D'une demoiselle à une autre | Adélina & Alicia

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Le banquet en l'honneur de la demoiselle de Lodiaker va bon train. La bonne humeur est de mise et les discussions s'enchaînent. Je suis assise à côté de Thorus et de Valendra. Nous discutons gaiement et je passe un excellent moment. Cette ennéade a été riche en bonnes nouvelles pour moi et, s'il me tarde déjà le retour de mon fiancé, j'essaie de faire abstraction afin de ne pas me comporter comme une enfant qui s'impatienterait de son nouveau jouet. Si je pense posséder une certaine maturité, il faut que j'achève rapidement de basculer dans l'âge adulte, même si mes traits jouent encore un peu contre moi.

Tandis que mon frère me parle, nous sommes interrompus par une petite intrusion. Elyanna s'excuse mais passe rapidement à l'objet de sa présence et s'enquiert de savoir si j'ai entendu ce que notre invitée a dit tandis que nous l'accompagnions à l'intérieur. Malheureusement, je me trouvais trop loin et ne comprend pas de quoi elle parle. Elle m'explique alors que le nom de Terrefière a été cité et elle m'en expose le contexte. J'affiche alors une mine stupéfaite et mon ventre se noue. Ma première pensée est pour Marc-Aurèle et je m'inquiète, priant pour qu'il ne soit pas blessé. Cependant, le récit de ma sœur -qui est allé chercher davantage de renseignements- est plutôt élogieux et ne comporte pas une ombre. Je comprends donc qu'il va bien et me concentre alors sur la prouesse qu'il a accompli. J'étire alors un sourire, heureuse de constater qu'il a le Souffle aussi noble que je pensais l'avoir décelé et fière d'être fiancée à un tel homme.
Ma famille me lance de tendres piques alors que mon futur époux s'est distingué au combat pendant que j'essaie d'oublier que j'aurais souvent à vivre ce genre de situations angoissantes. Chaque fois qu'il partira, je devrais tenter de ne pas m'inquiéter pour lui. Mais y parviendrai-je totalement ? S'il me rend vraiment heureuse, pourrais-je vraiment me détacher au moment de son départ et durant toute son absence ? J'aurais mille autres choses en tête, c'est certain, mais le soir, seule chez nous, ne penserai-je pas un peu à celui qui laisse une place vide dans notre lit ?

Je dois chasser ces idées. Ce n'est pas le moment d'y songer. Nous ne sommes même pas mariés. Les préparatifs ne sont même pas entamés... Elyanna s'éclipse et Thorus prend ma main. Il a peut-être discerné mon trouble et m'accorde un sourire rassurant. Je devrais peut-être en discuter avec lui. Mais plus tard.

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Le lendemain

-S'il te plaît !
-Non Harven, il faut que j'étudie. Refuse-je avec douceur.

Mais mon neveu prend un air boudeur. Il est fort rare que je m'oppose longtemps à jouer avec lui sur son temps libre mais je n'ai malheureusement que peu de temps à lui accorder. Si je me retiens de me pencher sur mon mariage à venir, préférant attendre que mon futur époux soit de retour, j'essaie d'apprendre tout ce que je peux sur Terrefière et le monde agricole en général. J'ai conscience de partir de bien loin et je préfère prendre un peu d'avance pour ne pas passer pour une ignare au moment de découvrir mon futur domaine. On peut me pardonner d'avoir encore des choses à apprendre mais pas de ne rien savoir du tout sur ce qui sera mon rôle d'ici un mois et demi au maximum. J'ai trouvé un grand nombre d'ouvrages et je voudrais en avoir lu autant que possible d'ici le retour de Marc-Aurèle. Voilà pourquoi je n'ai pas de temps à accorder à mon neveu pour faire une partie de cartes. Sa sœur se propose finalement pour me venir en aide. J'adresse à l'un un sourire contrit et à l'autre un regard plein de gratitude. Harven grandit rapidement mais il reste un enfant par moment et Valendra m'a évitée une crise à gérer.
Je me replonge alors dans ma lecture tandis que les enfants de Magnus quittent cette petite cour. Il s'agit d'un espace carré couvert de gravillons et entouré d'un préau dallé. Je suis installée à l'ombre dans l'un des deux fauteuils qui encadrent un guéridon. Ceux-là même que Marc-Aurèle avait déplacé quelques jours plus tôt afin de nous faire profiter du soleil durant notre toute première discussion entre futurs mariés.

