Entre voisine... [Louise]

Arkuisa, IIeme ennéade de Verimios, An XVIII, Cycle XI
Lodiaker-la ville, Lodiaker, Baronnie d'Alonna

C’était une magnifique journée dans le Lodiaker, le soleil brillait, illuminant les montagnes encore enneigées alors que les champs resplendissaient de vie. Une annonce que l’été s’annonçait des plus cléments. Et l’occasion de profiter de ce petit moment de paix sembla trop belle pour que la damoiselle de Lodiaker ne s’en saisisse point. Elle fit rapidement atteler son destrier, avant de partir avec quelques gardes, galoper librement sur les routes de son territoire. Une promenade bénéfique, qui avait généralement le don de l’aider à remettre de l’ordre dans ses pensées. Après tout, cette dernière ne cessait de recevoir la visite d’innombrables voisins, et cette ennéade ne serait pas différente, car cette fois-ci, c’était la damoiselle de Fernel qui avait fait le long trajet entre Serramire et Alonna pour la rencontrer. Un honneur pour elle, avec tout ce qu’elle avait tant entendu parler de sa voisine, et ce malgré les monts d’or qui la séparait…


« Ma dame! » s’écria un éclaireur. Sans attendre la jeune damoiselle tira doucement sur les brides de sa monture. Son étalon hénissa avant de ralentir, suivant la direction que sa cavalière lui exigeait afin de faire face à l’homme qui approchait d’elle. « Que se passe-t-il ? » demanda-t-elle l’air sérieux. Son cœur sembla manquer un battement alors qu’elle vit l’expression de l’homme. On aurait dit que ce dernier avait vu un fantôme! À moins que cela ne soit des nouvelles de cette sombrelfe? Ses mains se resserrent sur les brides de son cheval alors que son visage sembla devenir beaucoup plus sérieux.


« Louise de Fernel, elle sera là plus tôt que prévu! »


Adélina poussa un léger soupir de soulagement. L’air apeuré de son éclaireur n’avait rien aider, elle avait pensé que cela serait beaucoup plus grave que prévu. L’alonnaise eut un léger sourire rassuré avant de reprendre la parole; « Vous m’avez fait peur, pendant une seconde. C’est une meilleure surprise!  Ou est-elle? » L’homme sembla s’incliner en mettant la main sur son torse;


« Pardonnez-moi, Ma dame. Mon intention n’était pas d’inquiéter sa Seigneurie. La dame de Fernel est à quelques lieux d’ici. Elle sera à Lodiaker dans l’heure. »


L’alonnaise se mordillât la lèvre inférieure, l’air pensive. Elle se retourna vers l’un de ses gardes avant de lui adresser la parole; « Retourne à Lodiaker, avertit mon oncle et Clervie que notre invitée sera là en avance. Je vais aller à sa rencontre pour l’accueillir. » Sans attendre, Flavien s’inclina et mit son destrier en marche en direction du château, tandis que la châtelaine se retournait vers l’éclaireur; « Mène-moi à elle. » Ce dernier fit un mouvement de tête, avant de faire tourner sa monture, la mettant au galop. Sans attendre, la damoiselle de Lodiaker fit de même, suivit des quelques gardes qui l’avaient accompagnés. Ce n’était pas nécessairement comme ça qu’elle aurait espérer la rencontrer, mais il fallait s’adapter. Le groupe d’alonnais se mirent donc en direction des Serraminois, et ils les rejoignirent au bout d’une petite heure. Adélina en tête, cette dernière fit ralentir son destrier alors qu’elle aperçut la jeune femme. À peine plus âgée qu’elle, la damoiselle de Lodiaker ne put s’empêcher de se sentir légèrement inférieure à cette dernière. Louise avait cette aura de femme sûre d’elle-même. Une assurance d’une dame accomplie, ce que Adélina, ne semblait pas avoir jusqu’à maintenant, ou du moins avait fait semblant d’avoir. L’alonnaise arrêta son destrier devant Louise, avant de la saluer légèrement de la tête; « Louise de Fernel n’est-ce pas? Bienvenue dans le Lodiaker. Mon nom est Adélina de Lourbier. » Elle lui fit un léger sourire avant de reprendre la parole; « J’ose espérer que votre voyage s’est bien déroulé si vous arrivez aussi tôt. » Ce n’était pas un reproche, mais une constatation, après tout, elle aimait mieux savoir qu’elle n’avait pas eu de problème en Alonna.

Une journée magnifique oui, une de celle qui voit Louise et sa troupe avancer de concert dans le Lodiaker. Après un séjour à Arétria et un retour à Fernel pour préparer ce long déplacement vers Diantra ainsi que les nombreuses haltes qui sont prévues, voici donc, une fois de plus, la châtelaine de Fernel sur les routes de Péninsule, juchée sur son hongre Lasgalen. Il doit être écrit quelque part que jamais elle ne passera un mois complet en son château…

Ce n’est pas pour lui déplaire, évidemment, c’est même ce qu’elle préfère, dans cette vie de noble demoiselle. La liberté totale de pouvoir se rendre où elle veut, quand elle veut, sans devoir en référer à qui que ce soit. Le bonheur de mener sa propre barque, là où elle l’entend, n’a pas de prix même si elle avoue bien volontiers qu’un peu de répit, en son château, avec ses pinceaux et ses toiles, ses chevaux et tous les gens de Fernel, ce ne serait probablement pas un luxe, surtout si on tient compte des derniers événements qui l’ont menée un peu partout, y compris en Estrevent et au Zagazorn.

Les voyages forment la jeunesse, dit le dicton. Sur ce point, on peut dire de Louise que c’est parfaitement le cas. Ses diverses tribulations aux quatre coins de Péninsule et du monde accessible en ont fait une femme plus assurée, plus forte, moins timide et très nettement moins malléable aussi. Elle n’a plus peur d’afficher ses opinions, de dire les choses, qu’elles soient plaisantes ou qu’elles le soient un peu moins, mais toujours de manière digne et correcte. Ses hommes font front avec elle, sur la route, et ce n’est pas moins d’une vingtaine de cavaliers qui est en train de faire trembler le sol en cet instant où ils perçoivent l’arrivée d’autres montures au loin. Aussitôt, comme un seul homme, la troupe ralentit la cadence jusqu’à avancer au pas puis enfin s’arrêter devant ces personnes qui sont juste là, tout près, venues à leur rencontre.

Se démarquant des autres chevaux, Lasgalen fait quelques pas vers la jeune dame qui vient de se présenter, affichant la silhouette de Louise, une silhouette à l’aspect poussiéreux. Elle porte sa main à son visage et défait le petit voile qui le protège, révélant un sourire aimable, un regard noisette pétillant et une réelle bonne humeur. La châtelaine s’incline légèrement à son tour, pour répondre au salut.

- Dame de Lourbier ! Que voilà une charmante attention de votre part ! Je suis en effet Louise de Fernel.

La châtelaine abaisse sa capuche de laine noire qui laisse enfin apparaître sa chevelure coiffée de ce cercle de métal ornée de feuilles de chêne qu’elle porte en toute occasion. D’un mouvement à peine perceptible de ses genoux, elle fait avancer Lasgalen jusqu’à être fort proche d’Adélina. Une demoiselle ravissante, un vrai régal pour les yeux.

- Nous sommes un peu en avance il est vrai mais c’est ma faute. J’aime beaucoup galoper sur les routes et je déteste être en retard. Mes chevaux sont rapides et nous voyageons léger, cela nous aide à nous déplacer rapidement.

Elle laisse la Dame de Lourbier observer les hommes qui suivent Louise. Il y a Enguerrand son fidèle maître d’armes, bien entendu, il y a aussi Aymeric, le Capitaine de sa garde ainsi que dix-huit membres de ses meilleurs hommes, les autres étant restés à Fernel pour assurer les défenses et instruire quelque peu les nouveaux résidents du bourg en provenance d’Arétria.

- Je suis ravie de vous rencontrer, sachez-le. Poursuivons-nous notre chemin ensemble à l’allure qui vous convient ?

Louise passe une main douce sur l’encolure de Lasgalen, on ne peut plus souriante sous ses habits remplis de la poussière des chemins. Elle est réellement heureuse de rencontrer Adélina, cela se voit.

Adélina observa doucement Louise, ses mouvements étaient fluide, gracile. Rien à voir avec les manières fausses de la cour. Pour une fois, elle avait l’impression de rencontrer quelqu’un qui pensait comme elle, ce qui était bien rafraichissant en soi, surtout après les innombrables voyages et rencontrent qu’elle avait fait récemment. Non pas que le Comte d’Arétria n’était pas – disons – charmant, mais c’était toujours un plaisir de discuter avec quelqu’un qui avait à peu près les mêmes expériences de vie. La jeune damoiselle eut un léger sourire en attendant la remarque de son homologue; « Le plaisir est réciproque. Cette rencontre est attendue depuis trop longtemps. » Après tous, les deux seigneuries étaient voisine, certes délimitée par les imposantes montagnes, mais en quelque sorte, elles étaient presque sœur. Adélina se redressa légèrement, sourire aux lèvres, après avoir prononcé ses paroles en toute honnêteté, elle tenta même de rassurer son homologue, secouant légèrement la tête, afin de rassurer son invité « Quant à vos excuses, elles ne sont point nécessaires, car Il n’y a point de faute, Ma Dame. Il se trouve que je profitais également de cette merveilleuse journée d’été. Venir à votre rencontre me semblait tout naturel. »


