[Fernel] Echanges diplomatiques et commerciaux

fin de la 9e Ennéade de l'an 18 du XIe cycle,
arrivée sur les terres Ferlenoise.

La route ralliant les domaines d'Odélian et Fernel ne fut pas si éprouvante pour la délégation de cavaliers menée par le Comte en personne. Le seul point noir de ce voyage étant la tournure des évènements survenue la veille au soir à l'auberge où Charles et son acolyte assassin semblaient se retrouver dans une impasse complexe, Prademont ne pouvant lui céder de manière conventionnelle un titre de noblesse, lui préférant une méthode détournée afin de respecter sa part du marché. Seulement voilà, aucun compromis ne fut sceller, laissant perplexe le Comte d'Odélian alors qu'il reprenait la direction du Nord où l'attendait une femme avec qui il pouvait éventuellement nourrir quelques perspectives d'alliances.

Si les contours de ces dernières n'étaient pas encore dessinés dans l'esprit de l'Intendant Royal à la Justice, il bénéficia du trajet à cheval pour oublier la déconvenue de la veille, se préparant mentalement à cette seconde sortie officielle depuis son accession au trône d'Odélian. Une seconde sortie qui lui mettrait par la même occasion d'asseoir toujours plus encore sa fonction d'Intendant Royal à la Justice face à cette épineuse et inquiétante affaire où semblait être mêlée la peste noire incarnée par cette sinistre prêtresse drow. Charles était un homme ambitieux, une ambition qui l'avait conduit à trahir une grande partie de sa famille et pourtant ce secret était bien gardé de tous, contrôlant les rouages judiciaires pour se prémunir de toute menace.

La douzaine de cavaliers, flanquer de leurs armures étincelantes, portant l'étendard bleu et blanc d'Odélian, laissait sur son sillage un nuage de poussière ou plutôt une pellicule de terre suffisamment légère pour s'envoler au contact des sabots des puissantes montures. Du château où se trouvait la demoiselle de Fernel, nul doute que l'on pouvait distinguer la progression de cette petite troupe qui s'enfonçait alors dans les hameaux séparant la frontière du point central et culminant de cette seigneurie rattaché au duché de Serramire et se trouvant installé au pied des Monts d’Or, à mi-chemin entre Avaugour et Montrélin. Quittant donc les bois, traversant ensuite les plaines d'élevage, s'enfonçant finalement dans ce bourg situé au pied du château, Charles et son escorte ralentirent la cadence à la vue de la porte fortifiée du château. Ainsi, au trot quelques instants, les montures progressèrent finalement au pas, laissant la populace admirer ces douze chevaliers en armure de plate, laissant entrevoir au milieu d'eux le Comte d'Odélian flanqué d'une cape couleur bleu azur.

S'avançant alors lentement jusqu'aux larges portes, l'un des chevaliers quitta le cercle formé autour du Comte Prademont et annonça alors à qui voulait l'entendre sur les remparts la présence de l'invité de marque qu'attendait la damoiselle siégeant en ce lieu.

Depuis le château, en effet, une silhouette très modestement drapée de laine bleue et d’une cape sombre observe la progression de la petite troupe qui avance sur son territoire. Elle est mise avec une simplicité extrême. De la laine simple jusqu’à ses pieds, un fin et discret galon de feuilles de chêne sur l’ourlet de son corsage carré, l’anneau de Fernel à son doigt et le cercle de métal retenant son épaisse chevelure bouclée composent l’essentiel de sa tenue. Ce n’est rien en comparaison de la brillance inquiétante de son regard noisette posé sur celui qui mène cette troupe.

Dante est parti un peu plus tôt. Une fois de plus elle a du lui dire adieu sans savoir quand elle le reverrait, ni même si elle le reverra. Le danger est son quotidien. La mort est son amie, tapie dans l’ombre. Le jour où elle cessera d’être son alliée, ce jour-là l’Ombre disparaîtra et c’est ce qui effraye Louise, en secret. Un monde sans Dante, sans son confident, sans son allié, ne sera plus qu’un monde vide et triste. Aussi veille-t-elle sur ses arrières, aussi vigilante qu’un loup veillant sur le membre le plus agité de la meute. Et en l’occurrence, la louve a le regard directement planté sur la silhouette du comte d’Odélian qui vient de franchir les remparts et qui désormais attend dans la cour intérieure.

Au rez-de-chaussée, Louise entend tout le vacarme que distille une telle arrivée. Elle entend les domestiques courir, elle entend le bruit des épées et des armures, elle entend même Maïethé crier en cuisine. Le Comte a bien choisi son jour. A deux jours près, ils se ne rencontraient pas puisqu’elle est sur le départ vers Arétria en compagnie du seigneur de Terrefière et de ses meilleurs hommes.

- Dame Louise ! Dame Louise ! C’est le…c’est le…
- Le Comte d’Odélian, Maximilien. Le Comte d’Odélian.

Le serviteur avait frappé comme un forcené à la porte de sa chambre avant d’entrer prudemment, en s’inclinant comme jamais.

- Je le sais, allons voyons, pourquoi te mets-tu en cet état ?
- Dame, il demande à vous voir !
- Je n’en doute pas un instant, s’il se trouve à ma porte…He bien fais le donc entrer, qu’il patiente dans le grand-hall. J’arrive.

Maximilien file comme une flèche. Louise, seule, range les lettres, les cartes, dans un tiroir dont elle conserve la clé. Le serviteur, lui, jeune garçon de seize ans à peu près, approche les chevaliers, le Comte, en s’inclinant encore avant de dire :

- Dame Louise vous prie d’entrer.

Les invités de prestige sont rares à Fernel. Le dernier en date, le seigneur de Terrefière, est toujours au château, en train de préparer son retour vers Arétria. S’il a été reçu avec toute la dignité possible, il y a une différence à observer quand on reçoit un Comte. Et Louise le sait. Elle se regarde. Elle soupire mais ne changera pas d’habits pour la cause. Elle est telle qu’elle est, chez elle, et la venue du Roi lui-même n’y changerait sans doute rien non plus. C’est donc le plus tranquillement du monde qu’elle quitte sa chambre, de son pas souple et silencieux, pour rejoindre le grand escalier menant au rez-de-chaussée, avisant pour la première fois le Comte d’Odélian qui vient d’entrer avec sa suite.

Jeune, plutôt bel homme dans le genre minet de cour, bien fait de sa personne et habillé avec soin. Voilà pour la première impression visuelle. Pour le reste, elle agit comme d’habitude, recevant tout le monde avec grâce et courtoisie, effectuant une gracieuse révérence envers le Charles de Prademont avant de se redresser, les mains nouées sur le devant, le regard fixement posé sur le sien, direct et clair. Sans crainte aucune.

- Je suis heureuse de voir que votre voyage s’est passé sans encombre apparent, Monsieur le Comte. Avez-vous fait bon voyage ?

Elle lui tend sa main à baiser, un fin sourire de pure condescendance au coin de ses lèvres. Elle est la maîtresse des lieux, après tout.

Après quelques minutes d'attente, un jeune homme se présenta devant le Comte et ses hommes en armure, s'inclinant bien bas pour alors inviter les Odéliens à entrer. Sans vraiment se formaliser avec l'attitude trop parfaite du jeunot, Charles se retourna vers ses chevaliers et les convia d'un mouvement de tête à le suivre entre les murs du château de Fernel.

Dans le hall, les pas cadencés des chevaliers derrières leur suzerain frappaient le sol dans ce rythme qui intronisait l'arrivé du Comte avec un certain panache. Le fer des armures venaient couiner légèrement pour renforcer cette atmosphère militaire et solonnel de la présence d'un personnage d'importance du duché de Serramire, même s'il ne s'agissait pas pour autant du Duc en personne. Charles se présentait en tout cas de manière assez fringante et humble à la fois. Si vous le pensiez imbue sa personne c'était mal le connaître car son expérience à l'intendance royale lui avait inculquer humilité et sagesse.

Des qualificatifs que l'on ne pouvait accorder de prime abord à la maitresse des lieux mais pourtant la condescendance qu'elle affichait avait du charme et si je puis dire, du chien ! Oh, là non plus Charles ne se formalisa pas sur la tenue simple de laine que la demoiselle portait alors qu'il la fixait descendre lentement l'escalier pour venir à sa rencontre. Une paume baisse, les doigts écartés, Charles venait discrètement d'inviter ses hommes à stopper leur progression et ainsi laisser une certaine souplesse au Comte pour jouir d'un peu plus d'espace pour s'exécuter aux salutations d'usage.