Mais tandis que je termine une page de lecture, des pas attirent mon attention. Il est fort rare que quelqu'un passe par ici, à moins de s'être perdu éventuellement. Et puis, nombreux sont ceux qui savent que j'aime m'isoler ici lorsque j'ai envie de prendre l'air. Je constate qu'il s'agit de notre invitée et je lui adresse un sourire poli ainsi qu'un signe de tête imitant le mouvement de la révérence. Elle est un peu loin, sans quoi je la saluerai également par son titre mais elle ne fait sans doute que traverser la cour pour rejoindre une autre aile de la citadelle et je ne m'attends certainement pas à ce qu'elle m'accoste, encore habituée à n'être que la demie-sœur infirme de Magnus, celle qui vit dans l'ombre protectrice de sa famille et que personne n'ose approcher.

La soirée avait été riche en émotion, et en découverte. Jamais elle n’avait pensé qu’une rencontre tournerait de cette façon. Magnus de Terresang était définitivement un homme à part des autres. Mais c’était tout un revirement de situation pour la jeune damoiselle de Lodiaker. Elle savait pertinemment que personne ne pouvait la protéger, qu’elle ne pouvait pas toujours s’enfuir. Si elle voulait justice, il faudrait qu’elle la chasse elle-même, car rien ne tomberait du ciel. Si elle voulait son titre, mieux valait qu’elle fasse tout pour le prendre. Les Lourbiers avaient assez payé pour les erreurs de Constance, ils avaient assez payer avec les complots des serpents qui régnaient sur Alonna. Elle les ferait disparaitre, tous leurs mots, leurs familles ainsi que leur maison. Elle était une Lourbier, et montrerait de quoi ces derniers étaient réellement capables. Alonna méritait de retrouver sa forme d’antan. Uni, prospère et indépendante. C’était la faute des Broissieux s’ils étaient dans le giron de Serramire, chose que peu de famille leur avait réellement pardonnée.


Adélina marchait doucement dans le château, suivie de sa camériste, Clervie, silencieuse, complètement absorbée par ses pensées. Il y avait tant à faire en si peu de temps. Soudainement la jeune damoiselle releva le regard et qu’elle ne fut pas sa surprise de reconnaître l’une des sœurs de Magnus, Alicia. Elle était si facile de retenir son nom vu son handicap. Curieuse, elle se demande soudainement pourquoi cette dernière se promenait avec ses béquilles. Un accident peut-être? Qui pouvait savoir! Ce n’était pas comme si elle avait entendu parler de cette dernière auparavant. La damoiselle ne put s’empêcher de s’approcher doucement de la jeune fille qui semblait à peine plus jeune qu’elle. « Vous êtes Alicia de Terresang, n’est-ce pas? » Laissant le temps à la jeune damoiselle de répondre, elle enchaîna rapidement; « Je suis honoré de faire votre connaissance. Je dois vous avouer que je dois énormément à votre futur mari, et par conséquent à vous. Si jamais je pourrais vous êtres de quelconque utilité, n’hésitez pas à venir me voir. » Sa voix était délicate, assurée d’une certaine façon, elle se voulait le plus honnête possible et elle voulait faire comprendre à Alicia que cette dernière avait définitivement de la chance de s’unir avec un tel homme. Adélina souria timidement avant de baisser doucement la tête et les yeux vers le sol, prenant une seconde pour tenter de reprendre ses esprits. Puis, se redressant légèrement, elle fit un léger sourire avant de continuer; « Mais je vous dérange dans vos lectures, je ne peux que m’excuser. » Elle aurait bien voulu continuer la conversation, mais politesse était de mise. Après tout, elle n’était pas chez elle.

