Un nouveau Souffle | Aegden & Sinieth

Deuxième ennéade
Eté, Karfias 19:XI

La maison au bord de la rivière est des plus paisible. Pendant l'absence d'Aegden, Andrea a veillé sur sa fille, faisant ses courses, lui tenant compagnie, prenant soin d'elle et de son enfant. Le Commandant est rentré mais il n'est pas parti pour autant et loge toujours dans la chambre des futurs parents. Assis dans le salon, il lit quelques ouvrages empruntés pour Sinieth à la bibliothèque. Il n'a guère mieux à faire lorsque celle-ci ce repose, ce qui arrive de plus en plus fréquemment. A l'approche de la naissance, elle dort bien plus, comme si elle prenait des forces pour le jour J. Allongée toute la journée, ses rares sorties du lit sont presque devenus une épreuve. Elle a moins de force dans les jambes, le bébé lui pèse lourdement et son ventre se raidit instantanément.
Si cela peut paraître impressionnant, voire inquiétant aux yeux du futur père, Andrea se veut rassurant. Toutes ces réactions physiques sont normales. Les femmes peinent à la fin de leur grossesse et Sinieth n'a pas eu l'occasion de s'habituer au poids de son enfant. Et puis, son corps se prépare à l'accouchement, ce qui explique ces contractions sans douleur qu'elle ressent parfois même lorsqu'elle est allongée. Ainsi, tout es parfaitement normal. Et puis, si l'enfant arrive, il est là pour l'aider à venir au monde.

L'elfe blanc entend un appel et pose son ouvrage. Il se dirige vers la chambre de sa fille et la trouve éveillée. Il pousse donc un peu plus la porte pour entrer. Il lui sourit avec douceur et la rejoint dans une attitude toute féminine.

-Tout va bien ? Demande-t-il paisiblement.
-Je crois.

La jeune femme ne semble pas inquiète mais son père n'a pas besoin qu'elle se montre plus explicite. Il pose une main sur son ventre et l'ausculte sans la moindre difficulté. Chez lui, il a l'habitude de prendre soin de ses employées enceintes. C'est toujours lui qui les accouche, non pas parce qu'il l'impose mais parce qu'elles ont confiance en lui et se sentent rassurées en sa présence.
D'un air totalement innocent, il engage la conversation avec sa fille durant une quinzaine de minutes. Au cours de leur conversation, il sent l'abdomen se raidir deux fois. C'est un peu douloureux pour la future mère mais encore parfaitement supportable. Il lui sourit paisiblement.

-Je vais aller chercher ton compagnon.

Semblable à son père, Sinieth comprend ce que cela signifie. Elle regarde Andrea quitter la pièce sans un mot puis baisse les yeux sur son ventre qu'elle caresse. Dans quelques heures, elle connaîtra enfin son visage... Elle aurait pu le voir plus tôt avec l'aide de l'elfe blanc mais elle veut le découvrir en même temps qu'Aegden. Elle n'a pas peur de la souffrance à venir, elle l'a déjà trop côtoyée, hélas. En revanche, elle appréhende un peu l'inconnu de la mise au monde, et c'est tout naturel. C'est une nouvelle expérience qui lui apportera bien plus de bonheur que toutes celles qu'elle a connu jusque là.

Lentement, le vaani rejoint le bureau du militaire. Il frappe doucement sur la porte et attend l'autorisation avant de l'ouvrir. Il est égal à lui-même : paisible et souriant. Il force peut-être même un peu le trait pour que son interlocuteur comprenne qu'il n'y a rien d'alarmant dans ce qu'il s'apprête à dire. Tout va très bien pour l'instant, et tout ira très bien de toute façon.

-Je crois que vous devriez rejoindre Sinieth. Le travail commence doucement. Je vais aller prévenir le Temple de Kÿria.

Andrea accouchera sa fille mais il a été convenu -et c'est bien normal- qu'un membre du culte soit également présent. Cela fait partie de la culture des taledhels et il n'ira pas à son encontre. Il est certes différent et même étrange mais il respecte les coutumes et les croyances des autres. Et puis, ce jour n'est pas le sien, mais celui de Sinieth et Aegden. Il doit se dérouler tel qu'ils le souhaitent.

Aegden n’était pas bien loin, mais occupé comme il était, rien de l’agitation de sa maison ne parvenait à lui. Plongé dans de la paperasse à faire peur le plus zélé des bureaucrates, c’est non sans soulagement qu’il en avait ôté son regard pour le poser sur son beau-père plus que souriant.

