Un nouveau foyer [Pv Sinieth]

La vie semblait avoir suivi son cours durant ces derniers mois au sein de la Cité Blanche. Comme si la guerre n’avait été pour les habitants de la Prime œuvre qu’un lointain échos. Aegden se doutait bien que cela n’avait pas toujours dû être le cas et que l’inquiétude avait dû serrer beaucoup de cœurs, mais sans y prêter un œil véritablement attentif rien ne semblais avoir changé ici, c'était la sensation qu'il avait depuis les quelques jours qui avait suivit son retour.

Le danger grondait toujours au delà de la terre des elfes, la guerre reviendrait tôt ou tard, mais pour le moment ils avaient gagné un répit et l’apparente immuabilité de la cité suffisait à doucement apaiser les tensions que le soldat avait ressenti depuis de longues ennéades. Il faudrait du temps avant que pour tous la blessure de la guerre ne se referme totalement, pour certain le déchirement serait irrémédiable. Mais la Prime Œuvre était intacte, aussi paisible qu’elle pouvait l’être en ces temps troubles. Ça faisait du bien d’être chez soit…

Le soir tombait déjà alors que c’était à pas pressés qu’il traversait la ville en direction de l’hospice des libertaires prêtant pour cette fois ci pourtant bien peu d’attention à cette vie tranquille qu’il aimait tant. La journée avait été particulièrement longue et Aegden se retrouvait à être en retard par rapport à la soirée qu’il avait envisagé. Il détestait ne pas être ponctuel, d’autant plus aujourd’hui mais il n'avait pas eut le choix.

Pourtant il était loin d’être agacé. Un fin sourire étirait ses lèvres tandis que dans sa main il serait le message qu’il avait reçu le matin même et qu’elle avait peut-être elle aussi reçue. Il n’eut pas à dire grand-chose pour que l’adepte d’Elenwë, qu’il finissait par connaitre à force, lui offre un sourire complice et s’en aille frapper à la porte de la chambre temporaire de Sinieth sans demander son reste.

Et lorsqu’elle fut devant lui, elle put observer cet éternel éclat dans son regard d’acier. Après tout ce qu’ils avaient vécus jusqu’ici, la trouver si régulièrement à ses côtés lui procurait un bonheur indescriptible. Il avait encore un peu de mal à réaliser qu’elle était bel et bien là, désormais saine et sauve et à l’abri de la guerre et de la traitrise vaanie.

-Bonjour, fit-il tendrement. Je m’excuse pour le retard, j’avais quelques affaires sur lequel je devais m’attarder avant de te rejoindre. Comment vas-tu ce soir ?

C’était un autre des inconvénients que de travailler au sein de l’armée, bien qu’à côté du risque de mettre sa vie en danger, se trouver forcé à de simples retards était le cadet de ces soucis… Il ne s’attarda pas sur quelles avaient étés ces affaires, jugeant que la soirée n’était pas faite pour cela et il lui laissa le temps de répondre avant d’enchainer avec ce même sourire qui ne l’avait pas lâché du trajet.

-Est-ce qu’on t’a passé le message ?

Il tendit le morceau de parchemin sur lequel était annotée une note très succincte expliquant que tout était en ordre, une adresse suivit d’un plan miniature et un dessins vague d’une maison qui devait très certainement être celle qu’on venait d’offrir au couple.

-Je crois que notre destination de ce soir est toute désignée.