D'un élégant et fluide geste du bras, il pivota, faisant tournoyer sa cape dans un mouvement presque altier avant de recevoir toute la grâce et la courtoisie de son hôte. Ce regard qui le fixait ensuite ne laissait nul doute à interprétation, il était clair et sûre et nulle peur ne se lisait dans ces yeux noisettes. Après s'être exprimée, Louise dirigea sa main vers le Comte d'Odélian qui s'exécuta dans une plus succinct révérence pour ainsi affirmer son rang plus notable. Pour autant, il respectait scrupuleusement les codes de bonne conduite et se faisant, il cueillit la main que la demoiselle lui tendis pour mimer un baisé main sans que pour autant ces lèvres ne se posèrent sur le dos de cette main.

Charles de Prademont aurait aisément pu jouer sur le charme, mais il n'était pas venu ici conter fleurette ! Et ce même si son regard émeraude ne pouvait réfuter que la vision de la jeune femme était des plus agréable malgré un manque criant de soin porté à sa toilette pour le recevoir. Il glissa alors un sourire à la commissure de ses lèvres à l'endroit de la jeune femme. Et si elle marquait aussi par ce sourire toute la condescendante qu'elle assumait, cela ne semblait déplaire au beau blond, qui après avoir passé une mèche de ses propres cheveux derrière son oreille, offrit la réplique à son hôte non sans tout a fait exprimer la réalité des choses.

- Un voyage des plus parfait, mademoiselle de Fernel ! Menti-il puisque la situation s'était tendue avec Dante qu'il ne connaissait que sous le nom de Corvac. Vos terres semblent sûre et fertile pour vos élevages et je suis ravi d'enfin faire votre connaissance, mademoiselle.

Glissa t il avec sobriété avant d'observer les lieux qui l'entourait pour s'imprégner de l'atmosphère qui pouvait y régner. Cette visite était après tout à la fois initier sous le signe de la curiosité et la distraction mais aussi diligenter sous le signe des affaires, dont il devait encore y faire ses armes en ce qui concernant ses intérêts pour Odelian tandis que l'homme serait certainement plus à son aise lorsque serait posé sur la table le sujet propre à sa fonction d'intendant Royal à la justice, face au fait divers impliquant la sombre maraude. Bref, un programme riche en perspective!

Un homme de cour. Le nouveau Comte d’Odélian est la représentation typique de ces minets souples et onctueux qui hantent les couloirs des palais, l’œil fatigué mais luisant d’ambition, drapés dans des soieries prestigieuses, une main sur le pommeau d’une dague, l’autre maintenant des rouleaux de comptes ou de comptes-rendus. S’il est berné par l’apparente simplicité de la tenue de la châtelaine, Louise ne l’est pas par celle du Comte, elle. L’avantage d’avoir voyagé et d’avoir rencontré les grands de ce monde, tout comme d’avoir bourlingué sur toutes les routes de Péninsule pendant des ennéades entières, est sans doute de pouvoir jauger au premier coup d’œil à qui elle fait face. Et il n’y a guère moyen de s’y tromper. Encore un noble seigneur de Péninsule à l’image de pratiquement tous ceux qu’elle a rencontré à ce jour.

Lorsqu’il prend sa main pour lui apporter une marque de respect, elle l’observe s’incliner, de curieuses pensées traversant son esprit. Un fin sourire étire ses jolies lèvres roses, un sourire disparaissant alors qu’il se redresse pour des banalités d’usage, tout en observant l’endroit dans lequel il se trouve.

Il se tient dans un château fortifié. Un château rude, aux épais murs de pierres solides et lourdes, à la décoration sommaire. Un château du Nord, un endroit qui n’est nullement destiné à l’agrément mais à la défense, une place forte, où tout est militairement rangé, préparé et soigné. Il n’y a que peu de tapisseries aux murs, peu d’agrément qui pourrait enchanter le regard sauf si on trouve un attrait particulier à la guerre. Le Comte pourra d’ailleurs observer sur sa droite les doubles portes de la salle d’armes, ouvertes, lui permettant de voir à l’intérieur de nombreux hommes s’entraînant à l’épée. Il y a aussi du mouvement, des serviteurs, des palefreniers…De la vie et une vie qui s’affaire, comme si on était dans l’urgence.

- Vous rencontrer me ravit, Monsieur le Comte. Suivez-moi je vous prie. Vos hommes peuvent attendre dans la salle d’armes. J’aimerais m’entretenir avec vous seule à seul.

Il ne la connait pas, il saura pourtant à qui il a affaire sur ces simples paroles. Elle est ici chez elle. Il est un invité, aussi Comte et puissant qu’il soit, elle ira donc droit au but, sans fioriture ni rond de jambes, parce que ce n’est tout simplement pas dans sa nature. Elle s’éloigne déjà et se dirige vers la gauche, ouvrant en grand la porte menant à la grande salle de réception préalablement chauffée.
Lorsqu’il l’aura rejointe, elle fermera la porte en parlant :

- Le château est en effervescence depuis des jours à cause de la présence de cette drow dont j’ai fait mention dans ma lettre. Ne jugez pas Fernel d’un simple regard, en temps ordinaire, le château est plus calme, il y a moins de bruits d’épées et mes hommes sont moins sur les dents.

Elle lui montre un siège pliant devant l’âtre, un simple siège de bois garni d’un coussin de velours. Il pourra noter la présence d’une immense tapisserie au mur représentant une scène de chasse, des Drows décapités, des hommes en armures juchés sur des destriers carapaçonnés. Il y a aussi des épées, nombreuses, dont une, immense, disposée au-dessus du linteau de l’âtre, l’épée d’Eudes de Fernel, très abîmée. Elle attendra qu’il soit assis pour s’installer à son tour, sagement, le dos bien droit, les mains jointes sur ses genoux, occupée à l’observer avec la plus grande attention.

- Il est heureux que vous ayez emmené une telle escorte. Les dernières nouvelles de mes frontières ne font état d’aucune présence noirelfe mais il vaut mieux jouer la prudence avec ces sales bêtes là, j’imagine que vous êtes de mon avis…

Un petit sourire en coin, tout en attendant la réaction du Cygne.

- …et que vous avez peut-être pris de semblables disposition en Odélian afin d’assurer la protection de vos gens.

L'endroit était plutôt rustique mais cela semblait parfaitement convenir au Comte d'Odélian qui ne se formalisait pas sur la façon dont pouvait le recevoir cette petit châtelaine qui lui était encore que peu connue. Si la décoration était spartiate, l'endroit respirait de vie et tout portait à croire que le château était tenu d'une main de maître par cette demoiselle qui se montrait aussi sereine que décomplexé à s'afficher si modestement devant un homme de plus haut rang qu'elle.

Charles ne manqua pas d'ailleurs d'observer la salle d'armes en pleine ébullition et s'il était avant tout un homme de salon et d'office depuis ces huit dernières années , il n'en demeurait pas moins fort éduqué aux arts martiaux. Sur la demande expresse de son hôte, de Prademont indiqua alors, à ses hommes, d'un simple geste de la main qu'ils pouvaient occuper la salle d'arme pour rapidement reporter toute son attention sur Louise de Fernel. Au regard du Comte, il semblait de plus en plus évident que la dame de Fernel n'était pas adepte des ronds de jambes et autre situation stériles et de bon goûts, lui préférant franchise.

Ainsi sans mot dire, le beau blond la talonnait dans sa progression au sein du château et de ces couloirs jusqu'à ce qu'il pénètre à la suite de la jeune femme dans une grande salle de réception pour ce huit clos qu'elle avait exigé sans laisser la moindre manœuvre à son invité de marque. Là, Louise ne manqua pas de rappeler ce pourquoi le château semble si plein de vie, surtout dans cette salle d'armes qu'ils avaient pu croiser sur le chemin. Charles ne fit qu'acquiescer, tenant pour l'heure sagement sa langue de toute remarque ou réplique qui de toute évidence n'aurait rien apporter au cours de leur prémisse d'entretien en tête à tête. Non, Charles n'était pas homme à juger d'un simple regard, il n'aurait d'ailleurs pas été fonctionnaire royale, qui puis est intendant à la justice pour juger sans faits et preuves ! Il ne fit donc qu'acquiescer par un bref hochement de tête avant de se diriger vers l'assise qu'elle lui indiqua, n'y posant son séant que lorsqu'elle l'y convia.

