Cavalcade accidentelle [Zohael]

Première ennéade de Barkios
An 18 du XIe Cycle

L’on ne peut pas dire que je sois habituée à vivre des événements aussi effrayant que celui-ci. Généralement, il ne m’arrivait rien de bien spécial. Je me contentais de vivre ma vie de mon côté sans jamais me faire à ce point remarquer. Non vraiment, même en y repensant à présent, je ne comprends toujours pas comment une telle chose a pu se produire. Je me concentre pourtant, mais rien y fait…

Nous étions au beau milieu du printemps. Léios et moi venions à peine de rejoindre un petit groupe de saltimbanques sans grand talent faisant la route entre Thaar et Hanning en longeant la côte. Il y avait là des danseurs sacrément maladroits, des musiciens dépourvus d’oreille musicale et un petit groupe de comédiens qui, même après des dizaines de représentations, n’étaient point fichus de se souvenir de leur texte. Leur spectacle était si ridiculement mauvais que c’était à se demander s’ils ne le faisaient pas exprès. Mais qu’importe, je les trouvais malgré tout réellement sympathiques et amusants. Je pus même participer à l’une de leur représentation en tant que danseuse. Je ne connaissais évidemment pas les pas, mais ils étaient si mal accordés entre eux que cela ne choqua personne parmi l’assistance.

Durant plusieurs jours, il ne se passa rien de particulier, jusqu’à ce que nous arrivâmes aux abords de Feldorn. Je connaissais les lieux pour y avoir séjourné quelques semaines bien des années auparavant. À cette époque, je travaillais dans une taverne fréquentée par les pêcheurs du coin. Néanmoins, l’endroit ne représentant pas grand intérêt, je n’y avais pas remis les pieds depuis, préférant les cités du sud bien plus riches et peuplées que celle-ci.

Bref…

L'événement dont j’ai fait mention plus haut, s’est déroulé juste devant l’entrée de la ville. Je marchais tout en discutant avec la jeune Kyliah sans prêter attention aux lieux. C’est là que j’entendis une grosse voix gronder :

«C’est elle ! Au voleur ! »

Évidemment, venant à peine d’arriver, je n’imaginais pas que cette accusation m’était destinée. Aussi, je stoppais ma marche pour chercher qui pouvait bien être ce fameux voleur… C’est quand Léios se mit à grogner en prenant une posture défensive que je compris que le voleur en question ainsi désigné était bel et bien moi…

« Pardon ? » m'écriais-je surprise face à ce doigt pointé dans ma direction.

Dans d'autres circonstances, j'aurais évidemment pu me sentir coupable. Je ne volais que très rarement, néanmoins cela pouvait encore m'arriver lorsque je mourrais de faim et que je n'avais plus le moindre écu en poche. Or là ce n'était absolument pas le cas et je m'apprêtais à protester quand je vis le gros homme accusateur sortir une lame de sa ceinture en hurlant :

« Saisissez-là !»

Instinctivement, je fis tout naturellement un pas en arrière, puis un second… Ce qui me permit d'ailleurs de voir deux autres hommes courir vers moi. Je compris donc qu'il serait bien inutile de protester et que mieux valait fuir au plus vite si je voulais rester en vie. Je courus donc sans réfléchir, cherchant simplement à mettre autant de distance que possible entre ces hommes et moi. Je traversais quelques ruelles sans m'arrêter, essayant de me dissimuler dans la foule qui s'avéra fort peu coopérative puisque les badauds se dispersaient à mon approche. J'aurais dû le savoir, ce qui fonctionnait dans les grandes cités ne pouvaient être appliqué dans ce genre de ville. Alors, misérablement, je cherchais à me cacher différemment. Tout en courant, j'arrachais une étoffe bleue de son fil à linge pour me recouvrir les cheveux… Vaine tentative quelque peu grossière et maladroite de me soustraire à leur vue… D'autant plus que plus je restais dans ces rues et plus je prenais le risque de me faire arrêter par un complice dissimulé ici ou là.