D’un mouvement habile, la jeune femme tira doucement les rênes de son destrier, le faisant tourner sur lui-même avant de se retourner vers la Dame de Fernel; relevant ses doigts gantés vers la route qui menait à Lodiaker-la-ville. « Après vous… » La damoiselle mit aussitôt son destrier au trot, suivant la dame de Fernel à un rythme décent. Le paysage de Lodiaker se révélait doucement devant son invité; révélant les plaines vallonneuses de ses terres, alors que les imposants Monts D’or se dressaient à l’horizon.  « Je suppose que le paysage du Lodiaker doit être assez semblable à celui de Fernel? » Une question toute bénigne qui ne servait qu’à lancer la conversation. L’allonnaise se doutait bien que la visite ne venait de commencer, et que les deux femmes entrèrent définitivement dans des sujets plus sensibles, mais pour le moment, mieux valait rendre son invité le plus confortable possible. « Disons que mon feu mon père ne m’a guère laissé l’opportunité de voyager hors de la baronnie. » Elle haussa les épaules, l’air nonchalante; « Un père un peu trop protecteur, il faut croire. Mais bon, je me rattrape, tranquillement et avec un peu de chance je pourrais découvrir la péninsule. » Son regard se retourna doucement vers son invitée avant de reprendre la conversation; « Et vous, Ma dame, avez-vous eu l’opportunité de voyagé? »

Louise a le sourire. Il fait un temps superbe, l’air est chargé de ces odeurs particulières que dégage la terre lorsqu’elle est soumise aux rayons du soleil, le paysage est familier tout en étant différent, tout incite à la paix et au calme en ce jour, du moins pour la châtelaine. Les rassurants Monts d’Or sont là, derrière une ville qu’elle n’a jamais eu l’opportunité de visiter et tous les sens de la châtelaine en frémissent d’excitation. Du neuf, de nouveaux visages, de nouvelles choses à découvrir et ça, ça vaut tous les trésors du monde pour la châtelaine qui a du mal à contenir son enthousiasme.

- C’est assez semblable en effet, nous avons à peu près le même horizon, et il est plaisant de voir les montagnes sous un angle différent ! Il ne tient qu’à vous de venir à Fernel un jour prochain, ma chère, nous recevons bien et je serais honorée de vous faire découvrir nos spécialités.

La jeune femme adresse un large sourire à sa compagne alonnaise. Derrière, toute la troupe de Louise les regarde, sans en perdre une miette. Enguerrand, tout d’abord, par habitude. Aymeric, lui, par pure curiosité. Les autres sont bien trop éloignés pour entendre ou voir quoi que ce soit de probant mais ça ne les empêche pas d’observer les deux silhouettes féminines qui chevauchent côte à côte, l’une vêtue de pratiques et confortables habits de voyages, l’autre d’une tenue plus distinguée. Le contraste est assez flagrant. En réalité, au milieu de ses hommes, on ne peut guère savoir que Louise est là, tellement elle se fond dans la masse, habituée à porter des habits pratiques et simples. Et cela ne lui a jamais posé le moindre problème.

- Fernel ne sera pas une réelle découverte en soi puisque nous vivons toutes deux dans le même cadre nordien mais je serai ravie de vous offrir un dépaysement, aussi léger soit-il. Je comprends parfaitement ce que vous voulez exprimer…Mon propre père était assez…protecteur, lui aussi.

Eudes de Fernel a couvé Louise en la protégeant de tout et de tout le monde. Quant à Elazar…Le rappel de son regard gris de métal, de son attitude totalement protectrice et possessive suffit à la faire soupirer légèrement.

- Je connais cette manie des pères de vouloir à tout prix protéger leurs filles en les écartant de tous les dangers de ce monde. En agissant comme cela, ils privent leur enfant de nécessaires leçons. Voyagez, ma chère, voyagez, autant que vous le pouvez. C’est important. Pour vous, pour votre seigneurie, pour toute votre vie.

Un regard entendu. Elle a grandi sous cloche, dans une seigneurie du Nord, dans les Monts d’Or. Tout a été mis en œuvre pour qu’elle reçoive la meilleure éducation tout en restant sous la tutelle de son père, puis de sa mère avant de reprendre la gestion de la seigneurie. A la mort de sa mère, Louise avait 21 ans, elle n’avait jamais été plus loin que Serramire, n’avait aucun ami et n’avait jamais voyagé au-delà des limites du Duché tout en étant d’une ignorance crasse des choses de ce monde. Les temps ont bien changé. Fort heureusement pour elle. Elle a un petit sourire en écoutant la demoiselle de Lourbier. Une femme qui décide de voyager, c’est une femme qui ne veut pas qu’on l’enferme, un esprit libre. Et on en rencontre rarement, des esprits comme ceux-là. Quoiqu’il en soit, Louise réserve son jugement pour plus tard, elle se contente de répondre, toujours avec le même sourire :

- J’ai beaucoup voyagé en effet, depuis quelques mois. J’ai traversé toute la Péninsule à cheval avec mes hommes jusqu’à Papincourt pour assister au mariage de Lohie de Brandevin et de Tibéria de Soltariel, j’ai continué mon chemin jusqu’à Thaar avant de repartir vers Fernel et de préparer un autre voyage vers le Zagazorn où j’ai assisté au mariage du roi Harald et de la reine Brynhild. Plus récemment, je reviens d’Arétria et comme vous me voyez en ce moment, je suis en route vers Diantra pour assister au couronnement de notre roi. Voilà pourquoi il y a tellement de monde pour m’accompagner.

Oui, elle voyage. Beaucoup. Cela étant, c’est une prédisposition chez elle, cette inclinaison vers l’aventure et les choses nouvelles, elle sait que ce n’est pas le cas de toutes les dames qu’elle rencontre.

- Je pourrai vous raconter mes impressions de voyage si vous le souhaitez bien sûr.

Louise sourit encore, avant de s’incliner quelque peu, d'un air de confidence.

- C’est fort aimable à vous de nous recevoir. J’ai peu de contacts avec les seigneuries voisines et je suis réellement ravie de rencontrer une autre Dame à la tête d’un territoire. Ce n’est pas chose si courante, je vous l’assure…

« Je prendrais définitivement votre invitation. Je n’ai guère eu l’opportunité de me rendre à Serramire, et je suis certaine que cette première visite n’est que le début d’une relation prospère. » Adélina écouta sans interrompre son invitée, tentant de réprimander la peine qui l’affligeait.  Après tout, son père n’était décédé qu’il y a quelques mois, et la perte tragique de ce dernier avait laissé une ouverture béante sur le cœur de la jeune femme. Néanmoins, Adélina réussit à cacher sa peine, se concentrant uniquement sur les paroles de Louise; « Oh! Mais ne vous inquiétez pas. J’ai déjà fait le voyage jusqu’à Arétrie, puis la fête à Diantra arrive à grand pas, je suis certaine que cela sera aussi une bonne occasion de voir un paysage nouveau. Il me tarde de voir la capitale! » La jeune femme eut un sourire sincère, avant de répondre du tac au tac, sans aucune once de malice; « Je ne peux qu’être d’accord avec vous. Les dames comme nous sont rares, alors vaut mieux en profiter pour tisser des liens avec ces dernières. »


La conversation continua pendant une bonne demi-heure, les deux jeunes femmes parlant de tout et de rien, Adélina posant toujours plus de question sur Thaar et le Zagazorn, deux territoires qu’elle ne connaissait que par les quelques ouvrages qu’elle avait eu le loisir de mettre la main dessus. Pourtant, les récits de la serraminoise lui semblaient surréalistes, et elle se plu pendant à un moment d’imaginer comment elle se serait senti si elle avait été invité à ce mariage…  Les deux nordiennes et leurs escortes arrivèrent finalement à Lodiaker-la-ville, ville complètement bâtie sur la montagne, la laissant presque qu’impénétrable. Sans attendre, l’alonnaise conduisit sa visiteuse dans les rues pour finalement arriver au château, là, où, des palefreniers attendaient le petit groupe de pied ferme. Sans attendre, la jeune femme descendit de son étalon d’un mouvement gracile, laissant les étoffes de sa robe virevolter au vent, avant de tapoter doucement ce dernier. Une jeune femme au longs cheveux bruns vint rapidement rejoindre la dame de Lodiaker, lui murmurant quelques choses au passage qui sembla faire agrandir le sourire de la jeune femme. Sans attendre, elle se retourna vers ses invités, avant de finalement reprendre la parole; « Je suppose qu’après un si long trajet vous souhaitez prendre un bain et vous reposer. Ma camériste, Clervie. » dit-elle en présentant doucement la jeune femme qui l’avait rejoint. « Vous accompagnera à vos quartiers, et donnons-nous rendez-vous pour le dîner se soir? Si cela vous convient bien entendu? » Une fois que son invitée eut répondu, la jeune femme s’inclina, avant de tourner les talons, les laissant dans les mains de la jeune Clervie, qui semblait à peine plus âgée que la damoiselle.


« Si Ma dame voudrait bien me suivre… » commença-t-elle en faisant une légère révérence. Sa voix était délicate, cristalline. On voyait bien que la pauvre âme ne ferait pas de mal à une mouche. Clervie était au service de la rose de Lodiaker depuis plusieurs années maintenant, et jamais l’on avait vu une personne aussi dévouée dans le Lodiaker. Clervie conduisit la dame de Fernel à travers les multiples couloirs du château pour finalement arriver dans des appartements chaleureusement décorés. Des gerbes de fleurs avaient été savamment placées afin de laisser un charmant parfum embaumé l’air, et surtout, un bain avait été rempli d’eau chaude, prête à l’arrivée de la distinguée invitée. « S’il vous manque quoi que se soit, n’hésitez pas à nous le dire, Notre Dame a été clair que votre confort était une priorité. » Se retournant finalement vers les hommes qui accompagnaient Louise, elle leur fit un discret sourire avant de reprendre la parole; « Si vous me le permettez, Ma Dame. J’irais conduire vos hommes dans leurs quartiers. »

Louise sait qu’Adélina s’est rendue en Arétria avant elle. Elle le sait et pourtant elle ne relève pas le fait pour le moment. Il y a des choses qu’il vaut mieux garder pour le privé et le confort d’un boudoir ou d’une chambre dépourvue de témoins.