Alors, il l'écouta religieusement, non sans laisser son regard observateur s'attarder sur cette immense tapisserie si bien décrite et fort révélatrice d'un certain caractère de la maison hôte. Ce n'est que lorsque Louise s'interrompit qu'il dirigea son entière attention sur elle, sans que son visage ne soit marquer d'aucun rictus, sourire ou autre signe révélateur de quelconque sentiments sur le sujet, restant d'une complète neutralité dans ses émotions.

- La prudence est un précepte qui guide ma vie en toute circonstance, plus encore sur ce sujet que vous évoquez et qui m'a conduit vers vous aujourd'hui.

Ainsi, il lui affirmait être en toute circonstance un être d'une extrême prudence.

- J'ai naturellement prit votre lettre avec le plus grand sérieux et mit en œuvre promptement des mesures à la fois pour sécuriser mes frontières et dénicher cette créature si tant est qu'elle ait osé élire provisoirement domicile sur mes terres. La protection de mon peuple est une priorité comme l'est la traque de cette sombre créature sur le sol Péninsulaire. Justice royale devra être rendu tôt ou tard et j'en serais le garant.

Le cygne ajusta alors sa cape dans son dos avant de croiser ces jambes pour se tenir droit sur l'assise sans pour autant se montrer altier dans sa démarche. Une certaine forme de sobriété semblait de mise, ne mettant nullement en avant ni sa fonction royale ni sa position dans la hiérarchie ducale en Serramire.

Pas un seul rictus n’apparaît sur le visage de la châtelaine qui l’écoute de toute son attention. Si elle semble parfaitement sereine, droite et attentive, elle le jauge. De très très près. Ce qui l’intéresse n’est pas ce qu’il dit, mais plutôt ce qu’il ne dit pas. Elle est simplement vêtue, elle porte de la laine commune, un tout petit galon de rien sur les ourlets, une petite cape, elle pourrait presque passer pour une petite bourgeoise, s’il n’y avait sur son visage toute l’attitude et la dignité de son sang clairement affiché. Elle ne rougit pas comme une gamine ou une de ces femelles rencontrant un mâle, elle ne bafouille pas, elle n’est aucunement hésitante. Elle est loin de la dame à la merci de tout, de n’importe quoi ou de n’importe qui.

Le regard qu’elle pose sur le Comte est celui d’un seigneur qui n’a absolument rien à lui envier. C’est le regard d’une personne sûre d’elle-même et de ses compétences, qui se permet même de juger en silence, ainsi qu’elle le fait à chaque nouvelle rencontre. Et le Comte d’Odélian ne fait pas exception à la règle.

Le physique est ce qu’on voit en premier, et il a le physique avenant. Le genre de physique qui doit sans doute lui ouvrir tous les cœurs et tous les lits. Elle penche un instant la tête, pendant qu’il parle, imaginant quel genre d’homme il doit être avec la Comtesse. Est-il onctueux et souple avec elle aussi ? Ou est-il un de ces hommes qui relègue sa femme au rôle de poupée gestante qu’on affiche de temps en temps à son bras pour paraître viril ? Son regard descend sur les vêtements qu’il porte, des vêtements de prix, couverts de poussière certes mais d’une indéniable qualité. Elle relève les yeux sur le Comte, estimant en silence toute la personnalité de son visiteur.

Un homme prudent. C’est du moins ce qu’il prétend être, affirmant être inquiet et privilégier la sécurité de son peuple. A ces propos, Louise esquisse un sourire poli.

- Vous m’en voyez soulagée. Cela étant, ce n’est pas tellement à l’intendant royal que j’ai écrit. Non, j’ai écrit au Comte et seigneur d’Odélian afin de l’avertir, tout comme j’ai écrit à sa Majesté ainsi qu’à tous les grands pairs du Royaume.

Elle replace un pli de sa robe, le plus tranquillement du monde.

- J’ai fait mon devoir envers mes voisins et la Péninsule. Le Nord a assez souffert de la présence de ces monstres, après tout, et si l’un d’entre eux se permet de se promener dans le royaume sans être inquiété, cela ne peut signifier que trois choses.

Une fois encore son regard accroche celui du Comte avec toute la froide franchise d’un coup d’épée.

- Soit il ne s’agit que d’un coup de semonce savamment orchestré, soit il s’agit des errements d’une créature totalement folle, soit les défenses du royaume sont aussi perméables qu’un fromage plein de trous. Peut-être sont-ce même les trois à la fois, qui sait. Quoiqu’il en soit, c’est inquiétant. Très inquiétant. Le message que cette créature m’a fait transmettre évoque « la légion sainte ».

Elle se lève et se dirige vers une petite clochette déposée sur une console, une clochette qu’elle agite, avant d’aller se rasseoir.

- Êtes-vous familier de la religion noirelfe, Monsieur le Comte ?

Une question importante. Entre-temps, un serviteur ouvre la porte avec prudence et passe la tête pour prendre ses instructions.

- Maximilien, apporte donc de quoi étancher la soif de sa seigneurie. Et dis à Maiëthé de préparer une collation pour les hommes qui se trouvent dans la salle d’armes.

Le serviteur acquiesce en silence, il ferme la porte, Louise croise les mains sur ses genoux, attendant la réponse du Comte, patiemment.

Qu'importe si le Comte était scruté, analysé, étudié sous tous les angles et toutes les coutures par son hôte, il n'était pas venu ici pour plaire ou gagner le cœur ou les cuisses de la châtelaine de Fernel. Non, un sujet grave lui avait fait quitter ces terres nouvellement obtenu après avoir ourdi un complot qui avait été couronné de succès. En réaction à ces propos, Louise semblait alors apporter quelques précisions que le Comte, par pure politesse, ne réfuta pas. La demoiselle pouvait bien prétendre n'obtenir l'attention que du Comte, Charles agissait également en sa qualité d'intendant royal à la justice dans cette affaire. Mais pourquoi deviser sur ce sujet plus que de raison et chercher à convaincre de sa présence par cette double étiquette ? De toute évidence cette femme ne caractère resterait borné à sa vision des choses, alors autant ne pas user de salive pour quelques divergence de point de vu.

Sans la contredire, donc, le Ser Prademont écoute religieusement le récit de son hôte dont cette forme de franchise lui était plus que louable. Une certaine inquiétude était naturellement de mise, plus encore à ces termes de "légion sainte" qui semblait présage à un conflit bien malvenu. Réaffirmant ces devoirs de noble citoyenne Péninsulaire, Louise posait carte sur table trois pistes de réflexion quand à cette sombre intrusion avant de sonder les connaissances religieuses noirelfe de son interlocuteur qui n'avait toujours pas sourciller ou émit la moindre expression ou émotion alors qu'un serviteur se rendait en cuisine pour apporter quelques rafraichissement qu'il saurait très vite décliner, soucieux de garder toute sa clairvoyance durant cet entretien solennel et ô combien important.

- Ce serait pur prétention que d'affirmer être familier de la religion noirelfe. J'en maîtrise quelque bribes, suffisamment pour nourrir ma détestation envers ces vils créatures. Mais j'imagine que cette question n'est en rien anodine, alors, venez-en au fait, mademoiselle. Je suis tout à votre écoute et prendre la mesure, autant que faire se peut.

Si Louise prônait une forme de franchise et montrait l'apparence d'une femme de pouvoir sereine et imperturbable, Charles lui retournait des qualités semblables, loin de se formaliser, de jouer de manières ou d'afficher ces avantages de titre et fonction. La situation était suffisamment inquiétante pour éluder toute forme de bienséance, de bon goût ou de protocole pompeux. Charles optait donc pour parler bien et peu sans autre forme de procès.

Maximilien revient quelques instants plus tard, apportant une cruche d’eau claire et deux gobelets. Le petit serviteur remplit l’un d’entre eux puis le dépose sur une petite table, devant le Comte, interrogeant du regard la châtelaine qui secoue négativement la tête. Il s’incline et sort, laissant les deux nobles sangs discuter.