A peine lui annonca-t-il la nouvelle qu’ils attendaient depuis des ennéades que le soldat bondit sur ses pieds. Pour une fois, la milice attendrait. Pâle, il semblait hésiter entre sourire et panique.

-Merci Andrea.

Et sans attendre il s’empressa de rejoindre la femme de sa vie. A genoux près d’elle, il vint se saisir de l’une de ses mains et la caressa tendrement. Dans son cœur c’était la tempête. Il avait peur, pour Sinieth, pour leur futur enfant. Il avait aussi une sorte de trac étrange. Cet enfant, cet objet de tant d’amour, qu’il n’avait pourtant jamais vu. Il serait bientôt là. Etait-il vraiment prêt ?

-Sinieth. Appella-t-il la jeune femme. Est-ce que ça va aller mon amour ? Ne put-il s’empêcher de s’inquiéter.

Andrea pose une main sur l'épaule d'Aegden, le retenant l'espace d'un très court instant. Il cherche à le rassurer, conscient que, quoi qu'il dise, il n'y parviendra pas. C'est son premier enfant. Et même s'il s'agissait du dixième, une naissance représente toujours un risque pour le nouveau né comme pour la mère. De plus, Sinieth a été fragilisée à de nombreuses reprises, si bien qu'elle doit tenir le lit depuis plusieurs mois. Elle a perdu un peu de muscles, ce qui favorise nécessairement l'inquiétude du futur père.
Rapidement, le mage libère son gendre et le laisse rejoindre sa compagne qui l'accueille avec une expression de bonheur palpable. Certes, elle appréhende, mais les heures à venir sont la conclusion d'une longue attente et d'un projet fomenté par Kÿria et Arcamenel pour eux. Sous son visage aux traits mystérieux et parfaitement maîtrisés, ses yeux et ses lèvres trahissent son émotion. Elle est heureuse et impatiente de tenir enfin son fils dans ses bras.

Sinieth serre doucement les doigts de son compagnon et lui sourit. Elle sait son inquiétude et elle le comprend. Il est toujours plus aisé de se montrer confiant lorsque nous sommes les premiers concernés par ce qui nous attend. Elle se sait capable de résister à la douleur et elle aura deux vitalistes à ses côtés. Sans parler de son plus grand amour... Elle n'a pas peur et voudrait le rassurer. Alors, elle pose la main d'Aegden sur son ventre et lui parle d'une douce voix.

-Tout ira très bien. Elle regarde le bébé comme si elle pouvait le voir à travers le tissu et la chair. Nous pourrons bientôt le tenir dans nos bras et lui témoigner tout l'amour que nous lui portons.

Elle revient sur son amant et lui caresse la joue de ses doigts délicats. Elle veut qu'il s'accroche à cette pensée et se fixe sur cet objectif. Elle s'est tant de fois imaginé ce jour. C'est la concrétisation d'un véritable rêve qui se réalise aujourd'hui.
Soudain, sous la main du militaire, l'abdomen de la jeune femme devient dur comme la pierre et le sourire de Sinieth s'estompe à demi. Cette contraction est un peu plus douloureuse que les précédentes et elle s'applique à mettre en oeuvre les conseils qu'on lui a donné durant les dernières ennéades, à l'approche de l'accouchement. Elle prend de longues inspirations et expire aussi lentement que possible. Après seulement une quinzaine de secondes, elle se détend de nouveau et pose son regard sur Aegden.

Les choses sérieuses commencent.

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Sinieth serre les dents devant cette nouvelle contraction.

Depuis quelques heures déjà, ils sont trois autour d'elle à la soutenir, à lui apporter ce dont elle a besoin, à lui parler, à la rassurer. Les douleurs se sont faites de plus en plus fortes et rapprochées. Allongée sur le côté, le sourire de la jeune femme a disparu, laissant place à une grimace lorsque son ventre se raidit. Pourtant, elle ne vit pas ce moment comme une épreuve car elle sait la récompense qui l'attend au terme de tout cela. Elle a perdu les eaux et elle n'a que peu de moments de répit. C'est pour bientôt...
Andrea reste égal à lui-même et pause paisiblement une main sur le ventre de sa fille afin de l'ausculter une énième fois depuis le début du travail. Il observe l'expression d'Aegden à qui on a confié la tâche de rafraîchir et de désaltérer la future mère afin qu'il ne se sente pas inutile en cet instant. Car, inutile, il est loin de l'être. La seule chose dont Sinieth a besoin, c'est de le savoir présent.

