie de plaisir pour moi non plus. D’ailleurs, ce « pion » ne doit sa survie que grâce à ses liens avec Maralina, sans quoi… Son corps aurait déjà été retrouvé dans un caniveau, dévoré par les rats !

Alors, une fois la fameuse question posée, je réfléchis un instant. Mes mains se croisent devant moi, posées sur mes cuisses, alors que Maralina semble vouloir garder les siennes sur mes épaules. Heureusement pour elle – et sans doute pour moi – la pierre de mon cœur et de mon entrecuisse sont trop froides, et trop de marbre, pour que quoi que ce soit ne vienne de ma part. Tomber dans ses filets serait une bien mauvaise idée, pour moi… Comme pour elle. Aussi lui répondis-je depuis mon assise, sans me tourner vers elle :

- Hors-jeu vous étiez, oui. Et ce « pion » sortait de votre chambre, et semblait, à premier lieu, parler en votre nom. Voilà pourquoi j’ai conversé avec lui. Malheureusement, son existence ne m’était point connue jusqu’à… Votre accident. Si j’avais su plus avant qui il était, nul doute qu’il n’aurait jamais pu franchir le seuil des portes des Mille-Caves. Voilà qui était fait, à présent. Maintenant, parlons du spectacle. Le feu d’artifice sera pour vous, comme d’ordinaire. Sa préparation, cependant, sa maîtrise, sa mise en place… Voilà qui m’intéresse. Vous n’êtes pas sans savoir que l’amende imposée par le conseil, voilà des mois et des mois, aura grandement amputée une partie des finances des Mille-Caves. J’ai œuvré, et j’œuvre encore, pour combler ce gouffre. Je laisse une pause, afin de pouvoir reprendre la suite de ce que j’ai à dire.J’ai ouvert deux magnifiques et opulents établissements de jeux dans cette cité de Thaar, et le coût de leurs constructions est presque déjà amorti. Vous le savez, vous détenez 40% de l’un de ces deux établissements. Toutefois, la présence des Drows sur le continent d’Ithri’Vaan, a poussée le Grand-Roi des Nains du Zagazorn à ne plus passer par l’Oliya, afin d’éviter que les taxes ne reviennent aux sombres. A la place, il préfère passer par Naélis, et Thaar, directement. Ce revirement de situation m’impose une restructuration de presque 52% de mon organisation terrestre et fluviale. Et cette restructuration est… Coûteuse. Je pense qu’elle comprend maintenant où je veux en venir. Alors, poursuivons. Je vous laisse le feu d’artifice, disais-je. Mais je veux vous aider. Et je veux vous aider, car j’ai besoin d’augmenter de 38% mes ventes de produits de manufacture naine, et j’ai besoin d’augmenter ma flotte commerciale maritime, et non plus seulement fluviale. Et j’ai aussi besoin… De plus d’établissements de jeux. Me voici plus honnête que je ne l’ai jamais été. Vous connaissez maintenant mes projets, ce qui nous met, je crois, sur un pied d’égalié. Je me relève enfin, les mains de Maralina quittant mes épaules. Tel un être dépourvu de vie, mes mouvements se font secs, dans des angles parfaits. Je me tourne à 90 degrés, fait deux pas, me tourne à nouveau à 90 degrés et me retrouve à la gauche de Maralina, qui est de trois quart. Autrement dit, je suis juste à la gauche du fauteuil, très proche d’elle. Voici ce que je souhaite. Et je pense que vous pourriez m’y aider. Cette entreprise contre Diolando nous serait mutuellement profitable. Qu’en pensez-vous, Maralina ?

Ah, la négociation. Je crois que cet art me plaira toujours.