- Connaître son ennemi est important. Cela permet de savoir de quoi il est capable et surtout ce qui le motive.

Elle croise les mains sur sa jupe.

- Cette noirelfe est la Haute Prêtresse de la déesse Kiel. Les Drows l’appellent aussi le Visage Hurlant. C’est la déesse de la Douleur.

Elle n’entre pas dans les détails, elle se contente d’expliquer en quelques mots.

- Car oui, ces créatures vénèrent la Douleur. Ils la vénèrent et ils la pratiquent. Autant sur eux-mêmes que sur les autres, de ce que j’en sais.

Un remerciement silencieux est adressé à celui qui est en ce moment en train de quitter la Péninsule pour rentrer en Estrevent.

- Cette prêtresse est à la recherche d’un artefact de son peuple perdu lors du siège d’Amblère. Un masque. Geoffroy d’Oesgard est averti de cela aussi. Et je le sais parce que son esclave s’est arrêté ici-même pour me poser des questions à ce propos.

Un sourire.

- Un gamin, à peine pubère, qu’elle a totalement émasculé d’un seul coup de lame. La perversion de ces créatures n’a absolument aucune limite.

Louise laisse s’écouler une ou deux secondes puis reprend :

- Leur religion tient une place prépondérante dans leur vie. Alors quand je reçois un message de cette créature parlant de Légion Sainte, alors que je sais qu’elle est à la recherche d’un de leur artefact dévoyé, tout en me renvoyant mon serviteur les deux mains collées sur son ventre pour éviter une chute de viscères…Il m’a semblé opportun d’avertir mes voisins, oui.

Ne se préoccupant nullement du gobelet que l'on déposa face à lui sur cette petite table prévu à cet effet, Charles n'avait alors d'attention que pour cette châtelaine qui venait alors exposer toutes ces connaissances sur l'affaire. La noirelfe était une haute prêtresse se complaisant dans la "douleur". Tout portait à croire que la drow était donc à la recherche d'un puissant artefact, un masque, qui possédait des vertus divines, une arme que ce Visage Hurlant cherchait à retrouver par l'intermédiaire de ces sbirs sur terre.

Tout ceci était inquiétant et il était peut être judicieux d'autant mettre la main sur la prêtresse que sur l'objet de sa convoitise. Ces créatures malfaisante n'avaient aucune limite et gage en était de ce serviteur qu'elle avait torturé en ce sens. Il acquiesça tout du long avant de s'éclaircir la voix afin d'émettre enfin quelques remarques.

- Pourrais-je voir le garçon ? Non pas que je remette vos propos en doute, mais que je puisse voir l'étendu de cet acte abject et barbare.

Il prit une pose, se redressant le temps d'attraper le gobelet et d'y tremper les lèvres avant de le reposer.

- Je m'interroge par ailleurs sur l'objectif de cette démarche. Pourquoi nous alerter ? Que croit-elle attendre de nos réactions ? C'est étrange, n'est ce pas ? Elle se sait à présent forcément traquer ! A moins que cela lui donne un avantage, quelque chose qui nous échappe encore, mais quoi ? Il n'y a rien de désintéresser à nous dévoiler ses intentions et ses desseins. Cette équation semble manquer d'un facteur et sans doute celui-ci s'en trouvait être la clé du problème.

Pensif, Charles se frottait la barbiche le regard perdu dans celui de son interlocutrice.

- Peut-être cherche-t-elle à nous duper en orientant notre attention là où elle le désir pour nous prendre à revers quelque par où nous laisserions une vigilance moins accru.

Louise hausse un sourcil. A-t-elle bien entendu ce que le Comte vient de dire ? Visiblement oui.

- Il vous faudra vous en tenir à mes propos, qui sont la plus exacte vérité, Monsieur le Comte. Le garçon n’est plus ici depuis des jours. Il est parti.

La châtelaine n’a pas bougé d’un seul centimètre.

- L’objectif est simple : distiller la peur. Elle savait sans doute très bien qu’en faisant passer un tel message via mon ferronnier, j’en ferais immédiatement part à mes voisins. Vous savez à quel point la région a souffert de leur présence, il était évident que j’allais en avertir tout le monde…C'est ce que n'importe qui pourvu du minimum de bon sens aurait fait.

Louise regarde ailleurs.

- Ce n’est que de la provocation…Elle n’est probablement pas aussi sotte. Elle a sans doute fait parvenir ce message en sachant qu’elle avait de l’avance ou de l’aide, quoique ce soit qui aurait pu l’aider à disparaître sans laisser de traces. Vous admettrez tout de même qu’on peut légitimement s’interroger sur l’état de nos frontières si des Drows peuvent venir se promener en Péninsule les mains en poches, sans être inquiétés…

A nouveau Louise reporte son attention sur le Comte qui est en train de lustrer sa barbichette.

- La créature est fourbe, on peut s’attendre à tout de la part d’un Drow. Qu’en pensez-vous ?

De l'avis de la châtelaine, la manœuvré de la noirelfe avait pour unique objectif de distiller la peur. De la provocation ? Voila tout ? Charles n'était pas totalement convaincu bien que cette stratégie de la "peur" portait tout son sens. S'interroger sur l'état des défenses des frontières était évident, mais une telle concertation devait inéluctablement se dérouler avec la participation du Duc de Serramire en personne. Si le Comte n'en fit la remarque, il préféra s'exprimer sur des éléments plus factuels afin de compléter le discours de sa consœur.

- Si votre raisonne s'avère exacte, nous risquerons d'être très prochainement confronté à d'autres raids similaires.

Il se redressa alors, perplexe et pensif, s'osant à faire les cents pas dans la pièce avant de se figer devant la toile symbolisant toute la haine envers ces créatures obscures.

- Je pense comme vous que cette félonne n'a pas agit de la sorte sans avoir quelques "coups d'avances". Je ne crois pas en un acte isolé et non réfléchi. Il en va de la responsabilité de notre suzerain, le Duc de Serramire, de tout mettre en œuvre pour renforcer les défenses à nos frontières. Nous devrions réclamer audience.

Il se retourna, fixant Louise de manière fort solennelle, sa cape bleu azur virevoltant dans son dos avec une certaine grâce.

- Vous êtes à l'initiative de cet avertissement, il serait donc légitime que vous soyez l'instigatrice d'une telle démarche, mais puissiez croire que vous aurez tout mon soutien si cela s'avérait necessaire.

- Similaires ? Non…La légion sainte n’a, à l’énoncé, rien de comparable à l’incursion furtive d’une haute-prêtresse Drow…

Elle inspire profondément et regarde un bref instant le siège que vient d’abandonner le Comte d’Odélian pour nonchalamment arpenter la pièce qu’ils occupent. Elle lève un instant les yeux sur cette silhouette masculine puis reporte son regard sur la tapisserie qui attire l’attention du noble sang à ses côtés. Louise recroise ses doigts sur ses cuisses et dit, d’une voix tranquille :

- Une représentation des combats qui ont agité le Nord…Cela a occupé les tisseuses pendant des ennéades entières.

Louise écoute un bref instant les bruits qui parviennent de derrière la porte, le bruit du métal qui s’entrechoque, celui des voix masculines qui font connaissance, de quelques rires joyeux aussi…Cela a l’air bien plus vivant là-bas que cela ne l’est ici, entre une tapisserie macabre et un noble seigneur qui n’a pas la plus élémentaire courtoisie de remercier un minimum pour l’accueil malgré l’imprévu.

La châtelaine est douce, tranquille et posée mais il y a des limites à ne pas franchir. Et le Comte d’Odélian est en train de s’en approcher dangereusement. Elle sait ce qu’elle doit faire et comment elle doit le faire, il est inutile de le lui rappeler. Cela étant, fidèle à elle-même, cela ne se perçoit en rien. Le visage et l’expression restent semblables, le ton aussi. Pour autant, qu’il ne commette pas l’erreur de la sous-estimer quand il s’agit de défendre ses gens et, par extension, le Duché, même si elle n'a pas les mêmes moyens que lui…

- Je ne vous ai pas attendu pour avertir notre suzerain, il a même été le premier averti, tout comme le Baron d’Oesgard et sa Majesté. Je ne vous ai averti que par courtoisie, comme le ferait un loyal voisin qui ne s’inquiète pas uniquement de ses terres mais aussi de celles des autres.

