La montagne et l'eau finiront par se rencontrer.

Début de la sixième ennéade de Verimios, 18 : XI

Avec son heaume fermé, son armure complète sans fioriture ni décoration, son manteau blanc frappé du symbole de la DameDieu, il attirait le regard quelques instants avant que les yeux des passants ne passent à autre chose même si quelques-uns se demandaient qui étaient ce mystérieux chevalier ; son cheval qui n’était pas carapaçonné avançait au trot dans les rues de Langehack en essayant tant que faire ce pouvait d’esquiver les grandes rues, autant parce qu’il y était plus difficile de se déplacer sur son destrier que parce que moins il était vu et mieux c’était pour lui.

Deux, peut-être trois jours, avaient passé depuis la soirée où Théodoric avait accordé la première danse à Adélina et depuis tout ce temps la cour langecine n’avait que cet évènement à la bouche. Le moins que l’on pouvait dire c’était que la jeune femme était devenue la source d’un paquet d’attentions et en une danse sa seigneurie était devenue bien connu, de nom mais tout de même, d’un bon nombre de notables langecins. Mais c’était bien le problème : on ne parlait que de cet évènement et si ce fut l’objectif, d’attirer l’attention pour récupérer la lettre, la manœuvre avait trop bien marché au goût du jeune homme. Ce qui pourrait alors en surprendre plus d’un d’apprendre que derrière ce chevalier anonyme se trouvait justement le deuxième enfant du marquis. Il mit pied à terre devant une auberge qu’il avait récemment fréquenté et poussa la porte pour y entrer sans dire un mot ce qui fit hausser quelques sourcils mais personne ne se sentit le cœur d’embêter la silhouette recouverte d’acier qui venait d’entrer. De toute façon Théodoric ne s’attarda pas longtemps en bas, il se dirigea rapidement vers les escaliers qu’il monta tout aussi vite, et, fatalement, sans grande discrétion, pour finalement arriver devant une porte en bois. Il resta là plusieurs longues secondes, se demandant s’il faisait le bon choix.

Après avoir décidé que ces considérations n’avaient que peu d’importance, son poing gantelé s’abattit sur la porte une poignée de fois.

« Ma dame, si vous voulez bien ouvrir j’aimerais vous parler, je ne serais pas long. »

La rose était assise sur son lit, le regard ancré sur le plancher de bois, semblant détaillé chaque rayure, chaque crevasse qui habitait le parquet. Complètement perdue dans ses pensées, l’alonnaise repassait en boucle le banquet langecin auquel elle avait participé il y avait quelques jours. Si les deux êtres avaient réussi leur manœuvre, cette dernière semblait avoir laissé un goût amer à la Dame. Ces derniers jours elle avait tenté, tant bien que mal de repousser ses souvenirs qui cessait d’hanter ses pensées. Elle revivait ces moments, le sourire du chevalier alors qu’elle tentait de le rassurer, et cette étrange sensation alors qu’elle s’était éloigné de ce dernier pour ne plus lui reparler de la soirée. Oh certes, elle avait eu envie d’y retourner! Mais Adélina n’avait pas su réunir son courage pour s’approcher de l’héritier et à chaque fois qu’elle était sur le point d’y aller, c’était toujours dans ses moments qu’un des invités venait lui parler ou l’inviter à danser. Certes, ils ne furent pas nécessairement nombreux, et rien d’outrageux arriva… Non, les gens avaient simplement été curieux de savoir son nom et de quelle lointaine contrée elle venait. Et c’est ainsi que la soirée se termina, sans qu’elle n’ait l’opportunité de parler à nouveau à l’héritier. Chose qu’elle regrettait amèrement. Adélina se laissa tomber sur le dos dans le lit en fermant les yeux. Elle devait reprendre le contrôle d’elle-même, et surtout elle devait se concentrer sur les prochaines étapes de son plan. Si elle jouait son jeu correctement, elle serait Baronne avant la fin de l’été. Un titre qu’elle rêvait depuis des années… Ce n’était pas le moment de se laisser déconcentrer par un homme. « Allez, Adélina reprend toi. » murmura-t-elle, comme pour tenter de reprendre le contrôle de ses pensées.


Adélina s’arrêta net alors qu’elle entendit des cognements. Elle se redressa, curieuse de savoir qui venait la déranger, puis elle entendit la voix. Une voix qu’elle reconnut instantanément. La nordienne eut l’impression que son cœur s’était soudainement serré, comme prise d’une nervosité à peine gérable. Elle se leva rapidement de son lit, avant de replaça doucement le corset de sa robe en soie, avant de s’approcher de la porte. Sans s’en rendre compte, elle s’arrêta devant le miroir, observant son reflet pendant une seconde, allant même jusqu’à recoiffer l’une de ses longues boucles brunes et alla finalement ouvrir la porte. La nordienne s’inclina à la vue de Théodoric, « Messire. » Elle se déplaça doucement vers le côté lui laissant la possibilité d’entrer dans sa chambre avant de refermer la porte derrière ce dernier.  Adélina le suivit alors qu’ils arrivèrent à une espèce de petit salon, certes une pièce légèrement exigüe, et peu décoré, mais qui était tout de même apprécié dans une auberge. « Je vous en prie, assoyez-vous. » dit-elle en lui montrant l’un des deux divans qui ornaient la pièce, après tout, ce n’était pas la première fois qu’ils se retrouvaient dans cette pièce. Elle s’assit sur l’un d’eux, fixant le chevalier de ses grands yeux bleutés avant de lui faire un léger sourire; « Je dois vous avouer que je ne croyais pas vous revoir de sitôt. Avez-vous trouvé d’autres informations? Ou êtes-vous venu demander mon aide pour un autre problème? » Il n’y avait aucune mesquinerie dans sa voix, au contraire, la jeune femme ferait tout ce qui était en son pouvoir pour aider ce dernier, que cela soit avec sa sœur, ou pour tout autre problème. Après tout, elle lui était redevable, n’est-ce pas? C’était tout naturel qu’elle lui rende la pareille…

Pendant qu’il attendait, entendant quelques bruits de pas de l’autre côté de la porte, il se demandait si ce qu’il faisait était une mauvaise idée, une erreur, mais avant qu’il n’ait pu réellement y réfléchir la porte s’ouvrit et ses mains se portèrent sur son heaume pour le retirer avant de le placer sous son bras. Il entra lorsqu’Adélina s’effaça avant de faire quelques pas à l’intérieur du salon pour finalement s’asseoir comme l’y invita la nordienne.

« Moi non plus. » Répondit-il honnêtement, il s’était dit que la revoir si tôt était dangereux, et puis il rougit en se rendant compte que ce qu’il avait dit pourrait être mal interprété et ne voulant pas vexer l’alonnaise il releva la tête pour la regarder. « Ce n’est pas ce que je voulais dire… j’ai voulu venir vous voir après notre danse mais… disons que notre plan fut un succès, un gros succès. Je tiens d’ailleurs à vous présenter mes excuses, ce ne fut pas vraiment… galant de ma part. C’est justement pour faire amende honorable que je suis venu aujourd’hui. » Le jeune homme prit une inspiration. « Est-ce que vous accepteriez de venir une journée avec moi ? J’aimerais vous montrer quelque chose dans Bois-Clair, un endroit qui, pour moi, est d’une grande importance. »

Il s’attendait à ce qu’elle refuse et pour un certain nombre de raisons. L’une des principales étant que la proposition pouvait être vue comme indécente, après tout ils venaient chercher ensemble les indiscrétion d’Alanya ce qui n’empêchait alors personne, et surtout pas sa délicieuse sœur, de faire de même à leur sujet.

« Si vous voulez votre cousin peut nous accompagner. » Il baissa le regard et vint se gratter la nuque de sa main droite mais il avait oublié ses gantelets et le métal le métal le fit grimacer.

Adélina n’offrit aucune réaction au chevalier. Sa réplique lui avait fait l’effet d’une gifle, mais elle n’en laissait rien passer, préférant écouter ce que Théodoric avant en tête. Ce dernier s’assisa en face d’elle, et il rougit instantanément avant de prendre la parole. S’excusant en quelque sorte pour ses premières paroles maladroites. La jeune femme ne put s’empêcher d’hausser un sourcil alors que ce dernier lui présentait ses excuses. Mais… pourquoi? Le chevalier n’avait pourtant rien à se reprocher, ni à faire amende honorable pour quoi que se soit. Adélina ne put s’empêcher de faire un léger sourire en regardant le sol. Si le fils du Marquis était gêné par cette proposition, la dame de Lodiaker l’était tout autant. C’était définitivement une proposition indécente, et si on les voyait ensemble cela pourrait définitivement causer des ragots, probablement les mêmes que lorsqu’on l’apercevait seule avec n’importe lequel homme en réalité. Adélina releva doucement son regard vers la fenêtre, voyant que le soleil n’avait même pas atteint son zénith encore, puis le retourna vers Théodoric. « Je ne peux accepter vos excuses, Messire. » Elle plongea son regard dans le sien, avant de reprendre la parole; « Car il n’y a tout simplement rien à pardonner. Les gens étaient là pour vous, je ne peux vous en vouloir alors que vous avez des obligations à remplir. » Adélina posa son regard sur le sol alors que ses mains se joignirent sur ses genoux, démontrant quelque peu sa nervosité. « Mais cela serait avec plaisir que je vous accompagnerais dans Bois-Clair. » La nordienne releva finalement les yeux, léger sourire aux lèvres, avant de se relever gracieusement.


« Si vous pouvez me donner une minute. » Adélina s’engouffra doucement dans la pièce adjacente, sa disons- chambre pour les prochaines ennéades. Elle écrivit une rapide missive pour Clervie, lui expliquant rapidement la situation – et en profitant pour lui demander de la couvrir - avant d’attraper sa longue cape, qu’elle enfila avant d’aller rejoindre le chevalier qui lui semblait toujours aussi nerveux. La nordienne rabattit doucement l’énorme capuchon sur sa tête, avant de reprendre la parole; « Je crains que je ne puisse passer par la porte principale. J’ai un arrangement avec le propriétaire, je vous rejoins au coin de la rue? » Une fois qu’elle eut l’approbation du jeune homme, elle le laissa sortir, laissant quelques minutes s’écouler avant de sortir à son tour par la sortie arrière, utilisé seulement par l’aubergiste. Rapidement, elle alla aux écuries, scellant habilement sa monture avant d’aller rejoindre Théodoric qui l’attendait plus loin. « Je vous suis. »

Théodoric fronça les sourcils, si elle ne le voyait pas son manque d’attention comme quelque chose qui méritait d’être pardonné, ou du moins qu’elle trouvait que c’était justifiable, ce n’était pas son cas. Toutefois son expression, d’abord pensive, s’illumina bien vite lorsqu’Adélina accepta de se joindre à lui, il se leva d’un bond.

« Mais je vous en pries, prenez le temps qu’il vous faudra. » Il fit quelques pas nerveux dans la pièce, il devait bouger, incapable qu’il était de contenir l’excitation qui accélérait les battements de son cœur. Lorsqu’elle réapparut il l’écouta avant d’hocher la tête et de reprendre son heaume qu’il avait posé sur le sol afin de le remettre sur sa tête. Il redescendit, cette fois plus lentement, sachant qu’il ne la reverrait pas avant quelques instants alors il en profita pour s’assurer que sa monture était bien sellée, ce qui était le cas vu que les garçons d’écuries ne s’en était pas occupés comme il le leur avait demandé. Il vérifia les sacoches de chaque côté de l’animal pour la troisième fois avant qu’Adélina ne le rejoigne finalement dehors. Il monta alors sur son destrier et hocha la tête pour toute réponse à la question de la nordienne avant de s’élancer.

Ils passèrent par la porte de Tall et son pont qui passait sur l’Espoir avant de remonter au nord-est et de suivre le fleuve et après une heure et quelques de chevauché Théodoric se permit de ralentir l’allure et de retirer son casque ; il commençait à faire chaud sous cette armure, le soleil langecin d’été, s’il magnifiait toutes les couleurs de la région, il n’empêchait qu’il tapait fort, bien que peut-être pas autant que celui d’estrévent. C’était surtout parce qu’il savait que les oreilles et yeux de sa sœur s’arrêtaient aux portes de la cité et qu’une fois dans les campagnes il était bien plus difficile de surveiller quoi que ce soit. Alors qu’ils passaient dans un village aux maisons faites de murs verts, rouges, jaunes, bleus clairs, le jeune homme fit arrêter sa monture.

« Si vous voulez bien m’excuser un instant. » Il descendit de son cheval et se dirigea d’un pas rapide vers l’autel de Néera au centre du village en question devant lequel il s’agenouilla pour une rapide prière muette, lorsqu’il se releva il déposa un souverain sur l’autel. Il se retourna alors vers Adélina. « Est-ce que vous voulez vous arrêter un moment pour boire quelque chose? Nous arriverons un peu tôt et c’est un endroit bien plus beau au coucher du soleil. »

Il lança un coup d’œil à la taverne qui n’était pas encore très fréquenté, la plupart des occupants du village étant encore dehors, à s’occuper des animaux, des champs, de tout un tas de petits travaux aussi pénibles que nécessaires.

Combien de temps avaient-ils chevauchés? Elle l’ignorait, et avait certainement perdu la notion. Galloper dans le Langehack au côté de Théodoric lui avait paru grisant. Aucune limite, aucune bienséance, qu’un moment où elle pouvait être elle-même sans artifice. Une fois qu’ils furent bien loin de la ville, la Nordienne baissa finalement sa capuche, laissant ses longues boucles brunes virevolter aux vents alors qu’elle savourait le vent qui fouettait son visage. Si le duo ne s’était pas échangé un mot durant la chevauchée, la dame de Lodiaker n’en n’avait pas fait de cas, trop occupée à savourer ce moment de liberté aux côtés du fils du Marquis.  Ce ne fut que lorsqu’il arrivèrent dans un petit village que Théodoric lui demanda de l’excuser. Curieuse, Adélina le suivit du regard alors qu’il s’agenouilla devant un autel dédié à la Damedieu. Sourire aux lèvres, la jeune femme ferma doucement les yeux, murmurant à son tour quelques mots à la bienvaillante, la remerciant notamment de lui avoir donnée une si belle opportunitée. Le regard de la nordienne se posa sur l’auberge avant qu’elle n’approuve d’un signe de tête. « Avec plaisir. » Elle ne manquat guère la réplique du chevalier. Jusqu’au coucher du soleil? Peut-être que leur escapade durerait plus longtemps que prévu. Après tout, cela faisait un bon moment qu’ils chevauchaient et le soleil était déjà à son zénith.


D’un mouvement gracile, la jeune dame descendit de sa monture, avant d’attraper les rênes pour la conduire à côté de la taverne, là où eau et nourriture semblaient avoir été mis à disposition pour les clients. Elle caressa doucement le cou de ce dernier, s’assurant qu’il n’irait nulle part avant d’aller rejoindre Théodoric. Le duo entra finalement dans l’établissement ou, sans le vouloir, quelques regards se tournèrent vers eux. Ils allèrent rapidement s’attabler dans un coin de la pièce, alors que les autres clients retournèrent à leurs occupations, sans réellement se soucier du duos qui venait de faire son entrée. Adélina posa finalement son regard azuré vers le chevalier avant de prendre finalement la parole, murmurant afin que ce dernier ne soit le seul à entendre; « Puis-je vous demander une autre faveur? » Oui, une nouvelle faveur, qui probablement ébranlerait à nouveau le chevalier, nerveuse, la jeune femme se mit à jouer doucement avec le discret pendantif qu’elle portait. Théodoric haussa un sourcil, plus de surprise qu’autre chose avant d’hocher la tête.


« Je vous écoutes. »


« Puis-je vous demander, au moins pour cette journée de m’appeller Adélina? » Disons, qu’elle avait pris un certain risque en le suivant, seule. Ce n’était pas la première fois qu’elle était seule avec un homme en soit, mais généralement il y avait des raisons politiques derrière, ce qui n’était pas nécessairement le cas dans cette rencontre. Si son oncle apprenait réellement ce qui se passerait, elle se douterait bien de la réaction de ce dernier. Mieux valait ne pas attirer l’attention, et se faire appeler Ma Dame en plein milieu d’un petit village langecin n’était pas réellement ce qui avait de plus subtile.


« Je… vais essayer… Adélina. » Il ne serait sans doute pas capable de le faire sans se faire violence pour y arriver mais au moins il pouvait essayer. « D’ailleurs, si ça ne vous deranges pas vous pouvez m’appeler par mon prénom également. »


La nordienne ne manqua pas l’expression du langecin alors qu’elle faisait sa demande, ce qui la fit néanmoins sourire;   « Très bien, Théodoric. » Ses joues rosirent un peu avant qu’on ne vienne demander ce qu’ils voulaient boire ou manger. Le jeune homme demanda un peu de vin et de jambon, c’était davantage par gourmandise que par faim, avant de faire à nouveau de la nordienne le centre de son attention.


« J’imagine que vous n’avez pas eu l’occasion de profiter de Langehack étant donné nos… plans. » Il allait dire intrigue mais ce n’en était pas vraiment, après tout intriguer c’était ce que faisait sa sœur et lui était au-dessus de ça. « J’espère que vous n’avez pas une trop mauvaise image de la cité. » La nordienne pencha la tête légèrement sur le côté, écoutant attentivement ce que le suderon lui disait, avant de finalement reprendre la parole; « Pas du tout. Au contraire, il y a quelques ennéades on m’avait vanté les beautés du Marquisat, et je ne peux qu’approuver le dessin qu’on m’avait présenté. Bien qu’elle soit différente du Nord, Langehack me paraît particulièrement accueillante. » L’alonnaise s’arrêta alors qu’une serveuse venait déposer ce que Théodoric avait commencé. Sans attendre, la jeune femme remercia la serveuse d’une sourire, avant d’attraper doucement la coupe de vin, remplissant une première coupe en reprenant la parole; « Les toits colorés, les tissus, les gens. Je n’ai que des choses positives à dire. »


« Vous m’en voyez ravis mais il faudrait tout de même que vous reveniez, cette fois sans vous cacher, que vous puissiez visiter Langehack correctement, vous avez encore une ou deux choses à voir. »


La jeune femme hocha la tête, souriante, avant de rajouter; « C’est avec plaisir que je reviendrais. » Bon, elle aurait besoin d’une invitation un tant soi peu officiel, mais elle pourrait aisément trouver un alibi.  Une fois le verre remplie, la jeune femme déposa doucement la coupe devant Théodoric avant d’attraper une nouvelle coupe vide pour remplir la sienne. « J’ai réussi à me faufiler au temple de Néera aussi. Profitant que mon visage n’était guère connu pour prier en paix. Cela me permettait au moins de sortir de l’auberge. » Adélina déposa doucement la carafe sur la table, avant de prendre sa coupe, la levant vers Théodoric; « À quoi devrions-nous trinquer?  »


« A la justice ! » Répondit-il sans hésitation, sans avoir besoin de réfléchir plus d’une seconde, en levant sa coupe.   « A la justice qui finit toujours par venir, quoi qu’il arrive. »


Il élabora cette fois en baissant d’un ton après que la poignée d’autres clients s’étaient retournés vers lui. Il attirait déjà assez l’attention, il préférait alors éviter d’en rajouter en criant toutefois il ne put s’en empêcher. Après avoir lancé un coup d’œil derrière lui, qui fit que lesdits clients curieux détournèrent le regard, il regarda à nouveau devant lui, faisant face à une Adélina souriante. Elle leva à son tour son verre; « À la justice. » La nordienne prit une gorgée du liquide. Le vin n’était pas mal! En faite, meilleure que celui qu’elle avait bu en Arétria.