Je pris donc la direction de la sortie de la ville. Là, je vis quelques chevaux rassemblés près de l'abreuvoir des écuries et me saisis des rênes de celui tenu par un pauvre maigrichon qui semblait prêt à l’emmener rejoindre les autres. Je ne savais point monter, mais tant pis. Je n’avais aucune autre solution pour fuir loin d’ici. Avec maladresse, mais empressement, je grimpais sur le dos de l’animal tout en m’accrochant à sa crinière. La douleur provoquée par ma prise poussa le cheval partir au galop m’emmenant avec lui vers une destination inconnue, bien loin de la civilisation.

C'est en les entendant rire derrière moi que j'ai réalisé ma bêtise. En m'éloignant ainsi de la ville et de la protection offerte par la troupe, je venais tout bonnement de me faire piéger comme une idiote. J'avais pourtant entendu des rumeurs sur le sujet, comme quoi il s'agissait d'une bien vile manière que capturer quelques âmes égarées pour les revendre au plus offrant. Je ne devais pas être la cible initiale, Kayliah avait tout de la parfaite petite esclave. Elle était plus jeune, plus jolie, plus faible que moi. Elle aurait fait une prostituée de choix pour l'un des sombres bordels de l'Ithri-Vaan… Mais mon passé et mes expériences m'ont poussé à réagir avant elle en m'isolant ainsi de toute protection, même s'ils n'avaient probablement pas prévu de devoir me poursuivre de la sorte.

Bordel…

Mais quelle idée stupide avais-je eu...Je ne pouvais plus que compter sur ce pauvre cheval qui galopait à toute allure en fonçant droit devant plus pour me sortir de ce mauvais pas. Je m’accrochais misérablement à sa crinière tout en fermant les yeux pour mieux prier les dieux de m’épargner… Ou alors qu’ils me tuent, dès à présent. Je préférais mourir que de finir entre les mains de ces hommes abominables… Je ne savais même pas où se trouvait mon pauvre Léios. Était-il en vie ? Pouvait-il seulement me suivre à ce rythme effréné ? Impossible…

Le cheval hennit brusquement. Je perçus alors quelques voix étouffées provenant de devant moi… J’ouvris alors les yeux pour apercevoir ce qui pouvait-être mon salut… Devant moi se trouvait ce qui me semblait être un camp de nomades avec ses tentes dressées .

« Aidez-moi !» suppliais-je en hurlant de désespoir…

Une autre mauvaise idée… Ma voix, probablement trop perçante et surprenante pour ma monture, l’effraya suffisamment pour pousser l’équidé à se délester du poids que je représentais. En une fraction de seconde, je me retrouvais sur le sol… Une vive douleur s’empara de moi, irradiant dans tout mon corps… Le choc devait en être responsable puisque je ne décelais aucune blessure mis à part quelques éraflures… Néanmoins, je n’eu guère la possibilité de m’en réjouir puisque mes poursuivants se rapprochaient dangereusement et je me trouvais dès à présent à leur merci.

La journée est belle, le camp est animé. Les marchands sont parti pour Feldorn il y a plus d'une heure, escortés d'un nombre raisonnable de guerriers des sables. Les négociations pour reprendre les commerces durent depuis plusieurs ennéades, déjà, et les marchands en arrivent au point culminant. C'est les artisans et commerçants locaux ne voient pas tous d'un bon oeil la venue de ces investisseurs du désert, et ce malgré le besoin qui se fait sentir. Avec la chute de leur précédent Prince-Marchand et les embargos qui ont suivi son procès, les commerces de ceux lié aux Vossula ont peu à peu périclité. Et lors des troubles qui ont secoué Hanning, la perte de bon nombre de dirigeants de compagnies ont été le coup de grâce de celles qui n'ont pas sût se retourner à temps. Les soieries et autres teintureries de Feldorn et d'Eofel qui jouissaient de la réputation des Vossula ont durement été touchées, et nombre d'entre elles ont été abandonnées pour la conservation de la compagnie, sans parler de celles de Hanning, encore plus impactées.