- La capitale va vous plaire, il y a énormément de choses à y voir et je vous avoue que je suis moi-même bien aise de me rendre à cet événement. Cela sera l’occasion de revoir quelques connaissances et de peut-être nouer de nouvelles relations…Qui sait ? Tout peut arriver.

Nouer de nouvelles relations…En ce qui concerne Louise, si elle pouvait en nouer une tout court, ce serait déjà bien. Pas une relation commerciale, comme celles qu’elle entretient régulièrement avec l’un ou l’autre seigneur, non. Même si elle ne refusera jamais une relation d’un tel acabit, elle espère bien secrètement autre chose.

Louise est seule, du lever au coucher. Seule avec des hommes qui certes la respectent mais qui gardent en toutes circonstances une saine distance avec elle. Même si elle a un peu plus de contacts avec son maître d’armes, elle n’en a pas fait un ami, ni même un confident. Elle sait qu’à un certain niveau de pouvoir, les amis n’existent plus. Et l’absence constante du seul être avec lequel elle peut, au moins un tout petit peu, s’épancher ne fait qu’accentuer ce besoin de rencontrer du monde, des personnes qui seraient sincèrement désireuse de la connaître, elle Louise, et non pas la châtelaine de Fernel. Elle aimerait qu’on voit la femme et pas la noble dame. Au moins une fois. De tout cela pourtant, elle ne s’en confie à personne, pas même à un journal car elle sait à quel point les écrits sont dangereux.

Si Louise est souriante, pleine de vie à l’extérieur, jolie, il n’en est plus de même quand elle ferme les portes de sa chambre et qu’elle est toute seule face à elle-même. Elle se sent vide. Vide de tout sentiment à tel point qu’elle se demande parfois si elle a bel et bien un cœur. Alors quand elle est à Fernel, ces soirs-là, elle peint. Elle peint des portraits, des tas de portraits, de tous ces gens qu’elle connait, qu’elle a rencontré et qui ont été aimables. Les portraits des deux seules personnes qui comptent et ont compté. Au moins a-t-elle l’illusion d’avoir un peu de compagnie. Au moins un peu. Personne ne sait qu’elle fait ça, elle aurait bien trop honte qu’on la surprenne alors elle s’arrange toujours pour conserver tout cela dans un petit meuble fermé à clé, impeccablement rangé. Les apparences, c’est si important, après tout…

Leur conversation se poursuit, légère, jusqu’à ce qu’elles atteignent le château de Lodiaker, un château que Louise n’a jamais eu l’opportunité de voir de près, même si elle le connait de nom et de réputation. Elle se sent bien ici, cela ressemble beaucoup à Fernel et elle se rassure avec la vision familière de ces hautes montagnes qu’elle connait si bien.

Elle descend de son cheval d’un seul bond, tout en souplesse, avant de caresser l’encolure de Lasgalen, chuchotant des paroles incompréhensibles à son oreille. L’animal renâcle un peu puis la pousse un peu à l’aide de sa tête, ce qui la fait rire. Sa suite met pied à terre également, transportant les bagages.

- Un bain serait vivement apprécié en effet, je vous remercie.

Elle confie Lasgalen à un palefrenier et suit donc la camériste, d’un pas souple et rapide, jusqu’à l’intérieur du château. Un château immense, bien plus grand que ne l’est Fernel, avec des couloirs partout. Arrivée dans la chambre qui lui est attribuée, elle constate avec plaisir qu’il y a des fleurs. Et Louise aime les fleurs, tellement…Elle s’en approche, avec un sourire radieux, avant d’aviser la cuve de laquelle s’exhale de larges volutes de vapeur. Un bon bain bien chaud. Pile ce qu’il faut après une longue chevauchée. Elle défait ses mitaines, elle ôte sa cape, libérant de la sorte une fine poussière de route sur le plancher puis s’étire, comme le ferait un félin. Deux hommes déposent chacun un sac sur le sol, non loin de Louise. Aimable et douce avec la camériste, elle touche la surface de l’eau, souriante, avant de murmurer :

- Je voyage léger, j’ai peu de besoin donc vous pouvez disposer, Clervie, je vous remercie. Mes hommes vous suivront et resteront là où il vous semblera adéquat de les installer. Venez me chercher plus tard pour le dîner, je prends mon bain seule et désire ne pas être dérangée.

Elle aura un regard pour Enguerrand et pour Aymeric, ils salueront brièvement de la tête avant de sortir, laissant la châtelaine seule. Pas un bruit dans le couloir, rien. Elle verrouille la porte et s’assure d’un regard circulaire que personne n’est là, attentive au moindre bruit. Rassurée par le silence relatif, elle dénoue peu à peu ses habits, libérant sa chevelure de ce cercle de métal qu’elle porte si souvent, puis se retrouve en chemise, pieds nus, les cheveux ondoyant sur son dos. On dirait une gamine, ainsi, une gamine à peine sortie de l’adolescence, toute fine et fragile. Elle fouille un des deux sacs et en sort une huile concoctée par Elazar, une huile dont elle verse quelques gouttes dans l’eau chaude, avant d’inspirer l’odeur délicieuse qui s’en dégage. La chemise tombe alors au sol, elle entre dans le bain et relève ses cheveux en un épais chignon noué à la hâte avant de s’immerger totalement. Un soupir d’aise s’échappe de sa gorge tandis qu’elle laisse ses muscles se détendre. Elle restera dans l’eau un long moment, bien après même que celle-ci soit devenue tiède puis en sort, se séchant devant les flammes, en chemise, tout en dénouant ses cheveux à l’aide d’un épais peigne de corne.

Elle entend l’activité du château, elle entend tout cela mais cela ne la préoccupe point. Elle a appris à profiter des bons moments. Et ils sont plutôt rares, ces bons moments. Alors un bain tranquille, ça n’a pas de prix. Les longues boucles soigneusement huilées de cette même essence concoctée par le vieux parfumeur, elle se lève et choisit une tenue dans un autre sac. Une robe cette fois, une longue robe de tissu bleu au galon d’argent décoré de feuilles de chêne qu’elle enfile seule, par-dessus sa chemise, une cape d’intérieur, dépourvue de manches, d’un tissu bleu plus foncé, avec à son doigt l’anneau sigillaire de Fernel. Elle s’assied tranquillement sur une chaise, apportant une touche finale à sa coiffure, simple et pourtant ravissante, rehaussée de ce cercle de métal qu’elle arborait plus tôt.

Quelques coups viennent perturber la quiétude. C’est la camériste qui vient la chercher pour le dîner. Louise se lève, digne et infiniment plus féminine que ce qu’elle a pu laisser paraître à son arrivée, pour déverrouiller la porte. Elle a un port droit, le regard direct, un sourire doux sur les lèvres, elle est propre, parfumée et bien coiffée, comme il sied à une Dame de noble rang.

- Menez moi à la Dame de Lodiaker, je vous prie.

La camériste entra timidement dans la pièce alors que leur invitée lui adressa la parole. Cette dernière s’inclina, un léger sourire aux lèvres, avant de lui faire un discret signe de la suivre. Les deux femmes s’engagèrent rapidement dans les couloirs, mais elle ne fit que quelques mètres avant qu’un homme ne s’approche d’elle. Le chevalier en question, était dans la trentaine avancée, il avait les traits dessinés et les mêmes yeux que la Dame de Lodiaker.  Aubry s’arrêta net en voyant la jeune femme de même que Clervie qui eut l’air perdue pendant un moment. La camériste s’inclina devant le chevalier, et avant même qu’elle ne put ouvrir la bouche, l’alonnais prit la parole. Un sourire franc aux lèvres, le regard rivé sur la serraminoise, il prit finalement la parole; « Merci, Clervie, je conduirais la dame de Fernel à ma cousine. » Le chevalier fit quelques pas vers Louise avant de s’incliner devant la jeune femme, lui prenant doucement la main pour faire un baisemain avant de se redresser pour prendre la parole; « Dame de Fernel, mon nom est Sire Aubry Lourbier, Chevalier de Lodiaker et cousin de la Dame des lieux.  Si vous me permettez je vous conduirai à ma cousine. » La pauvre camériste ne sembla pas où se mettre, les joues roses, elle chercha l’approbation du regard de l’invitée de sa dame, avant de s’incliner devant le chevalier.


Aubry tendit doucement son bras, permettant à Louise de le prendre – ou non si tel était son choix, et il l’entraîna à travers les innombrables couloirs du château de Lodiaker. « Je suis venu vous faire mes excuses, ma dame. Ma cousine m’avait mis en charge de vous accueillir à la frontière, mais il semble que vous nous avez pris au dépourvu. » Son regard azuré se tourna vers la nordienne, sourire aux lèvres, avant de reprendre; « Mais ce n’est guère un mal. Ma cousine attendait avec impatience votre arrivée. Votre réputation vous précède, et je crois que vous, et elle, avez beaucoup en commun. » Ils arrivèrent finalement devant deux grandes portes de bois, et deux gardes en armure frappés d’un écarlate s’inclinèrent avant d’ouvrir la porte, dévoilant Adélina qui se tenait droite, attendant patiemment son invitée. Rafraichie, la châtelaine portait une robe finement décorée, qui mettait en valeurs sa taille menue. Mais Adélina ne put s’empêcher d’hausser un sourcil, l’air étonnée, alors que Louise fit son entrée dans la salle à manger. Son regard azuré se porta sur son cousin alors que ce dernier prit doucement la main de la châtelaine pour lui faire un baisemain. « Je vous souhaite une bonne soirée, Ma dame. Au plaisir de vous revoir. » Puis se redressant, il se tourna vers sa cousine, avant de porter une main sur son cœur et s’incliner. « Ma Dame ma cousine. » Sans attendre, il tourna les talons pour sortir de la pièce non sans envoyer un sourire à sa cousine qui le regardait d’un air surpris.