Elle se lève à son tour et va se servir un verre d’eau claire sans tenir compte de son invité, pour apaiser le feu qui est en train de grandir en son estomac.

- Si le Duc n’a pas répondu et n’a pas demandé d’éclaircissements sur ce point, c’est qu’il n’a probablement pas jugé utile de me convier à Serramire afin d’en savoir plus. J’ai fait mon devoir. A lui maintenant de prendre les décisions qui s’imposent et sur lesquelles nous n’avons, ni vous ni moins, aucune emprise.

Elle pose son verre sur la petite table basse et se rassoit enfin.

- Si Odélian n’a pas eu de contacts récents avec cette race, alors…je suis bien aise de le savoir.

Si Louise se méprenait sur le terme "Similaire" qu'il avait employé, Charles se garda bien de toute rectification. Après tout, il ne la connaissait pas suffisamment pour se permettre de la contredire surtout en son propre château, alors, mieux valait garder sous silence cette incompréhension et d'ailleurs, Louise ne ressemblait pas au commun des demoiselles de bonnes naissances alors mieux valait s'abstenir plutôt deux fois qu'une de provoquer quelques courroux à son endroit.

Se faisant, alors que Charles s'était permit de quitter son assise pour venir observer la toile, il reçu la voix tranquille de la châtelain qui vint alors décrire l'œuvre et le contexte de sa confection. Il opina du chef non sans flatter quelque peu l'égo de cette femme qui semblait étrangement bien atypique.

- Quel travail grandiose. Il a toute sa place dans une telle pièce, c'est indéniable.

C'est alors qu'il daigna se retourner, reprenant le cours de leur entretien et recevant alors très rapidement les répliques de Louise de Fernel. Et sa réaction était des plus surprenante ! Loin sans faux ! Il en ressentait presque une forme de condescendance, presque à s'interroger si cette femme n'avait pas d'affinité avec quelques courants féministe ! Enfin, si ce genre de courant pouvait exister, biensûre, sachant la place d'une femme ordinaire dans cette société féodale ! Mais elle n'était femme ordinaire et semblait l'affirmer peut être de manière un peu trop expressive. C'était évidemment le point de vu de Charles qui la trouvait comme piquer au vif par quelque chose chez lui ! Mais pourtant, ne tentait-il pas de ne montrer aucun émotion, aucun trait de caractère, restant dans un cadre de neutralité et bienveillance.

Qu'importe ! Il aurait bien voulu hausser des épaules pour accompagner mais ne le fit que lorsqu'elle lui tourna le dos pour se servir un rafraichissement, qu'elle n'avait pourtant pas souhaiter, se rappela-t-il soudainement ! Hmmmmm... ce détails l'interpelait alors mais il devait se garder de l'exprimer. Alors, il préféra se rapprocher de la jeune femme et lui servir un sourire de circonstance, inclinant légèrement la tête après avoir reçu ces mots.

- Il n'y a donc rien à dire de plus sur ce sujet, je présume ? Vous semblez avoir résumer les faits si je ne m'abuse.

Il n'était évidemment pas du même avis que la jeune femme, mais la prudence était de mise. Ainsi il se rassis et se saisi du gobelet d'eau pour le porter à ses lèvres avant de le reposer immédiatement.

- Vous semblez promptes dans vos propos, cela vous honore. Un gain de temps notoire au vu de nos lourdes charges respectives. Mais je ne voudrais vous imposer séance tenante de deviser sur des aspects plus diplomatique et commerciaux, à moins que sur ce point, vous ayez déjà préparer quelques esquisses ?

N'y voyez aucune forme de condescendance, qu'il préférait laisser à son hôte, un poil austère à son goût (dans son ensemble, caractère et apparence comprise), peut être juste une forme de trait d'esprit car il n'était pas homme à se soumettre à quelques dictat ou quelques cadres qu'on lui imposait. Il jouait en toute subtilité pour ne pas froisser la châtelain mais en même temps, lui indiquer qu'il n'était pas en accord avec le fond et la forme de ce début d'entretien.

- Je n’aime pas tant tergiverser, ce n’est pas dans ma manière d’agir, en effet. Non pas pour ménager mon emploi du temps, mais parce que c’est tout simplement dans ma nature.

Elle l’observe avec un petit sourire. Elle est directe oui, ça ne l’empêche pas pourtant d’être courtoise et polie, même si elle peut parfois paraître rude dans son attitude.

- Cela étant, j’ai pour règle de ne pas aborder de tels sujets qui demandent une certaine réflexion et toutes les facultés d’esprit à mon interlocuteur quand il vient de parcourir beaucoup de chemin à cheval et qu’il est encore tout couvert de la poussière des routes.

Un regard pour la cape un peu grise par endroits.

- A dire vrai, Monsieur le Comte, je pensais plutôt aborder tout cela au repas du soir, si cela vous agrée.

Louise est toujours assise bien droite sur sa chaise, tout sourire, l’œil brillant.

- Puis-je compter que votre suite et vous-même serez donc mes invités d’honneur ce soir ? Il y a des chambres en suffisance pour convenablement recevoir tout le monde pour cette nuit. Il vous suffit de me le dire et je prendrai toutes les dispositions en ce sens.

Elle n’a pas bougé d’un centimètre, toujours droite, toujours l’œil fixé sur lui.

- Je ne peux malheureusement vous proposer de séjourner davantage en mon château, des affaires m’appellent ailleurs et requièrent ma présence dès le début de la prochaine ennéade.

L'hôte était peut-être polie et courtoise, elle n'en demeurait pas moins directe et un poils hautaine dans sa verbe. Tout d'abord, après avoir confirmé à son invité n'aimait guère tergiverser, elle s'offrit le toupet, l'arrogance de juger de l'esprit de Charles après son voyage. De l'avis du Comte, cette remarque était des plus malhabile. Mais il n'était pas au bout de ces surprises !

Et oui, cette pointe d'arrogance de la part de Louise de Fernel fut ensuite accompagnée par une manière bien maladroite de cette dernière de n'offrir le gîte que pour une nuit seulement ! L'on prenait généralement quelques souples dispositions dès lors qu'un visiteur de meilleur rang venait en son domaine ! Mais cela semblait ne pas faire partie des préceptes de la châtelaine. Charles n'osait imaginer la terre du Duc si on lui accordait le même accueil.

Bon, bon, bon... Charles restait pourtant impassible meme si en son fort intérieur il aurait aisément voulu bondir. Il ne fit alors d'acquiescer pour ne pas créer d'incident diplomatique et servir de faux sourire entendus à d'autres moment avant d'entre ouvrir les lèvres lorsque réellement la jeune femme lui laisser l'occasion de s'exprimer.

- Si la présence de mes hommes et moi-même ne vous incommode pas. Et de surcroît si vous estimez que ma personne ait le temps nécessaire pour retrouver ces facultés d'esprit en si peu de temps, bien entendu.

Subtile façon de la mettre face à ses contradictions. D'ailleurs, il avait comme un doute soudainement. Devait elle prendre ces dispositions pour le dîner ou pour la nuitée ? Non ! Cela ne pouvait être la seconde ! Quel culot cela aurait-il été de laisser penser qu'il aurait fait tout ce chemin pour repartir le jour même ! Un instant il se demandait si son interlocutrice n'était pas en train de se payer sa tête et cela l'agaçait.

- Des affaires semblent donc déjà vous appeler et j'ai bien le sentiment que votre attention est justement bien ailleurs.   Vous ne tergiversez point, c'est le moins que l'on puisse dire. Alors mieux vaut m'exprimer aussi franchement que vous.

Cherchant à maintenir tout sa sérénité, il rajouta alors.

- Mon esprit semble à votre opinion, avoir grand besoin de repos. Une nuit de fait ? Pour finalement au lendemain aborder des sujets au mieux avant le zénith du soleil afin que mes hommes et moi-même regagnons nos terres. Voilà un programme quelque peu... serré. Peut être serait il plus judicieux que nous reportons nos affaires lorsque  votre temps vous sera plus favorable.

C'etait une analyse de la situation, son analyse, une somme de faits et gestes de la part de la châtelaine qui incitait Charles a réagir de la sorte. Charles n'appréciait que peu que quelques affaires se réalisent à la va-vite et c'était bien ce qui semblait se profiler. Et l'avant goût au sujet de la prêtresse drow n'avait rien pour donner à cette châtelain un quelconque crédit à ses yeux.