Sinieth s'étira autant que ses os et ses muscles le lui permirent. Les journées étaient courtes et longues à la fois. Courtes car, contrairement à ce que l'on pensait, la nouvelle venue avait largement de quoi s'occuper. Prêtresse de Tyra depuis deux siècles et initiée au culte de Tari, elle s'était rapidement proposée pour apporter son soutien à ceux qui avaient affronté le front de Naelis puis, à son retour, aux familles de ceux qui n'étaient pas rentrés. Evidemment, ces dernières acceptaient moins volontiers son aide que ceux qui l'avaient vue faire face à l'ennemi à leurs côtés.
Mais, depuis leur départ d'Ithri'Vaan, la jeune femme se sentait un peu mal. Durant le voyage, elle avait été secouée de violentes nausées qui ne l'avaient pas totalement quittées après leur arrivée à Alëandir. Elle se sentait aussi très fatiguée, ce qu'elle mit sur le compte de l'environnement qui lui était si différent de celui qu'elle connaissait. Elle devait marcher non pas sur des pavages parfaits mais à moitié en forêt. Elle devait parler une autre langue en permanence et, surtout, l'air ambiant était bien plus humide de celui de son pays d'origine. Sans parler de ses pesantes activités...

Alors, si tôt sa journée terminée, elle fermait un peu les yeux jusqu'à l'arrivée d'Aegden. Ce soir-là, personne n'était venue la réveillée, ce qui ne manqua pas de la surprendre. Son interrogation ne fut néanmoins que de courte durée car on frappa bien vite à sa porte. Après s'être rapidement rafraîchie, Sinieth rejoignit son compagnon à l'entrée de l'hospice où elle avait une fois de plus élue domicile en attendant leur nouveau logement dont ils n'avaient pas tardé à faire la demande.

-Bonsoir. Lui répondit-elle avec le même éclat dans les yeux. Ne t'inquiète pas, je n'ai pas eu l'occasion de voir le temps passer.

Le teint de la jeune femme était éclatant et son regard un peu plus reposé que la veille. Comme quoi elle avait seulement besoin d'un peu de sommeil. Elle n'oubliait cependant pas qu'il lui avait posé une question.

-Je vais bien.

C'était assez sommaire mais sincère, d'autant que cela se lisait sur son visage. Ses traits passèrent néanmoins de la gaieté à l'interrogation puis à la surprise alors qu'il lui annonçait une nouvelle qu'ils attendaient depuis plusieurs jours déjà. Elle prit rapidement la lettre dans les mains et la parcourut aussi si vite que ses yeux peu habitués à lire cette langue le pouvaient.

-Non, je n'ai rien reçu. Enfin... Je n'ai pas pris le temps de regarder mon courrier en rentrant. Dit-elle en dépliant le courrier.

Son visage illuminé de joie se releva vers Aegden tandis qu'il la conviait à visiter leur nouveau chez eux. A chacune de leur sortie, ils admiraient les maisons, guettant celles qui étaient disponibles, espérant que ce serait celle-ci... ou la suivante... Toutes leur convenaient car la seule chose qu'ils souhaitaient, c'était vivre ensemble. Peu importait où.
Sinieth passa son bras autour de celui de son compagnon.

-Je te suis. Fit-elle, confiante et heureuse, avec toute sa modération naturelle. Cela ne l'empêcherait cependant pas de marcher à ses côtés, le cœur vibrant d'impatience à l'idée de découvrir son nouveau foyer. Son foyer elfique.

Aegden avait hoché la tête et tous les deux ils étaient partis en quête d’une part de ce qui serait leur nouvelle vie.

Bien qu’il était impatient de découvrir ce qui n’était encore pour lui qu’un dessin, l’elfe fit cependant attention à ne pas adopter un rythme de marche trop intensif pour la prêtresse. Elle semblait aller bien ce soir, ses dires le confirmant sans soucis, cependant il avait remarqué la fatigue dans son regard ces derniers temps. Le changement devait être éprouvant pour elle et il ne voulait pas la voir arriver dans sa nouvelle maison totalement épuisée.

S’il était évidemment ravi du tournant que prenait la soirée, et sa vie mine de rien, il y avait aussi une légère appréhension, une sorte de trac en quelque sorte, au fond de son cœur. Le couple qu’ils formaient lui et Sinieth passaient un nouveau cap significatif dans leur relation. Ce saut dans l’inconnu, vers ce futur qu’ils imaginaient tout deux teinté de joie, avait quelque chose d’aussi effrayant qu’excitant.