La Princesse Marchande écouta avec attention les propos de son homologue, après tout écouter était un art en soi. L’art de décortiquer les moindres mots, la moindre intonation. On en apprenait tellement sur une personne si l’on écoutait seulement ces paroles. On pouvait aisément détecter les faits et les extrapolations, faire la différence entre les mensonges et la vérité, et malgré que le nain qui se trouvait devant elle semblait être de marbre, Maralina avait appris à le lire et interpréter ses moindres faits et gestes. Si au final, les deux associés s’entendaient aussi bien, c’était notamment parce qu’ils avaient la même façon de penser. Il faut aussi avouer que Marzaban ne perdit pas de temps déployant sans attendre ses cartes. Il ne lui laissa même pas l’opportunité de le convaincre. Maralina enleva doucement ses mains du nain alors qu’un sourire amusé vint orner ses lèvres rosées, et elle reprit sa marche dans la pièce. Contournant avec grâce le nain pour aller s’asseoir devant lui. « Cela me semble deux problèmes assez particuliers. Qui vous demande en effet de l’aide et j’ai peut-être une solution à ces problèmes. Il se trouve que le nouveau Comte d’Odélian et moi-même avons une relation des plus particulières, ce qui pourra certainement faciliter les importations par la Sirilya. Je pourrais aisément inviter ce dernier à Thaar et arranger des discussions avec ce dernier. Je suis sûr que ce dernier serait enclin à vous laisser passer par Isgaard pour vos importations. » Premier pion de placé, ne manquait que les suivants…


« Quant à votre deuxième problème, que diriez-vous d’installer quelques commerces à Uldal’Rhiz. Après tout, cette principauté a la réputation d’être la cité des plaisirs. Quelques maisons de jeux de plus d’un certain calibre ne déplairaient certainement pas les habitants de la ville. Par contre, vous devriez négocier les taux avec votre homologue. » Un sourire amusé aux lèvres, la marchande observe la réaction du stoïque petit être qui est devant elle. Certes ce dernier devrait payer quelques dividendes pour s’installer dans sa ville, mais il pouvait aussi lui verser des parts comme dans son établissement Thaaris. Après tout, Uldal’Rhiz était la ville par excellence pour la débauche car la chair est toujours si attrayante…


Reprenant son air sérieux, Maralina pencha légèrement la tête sur le côté, observant le nain devant elle. Il avait mis cartes sur table? C’était à son tour maintenant. « Quant à ce que je veux pour ce crétin d’étalon… » Elle se redressa sur son siège alors que son regard brulait d’une lueur colérique. « Je veux tout savoir sur lui. Ou il réside. Quels sont les points d’eaux, d’approvisionnements de Qyriah. Il m’a déjà invité à venir le rejoindre à la fumerie Zebell. Si vous avez des gens dans cet établissement. Je vais vous suggérer de les faire sortir le plus rapidement possible. » Car c’était la deuxième cible…. Oh oui, Maralina frapperait très fort. Il voulait un spectacle? Il en aurait un…

Je ne puis en être sûr et certain, mais je crois pouvoir dire, avec une marge de manœuvre tout à fait acceptable, que c’est la première fois de toute mon existence, que je suis aussi honnête avec quelqu’un d’autre que Salfaryl le Sombre. Oui, je viens clairement de dévoiler presque tous les pions d’un de mes échiquiers à Maralina, car, malheureusement, j’en viens à la fin de cette partie que je pouvais jouer seul. Pour poursuivre mon avancée, et engranger d’autres capitaux, suffisamment de capitaux nécessaires à une reconstruction plus ample qu’avant. Une grande réunion aura bientôt lieux au cœur des Mille-Caves. Une réunion d’une importance… Capitale.