La dame de Lodiaker soupira avant de montrer de sa main la table, « Je vous en prie, Ma dame. » Un serviteur vint rapidement tirer sur la chaise pour aider l’invitée à s’asseoir, et un deuxième en fit de même avec la dame des lieux. « Je suis désolé pour cette rencontre quelque peu surprenante. Mon cousin n’est pas friand des conventions. » En réalité, la jeune femme irait définitivement le voir pour savoir quel était son but en faisant cela. Une manière de s’introduire à la cour? Peu importe, pour le moment, la dame de Fernel avait toute son attention. « Alors comment se passent les choses en Serramire? » Une façon comme une autre d’engager la conversation, et de savoir ce que la dame était prête à partager. Avait-elle attendu parler de la visite de la sombrelfe à la frontière alonnaise? Peut-être avait-elle rencontré le curieux Comte d’Odélian? Elle attrapa doucement la coupe de vin alonnais et la porta à ses lèvres alors que les serviteurs se mettaient à servir des plats typiquement locaux.

Leur progression dans les couloirs est interrompue par la présence d’un homme, un chevalier. La petite trentaine, à première vue. Il semble mettre la camériste mal à l’aise, sans que Louise ne comprenne réellement pourquoi. La châtelaine salue d’un léger signe de la tête mais Sire Aubry se saisit déjà de sa main pour y déposer un baiser. Il pourra sentir sous ses lèvres toute la crispation des doigts dont il s’est emparé. D’ailleurs, il n’a pas le temps de la garder plus que de besoin, cette main. Louise la lui enlève, dès que possible et la noue à sa jumelle, sagement, devant sa robe.

- Je suis enchantée de vous rencontrer, Sire Aubry.

Il s’agit du cousin de son hôtesse, donc. He bien soit. Elle lance un regard convenu à Clervie puis approche du chevalier, posant tranquillement sa main sur son bras, tout en avançant d’un pas souple et mesuré en sa compagnie, le long des couloirs du grand château de Lodiaker. Elle l’écoute, attentive, ainsi qu’elle l’est toujours et se met à sourire, fort aimablement.

- C’est à moi de présenter des excuses. J’ai la fâcheuse manie de surgir là où on m’attend le moins et j’ai préféré galoper sans réserve, le temps le permettait, mes hommes en avait besoin tout autant que moi. Et il n’y a rien de plus grisant au monde que de galoper sans contrainte sous un beau soleil.

Elle esquisse un sourire tout en lui rendant son regard.

- Ma réputation ? Que voilà d’étranges paroles. J’ignorais en avoir une, pour être tout à fait honnête. Il faudra me dire, à l’occasion, ce que vous avez pu entendre à mon sujet, cela m’intéresse beaucoup.

Là encore, un autre sourire.  

- Je suis heureuse d’enfin rencontrer votre cousine. Nous verrons si nous avons tant de choses en commun ainsi que vous le dites.

Ils devisent donc tranquillement jusqu’à leur arrivée dans le salon où attend la Dame de Lodiaker. Visiblement, arriver au bras de son cousin semble surprendre Adélina qui hausse un sourcil. De nouveau, le chevalier se saisit de la main de Louise, et de nouveau cette crispation qu’elle ne maîtrise pas, avant qu’il ne s’incline et ne disparaisse. Quel homme étrange, décidément. Quoiqu’il en soit, elle avance vers la table indiquée par son hôtesse et s’installe sur la chaise fort élégamment tirée pour elle.

- Je vous en prie, ce n’est rien. J’ai moi-même une certaine propension à l’irrévérence, en certaines circonstances.

Elle dissimule habilement un sourire avant de reprendre :

- Il m’a dit que ma réputation me précède. Je ne sais trop comment interpréter ces paroles, je dois bien vous l’avouer. Fernel est une seigneurie bien reculée, après tout…

Louise s’empare à son tour d’un verre de vin servi par un domestique et trempe ses lèvres, appréciant visiblement le doux breuvage.

- Quant au Duché, il semble on ne peut plus calme si on excepte bien entendu la présence de la Haute-Prêtresse de Kiel sur notre beau territoire de Péninsule…

Elle dépose son verre, de l’air le plus tranquille du monde. Louise ne doute pas qu’Adélina soit au courant. Elle a fait en sorte de prévenir tout le monde depuis son petit bureau de chêne. A cette heure, les plus proches voisins de Serramire sont sans nul doute au courant de tout.

- …et les préparatifs du sacre de notre Roy qui ont lieu bientôt. D’ailleurs je ne vous cache pas qu’énoncer ces deux faits dans la même phrase me donne la chair de poule. On peut tout attendre de ces horreurs d’oreilles noires, surtout le pire. J’espère que le Conseil royal aura mon courrier à l’esprit en répartissant la garde. Après tout, ce ne sera pas la première fois que les Noirelfes s’en prennent à nos rois.

Elle noue ses mains sur ses cuisses, tout sourire.

- Vous rendez-vous, vous aussi, à la capitale Adélina ?

Le chevalier eut un sourire amusé, regardant droit devant lui alors que la dame de Fernel prenait la parole; « Au risque de me répéter Ma Dame, il n’y a absolument rien à pardonner. Je suis comme vous, à quoi bon ne pas profiter de ses sensations hors du commun. Je crois que, même ma cousine le fait. Donc ne vous inquiétez point. Personne dans ce château ne vous en tiendra rigueur. » Heureux de sa rencontre, le chevalier abandonna la jeune femme au bon soin de sa cousine alors que la discussion débutait entre les deux femmes.  Adélina eut un sourire amusé alors que la chatelaine lui avouait ne pas connaître la réputation qui la précédait. « Disons que j’ai entendu parler de vos voyages, surtout celui à un banquet d’un certain roi. Un événement exceptionnel en soi, je n’imagine pas les splendeurs que vous avez dû y découvrir. » Oh oui, toute la péninsule avait entendu parler du mariage du Grand Roi du Zagazorn! Et les invités de cette fête hors du commun avaient été enviés, après tout, elles ne se comptaient que sur les doigts d’une main. « J’aimerais bien entendre, un jour le récit de votre aventure d’ailleurs. »


Après tout, la jeune femme était réellement curieuse, elle qui, n’avait jamais sorti du nord de la péninsule jusqu’à présent. Il fallait aussi dire que les femmes au pouvoir étaient rares dans le nord, particulièrement à Serramire ou les Brochants avaient une réputation particulièrement mauvaise auprès des femmes de tête. Après tout, on lui avait raconté mainte et maintes fois que l’ancien Duc avait mentionné plusieurs fois ce qu’il pensait des Chtolls et des Lourbiers – rien de très plaisant à entendre en soi. Puis vint la fameuse discussion sur la présence de la sombrelfe. Le visage de la jeune alonnaise se referma à son tour, alors qu’elle déposait sa coupe sur la table. « Je vais me permettre de parler en toute franchise avec vous, Votre Seigneurie. Tout simplement parce que j’ai l’impression que vous connaissez ma façon de penser. Après tout, nous sommes deux nordiennes qui tentent de faire leur place dans le Nord. » Elle sembla se mordiller l’intérieur de la joue pendant un moment avant de reprendre la parole; « Il y a quelques ennéades, un groupe d’hospitaliers ont demandé l’asile à Lodiaker. Ce que je leur ai accordé. C’est seulement à ce moment que j’ai appris la présence de la sombre si près de nos frontières. Ma baronne, et le régent, n’ayant pas pris la peine de nous informer de la missive que vous leur aviez envoyé. »


Ce n’était pas du tout un reproche envers Louise, mais beaucoup plus contre sa suzeraine. Après tout, Louise n’avait pas manqué à son devoir, elle avait prévenu les grands de ce monde qui, théoriquement, aurait dû faire passer le message aux autres, mais disons que cela était difficile de venir en besoin de ses gens quand votre suzerain ne vous prévient pas des dangers. « Je crois personnellement que les plus grands dangers sont ceux qui nous entourent. Si personne ne parle aux autres comment faire face aux noirelfes s’ils décident de revenir? » Adélina soupira, cela la tracassait depuis plusieurs ennéades déjà. Elle avait, tant bien que mal tenter de rejoindre sa suzeraine mais s’était buté à un silence. Il n’eut que son lointain cousin, Geoffrey qui avait répondu à son appel. Mais Louise décida finalement d’égayer quelque peu la discussion en parlant de l’événement qui se préparait. « Certainement, je devrais partir d’ici une ou deux ennéades pour m’y rendre. Je dois vous avouer que je suis légèrement excitée à l’idée de découvrir la capitale. »

C’est donc cela. Sa présence au mariage royal de Kirgan est connue et il n’a pas fallu bien longtemps pour que les langues s’agitent. Louise esquisse un bref sourire pour Adélina tout en lissant la jupe de sa robe impeccable.

- J’ai passé un séjour absolument merveilleux, du début à la fin. Je suis consciente de ma chance et je vous assure que j’y retournerai avec le plus grand plaisir. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les Nains savent recevoir…

Ce séjour…c’est un souvenir fabuleux pour Louise, depuis son arrivée à Thanor jusqu’à son arrivée en la capitale.

- En tant qu’Amie du peuple Nain, j’ai désormais le droit de me rendre au Zagazorn un peu plus facilement que les autres tout en respectant leurs coutumes et leurs lois. Du moins dans l’enclave de Thanor. Je vous raconterai un soir les banquets, la fabuleuse couronne de mogarium du Roi Harald, l’immensité du Roi d’Anaëh, la beauté des Elfes, les artifices du Régent de Naelis, l’immense honneur que m’a fait le Roi Harald en m’emmenant dans la crypte des Rois et là où aucun humain n’a jamais mis les pieds, l’endroit le plus haut de Kirgan, avec une vue imprenable sur le Brissalion et les montagnes…Je pourrais en parler pendant des heures…

Un sourire en songeant à un autre, à la chevelure sombre et aux yeux émeraude, avec lequel elle a passé les moments les plus doux de toute sa vie. Une rougeur lui monte aux joues en y songeant, une rougeur qu’elle dissimule habilement sous une gorgée de vin, le sourire aux lèvres.