Je suis assez surprise de constater que la demoiselle de Lourbier s'arrête à ma hauteur. Je pose mon ouvrage sur le guéridon près de moi après avoir marqué ma page et, prenant un appui solide sur les accoudoirs de mon fauteuil, je me lève, tête baissée pour masquer les traits de mon visage qui se raidissent dans la manœuvre. Finalement, j'achève de me redresser et je joins les mains devant moi. L'ayant déjà saluée à son approche, je me contente de demeurer ainsi, droite et aussi digne que possible, cherchant à compenser le fait que je suis incapable de faire une véritable révérence et à cacher le fait que, pour me déplacer, j'ai besoin de ces béquilles posées à côté de mon siège.

Je réponds poliment par l'affirmative lorsqu'elle me demande la confirmation de mon nom. Elle me parle aussi de Marc-Aurèle et je peine à dissimuler mon sourire devant l'éloge qu'elle en fait. Je le connais si peu et, pourtant, je suis touchée par ce qu'elle dit de lui. Entre les échanges que nous avons eu tous les deux et ce que j'entends à son sujet ces derniers temps, je suis de plus en plus confiante quant au genre d'homme que je m'apprête à épouser. Mes frères et sœurs ont su choisir mon fiancé avec soin...

-Je vous en prie. J'ai été ravie d'apprendre que mon futur époux a pu vous venir en aide et fière qu'il se soit distingué au combat.

Adélina a la politesse de vouloir me laisser reprendre mon ouvrage mais je lis depuis des jours, presque sans interruption. Je sais que je viens de demander à Harven de me laisser continuer, cependant il y a une différence entre aller faire une partie de cartes et entretenir des relations diplomatiques. Magnus a tout fait pour accueillir la demoiselle convenablement, je ne peux décemment pas la laisser s'éloigner sans avoir eu un entretien avec elle. Alors, ma politesse à moi réside plutôt dans le fait de me montrer disponible pour elle.
Je pose brièvement mon regard sur la pile des trois livres posés sur le guéridon avant de revenir sur la demoiselle.

-J'essaie de me préparer afin de me montrer digne de l'homme que je vais épouser en améliorant certaines de mes connaissances. Terrefière est une région agricole, viticole et un terrain de chasse et j'ai bien peur de n'avoir aucune connaissance dans ces trois disciplines.

J'étire un sourire amusé. A moins d'être fille de paysan ou d'un Seigneur d'une terre semblable, aucune jeune femme n'est éduquée pour cette vie. Je me soucie du fait de me montrer à la hauteur. Je sais que je ne pourrais pas tout apprendre dans les livres mais j'essaie de prendre de l'avance comme je le peux en attendant le retour de Marc-Aurèle.

-Mais je serais un bien mauvaise hôtesse si je ne vous accordais pas un moment. Mes livres seront toujours là demain.

D'un geste gracieux, je lui offre de prendre place dans le second fauteuil qui se trouve là. Je la laisserai s'asseoir en premier avant de l'imiter.