Lorsqu'il a terminé son ouvrage, il pose une main sur l'épaule de la jeune femme.

-Tout se passe très bien. Lui assure-t-il, s'abstenant d'entrer dans les détails. Il est temps de pousser. Conclut-il dans un sourire.

Andrea se tourne brièvement vers son gendre et lui adresse un signe de tête, lui rappelant silencieusement le rôle qui est le sien à présent. Le calme de la pièce va subitement céder la place à une toute autre ambiance qui sera rythmée par les contractions très rapprochées de la future mère. Pendant l'accouchement proprement dit, il faut encourager la maman, la soutenir, l'accompagner dans chaque poussée, la féliciter à chaque repos. Encore et encore durant quelques dizaines de minutes. Et toute cette agitation prendra fin lorsque les épaules de l'enfant seront sorties et que Sinieth n'aura plus qu'à saisir délicatement son fils pour le prendre contre elle dans une toute première étreinte.
Mais, pour l'instant, il faut se concentrer sur ce qui arrive et les deux soigneurs sont plus que prêts.

Doucement, Aegden avait fait de son mieux pour calmer son propre cœur. Pas tant pour lui que pour la jeune femme dont il tenait les mains. Elle était paisible et même si le risque était minime, il ne voulait pas que ses peurs deviennent contagieuses. Pendant les longues heures qui s’ensuivirent, il veilla à remplir la tâche qu’on lui avait confié avec tout le soin dont il était capable. A côté de lui, il y avait un petit seau d’eau et un linge humide dont il se servait de temps à autre pour rafraichir la presque jeune mère. Souvent il caressait tendrement son front et ses cheveux sombres. Son regard empli de tendresse et de sollicitude ne la quittait pas une seconde.

-Courage, Meleth. Lui murmura-t-il tendrement après un regard de l’elfe blanc. Un dernier effort et notre bébé est là, avec nous.

Le soldat ne put retenir un sourire à cette pensée qui avait encore un goût d’irréel quelques heures en arrière. Avec la même éternelle délicatesse, il posa la paume de sa main contre son ventre. Même si elle faisait l’effort elle-même, il était là, l’accompagnant à chaque contractions, lui murmurant quelques douces paroles d’encouragement. La soutenant du mieux qu'il en était capable.

Bientôt. Bientôt le fils orphelin serait père. Le soldat solitaire se retrouverait aux côté de la femme de sa vie et de l’enfant tant aimé. S’il y avait un jour qu’il pouvait qualifier d’heureux sans hésiter, alors c’était celui-là.

Aegden comprend parfaitement le message et encourage sa compagne. La première poussée amène des sensations nouvelles et très différentes des premières. Son ventre ne la fait plus souffrir car la douleur se porte plus bas désormais. Cela brûle mais ce n'est pas là-dessus que se porte la concentration de la mysticiste. Motivée par les paroles de son amant, Sinieth sent son fils se frayer un chemin en elle. Lentement, poussée après poussée, elle sait qu'il approche, qu'il arrive, qu'il est presque là. Les indications des deux soigneurs sont pour ainsi dire inutiles pour elle qui sent tout ce qu'il se passe dans son corps.

-On dirait qu'il a les cheveux de sa maman. Glisse la prêtresse à l'occasion d'une brève pause.

Malgré la fatigue, Sinieth étire un large sourire de bonheur. C'est le premier détail de l'apparence de leur bébé qu'ils découvrent. Ils touchent enfin du doigt la fin de cette longue attente. La durée de la grossesse leur a appris - sans surprise- qu'il serait pour ainsi dire un elfe à part entière. Il n'a plus qu'un huitième de sang humain après tout, et cela se voit déjà si peu chez sa mère...

Mais déjà, une nouvelle contraction se présente et Andrea, tout comme la prêtresse, insiste pour la faire pousser un peu plus longtemps cette fois. Elle y est presque... Et, finalement, elle sent la tête qui sort enfin de sa cachette. Une autre petite poussée, et ce sont les épaules qui viennent.

-Tu peux le prendre. Lui indique son père.