Louise reste pourtant modeste. Très modeste. Elle a beaucoup appris pendant ce séjour et si elle sera toujours reçue là bas selon des principes qui sont en accord avec ses propres valeurs, elle sait que cela fera jaser en Péninsule. Elle était la seule femme seigneur présente, non mariée, en totale indépendance. Si cela n’a choqué personne là-bas, il n’en sera pas de même en Péninsule. Voilà pourquoi elle n’en parle presque pas. Pourtant, ce sont des souvenirs intenses. Elle sait à quel point ce qu’elle a vécu est rarissime et que tout ce qu’elle a vu est unique. Des souvenirs pour une vie.

Quand Adélina parle d’elles comme de deux Nordiennes cherchant à se faire une place, Louise sourit d’un air entendu. Elle se rappelle parfaitement la conversation qu’elle a eue avec Magnus de Terresang et si la Serramiroise garde en apparence une attitude policée, Adélina est soigneusement et scrupuleusement observée, à chaque instant. Il y a, chez cette élégante Rose de Lodiaker, le même éclat qui illumine le regard de Louise. Un éclat qui échappe totalement à ces autres qui les sous-estiment si souvent mais qui n’échappe en rien à la châtelaine.

- La Haute-Prêtresse de Kiel a utilisé mon ferronnier comme messager. Elle a réussi à se promener librement en Péninsule sans être inquiétée. Ce qui m’incite à penser que nos frontières sont extrêmement perméables et mal surveillées. Cela étant vous avez raison. Le danger qui nous menace ne vient probablement pas de l’extérieur mais de l’intérieur. Comment s’organiser correctement s’il n’y a aucune communication, surtout de tels sujets… ?

Elle dépose à nouveau son verre de vin et observe la nourriture posée sur la table.

- Il semble que cela soit un problème récurrent et constant, cette façon qu’ont les plus grands d’entre nous de négliger ceux qu’ils estiment indignes d’eux.

Elle saisit un fruit dans lequel elle croque.

- J’ai averti le Duc de Serramire, il n’a pas daigné répondre. Il avait sans doute beaucoup mieux à faire, je présume. Le seul à l'avoir fait, à ce jour, est le Baron d'Oesgard.

Une autre bouchée de fruit juteux tout en écoutant Adélina parler de son futur voyage vers Diantra.

- Vous vous y plairez, la ville est superbe, il y a beaucoup de choses à y voir, notamment Sainte-Deina…ou encore le quartier des Mille Soleils. J’y suis passée il n’y a pas si longtemps alors que je me rendais à Papincourt pour les noces de Tibéria de Soltariel et de Lohie de Brandevin. Je ne vous cache pas que j’ai hâte de me rendre au Palais des Dômes. Je n’ai jamais eu l’occasion d’y pénétrer…Il parait que l’on peut s’y perdre tant c’est immense.

Une pause.

- Je suis heureuse de savoir que nous nous reverrons là-bas. Tous les grands de ce monde seront présents. L’occasion sera belle de revoir des amis, de s’en faire de nouveau et pourquoi…nouer de nouvelles alliances. Qu’en pensez-vous ma chère ?

Adélina écouta sans interrompre la serramiroise alors que cette dernière lui racontait les détails du mariage du Grand Roi du Zagazorn. Tout cela lui semblait tellement surréaliste! Tellement lointain et inaccessible! Et pourtant son invitée l’avait fait! Elle avait voyagé seule, pour rencontrer non seulement des nains mais aussi des elfes! Bien que la nordienne soit peu friande des autres races, il fallait avouer qu’elle aimerait bien, un jour, voir ces créatures qui semblaient sortir de l’imagination d’un romancier. Oh certes, elle avait entendu parler de la petite communauté naine en Alonna, mais cela n’avait définitivement pas la volupté du Zagazorn. Sourire aux lèvres, l’alonnaise se permit de reprendre la parole seulement qu’une fois que Louise avait terminé. « Cela me semble une expérience extraordinaire. Vous avez énormément de chance d’avoir participé à cet événement qui a marqué l’histoire. » Était-elle jalouse? Non pas du tout, ses paroles avaient été dites en toute sincérité. Un jour, elle aussi vivrait des expériences hors du commun, mais tout viendrait en son temps.


Mais lorsque la sombrelfe revient sur la table, l’expression de l’alonnaise sembla se durcir à son tour, alors que les serviteurs s’éclipsèrent de la salle en déposant les derniers plats sur la table. « Curieusement, le baron d’Oesgard a lui, aussi été le seul à répondre à ma missive, et ce malgré les différents qu’ont nos deux familles. » Soyons honnêtes, les Falkenberg étaient définitivement en grande partie responsable de la perte du trône alonnais de la famille Lourbier. Bien que la jeune femme ne lui en tînt pas rigueur, elle ne pouvait pas dire la même chose des autres membres de son entourage. Surtout que le Baron avait fait un effort pour tenter de comprendre la situation, elle préférait lui laisser la chance. « C’est néanmoins extrêmement perturbant que nos avertissements ne soient entendus. Pour ma part, la sécurité de mes frontières ainsi que celle de mes vassaux sont maintenant hautement sécurisé, mais je ne peux dire la même chose du reste d’Alonna. » Après tout, rien n’était arrivé d’alonna-les-trois-murs et Adélina avait dû envoyer des missives aux autres seigneurs alonnais pour les prévenir. Si certains, comme les Jersada, Kreskan et Azrith l’avaient prise au sérieux, elle ne pouvait en dire autant pour les Wacume et les Rodem. Ces familles, hautement fidèles à la famille baronniale semblaient détester la jeune femme. Quant à son oncle Ansfield, il était plus stupide qu’un caillou, et elle s’attendait à ce que cette vipère de Sidoine de Broissieux lui ait embourbé encore plus l’esprit.


La jeune femme haussa un sourcil alors qu’elle entendit la dernière réplique de son invitée. Sourire aux lèvres, Adélina prit doucement sa coupe, l’approchant doucement de ses lèvres avant de prendre la parole; « Je ne crois pas que faire des alliances devant le Régent et sa femme ne soit nécessairement une bonne idée dans mon cas. Je préfère les faire dans le confort de mon foyer avec des gens, qui pourront m’aider. » Ses prunelles fixées dans celle de Louise, Adélina prit une gorgée de vin, observant la réaction de la châtelaine. « Que diriez-vous d’une alliance entre Fernel et le Lodiaker? Après tout nous avons déjà eu la preuve que nos suzerains ne font guère attention à nous, ou à nos avertissements. C’est donc à nous de se lever et de prendre nos responsabilités. » Elle s’arrêta un moment avant de hausser un sourcil, son regard fixé sur la châtelaine; « … ou ce qui nous revient de droit. » La jeune femme venait de mettre cartes sur table, d’une façon subtile et vague certes, mais cela était un test pour savoir ce que Louise savait. Était-elle au courant de la position des Lourbiers? Après tout ces derniers avaient une piètre réputation en Serramire grâce à la haine que leur portait le Duc… Cela aurait été surprenant que rien ne lui soit arrivé aux oreilles, ou que ces conseillers ne lui aient rien mentionné avant qu’elle ne se rende en Alonna. « Je crois que c’est notre temps de briller. Maintenant plus que jamais. »

Louise ne peut qu’opiner aux propos inquiets de la Dame de Lodiaker.

- Il semble en effet que nos avertissements ne soient guère pris en compte, même s’ils sont étayés par des témoignages glaçants. Tout comme vous l’avez fait, j’ai sécurisé au maximum ma seigneurie et parachevé les hourds qui ornent les murailles extérieures. Mes hommes sont sur le pied de guerre constant et je ne voyage pas avec moins de vingt gardes pour m’escorter. Si Fernel est en relative sûreté pour l’instant, j’ignore ce qu’il en est ailleurs en Serramire. Peut-être même que les autres seigneurs ne sont pas au courant…

Elle pianote pensivement la table de ses petits doigts fins.

- …et Fernel n’est pas Lodiaker. C’est une petite seigneurie, certes protégée par les montagnes, mais assez vulnérable si elle est attaquée de manière massive. Même avec tout mon courage et celui de mes hommes, nous ne résisterons pas bien longtemps devant une « légion sainte », du moins en l’état actuel des choses. Je m’emploie à trouver des solutions puisqu’il semble établi que le Duc lui-même considère mon courrier comme une simple peccadille.

Louise tend la main vers son verre de vin et en boit une gorgée avant de reprendre, avec un sourire.

- Dame Adélina…Pensez-vous sincèrement que le régent, son épouse ou même la Cour en son ensemble en a quelque chose à faire de ce que peuvent bien discuter deux dames dont ils ignorent jusqu’aux courriers les plus alarmants, par exemple ? Je ne le crois pas.

Elle dépose son verre sur la table.

- Nous ne sommes que menu fretin à leurs yeux. Des femmes. Inutile de vous rappeler n’est-ce pas toute la considération que peut recevoir notre sexe dès lors qu’il sort des sentiers établis de la couture, de l’intendance du foyer et de la composition de bouquets de fleurs…

Louise passe une main lente et tranquille sur sa jupe, avant de rendre son regard à la Dame de Lodiaker. Un regard qui soutient parfaitement le sien, clair et luisant de cet éclat espiègle qui annonce la suite.

- Toutefois, je dois bien admettre que tous n’ont pas cette vision des Dames. Le Comte Magnus de Terresang, pour ne citer que lui, notamment.