« Vous êtes allé au grand-temple? D’ailleurs j’y pense : est-ce que vous avez eu la chance de voir Sainte Deina ? » Sa voix prit un tournant des plus passionnés lorsqu’il se mit à parler de ces grands lieux du pentianisme et sa voix reprit du volume contre sa volonté. La nordienne posa son regard dans celui du langecin avant de faire non de la tête. « Je n’ai jamais eu la chance d’aller à Diantra. Disons que mon père était un homme très protecteur, et je n’ai guère eu la chance de quitter Alonna. »


« Je vois, il va falloir y remédier. » Il ajouta un sourire bienveillant. « Après tout une baronne digne de ce nom se doit de voir quelques lieux saints, n’est-ce pas ?. »


Elle baissa soudainement la tête, l’air légèrement triste alors qu’elle se souvenait de son paternel. Cet air ne dura que quelques secondes avant qu’elle tente - tant bien que mal - de reprendre son air confiant; « Mais je pourrais la visiter dans quelques ennéades. Il me tarde de voir la capitale pour être honnête avec vous. Et vous? L’avez vous vu?  Est-ce que vous avez eu la chance de voir Val-Néera? » demanda-t-elle alors que ses yeux semblaient briller d’une lueur des plus excitée.
« J’y ai fait un pélerinage il n’ a pas si longtemps, j’y suis resté un certain temps, jusqu’à la mort d’Irys d’Arosque même si j’aurais préféré quitter le haut-temple dans des circonstances plus heureuses toutefois je comptes bien y retourner pour mon mariage. » Mais c’était dans la continuité des choses, Théodoric s’était réfugié à Sainte Deina dans des circonstances qui n’étaient pas plus gaies non plus. Adélina haussa un sourcil alors que le langecin parlait de mariage, curieuse la jeune femme reprit la parole; « Mariage? Êtes-vous déjà fiancé? » L’alonnaise sentit son cœur s'accélérer alors qu’elle se demandait si elle marchait sur les pieds d’une autre. Elle appréciait bien le fils du Marquis, mais elle ne se mettrait certainement pas au milieu d’un mariage. « Je l’étais mais Tyra a décidé que le mariage ne devait pas avoir lieux. » La tristesse qu’on retrouvait dans sa voix était également visible sur son visage. Adélina avança doucement sa main pour toucher celle de Théodoric, ses doigts caresse doucement la main de l’héritier alors que son regard est dans le sien. « Pardonnez-moi, je n’avais pas l’intention de vous rappeler de mauvais souvenirs. La bienveillante a probablement un plan pour vous, et un jour, elle le partagera avec vous.» La jeune femme lâcha finalement la main de Théodoric, alors que ce dernier reprenait la table parole; « Vous n’en saviez rien et comment auriez-vous pu ? Quant à Val-Néera, je n’y suis pas allé, je n’ai pas eu cette chance mais je comptes bien le faire dès que j’en aurais l’occasion. »


L’alonnaise, souriante, sauta sur l’occasion; «Si un jour le coeur vous dit, vous êtes le bienvenue en Alonna. Il me fera plaisir de vous montrer les splendeurs de ma région. Peut-être changerais-je la vision des suderons sur les Nordiens.» La jeune femme eut un léger rire avant de porter la coupe à ses lèvres.


« Peut-être, qui sait ? » Répondit-il en souriant avant d’imiter Adélina et de boire une gorgée.
« Mais j’y pense, serez-vous à Diantra le mois prochain pour les célébrations?»


« Biensûr, quel genre de cousin serais-je si je n’assistais pas au triomphe de sa Majesté ? Comme pour d’autres régions du royaume, la majorité des seigneurs langecins vont faire le déplacement et j’en ferais partis. » Il attrapa le couteau et le jambon qu’on lui avait amené avec les coupes de vin et il entreprit de s’en couper un bout. « Vu que vous en parlez je suppose que vous irez également. » Il commença à manger distraitement alors qu’une idée lui vint. « Je pourrais profiter de l’occasion pour vous faire visiter Sainte Deina, qu’en pensez-vous ? »
La nordienne déposa doucement sa coupe sur la table avant de faire un léger hochement de la tête; « En effet, c’est pour cela que mon oncle est venu me rejoindre, nous partirons pour Diantra bientôt. Quant à votre proposition…» Elle sentit le rouge envahir à nouveau ses joues alors que son regard semblait se concentrer sur la table; « C’est avec plaisir que j’accepte votre invitation.» En réalité, la jeune femme était bien heureuse d’apprendre que Théodoric y serait, plus elle passait de temps avec ce dernier, plus elle appréciait le langecin.


« Vous dites avoir été à Diantra dans le passé, avez-vous voyagé à d’autres endroits? »


« Non, mis à part Diantra et Langehack je n’ai pas voyagé, et lors de mes voyages entre les deux je n’ai pas quitté la Route d’Or. Il faut dire que j’ai beaucoup à faire ici. D’ailleurs est-ce qu’il y a un endroit que vous aimeriez visiter ? »

La jeune femme eut l’air pensive un moment, réfléchissant à ce que ces précepteurs lui avait appris sur le Marquisat; « En réalité, je serais bien curieuse de voir Leliande. Mes précepteurs m’en avaient dressé un portrait bien spécial. » En effet, elle était bien curieuse de voir ces maisons peintes en teintes toutes plus gaies les unes que les autres. On lui avait dit que cela repoussait les mauvais esprits, et elle se souvenait bien à l’époque la curiosité qui l’avait animée à ce moment-là. Après tout, Langehack était tellement différent du Nord. « Sinon j’aimerais bien avoir l’opportunité de visiter chaque partie de la péninsule, en découvrir les beautés de chacun. » La jeune femme, fit doucement tourner la planche de bois, avant de couper quelques parties de jambon à son tour; « Je suis d’avis que tous ont une part de bien et les querelles qui ont secoués le Nord et le Sud me parrait irrévalente. C’est le moment de passer à autres choses maintenant qu’une nouvelle génération commence à prendre le contrôle. » Théodoric hocha doctement la tête pour signifier une approbation sans réserve. Adélina s’arrêta soudainement, alors que son regard sembla se refermer; «Mais après ma mésaventures en Arétria, je me suis dit que je devrais être un peu plus prudente. J’ai l’impression qu’on surveille mes faits et gestes, alors je limite particulièrement mes déplacements. » Ce fût une expérience franchement traumatisante. Il n’y avait pas une nuit ou elle ne revivait pas le regard du brigand sur elle, alors qu’il l’empoignait pour l’enlever. Que serait-il arrivé si le Seigneur de Terrefière ne serait pas intervenu? Elle préférait l'ignorer. Choses certaines, elle ne serait certainement pas en train de discuter avec Théodoric.

« Ce que je comprends, d’ailleurs nous devrions sûrement nous remettre en route, rester au même endroit trop longtemps est dangereux. » Il lança un coup d’œil derrière lui comme s’il s’attendait à ce que des hommes d’arme surgissent des ombres avant de se retourner vers Adélina. « Je vous promets que rien ne vous arrivera à mes côtés mais comme vous le savez sans doute il existe bien d’autres dangers que l’acier d’une lame. » La jeune femme eut un air inquiet pendant un moment, avant d’acquieser. Se demandant de quoi avait peur le jeune homme. Peut-être avait-il peur des commérages de sa sœur? Elle se pencha doucement vers sa bourse avant de prendre quelques écus puis les déposa sur la table avant de se lever. « Je vous fais confiance. Sinon je ne vous aurais pas suivi. » Adélina se leva, avant d’aller à l’extérieur vers son cheval, elle monta gracieusement sur sa monture, avant de le regarder, sourire aux lèvres. « Je vous suis. »

De retour sur la route longeant l’Espoir, le couple de voyageur ne tarda pas à voir l’orée de Bois-Clair. Rien qu’en s’en approchant on pouvait entendre la vie qui grouillait à l’intérieur de la grande forêt : que ce soit les chants des oiseaux qui s’envolaient de leurs perchoirs, des biches qui sautaient par-dessus un arbre déraciné à l’approche des chevaux ou d’une branche qui se brisa sous la patte de seul Néera savait quoi. Au fur et à mesure qu’ils progressaient entre les troncs les rayons du soleil avaient de plus en plus de mal à traverser la canopée bien que la lumière ne manquât jamais. Après quelques heures de chevauché durant laquelle ils traversèrent une carrière abandonnée, ils passèrent devant une mine à ciel ouvert dans laquelle une poignée de mineurs retirèrent leur couvre-chef pour les saluer sur leur passage, ils arrivèrent dans un petit camp de bûcherons. Il était composé de deux huttes, quelques tonneaux, deux tréteaux sur lesquels reposaient un tronc qu’un homme travaillait tandis qu’un autre fendait du bois et qu’un dernier faisait avancer une charrette remplie de rondins tirée par un âne. Mais le premier à repérer les deux nobles approcher fut un chien-ours qui courut en direction du destrier de Théodoric. Le jeune homme descendit de sa monture avant que les deux animaux ne se rencontrent et tomba à la renverse alors que l’énorme molosse lui sautait dessus pour lui faire la fête. Il demanda au chien de bien vouloir se calmer entre deux léchouilles mais rien n’y fit, le chien-ours s’arrêta seulement lorsque son maître, celui qui coupait du bois, appela son compagnon. Surprise, la jeune femme ne pût s’empêcher de mettre pied à terre, avant de se précipiter vers Théodoric alors qu’une voix s’élevait finalement; « Ori, au pied! »

La bête se désintéressa de Théodoric comme si on venait de lui désigner un gros quartier de viande et il s’en alla exécuter l’ordre qu’on venait de lui donner. Sans attendre, Adélina s’approcha du chevalier avant de lui tendre la main pour l’aider à se relever; «Vous allez bien? » Une fois de nouveau sur ses deux jambes il se massa le dos avant de vite arrêter en se rendant compte qu’entre la zone douloureuse et sa main se trouvait son armure. Adélina ne manqua pas le manège du langecin avant de se retourner alors qu’elle entendit des pas. Accourant, avec Ori qui le suivait comme son ombre, le maître s’arrêta devant le fils de son seigneur. « Toutes mes excuses votre Excellence, cette sale bête est trop impulsive. »

Il s’inclina mais Théodoric lui fit signe de se redresser.

« Allons Jean, nul besoin de présenter tes excuses, je ne peux pas demander à Ori d’aller contre sa nature. »
« Ça n’empêche qu’un jour il risque de sérieusement vous blesser. »
« Comment la Bienveillante pourrait laisser une créature aussi innocente qu’Ori blesser quelqu’un ? »

La bête revint rapidement vers Théodoric, s’assisant volontairement sur les pieds du chevalier pour attirer son attention, ce qui fit sourire la châtelaine. Remarquant le manège de la dame, la bête s’approcha d’elle avant de frotter sa tête sur le tissu de sa jupe, demandant à son tour de l’attention. Sans attendre, Adélina se mit à lui gratter l’oreille, ce qui sembla le satisfaire à voir les mouvements de sa queue.

« Je ne saurais présager de ce que veulent les dieux, monseigneur. »
« Parfois je me demande pourquoi tu es ici à couper du bois et non au Collège pour rendre ces imbéciles un peu plus sage. » Le bûcheron haussa les épaules et son chien retourna finalement vers son maître avant de s’assir à ses côtés.
« C’est une vie qui me convient, sir, et puis même si mon métier ne m’apporte pas de gloire, je trouves une certaine noblesse dans l’humilité d’un travail bien fait. »
« Si seulement tous pouvaient se contenter de servir... » soupira le langecin avant de relever la tête. « En parlant de travail, dis-moi, est-ce que le chalet est terminé ? »
« Oui votre Excellence, il est prêt. »
« Parfait! » Le chevalier mit un pied à terre et gratouilla le sommet du crâne d’Ori d’une main tandis que de l’autre il alla gratter l’arrière d’une oreille. « Dans ce cas nous ne vous dérangerons pas plus longtemps. » Finalement il se releva et, posant une main sur le pommeau de sa selle, remonta sur sa monture, alors qu’Adélina l’imita.
« Que la DameDieu vous bénissent. » Le grand bûcheron lança un regard à Adélina réhaussé d’un sourire et alors que les chevaux s’éloignaient, les trois hommes se remirent au travail en silence.

Alors que le temps s’écoulait et que le terrain se faisait de plus en plus pentue, qu’ils s’approchaient de la montagne au centre de la forêt, ils tombèrent sur le fameux chalet que Théodoric avait fait construire. Même s’il aurait aimé pouvoir dire à Adélina que c’était pour elle, il n’en fit rien, préférant éviter de mentir. En réalité il en avait demandé la construction avant même de la rencontrer, le chalet servait surtout d’étape pour rejoindre son lieu favori et même s’il était petit, surtout pour deux, rien qu’en le voyant de l’extérieur, il l’aimait déjà. Il n’avait rien de spécial en soit, il n’y avait ni décoration ni pierres précieuses, il s’agissait de simple bois travaillé par des artisans loin d’être exceptionnels mais qui savaient tout de même ce qu’ils faisaient et Théodoric ne demandait guère plus. Adélina suivit le jeune homme à l’intérieur et embrassa la pièce du regard sobre, la petit chalet n’était définitivement pas fait pour de nombreuses personnes, mais il y avait quelques choses d’apaisant dans cette pièce au niveau des bois. Adélina se retourna doucement vers le chevalier alors que ce dernier reprenait la parole.

« Si ça ne vous dérange pas je vais me changer, je ne tiens pas à continuer en armure, le trajet jusqu’ici fut amplement suffisant. Vous pouvez en profiter pour vous reposer et laisser votre monture en faire de même. »

Adélina hocha la tête, avant de rétorquer; « C’est compréhensible. Laissez-moi vous aider avec votre armure. » Sans attendre la réponse du langecin, la nordienne s’approcha doucement du bras du chevalier, commençant à détacher les lacets qui retenaient ses gantelets. Surpris par l’aide d’Adélina, principalement parce qu’il ne s’attendait pas du tout à ce qu’elle sache retirer une armure, il ne répondit rien, se demandant si elle était sérieuse ou non, s’attendant à ce qu’elle ne le gêne plus qu’autre chose mais contre toute attente ce ne semblait pas être le cas. Habile, la jeune femme détacha pièce par pièce, s’attaquant par la suite à la cubitière suivi de la spadelière pour finalement arriver au gorgerin du chevalier. Elle avait fait cela d’innombrable fois pour son cousin, laissant transparaître qu’elle n’était pas seulement une potiche qui ne connaissait rien. Les yeux rivés sur sa tâche, Adélina tentant bien que mal d’éviter le regard de Théodoric, se doutant de la réaction qu’elle aurait si leurs regards se croisaient à nouveau. En douceur, elle poussa doucement le bras du chevalier pour défaire les dernières ganses qui retenaient son plastron, le retenant même pour que ce dernier s’en échappe. Elle déposa doucement l’armure sur une des tables à côté des autres pièces, prenant un soin évident à les mettre dans l’ordre pour lui faciliter la vie par après. Une fois que cela soit fait, la jeune femme lui fit un léger sourire avant de baisser le regard au sol, comme gêné. « Je vais vous laisser faire le reste seul si cela ne vous dérange point.» Après tout, il aurait été inconcevable qu’elle s’occupe du reste, quoique, une action de plus ou de moins… Sans attendre, elle contourna doucement le chevalier pour sortir et lui laisser l’intimité qu’il aurait besoin. Il ne répondit rien, il ne savait pas vraiment quoi répondre d’ailleurs et lorsqu’il retrouva sa langue pour, au moins, la remercier, elle était déjà sortie. Alors il se changea en vitesse, autant pour éviter de la faire patienter plus longtemps que nécessaire que pour la remercier pour l’aide précieuse qu’elle lui avait apporté. Si retirer son armure fut long, le faire seul aurait pris tant de temps qu’il ne savait même pas s’ils seraient arrivé au coucher du soleil là où il voulait l’emmener. Il sortit alors dans des vêtements d’une simplicité qui jurait avec son statut social à tel point que de loin on aurait pu le prendre pour un garçon de ferme.