- Effectivement, vos contacts pourraient être d’une aide statistiquement intéressante. Toutefois, ce n’est pas à moi de préparer les routes de ce côté du monde : les nains du Zagazorn s’en chargent déjà, et ils passent d’ores-et-déjà par Isgaard. Peut-être, toutefois, pourrais-je négocier des tarifs avantageux. Si vous consentez à me permettre d’entrer en relation avec ce Comte, je vous en serais reconnaissant. Répondis-je, un léger mouvement du buste en avant afin qu’un semblant de « vie » puisse venir animer cette phrase qui, tout de même, possède un sens certain. Ouvrir un établissement semblable à ceux déjà existant, au sein de votre ville, représente une perspective alléchante, je pense que vous le savez mieux que quiconque. Car, mieux que quiconque, vous connaissez votre population, et vous savez bien mieux que moi qu’outre Thaar, Uldal’Rhiz est la cité la plus propice au développement de ce genre d’établissement. Et, en tant que mon homologue… J’installe un court silence. Court, car il ne sert à rien de faire attention plus avant la princesse d’Uldal’Rhiz, car, après tout, c’est elle qui vient de parler de négociation de taux, justement. J’entrevois alors le grand intérêt qui est le sien quant à cette politique commerciale. Voici ce que je vous propose : en échange de ma totale, et parfaite collaboration dans l’anéantissement de Diolando Vega, ce qui comprend la mise à disposition des fruits de l’espionnage que je suis capable de mettre sur pied, et la mise à disposition de toutes les informations obtenues par tous les… Moyens dont je dispose, je demande un terrain constructible, ou un bâtiment destructible ou modifiable à mon grés, avec un emplacement de choix et le meilleur voisinage possible, pour y construire un palais de jeux. Je souhaiterais aussi que, au regard des frais que je vais devoir déployer pour assurer le maillage d’espionnage de la cité de Qyriah, cet établissement soit dédouané d’impôts et de taxes, à partir d’aujourd’hui, et jusqu’au sixième mois suivant son ouverture à la clientèle. Et, pour finir, alors que vous pourrez obtenir Diolando sur un plateau, je souhaite demeurer l’unique propriétaire et actionnaire de cet établissement. Une fois le délai de 6 mois arrivé à son terme, je vous paierais l’impôt, et les taxes, comme tout honnête commerçant. Qu’en dites-vous ?

Une offre sérieuse, tout de même.

Maralina, l’air sérieux pour une fois, écoutait attentivement ce que le nain lui racontait. Force à dire qu’il avait définitivement mis cartes sur table, et c’était un fait qu’elle appréciait. Il lui faisait confiance, du moins assez confiance pour dévoiler ses projets. Néanmoins, son offre n’était pas nécessairement des plus appétissantes. Pas que six mois sans taxes aurait réellement été un problème pour elle, sa fortune seule aurait largement couvert ce trou financier et elle ne l’aurait probablement jamais remarqué. Le problème était qu’elle ne connaissait pas nécessairement les capacités de son homologue, ses espions pourraient aisément accomplir le travail qu’elle avait en tête. Par contre, il y avait l’avantage de la surprise. Si Diolando était brillant, forcément qu’ils surveilleraient les moindres faits et mouvements de la Princesse d’Uldal’Rhiz… SI il était brillant. C’était la nuance…


Elle croisa délicatement les jambes alors que son regard azuré fixait le nain. Silencieuse, ses doigts se mirent à tapoter doucement sur l’appui-bras de son fauteuil. Maralina ne souhaitait pas créer un malaise, au contraire, elle réfléchissait très sérieusement à sa contre-offre. Elle n’avait pas besoin des espions de Marzaban, elle avait besoin de ses barbesables, et rien ne pouvait jeter le trouble dans une négociation comme la révélation d’une information des plus importantes; « Et si je vous révélais que ce dernier est en train de monter une milice sous notre nez? D’une façon ou d’une autre vous vous en mêlerez. Que cela soit par la voix du conseil ou par la mienne. » Oh oui, car son infiltré lui avait fait la charmante déclaration que la milice de Qyriah était en préparation. Des réfugiés venus apparemment de Sol’Dorn. Une pathétique excuse pour une armée, mais une menace tout de même. « S’il ne s’attaque pas à nous, il remontra au Nord et vous savez très bien les répercussions qui s’abattront sur nous si les puysard le découvrait. Ils ont subi une défaite, mais il ne faut pas les sous-estimer. Notre paix avec eux ne tient que sur un minuscule fil. »

Les propos de Maralina deviennent soudainement plus graves, plus profonds, plus menaçants aussi. Je devine très facilement alors que les négociations furent débutées trop tôt. Qu’à cela ne tienne. Elle ne discute pas les points abordés, ni ce que je lui demande, ce que je désire. J’en conclurais donc à un accord tacite.

Mais je devine bien que sous ces traits de princesse digne et fière, se cache un monstre s’éveillant peu à peu. Le croisement de ses jambes, le froncement de ses sourcils, son regard fixé, son air sérieux, sont autant de témoins visuels indiquant une colère naissante, et une rancœur agressive. Nul doute que je pourrais être une sorte de dégât collatéral, si je devais ne point être à la hauteur, ou satisfaire aux requêtes de la princesse.