Il garda cependant ses pensées pour lui. A vrai dire il resta muet un bon moment, ne brisant son silence que pour indiquer une direction ou bien la distance qu’il lui semblait encore devoir parcourir avant d’atteindre la petite maison. Sinieth le connaissait assez pour savoir qu’elle ne devait prendre ombrage de ce silence paisible. Le soldat savourait l’instant à sa façon et ne considérait simplement pas avoir mots assez pertinent pour décrire ce qu’il ressentait alors il se taisait.

Il lui tout de même fallut vérifier à une ou deux reprises la direction dans laquelle ils allaient à l’aide du petit parchemin. Il connaissait bien entendu assez la ville pour ne pas se retrouver totalement perdu dans ses rues, c’était la ville dans laquelle il était né et avait grandi, mais il ne connaissait pas l’endroit où ils se rendaient.

Plusieurs fois ils se retrouvèrent à longer des cours d’eau qui prenaient source dans l’Elorëa et traversaient une partie de la ville, notamment les Telüime. Et puis bientôt c’est la rivière elle-même qu’ils longèrent. Les habitations qu’ils croisaient quant à elles se trouvaient entourée par la végétation laissée libre de la région dans un élégant mélange entre urbanisation et nature.

Et finalement, au bout de longues minutes de marche, le couple se retrouva dans ce qui devait être l’équivalent d’une impasse. Sur leur gauche un bosquet les séparait discrètement d’une autre habitation dont on pouvait apercevoir les lumières entre les arbres. A leur droite s’étendait le fleuve qu’ils avaient longé un moment.

Jetant un rapide et discret dernier coup d’œil à la carte miniature qu’il tenais toujours, Aegden rangea finalement cette dernière et fixa la devanture qui leur faisaient face.

Construite au bord de l’eau, c’était une maison à la fois simple et élégante. De taille moyenne, elle était toute de même dotée d’un étage. Un petit balcon de bois travaillé pour ressembler à des branches s’étendait au-dessus de la porte d’entrée. De grandes fenêtres semblaient agrandir la structure de pierre et de bois et permettaient sans doute de jour d’obtenir un intérieur lumineux. Le tout était subtilement agrémentée de fines décorations rappelant la nature si chère au cœur des anedhels.

Aegden passa son bras autour de la taille de sa compagne, la serrant doucement contre lui.

-bienvenue chez toi nín meleth, finit-il par dire.

Traduction:

Sinieth observait la maison avec un éclat dans le regard. C'était bien plus petit que ses demeures vaanies mais elle n'y songeait même pas. Ils avaient un chez eux, et c'était tout ce qui comptait. Elle la détailla attentivement jusqu'à ce que son compagnon ne l'enlace et ne lui adresse quelques mots. Elle se tourna alors vers lui pour lui sourire un instant avant de le prendre par la main et de l'entraîner vers la bâtisse. Puisque la maison était vide et que les anedhels ne mettaient pas de serrure, rien ne les empêchait d'entrer, n'est-ce pas ?
La jeune femme posa la paume d'Aegden sur la poignée et ce fut ensemble qu'ils ouvrirent et pénétrèrent dans leur nouvelle demeure. Au rez-de-chaussée, il y avait une grande cuisine pourvue d'une table assez grande pour y manger à six sans se serrer. Il y avait également un bureau aux étagères vides et un salon familial avec suffisamment d'assises pour recevoir. A l'étage, Sinieth fut surprise de trouver trois chambres avant de se rappeler que les couples elfes ne dormaient pas ensemble. C'était donc prévu pour lui, elle et... un enfant au vu de la décoration et du mobilier.

-Tout est déjà meublé. Il y a des rideaux aux fenêtres... Elle ouvrit le tiroir d'une commode de l'une des chambres pour adulte. ... et même du linge de maison. Elle referma. C'est... pratiquement habitable de suite.