« Merci, pour tout à l’heure, dame… Adélina. » D’une main il se grattait nerveusement l’arrière de la tête. « Nous pouvons reprendre notre chemin, à moins que vous ne vouliez vous reposer un peu plus longtemps. »
Adélina se retourna alors qu’elle entendit la voix de Théodoric en lui faisant un sourire. Elle haussa légèrement les épaules avant de reprendre la parole; « Il n’y a aucun mal. Je le faisais déjà pour mon cousin lorsqu’il n’avait pas d’écuyer. Je sais à quel point cela peut être particulièrement frustrant de le faire tout seul. »
« Aussi frustrant que long. » Ajouta-t-il en poussant un soupir.
La jeune femme attrapa les rennes de sa monture avant de lui dire; « Peut-être vaut-il mieux prendre la route maintenant, après tout le soleil commence déjà à se coucher.»
« Vous avez raison. » Il jeta un coup d’œil au ciel avant de remonter en selle et d’une fois de plus ouvrir la voie. Leur destination n’était qu’à une vingtaine de minutes à cheval, au pied de la montagne qui se trouvait au centre même de Bois-Clair. Là, Théodoric descendit de sa monture. « A partir d’ici il va nous falloir poursuivre à pied mais nous y sommes presque. »

Après avoir attaché les chevaux le chevalier sortit une torche et un briquet d’une des sacoches de selle et mena la damoiselle jusqu’au pied de la falaise, il se faufila derrière un arbre pour arriver devant une fissure dans la roche, tout juste assez large pour qu’on puisse s’y faufiler. Ce qui était certain c’était qu’il n’aurait pas pu le faire avec son armure. Allumant la torche, il passa en premier, une fois qu’il était dedans il tendit la main à Adélina pour l’aider à s’engager. La jeune femme, d’abord hésitante, déposa doucement sa main dans celle du chevalier alors qu’il l’entraînait dans l’étroit couloir. Pendant un instant la jeune femme se demanda si cela était une bonne idée. Dans quoi s’était-elle embarqué? Elle avait confiance en Théodoric, mais pendant un moment, elle se demanda si cela était une bonne idée de s’engouffrer dans une grotte alors qu’elle n’était aucunement habillé pour l'occasion.

« C’est la partie la plus pénible mais elle ne dure pas longtemps. »
« Je vous fait confiance.»
En effet à peine un mètre plus loin, un mètre qui semblait être bien plus long à cause de la roche qui les ceignait de part et d’autre, voulant visiblement les broyer sous sa masse colossale, ils arrivèrent de l’autre côté. Un autre côté où les rayons du soleil ne passaient plus et où la torche allumée était la bienvenue, formant un ilot de lumière dans un océan de ténèbres.

« Si jamais vous voulez parler il va falloir chuchoter. » Expliqua-t-il en donnant l’exemple avant de désigner le plafond de la caverne que la lumière avait beaucoup de mal à atteindre. « Je n’ai pas vraiment envie de réveiller l’essaim de chauves-souris juste au-dessus de nos têtes, elles se réveilleront d’elles-mêmes bien assez tôt de toute façon. Restez près de moi et posez les pieds où je pose les miens. » Adélina hocha la tête, avant de serrer un peu plus la main de Théodoric.

Théodoric reprit alors sa progression et ils arrivèrent devant ce qui ressemblait à des escaliers creusés à même la roche. Toutefois ils semblaient antiques tant le temps, et l’eau, les avaient érodés. La montée fut longue, non pas que la distance à parcourir fut importante, le problème venait de la prudence mise en œuvre pour avancer. En effet monter à la lumière vacillante d’une torche, sur des escaliers rendus glissants par l’eau et effacés par le temps n’était pas quelque chose que le chevalier avait envie de faire en se précipitant. Mais ils arrivèrent finalement en haut desdits escaliers, face à un mur de roche. Ou du moins ce qui semblait être une impasse, en réalité il y avait une entrée sur le côté, invisible de face, dans laquelle Théodoric s’engouffra et après avoir passé un coude ils retrouvèrent la lumière du soleil. C’était une petite grotte ouverte sur le vide, on pouvait voir le soleil qui ne tarderait pas à se coucher et au centre se trouvait un bloc de pierre rectangulaire, lisse. En s’approchant il était possible d’y deviner la représentation d’un calice ailé entouré de ce qui ressemblait à des mots que le temps et l’eau, comme les marches, avaient effacés.

« Voilà, nous sommes arrivés. » Une goutte d’eau tombant sur le sol dont le son se réverbérra ponctua sa phrase alors qu’il éteignait sa torche en s’approchant du bloc de pierre. « J’aime penser qu’il s’agit d’une cachette d’un prêtre de Néera qui voulait sauver les Souffles des langecins quand ils vénéraient encore les dragons. »

Une fois arrivé devant ce qu’il pensait être un autel, le chevalier s’agenouilla et, faisant le signe de Néera avec ses mains, adressa une prière à la DameDieu avant de se relever.
Émerveillée, la jeune femme ne répondit rien, se contentant d’observer l’unique pièce. Tournant sur elle-même, l’air impressionnée, Adélina observait la pièce, observant les innombrables détails qui se dévoilait à eux.
« Mais ce n’est pas ce que je voulais vous montrer. Enfin si… mais ce n’est pas la seule chose que je voulais vous montrer. » Il prit doucement la main d’Adélina pour la diriger vers l’autre bout de la caverne, celui qui donnait sur le vide et s’arrêta devant le précipice. La vue était saisissante : la campagne langecine était illuminée d’un halo mordoré par le soleil couchant, elle semblait briller de mille feux ce qui était d’ailleurs le cas pour l’Espoir sur lequel ledit soleil se reflétait. On pouvait voir des petits villages colorés disséminés un peu partout mais c’était Langehack elle-même qui resplendissait, brillant comme un joyau grâce aux murs de ses bâtiments de toutes les couleurs et aux métaux précieux qu’on pouvait retrouver sur les toits des domaines urbains de la noblesse et de la grande bourgeoisie. « Je ne peux pas laisser ma sœur corrompre ça. »

Le visage de la nordienne sembla s’illuminer alors qu’elle observait l’époustouflante vue qui s’offrait à elle. Un sourire vint éclairer ses lèvres alors que ses yeux se promenaient doucement sur le paysage.   « C’est magnifique… » murmura-t-elle plus pour elle-même que pour Théodoric. Tout était si différent du Nord, si colorée, si lumineux…Son regard dériva pendant un moment, et réalisant que Théodoric tenait toujours sa main, la jeune femme rougit avant de se libèrer doucement de son emprise. Retournant son regard sur le chevalier, cette dernière eut un sourire avant de reprendre la parole;   « Alors ne la laissez pas faire. Vous en êtes l’héritier, prenez ce qui vous revient. Si vous attendez qu’on vous le donne sur un plateau d’argent vous traverserez les mêmes épreuves que moi. » Adélina se mordilla l’intérieur de la joue, l’air attristée, avant de se retourner sur l’époustouflante vu qui lui faisait face;  


« J’aimerais bien mais ça voudrait dire mettre la région à feu et à sang car Prudence refuserait d’admettre qu’elle a renoncé à son droit d’aînesse et quand je vois tout ça... » Il laissa son regard vagabonder de village en village jusqu’à ce qu’il tombe sur Langehack qu’il couva du regard, et plus particulièrement le palais ducal. « Je ne peux pas m’y résoudre, ça serait m’abaisser à son niveau, ce que je refuse catégoriquement. Je préfère attendre, ma cause est juste et la Bienveillante fera en sorte que tôt ou tard la justice prévale. » « Pas nécessairement...» Adélina releva doucement la tête vers ce dernier, avant de reprendre la parole; « Vous avez des gens qui croient en vous, qui sont prêt à déplacer terres et mers pour vous supporter, ils sont là pour vous, pour vous conseiller et même pour vous aider. » Adélina baissa le regard, en fronçant légèrement les sourcils;   « Vous n’avez pas à traverser ces épreuves seul, vous.» Adélina releva doucement son regard vers le chevalier, un sourire aux lèvres avant de rajouter; « Vous aurez toujours mon aide et mon support, car, moi-aussi, je crois en vous. »


« Mais vous non plus, vous avez votre cousin, votre oncle et puis… vous m’avez moi. Mon père a peut-être mis un prix sur son aide mais ce n’est pas mon cas ; comme je vous l’ai déjà dit: si je peux vous être utile d’une quelconque façon je suis à votre service. »


Adélina eut un sourire, avant de se retourner vers le chevalier. Sans s’en rendre compte, elle s’approcha de ce dernier, lui attrapant chacune de ses mains, caressant doucement ces dernières de ses doigts; « Et pour cela, je vous en serais toujours redevable. » Qu’il le voit ou non, Théodoric venait de lui donner une ultime preuve pour mener sa campagne. En revenant de Diantra, le conseil alonnais serait réuni,et cela serait là qu’elle jouerait sa dernière carte. Elle se devrait de choisir ses mots avec soin, devrait montrer qu’elle était née pour diriger Alonna. Elle devait être la fierté de la baronnie. « En revenant de Diantra, je demanderais une rencontre urgente des seigneurs alonnais et j’espère pouvoir leur montrer les innombrables preuves que j’ai réussi à avoir sur les Broissieux. La plus importante étant celle que vous m’avez donnée…  » Sans gêne, Adélina lâcha doucement la main gauche de Théodoric, ramenant sa main libre pour prendre sa droite, avant de poser délicatement un baiser sur les bouts de ses doigts.   « Sans votre aide, je ne crois pas que j’aurais vécu encore longtemps.  » Ce n’était pas faux, après tout, qu’es que le régent et sa femme penserait des rumeurs qui l’unissait avec le langecin? Tenteraient-ils de la forcer dans un mariage pour la mater? ou au contraire, était-ce une raison supplémentaire pour l’éliminer? Adélina savait que trop bien les risques qu’elle avait pris en s’affichant avec Théodoric de Langehack. Le jeune homme devint rouge, ne sachant comment réagir.


« Ce n’est rien… vraiment. N’importe quel chevalier aurait fait de même. » Dit-il en détournant le regard. « Au contraire... » commença-t-elle avant de déposer doucement sa main sur la joue du chevalier pour le forcer à la regarder. « Peu de gens ont cru en moi jusqu’à maintenant, et vous, vous n’avez pas hésité une seule seconde à prendre ma défense, à m’aider dans ma quête. » La jeune femme eut un léger sourire avant de baisser à son tour ses yeux, soudain gênée. Aurait-ce été le moment parfait pour lui donner un baiser? Oui… possiblement, mais la jeune femme n’avait aucune envie de se mettre le jeune homme à dos… et si il la repoussait? Et si son ressentiment était différent du sien? . « Vous êtes quelqu’un de très spécial, Théodoric. » Lâchant finalement la main du langecin ainsi que son visage, la jeune femme recula d’un pas, de peur que ce dernier ne perde encore ses moyens, avant de baisser légèrement les yeux;   « Si je peux me permettre une question… Comment a réagit votre soeur à la soirée?  » L’avait-elle seulement cru? Cherchait-elle à son tour à se débarrasser de la Nordienne?


« Mal, comme je m’en doutais et d’ailleurs je dois vous remercier. » Adélina haussa un sourcil, curieuse d’entendre la suite. Il laissa son regard vagabonder sur Langehack sans se concentrer sur un endroit particulier avant que le palais ducal ne le conserve. Il fronça alors les sourcils. « Votre plan a eu l’avantage de me mettre au centre de l’attention à un moment important et ça a rappelé à tous, à mes amis comme à mes ennemis, que j’étais capable de m’opposer à ma sœur. » Ah! C’était donc cela… « Pardonnez-moi, j’ai du mal à comprendre comment une danse avec une nordienne est un signe d’opposition à votre soeur...  » Adélina ne voyait réellement pas ce qui pourrait faire en sorte que sa soeur se sentent menacés dans sa position, du moins pour le moment. Était-ce parce que Théodoric prenait de l’assurance? Après tout, il était toujours plus aisé de prendre l’ascendant sur quelqu’un qui se terrait, si Théodoric voulait prendre Langehack il devrait certainement avoir confiance en lui.


« Ce n’est pas qu’une simple danse, Adélina. Enfin si mais c’est ce qu’elle représente qui comptes vraiment. La première danse de la fête d’une corporation langecine est donnée au duc, en l’occurrence au marquis, et c’est une façon pour lui de montrer à tous qu’une personne a ses faveurs, sa confiance. Si le marquis ne veut pas danser, ou, comme c’est bien plus souvent le cas, s’il n’est pas là, c’est à son aîné de choisir, le premier né était d’ordinaire l’héritier. Prudence étant l’aînée des de Langehack c’est à elle que devait revenir le choix de la première danse, m’en emparer c’est aller contre son droit d’aînesse, c’est dire à tous que je crois en ce que j’affirme, qu’elle a renoncé à ce droit. C’est aussi la première fois que j’agis contre elle directement, que je montre par des actes que ce que je dis est vrai.  Auparavant j’ai gouverné en l’absence de mon père mais c’était lui qui m’avait désigné comme régent alors que là, c’est à mon initiative que je vous ai invité à danser ; c’est ma première véritable action pour affirmer mon droit à l’héritage familial. Et que je le fasse avec une nordienne… Prudence se sent menacé, bien plus que si j’avais choisi une langecine. Inviter quelqu’un d’extérieur à ceux qui me soutiennent déjà montre que je n’ai pas que le seul soutien des Sages et ça, ma sœur n’a pas du tout apprécié. » La jeune femme ne put s’empêcher de sourire alors qu’elle entendit la réplique du langecin. Vraiment? Cette danse semblait beaucoup plus importante qu’elle pensait. Le rouge monta de nouveau à ses joues, avant qu’elle ne reprenne la parole; « J’ignorais que vous vouliez causer une telle diversion. Vous êtes plus intriguant que vous ne le voulez.» Ce n’était pas une insulte, au contraire, Adélina était admirative devant ce que venait de faire Théodoric, à croire qu’il était beaucoup plus déterminé qu’elle le pensait.


Cependant Théodoric n’était pas vraiment certain que c’était une bonne chose, si en effet il était l’héritier légitime du marquisat, le jour où il accéderait au trône ducal à la place de son père, il n’en récupérerait qu’une moitié ; peut-être même moins si les quelques nobles restés jusqu’à présents neutres qui se rangeaient pour le moment derrière Griffon ne le soutenaient pas. Avec une Prudence qui semblait prête à vendre son Souffle pour obtenir ce qu’elle désirait, il craignait, maintenant encore plus qu’avant, qu’une solution pacifique ne puisse être trouvée au problème de la succession.


« Je me demande si je n’ai pas fait une erreur, même une heure après notre danse je pouvais voir une fureur froide dans son regard. » Si sa sœur était bonne pour cacher ce qu’elle pensait et ressentait, Théodoric avait toujours eu un certain talent pour lire son visage et surtout les yeux vert émeraude familiaux. Un don que le chevalier attribuait à un présent de la DameDieu qui lui était accordé tant qu’il gardait un cœur pur. « La dernière fois que je l’ai vu comme ça j’avais onze ans. Je jouais avec d’autres enfants, à Sorault, et je l’ai arrosé d’eau des marais qui entourent le château. »


Théodoric se baissa pour s’asseoir au bord du précipice, les jambes dans le vide, ses yeux descendaient l’Espoir au même rythme que les navires qui allaient et venaient dessus. Il prit quelques instants avant de poursuivre, la gorge serrée il était difficile de parler.


« Deux ennéades plus tard mon chien est tombé malade et je l’ai enterré dans les jours qui ont suivis. Je ne sais pas ce qu’elle a en tête mais je sais que maintenant elle peut faire bien plus qu’empoisonner un animal. »  


Si le visage de la jeune femme s’était durcit en entendant le récit du chevalier, la fin lui donna l’impression que quelqu’un venait de lui poignarder le coeur. Le pauvre animal… tout cela pour un jeu? Définitivement le frère et le soeur étaient deux souffles complètement opposés. La jeune femme s’approcha du chevalier avant de s’asseoir à ses côtés,  alors que son regard chercha de nouveau celui du chevalier. « Je suis désolé, Théodoric…  »


« Merci. » Répondit-il le cœur lourd. Ce n’était pas vraiment un souvenir qu’il appréciait se remémorer et l’évoquer était difficile. Des années après la mort de Cid, Théodoric sentait encore le poil court de l’animal se coller contre sa jambe lorsqu’il se dirigeait vers les cuisines. Encore aujourd’hui il cherchait le chien du regard lorsqu’il n’avait plus faim mais qu’il n’avait pas fini son assiette et aujourd’hui encore, lorsqu’il cuisinait, il en faisait toujours un peu plus que nécessaire pour que son défunt compagnon ait quelque chose à se mettre sous la dent. Pour se rendre compte de ses habitudes il avait fallu perdre Cid et il aurait préféré rester ignorant, tout compte fait.


Elle soupira avant de poser à son tour son regard sur le palais ducale. Elle comprenait que trop bien le sentiment de l’homme à ses côtés, car elle aussi pouvait toucher à ce qui lui revenait de droit, mais qu’on lui avait injustement enlevé… La seule différence qu’Adélina voyait, était que elle, elle n’avait pas peur de jouer les intrigues pour coincer son adversaire, chose que Théodoric ne semblait pas nécessairement maîtriser. Pas une fois le fait qu’elle soit en danger ne traversa son esprit. Si Prudence de Langehack voulait s’attaquer à sa personne, elle n’avait qu’à le faire, après tout Adélina s’était attaquée à bien plus gros poissons que celle-la.   « Je cerne de plus en plus votre soeur, et j’ai bien peur que ce n’est que le début. Si je peux me permettre...  » Adélina avala difficilement sa salive avant de retourner son regard vers le chevalier, hésitante. Elle avait une idée en tête, mais elle se doutait bien que cela serait peut-être un peu trop pour le timide chevalier.   « Je… » Adélina rougit, avant de baisser le regard, tripotant nerveusement de ses doigts l’une de ses longues boucles brunes. Elle soupira avant de porter son regard au loin, semblant vouloir abandonner sa première idée; « Si je peux me permettre de vous donner un conseil, c’est définitivement de vous entourez d’une jeune femme qui pourra rivaliser aux intrigues de votre soeur. Vous avez un coeur trop pur pour ce jeu. Ce n’est pas une insulte, mais un conseil, si vous faites confiance à la personne, je crois que vous n’en sortirez que gagnant.» Oh oui… elle se serait bien proposée, mais elle se doutait bien que jamais Théodoric serait intéressé par une simple châtelaine, alonnaise qui plus est!


« J'y ai déjà pensé. » Dit-il davantage sur le ton de la confidence qu'autre chose. « Mais il faudrait que mon père approuve et là est bien le problème : celles qui seraient de bonnes candidates n'ont pas ma confiance et celles qui l'ont ne seraient pas valables au yeux du marquis. » Après avoir poussé un soupir, Théodoric reprit la parole. « Vous savez, depuis quelques années je me dis que tout serait plus simple si je rejoignais un ordre ou la prêtrise et puis je me dis que je ne peux tout simplement pas. Abandonner serait, outre une preuve de lâcheté, laisser mon combat, mon fardeau, sur les épaules de Gabriel, lui qui n'a rien demandé et se tient loin de toute cette histoire. Quelle sorte de grand frère serais-je alors ? » Pensive, la nordienne écouta attentivement la réponse de Théodoric avant de retourner son regard vers ce dernier; « C’est ce que vous pensez… mais avez-vous réellement essayé? » Penchant légèrement la tête sur le côté, la jeune femme continua; « C’est votre père, Théodoric. Je crois qu’il peut comprendre votre point de vue et écouter vos suggestions. Il est venu à mon aide non? Et c’est bien parce qu’il vous avait écouté, sinon il ne m’aurait jamais reçu. Si vous ne tentez rien, vous n’aurez rien.  » D’une certaine façon, Adélina comprenait Griffon, elle-même avait négocier un contrat de mariage pour un de ses vassaux, mais peut-être ferait-il une exception pour son propre fils?