Je vais donc devoir me préparer. S’il semble compréhensible, pour le commun des mortels et des immortels, de ressentir la colère et d’en expliquer certains fruits imprévus, incontrôlés, moi, Marzaban Ambreroc, me targue d’être insensible à de telles émotions. Moi, la colère ne m’emporte point. Moi, la rancœur ne m’aveugle point. Moi, je reste de marbre, et calculateur, et manipulateur à souhait. Maralina devrait s’en souvenir, de la même manière que, après tous ces mois dans son entourage, je me souviens de ce don elle est capable, et j’ai appris à lire ses signaux intraçables.

- Bien. J’en conclu donc que cette affaire est réglée. Passons donc à la vôtre, autrement plus urgente. Je m’assois de nouveau, m’éloignant donc de Maralina – alors que je m’étais rapproché tout à l’heure. Postérieur au fond de l’assise, dos contre le dossier, genoux à l’équerre et mains jointes aux doigts entrelacés. Une position de contrôle, alors que mes mires mi-closes se posent sur mon vis-à-vis. Le sérieux et la gravité de Maralina m’imposent une gravité plus grand encore. Diolando Vega est une menace pour tous, et plus particulièrement, pour nous. De cela, nous en sommes sûrs à un degré certain, depuis quelques temps déjà. Et il est d’autant plus menaçant, qu’il est dénué de tout sens d’intelligence critique. Déclencher la menace Drow, serait aussi amusant pour lui que cela en serait dangereux. Une décision doit être prise, mais elle ne doit pas être exclusivement guidée par l’émotion. Voilà qui est dit. J’entrevois déjà les yeux écarquillés de Maralina qui comprendra ma crainte de la voir agir par emportement, et je la vois même s’offusquer de cela. Qu’importe. Notre alliance ne prévoit point de mots doux, ni de faux semblants. Les miens… Doux qualificatif pour indiquer à Maralina que mes forces, et mes espions, auront effectué ce travail… Ont d’ores-et-déjà cartographié les quatre principaux puits de Qyriah. Un ancien égout a également été cartographié. Les puits seront empoisonnés, l’égout, lui, servira de zone de repli pour une force secrète. Si c’est du spectacle que vous désirez, mes gens seront sans doute en mesure de relier les égouts communs à ceux qui courent sous le palais Vega, et y faire venir suffisamment de Naphte pour, lors d’une attaque nocturne, incendier et souffler entièrement ledit palais. Mais ce spectacle serait long à la mise en place. Si vous désirez du plus rapide, il me faudra vous proposer d’autres tactiques. Quant à la fumerie, mes gens ont identifié une affluence d’environs 20 clients par deux heures, et une population moyenne statique de 25 à 35 clients, ce qui permet, avec une marge d’erreur raisonnable, de compter une cinquantaine de clients en permanence, au sein de la fumerie. Sans compter les gros bras.

J’imagine que Maralina savait déjà tout ça… Et si oui, alors, à quoi lui servirais-je.

« Diolando Vega est une menace pour tous, et plus particulièrement, pour nous. De cela, nous en sommes sûrs à un degré certain, depuis quelques temps déjà. Et il est d’autant plus menaçant, qu’il est dénué de tout sens d’intelligence critique. Déclencher la menace Drow, serait aussi amusant pour lui que cela en serait dangereux. Une décision doit être prise, mais elle ne doit pas être exclusivement guidée par l’émotion. »


« Taisez-vous. »


La réponse était sortie beaucoup trop vite alors que la Princesse Marchande serait les poings, interrompant le monologue de son homologue. Il était bien calculateur, mais parfois certaines émotions étaient définitivement nécessaires, et cela était le cas maintenant. « La colère peut être la plus doucereuse des alliés si elle est utilisée à bon escient. Croyez-moi, je l’ai appris et j’ai surtout appris à m’en servir à bon escient. La preuve est que je suis toujours là, victorieuse après les innombrables coups qui ont secoué la principauté. On a tenté de me faire tomber, on m’a enlevé, tenter de me piéger, tenter de m’éliminer à d’innombrables reprises et pourtant je suis toujours là. Diolando Vega m’a lancé un défi, m’a menacé et s’est attaqué à ce qui m’est le plus précieux. Il sera défait de la façon la plus humiliante possible. » Maralina se releva rapidement, non sans laisser s’échapper une grimace de douleur alors qu’elle se mettait à marcher dans la pièce, s’arrêtant près de l’immense cheminée, le regard perdu dans les flammes qui dansaient contre les parois de marbre alors qu’elle écoutait attentivement ce que Marzaban lui disait. Analysant chaque information, bien entendu elle connaissait certaines informations, mais les puits étaient quelques choses auxquelles elle n’avait guère pensé. Elle tapota une nouvelle fois sur la pierre, avant de reprendre la parole;