Evidemment, il leur faudrait encore apporter leurs propres affaires et remplir les placards de la cuisine et du petit cellier attenant. Mais, dans l'ensemble, rien ne les empêchait d'emménager aussi rapidement qu'ils le souhaitaient. Sinieth se tourna vers Aegden. Ils avaient déjà parlé des us et coutumes en matière de logement mais elle ne pensait pas que tout restait dans une maison lorsque les précédents occupants le quittaient.

-Est-ce toujours ainsi ?

Ils avaient ouvert la porte ensemble et avaient exploré cette nouvelle demeure. Cependant Aegden avait laissé Sinieth découvrir le décor la première, se plaçant très légèrement en retrait.  Bien sûr il était aussi enthousiaste qu’elle à l’idée de vivre ensemble. Cependant lui la vie anedhelle, il la connaissait par cœur. Pour elle c’était tout nouveau et pourtant nombre de ces particularités, elle y serait désormais constamment confrontée. Aegden voulait qu’elle découvre au moins sa demeure à son propre rythme.

Appuyé contre l’encadrement de la porte, il observait autant la pièce que la jeune femme qui la parcourait. Ses oreilles se haussèrent lorsqu’elle lui posa une question comme s’il sortait soudain de ses pensées et il hocha la tête. Il lui avait expliqué le fonctionnement global des habitations elfes mais il avait visiblement oublié de préciser certaines choses.

-En règle générale oui. Ça arrive d’avoir besoin de faire quelques réaménagements, surtout quand les maisons sont récentes. Mais…Il haussa les épaules. La communauté offre ce dont on a besoin dans l’immédiat. Comme souvent lorsqu’il parlait de principes qu’il avait toujours cru aller de soi, il eut l’air de réfléchir profondément à ce qu’il expliquait. Par réflexe sa main vint frotter sa joue balafrée. On a pas…Les talehdels ne s’attachent pas vraiment aux objets, au meubles… Enfin, on a tous quelques objets auxquels on a un attachement sentimental bien sûr, comme tes osselets ou ma lance. Mais le mobilier, ça va avec le reste de la maison.

Il croisa à nouveau ses bras contre son torse et jeta un regard en direction du couloir et des deux autres pièces.

-D’ailleurs, on devrait peut-être proposer de redonner quelques-uns de nos meubles, non ? Fit-il. On ne va pas avoir besoin de tout ça.

Les choses étaient ainsi faites. Lorsqu’on offrait une maison à un couple, sans qu’ils n’y soit bien entendu forcés on s’attendait à ce qu’un jour ils aient un enfant. D’où la troisième chambre de l’étage. Mais les deux amants n’en étaient encore pas là. Kyrïa ne se pencherait pas sur eux avant longtemps, si un jour elle en décidait ainsi. En attendant, d’autre couples en auraient sans doute besoin et Aegden avait la sensation d’avoir déjà bien assez reçu de la part du reste de son peuple pour lui rendre la pareille. Quant à la seconde chambre pour adulte, ils en avaient déjà parlés quelques temps plus tôt. Une seule leur suffirait largement pour le moment.

Même si elle regardait toujours la pièce et les meubles autour d'elle, Sinieth écoutait avec attention les paroles de son compagnon. Tout ceci était si nouveau et étranger pour elle... Mais, paradoxalement, elle ne demandait qu'à s'y habituer. Elle comprenait les motivations de ce peuple qui devait devenir le sien. Elle comprenait la logique de leur façon de penser, même si elle ne l'avait pas encore adoptée. Elle essayait de s'adapter du mieux qu'elle pouvait, réprimant ses propres habitudes trop... vaanies. Agir en publique nécessitait beaucoup de vigilance de sa part et elle pensait que cela contribuait à sa fatigue perpétuelle.

Aegden suggéra qu'ils se débarrassent d'une partie inutile de leur mobilier. Elle se tourna alors vers lui et, plutôt que de répliquer ou de montrer le moindre signe d'incompréhension, elle lui sourit et se rapprocha de lui. Elle passa ses bras autour de son cou et vint coller son corps au sien. D'un air à la fois paisible et espiègle, teinté toujours de cette pointe de mystère dont elle avait le secret, elle l'interrogea d'une voix presque suave.