« Vous avez raison bien que je sais déjà qu’il refusera, au moins ça lui montrera que je m’y intéresse. » Il allait préciser qu’au passage ça ferait sûrement taire une rumeur à propos de sa prétendue homosexualité, que la danse avec Adélina avait aidé à combattre pour certains et renforcé pour d’autres. En effet le jeune homme n’était toujours pas marié à son âge, n’avait pas soif de conquêtes comme son frère cadet et aucune indiscrétions à son propos n’avait fait surface à la cour langecine ce qui revient à dire qu’il était certain qu’aucune n’existait ; pour le meilleur et le pire tout finissait par ce savoir à l’intérieur du palais ducal. Au final il s’arrêta là, jugeant qu’en parler n’était pas forcément nécessaire. « Si vous avez besoin d’aide pour négocier, je suis certaine que je peux vous aider. Surtout pour quelques choses d’aussi noble, il me fera plaisir de vous aider afin que vous passiez votre vie au côté de quelqu’un qui vous mérite. » Elle eut un sourire légèrement triste, avant de se retourner vers le paysage, replaçant doucement le tissu de sa jupe qui s’était mit à virevolter avec le vent du sud. La pensée d’aider Théodoric a avoir une autre femme qu’elle n’était pas nécessairement la plus agréable. « Et vous, qu’allez-vous dire à vos confrères alonnais une fois de retour chez vous ? » Un léger sourire s’étira sur ses lèvres. alors que la nordienne reprit la parole; « Pour ce qui est de la danse, je l’ignore. Mon oncle a bien blagué en me disant que j’avais l’air d'apprécier, mais j’ignore si les nouvelles se sont rendus en Alonna. Mais si cela traverse les frontières, je crois ou du moins j’espère que cela ne fera que renforcer ma position, car aussitôt revenue de Diantra je convoquerais le conseil pour exposer les Broissieux. » L’alonnaise devint soudainement plus sérieuse alors que son regard était fixé sur le palais ducale. « J’ai bien peur que je m’apprête à déstabiliser complètement le Nord. Je ferais tomber non-seulement les Broissieux mais la Marquise.  » Se retournant vers le langecin, l’air inquiète, la jeune femme plongea son regard dans le sien avant de reprendre; « Je vous supplie de rester le plus loin possible de ces gens Théodoric… Je ne voudrais pas vous faire tomber aussi. Mais lorsque le clergé se rendra compte qu’Alonna est dirigé par une famille d’hérétique et que la femme du régent est en tête, je n’ose même pas penser à tout ce qui pourrait se passer. » Sans s’en rendre compte, la jeune femme prit doucement la main du suderon, la serrant doucement, comme pour mettre un peu plus d’emphase sur ses supplications.


« L’épouse du regent s’est rendue coupable d’hérésie ? » Visiblement choqué, le langecin était resté coincé sur cette partie du discours de la nordienne, ignorant complétement sa mise en garde. Adélina hocha la tête, en soupirant, portant son regard vers le bas de nouveau;   « Oui. Il y a quelque temps, mes gardes ont arrêté un homme qui se disait être la voix du Karamstra. Une secte impie. » La jeune femme eut une grimace de dégout avant de continuer son récit;   « Il avait sur lui, une lettre de la baronne avouant qu’elle ne croyait plus en les cinq avec son sceau. J’ai donc envoyé d’autres gardes tenter de rapatrier d’autres prêtres pendant mon séjour à Langehack. Lorsque mon oncle est venu me rejoindre il m'a appris qu’il avait arrêté trois autres prêtres, l’un qui se trouvait dans un temple de Néera. Ils ont tous confirmé la même version des faits; Alanya de Saint-Aimé est une hérétique qui ne croit plus en les cinq.  » La jeune femme s’arrêta, avant de lever le regard vers Théodoric.   « Promettez-moi de ne rien dire à personne... Je ne veux pas accuser qui que ce soit avant d’avoir moi-même vérifier les faits...  » finissa-t-elle non sans serrer doucement la main du chevalier.


« Je garderais votre secret comme s’il s’agissait du mien, Adélina, mais sachez que l’épouse du régent ne s’est pas rendue coupable d’hérésie mais d’apostasie ce qui est pire. » Un frisson de dégout remonta le long de sa colonne vertébrale alors qu’il faisait petit à petit la réalisation que le régent était si proche d’une telle personne. « Certains prêtres considèrent les hérétiques comme de pauvres Souffles égarés qu’il est possible de ramener dans le droit chemin, ils restent tout de même dans le culte même s’ils s’en écartent, croyant en l’existence des cinq. Mais un apostat… c’est un criminel de la pire espèce, un criminel qui a consciemment rejeté la bienveillance de la DameDieu et qui a utilisé le don du Choix qu’elle nous a donné pour lui cracher au visage. C’est sans doute l’accusation la plus grave que vous puissiez faire, Adélina, j’espère que vous avez de solides preuves. »


La jeune femme hocha la tête alors qu’elle retournait son regard vers l’horizon. Si le bruit venait à s’égarer, elle était certaine de ne pas retourner en Alonna vivante. Être à la place d’Alanya, elle aurait tout fait pour que cette personne disparaisse, alors il valait mieux conserver ce secret. « C’est le cas. Mais je ne peux me permettre d’accuser quelqu’un sur les témoignages d’une personne. » Et il y en avait plus d’une apparemment, ce qui choquait encore plus la châtelaine.   « J’ignore ce qui se passera à mon retour, mais chose est sûr j’aurais définitivement besoin de soutien à mon retour.  »


« Vous avez le mien. » Répondit-il alors qu’il regardait le soleil disparaître lentement à l’horizon. Ils restèrent à l’observer jusqu’à ce que les derniers rayons n’illuminent Miradelphia après quoi Théodoric se releva. La jeune femme ne répondit rien, seulement un léger sourire vint éclairer ses lèvres alors que son regard se fixait sur l’horizon, lâcha finalement la main de Théodoric. Silencieuse, Adélina apprécia particulièrement le moment, observant les douces lueurs orangées qui illuminaient le ciel, enrobant le marquisat.


« Il faudrait y aller avant de ne plus pouvoir rentrer. » S’il souriait en le disant, ce n’était pas vraiment une blague, le jeune homme n’étant pas certain de pouvoir retrouver son chemin jusqu’au chalet si la nuit était trop sombre. Adélina hocha rapidement la tête, avant de le rejoindre. Sur le retour, il s’arrêta devant l’autel pour y prier une dernière fois la DameDieu avant de partir, imitée rapidement par la nordienne.  C’était un rituel qu’il n’avait pas envie d’observer et ce peu importe qui l’accompagnait. Descendant lentement les escaliers mouillés, l’héritier s’assura qu’Adélina le suivait bien pour ne pas risquer de tomber, la chute pouvant facilement être mortelle pour les deux. Une fois sortie de la montagne il aida la nordienne à remonter en selle avant de sauter lui-même sur le dos de sa monture et de repartir vers le chalet où ils allaient passer la nuit. S’il manqua de se tromper de route, ils arrivèrent tout de même à destination, même si ce fut une bonne dizaine de minutes plus tard que prévu.


Devant l’habitation il mit pied à terre et il se tourna vers son invitée après avoir attaché son destrier.
« Est-ce que vous savez allumer un feu ? Ça peut toujours être utile si vous voulez voyager. »
« Oh! Nous allons passer la nuit ici?   » Pendant une seconde, la jeune femme remercia intérieusement la noirceur qui les enveloppaient, au moins le chevalier ne remarquerait pas ses joues qui s’était rapidement rougi de gêne.


« Oui, voyager de nuit est trop dangereux surtout que nous avons un endroit ou passer la nuit. » Il se retourna pour lancer un coup d’œil au chalet qui semblait adapté pour l’occasion. « Mais ne vous inquiétez pas, je vous laisserais mon lit. » Il ne fallait cependant pas s’attendre à ce qu’il avait au palais, appeler sa couchette un lit était d’ailleurs bien généreux et la châtelaine risquait d’être déçue mais c’était toujours mieux que rien. D’un pas élégant, la jeune femme descendit doucement de sa monture, attachant les rennes aux côtés de Théodoric, avant de lui répondre;   « Non, malheureusement cela n’est pas nécessairement l’éducation que j’ai reçu. »


« Je m’en doutais. » Répondit-il en souriant.
Adélina eut un sourire, en baissant le regard, « Mais je suis prête à apprendre! »


« Très bien, commençons par un la base, veuillez me suivre. » Il fit le tour du chalet pour trouver un cercle de pierre avec deux troncs d’arbre, un de chaque côté. Il se baissa ensuite et entreprit de récupérer de l’herbe séchée, morte, entre ses doigts qui agissaient comme des rateaux pour ne pas récupérer l’herbe encore verte, encore vivante. « Ça sera bien plus facile, il fait chaud et sec. » Il récupéra enfin quelques poignées de petites branches et rassembla le tout au centre du cercle de pierre. « Si Jean n’a pas oublié... » pensant à voix haute, le langecin ne prit pas la peine de terminer sa phrase et s’en alla chercher un rondin de bois que le bûcheron avait préparé pour lui qu’il déposa à côté du cercle. Il fit ensuite signe à Adélina de s’approcher alors qu’il mit un genoux à terre avant de sortir son briquet. Sans attendre, la jeune femme s’agenouilla aux côtés de Théodoric, observant avec attention le moindre de ses mouvements. « L’herbe est bien sèche et... » il frappa les deux bouts de métal les uns contre les autres en direction du combustible pour que les étincelles aillent se déposer sur ladite herbe et commencer à la brûler. « Elle devrait prendre rapidement. » Comme pour confirmer ses dires des flammèches commencèrent à apparaître. Il plaça les brindilles et autres petites branches à côté et il observa les flammèches en question commencer à lécher le bois et grandir petit à petit. Et puis les flammes avides migrèrent sur le bois.


« Vous avez des questions ? »


« Puis-je essayer? » demanda-t-elle en tendant légèrement la main afin que le chevalier puisse lui donner la pierre à feu. De sa main libre, la jeune femme tata le sol, trouvant quelques herbes jauni par le soleil avant de les déposer doucement devant elle. Prenant les deux bouts de métal, la jeune femme les entrechoqua une première fois, sans succès. Ce ne fut qu’après quelques essais - et quelques explications supplémentaires de Théodoric, qu’elle réussisa finalement à produire une étincelle. Sans attendre, elle prit doucement l’herbe, soufflant doucement sur cette dernière pour aider la propagation, avant de la déposer de l’autre côté des branches. Sourire aux lèvres, fière de cet accomplissement - bien que minime - Adélina se retourna vers Théodoric. « Vous êtes un bon professeur! »


« Merci, mais ce n’est pas fini. » Il poussa un rodin de bois plus près du feu avant de se lever pour le placer directement dans ledit feu. « Maintenant il suffit d’entretenir les flammes le temps qu’elles s’attaquent au gros bois. D’ailleurs, est-ce que vous avez faim ? Ou soif ? » Adélina se releva, passant doucement ses mains sur sa jupe pour enlever la poussière qui s’y était imprégnée avant d’aller s’asseoir sur l’un des troncs d’arbres qui entouraient le sol.   « Oh! Oui les deux! » Il fallait  dire que le dernier repas du duo était bien loin, mais la nordienne était loin de se plaindre. Après tout, cette aventure était particulièrement grisante. La jeune femme frissonna légèrement avant de replacer sa cape sur ses épaules. Vivement que le feu grandisse! Théodoric retourna vers sa monture pour aller fouiller dans les sacoches, il en sortit de la viande séchée, une miche de pain et une outre d’eau qu’il ramena vers Adélina avant de s’asseoir à son tour.


« C’est loin d’être ce que Langehack peut cuisiner de mieux mais c’est bien le problème des voyages : la nourriture en est toujours la première victime. » Il déposa le tout devant eux et sortit un couteau qui attendait patiemment à sa hanche et entreprit de couper des tranches qu’il tendit ensuite à la nordienne. « Bon appétit. » La jeune femme eut un sourire avant d’attraper la tranche de nourriture que lui tendait le langecin. « Ne vous en faites pas je connais les rudiments des voyages.» Après tout, elle avait voyager beaucoup ces derniers mois et le petit chalet de Théodoric lui semblait beaucoup plus confortable que le lit de feuille morte qu’elle avait expérimentée il y a quelques ennéades. Elle portant la viande à sa bouche observant le chalet du langecin avant de reprendre la parole; « Je dois avouer que je n’ai jamais pensé à me faire bâtir un petit havre loin du monde comme celui-ci. » Il fallait dire que son père ne l’aurait jamais laissé voyager seule, et que ses responsabilités lui semblaient beaucoup trop importantes pour s’absenter pendant une longue période de temps. « L’avez vous montrer à d’autres gens? Sinon c’est l’habitation parfaite pour s’échapper de la cour. »


« Non, vous êtes la première personne à qui je le montre. » Déjà parce qu’il venait à peine d’être terminé et puis surtout parce qu’il ne voulait pas que quiconque au palais ducal en apprenne l’existence. « C’est mon petit secret… enfin, c’est notre secret. Mais je sais que je dois en profiter maintenant avant de ne plus pouvoir le faire, bientôt je serais appeler à avoir de plus en plus de responsabilités dans les affaires du marquisat et le temps de m’échapper ici me manquera cruellement. » Il poussa un soupir. « Mais j’imagine que c’est l’ordre des choses et puis de toute façon rien ne reste secret bien longtemps ici alors autant en profiter tant que ça dure. »
La jeune femme eut soudainement un air gênée alors qu’elle retourna son regard vers le langecin. D’un côté elle se sentait choyer d’être la première personne qu’il amenait dans son havre. Mais, Théodoric lui rappellait sans le vouloir les rumeurs qui apparemment circulaient un peu trop vite à son sujet. « Si je peux me permettre… je suis désolé que notre plan ait causé étant d’émoi et de rumeurs. Je ne voulais certainement pas vous mettre dans l’embarras...» Elle soupira avant de prendre une dernière bouchée de la viande, laissant un léger silence s'emparer de l’ambiance. Elle appréciait énormément Théodoric, et passer du temps seule, avec ce dernier était réellement agréable. « Avez-vous pensé à une façon de faire taire les rumeurs? »


« C’est un sacrifice que j’étais prêt à faire, vous n’avez rien à vous reprocher. Il en est peut-être différent dans le nord mais ici, les rumeurs sont de toute façon inévitables, qu’on le veuille ou non les gens parleront. » Il doutait sincèrement que ce n’était pas le cas dans la partie septentrionale du royaume mais il ne rejetait pas la possibilité d’être surpris. « Il me semble impossible de les faire taire mais je peux peut-être les tourner à mon avantage. » Surprise, la jeune femme haussa un sourcil, « C’est à dire? »


En en lançamt d’autres, des plus grosses, pour que celles le visant cessent lui avait effleuré l’esprit mais c’était une méthode qu’il n’appréciait guère. Il préférait répandre la vérité et non pas des semi-mensonges pour faire avancer sa cause. « Mais peut-être que vous voulez les faire taire. Craignez-vous qu’elles nuisent à vos projets ? » Il découpa un autre morceau de viande, cette fois pour lui, avant de le manger en regardant les flammes danser, il n’avait jamais remarqué à quel point elles pouvaient être hypnotisantes par leur beauté. « Si c’est le cas je verrais ce que je peux faire mais je ne peux rien vous promettre. » Adélina haussa les épaules, fixant à son tour les flammes qui virevoltaient. « Non, elles ne me nuisent point. Du moins, pour le moment elles ne me dérangent point. C’est quelques peu flatteurs d’être associé à votre personne. » Ses joues semblèrent s’enflammer pendant un moment alors qu’elle baissa le regard et celles de Théodoric ne furent pas en reste. « Pardonnez moi, c’était quelque peu direct, mais la jeune femme qui attira votre attention sera définitivement la plus chanceuse sur cette terre. » La jeune femme releva doucement le regard vers le chevalier mais fut incapable de soutenir son regard plus longtemps. Lorsque les yeux d’émeraude de Théodoric rencontrèrent ceux de la nordienne il détourna immédiatement le regard pour le plonger à nouveau dans les flammes.


« Je… je n’en serais pas si sûr. Après tout il faudrait composer avec tout le reste, le marquisat, la politique, une vie publique, ma sœur… il faudrait qu’elle accepte tout ça, ce qui n’est pas gagné. » Adélina haussa les épaules, son regard toujours fixé sur le feu, elle pouvait sentir son coeur battre la chamade, elle frissonna de nouveau avant de rassembler assez de courage pour fixer l’azure de son regard sur Théodoric; « Ce n’est guère des points qui dérange. Nous avons tous nos responsabilités, nos problèmes. Si la personne vous aime vraiment elle passera aux travers de toutes ces épreuves avec vous. » Elle eut un léger sourire avant de rabattre un peu plus sa capeline sur ses épaules nues. Puis, tendit doucement ses mains vers le feu, comme pour les réchauffer. . « Du moins, c’est ce que j’espère trouver moi-même, alors je ne peux que vous souhaiter la même chose. » La nordienne leva les yeux aux ciels, observant doucement le ciel étoilé qui se dévoilaient à eux. Peut-être avait-elle été trop loin, mais elle avait, pour une raison qu’elle ignorait, besoin de le dire.