Il y a un petit silence durant lequel Louise regarde Adélina avec un sourire au coin des lèvres. Bien sûr elle sait que les de Lourbier n’ont guère une bonne réputation en Serramire. Les échos de cette histoire sont parvenus jusqu’à Fernel et Louise n’y a jamais vraiment prêté attention jusqu’à ce que le Comte d’Arétria ne lui propose lui aussi une alliance, en évoquant la Dame de Lourbier qu’elle n’avait alors jamais rencontrée. Or, voilà qu’Adélina sort du bois, à son tour, pour proposer une alliance, entre dames cette fois, afin de récupérer ce qui lui revient de droit. Et Louise sait parfaitement de quoi il s’agit, en l’occurrence.

- Il m’a longuement raconté votre rencontre d’il y a quelques ennéades, Dame Adélina. Tout comme il m’a proposé une alliance, ainsi que vous venez de le faire, dans un projet assez intense qui consiste à abattre, d'une manière ou d'une autre, vos suzerains respectifs.

Louise a un regard pour la porte et baisse aussitôt le ton de sa voix, adoptant celui de la confidence entre dames en se penchant vers son hôtesse.

- Peut-être que le Nord aurait bien besoin, en effet, de deux Dames de pique à sa tête au lieu d’un Valet de cœur et de ses séides corrompus.

Les intentions de Magnus de Terresang comme celles d’Adélina de Lourbier sont claires. Celles de Louise, par contre, sont sur le point d’être exposées.

- Je vais aider, dans la limite de mes possibilités, le Comte d’Arétria à obtenir ce qu’il souhaite. Je vous aiderai aussi. Vous désirez une alliance entre Fernel et Lodiaker, je l’appelle moi aussi de tous mes vœux parce que je sais qu’une Dame telle que vous ne peut que comprendre tout le dédain que m’inspire le Duc.

Elle sourit encore.

- Le Comte a été abandonné à son sort, vous avez été spoliée de ce qui vous revient de droit…et j’ai moi-même des griefs à faire valoir à l’encontre d’Arnaud de Brochant. Mais des griefs ne sont point pour autant des leviers suffisants pour le faire tomber. Donc…Que me proposez-vous en échange de mon aide et soutient, Dame Adélina ?

S'il est l'heure de briller, il n'est pas pour autant question de se consumer en de vaines paroles et d'inutiles louvoiements aussi Louise attend-t-elle une proposition à laquelle réfléchir et à propos de laquelle discuter avec Adélina.

Adélina écouta attentivement les paroles de Louise, en profitant pour avaler quelques bouchées de son repas, alors que cette dernière lui expliquait point par point ses interrogations, ses arguments et ses peurs en quelques sortes.  « Il serait étonnant que la légion sainte se rende à Fernel. Une sombrelfe, seule, ou accompagné de quelques hommes est plausible, mais une légion entière ne pourra certainement pas rester inaperçue. Pour cela elle devra certainement passé par Odélian, Alonna ou même Oesgard… Si vous voulez mon avis, pour le moment Fernel est en sécurité. Je ne crois pas que cette abomination ne se décide à s’attaquer à une seigneurie, comme Fernel. Cette dernière a trop de terrain à franchir avant d’arriver à vous. Cela serait du suicide pur et simple. » Elle s’arrêta un moment, se remerciant intérieurement d’avoir prévenu les autres seigneurs alonnais. Si une armée drow devait débarquer en Alonna, ces derniers devraient être prêts. Ils ne pouvaient se permettre d’erreur. Adélina attrapa son verre de vin, avalant une gorgée avant de laisser la chatelaine s’exprimer. Elle voyait bien à quel point la façon de vivre en Serramire était différente d’Alonna, et cela la choquait encore plus que cette pimbêche de Broissieux est plié le genou devant un Duc aussi misogyne. L’Alonnan était une baronnie qui avait été majoritairement dirigé par les femmes, et en voir une plier devant Serramire était définitivement la plus grosse insulte qu’on puisse faire à ce territoire si riche.  Puis vint la réplique sur le Comte de Terresang, Adélina ne put s’empêcher d’hausser un sourcil. Si elle appréciait bien la Dame de Fernel, et souhaitait faire alliance avec cette dernière, le fait qu’il parle de leurs affaires sans la consulter la dérangeait quelque peu. Elle s’assurerait définitivement de lui glisser un mot, après tout, la prudence était de mise.


« Peut-être est-ce la pensée du Duc de Serramire et du Marquis de Sainte-Berthilde. Mais ne sous-estimé pas la Marquise. Elle sait pertinemment que l’Alonnan n’a aucun scrupule à être dirigée par une femme. C’est d’ailleurs pourquoi c’est sa fille qui est sur le trône, et non pas son frère, ou un quelconque cousin de Desmond de Broissieux… » Se calant légèrement dans sa chaise, le visage sérieux, la jeune dame fixait son interlocutrice. « Je ne crois pas qu’ils nous pensent si indigne de leur attention, car si vous êtes au courant de mon escapade dans la malelande, peut-être que le Comte vous a raconter mes mésaventures sur les routes? » Elle pencha la tête, observant la réaction de la seraminoise avant de continuer; « Nous avons été attaqué par une bande de bandit bien organisés qui a tenté de m’enlever. Curieusement après une interrogation et quelques recherches de la part de mes hommes, ces derniers ont découverts que ledit contrat venait d’un endroit bien particulier à Cantharel. » Adélina prit doucement sa coupe, avant de faire un léger sourire; « Curieux, n’est-ce pas? Mais vous devez avouer que tout cela est un coup de maître… D’un côté, on se débarrasse d’un Lourbier, et on met la faute sur le Comte d’Arétria qui ne peut protéger ses frontières… » La jeune femme avala doucement une gorgée de son vin, avant de déposer doucement son verre sur la table; « Mais oui, une bien curieuse initiative si l’on considère que les grands de ce monde ne portent pas leurs attentions sur nous. »


La jeune femme releva la tête, l’air sérieuse. « Ne sous-estimez jamais ce que ces gens sont capables… Je l’ai fait et j’ai failli y passer. On ne m’y reprendra plus. » Adélina prit une bouchée du plat devant elle, laissant volontairement planer un silence avant de reprendre la parole; « Vous l’avez dit vous-même. Je vous offre une alliance entre le Lodiaker et Fernel. Une alliance qui pourrait inclure l’entièreté de la baronnie. Nous avons une force militaire non négligeable. Assez pour vous défendre de cette légion ou du moins vous aider à vous y préparer. Cela inclut aussi une entente commerciale. Le Lodiaker exploite les Monts d’Or, Or, Fer…. Tout cela pourrait être à votre porté alors que les fameux chevaux de Fernel circuleront dans nos seigneuries. Une alliance militaire, et commerciale. Voilà ce que je vous offre en échange et si le besoin venait, nous vous aideront immédiatement. Parce que contrairement aux Broissieux, les Lourbiers ont un honneur. » Voilà son offre, une offre généreuse en soit, mais tout était dans le camp de la châtelaine. Après tout, elle pouvait toujours refuser…

Pensive, Louise tapote le pied de son verre, sans rien répondre dans un premier temps à tout ce qui concerne la Noirelfe. C’est sans doute accorder bien trop d’importance à Fernel que de penser qu’une légion entière de Drows traverserait la Péninsule avec pour unique but de détruire ce qui lui appartient. Sans doute. Pourtant, au milieu de toutes les considérations qui laissent à penser que sa seigneurie est bien trop insignifiante pour être une cible, Louise n’est pas tranquille, très loin de là. Les paroles d’Adélina, qui se voulaient sans doute rassurantes, ne réconfortent nullement Louise et pour cause. La jolie dame qui la reçoit, cette belle rose de Lodiaker, ne sait pas. Elle n’a pas été en contact direct avec Khalinas Do’ath. Louise, elle, si. Et ce qu’elle a retenu de cette entrevue, c’est justement de toujours être sur ses gardes quand on parle des Eldéens.

Il est vrai qu’il y a tellement de territoire à traverser pour atteindre Fernel et le Nord dans sa globalité. Ils devraient emprunter le fleuve et traverser bien des fiefs avant d’y parvenir, c’est une réalité, mais au-delà de ça…les Drows sont fourbes et vicieux. Ils ont subi une très sévère défaite dans le Nord et il n’est pas impossible que ces créatures souhaitent se venger. Ils sont puissants, redoutables et ce serait totale folie que de les sous-estimer. Ils sont assez déterminés, visiblement, pour que quelques-uns d’entre eux se perdent dans le Nord, au nez et à la barbe de tout le monde. Si toute une légion possède cette détermination, Louise ne donne guère cher de sa seigneurie et du Duché. Elle se rappelle le contact de cette grande main noire qui lui serrait le bras, dans cette ruelle, pour la mener à la Haute-Prêtresse…Ces yeux fous…Ces sourires horribles…Un très désagréable frisson parcourt son dos, rien que de songer que ces horreurs pourraient faire du mal aux Fernelois. Lui faire du mal, à nouveau. Elle dissimule son trouble naissant sous une gorgée de vin, préférant regarder ailleurs en disant :

- Vous avez sans doute raison. Peut-être sommes-nous en sécurité. Pour l’instant en tout cas…Je manque encore d’éléments pour avoir une vue globale de son parcours en nos terres. Quoiqu’il en soit, je ne compte pas laisser Fernel sans défenses. La montagne est notre meilleure protection, je compte bien l’optimiser pour parer à cette…très déplaisante éventualité. Et, à titre personnel, je vous conseille d’en faire de même, Dame Adélina. Soyez sur vos gardes…

La dame de Lodiaker lui plaît beaucoup. Directe tout étant subtile, assez sûre d’elle, Adélina partage quelques traits de personnalité avec Louise, ce qui fait naître une certaine sympathie envers elle. Continuant son repas, elle a un sourire quand son hôtesse évoque Magnus de Terresang :

- Le Comte n’a pas évoqué vos revers sur les routes de Malelande, non. Qu’en est-il exactement ?