« C’est bon à savoir, la première étape est d’apprendre le plus sur ce dernier, j’ai déjà déployé mes ressources. Je sais que sa mère est responsable de sa sécurité et je sais que ce dernier est loin d’être l’unique décideur de sa ville. » Marzaban comprendrait rapidement ce que Maralina avait l’intention de faire. En coupant l’approvisionnement de la ville, elle créerait un nouveau chaos, mettant la position du Prince des arènes en danger. « Il me faut une confirmation de cette milice. Avec cela j’aurais l’appui de Thaar pour me débarrasser de ses hommes. » En mettant pression sur le conseil de Qyriah, il n’aurait plus le choix de retirer le titre de Diolando et la suite… la suite serait définitivement une surprise qu’elle gardait pour elle. Maralina savait que Diolando n’avait pas les ressources, et elle le prendrait à son propre jeu, lui qui se croyait un dragon… N’importe quoi!


Soudainement la Princesse d’Uldal’Rhiz se retourna, plantant son regard azuré dans celui de Marzaban avant de rajouter; « Et non, nous n’avons pas d’accord. Je ne vous fais pas l’offense de présumer vos décisions. Ne faites pas la même chose. Vous avez un minimum de trois mois sans impôts pour votre maison de jeux, et une possibilité d’agrandir cet avantage dépendamment des actions que vous prendrez. Si j’ai votre entière collaboration, cela pourrait aller jusqu’à deux années sans frais. » C’était une offre exceptionnelle, et aussi cela indiquait qu’il pouvait se retirer à tout moment s’il le désirait. Il fallait aussi qu’il comprenne qu’il n’était pas celui qui menait le jeu dans cette négociation. Elle lui montrerait comment faire danser ses adversaires sur n’importe quelle chanson qu’elle chantait.

Ah, l’émotion. Sensations ressenties, éprouvées, idées faisant naître effrois et peurs, frissons et saveurs, réactions du corps et de l’esprit provoquant rictus, chaires de poules et mouvements saccadés. L’émotion, c’est la digue sur laquelle se brise la vague de l’intelligence. Combien de ces gens intelligents, manipulateurs, menteurs, calculateurs, j’ai vu se trahir face aux coups ou contrecoups de l’émotion ? Des pupilles qui se dilatent, un index qui tremble subrepticement, une jambe qui tressaute, la gorge qui se noue sous les contractions des muscles mastoïdiens. Dès lors qu’ils arrivent, ces mouvements, ces rictus, ces infimes manifestations de vie… Peuvent tout ruiner aussi rapidement qu’ils sont apparus.

Oui, Maralina, l’émotion peut être vectrice de réussite. Nul doute qu’il n’aurait point été nécessaire de calculer quoi que ce soit lorsque, après votre accident, vous avez été plongée dans un coma provoqué par la violence. Nul doute que pour sortir de votre torpeur, pour vous extraire de cette léthargie provoquée, imposée à votre volonté, vous avez été obligée de faire preuve d’émotion. De faire preuve de colère, de rancœur, de haine, d’un esprit de revanche et de rétribution. Nul doute non plus que, sans ces émotions, votre corps aurait provoqué la chute de votre esprit. Oui, l’émotion aura été une part de votre salut. Mais l’émotion pourrait être tout autant la cause de votre chute.

Mais voilà que se termine la diatribe de mon homologue. Ses derniers propos n’ont point échappé à mes esgourdes grandes ouvertes. Mes informations déjà obtenues ont, visiblement, été d’une utilité quelconque pour la Princesse-Marchande de la chaire. Bien, cela me plait ainsi. Nul doute que mes prochaines informations se révèleront croustillantes.