« N’est-ce pas ce que tout le monde cherche? Un Souffle frère en somme. Il est dommage que ce soit si difficile à trouver mais j’imagine que ça participe à la beauté de l’amour. » Il grignota alors son bout de viande sans quitter les flammes des yeux, incapable de regarder Adélina. « Je prierais pour que la Bienveillante fasse en sorte que je réussisse, que nous puissions nous unir mais il semble que les dieux aiment prendre leur temps. » Adélina s’arrêta net alors qu’elle entendit les paroles du chevalier. Avait-elle réellement bien compris? Avait-il réellement dit “nous”? Le souffle court, la nordienne retourna son regard vers le langecin, le regardant intensément pendant quelques secondes. « Nous unir? » un léger sourire aux lèvres, la jeune femme s’agenouilla devant le langecin, encadrant doucement son visage de ses mains alors que leurs regards se croisèrent finalement. Elle pouvait sentir ses doigts trembler tellement elle était nerveuse. Théodoric venait-il de lui avouer qu’il avait des sentiments pour elle? Ou avait-elle mal compris? En entendant Adélina et en la voyant se déplacer pour s’agenouiller devant lui, les yeux de Théodoric s’agrandirent alors qu’il prenait lentement conscience qu’il avait pensé à voix haute et il baissa le regard pour rencontrer ceux de la nordienne en se demandant s’il n’avait pas fait une grave erreur. Toutefois il ne douta pas longtemps.


« Que diriez-vous d’être Baron d’Alonna? »


Un sourire de joie se mit à grandir sur ses lèvres au fur et à mesure qu’il se rendait compte qu’Adélina ne comptait pas le rejeter et ce malgré sa maladresse.


« Je… » les mots lui manquèrent vite, son cœur battait contre sa poitrine, sans même avoir besoin de vérifier il savait que ses joues étaient rouges et sans doute la que la soudaine bouffée de chaleur était due au feu. Le chevalier, ayant toujours préféré les actes aux paroles, prit les mains de la châtelaine dans les siennes et se leva, faisant en sorte qu’elle l’accompagne. Sans dire un mot il la regarda un instant, se noyant dans les yeux bleus de la jeune femme avant que, sans savoir ce qui s’empara de lui, il l’embrassa.


Se laissant guider par le langecin, l’alonnaise se releva, alors que Théodoric tenait doucement ses mains, leurs regards ne se quittèrent pas pendant de longues secondes, comme si ce dernier avait finalement terminé d’être affligé par la gêne, puis, sans perdre une seconde, le chevalier l’embrassa. Si son mouvement surprit la jeune femme, elle ne manqua pas sa chance, et répondit au baiser du chevalier. Les yeux fermés pendant quelques secondes, Adélina savoura doucement son premier baiser, elle se voulait confiante, mais en réalité avait l’impression d’être extrêmement maladroite. Sa main glissa doucement, se retrouvant doucement sur la joue de Théodoric alors que les deux êtres se séparaient finalement. Adélina eut un sourire gêné, baissant le regard une seconde avant de rencontrer à nouveau celui du chevalier. Elle avait l’impression que la façon dont il la regardait était celle que toutes les jeunes femmes rêvaient. L’alonnaise pouvait voir son désir, son bonheur, et c’était bien la première fois que Théodoric avait montré autant de confiance. Elle écarte doucement ses doigts, avant de lui donner un léger baiser sur les lèvres.   « Je vais supposer que c’est un oui? » dit-elle sourire aux lèvres, alors qu’elle caressait doucement la joue du chevalier. Il hocha lentement la tête et puis il fit un pas en arrière alors que ce qu’il se rendait peu à peu compte de ce qu’il venait de faire. Honteux, il eut d’abord du mal à croiser le regard d’Adélina avant de finalement rassembler le courage nécessaire pour le faire.


« Je suis… désolé, je n’aurais pas dû, ce n’était pas… correct. »
La jeune femme eut un sourire, avant de baisser à son tour son regard, l’air gênée. « Que cela soit ou non correct, je ne peux cacher que cela m’as plu. » Sentant ses joues devenir encore plus rouge alors que son regard était fixé sur le sol;   « J’irais me repentir à la bienveillante demain. Je suis certaine qu’elle trouvera une façon de me pardonner. » Rassemblant son courage, la jeune femme leva doucement les yeux vers Théodoric, lui faisant un léger sourire, avant de croiser doucement ses mains sur son bas ventre. Elle leva les yeux aux ciels, regardant les étoiles qui ornaient le ciel, avant de finalement prendre la parole;   « Il se fait tard, peut-être vaudrait-il mieux laisser le feu s’éteindre?  » Le duo continua leur discussions sans qu’aucun autre événement ne se produise, attendant patiemment que le feu s’éteigne avant de rejoindre le petit chalet de Théodoric. Ce dernier, galant, respecta sa promesse, laissant sa couchette à la nordienne qui, soyons honnête, ne réussit pas à s’endormir rapidement. Malgré la fatigue, Adélina ne cessait de repasser en boucle les événements de la soirée. Du chevalier prenant sa main pour l'entraîner dans la grotte, au baiser qu’il avait échangé aux côtés du feu. Elle ne put s’empêcher de repasser en boucle leurs discussions, avant de s’endormir, sourire aux lèvres. Les deux êtres se levèrent tôt le lendemain, reprenant rapidement la route pour Langehack. Ils arrivèrent en plein milieu d’après-midi, alors que la ville bourdonnait d'activités.


Alors que les deux nobles débarquèrent finalement de leurs chevaux, la jeune femme reprit doucement la parole; « Peut-être voudriez-vous vous rafraîchir avant de rejoindre le palais? Laissez le temps se calmer... » Après tout, le soleil était bien à son zénith, et cela ne pouvait être confortable pour le chevalier. Ne lui donnant pas le temps de répondre, la nordienne prit doucement la main gantelet du chevalier pour l’entraîner pas la porte de service de l’hôtel. Désert à cette heure - les employés semblaient trop occupés à servir les clients du midi - sans attendre, Adélina rejoignit doucement ses appartements, ouvrant rapidement la porte pour s’y engouffrer. « Oh.... » S’arrêtant net, incapable de cacher sa surprise, Adélina observa les deux figures assisent dans son petit salon. Théodoric qui la suivait fronça les sourcils en voyant Adélina s’arrêter et après un instant d’hésitation il fit le tour de la jeune femme pour voir de quoi il retournait et il eut la même réaction que la nordienne lorsqu’il vit ce qui avait causé la sienne. Son oncle et le Marquis regardaient le couple d’un air intrigué. Sans attendre, la jeune femme lâcha rapidement la main de Théodoric, avant de s’incliner doucement vers les deux hommes. « Votre excellence.... Mon oncle... »


« Sir, père. » Il s’inclina légèrement avant de se mettre à inspecter la pièce avec une attention toute particulière aux détails de tout ce qui ne s’approchait pas de trop près des deux hommes qui les attendaient.


Clairement gêné la jeune femme posa rapidement son regard sur le sol, incapable de supporter le regard de son oncle. Après tout, elle pouvait bien voir la colère qui grondait. Bien que ce dernier n’était pas son père, Charles avait toujours pris soin de sa nièce, la guidant lorsque nécessaire, ou lorsqu’une dispute avait pris part entre le père et la fille. Bref, elle n’avait besoin d’aucune explication, elle se doutait bien que ce dernier la réprimandait aussitôt qu’il en aurait l'occasion.   « Que me vaut le plaisir de cette visite, Votre Excellence? » Question inutile… mais bon, que pouvait-elle dire d’autre? La question fit sourire Griffon qui se leva de la table sur laquelle il s’était assis et décroisa les bras qui, jusqu’à présent, étaient restés sur sa poitrine.


« Je suis certain que vous êtes tous les deux assez intelligents pour le deviner. J’aimerai savoir où mon fils et vous étiez. »
« Nous sommes partis dans Bois-Clair. » Répondit-il rapidement, comme si sa vie dépendait de la vitesse à laquelle il l’avait dit.
« Charles et moi-même nous demandions justement ce que vous y faisiez. »


C’était une question rhétorique, la jeune femme savait définitivement pourquoi le Marquis était dans ses appartements, ne suffisait de voir l’air frustré de son oncle pour comprendre ce que ce dernier pensait. Relevant, finalement le regard, la jeune femme jeta un regard discret au marquis, avant de baisser à nouveau ce dernier au sol, sentant ses joues se rougirent. Devait-elle prendre le blâme pour cette incartade? Ou au contraire, devrait-elle révéler que c’est ce dernier qui l’avait invité? Elle serra doucement les poings avant de regarder Théodoric qui semblait incroyablement mal à l’aise. « Théodoric m'a gracieusement fait découvrir le Langehack. De ce que j’ai entendu, Bois-Clair à une vue particulièrement spectaculaire, et j’ai convaincu votre fils de m’y accompagner.  »


Théodoric lui lança un regard en coin, se demandant pourquoi elle avait dit ça alors qu’elle n’y était pour rien. C’était lui qui était venu la chercher pour lui proposer cette petite escapade, c’était à lui d’en subir les conséquences. Avalant difficilement sa salive, la jeune femme reposa son regard vers le Marquis, tentant tant bien que mal de déchiffrer sa réaction, mais ce fût son oncle qui prit finalement la parole;
« Ce n’est pas ce qui est écrit dans la missive que tu as laissé à Clervie… D’ailleurs ou avez-vous passé la nuit?  » Charles lança un regard colérique à Théodoric, espérant pour ce dernier qu’il n’avait pas touché à sa nièce… Les yeux du marquis suivirent ceux de Charles et il fronça les sourcils et Théodoric s’apprêtait à révéler qu’ils s’étaient embrassés mais Adélina le coupa juste avant qu’il ne puisse ouvrir la bouche.


« Il ne s’est rien passé d’outrageux, mon oncle. Inutile de porter votre colère sur Théodoric.  » Charles croisa ses bras contre son torse, regardant le duo qui se trouvait devant lui.   « C’est pour cela que vous êtes arrivé dans les appartements main dans la main.  » Adélina ne put s’empêcher de rougir à nouveau avant de porter son regard sur le sol, incapable de dire quoi que se soit d’autre… Elle se demandait bien qui était le plus difficile à gérer… le marquis? ou son oncle?


Le jeune homme ne savait quoi faire, quoi dire et surtout il ne savait pas comment faire face à Charles. S’il avait l’habitude de son père, et savait un peu comment se tirer de ce mauvais pas si seul ce dernier était présent, le nordien était un tout autre problème. Il lança un autre coup d’œil à Adélina et, se sentant à nouveau pousser des ailes comme la veille, il fit un pas en avant.


« Sir, si je ne souhaites pas déshonorer votre nom ou celui de votre nièce, je souhaites encore moins vous mentir alors, conformément au serment que j’ai prêté je ne peux vous cacher la vérité plus longtemps. Nous avons échangé un baiser sous le ciel étoilé de Langehack. » Le chevalier, ne voulant pas s’attarder sur la réaction de Griffon ni sur celle de Charles, mit un genou à terre et, une main posée sur le pommeau de son épée et l’autre reposant sur son cœur, il reprit la parole. « Ainsi pour éviter tout ressentiment entre nos deux maisons je vous demande humblement la main de dame Adélina. » Charles fronça les sourcils alors que ce dernier lui avouait avoir embrassé sa nièce. Il croisa les bras sur son torse, clairement en colère, pensant surtout que ce dernier avait profité de l’affection que lui portait Adélina. Mais le reste de son discours le prit légèrement pas surprise, alors que ce dernier s'agenouilla devant lui, lui demanda la main de sa nièce. Silencieux, le nordien fixa le suderon pendant de longues secondes, tentant de mettre de l’ordre dans ses pensées. Théodoric était un bon parti pour sa nièce, un très bon même, si on considérait que cette dernière n’était qu’une simple dame, du moins, pour le moment…   « Est-ce réellement ce que vous voulez?» demanda-t-il à sa nièce qui semblait encore plus sous le choc que lui. Adélina, léger sourire aux lèvres hocha doucement la tête, avant de prendre la parole;   « Oui, mon oncle. Je ne peux cacher l’affection que je porte à Sir Théodoric. » Charles soupira, avant de secouer la tête. Qui aurait cru qu’il devrait assister entre l’union du nord et du sud… Mais il avait de la chance, malgré cette incartade, l’alonnais portait le langecin en haute-estime. Après tout, il aidait sa nièce à sécuriser le trône familial.   « Très bien, vous avez ma bénédiction… » Les épaules de la jeune femme semblèrent s’affaiser alors que Charles de Lourbier fit signe à Théodoric de se relever. Adélina combla rapidement la distance entre elle et son oncle avant de se saisir de la main de ce dernier avant de la serrer doucement.   « Par contre, plus de sortie en cachette sans chaperon avant le mariage. Me suis-je bien fait comprendre? » Adélina hocha doucement la tête, approuvant les dires de son oncle, avant de se retourner vers le Marquis. Si le jeune couple avait gagné une bataille, cela ne voulait pas dire qu’il était nécessairement sortit du bois...


Les bras croisés, Griffon observait la scène en silence, dubitatif. Il ne répondit rien pendant de longues secondes et son fils redoutait de plus en plus ce qu’il allait dire. Son père n’avait d’ailleurs d’yeux que pour lui, il ne regardait pas les nordiens. Et puis il poussa un long soupir alors que ses bras tombèrent sur ses flancs.


« Tu n’es qu’un imbécile, Théo, mais j’espère que tu es un imbécile heureux. »


S’il avait eu envie de refuser d’accorder sa bénédiction au couple, car en plus de ça il avait des raisons, il ne pouvait s’y résigner. Il ne se voyait pas vraiment aller contre le Choix pris librement par deux êtres possédant un Souffle, c’eut été aller contre le vœu de la Bienveillante, mais, surtout, ce qui le décida fut son propre mariage qui approchait. Si lui était forcé de se marier en secret il ne voulait pas que ce soit le cas de son fils.


« Soit, vous l’avez, ma bénédiction. » Il tourna son regard froid d’émeraude vers la jeune femme avant de reprendre la parole. « Si jamais tu devais lui briser le cœur saches que la Paix du Roy ne m’empêchera pas de venir m’occuper de ton cas. Suis-je bien clair ? »


Le sourire de la jeune femme s’aggrandissait alors que son regard brillant se porta vers Théodoric. Ils avaient réussi… c’était presque un miracle en soi...Sans attendre la jeune femme alla rapidement aider son fiancé à se relever, lui tendant doucement la main pour le supporter, la main qu’il avait sur le coeur vint se poser sur son genou pour s’appuyer dessus et se relever rapidement. Puis, le regard plongé dans celui du chevalier, la jeune femme lui fit un rapide signe de tête avant de prendre la parole; « Si je commets une telle action, Votre Excellence, je vous permets de prendre mon souffle… » Retournant finalement son regard vers son charmant futur beau-père, elle reprit la parole, non sans serrer légèrement la main du langecin; « Mes sentiments pour votre fils sont réels. Je ne suis guère venue dans le Langehack pour me fiancer, mon but était de vous demander votre aide, ce que vous m’avez déjà accordé… Mais la bienveillante avait un autre but il faut croire… » Se retournant vers Théodoric, la jeune femme lui fit un léger sourire avant de regarder légèrement le sol, comme gênée de la situation. Elle avait toujours cru qu’elle aurait du se soumettre à un mariage arrangé, mais le chemin qui s’ouvrait devant eux, était beaucoup plus attrayant. « Néanmoins… » Elle se retourna vers le Marquis, lâchant finalement la main du langecin, s’approchant de Griffon, avant de s’agenouiller à son tour devant le Marquis. « Je vous remercie du fond du coeur pour votre bénédiction. Je vous serais à jamais redevable. »


« Relevez-vous, je ne suis pas votre souverain, gardez vos génuflexions pour le roy. » Bougonna-t-il en la regardant pourtant sans animosité. Ce fut au tour de Théodoric de l’aider à se relever, lui tendant une main secourable. « Elles lui sont bien plus précieuse. Si j’étais vous je ne tenterais pas de deviner les buts de la DameDieu, ou de toute autre divinité, si bienveillants soient-ils. Quant à ce que vous me soyez déjà redevable, il me semble que c’est déjà le cas. »


Adélina approuva la réplique du Marquis d’un mouvement de tête. Définitivement, elle devrait réellement faire des pieds et des mains pour son nouveau beau-père. Aussi charmant était-il. S’il avait sur les lèvres un commentaire sur la valeur de la gratitude des nordiens, il n’en dit rien, ce n’était pas vraiment le moment de se lancer dans ce genre de discussions de toute façon. A la place il se tourna vers Charles.


« N’y voyez pas une volonté de ma part de vous voir quitter la région si vite mais je vous conseille tout de même de partir au plus vite. Votre nièce et vous avez attiré l’attention d’une partie de la cour qui n’apprécierais pas vraiment la nouvelle, d’une personne en particulier, une personne dont mon fils a sûrement peint un portrait peu élogieux à sa fiancée. » Il aurait bien dit que pour l’occasion le portrait en question n’était pas vraiment faux, ou même qu’il n’en avait peut-être pas dit assez mais sans savoir exactement ce que les jeunes gens avaient pu se dire, c’était impossible. « Mon soutien ne sera probablement pas vu d’un très bon œil par ladite partie de la cour, je préférerais éviter d’avoir à vous défendre ; comme vous pouvez l’imaginer ça me mettrait dans une position délicate. » Charles approuva d’un mouvement de tête, alors qu’Adélina échangea un regard avec Théodoric. En effet, ce dernier n’avait guère peint un portrait des plus alléchants sur sa charmante soeur. Mais la nordienne n’était pas prête à affronter cette dernière, du moins, pas tout de suite. Adélina se retint bien de demander au Marquis pourquoi ce dernier n’intervenait pas, mais se dit que c’était peut-être une façon du Sud… Si c’était ses enfants qui se déchiraient ainsi les deux auraient probablement reçu une énorme taloche derrière la tête pour leurs replacer les idées… Mais bon… les suderons… La jeune femme soupira, avant de baisser les yeux au sol, clairement triste de ne pas pouvoir passer plus de temps avec Théodoric. « J’ai bien peur que vous aurez des explications à donner aussitôt que la nouvelle sera annoncée votre Excellence. Mais si tel est votre désir, soit. »


« Je ne dois des explication qu’à sa Majesté et aux dieux, lorsque mes sujets apprendront la nouvelle ils devront l’accepter même si certains vont grincer des dents. » Il croisa à nouveau les bras, se demandant une fois de plus si toute cette histoire était une bonne chose. Probablement pas.Tenant toujours la main de son fiancé, cette dernière la serra doucement, attirant son attention avant de murmurer; « Si je ne peux être à vos côtés... promettez moi d’être prudent... » Peut-être qu’elle réagissait trop… mais disons que les paroles du Marquis ne l'avaient guère rassuré. Théodoric hocha la tête et serra un peu la main d’Adélina dans la sienne. Elle lui aurait peut-être demandé de voyager avec eux, mais se dit que c’était peut-être mieux qu’il arrive à Diantra aux côtés de son père. Retournant son attention vers le Marquis, la jeune femme lâcha un léger soupir avant de répondre;   « Très bien… nous partirons pour Diantra sous peu. »


« Que la Bienveillante vous accorde un voyage sans dangers, nous nous reverrons sans doute au couronnement du roy. »

Début de la sixième ennéade de Verimios, 18 : XI
Durant une chaude soirée d'été non loin d'une auberge fréquentée par des voyageurs du nord.