C'est alors qu'ils se montrèrent, les négociants nomades du Zurthans. Habitués à venir faire commerce dans la région à périodes régulières, ils se sont cette fois présentés en nombre. Informés des troubles récents et prétendument désolé de ce qui arrive à leurs habituels collaborateurs, ils ont alors proposé d'investir pour compenser la perte de leur mécène perdu. Si quelques uns ont de suite accepté l'offre des zurthans, d'autres se sont montrés plus réticents. C'est alors qu'ont débuté des négociations qui durent maintenant depuis trois ennéades.

Et pendant que les négoces se poursuivent dans Feldorn, le camp zurthan est occupé, entretenu et gardé par le reste des nomades de la caravane. C'est alors que leur routine se déroule que débarque comme une trombe une malheureuse cavalière à la monture incontrôlée. Les nomades se retirent du passage tandis que le camp sonne l'alerte. Plus alertes qu'affolés les nomades s'organisent rapidement, montrant là leur réactivité légendaire. Les civils sont rapidement écartés pour être mis en sécurité tandis qu'une quinzaine de guerriers armés ont encerclé la cavalière désarçonnée, des maîtres cavaliers se lançant déjà vers la monture affolée pour la calmer.
- Aidez-moi ! Implore la jeune femme.

Les nomades n'ont pas le temps de lui demander ce qu'il se passe que d'autres cavaliers arrivent, plus menaçants ceux là. Ces derniers sont arrêtés par des cavaliers zurthans, menés par un zurthan à l'aura imposante. Vêtu d'un manteau couleur sable et coiffé d'un turban jaune, le cavalier à la peau sombre fait raisonner sa voix intiidante.
- Arrêtez-vous ! Ici est le camp des marchands des Dunes-Vagabondes, vous ne pouvez aller plus loin sans bonne raison. Que voulez-vous ?

Dans le même temps, une ombre se déploie au-dessus de la femme juchée au sol. Elle appartient un zurthan apparu lentement, tranchant avec l'animation ambiante. tournant le dos au soleil, il penche un visage dissimulé par l'ombre sur l'infortunée, tout en gardant ses mains dans son dos.
- C'est une étrange manière de monter un cheval. Qui est-tu, et pourquoi es-tu venue dans notre campement ?
Bien que le ton du zurthan soit d'un calme constant, il trahit un certain amusement mêlé à une insondable menace. La réponse de la jeune femme, à coup sûr, déterminera le traitement qui lui sera accordé.

Autant l’avouer, je ne m’étais jamais sentie aussi désespérée et humiliée qu’à ce moment-là. Je serais bien incapable de vous dire combien de temps cette cavalcade avait pu durer, néanmoins mes jambes chancelantes et la douleur ressentie dans mes cuisses constituaient probablement un très bon indice… D’accord, j’avais tout simplement mal partout à cause de toute cette tension accumulée dans mes muscles. Mais malgré le sifflement strident qui résonnait dans mes oreilles, je parvins tout de même à récolter quelques informations importantes sur l’endroit où ce canasson m’avait conduit. “Le camp des marchands des Dunes-Vagabondes”, quel nom pompeux et pourtant parlant puisque je réalisais que je me trouvais au milieu de Zurthans pas toujours très accueillants envers les étrangers. Enfin, d’après ma propre expérience passée. Je ne pouvais pas les juger sur leur réaction après pareille intrusion.

«Cette femme!» répondit l’un des bandits avec aplomb… «Elle a volé l’un de nos chevaux.»

« Mais… C’est totalement faux… Enfin, je crois. » Après tout, je ne savais pas du tout à qui pouvait appartenir l’équidé et je ne m’en souciais pas le moins du monde. Là, tout ce qui m'intéressait c’était de me débarrasser au plus vite de cette menace et de sauver ma peau. Nullement besoin de mentir pour cela, je ne me sentais nullement en tort. Alors, au zurthans qui m’adressa la parole, je répondis: « Je l’ai volé, c’est vrai, mais uniquement pour les fuir ! Ils ont cherché à m’isoler volontairement !»