Louise hausse un sourcil.

- Vous êtes étrange, Monsieur le Comte. Je viens de vous inviter à rester ici, à l’abri, tout comme j’ai l’élémentaire courtoisie de ne pas assommer un visiteur à cheval de questions délicates et de points de diplomatie alors qu’il a probablement les jambes rompues de fatigue. Je ne sais pas comment on appelle cela en Odélian, mais ici cela s’appelle « prévenance ». Et je ne vous demanderais pas de rester si vous m’incommodiez. Si c’était le cas, vous ne seriez même pas ici, en cet instant.

La châtelaine se lève enfin et lui fait face, sans ciller et sans le quitter des yeux une seule seconde.

- Vous vous présentez chez moi, je vous offre ce que j’ai. L’hospitalité n’est pas un vain mot à Fernel. Tout comme la courtoisie. Si cela ne vous agrée pas, si cela n’est pas suffisant à vos yeux, je ne peux malheureusement rien faire pour vous, à part peut-être vous inviter à aller quérir dans un plus grand, plus riche et plus fastueux endroit tous ces égards qui semblent absents à vos yeux.

Une ride sur le front tandis qu’elle plisse les yeux.

- Vous êtes Comte et dirigez un grand domaine. Je suis châtelaine et dirige un petit domaine. Il n’en demeure pas moins que les soucis, les tracas et surtout les imprévus sont les mêmes, quelle que soit la surface que l’on commande. Et il y a des choses auxquelles je ne peux effectivement déroger, des choses qui me demandent toute mon attention et une immédiate diligence. Cela ne m’empêche pourtant pas, à priori, de faire preuve de délicatesse envers mon voisin, de l’inviter à partager ma table et de discuter avec moi après avoir profité des bienfaits d’un bain, d’un peu de repos dans une chambre chauffée et d’un repas.

Tout son orgueil lui remonte la gorge. L’attitude du Comte d’Odélian n’est pas sans rappeler celle du Duc de Serramire, ce fat personnage si plein de suffisance qu’elle déteste cordialement.

- Mon temps est tout à fait favorable, Comte d’Odélian. Peut-être est-ce le vôtre qui semble aller en s’amenuisant au fur et à mesure de notre conversation, inversement proportionnelle à vos attentes semble-t-il.

Louise reste là sans bouger. De deux choses l’une. Soit le Comte se rend compte qu’il a effectivement dépassé les limites et il le reconnait d’une façon ou d’une autre, soit le Comte s’en va. A lui de voir, en fonction de ce que vient de dire Louise, la meilleure façon de continuer cette conversation ou d’y mettre un terme.

Etait-ce la juvenilité, le manque d'expérience qui amenait Louise de Fernel à se méprendre sur tout ? A aucun moment le Comte n'avait remit en cause l'hospitalité et la prévenance de sa consœur. Et de surcroît, que venait faire cette réplique acide dans son discours ", à part peut-être vous inviter à aller quérir dans un plus grand, plus riche et plus fastueux endroit tous ces égards qui semblent absents à vos yeux". Pourquoi diantre évoquer faste et richesse ? Est ce qu a un seul instant, Charles y avait fait référence ? Non, raisonnablement, la châtelain manquait encore de clairvoyance et d'un certaine forme de savoir vivre et savoir être. Mais pouvait on la blâmer pour cette laborieuse prestation, elle qui n'avait qu'une petite vingtaine de printemps à son actif.

Face à elle, Charles tentait seulement de lui faire ouvrir les yeux sur certains de ces non sens et une attitude à peut-être être trop abrupte. Il avait pour lui l'expérience qu'elle n'aurait que dans une bonne dizaine d'années et il n'avait en aucun cas monter le ton et réagir avec une quelconque agressivité ni même montrer ne serait-ce qu'une once de suffisance. Après tout, si Louise ne voulait rien entendre et ne pas ouvrir les yeux, alors Charles se devait d'être plus humble et laisser ce duel de coq insipide se terminer.

- Bien, vous avez raison, peut être un peu de repos me ferait le plus grand bien. Excusez mes mots malhabile. Dit il, conscient toutefois de ses tords dans la tournure des événements. Oublions si vous le voulez bien ces derniers échanges et avec votre permission, j'irai me reposer jusqu'au dîner.

Ces mots Louise ne pouvait que le croire sincère. Après tout n'avait il pas été le meilleur complotiste d'une sordide affaire ? De surcroît, il faut toujours le rappeler, Louise n avait que 21 ans et Charles 36, un vécu les séparait. Et puis,  après tout, il appréciait la jeune femme pour ce qu'elle était et pour sa position tout de même lourde de responsabilités. Il était homme à ranger son orgueil et accepter d'avoir, allez disons le franchement, manquer d'une forme de courtoisie, de justesse et de respect à son endroit. Mettons cela sur le compte de la fatiguesi cela pouvait arrondir les angles.

Louise ne bouge pas durant quelques secondes. Elle regarde le Comte qui, semble-t-il, vient de changer d’attitude pour finalement concéder un peu de repos à sa personne ainsi qu’à sa suite. Elle se contente d’incliner poliment la tête avant de se diriger vers une petite clochette qu’elle agite. Maximilien, le serviteur de tout à l’heure, entrouvre la porte quelques instants plus tard, scrutant l’intérieur du regard avant d’aviser la châtelaine, là, dans un coin, toute droite, les mains sagement nouées sur le devant, comme elle le fait si souvent.

- Maximilien, le Comte d’Odélian et sa suite seront nos invités ce soir et cette nuit. Je te prie de servir le Comte aussi bien que tu le ferais pour moi. Tu iras avertir les offices et Maiëthé. Ils savent ce qu’il convient de faire.

Louise se tourne vers le Comte, un sourire aux lèvres.

- Mon hospitalité vous est acquise, Monsieur le Comte. Maximilien va vous guider à votre chambre et répondre à vos besoins, dans la mesure de nos possibilités. Je serai ravie de continuer cette conversation ce soir, au dîner, qui sera servi ici même, vers 18h30. Vos hommes mangeront dans la pièce principale, nous prendrons notre repas dans la salle privée qui jouxte celle-ci.

La châtelaine s’approche de la porte et ajoute :

- Votre suite sera logée dans les petites chambres situées au-dessus de la vôtre. Nous nous reverrons donc tout à l’heure, Monsieur le Comte.

Elle effectue donc une rapide révérence avant de sortir, laissant Maximilien approcher de l’invité du jour.

- Par ici, je vous prie.

Il mènera le Comte à l’étage, lui ouvrant une chambre de taille moyenne, au décorum assez rustique, du bois de chênes, un âtre devant lequel s’active le serviteur afin d’allumer un bon feu, un grand lit confortable et aux chaudes couvertures de laine, une table et deux chaises. La fenêtre donne sur la cour intérieure, ce qui lui permet de voir les chevaux et Louise qui entre précipitamment dans une des écuries, comme si elle était inquiète, très inquiète. Il y a de l’agitation là en -bas, visiblement.

- Je vais faire préparer le bain, Monsieur le Comte.

Il disparait quelques minutes, le temps sans doute pour Charles d’ôter sa cape pleine de poussière et de se mettre à l’aise. Il pourra entendre des bruits de pas précipités dans le couloir, des allées et venues, des rires aussi. Il règne désormais une joyeuse agitation, une bonne humeur fébrile.

Dans la salle d’armes, les hommes de Fernel parlent aux hommes d’Odélian, tandis que deux servantes apportent de quoi apaiser la soif des cavaliers.

Maximilien reviendra, plusieurs serviettes de linge fins dans ses mains.

- Tout est prêt, si vous le désirez.

Fort de sagesse et d'humilité, des qualités que l'on ne pouvait exprimer et posséder qu'avec le temps, Charles avait donc changer d'attitude pour ne pas voir cet entretien et ce séjour, aussi bref soit il, partir en fiasco total. Rangeant donc au placard toute velléité qui lui était contextuellement légitime,  le Comte observa d'un œil attentif le petit manège qui s'en suivi. C'était somme tout amusant d'appeler sa domesticité au son d'une clochette.

Mais là encore il s'interdit de toute boutade ou remarque légère, écoutant religieusement les échanges avec Maximilien avant de se relever de son assise lorsque la châtelaine finit par tirer sa révérence dans une pléthore de bons mots. Le beau blond s'inclina alors légèrement en guise de remerciement et de respect.