Alors que la nuit tombait lentement sur Langehack, Prudence avançait comme une ombre dans les rues, vêtue d’un manteau noir qui tombait sur la croupe et les flancs de sa monture, capuche rabattue, la jeune femme ne semblait pas se rendre à l’une des soirées que la noblesse langecine aimait tant. En effet elle était habillée d’un pantalon épais, des bottes longues qui enfermaient aussi bien son pied que ses mollets, remontant jusqu’à ses genoux. Ses mains gantées lâchèrent les rênes pour passer dans sa chevelure tirée en arrière pour s’assurer que sa queue de cheval tiendrait et d’une inflexion de son genou gauche elle fit tourner sa jument. Elle jeta un coup d’œil à l’auberge qu’elle trouva une dizaine de mètres plus loin et un sourire fleurit sur ses lèvres avant qu’elle ne s’arrête alors qu’une ombre se distinguait de ses sœurs dans la ruelle avoisinante pour s’approcher d’elle. Plus grand que la jeune femme d’une tête et demi si elle n’était pas à dos de cheval, il semblait jeune, il n’était probablement pas plus vieux qu’elle mais c’était bien la seule ressemblance. Il était blond là où elle était brune, il avait des yeux bleus là où les siens étaient verts, c’était un homme et non une femme. Il retira sa capuche et s’inclina gauchement.

« M’dame, ils sont bien à l’intérieur, en train d’manger. » Ça ne l’étonnait pas, en été les langecins mangeaient plus tard que d’ordinaire, principalement à cause de la chaleur étouffante, un particularisme qui n’avait sans doute pas cours dans le nord du royaume. Elle ne put s’empêcher de se dire que les nordiens devaient se sentir assez seuls à manger là où la grosse majorité des autres devaient simplement boire. « J’pense qu’ils vont pas tarder à nous quitter. »
« Si seulement… » souffla-t-elle dans un soupire que son interlocuteur n’entendit pas. Ce dernier tendit une main en direction de l’aînée de Langehack pour lui tendre une clé.
« Je ne sais pas s’ils ont fermé leur porte mais dans le doute... enfin, vous savez. Ça serait dommage de vous retrouver bloquée devant des planches. » Un sourire amusé dévoila sa dentition lacunaire et Prudence prit la clé d’une main gantée.
« Merci, tu peux retourner travailler. » Il hocha la tête et s’en alla vers l’auberge, suivit de près par la jeune femme et sa monture qu’elle lui laissa une fois arrivée aux écuries. Mettant pied à terre, elle s’engouffra à l’intérieur par la porte des cuisines et si sa présence surprit les employés travaillant à moitié, profitant de l’absence de leur patron pour prendre une pause, personne n’ose rien dire, reconnaissant la dame qui traversait la pièce. Elle se faufila dans des couloirs, passant par des chemins détournés afin d’être certaine de ne pas se trouver dans la salle commune pour finalement arriver devant la chambre louée par Adélina.

Si la porte devait lui résister, ce ne fut pas le cas longtemps alors qu’elle pénétra dans la pièce elle chercha un fauteuil et lorsqu’elle en vit un à côté d’une table elle déposa son sac sur cette dernière pour en sortir un livre. Une fois assise elle se mit à lire pour patienter, n’ayant aucune idée de quand la nordienne allait rentrer.

Les nordiens s’étaient rassemblé dans la salle à manger de l’auberge. Une bonne trentaine d’entre eux s’était rassemblé autour de la Dame de Lodiaker, célébrant la nouvelle qui leur avait été annoncé la veille. Tous buvaient, mangeaient, au grand plaisir de l’aubergiste qui semblait étonner de la résistance des nordiens à tout l’alcool qui leur avait été servi. Seuls Norian, Aubry et Charles semblaient un peu plus raisonnable – il faut dire qu’ils étaient bien les seuls à savoir les problèmes familiaux de la famille langecine. La soirée était déjà bien avancée alors qu’Adélina s’excusa pour retrouver ses appartements. Il fallait dire que ses nuits étaient courtes, comme trop excitée par ce qui se profilait. Qui plus est, leur départ pour Diantra devait avoir lieu sous peu, et la jeune femme voulait être en forme pour la longue chevauchée qui l’attendait. Les deux femmes montèrent rapidement les escaliers pour accéder aux appartements d’Adélina et quel ne furent pas leurs surprises de voir qu’une femme se trouvait dans ses derniers, bien installée avec un livre dans les mains!


« Qui êtes-vous? Et que faites-vous ici? » Demanda la camériste avant de froncer les sourcils. On pouvait voir la colère habiter le visage de la nordienne alors qu’Adélina, elle ne put s’empêcher d’hausser un sourcil en voyant la jeune femme qui se tenait dans sa chambre, livre à la main. Elle l’avait reconnu assez rapidement. Oh oui, elle se souvenait que trop bien du regard malsain que cette dernière lui avait lancé alors qu’elle dansait avec l’un de ses frères. Il fallait dire que Prudence de Langehack avait mal contrôlé ses sentiments ce jour-là. Un sourire vint orner le visage de l’alonnaise alors qu’elle mit doucement sa main sur le bras de sa compère, qui se tenait toujours aussi droite, prête à protéger sa dame de l’intruse.  « Voyons, Clervie. Ce n’est pas ainsi que l’on doit traiter ma future belle-sœur. »


Un sourire aux lèvres, la jeune femme retourne son regard vers sa camériste qui la regarde, bouche bée. Avant de retourner son attention sur la jeune femme qui s’est infiltrée dans la chambre de la rose de Lodiaker. Au bout de quelques secondes, la jeune femme inclina respectueusement la tête, mettant sa main sur son cœur avant de « Oui, vous avez raison Ma Dame. Toute mes excuses, je vais allez, vous cherchez des rafraîchissements. » Adélina haussa rapidement la tête, son regard azuré toujours fixé sur Prudence. Rien qui semblait agressif ou amusé, au contraire, la jeune femme semblait bienvaillante, comme si elle n’était pas au courant de qui était réellement Prudence de Langehack. Son fiancé et le Marquis lui avait dépeint un tableau peu attrayant, mais valait mieux laisser la chance au coureur non? Clervie sortit rapidement de la pièce, fermant doucement la porte derrière elle avant de se diriger vers la salle à mange, là ou le Seigneur de Mesnu et Aubry se trouvait. Le chevalier, apprenant la visite soudaine de la fille du Marquis sortit rapidement de l’auberge pour se rendre au palais du Marquis. Si Prudence venait faire une visite surprise à Adélina, Théodoric devait être mit au courant.


Bien consciente que la camériste irait avertir sa famille, la jeune femme combla rapidement le vide qui la séparait de Prudence avant de s’asseoir en face de cette dernière. Gracieuse, bienveillante, la jeune femme rejoignit rapidement sa future belle-sœur de son pas gracile, avant de s’asseoir devant cette dernière, reprenant finalement la parole; « C’est un plaisir de vous recevoir et de finalement vous rencontrer Ma Dame. Mais je dois avouer que cette visite me prend légèrement au dépourvu. Je suppose que vous venez me parler de quelques choses en particulier pour venir ainsi? » La nordienne replaça doucement la jupe de soie sur son genou, avant de déposer doucement ses mais sur ce dernier. Son regard planté dans celle de la langecine, Adélina attendait patiemment que cette dernière prenne la parole. Si elle était venue ainsi, c’est qu’elle avait probablement entendu la nouvelle de ses fiançailles. Mais que tentait-elle de faire? De lui faire peur? De la menacer? Ou au contraire de la féliciter? Tout lui semblait possible à ce moment précis et la suite ne pouvait qu’être intéressante…

Lorsque les deux nordiennes entrèrent dans la chambre, Prudence humidifiait son pouce pour tourner plus aisément la page du vieux livre qu’elle tenait dans les mains. Si maître Delray apprenait qu’elle l’avait sortis de la bibliothèque elle aurait sûrement droit à une longue leçon sur la façon de prendre soin des ouvrages anciens du Collège Langecin ; c’était à croire que le vieil homme n’aimait rien d’autre que le son de sa propre voix et elle l’aimait suffisamment pour lui faire ce plaisir : de parler encore et encore. Elle pouvait déjà l’entendre radoter sur sa jeunesse et la préciosité de tels livres, du temps qui passait et qui n’attendait personne. Elle en aurait presque soupiré. Quelques années auparavant elle ne se serait pas amusé à faire ça car son père n’était pas le mécène de l’université, ce qui donnait à la jeune femme une certaine protection qui touchait du doigt l’impunité. Mais la question de la dame de compagnie de sa future belle-sœur la sortit de ses pensées. La langecine leva le nez de son livre pour les observer, si elle reconnaissait évidemment Adélina, ladite dame de compagnie lui était pourtant bel et bien inconnue. Elle décida que ça n’avait aucune importance alors l’aînée des de Langehack l’ignora et baissa la tête pour se replonger dans sa lecture.

Quand Adélina s’approcha, Prudence ne bougea pas même si du coin de l’œil elle regarda son sac qui trônait sur la table, reposant sur son manteau de soie noire. Bien qu’elle regardât un instant autre chose que les lettres d’encre apposée sur la page qui craquelait presque entre ses doigts, elle n’avait pas bougé la tête, se contentant de déplacer les deux émeraudes qui lui servaient de pupilles. Et puis lesdites pupilles retournèrent observer l’ouvrage dont elle avait repris la lecture en arrivant.

Prenant le temps de terminer sa page, Prudence ne répondit pas tout de suite à Adélina et laissa un silence pesant, un peu gênant, s’installer qu’elle rompit en fermant le livre avant de le poser à côté de son sac.

« Bonsoir dame Adélina. » Elle tourna finalement la tête vers son interlocutrice avant de croiser les genoux et d’en attraper un de ses deux mains. « Merci à vous de me recevoir dans de si brefs délais. »

Ses yeux brillèrent un instant d’un certain amusement en voyant qu’Adélina jouait le jeu, peut-être que finalement la nordienne était plus intéressante qu’il ne semblait au premier abord.

« Non je ne viens pas pour vous parler d’une chose en particulier, je voulais simplement vous rencontrer, faire connaissance en somme. Considérez ma venue comme une visite de courtoisie. » Ses mains lâchèrent ses genoux et son second pied toucha à nouveau le sol avant que Prudence ne se lève pour ranger correctement son livre, prenant soin de le remettre à sa place sans déranger le reste du contenu. « Mais est-ce vraiment surprenant que je veuilles que nous fassions plus ample connaissance ? Je trouvais dommage que vous partiez alors que nous nous sommes à peine entrevue lors d’une soirée… et quelle soirée d’ailleurs. »

Parlant alors qu’elle rangeait ses affaires, la jeune femme se tourna à nouveau vers son interlocutrice pour aller s’assoir à nouveau, à la même place.

« Je dois dire que vous étiez… ravissante. » Elle mit l’emphase sur le dernier mot de sa phrase qu’elle avait choisi avec soin et elle ne put s’empêcher de laisser transpirer une goûte de fiel. « J’espère que mon frère vous a félicité, Théo peut parfois être… » elle prit un instant pour chercher le terme qui correspondait le mieux à ce qu’elle avait en tête. « Maladroit. Dans tous les cas c’est à moi de vous féliciter et de vous souhaiter la bienvenue prochaine dans notre famille. Je vous souhaites d’être aimée comme il aimait votre prédécesseur, j’espère que vous arriverez à lui faire oublier Alaïs et si je peux vous faire part d’un autre souhait : je vous souhaites de ne pas subir le même sort. »

Adélina ne changea pas d’expression, conservant son sourire, consciente que Prudence cherchait à la tester. Si elle aurait voulu lui lancer une remarque narquoise quant au fait de la recevoir, elle se retint, se disant que ce n’était pas réellement la meilleure façon d’engager la conversation. « En effet! Une soirée fort amusante, n’est-ce pas? Les musiciens étaient particulièrement talentueux. » Adélina eut un léger sourire, avant de baisser les yeux au sol, se remémorant le moment qu’elle avait passé avec Théodoric. Puis une légère teinte rosée vint envahir ses joues, avant qu’elle ne remonte son regard azuré vers la jeune femme. « Disons que je ne m’attendais guère à recevoir autant d’attention lorsque j’ai reçu l’invitation de votre frère à cet événement. Mais il faut croire que les dieux ont de bien curieux dessins. » Si elle chérissait ce moment, elle savait très bien que ce dernier avait enragé sa belle-sœur. Théodoric, lui ayant déjà exprimé en détail la signification de cette danse. Si Adélina n’avait eu aucune idée des répercussions d’une simple danse, elle devait avouer que son fiancé avait particulièrement bien joué ce jeu.


Adélina haussa un sourcil alors qu’elle entendit le reste du discours de la langecine. Si l’alonnaise n’avait pas manqué la touche d’amertume qui l’avait envahi, le reste de son discours aurait presque pu la faire sortir de ses gonds. C’était un coup bas, très bas. Était-ce réellement de cela que Théodoric l’avait averti? Ou la langecine tâtait seulement le terrain pour voir de quoi elle était capable? Ramener sur la table la fiancée disparut de son frère était une horrible façon d’aborder la conversation. Si l’alonnaise était bien au courant que ce dernier avait été fiancé, elle préférait ne pas penser à ce qui s’était passé entre ce dernier et Alais. Si Tyra l’avait rappelée à elle, c’est que ce n’était pas la bonne personne.  Adélina eut un léger rire, avant de reprendre la parole, sans une once d’hostilité; « Vous me flattez, ma dame. Mais j’ai bien peur que Théodoric ne m’ait félicité. D’ailleurs, je ne suis pas certaine que cela soit nécessairement son genre. »


En effet, elle imaginait mal son fiancé la féliciter pour son apparence, lui qui avait du mal à la regarder dans les yeux lorsqu’il lui parlait de quelques choses de personnel. « Néanmoins, je ne peux que vous remercier pour votre accueil. Je dois vous avouer qu’il me tardait de faire votre connaissance. Après tout, votre réputation vous précède. » Le sourire de la jeune femme sembla s’étirer, devenir plus joueur. « J’ose espérer que Tyra ne me rappellera pas à elle de sitôt. Disons que je n’ai pas l’intention d’abandonner votre frère ou mes seigneuries. Il me reste encore beaucoup de choses à faire sur cette terre. »   Si la langecine voulait jouer ainsi, Adélina ne se laisserait pas prendre dans des enfantillages. Elle faisait face à des poissons bien plus gros que Prudence de Langehack. Un cognement se fit entendre, et la Dame de Lodiaker rétorqua; « Entrez. » Cela ne prit qu’une seconde avant que la porte ne s’ouvre pour laisser place à Clervie qui tenait un plateau. Elle s’approcha de Prudence, lui tendant un des verres ampli d’un liquide ambré, avant de ne se retourner vers Adélina une fois que cette dernière est prit son breuvage. Sans attendre, elle déposa doucement le plateau, contenant une carafe dudit vin sur la table, avant de sortir de la pièce, laissant les deux jeunes femmes continuer leur discussion. « Peut-être devrions-nous trinquer. » Adélina leva son verre vers son invité, un sourire aux lèvres avant d’ajouter; « À la famille. Puisse-t-elle continuer de nous surprendre… »

Prudence approuva d’un hochement de tête. Non, les musiciens n’étaient pas transcendants cette soirée-là mais ce n’était pas vraiment ce qui comptait. La jeune femme était prête à laisser la nordienne savourer sa petite victoire pour le moment. La suite la fit sourire, ça elle était prête à parier qu’en effet la danse devait être une surprise, après tout elle en fut une pour tout le monde, l’aînée de Théodoric comprise.

« J’imagine, une bonne surprise je suppose. » Du revers de sa main l’aînée de la famille de Langehack retira un grain de poussière sur son pantalon. « Mais à votre place je ne m’habituerais pas à la bienveillance des dieux, ils ont l’habitude d’être mercuriels comme peuvent en attester bien des gens. »

Des gens qu’elle connaissait bien d’ailleurs. Au final elle n’avait été que le petit coup de pouce au service des dieux pour permettre à leur plan de se mettre en marche. Ou du moins c’était ce qu’elle avait dit lors d’un débat avec un de ses collaborateurs qui avait vu son courage le quitter avant de passer à l’action. Au final, on n’était jamais mieux servis que par soi-même, indépendamment des dieux. Elle poussa un soupir en entendant la réponse d’Adélina.

« Mon frère est décidément un imbécile mais je ne doutes pas qu’il vous félicitera lors de votre mariage, vous le méritez. » Un sourire sibyllin apparut sur les lèvres de Prudence. « J’aimerais en dire autant mais malheureusement votre réputation ne m’est pas encore venue aux oreilles, c’était d’ailleurs pour ça que je voulais vous voir avant qu’elle ne le fasse sans aucun doute. Vous conviendrez qu’il est injuste de se faire une idée de quelqu’un sans l’avoir rencontré. »

La pointe de sarcasme passa ses lèvres sans qu’elle ne tente de la cacher, elle considérait que c’était de bonne guerre en voyant le sourire d’Adélina s’étirer.

« Oh vous savez, je n’oserais prétendre pouvoir dire quels sont les desseins de Tyra à votre sujet, la déesse est connue pour sa jalousie et si votre Souffle est aussi beau que votre charmant minois qui pourrait lui en vouloir de vous garder pour elle ? En ce qui concerne votre seigneurie, elle trouvera bien quelqu’un pour s’en charger, peut-être pas aussi bien que vous mais ça devra suffire en votre absence. Quant à Théo… » la personne qui toqua à la porte interrompit Prudence, ce qui l’agaça, elle tourna légèrement la tête pour lancer un regard assassin à la camériste qui entra une fois avoir obtenue la permission de sa maîtresse. Observant ensuite le plateau et ce qu’il soutenait et son regard s’adoucit, un sourire passa brièvement sur ses lèvres avant qu’elle ne retrouve son sérieux. « J’allais justement vous le proposer, future belle-sœur. »

Toutefois au lieu de lever sa coupe comme le faisait la nordienne, la langecine se tourna vers son sac et tira sur la bandoulière de ce dernière pour l’attirer vers elle. Elle plongea une main à l’intérieur et tâtonna jusqu’à trouver ce qu’elle cherchait. Elle en sortit une petite fiole de verre dans laquelle se trouvait un liquide noir dans lequel baignaient quelques paillettes d’or.