Elle essuie sa bouche et écoute alors le récit truffé de sous-entendus évocateurs que lui récite la Dame de Lodiaker. Là encore, il n’y a pas de réaction à ses propos, elle se contente juste d’opiner légèrement de la tête, en devinant parfaitement les intentions révélées par des mots choisis. Il semble donc qu’Adélina est devenue une cible à abattre, quitte à remettre la faute sur le dos d’un autre. Habile, mais guère novateur. C’est une stratégie vieille comme le monde que d’agir en secret et de reporter la faute sur un autre dont on connait les faiblesses. Elle ne peut s’empêcher d’esquisser un fin sourire. Tout ceci est presque digne de ce que l’on peut trouver par-delà la mer…Les Péninsulaires et les Estreventins ont plus de points en commun qu’ils ne l’admettront jamais.

- Loin de moi l’idée de sous-estimer qui que ce soit, Dame Adélina. Ce serait même plutôt le contraire en ce qui me concerne. Il fut un temps où j’accordais ma confiance inconsidérément, cela a failli me coûter deux fois la vie. On ne m’y reprendra pas une troisième fois, je vous le garantis.

Non, la confiance est un mot banni de son vocabulaire usuel. Elle devra désormais se mériter avant qu’elle ne l’accorde à nouveau, même si la tentation est parfois grande de céder à un élan du cœur plutôt que de s’en tenir à une scrupuleuse réserve.

- Mais si vous êtes une cible pour ce « mystérieux », elle appuie volontairement sur ce dernier mot, commanditaire de Cantharel, je n’en suis pas une. Pour personne. Louise de Fernel n’est qu’un tout petit pion sur un vaste échiquier, le genre de pièce bien trop insignifiante aux yeux de tous ces grands noms de Péninsule pour représenter une menace. J’ai donc la même défiance envers tout le monde et ne sous-estime jamais personne, en tant que petit pion, je puis vous l’assurer.

Un sourire même si en dedans devoir l’admettre à voix haute n’est pas si facile.

- Et vous proposez à ce même petit pion des ressources en minerais et un soutien militaire en échange de son aide. En quoi consisterait cette aide, précisément, Dame Adélina ? Car mes ressources propres sont limitées, mes contacts sont essentiellement étrangers à la Péninsule, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, je n’ai pas d’accès privilégié à aucune Cour, hormis celle de Serramire. Et encore…Je ne suis guère désireuse d’y remettre les pieds.

Et pourtant, il faudra bien faire contre mauvaise fortune bon cœur et présenter son visage le plus avenant dans quelques ennéades, en présence du Duc, à la Cour de Diantra. Une épreuve difficile, conjuguée à d’autres qui ne manqueront pas de compliquer son séjour en la capitale, elle le sait déjà…

- Donc, de quoi avez-vous besoin exactement ? Je suis disposée à vous apporter mon appui, dans la mesure de mes possibilités, bien évidemment.

Et ces possibilités ne vont pas bien loin. Elle a toutes les peines du monde à mettre Fernel un peu en avant, constamment remise à sa place par les traditions, le protocole, les préjugés. Elle a un mal fou à se faire connaître et ce n'est pourtant pas faute de cheminer aux quatre coins de la Péninsule...Même si elle connaît du monde, cela ne fait pas pour autant d'elle une personne de premier plan. Très loin de là...

Inébranlable, la damoiselle de Lodiaker écouta les mises en garde de sa voisine au sujet des créatures immondes qu’étaient les sombrelfes. Il faut dire qu’elle n’avait pas besoin d’imaginer quoi que se soit, les réfugiés qui avaient occupé les murs de la ville fortifiée avaient fait un récit des plus… disons brutal sur les agissements de cette prêtresse qui circulaient sur leurs terres. Si pour le moment le petit groupe avait eu l’avantage, elle savait que trop bien que cette situation était le précurseur d’une situation encore plus dangereuse qui se préparait. Adélina reprit finalement la parole; « Oh ne vous inquiétez point, Ma Dame. Je crois que vous et moi savons que cela n’est que le début… Un petit groupe qui se promène en péninsule ne peut être que le précurseur d’une plus grande menace. Ces immondes créatures ont le regard figé sur nous, et nous devons nous préparer à toute éventualité. Alonna sera prête à réagir s’ils reviennent. Ce n’est pas la première fois que nous les affronterons, et je ne crois pas que cela sera la dernière fois non plus… » Ils pouvaient toujours revenir, mais ils feraient face aux Invertebre Sanguis… « Mais je vous remercie pour vos recommandations, je les prendre définitivement en compte. »


La conversation retourna rapidement à la tentative d’enlèvement qu’elle avait subi il y a quelques ennéades, Adélina en profita pour prendre quelques bouchées de son repas, non sans lâcher son attention de sa voisine. Elle la comprenait parfaitement, elle-même n’avait que quelques personnes à qui faire totalement confiance. Les Lourbier avaient toujours été très axés sur la famille, ce qui en soit était un avantage pour elle. Adélina pouvait compter sur son oncle et son cousin pour la supporter dès que nécessaire, mais cela ne semblait pas être le cas pour la Dame de Fernel. L’alonnaise trouve cela très triste pour sa voisine. Avoir quelqu’un a se confier, à qui faire confiance était parfois nécessaire, et libérateur… Combien de fois son oncle lui avait-il soufflé des possibilités qu’elle n’avait pas entre vue? « Pour deux raisons. » Adélina prit son verre de vin, avalant doucement une gorgée en observant sa voisine. Prenant son temps, surtout pour tenter de formuler sa prochaine phrase, l’alonnaise déposa finalement sa coupe sur la table. « Parfois être invisible est un avantage. Vous dites être insignifiante? C’est de ces gens-là que l’on devrait se méfier. Ce sont eux qui sont le plus proche de leurs gens, eux qui sont invisibles qui contrôle réellement ce qui se passe. » Prenant un moment de silence, Adélina s’arrêta, faisant discrètement tournoyer la coupe de vin avant de continuer; « Cette… disons… attaque, m’as fait réaliser que mes moindres mouvements sont surveillés. Comme vous je pensais que personne ne s’occupait de moi, et pourtant, il faut dire que ce n’est pas le cas. Si ces gens savaient ce que je voyageais en Arétria, je n’ose point vous dire mes prochains plans… »


Elle s’arrêta un moment, indécise, observant la jeune femme, Adélina se dit que si le Comte d’Arétria lui avait fait confiance, elle pouvait, elle – aussi. Faisant signe aux serviteurs de les laisser, la jeune femme ne reprit la parole qu’une fois qu’elle entendit les grandes portes de bois se refermer derrière elle. « Ce que je m’apprête à vous révéler est incroyablement dangereux. Vous dites ne faire confiance à personne? Pour cela je vais vous donner la mienne. Je remets ma vie et celles de mes gens entre vos mains. » Adélina expira doucement, son regard bleuté fixant son invité avant de prendre la parole; «   Si tout se passe bien, dans quelques ennéades je révélerai des informations qui risque d’ébranler non-seulement Alonna, mais une bonne partie du royaume. Il se trouve, qu’il y a des personnes haut placés qui soient des adeptes du Karamstra. Apparemment certains prêtres se cacheraient en Serramire. Si vous pourriez m’aider à localiser ces gens, cela serait non-seulement grandement apprécié, mais votre réputation ne sera qu’embellie. Car vous aussi, vous aurez travaillé à la gloire de Néera. »

Louise écoute, c’est probablement ce qu’elle fait le mieux, toute à son observation d’Adélina. Ainsi qu’elle le fait à chaque nouvelle rencontre, elle note les petits gestes, les mouvements du visage, le regard, toute cette communication non verbale qui en dit infiniment plus sur une personne que bien des mots. Les mots sont sujets à interprétation. Un mouvement spontané, lui, non. Assise sur sa haute chaise, confortablement installée et en train de se restaurer tranquillement, Adélina est étudiée, sous tous les angles. « Le silence est d’or », c’était la maxime de la mère de Louise et elle l’applique à présent, parlant peu mais regardant beaucoup, ce qui est toujours infiniment instructif.

Les paroles de la Dame de Lourbier ne la rassurent guère, surtout quand elle évoque Arétria. Si Louise est invisible pour l’immense majorité de la noblesse péninsulaire, ce n’est guère le cas de son hôtesse. Les de Lourbier ont une histoire assez agitée dont les remous ont troublé le Nord de la Péninsule. Des remous que Louise n’évoque en rien, par souci d’élégance envers Adélina. Il n’y a rien de plus gênant que ces histoires de famille, surtout quand elles sont dévoilées et connues du grand public.

Cela étant, si la Dame de Lourbier a été en danger, bien proche d’être enlevée, cela signifie deux choses. Elle est effectivement surveillée. Et elle l’est par quelqu’un de son entourage proche, un félon à la solde de ce « mystérieux » commanditaire de Cantharel. Terminant son repas dans un silence digne, elle essuie ses lèvres à l’aide de sa serviette avant de dire, le plus calmement du monde :

- Il y a certainement un félon parmi vos rangs Dame Adélina. Quelqu’un qui vous est proche et qui connait vos déplacements, vos projets et en qui vous avez sans doute confiance. Cela seul peut expliquer que votre ravisseur soit si bien informé.

Elle prend une gorgée de vin, l’air soucieux.

- Vous avez peut-être bien raison. L’invisibilité est parfois un atout. Gardez soigneusement vos plans et projets pour vous, n’avertissez qu’au dernier moment, c’est ainsi que je procède toujours. L’imprévisibilité est un atout, tout autant que l’invisibilité.