Mais l’heure est au calcul. Alors qu’elle m’indique un délai, extensible selon son bon vouloir et selon le mien quant à mes implications, je sors, de l’intérieur de ma toge de soie et de velours, mon désormais très célèbre livre au cuir rouge. Mon livre de comptes. Tyr, mon argentier, réalise de manière quotidienne un compte-rendu de trésorerie, dans un code runique fait à la fois de chiffres, de runes et de symboles, que nous sommes les deux seuls à connaître. De cette manière, l’argentier et moi-même possédons une vue globale quotidiennement mise-à-jour de l’état financier des Mille-Caves, et de l’état financier de mes comptes personnels, pour moi seulement.

Le petit stylet de plume qui se trouve à l’intérieur, et qui possède une rune spéciale, me permet d’écrire sans encrier. Je trace alors avec une grande implication les runes de mes calculs. L’on parle de trois mois d’exemption, à minima. Si l’on part du principe du prix moyen d’un terrain, et sur une bâtisse au prix avoisinant celui de l’ancien palais Hiiri, et, si on défalque les taxes que je connais d’Uldal’Rhiz, j’obtiens une information calculée intéressante, assurément.

Mes calculs se font dans un silence religieux. J’en oublis presque la présence de la Princesse qui doit commencer à s’habituer à me voir ainsi calculer, et ainsi tout manigancer. Néanmoins, les secondes coulent, et les minutes s’égrènent. Il me faudrait trois minutes d’un silence profond et lugubre, avant de relever ma trogne, et, tout aussi proprement, de ranger dans ma veste le précieux livret.

- Bien. Ma collaboration sera pleine et entière. Car mes estimations me permettent de planifier une rente et une sauvegarde de revenus exemptés de toute taxe indiciaire, suffisamment conséquente, pour pouvoir être pleinement satisfait. Mais aussi… Mais point uniquement parce que les chiffres me plaisent. Diolando Vega m’a murmuré à l’oreille une chose, lorsqu’il aura attenté à votre vie : « considérez-vous comme épargné ». Ainsi avait-il prévu d’attenter à ma vie plutôt que la vôtre, mais son choix aura changé. Pourquoi ? Parce qu’il avait plus peur du Nain sous sa terre que de vous dans un palais ? Parce que votre diatribe l’aura plus heurté, lors du conseil, que mes énumérations chiffrées ? Je n’en n’ai aucune idée. L’idée ici est de manipuler Maralina, légèrement seulement, mais suffisamment pour que sa colère contre Diolando se renouvèle. Toujours est-il qu’il m’a menacé, moi aussi. Et nul doute que vous pensant hors-jeu, je devrais tôt ou tard souffrir de sa présence à nouveau. Aussi, je souhaite sa mort. Mais plus que cela encore, je souhaite son anéantissement. Tuez-le. Déshonorez-le. Mais laissez-moi anéantir le palais de Qyriah. Je veux le voir brûler, et s’éventrer sous l’assaut de la naphte des nains.

Oui, en plus d’être un sociopathe, la psychopathie est un de mes pêchers mignons.

La Princesse Marchande ne répliqua rien à la réplique de Marzaban. Son air froid semblait être un mur qui contenait la colère qui grondait en elle, une colère dirigée vers le plus âpre des individus. Elle n’en n’avait que faire du choix de Diolando, le fait était qu’il avait ouvert une guerre avec elle. Une mauvaise décision, soit, mais on ne pouvait pas changer le temps. « Faites ce que vous voulez de ces minces possessions. Cela ne m’importe pas. Ce qui m’importe est de voir le regard du Prince des arènes lorsque je lui enfoncerais une dague dans le cœur. Loin des regards, loin de toute gloire, lui rappelant tout simplement l’insecte qu’il est. » Maralina se releva de son siège, non sans émettre une légère grimace, avant de retourner son regard azuré vers le nain; « Comme je l’ai dit plus tôt. Sortez vos gens des établissements qu’il fréquente. Je ne peux garantir leur sécurité s’ils y sont encore dans les prochaines ennéades. Pour le reste, je vous fais confiance pour vous occuper de ses puits lorsque le temps sera venu. » Elle fit un léger mouvement de la tête, avant de sortir de la pièce. Cette entrevue était terminée, ils avaient tous les deux du travail à faire…