« La famille peut en effet nous surprendre, comme vous l’avez fait à deux reprises maintenant et, si cela ne vous dérange pas, j’aimerais que ce soit mon tour. Si vous le voulez bien je voudrais vous présenter une petite spécialité d’une poignée de bons amis. » Une fois la fiole ouverte, Prudence attrapa sa coupe pour y verser plusieurs gouttes, près de la moitié du flacon qui créèrent une tâche sombre alors que le liquide se mélangeait avec le vin. S’il était impoli de se servir en premier, la jeune femme ne voulait pas que la nordienne se fasse des idées à propos de ses intentions ; si son frère lui avait parlé d’elle sans doute que l’imagination d’Adélina risquait de se débrider. « Je peux vous assurer que vous ne le regretterez pas. »

La nordienne écouta sans interrompre la suderonne. Si sa remarque ressemblait étrangement à une menace à peine voilée, la jeune femme ne pouvait se permettre de la confronter. Du moins pas maintenant. Néanmoins, elle sentit ses doigts se crisper alors qu’elle traitait Théodoric d’idiot. Cela lui demanda beaucoup pour ne pas rétorquer une vanne cinglante à Prudence, mais elle se contrôla, très bien même. Son sourire ne sembla pas bouger et il faut dire que son invité ne sembla guère s’en rendre compte, car elle continua à parler de sa réputation, ce qui fit rire l’alonnaise. Un rire cristallin, presque innocent. Elle qui avait voulu rester cachée, invisible, il fallait croire que cela l’aidait à cet instant précis. « Avec raison, je suis comme vous, j’aime rencontrer les gens pour me faire une idée du personnage qui se présente devant moi. Être invisible à quelques avantages. Celui de surprendre vos amis ou même vos ennemis. » Elle regarda son genou un moment, replaçant doucement la soie de sa robe, avant de remonter lentement son regard vers Prudence. « Vous l’avez dit vous-même. Je vous aie surpris à deux occasions. N’avez-vous pas hâte de voir les autres? »  Une menace? Non pas du tout. Adélina savait pertinemment qu’elle avait une longueur d’avance sur la femme qui lui faisait face. Elle ne connaissait rien d’elle, et pour le moment n’avait aucune idée de jusqu’où elle irait. Un avantage des plus important. Mais Prudence ne s’arrêta pas là, et elle continua son discours. Un discours, ma foi, très intéressant. Un juste mélange d’insulte, de menace ainsi que de compliment. Bref, digne de ce qu’elle s’attendait de Prudence. Théodoric lui en avait fait un portrait peu avantageux, et il faut dire sa belle-sœur répondait définitivement à ses attentes. Mais ces gens-là, trop imbus d’eux même, tombaient bien facilement…


Ce fut à ce moment que Clervie revint pour faire le service, et Adélina ne manqua pas le regard mauvais que reçut la camériste alors qu’elle servait Prudence. Clervie, elle, ne sembla guère s’en soucier, continuant à servir le vin avec un sourire. L’alonnaise ne manquerait pas de saluer son expression lorsqu’elles seront seules. Elle connaissait assez bien sa servante pour savoir que l’expression de Prudence ne l’atteignait en aucun cas. Mais Adélina perdit rapidement son sourire alors que sa belle-sœur ouvrait un flacon pour y verser la mixture dans son verre. Son regard azuré se porta sur la tâche noire qui se répandait tranquillement dans le liquide ambré. Puis son regard, se porta à nouveau sur Prudence. Ce n’était certainement pas du poison, du moins, Prudence ne semblait pas être le genre de personne à déranger sa petite personne pour se débarrasser de quelqu’un. Non… Adélina aurait parée qu’elle préférait lancer des ordres à ses sous-fifres.  Secouant la tête, un léger sourire revint sur le visage de la nordienne. « Sans façon. J’ai des gens à diriger et des responsabilités, je ne peux me permettre de laisser mon esprit s’embrumer avec quelconque substance. » Elle avança doucement son verre vers sa bouche, avant de s’arrêter; « Mais si cela est votre genre, allez-y. Je m’assurerais que quelqu’un vous ramène en sécurité au palais. » Adélina porta son verre à ses lèvres, avalant doucement une gorgée. Croyait-elle réellement qu’elle plierait sous la pression? Elle n’en n’avait que cure de ce que pensait la langecine. Adélina avait le sens des responsabilités, elle et jamais elle ne tomberait volontairement dans un piège de Prudence. Reposant doucement sa coupe sur l’accoudoir, la jeune femme pencha légèrement la tête sur le côté, l’air curieuse. « Mais je vous en prie, continuez ce que vous disiez… Quant est-il de Théodoric et de Tyra? » Aurait-elle le courage de continuer ses menaces voilées? L’alonnaise le verrait bien assez vite.

Prudence retint un rire à la mention des gens à diriger et des responsabilités dont Adélina parlait. C’était… attendrissant en un sens, l’héritière avait sûrement plus de gens à ses ordres dans la ville à l’intérieure de laquelle se trouvait cette auberge que la nordienne avait de sujets dans son fief.

« Et quel fardeau ça doit être. » Répondit-elle en feignant de le penser bien qu’elle laissa une pointe d’ironie transparaître. « Toutefois je ne perds pas espoir, une fois que vous serez mariés vous prendrez goût au sud et à ses délices, comme tout le monde. »

Décidément, en plus d’être un peu barbares, les nordiens ne savaient pas s’amuser. Posant à nouveau sa coupe sur la table à côté d’elle, Prudence referma sa fiole avant de la placer à côté de son sac, près de la carafe de vin.

« De plus je devrais être capable de poursuivre notre conversation sans que vous ne vous rendiez compte de quoi que ce soit. » Elle voulu lui proposer de lui apprendre mais elle préféra éviter, se disant que c’était peut-être un peu trop. « Que vous vous souciez de ma sécurité me touche mais ne vous inquiétez pas, elle est assurée. »

Elle l’énonça avec une confiance qui ne laissait aucun doute sur le fait que c’était vrai, ou du moins qu’elle y croyait dur comme fer. La jeune femme plongea alors son regard dans sa coupe qu’elle reprit de la table, observant le liquide qui avait foncé, les paillettes d’or flottant à la surface l’amusait toujours sans qu’elle ne puisse dire pourquoi. Sans doute que ça lui rappelait de ce temps plus simple quand elle regardait les petits poissons dans les marais de Sorault, lorsque ces derniers se retrouvaient piégés en été à cause de l’évaporation de l’eau. La question d’Adélina lui fit relever la tête et un sourire passa sur ses lèvres.

« Disons qu’il semblerait que la déesse surveille Théo sans pour autant vouloir s’emparer de son Souffle, préférant ceux des personnes à qui il s’attache. C’est assez particulier. » La langecine leva alors sa coupe qu’elle fit légèrement tourner pour que le liquide noir se mélange encore un peu plus avant de la porter à ses lèvres. « Comme vous l’avez si bien dit : à la famille. »

Prudence dégusta une gorgée en fermant les yeux, se concentrant uniquement sur le goût. Le breuvage n’était pas transcendant mais en même temps elle ne s’était pas attendue à grand-chose. Qu’il ne soit pas décevant était déjà pas mal en prenant en compte où elle se trouvait. Toutefois c’était peut-être justement parce qu’elle était là que le propriétaire des lieux avait fait un effort.

« En parlant de surprise et de de gens à diriger, je me demandais si mon père est au courant de l’escapade de votre oncle, ou était-ce votre cousin, dans la chancellerie langecine ? Je suis certain qu'il voudrait vous remercier personellement pour avoir voulu arrêter le voleur. »


Elle termina sa phrase d'un sourire bienveillant.

Jamais la nordienne n’avait fait face à une personne aussi exécrable. Quoique… Prudence n’était guère loin d’Alanya de Saint-Aimé. Elle se demanda pendant un moment comment le Marquis avait pu mettre aux mondes deux souffles aussi différents… « Nous verrons… » dit-elle en haussant les épaules. Prudence venait de lui révéler qu’elle ne connaissait absolument rien à son patelin. Elle parlait sans cesse, menaçait, mais ne semblait pas se rendre compte que ses mots ne faisaient pas broncher la Dame du Nord. Elle se demanda si Théodoric arriverait bientôt, se disant que ce dernier ne tarderait pas à venir lorsqu’il apprendrait que sa charmante sœur était venue narguer sa fiancée, car oui, c’était ce qu’elle faisait. Prudence cherchait Adélina, et elle la trouverait bien assez vite.


Que voulez-vous! Vous pouvez sortir une nordienne du Nord, mais l’on ne peut sortir le Nord de la nordienne. Qui plus est, le discours de Prudence devenait de plus en plus insipide, et Adélina n’avait guère l’envie de continuer les faux semblant avec une personne comme elle. Néanmoins, la langecine rétorqua, demanda si son père était au courant que l’un des membres de sa famille avait pris un document. Adélina ne lui répondit que par un sourire. Oh bien vu! Sa belle-sœur commençait finalement à lui montrer ses capacités. Il en était temps! L’alonnaise avait eu peur que la langecine n’était que parole sans action. L’alonnaise approcha doucement sa coupe, vers elle, s’apprêtant à en prendre une gorgée avant de prendre la parole; « Bien entendu, puisque c’est lui qui l’a proposé. Vous n’avez qu’à lui demander si vous ne me croyez pas. » Adélina s’arrêta net, penchant la tête légèrement sur le côté avant d’observer d’un air intrigué la langecine; « Vous n’étiez pas au courant? Étonnant ! Une surprise de plus il faut croire. Mais si vous permettez je vous en donnerais une quatrième, quoique je crois que vous vous doutiez déjà de celle-ci. »


Adélina eut un sourire en coin, avant de pencher légèrement la tête vers l’avant, plongeant son regard dans celui de Prudence. « Je sais pertinemment à quoi vous jouez en ce moment. Vous êtes effrayé, c’est clair ou du moins vous tentez de voir à qui vous avez affaire. Ce qui est, en soi, légitime. Au premier abord, tous pourraient penser que vous ne jouez qu’à la grande sœur, inquiète que son frère cadet soit tomber pour une personne ambitieuse. » Adélina expira doucement, alors que son sourire s’agrandit pendant une seconde; « Car ambitieuse, oui, je le suis, définitivement. Mais il se trouve que Néera est mis Théodoric sur mon chemin pour une raison bien particulière et ce même si vous tentez de me convaincre du contraire. Mon affection pour ce dernier ne changera pas, peu importe ce que vous essayez de faire remonter. » La nordienne se cala légèrement dans son fauteuil, faisant tournoyer légèrement sa coupe de vin alors que son regard était fixé sur Prudence. « Mais soyons honnête, vous n’êtes pas venu pour voir si j’étais la bonne personne pour votre frère… Vous êtes venu pour voir à qui vous avez affaire. Alors je vais vous le dire Prudence; vous pouvez essayer de m’éloigner de Théodoric, vous pouvez essayer de me faire tomber ou continuer avec vos menaces voilées, mais je vous garantis que je rendrais chaque coup. Contrairement à vous, moi, je sais à qui j’ai affaire. » Perdant soudainement son sourire, la nordienne répliqua; « Et je vous demande de ne plus jamais insulter mon fiancé. »  Ça, s’était un véritable avertissement, la nordienne en avait assez de se faire marcher sur les pieds, il était temps de rétorquer.

Prudence eut un sourire carnassier en entendant la réponse d’Adélina. S’il y avait bel et bien une chose sur laquelle la langecine était prête à parier c’était que la nordienne mentait. Posant sa coupe sur la table, l’aînée de Langehack caressait distraitement du bout des doigts les rebords de ladite coupe.

« Dans ce cas il est dommage qu’il ne vous ait pas encore récoempensé, je me chargerais de lui rappeler ce qu’il vous doit lorsque la cour se réunira pour que le marquis entende les doléances de ses sujets. »

Elle l’écouta alors continuer, sa main quitta le métal de la coupe, son coude se posa sur la planche qui formai le rebord de la table et sa tête vint s’appuyer doucement contre son poing ganté avant de croiser les genoux. Si son expression resta neutre durant tout le discours de la nordienne, elle s’amusait de ce qui était dit et un sourire finit par transparaître à la demande d’Adélina. Alors Prudence se leva pour s’étirer.

« Et dire que cette petite conversation avait si bien commencé. » Elle secoua lentement la tête, comme attristée. « Il faut croire que c’est une obligation pour ceux du nord de tout gâcher. Mais peut-on réellement s’attendre à autre chose de vous autres ? »

Elle s’était posé la question davantage à elle-même, ou à personne ne particulier, qu’à son interlocutrice, de toute façon la réponse, elle la connaissait déjà. Attrapant sa coupe du bout des doigts, elle avala une gorgée avant de la reposer et de lancer un coup d’œil à la fiole qui était restée à côté du pichet de vin. Elle se tourna finalement vers son hôte, son sourire avait disparu avant même qu’elle ne parle et son sérieux empreint d’une certaine mélancolie resta.

« Vous vous trompez, très chère : si j’étais effrayé je ne serais pas venu vous parler. Et Théo aussi se trompes mais il est trop aveugle pour le voir. » Tirant sur ses gants pour les remettre en place, Prudence attrapa la bandoulière de son sac avant de se diriger vers la sortie, passant ledit sac sur son épaule, la jeune femme posa une main sur la porte avant de se retourner. « Vous ne le croirez sûrement pas mais je vous apprécies, quel dommage que vous ne vouliez absolument m’affronter ; je vous souhaites une bonne soirée, Adélina. »

Sur ce elle poussa finalement la porte.

C’était pathétique… Horriblement pathétique. La suderonne n’avait aucune loyauté pour sa famille. Non, c’était plutôt le genre de personne qui prenait tout pour elle sans se soucier de son prochain. Une personne complètement à l’opposée d’elle en soi. Pendant une minute, elle se réjouissait de ne pas être née dans une telle famille. Au moins, les Lourbier étaient loyaux. Faisant tournoyer sa coupe, son regard bleuté se fixa sur le liquide ambré, sans se soucier du sourire carnassier de sa belle-sœur. « Mais allez-y. Je suppose que votre père sera très heureux d’expliquer ses affaires à sa fille. Quoique je doute que le Marquis aimera voir ses affaires exposées ainsi. » Après tout, le Marquis avait semblé être un être peu patient, mais la nordienne aurait bien payé pour voir la scène. Si elle avait fait une telle action, son père l’aurait remis à sa place en un instant. Peut-être que le Marquis ferait un homme de lui-même et replacerait sa sorcière de fille?  Adélina observa, sourire aux lèvres, la réaction de Prudence. Elle était bonne actrice, une très bonne manipulatrice en soi. Pas étonnant qu’elle réussisait à avoir des gens qui la suivaient si aveuglement.


« Prudence… »


Le regard fixé de la jeune femme suivit la langecine alors que cette dernière s’arrêtait devant la porte. Prenant son mouchoir, la jeune femme prit le flacon qui trônait près de la carafe de vin, avant de s’approcher de Prudence, tendant le flacon bien en évidence dans le mouchoir de soie. « Vous avez mépris mes paroles. Je vous ai dit que je rendrais coup pour coup. Pour le moment, vous n’avez rien fait, alors vous n’avez rien à craindre de ma personne. » Adélina eut un sourire amusé aux lèvres, attendant silencieusement que sa charmante belle-sœur prenne son flacon avant de continuer; « Mais si j’étais vous, je tenterais de ne point laisser quoique se soit derrière moi qui pourrais être utilisé contre ma personne. » Adélina tendit la main, avant de continuer; « Pourriez-vous me donner la clé de ma chambre maintenant? Vous comprendrez que mon intimité est primordiale. » Adélina n’était pas sotte. Si Prudence était entrée dans sa chambre, c’est qu’elle avait une clé. Après tout, elle avait vu elle-même sa camériste fermer la porte à clé alors qu’elle descendait et jamais elle ne laisserait une telle chance à Prudence, surtout après la charmante visite qu’elle venait de lui faire.

Elle attrapa la fiole, la tenant du bout des doigts avant de la replacer dans son sac, un peu déçue qu’Adélina n’ait pas décidé de la garder. Elle avait été tentée de boire le reste du contenu mais elle le goût amer l’en avait dissuadé, après tout, si elle le diluait dans une boisson ce n’était pas pour rien.

« Je doute que vous puissiez vous en servir contre moi, Adélina, mais merci. » La question qui suivit fit sourire Prudence. Elle comprenait bien que son intimité pouvait être importante pour la nordienne, après tout elle l’était pour la langecine, alors cette dernière plongea une main dans son sac et en fouilla quelques instants l’intérieur pour en ressortir la clé demandée qu’elle déposa délicatement dans la main de la loueuse de cette charmante chambre. « Je comprends. Toutefois, si j’étais à votre place, je ne m’attacherais pas trop à ce double, l’aubergiste risque de venir vous les demander rapidement, c’est un homme charmant mais d’un bavard… j’espère que vous avez du temps à perdre car une fois qu’il a commencé il ne s’arrête jamais de parler. »

La langecine lança un clin d’œil complice à sa futur belle-sœur et poussa finalement la porte pour l’ouvrir et pénétrer dans le couloir, laissant Adélina et sa chambre derrière elle. Et puis elle s’arrêta, un pas plus loin, en plein milieu du couloir, comme si elle venait de se souvenir d’une chose importante. Tournant le dos à la nordienne, Prudence se retourna pour lui faire face.

« J’allais oublier, Adélina, la prochaine fois que vous voyez mon frère bien aimé, pouvez-vous me faire une faveur et lui rappeler le marché que je lui ai proposé ? Lui qui est intransigeant, j’ai de grands espoirs que l’amour le fera changer, après tout un couple se construit sur des compromis. Sur ce, je vous souhaites à nouveau une bonne soirée. »

Rabattant sa capuche sur sa tête, l’aînée des de Langehack disparut dans l’obscurité qui régnait dans le couloir pour descendre en direction des escaliers, par là où elle était venue.