-Et que fera-t-on de ses pièces excédentaires dans ce cas ?

Sa question était sincère malgré le petit jeu auquel elle jouait. Les deux chambres étaient trop petites pour que l'un où l'autre puisse s'y entraîner ou encore danser. Ils ne pratiquaient pas d'autres activités qui demanderaient de céder une pièce de la maison. Alors que faisaient les elfes de pièces supplémentaires ? Elle en avait visité quelques unes avec ses occupations du moment mais elle n'était pas entré suffisamment pour connaître l'utilité de chaque espace.

-Une bibliothèque ? Proposa-t-elle. Un deuxième salon avec balcon ? Continua-t-elle.

Aegden n'avait pas eu l'occasion de monter à l'étage dans sa demeure de Thaar sans quoi il aurait pu faire le parallèle avec l'un de ses anciens domiciles. En effet, elle possédait autrefois un grand balcon qui accueillait trois larges canapés. Elle aimait y recevoir ses ouailles dont le Souffle était en difficulté... ou bien ses proches. Elle ne cherchait pourtant pas à reproduire ce qu'elle avait connu. Elle essayait simplement de trouver une idée. Mais peut-être son compagnon en avait une et elle était alors tout à fait prête à l'entendre.

Lorsque la jeune femme avait passé ses mains autour du cou du soldat. Celles d’Aegden étaient venues enserrer sa taille avec délicatesse. La réaction de la jeune femme l’avait surpris mais c’était loin de lui déplaire alors il jouait le jeu. Un sourire mutin naquit sur ses lèvres en écho à ce petit air mystérieux qu’il aimait tant chez elle. Dieux qu’elle était belle lorsqu'elle était aussi sereine.

-Tu oublie que j’ai vécu dix ans avec des militaires. Je ne sais plus comment c’est la vie normale dans une vraie maison.

Toute plaisanteries mises de côté, de but en blanc il n’avait pas la moindre idée de quoi répondre à sa compagne. Il n’avait bizarrement pas réfléchi à ça en fait. Il aimait ses idées en revanche. Il savait qu’elle appréciait lire et apprendre et qu’une bibliothèque lui ferait certainement plaisir. Quand à un salon…cela lui plaisait aussi. Aegden était un elfe simple et tout lui convenait, tant que Sinieth était heureuse.

-Avec la vue qu’on à, ça serait dommage de ne pas en transformer une en salon tu ne crois pas ?

Tandis qu’elle semblait apprécier le confort d’un salon, lui de son côté appréciait passer du temps près des fenêtres à observer l'extérieur. Il trouvait ça apaisant .Combien de nuits d’insomnie avait-il passé assis sur sa fenêtre à observer le paysage nocturne à Naëlis ? Le balcon de l'une des chambres donnait sur le devant de leur maison, mais l'une des autres pièces donnais directement sur la rivière. Cela avait lui avait paru magnifique et ça devait l'être tout autant de jour.

-Tu imagine ? Tu pourrais y lire bercée par le bruit du vent et de l’eau dehors. Ou bien, des fossettes se creusèrent sur son visage alors que ses lèvres s’étiraient dans un sourire, on pourrait juste y venir observer le ciel tous les deux.

Ça lui semblait encore utopique et pourtant, il n’y avait qu’à tourner la tête pour réaliser que c’était réel. Ils étaient sain et sauf. Ils étaient chez eux. Ils pouvaient se permettre d'envisager tellement de choses. Et surtout, ces choses qu'ils envisageaient, ils les vivaient petit à petit. C’était reposant après un mois passé au milieux du chaos de la guerre et des incertitudes.