Adélina se retint pour ne pas aller à l’aide de la jeune fille. Elle n’avait pas manqué cette grimace sur le coin de son visage alors qu’elle tentait tant bien que mal de se redresser. Adélina fit un pas vers l’avant avant de s’arrêter net alors que cette dernière avait finalement terminé son mouvement. Elle se tenait là, droite et fière, ce petit bout de femme avait définitivement une force incroyable. Bien des gens se serait apitoyés à leurs sorts si elles avaient terminé en béquille, mais Alicia, elle ne semblait pas laisser cela l’arrêter preuve de son courage exceptionnel. Alicia était définitivement une jeune femme hors du commun. Adélina ne put s’empêcher de lui retourner son sourire, elle tourna la tête vers Clervie, avant de lui faire un sourire entendu, preuve que cette dernière voulait être seule avec la noble. La camériste s’inclina à son tour, saluant la damoiselle mais aussi la jeune noble avant de s’éclipser. La damoiselle de Lodiaker, elle, ne perdit pas de temps et alla s’installer aux côtés d’Alicia. « C’est très noble de votre part. Surtout que l’agriculture n’est pas la matière la plus facile. C’est le genre de chose que l’on apprend beaucoup par l’expérience et les essais. » Adélina eut un sourire vague, se rappelant vaguement des leçons de son père alors qu’ils se promenaient dans le Lodiaker. Décidément ce dernier lui manquait, il était parti beaucoup trop vite…


Elle replace doucement une des mèches de ses cheveux avant de porter son regard azuré vers la jeune femme. « Mon oncle avait un domaine renommé pour ses vignes et son vin d’exception. » Elle eut un léger sourire avant de rajouter; « On disait qu’il faisait le meilleur vin d’Alonna. J’y ai passé quelque temps vu que j’étais promise à son fils. Mais malheureusement tout peut changer très rapidement. » Bien entendu elle avait évité soigneusement de nommer son oncle, Marc de Chtoll et son fils qui était son fiancé. Bien des gens connaissaient la douloureuse réputation de cette maison qui n’avait fait falloir que ses droits. Mais bon, ce n’était pas le moment de parler de politique avec Alicia. « Si un jour vous le désirez, vous pourriez définitivement venir en Lodiaker. Cela me fera plaisir de vous faire découvrir ma seigneurie, et je crois que l’on pourrait organiser quelques rencontres avec des agriculteurs. Après tout, leurs savoirs pourraient nous être utiles. »

Je me rassoie, avec autant d'élégance que j'en suis capable, prenant solidement appui sur les accoudoirs de mon siège. J'ai certainement plus de force dans les bras que je n'en ai dans les jambes puisque je passe mon temps à les soulager de leur charge. Heureusement, personne ne peut les voir. Tout juste peut-on deviner leur extrême finesse à l'épaisseur de mes genoux lorsque je suis assise.

Je tourne mon regard vers la dame qui me fait plus d'une suggestion et m'offre même de m'accueillir et de m'obtenir des entretiens avec ses gens afin de me préparer à mon futur rôle. J'apprécie son geste mais je ne peux pas l'accepter. Il y a des paysans arétans qui pourront tout aussi bien m'aider, peut-être même à Terrefière si Marc-Aurèle trouve cela opportun. Mais il y a un autre problème de taille... C'est qu'on ne me laisse pas dévier du trajet entre Terresang et la Capitale du Comté...

-C'est très aimable à vous, je vous remercie de votre proposition. Malheureusement, je ne peux voyager.

Je me garde de lui dire que cela n'a rien à voir avec mon état de santé comme je le laisse à penser. Magnus ne l'autoriserait pas. Et j'ignore si mon futur époux osera braver ses interdictions car, même s'il obtiendra toute autorité sur moi, il restera le vassal de mon frère. Dans son intérêt, il vaudrait mieux ne pas le contrarier...Et donc m'empêcher de m'éloigner de chez moi. Je ne m'attends donc pas à de radicaux changement avec ce mariage, du moins de ce point de vue.
Mais cela ne me prive néanmoins pas de ma curiosité à l'égard de ce que je ne peux observer par moi-même.

-Lodiakert n'est pas si éloigné. Le paysage et le climat y sont-ils très différents d'ici ? Vous parlez d'un excellent vin, j'ai bien peur qu'ici il soit assez exécrable et ne puis que vous conseiller d'éviter d'en boire. Conclue-je sur un ton amusé.