Prenant une grande inspiration, Théodoric, s’était levé de son lit, chassant les restes de sa torpeur en se frottant les yeux qui ne voulaient pas se concentrer sur quoi que ce soit, le laissant dans un flou endormis qui ne se prêtaient pas vraiment à la situation. Il alla ouvrir la porte et fut surpris de trouver un chevalier des Aigles de Sang qui s’apprêtait à frapper une deuxième fois. Ayant encore du mal à formuler une pensée cohérente, il s’abstint de dire quoi que ce soit, fixant pendant un instant l’homme en face de lui, attendant patiemment qu’on lui explique pourquoi on l’avait réveillé.

« Je suis désolé de vous réveiller, votre Excellence, mais quelqu’un veut vous voir. »
« Ça attendra demain. » Répondit Théodoric en réprimant un bâillement.
« Si je puis me permettre, le nordien viens de la part de dame Adélina de Lourbier, il a été très insistant sur ce point. »

Une claque n’aurait probablement pas réveillé davantage le langecin qui secoua vivement la tête avant de retourner à l’intérieur de sa chambre pour se changer. Simplement vêtu d’un pantalon et d’une chemise blanche, il mit ses bottes et retourna à la porte.

« Menez-moi à lui. »

Suivant le chevalier de l’ordre, Théodoric le fit vite accélérer. Le nordien attendait dans l’antichambre du palais où il expliqua au fils du marquis la raison de sa venue. Ne prenant pas le temps de réfléchir, le langecin ordonna qu’on lui prépare une monture, une monture qui renâcla lorsqu’un éclair déchira la nuit mais il n’en avait cure et lança l’animal au galop dans les rues de Langehack. Quelques minutes plus tard il se mit à pleuvoir, une averse qui trempa bien rapidement la fine chemise du chevalier qui suivait le nordien. Ils allaient si vite qu’ils ne reconnurent pas la silhouette capuchonnée elle aussi à dos de cheval qui avançait calmement, peut-être même trop calmement sous la pluie. Un sourire fleurit sur le fin visage de Prudence qui, elle, avait reconnu son frère même si elle n’avait aucune idée de qui pouvait être l’autre homme qui accompagnait son frère.

Descendant de son cheval sans s’inquiéter d’avoir quelqu’un pour s’en occuper, Théodoric se lança dans l’établissement pour monter à l’étage le plus vite possible et poussa la porte de la chambre de sa fiancée.

Adélina ne répondit rien à la remarque de sa belle-sœur. Elle était confiante, certes, et mieux valait qu’elle reste ainsi. Après tout, cela ne ferait que l’aveugler un peu plus. Néanmoins, cette dernière semblait avoir au moins compris. Si elle frappait, Adélina frapperait encore plus fort. Ce n’était pas une menace, mais un avertissement. La nordienne lui laissait la chance de prouver sa valeur en quelques sortes, mais si elle osait faire un mouvement contre elle et son fiancé, cette dernière le paierait très cher. Elle répondit à son clin d’œil par un sourire entendu, alors que ses doigts fins se refermèrent sur la clé. L’alonnaise observa la langecine alors que cette dernière s’engagea finalement dans le couloir pour lui lancer une dernière remarque. La jeune femme haussa un sourcil avant d’acquiescer. « Je lui en parlerais. Bonne soirée à vous, Prudence. Et surtout soyez prudente sur les routes. » Adélina ne rentra dans ses appartements que lorsqu’elle eut la certitude que cette dernière était sortie de son champ de vision. Elle entra alors dans ses appartements, refermant doucement la porte derrière elle, non sans se caler contre, laissant ses pensées vagabonder. Disons que cette rencontre fut toute sauf plaisante.


« Une véritable sorcière… »


Adélina acquiesçât, l’air neutre, avant de prendre la parole;


« En effet, le Marquis et Théodoric m’avaient averti, mais je ne croyais pas qu’elle serait comme cela. »
« Elle vous a menacé! Peut-être pas directement, mais soyons honnête, ces répliques ne laissaient guère de place à l’imagination. »


Adélina ne répondit rien, elle était bien au courant et elle se doutait bien que Prudence avait pesé chaque mot qui était sorti de sa bouche. Elle voulait créer un effet, ou du moins lui faire peur. Mais Adélina faisait affaire à de bien plus gros poissons qu’elle…


« Va avertir mon oncle d’augmenter la sécurité dans le couloir et de parler au propriétaire. Je veux savoir combien de clé il y a de ces appartements. »


Clervie s’inclina avant de sortir rapidement de la pièce, alors qu’Adélina allait s’asseoir sur le rebord de la fenêtre, observant la ville endormie. Lodiaker lui manquait à ce moment précis, elle aurait bien aimé retrouver la sécurité de sa maison et ses jardins apaisants. Assise à la fenêtre la Dame regarda doucement la pluie qui tombait. Un éclair vint rapidement illuminer le ciel, avant qu’un grondement lourd ne viennent faire trembler le sol. Décidément, c’était un temps horrible! Adélina se dit que Théodoric ne viendrait probablement pas la voir avant le lendemain… Mais ce fut à ce moment précis que la porte s’ouvra avec fracas. Faisant sursauter la dame alors qu’un homme détrempé faisait éruption dans la pièce…


« Théodoric..? »


Sans attendre la jeune femme se releva rapidement pour aller rejoindre le langecin qui venait d’entrer dans ses appartements. Le voyant trempée la nordienne accéléra le pas, en profitant pour donner un ordre à sa camériste qui venait d’entrer dans la pièce à son tour; « Clervie, va chercher des couvertures et un breuvage chaud. » Sans attendre, la servante sortie rapidement des appartements alors qu’Adélina rejoignit finalement Théodoric, attrapant doucement ses mains. « Vous êtes trempé… » Disons qu’elle ne s’était pas attendue à ce que ce dernier arrive ainsi. Certes, elle l’avait mis au courant de la visite surprise de sa sorcière de sœur, mais disons que de le voir arriver ainsi en panique n’était guère rassurant. Adélina le guida doucement vers l’un des divans, s’assisant à ses côtés, non sans regarder le jeune homme détrempé qui lui faisait place. Étonnamment, la jeune femme ne savait guère quoi dire, était-elle rassurée? Oui, définitivement, cela voulait dire que d’une certaine façon Théodoric l’aimait. Peut-être pas autant qu’Alais comme avait dit Prudence. Elle fronça les sourcils pendant une seconde, déplaçant son regard au sol. La nordienne s’en voulait légèrement d’avoir laissé les villes paroles de sa belle-sœur l’affecter. Elle avait toujours sur pour Alais, mais, cela venait de réveiller sans le vouloir une part de jalousie qu’elle n’aimait pas particulièrement. « Je suis désolé, je ne souhaitais pas vous alarmer. Je croyais simplement qu’il était important de vous laisser savoir que votre sœur s’était introduite dans mes appartements pour une visite surprise… » Désignant vaguement le double de la clé sur la table avant de remonter son regard vers le chevalier, la nordienne planta son regard dans le sien avant de reprendre la parole; « J’ai réussi à avoir le double de la clé, et mon oncle fera en sorte que les appartements soient mieux gardée. » Sans le vouloir, la jeune femme caressa doucement le dos de la main du chevalier, pensive, tentant tant bien que mal de chasser les paroles de Prudence de sa mémoire.

Le jeune homme retira l’eau qui lui coulait sur le visage d’un geste de la main et d’un coup sec du poignet envoya les goutes sur le sol, humidifiant le tapis qui s’y trouvait. Il sonda la pièce du regard pendant que sa fiancée se levait pour se diriger vers lui mais, malheureusement, ou heureusement, il n’en était pas encore certain, il ne trouva pas ce qu’il cherchait. La fine silhouette de sa sœur n’était pas là, plus là, et il se sentit un peu soulagé.

« Ce ne sera pas necessaire, je ne suis pas fait de sucre. » Bien qu’il ne dirait pas non à quelque chose de chaud, il serra les mains d’Adélina qu’il suivit jusqu’à un divan, cherchant encore la chambre à la recherche de quoi que ce soit que Prudence avait pu laisser pour nuire à la nordienne. S’il ne savait pas ce qu’il cherchait, il savait, il était persuadé, qu’il y avait quelque chose qu’il devait trouver et trouver le plus vite possible. « Vous n’avez pas à être désolé pour ça, vous avez bien fait. »

L’idée que sa sœur puisse s’introduire dans les quartiers de sa fiancée ne l’aiderait pas à dormir, heureusement qu’elle ne tarderait pas à partir, la prochaine fois qu’ils se verraient il savait que son aînée n’aurait pas le pouvoir de recommencer, pas à Diantra. Les yeux de Théodoric suivirent la main d’Adélina jusqu’à la table pour y voir des clés qui semblaient être ce qu’elle voulait lui montrer. L’écoutant d’un air pensif, se demandant ce que Prudence avait prévu comme tour tordu, il releva la tête en sentant une douce pression sur le dos de sa main.

« Vous allez bien ? Que vous a-t-elle fait ? »

L’alonnaise lâcha doucement la main sur chevalier avant de baisser le regard. Elle hocha doucement la tête. Allait-elle vraiment bien? C’était difficile à dire. Tout semblait s’être passé tellement vite, et toute cette conversation lui avait semblé complètement surréaliste. Jamais elle n’aurait cru que quelqu’un pourrait s’en prendre ainsi à sa propre famille, mais il fallait croire que le portrait peu flatteur que lui avait fait le chevalier avait été véridicité. Adélina aurait bien laissé une chance à sa future belle-sœur, mais cette dernière n’avait absolument rien fait pour améliorer son image. Était-elle dangereuse? Oui, certainement. Est-ce qu’elle avait peur d’elle? Non. Aucunement. Prudence n’était qu’une ennemie parmi tant d’autres. Elle n’était guère la première et ne serait probablement pas la dernière. La seule chose qui l’avait réellement atteint était ses paroles au sujet de sa prédécesseur, et ça, elle s’en voulait d’avoir laissé sa belle-sœur la déranger autant. Relevant rapidement la tête, Adélina plongea son regard azuré dans celui de Théordoric avant de prendre finalement la parole;   « Elle ne m’a rien fait. Nous avons que discuté… »    Elle replaça  doucement une mèche trempée du visage de son fiancé.  « Elle m’a dit que les personnes qui avaient tendance à s’attacher à vous, était souvent rappelé par Tyra, et que cela ne soit pas étonnant qu’elle me rappelle à elle. »  


Soupirant, Adélina se releva, avant de s’éloigner légèrement de Théodoric. Sans le vouloir, ses bras se croisèrent, non pas dans une position agressive, plutôt triste. Elle frotta doucement ses bras, avant de se retourner vers Théodoric, posant son regard azuré sur ce dernier avant de prendre la parole; « Elle m’a aussi souhaité que vous m’aimiez comme vous aimez qu’Alaïs  Que je réussisse à vous la faire oublier. »   Sans le vouloir, la nordienne se mordilla légèrement la lèvre inférieure, s’en voulait de jalouser cette dernière. Il fallait croire que sa belle –sœur avait touché juste… Sans le vouloir, elle avait trouvé la seule partie qu’elle ne comprenait pas encore. Adélina ne pouvait se mentir, sans le vouloir, elle venir de découvrir que ses sentiments étaient bien plus profonds qu’elle avait cru au premier abord. La rose eut un sourire triste avant de baisser doucement le regard vers le sol,  « Pardonnez-moi. Ces mots m’ont heurté encore plus que je le croyais. »   Ses joues devinrent légèrement rosées alors qu’elle continua;  « Je crois que mes sentiments sont plus profonds que je l’imaginais. »  Elle s’approcha doucement de ce dernier, s’arrêtant à quelques pas de ce dernier. Adélina pouvait sentir son cœur battre contre sa poitrine. Nerveuse, elle fit un léger sourire au Langecin avant de finalement répondre;  «  Je vous aime Théodoric… beaucoup plus que j’aurais pu l’imaginer. »   Elle eut un sourire, alors que son regard se leva finalement vers ce dernier, dévoilant son air de plus en plus gêné. Ses mains se rejoignirent devant elle, tendant de contrôler sa nervosité. Elle ne pourrait jamais remplacer Alaïs, mais au moins elle ferait en sorte de le rendre heureux. Faisant un léger sourire, la jeune femme reprit doucement; « Je n’ai pas peur de votre sœur ni des autres personnes qui tenteraient de s’en prendre à nous. Je me tiendrais debout devant elle, devant eux et les l’affronterait si cela est nécessaire. Elle est venue pour voir à qui elle avait affaire, et à vue ce qu’elle voulait. Je n’ai pas l’intention de fuir ni de rompre nos fiançailles. »  

Il ne savait pas si ça devait le rassurer ou non. Certes que Prudence n’ait rien fait était quelque chose de bien, à n’en point douter, toutefois le fait qu’elle n’ait, justement, fait que parler, voulait peut-être dire qu’elle avait quelque chose de prévu. Quelque chose qui ne plairait pas au chevalier, c’était certain. Et puis il comprit enfin que ça ne devait pas le rassurer. Il regarda Adélina un instant, pour le moment elle était en sécurité, c’était certain, il n’avait pas à s’inquiéter. Et pourtant il n’arrivait pas à repousser ce désagréable sentiment que quelque chose de tragique allait se passer et sous peu.

Les poings de Théodoric se serrèrent, ses phalanges blanchirent en écoutant ce qui suivait. Que sa sœur menace sa fiancée, ça il s’y était attendu mais il ne pensait pas qu’elle utiliserait la mémoire d’Alaïs contre eux.

« La... » commença-t-il dans un souffle avant de ravaler un juron qui n’avait rien à faire proche des oreilles d’une noble dame. « Je comprends. »

Il soupira en regardant le sol. S’il ne les avait pas entendus de la bouche de Prudence, ça lui faisait tout de même mal, c’était comme rouvrir une vieille blessure, une blessure qu’il pensait cicatrisée mais qui ne l’était pas complétement. Il releva la tête pour plonger son regard dans celui de la nordienne et prit ses mains dans les siennes. Il voulut dire quelque chose mais ravala sa phrase et à la place son visage se rapprocha du sien pour finalement l’embrasser alors qu’il pouvait entendre son cœur battre à ses tempes. Il ne devrait probablement pas, c’était peut-être de trop, mais maintenant qu’ils étaient fiancés il pensait que la Bienveillante pardonnerait cette petite incartade. De plus il ne savait pas s’il pourrait la revoir avant son départ pour Diantra alors il préférait saisir sa chance maintenant. Lorsqu’ils brisèrent leur baiser, Théodoric détourna un instant le regard, il avait fauté.

« Merci. » Répondit-il doucement. C’était peu, il en avait bien conscience, mais ce n’était que le début. « J’ai eu peur que ma sœur vous ai fait ou dit quelque chose qui risquait de vous éloigner de moi mais même si elle a essayé je suis soulagé d’entendre qu’elle a échoué. »

Voir son fiancé fit serrer son cœur, elle jalousait définitivement sa dernière fiancée. Mais elle tenta de chasser rapidement ses pensées se rappelant que c’était Théodoric qui avait fait la demande. C’était lui qui l’avait embrassé en premier, d’une façon ou d’une autre le langecin avait prouvé qu’il aimait réellement la nordienne. Adélina s’assit aux côtés de Théodoric, alors que ce dernier soupira pour regarder le sol, l’air complètement perdu dans ses pensées. Pendant un moment, elle se demanda si ses paroles n’avaient pas eu l’effet inverse, mais Théodoric se redressa rapidement avant de prendre ses mains. Ils restèrent ainsi, silencieux pendant quelques instants, le regard plongé dans celui de l’autre, et puis Théodoric combla le vide qui les séparait, joignant à nouveau ses lèvres à celles de la nordienne. Si Adélina se crispa, cela ne dura qu’une seconde avant qu’elle ne réponde au baiser passionné de son fiancé. Un baiser qui en disait beaucoup plus que toutes les paroles qu’il aurait pu dire et lorsqu’ils se séparèrent enfin Théodoric lui avoua la peur qui le tenaillait. Adélina ne répondit rien pendant quelques secondes, se contentant de fixer son fiancé, puis, libérant doucement sa main droite de l’emprise de son fiancé, elle posa doucement sa main sur sa joue, le forçant à la soutenir du regard. « Théodoric… » Elle s’arrêta un moment, cherchant les bons mots, avant de reprendre; « Mon affection, et mes souhaits n’ont pas changé. Il n’y a rien en ce monde qui m’éloignerait de vous. Peu importe ce qui arrivera, mon cœur vous appartient. Je vous l’ai déjà offert de plein gré. »


Elle lui fit un léger sourire, alors que ses doigts caressèrent doucement sa joue, avant de rajouter; «  Que Néera soit témoin, je ne souhaite plus jamais être séparé de vous à partir de ce jour. Unissons-nous le plus rapidement possible. Que cela soit là, maintenant alors que nous sommes que nous deux ou devant les grands de ce monde, peu m’importe. Je n’ai pas envie de passer une seconde de plus sans être à vos côtés. » Et comme pour sceller sa promesse, la jeune femme approcha doucement son visage du langecin, l’embrassant à son tour, passionnément. Peu importe ce qui se passerait, peu importe, les épreuves qui les attendaient, Adélina les traverserait à ses côtés. Elle se sentait en sécurité à ses côtés, et avait réellement l’impression d’avoir trouvé la personne qui lui fallait. Théodoric était pieux, honorable et fier, c’était définitivement le genre d’homme qu’elle voulait à ses côtés. Quelqu’un de bon, qui prendrait autant soin de ces gens que de sa propre famille. Et lorsque leurs lèvres se séparèrent finalement, la jeune femme lui fit un nouveau sourire,  gêné cette fois, alors que ses pommettes devinrent légèrement rosées. Définitivement, elle devrait allez au temple de Néera demain pour se faire pardonner ses actions, mais cela lui semblait si naturel, et le sentiment qui s’emparer d’elle lorsqu’elle était près de Théodoric lui faisait le plus grand bien. La bienveillante comprendrait définitivement, après tout, c’était probablement elle qui avait guidé Adélina sur son chemin. « Je me languis déjà de vous retrouver à Diantra. » Dit-elle en observant leurs doigts enlacés.