Alors que Sinieth allait répondre aux premiers mots d'Aegden en lui suggérant de prendre le temps de réfléchir à la question, celui-ci renchérit sur sa proposition, la développant même un peu plus encore. Oui, elle s'imagine parfaitement tout cela... Installée près de la porte fenêtre dans un fauteuil confortable, elle pourrait lire un ouvrage en sentant la brise forestière lui caresser les cheveux et lui chatouiller le nez. Elle se plaît à rêver à tout cela, laissant son buste se poser un peu plus contre celui de son compagnon, lorsqu'il évoque l'eau. Elle réalise alors qu'elle n'a pas admiré cette vue-ci. Elle se détache alors du militaire dans une caresse courant de son épaule jusqu'à son buste puis elle s'écarte de lui pour s'avancer droit vers ladite fenêtre.
D'un geste, elle actionne le mécanisme qui la maintient fermée et l'ouvre toute grande. L'air frais s'engouffre soudain dans la pièce, effleurant son visage et faisant onduler sa robe printanière. La rivière s'écoule devant elle avec lenteur, charriant avec elle quelques feuilles. Même si Alëandir n'est pas Thaar, une certaine effervescence anime la cité aux heures du jour les plus actives. Pourtant, la ville lui semble si loin d'ici... Tout est si calme... Elle n'a jamais connu un tel silence. Pour l'instant, elle trouve cela apaisant pour son Souffle qui passe ses journées à soigner ceux des autres mais qu'en sera-t-il quand les affres de cette dernière guerre seront passés ? Et si Aegden doit s'absenter longtemps ? Même si elle a été célibataire presque toute sa vie, elle a toujours été entourée de sa famille, ses amis et même ses employés. Ici, elle ne connaît personne et elle ne sera jamais acceptée tout à fait. Ne se sentira-t-elle pas seule ? Seule et isolée ? Ce silence ne l'effraiera-t-il pas ?

A cet instant, quelques cris retentissent, bientôt suivi de rires. Sinieth prend appui sur le rebord de la fenêtre et se penche pour observer le côté de la maison. Deux enfants jouent et chahutent un peu plus loin. Ils semblent beaucoup s'amuser alors que le petit garçon tend un bâton au bout recouvert de vase en direction de la petite fille afin de l'effrayer. Il fait semblant de vouloir l'approcher tandis qu'elle semble craindre pour sa jolie robe vert clair. La scène ne dure pas longtemps avant que le bâton n'en disparaisse pour laisser place à une simple balle.
La jeune femme a tout observé de son regard pétillant. Elle n'a jamais porté d'enfant et Néer... Kÿria seule sait si elle aura cette joie un jour. Toujours est-il que la perspective de vivre près d'une petite famille adoucit finalement ses craintes naissantes. Elle se retourne alors vers Aegden, paisible et souriante.

-Un salon bibliothèque donnant sur le balcon et un bureau pour toi dans l'autre pièce afin que tu puisses travailler parfois d'ici.

C'est une suggestion mais surtout une requête qu'elle lui formule. Ils ont manqué se perdre plus d'une fois et ils ne peuvent passer ensemble que le temps que l'armée veut bien leur accorder. Les journées de l'officier sont très chargées et elle apprécierait de le savoir à la maison plutôt qu'à la caserne, même s'il doit s'isoler pour faire sa paperasse. Elle ressent le besoin de l'avoir près d'elle comme si elle éprouvait soudain un manque qu'il était le seul à pouvoir combler.

-Quand emménageons-nous ?

Il hocha la tête lorsqu’elle évoqua son souhait de le voir travailler ici. Il comprenait pourquoi elle disait ça. Ils vivraient désormais ensemble mais le couple savait qui ni l’un ni l’autre n’abandonnerait pour autant ses responsabilités envers la société elfe.

En tant que soldat, et d’autant plus en tant que mainyth, Aegden n’avait que très peu de temps libre. Son retard quelques heures plus tôt n’était qu’un exemple parmi tant d’autres. Il devrait parfois s’absenter longtemps. Il était conscient que les conséquences d'une telle vie n'était plus les même que lorsqu'il vivait seul sans personne pour l'attendre. S’il pouvait garder un peu de son temps auprès de sa compagne en acceptant de travailler dans ce nouveau foyer ce n’était pas grand-chose. Quand bien même n’aimait-il pas l’idée d’y apporter une partie de sa vie militaire.