Avec précaution, Sinieth se penche.
Avec appréhension, elle tend les bras vers son fils.
Avec délicatesse, elle le saisit et l'aide à achever doucement sa sortie.
Et puis, le voilà dans ses bras. Elle se rallonge aussitôt, le gardant tout contre elle. Aegden à ses côtés, elle le tourne légèrement afin qu'il découvrent ensemble son visage.
Les yeux grands ouverts du bébé détaillent ardemment les traits de cette voix qu'il a entendu chaque jour depuis qu'il est capable de la percevoir. Il est minuscule et tout fin, bien loin des nouveaux nés humains bien potelés. Ses traits ont déjà une certaine grâce et quelques cheveux noirs se battent en duel sur le sommet de son crâne.

-Bonjour, onya. Chuchote la jeune maman. Tu es magnifique.

Le visage de Sinieth rayonne de bonheur et une larme vient même perler au coin de son œil. C'est le plus beau moment de toute sa vie...

Enfin, l’enfant était là, contre eux. Il dardait déja ses immenses yeux sur sa mère qui irradiait de bonheur. Son père était bien entendu dans le même état d’exaltation, ne sachant d’ailleurs empêcher quelques larmes au coins de ses yeux gris. L’elfe avait encore beaucoup de mal à réaliser qu’il faisait bel et bien face à son fils. Pourtant la joie qui étreignait avec force son coeur était réel.

Tout doucement, encore plus que lorsqu’il exécutait ce genre de geste auprès de sa bienaimée, il vint caresser le crâne du nouveau-né dans les bras de sa mère. Celui-ci suivit vaguement le mouvement de la grande main, avant de reprendre son précédent manège. Il était si petit, si fragile. Instantanément, le soldat sut ce qu’il savait déjà depuis des mois :  il ferait tout pour lui. Il le protégerait farouchement, quoi qu’il en coute. Ce fils était le siens et toujours ô combien toujours il s’efforçerais de s’en montrer digne.

-Bienvenu chez toi. Articule-t-il la voix enroué par la force des émotions qui balayaient son souffle.

Et puis il vint déposer un long et tendre baiser sur la tempe de la jeune mère.

-Félicitation nin meleth. Lui murmura-t-il tout bas. Je suis tellement fier de vous deux.

La scène est si belle et touchante que même la prêtresse -qui poursuit ses soins- étire un sourire attendrit. Andrea l'abandonne un peu à sa tâche pour se rapprocher de sa fille et lui consacrer un peu de temps. Une main vient caresser sa longue chevelure noire. Posté dans son dos, il se penche légèrement pour observer à son tour le visage du nouveau membre de la famille. Avec douceur, sa voix s'élève sans rompre la beauté de l'instant.

-Comment s'appelle ce petit trésor ? Demande-t-il.

Sinieth quitte enfin son fils des yeux pour les relever vers Aegden. Elle lui offre un sourire radieux, heureuse de pouvoir enfin prononcer librement le nom qu'ils lui ont choisi. Et, puisque c'est son père qui le réclame, il lui revient l'honneur de le lui annoncer.

-Je te présente... Elben.

Andrea, un peu moins à l'aise que sa fille dans la langue des elfes, met quelques instants à déchiffrer le sens de ce prénom. Finalement, ses lèvres s'étirent de nouveau.

-Mari d'une étoile. C'est un beau destin qui s'annonce pour toi, mon enfant.

Les trois elfes restent là un moment à regarder le petit être qui imprime dans son esprit le visage de sa mère. Le temps s'écoule sans qu'ils n'en prennent conscience. Tout juste sont-ils interrompus l'espace d'un instant par la prêtresse qui dépose une couverture sur le bébé. Sinieth l'enveloppe dedans avec délicatesse, essuyant un peu le sommet de son crâne au passage.

Dehors, il fait noir. Cette nuit sera bien étrange pour l'heureux couple. Une fois les deux héros du jour soignés, lavés et habillés, la prêtresse aidera la jeune mère à donner son premier sein. Elle restera le temps qu'il faudra pour la rassurer dans cette démarche cruciale qui lui permettra de nourrir son enfant durant les premiers mois de sa vie. Après son départ, la maison retrouvera le même calme qu'avant que le travail ne commence. Malgré l'excitation et le bonheur qui l'envahissent, la jeune mère finira par tomber de sommeil après plusieurs heures de contemplation de son fils dormant pour la première fois dans sa chambre. Tout lui semblera irréel au matin... C'est une deuxième nouvelle vie qui commence.