Autant tout leur expliquer. Pour une fois, je me montrais parfaitement honnête et leur exposais les faits un à un, sans omettre le moindre détail. J’étais une intruse pour ces gens, tout comme mes poursuivants. Néanmoins, dans l’instant, j’avais besoin de leur protection, sans quoi, les cavaliers ne se priveraient certainement pas de me faire payer cet instant plus que gênant plus tard.

«Tu n’es qu’une misérable voleuse et une sacrée menteuse. Si nous te poursuivions, c’était uniquement pour récupérer le cheval que tu nous as volé.» déclara leur chef avant d’éclater de rire. «Tu ne vaux rien.»

« Espèce de... » grognais-je en me relevant péniblement, poings et mâchoires serrés, consciente que ce ne pouvait être que leur parole contre la mienne et que la mienne, justement, ne pesait pas bien lourd dans cette balance d’infortune.

Je détestais cela, cette injustice, ces mensonges… Les apparences ne pouvaient-être que contre moi, évidemment. Je ne pouvais qu’imaginer une issue fort peu réjouissante pour moi… Après tout, c’était vrai, je l’avais volé ce foutu cheval. Je l’avais même avoué… Restait donc à savoir si les nomades pouvaient croire une menteuse exceptionnellement honnête. Je les savais très méfiants mais aussi extraordinairement justes. Ces gens-là avaient des valeurs, contrairement à bien d’autres, néanmoins, il ne fallait pas oublier leur côté guerrier et, de mémoire, cette tenue couleur sable en disait long sur leur capacité à éviscérer un intrus …

La situation est épineuse pour les zurthans. L'intruse pourrait n'être personne comme elle pourrait être la fille d'une personnalité importante de ce Pays, quoi que son apparence ne suggère le contraire. L'apparence. Ces zurthans-là sont bien placés pour savoir que les apparences ne sont pas toujours fiables. Les poursuivants, quand à eux, pourraient aussi bien être des bandits que des marchands de chevaux. Qui croire, en de pareilles circonstances ?
- Ne bougez pas ! Répète le cavalier zurthan, voyant l'un des poursuivants esquisser un mouvement suspect.
Le silence prends place à l'entrée du camp, un silence pesant. Les zurthans ne disent rien de plus, fixant les étrangers d'un regard méfiant. Il se contentent d'attendre. Attendre quoi ? Attendre un ordre, attendre un signe.

Près de l'intruse, le zurthan à l'ombre menaçante fait pas non plus de bruit. Sa tête reste penchée sur la jeune femme un moment, comme s'il la sondait.
- Dans notre culture, commence-t-il finalement d'un ton sévère et la voix basse, les voleurs de chevaux sont sévèrement punis. La mort est parfois enviable au sort qui les attend.
Puis plus un mot, le silence revient pendant quelque secondes.
- Le cheval ? Demande tout à coup le zurthan, élevant la voix, en langue du Désert.
Et bien que son visage soit toujours penché sur l'intruse, ce n'est pas à elle que s'adresse le zurthan, en réalité.
- Nadil s'en occupe. Répond un zurthan, non loin dans le camp.

Et le silence revient. Au bout de quelques minutes à observer les intrus, un zurthan au corps élancé arrive d'une autre partie du camp. Dans sa main il tient la bride du cheval que montait la jeune femme, l'animal s'étant étonnamment calmé désormais. Ce n'est qu'à ce moment, qu'enfin, le visage du zurthan se détourne de la femme jonchant toujours le sol.
- Des dégâts ?
- Une tente déchirée, des caisses renversées, aucun blessé. Un tonneau de Oyrak a été percé, la moitié s'est déversé dans le sable.
- Ils paient ou ils s'en vont.
- Bien reçu.