-C’est décidé dans ce cas.

Sans rien ajouter de plus il se rapprocha à son tour de la jeune femme, s’appuyant sur le rebord de la fenêtre et observant lui aussi les deux enfants jouer en contrebas. Sinieth posa alors une autre question. Il tourna alors la tête vers elle et un air joueur réapparu sur ses lèvres. Pourquoi attendre ?

-Et si on emménageait dès demain ?

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Etait-il à nouveau en retard ? Le soldat observa le ciel qui déclinait doucement alors qu’il marchait d’un pas rapide. Non cette fois ça devait aller. Il soupira à la fois de soulagement et de fatigue. Aujourd’hui encore il n’avait pas eu une minute pour s’arrêter. Les journées passaient vite mais c’était un rythme intense à la longue. Pourtant Aegden ne s’en plaignait pas le moins du monde. Il aimait son travail. Il n’était pas fait pour rester en place bien longtemps de toute façon.

Aussi dévoué était-il à son devoir, une vague de bonheur l’envahis tout de même lorsqu’il atteignit la petite maison au bord de l’eau qui était sienne depuis maintenant quelques jours et en poussa la porte.

-Sinieth ? Appela-t-il, ignorant si elle était déjà rentrée.

Elle aussi avait des occupations chronophages et si en général il rentrait assez tard pour la trouver déjà là, le contraire ne l’aurait pas étonné. En attendant une réponse, son premier réflexe fut d’ôter l’épée de sa ceinture et de la déposer près de l’entrée. Désirant s’éloigner de l’armée autant que le soldat en était capable lorsqu’il évoluait dans son foyer, Aegden ne voulait pas porter d’arme dans sa maison et c’était devenu un rituel depuis quelques jours. Son armure qu'il portait encore ne tarderait pas elle non plus à se voir échangée contre une tenue civile bien plus confortable.

Le lendemain de la visite, Sinieth n'avait pas chômé. Entre deux rendez-vous, elle était partie en quête de quoi remplir les placards de la cuisine. Elle ne connaissait pas bien les mets favoris des anedhels mais elle avait procédé en fonction de ce qu'elle trouvait le plus aisément dans les étalages. Cela lui avait paru si étrange de partir sans rien avoir à donner ou à faire en retour... Elle éprouva même de la peine pour ranger le tout une fois rentrée, chassant une forme étrange de culpabilité qui n'avait pas lieue d'être. Puis elle était retournée à l'hospice pour emballer ses affaires. Quelques bras l'avaient aidée à porter le tout jusqu'à la petite maison au bord de la rivière. Et quand Aegden était rentré un peu plus tard, il l'avait trouvée en train de ranger ses vêtements dans leur armoire.
Ainsi, ils avaient passé leur soirée à défaire les paquets qu'ils venaient juste de faire. Elle lui avait montré ce qu'elle avait pris pour la cuisine et il lui avait fait quelques suggestions pour parachever leurs provisions.

Depuis, la jeune femme apprenait à apprivoiser sa nouvelle vie. Elle rentrait le midi et essayait de se préparer à manger tant bien que mal. Elle avait bien tenté de faire cuire quelque chose mais le résultat était déplorable... Alors elle se contentait de salade et de viande déjà rôtie ou séchée. Le soir, il n'était pas rare qu'elle poursuive ses petites siestes... Car, dès qu'elle se posait une minute, ses yeux se fermaient sans qu'elle ne parvienne à lutter.

Ce jour-là ne fit pas exception et le militaire dû aller jusqu'à leur chambre pour trouver sa compagne. En poussant le pan de bois, les gonds grincèrent et la jeune femme ouvrit ses paupières malgré la fatigue. Elle découvrit alors la silhouette floue de son compagnon sur le seuil de la chambre.

-Bonjour. Dit-elle avec lassitude avant de commencer à se mouvoir pour passer du flanc au dos.