- Mademoiselle la châtelaine, j'en prend bonne note et bonne mesure.

Après que Liuise ait disparut, Charles rejoignit sa chambre, guidé par ce jeune homme qui semblait au plus proches des services de l'hôte de Fernel. Un rapide coup d'oeil à ces appartements et il opina du chef non sans avoir entraperçu en contre bas le pas pressé de Louise se dirigeant aux écuries. S'il y avait une quelconque agitation, le Comte d'Odélian ne s'en formalisa pas, bien trop obnubilé par le bain qui l'attendait. Il se retourna donc face à Maximilien , se délaissant de sa cape qu'il déposa sur les bras du serviteur.

- Bien, j'espère que l'eau est à bonne température. Vous vous occuperez de dépoussiérer ma cape.

Il entra alors dans la salle d'eau à la suite du jeune homme, encore un gamin, un ado pas tout à fait mûre pour embrasser l'âge adulte. Alors sans pudeur aucune, le Comte se dévêti, offrant au regard du garçon de chambre la parfaite plastique d'un homme à la fois de Cours et de terrain. S'immergeant dans l'eau non sans pousser un râle d'aise, Charles retint l'attention du jeune homme alors que ce dernier cherchait à prendre congé.

- Alors, dit moi Maximilien. Comment te plais-tu ici. Raconte moi un peu ton parcours pour te trouver être au service de la châtelaine. Et dit moi, j'ai cru entendre des rires et une humeur joyeuse dans les couloirs. Y a t il un événement qui justifie cela ?

Il l'avisa d'un regard aussi entendu que déterminé, rajoutant.

- Ne soit pas timide. Est-ce la première fois que tu reçois un Comte ?

Maximilien regarde le spectacle de l’œil avisé de celui qui en a vu d’autres. Ce n’est pas la première fois qu’il voit un homme nu. A dire vrai, il y a peu de femmes au château, un château qui est avant une tout une forteresse et le repère d’hommes d’armes de tous âges et de toutes les spécialités. La nudité entre hommes n’est pas un problème à Fernel, elle est même plutôt courante aussi la pudeur et l’embarras ne s’affichent-ils pas vraiment sur le visage de Maximilien. Au contraire, il s’active au bon ordre des choses, après avoir confié la cape du Comte à une servante.

Il n’a par contre pas tellement l’habitude qu’on lui pose des questions. S’il est exubérant et très vif avec ses amis Anaëlle et Efren, il redevient parfaitement concentré et poli quand il s’agit de faire son travail. Et il le fait bien, assez en tout cas pour que la châtelaine le garde à son service.

- Je travaille au château depuis que j’suis tout petit, M’sieur. C’est Enguerrand, le maître d’armes de Dame Louise, qui m’a recueilli et qui m’a amené ici. Mes parents sont morts pendant l’hiver, j’avais plus de maison et plus de famille. Eudes de Fernel m’a donné à manger et m’a permis de rester ici. Dame Louise en a fait autant. Du coup je suis à son service maintenant.

Une histoire comme tant d’autres. La saison d’hiver est rude dans le Nord et il n’est pas rare que des enfants perdent leurs proches de manière brutale, souvent de maladie. Cela ne semble pourtant pas entamer la bonne humeur de Maximilien qui a trouvé une famille et de vrais amis ici. Il apporte un linge et une étrange masse jaunâtre au comte. Une masse délicieusement odorante, très parfumée, un parfum unique, celui des carmines. Un petit pain de savon.

- Y a de la joie là en bas oui…Je pense que c’est parce que vos hommes sont là, M’sieur le Comte. Du coups les hommes peuvent parler et discuter avec d’autres, puis les filles aussi…C’est pas tellement souvent qu’elles voient des beaux cavaliers qui ne sont pas du coin. Si j’peux m’permettre…

De fait, les visites extérieures sont rares. Et les quelques petites servantes du château se font une joie de pouvoir apercevoir d’autres cavaliers, en se poussant du coude et en se cachant pour rire, les joues toutes roses.

- Et vous êtes le premier Comte dont je prends soin personnellement, en effet.

Un grand sourire est adressé à Charles.

- Est-ce que tout vous convient, Monsieur le Comte ?

Le jeune homme au service de la châtelaine n'était pas le moins du monde hésitant ou timide, s'employant alors répondre à la curiosité verbale de son noble interlocuteur alors que sa nudité ne provoquait aucun trouble. Cela semblait démontrer que Maximilien avait l'habitude de ces scènes et dans une forteresse à forte dominante masculine, quoi de plus normal après tout ?

Alors que le corps de Charles disparaissait sous l'eau du bain à parfaite température, il ferma les yeux quelques instant, appréciant l'agréable chaleur l'entourant, non sans écouter attentivement le jeune femme avec qui il faisait la conversation. A l'odeur des carmines qui chatouilla son odorat, le séduisant blondinet ouvrir un œil avant de s'emparer de pain de savon.

- Merci. Et navré pour tes parents. Mais au moins, tu as trouvé une place bien enviable ici pour un orphelin. Continu de faire de ton mieux. Ce maître d'arme semble un homme très honorable, il me plairait de le rencontrer.

Ce faisant et alors que Maximilien reprenait la parole, Charles s'était alors employé à passer le pain de savon sur ses jambes et ses bras avant de l'immerger quelques instant se le passant sur le torse et vers quelques intimes endroits. Après que le jeune servant eu fini d'expliquer pourquoi une telle effervescence au château, le Comte se tourna légèrement pour le toiser d'un regard entendu avant de lui tendre le pain de savon.

- Passe moi le pain dans savon dans mon dos veux-tu.

Dès lors que Maximilien s'exécuta, l'Intendant Royal à la Justice reprit sa verbe.

- Les cavaliers d'Odélians sont parmis les meilleurs. Mais par dessus tout, ce sont certaines de nos montures de guerre qui font la fierté de ces derniers sur les champs de batailles. Les purs sang d'Escaut. Je sais que tes terres sont aussi réputées pour l'élevage d'équidés, c'est un point commun que nous entretenons. Veille d'ailleurs à ce que l'on traite ma monture de la meilleur des manières. Il s'agit du cadeau de mariage de mon épouse, la demoiselle d'Escaut.

Se laissant faire au bon soin du jeune homme, il aurait certes préférer la compagnie d'une jeune femme, mais ce garçon convenait à la situation, comme il semblait proche de la châtelaine.

-Tu n'es pas sans savoir que je vais dîner en compagnie de ta maîtresse. Peut être pourrais-tu me parler un peu mieux de Dame Louise. Je l'a rencontre pour la première fois, vois-tu et j'aimerai le regard et la parole avisé d'un jeune homme comme toi à son service. Elle semble très singulière.

Maximilien ne peut qu’opiner aux paroles du Comte d’Odélian. Les hommes de Fernel sont braves et dignes mais le plus honorable d’entre eux est cet homme qui suit Dame Louise comme son ombre. Veuf, sans enfants, il est ce qui ressemble le plus à un père pour le serviteur qui s’occupe présentement de Charles. Et Max le respecte infiniment, comme bon nombre de serviteurs du château d’ailleurs.

- Il vous suffira de lui demander, je suppose, Monsieur le Comte.

S’exécutant sans rechigner, lavant le dos du Comte, il l’écoute parler des chevaux, avec un sourire. Il ne connait pas tellement les autres contrées, il n’est jamais sorti du domaine, alors discuter, découvrir, cela l’occupe et l’intéresse beaucoup. Il a un sourire large aux dernières paroles de Charles à ce propos. Il ne fait aucun doute que Dame Louise s’est personnellement occupée de ce cheval magnifique, tout comme elle l’a fait pour celui du seigneur de Terrefière. Et sur ce point, la châtelaine n’a certainement rien à apprendre de ses palefreniers. Elle sait veiller sur ses bêtes et les soigner à la perfection.

- N’ayez crainte pour votre destrier, je suis persuadé qu’il est déjà choyé comme un prince tout près de Lasgalen, le cheval de Dame Louise.

Dispersant de l’eau sur la peau propre du dos de Charles afin d'en ôter toute trace de savon, Maximilien se fige un instant avant d’observer le noble sang qui se détend dans son bain.