Sans se pressé, l'air détendu, le zurthan élancé emmène le cheval par la bride jusqu'à la porte. Il échange quelques mots discrets à celui qui semble être le meneur, puis ce dernier prend audiblement la parole.
- Ce camp est notre territoire. Votre cheval a fait des dégâts. Vous payez et vous et vous le reprenez, ou vous partez et il sera la paye.
Le cavalier fait un signe de tête à ses compagnons.
- Les Marchands des dunes-Vagabondes ont parlé. Payez avec de l'or, avec ce cheval, ou avec vos vies.
A ces derniers mots, les cavaliers montrent ostensiblement les poignées de leurs sabres. Si les étrangers ont une idée malheureuse en tête, il est certains que ces guerriers sont prêts à y répondre.

« Dans notre culture,les voleurs de chevaux sont sévèrement punis. La mort est parfois enviable au sort qui les attend,»
me lança l'homme qui semblait être leur chef… Celui-là même qui me dévisageait depuis bien trop longtemps à mon goût.

Mais cela, je le savais parfaitement. S'il y avait bien une chose dans la culture zurthanne qu'il était impossible de ne point retenir, ce ne pouvait être que celle-ci. Qu'importe les risques, cette fois je ne mentais pas. Je me contentais d'espérer que ces hommes trouvent en mon larcin quelques circonstances atténuantes afin de m'éviter de terminer entre les griffes de ces bandits. Je tenais à ma liberté. Je n'avais pas survécu jusqu'ici pour terminer mon existence de la sorte… Alors oui, cette fois, j'avais peur… peur de tout perdre et le silence de l'homme ne m'aidait absolument pas à m'apaiser.

Que dire de plus pour plaider ma cause ? Rien ne me vint à l'esprit. Pas le moindre mot…  D'ordinaire, je ne manquais pourtant pas d'idée pour me sortir d'une situation périlleuse. Mais cette fois, j'étais perdue, prise au piège… Contrainte de placer mon existence entre les mains d'inconnus, des hommes du désert qui se fichaient bien de me voir finir entre celles de ces monstres. Pour sûr, le cheval, en revanche, les intéressait bien plus que moi. Comment pouvais-je me sortir de ce mauvais pas ?

Comme je ne trouvais rien à dire, je décidais de simplement fermer les yeux pour écouter les zurthans parler entre eux dans leur langue. J'en saisissais quelques bribes sans pour autant tout comprendre… Je me souvenais d'un jeune homme fier mais amical qui avait ,autrefois, pris la peine de m'enseigner quelques mots… Quel était son nom déjà ? Non mais… quelle idée de penser à lui maintenant, ce n'était pas le moment… Vraiment pas…

«Quoi ?! C'est une blague, on n'y est pour rien. C'est elle qui a foncé dans votre camp, c'est donc à elle seule de payer. »
«Hein ? Mais… Azouz, tu as dis que... »
«Tais-toi, idiot... »
« Qu'ils gardent le cheval, on récupère la fille et on se casse d'ici. J'ai pas franchement envie de passer sous leurs sabres moi... chuchota le troisième bandits, trop fort néanmoins pour que ses mots ne soient pas entendus…. Quel crétin… Mais quel crétin de génie… En ouvrant sa grande bouche, celui-ci venait peut-être de sauver ma vie… Peut-être..
«La ferme, » grogna le chef des malfrats
« Eux mauvais hommes» tentais-je d'expliquer au chef des nomades dans cette langue étrange que je n'avais jamais réellement maîtrisée. « Vous m'aider,pitié...Eux vendre moi… Mort mieux...M'aider ou tuer moi, pas donner à eux… pitié...»

De mémoire, jamais je n'avais supplié qui que ce soit auparavant. D'ailleurs, je ne saurais dire si le mot "pitié" existait réellement dans leur langue… Voilà pourquoi ce fut le seul prononcé dans la mienne et donc compris par l'ensemble des hommes présents sur place. Quel autre choix avais-je, après tout ? Puisqu'il tenait tant à me dévisager, autant essayer de capter réellement son regard. Je me plaçais donc face à lui afin de l'affronter avec toute l'honnêteté qui était la mienne… Lui seul avait encore le pouvoir de décider de ce que ma vie pouvait valoir…