Posant son verre sur la table, elle croise sagement les mains sur le devant de sa robe, regardant les serviteurs s’éloigner pour ensuite disparaître. Louise ne peut s’empêcher de hausser un sourcil en entendant les dernières paroles de la Rose, perplexe. Qu’est-ce qui peut donc bien pousser les autres à lui faire confiance si rapidement? Le Comte d’Arétria lui a tout dit d’entrée de jeu ou presque, il lui a confié l’avenir de son héritier – ce qui est source pour elle d‘une angoisse profonde car elle veut définitivement être à la hauteur de la confiance accordée par la Montagne d’Arétria. Les paroles de Magnus de Terresang lui reviennent, aussi limpides et claires qu’une eau de source. Et il semble que la jolie jeune femme qui lui fait face emprunte le même chemin, alors qu’elles ne connaissent que peu. Très peu. Soit ils sont inconscients, soit ils sont aux abois, il n’y a pas d’autre explication pour Louise qui fronce soudain les sourcils.

- Je vous demande pardon ?

La châtelaine manifeste une évidente surprise, puis reprend le contrôle d’elle-même avant de regarder ailleurs, un bref instant.

- Comme s’il n’y avait pas assez à faire avec les Arcaménites…Voici donc les adeptes du Karamstra. Et vous dites que ce culte aurait des adeptes parmi les plus hauts rangs ? Mais enfin…comment avez-vous eu vent de cette information ? Et qui sont ces adeptes ?

La tension est importante, soudain, en Louise. S’il apparaît que des prêtres agissent sous couvert en Serramire et que le Duc n’a rien fait pour l’empêcher...

- Pardonnez ma surprise, Dame Adélina. Je suis perplexe face à la nonchalance et à la passivité du Duc. Serait-il complice ?

Il fallait dire qu’elle n’avait rien à ajouter au discours de la Dame de Fernel. Certes quelqu’un la surveillait, mais qui? Question qui lui semblait bien futile. Elle se doutait bien que son oncle, Ansfild était derrière tout cela. Si ce dernier n’avait pas le cran ou l’intelligence de la faire disparaître, sa nouvelle femme, Sidoine devait tirer bien des cordes pour faire parler son nouveau pantin. Sidoine, qui, devons-nous le rappeler, était la mère d’Alanya de Broissieux… Adélina était dans une situation bien précaire, et elle avait une confirmation de ou venait ladite fuite. La jeune femme eut un léger sourire en baissant les yeux sur son assiette toujours remplie, soudainement la faim semblait s’être volatilisé. Il fallait dire que savoir qu’un membre de sa famille travaillait contre elle était particulièrement difficile à avaler. Surtout que les Lourbier avaient ce sens de la famille si développé… Une telle trahison faisait définitivement office d’un violent coup dans le ventre. Relevant finalement son regard, la jeune femme continua dans ses confidences; « J’ai déjà une bonne idée de qui il peut s’agir. Je verrais bien assez vite si j’ai raison. Mais je vous remercie de vos conseils, et prendrais bien soin de les suivre. »


Mais le ton de la discussion changea rapidement alors que l’alonnaise mentionna les adeptes du Karamstra, chose qui en soi, était assez prévisible. « Il se trouve que mes hommes ont arrêté l’un de leurs adeptes qui tentait de promouvoir leur supposé enseignement à Lodiaker. En l’interrogeant, nous avons découvert que ce dernier était la voix du culte et il nous a révéler de nombreuses informations. Nous avons réussi à attraper trois autres prêtres un peu partout en Alonna, et ces derniers ont tous confirmer nos dires. J’ai aussi des témoins qui ont vu la baronne avec certains de ces hommes. » Mais la suite, la laissa totalement perplexe. Adélina eut l’air surprise un moment. Le Duc? Elle sembla pensive pendant un moment, étudiant cette possibilité qui ne lui avait guère traverser l’esprit. Certes, ce dernier avait des raisons de taire les rumeurs qui circulaient sur les Broissieux, mais irait-il jusque-là? Elle pianota doucement de ses doigts sur la table, l’air totalement perdue dans ses pensées avant de finalement reprendre la parole; « Je vous avouerais que cela est une possibilité que je n’avais guère imaginé… » Adélina se mordilla discrètement la lèvre inférieure alors que son regard sur porta sur son invitée. « Je vous avouerais que je n’ai guère chercher à parler au Duc à ce sujet, j’aime mieux conserver cette information pour moi. De ce fait, en dehors de mon cercle familial, vous êtes la seule à qui je l’ai mentionnée. » Adélina avala difficilement sa salive, connaissant très bien ce qui lui arriverait si cette information s’ébruitait. « Mais si vous croyez que le Duc a un quelconque mot à dire à ce sujet, nous nous devons d’enquêter tout, en prenant encore plus de précaution. Je n’ose imaginer ce qui arriverait de nous s’il découvrait que l’on enquête contre lui… » L’air pensive, la jeune femme porta son regard vers son invitée; « Connaissez-vous des gens à sa cour? Des gens de confiance que l’on pourrait peut-être approcher à Diantra? »

Louise écoute, avec la plus grande attention, les propos énoncés par la Rose avant de réagir.

- Côtoyer un hérétique ne fait pas de vous un hérétique pour la cause car il se peut que vous ignoriez les travers de cette personne. Cela peut, au plus, nuire à votre réputation en reprochant un manque de réaction.

Elle se frotte le menton, pensive.

- Si la baronne d’Alonna reçoit ou rencontre ce genre de personne et que vous tentez de convaincre le roi ou le Duc de sa culpabilité, ce sera malheureusement sa parole contre celles de vos témoins. Et nous savons toutes deux laquelle de ces voix aura le plus de poids, n’est-ce pas. Et je pousse le vice plus loin en ajoutant que même si vous confrontez la baronne à un accusateur de cette sorte, elle serait tout à fait capable de renverser la situation en vous accusant de lui vouloir du mal en flétrissant sa réputation et son honneur, en voulant la confronter à un hérétique trouvé pour les besoins d’une cause qui vous est toute dévouée.

Elle passe tranquillement la main sur sa jupe. S’il y a bien quelqu’un qui s’y connait en faux-semblants de toutes sortes, c’est Louise. Parvenus à un tel rang de pouvoir, la noblesse est capable de tout. Et Louise n’a pas envie de voir sa voisine jetée en prison pour calomnie ou, pire, de la voir être dépouillée de ses titres et prétentions, voire même de sa vie. Louise a de la sympathie pour Adélina, une sympathie toute féminine. Si elle peut l’aider, elle le fera aussi estime-t-elle de son devoir de donner son avis sur cette question.

- Le fait que de telles personnes puissent déambuler librement sur un territoire n’est toutefois pas de bon augure. Cela signifie qu’à un niveau de pouvoir que nous ne pouvons atteindre des décisions ont été prises ou que des yeux se sont complaisamment fermés, si vous me suivez…

Louise vrille un regard intense à celui d’Adélina.

- Il ne faut pas en parler au Duc, évidemment. Pas tant que nous ne possédons pas d'éléments plus probants. Je ne voudrais pas apprendre votre trépas inopiné, très chère.

Elle a un regard vers la porte, puis vers les murs, les lourds rideaux tombant au sol puis continue, d’une voix plus basse, audible seulement de la Rose.

- Je chercherai plus au Nord les éléments qu’il vous manque. Ces hérétiques n’ont pas de frontières, à n’en point douter, et je présume qu’ils se trouvent un peu partout, surtout là où ils sont peut-être protégés.

Reprenant sa voix normale, elle ajoute, dans un sourire :

- Je connais quelques personnes à la cour ducale, en effet, rien ne m’empêche d’enquêter discrètement en la capitale du Duché. Peut-être même au château. C’est à voir, il faudra que j’annonce ma venue et que je demande audience à ces personnes.

Et cela ne lui plaît guère, évidemment, mais la perspective de rendre la monnaie de sa pièce au Duc aiguillonne Louise.

- Il faudra déraciner le mal à la racine et si une de ces racines se trouve à Serramire, vous pouvez être certaine que je la trouverai.

La châtelaine dispose après tout de quelques atouts en sa manche. Il sera donc utile de les sortir au moment opportun.

- Ensemble, nous mettrons un terme à cette situation inacceptable, Adélina.

Adélina eut un léger sourire avant de se caler dans son fauteuil; « Nous savons toutes les deux ce que le Duc et le Régent diront. Cela est une certitude. Sauf, que ce n’est point de leur gré, c’est le culte de Néera qui la jugera et non pas le Roi. » Elle fit doucement tournoyer la coupe emplie de liquide, laissant son regard vagabonder sur cette dernière. Observer le liquide qui tournoyait semblait la calmer, l’aider à replacer ses pensées; « Alonna a toujours été très croyante. Le culte de Néera est parti prenant dans la baronnie, surtout que la précédente Baronne était la voix de la bienveillante. Cela a forcément ancré des croyances indéfectibles chez nous. Le fait de lui tourner le dos causera certainement un émoi, et je doute qu’un seul Seigneur d’Alonna ne veuille faire affaire avec cette famille une fois que cela sera fait, mais nous verrons. Pour le moment j’ai besoin de plus de preuves. » La suite de la conversation fit sourire la jeune femme. Définitivement les deux voisines avaient beaucoup de points en communs. Deux femmes indépendantes, entre des territoires contrôlés par des hommes qui tentaient tant bien que mal de prendre leurs places. Sourire aux lèvres, la jeune femme prit doucement sa coupe avant de la lever vers Louise. « Je ne crois pas que j’aurais pu demander une meilleure voisine. Je vous remercie pour votre aide, et sachez, ma chère que le Lodiaker vous sera à jamais redevable pour votre aide et je crois qu’un toast est de mise. » Sourire aux lèvres, la jeune femme attendit que sa voisine ne l’imite avant de renchérir; « Au début d’une très longue amitié. »