- Singulière ? Dame Louise ? Bah heu…

Il se gratte la nuque, un peu perplexe. Qu’est-ce qu’il entend par là ? Il s’écarte un peu de la cuve de bois pour déposer le pain de savon dans une petite boite, avant de tendre des linges devant les flammes de l’âtre, en prévision de la sortie du comte puis il réfléchit. Il n’a pas tellement de point de comparaison, lui, Dame Louise, c’est la seule dame noble qu’il connaisse. Tout comme sa défunte mère. Alors…

- Je ne sais pas bien quoi vous dire, Monsieur le Comte. Dame Louise est une noble dame qui aime son peuple et qui s’en occupe toujours, du matin au soir. Elle se lève tôt, elle fait le tour du domaine et elle donne à manger à ceux qui ont faim. Elle s’occupe bien de nous, comme son père le faisait aussi. Quand elle voyage, c’est l’intendant qui s’occupe de tout. Puis elle est jolie aussi…

Max se reprend, tout rouge, avant de dire, gêné :

- Lui dites pas que j’ai dit ça…

Il toussote puis s’empare d’un linge chaud, le tendant devant la cuve :

- Si vous désirez sortir…

Certains pourraient croire que ce moment de bavardage était anodin, Maximilien le première, mais en réalité il n'en était rien. Charles maîtrisait certains rouages de la nature humaine et profitait donc de ce moment de relaxation dans ce bain gracieusement offert pour sonder la personnalité de son hôte par le biais d'un jeune homme qui semblait suffisemment proche de la châtelaine pour que le Comte s'affaire subtilement en quête d'informations.

Exigeant du domestique orphelin, recueilli par un maître d'arme doué d'une âme honorable, qu'il s'emploie à user du pain de savon contre son dos, l'intendant royal obtenait alors quelques confessions et un aveux qui rendait quelque peu mal à l'aise le jeune homme. Dissimulant alors un fin sourire satisfait, il se tourna et fixa alors le visage du jeune homme qui s'empourpra. Se redressant pour laisser ruisseler finalement l'eau du bain immaculant sa nudité, Charles quitta la cuve avant de s'essuyer devant le jeune homme.

- Lasgalen dis-tu ? Il me faudra trouver un moment pour aller voir le cheval de ta Dame. Ta maîtresse semble être une femme proche de son peuple, c'est tout a son honneur, mais de ce que tu me raconte, cela ne lui laisse que peux de temps pour s'occuper d'elle ? Penses tu pouvoir me trouver de quoi me vêtir convenablement pour le dîner qui s'annonce ?

Avant qu'il ne s'exécute, Charles le retint par l'avant bras, lui concédant à voix basse.

- Ton secret sera bien gardé, jeune homme. D'ailleurs à ce sujet, tu dois certainement être au fait de ces relations. Certains nobles doivent sans doute la convoiter ? À moins que derrière sa beauté ne se cache quelques défauts qui tendent à repousser ces prétendants.

Cherchant à exploiter Maximilien, Charles s'évertuait à instaurer une relation de confiance avec ce dernier et profiter des sentiments que le jeune homme venait de maladroitement avouer.

- Tu es un bon garçon. Je saurais m'en souvenir et si je saurais tenir ma langue, j'attends de toi la même chose en retour. J'ai besoin d'en savoir plus sur ta maitresse en toute bienveillance, nos domaines se jouxtent et tes réponses seront une pierre à l'édifice d'une potentielle alliance entre Odélian et Fernel.

Il relâcha alors Maximilien dès lors que ce dernier avait saisi son rôle qu'il endossait bien malgré lui dans les coulisses du pouvoir et de la diplomatie.

- Vous vêtir ? Mais…Heu…

Il le regarde s’éponger avant de se mettre à réfléchir. Y a-t-il seulement des vêtements à sa taille ? Il songe aux vêtements gardés dans les coffres de chênes chez l’Intendant, ceux de feu le Seigneur Eudes, ou encore ceux de Geoffroy de Hansfelt…Ce sont les seuls vêtements masculins disponibles qui pourraient lui convenir. Oui. Ceux de Geoffroy seront sans doute suffisants. A priori.

- Je crois qu’il y a de quoi dans les coffres chez l’Intendant. Il aimait bien les beaux tissus. Je pense que cela vous ira bien. Je vais vous ch…

Il est arrêté net dans sa progression, retenu par le Comte, qui lui pose soudain des questions bien plus précises. Et malaisantes. Les relations de Dame Louise ? Il s’empourpre violemment, honteux.

- M’sieur le Comte…Tout ça…Je sais pas, moi, je ne suis qu’un serviteur…

Et c’est vrai. Il ne sait rien. Parce qu’il n’y a rien à savoir du tout. La châtelaine est toujours seule. Du matin au soir et du soir au matin, tout le temps. A sa connaissance, personne n’est venu lui demander sa main. Jamais. Il y a bien eu quelques soupçons à propos de son ancien conseiller, mais il n’était pas noble donc ça ne compte pas. Puis de toute façon il est parti sans rien dire à personne…Cela a fait beaucoup de peine à sa maîtresse, tout le monde le sait mais elle n’en a jamais rien dit, à personne. Il a suffi de voir ses yeux rougis, pendant des jours et des jours, du rouge qui s’est teinté de cernes, pour le deviner.

- Dame Louise n’a pas de prétendants. Pas que je sache…Lâchez-moi s’il vous plaît…

Lorsque le Comte le libère, il se frotte un peu le bras, tête baissée. Qu’est-ce que c’est que ces façons de poser des questions comme ça ? A un serviteur ? Il regarde le Comte, méfiant, désormais, avant de murmurer :

- Je vais chercher de quoi vêtir. Je n’en aurai pas pour longtemps…

Il sort de la pièce, le rouge au front. Un front soucieux. Doit-il en parler à Efren ? C’est son meilleur ami après tout…Mais non, le jeune ingénieur est sans doute avec sa fiancée. Il ne les dérangera donc pas. Le serviteur entre donc dans le bureau de l’Intendant, fraîchement revenu de son voyage dans le Sud, puis se sert dans les coffres disponibles. Il récupère de quoi habiller le Comte, de fins tissus richement ornés, de velours vert et beige, avant de revenir, portant les étoffes précieuses à bout de bras.

- Normalement cela devrait être à votre taille. Avez-vous besoin d’aide pour vous vêtir, Monsieur le Comte ?

Surprenant le jeune homme face à sa demande, Charles cherchait à extorquer quelques informations à ce dernier, mais rapidement il du se rendre à l'évidence qu'il ne tirerait finalement rien de probant de sa part. Et après avoir maintenu un temps le garçon, le Comte se décida à relâcher sa prise pour ainsi ne pas risquer le courroux de la maisonnet. Se faisant, Ser Prademont patienta un temps dans ses appartements dans l'attente du retour du serviteur de Fernel.

Si Charles possédait bien quelques affaires de rechanges, il souhaitait, pour le dîner, se montrer à son avantage et la tenue que venait lui rapporter Maximilien était toute choisit pour que son hôte puisse apprécier sa silhouette. De fins tissus richement ornés, de velours vert et beige, voilà qui convenait parfaitement au Comte, remerciant humblement au passage le garçon qu'il avait quelque peu bousculer précédemment au point de l'avoir fait rougir.

- C'est parfait Maximilien. Tu peux disposer à présent.

En guise de récompense, il vint poser dans la paume de sa main un écu avant de rajouter.

- Tu viendra me chercher en temps et en heure. Je ne voudrais pas être en retard auprès de ta maitresse.

Se faisant, il tourna le dos à Maximilien pour ensuite passer la tenue qu'il lui avait rapporté et qui était à sa taille. Ce jeune homme avait un bon compas dans l'oeil, assurement un serviteur soucieux du détails qui laissait effectivement croire qu'il faisait bon vivre au côté de la châtelaine de Fernel.

Quelques heures plus tard, l'on frappa à sa porte. C'était Maximilien et l'heure était à cette seconde confrontation avec Louise tandis que ces hommes profiteraient avec ceux de la noble d'une hospitalité qui lui était fort louable. Mais comment réagirait la jeune femme à la vue des tissus que portait son invité de marque ? Apres tout, pouvait elle lui en tenir rigueur sachant qu'elle lui avait laissé cette blanche pour qu'on accède au moindre de ces exigences ?