Mais ce regard… Même assombri par sa posture et la situation dans laquelle nous nous trouvions, il me semblait étrangement familier… Rapidement je tentais d'observer ses traits plus en détails cherchant un petit quelque chose qui s'accorderait avec les souvenirs que je pouvais avoir de lui… Je poussais un soupir de soulagement lorsque je les vis, ces trois petites cicatrices, à peine visibles mais pourtant bien présentes, plus particulièrement celle qui marquait si bien sa joue qu'elle apparaissait comme une fissure dans sa barbe… Ce jeune homme, connu il y avait fort longtemps, portait la même… Mais quel était son prénom déjà ? Je me souvenais très bien de sa sonorité particulière… Si particulière que je n'ai jamais été fichue de le prononcer correctement… Comment était-ce déjà ?

« Toi… Moi toi connaître… Zo...Zo… Zoël !»

Je n'étais pas du tout sûre de moi. Pour beaucoup, les hommes du désert se ressemblaient tous plus ou moins et… Peut-être avaient-ils raison. Je pouvais très bien me tromper et le confondre honteusement avec un autre… Les nomades étaient des guerriers après tout… Combien d'entre eux arborait ce genre de cicatrices sur le visage ? Pouvais-je réellement  me fier à mes souvenirs? Tant pis,  au point où j'en étais, autant tenter le tout pour le tout…

« C'est toi, n'est-ce pas ?»

Le zurthan ne montre aucune réaction aux dires de l'intruse, et pourtant son regard semble plus profond sur la jeune femme. Le connaît-elle réellement, ou cela n'est-il qu'un coup de bluff ? Il est impossible, à cet instant, de savoir si lui a reconnu une ancienne connaissance en la personne de cette jeune femme, ni même si cela a une quelconque importance. Les zurthans, après tout, sont connus pour avoir leurs propres coutumes, leurs propres pratiques, parfois si étranges qu'elle en deviennent mystérieuses et incomprises aux yeux des peuples hors du désert. Et cela est encore plus prononcé chez les peuples nomades, tel que celui dont le camp a été dérangé.

Lorsque, sans un mot, l'homme du désert détourne finalement le regard de la jeune femme, sans pour autant baisser sa garde, un seul geste léger de la main suffit à faire comprendre à ses compagnons l'attitude à garder vis à vis des cavaliers. Déjà haut sur sa monture, le cavalier menant les gardes zurthans des portes se dresse de plus beau, prenant une posture plus imposante encore qu'elle ne l'était déjà.
- L'intruse doit payer sa part, son sort nous appartient. Le cheval vous appartient, vous payez pour les dégâts qu'il a fait.
L'atmosphère se tend tandis que les guerriers zurthans, précédemment détendus, se font plus menaçants.
- Maintenant vous payez pour le cheval, ou vous partez.

Comprenant sans doute que les zurthans ne plaisantaient pas les poursuivants de l'intruse finissent par choisir la seconde option, non sans une évidente contrariété. Il semble cependant qu'ils n'étaient pas prêts d'en découdre, leur infériorité numérique ayant certainement joué dans la balance. Par ailleurs leur manque d'insistance quant à négocier, que ce soit au sujet de la jeune femme ou du canasson, montre aux zurthans qu'eux mêmes avaient probablement quelque chose à cacher, ce qui confirme ce qu'a présagé l'instinct du chef des hommes du désert.

Le silence revient dans le campement zurthans tandis que les cavalier louches disparaissent, puis les guerriers retournent à leurs occupations précédentes. Le zurthan s'étant chargé de calmer le cheval emmène ce dernier plus loin dans le camp, tandis que d'autres s'affairent déjà à réparer les dégâts causés. Se penchant vers la femme toujours au sol, celui qui parraît être le chef de ce groupe lui tend une main large et calleuse.
- Tu nous dois une faveur, femme. Lève-toi.
Après l'avoir aidé à se relever, le zurthan détaille à nouveau l'intruse de son regard perçant.
- Tu prétends me connaître, mais ce camp n'est là que depuis peu. Qui es-tu ?