Elle se souvenait très bien de l'avoir déjà vu le matin. Ils avaient pris le petit déjeuner ensemble et elle l'avait embrassé avant qu'il ne parte. Pourtant, elle l'accueillait toujours de cette manière le soir venu. Son regard fut attiré par la lumière qui émanait de la fenêtre. Elle n'avait pas l'habitude qu'il rentre si tôt. Elle revint donc sur lui.

-Déjà là ? Demanda-t-elle, agréablement surprise alors que son esprit se tirait peu à peu du sommeil.

Elle tendit la main dans sa direction, souhaitant l'avoir près d'elle et sentir sa présence, comme pour le rendre plus réel.

Tout doucement, comme s'il avait peur de réveiller la prêtresse qui l'était pourtant déja, Aegden s’approcha de la jeune femme allongée et s’agenouilla à ses côtés. L’une de ses mains vint caresser celle qu’elle tendait. Si c’était principalement la tendresse qui s’affichait sur son visage, Sinieth pouvait sans doute tout de même voir une lueur d’inquiétude dans son regard. Elle semblait toujours si fatiguée… Ce ne pouvait pas être à cause de la guerre, c’était trop lointain désormais. Alors quoi ?

Ses oreilles orientées vers l’arrière se haussèrent à nouveau alors qu’il hocha la tête.

-Tout se porte pour le mieux donc j’ai pu rentrer avant la nuit. Répondit-il simplement sans vraiment détailler.

N’étant pas bon comédien, Aegden savait parfaitement qu’il ne pourrait mettre de côté ce qui le préoccupait alors il ne tourna pas autour du pot. Lorsqu'il avait quelque chose en tête et qu'il ne se trouvait pas dans son rôle de mainyth, cela se voyait tout de suite et il était incapable de s'en détacher. Il se redressa pour venir s'asseoir sur le bord du lit, sans lâcher la main qu'il tenait dans la sienne.

-Est-ce que tu vas bien Nín meleth ? La lueur d’inquiétude se fit un peu plus visible alors qu’il serra la main de sa compagne sans s’en rendre compte. Tu as l’air épuisée depuis quelques temps. Ça m’inquiète.

Il n’avait rien dit jusqu’à présent, considérant que le temps règlerait ce problème. Et lorsqu’ils avaient finalement emménagés il avait cru que la jeune femme allait mieux pour de bon. Constater que ce n’était pas le cas troublait le militaire et ce soir-là il n’avait pu faire autrement que de le constater à haute voix pour une fois.

Oui, il était vrai que la jeune femme était fatiguée ces derniers temps. Seulement, elle ne s'interrogeait pas outre mesure. Mais voir son compagnon s'inquiéter pour elle provoqua un sentiment étrange. Comme une alerte à prendre en compte. Elle serra donc ses doigts à son tour et se mit à réfléchir à toute vitesse pour ne pas le laisser dans cette situation.

-Je suis certaine que ce n'est rien. Mes journées sont fatigantes à tous points de vue. Je marche beaucoup. Mes pensées sont dans une langue et mes mots dans une autre. Je dois adopter un comportement qui ne m'est pas naturel et à la fois me l'approprier. Il est normal que je sois un peu fatiguée en fin de journée.

Elle lui sourit, se voulant rassurante. A ses yeux, son état avait une explication tout ce qu'il y avait de plus logique. Elle vivait beaucoup de changements et devait évoluer volontairement pour s'adapter à un mode de vie totalement éloigné du sien. Son esprit était sollicité constamment et avait besoin de repos pour se ressourcer. Et leur emménagement ne changeait pas la donne pour autant.

-Et je te déconseille d'aller voir comment j'ai plié les serviettes. Ajouta-t-elle d'un air amusé.

Elle avait déjà compris qu'Aegden aimait que son intérieur soit tenu d'une certaine manière, chose qu'elle mettait sur le compte de son côté militaire. Et, vivant avec une femme qui n'avait jamais tenu un balai de sa vie encore quelques jours plus tôt, il devrait faire preuve d'énormément de patience avant qu'elle ne fasse les choses à peu près correctement. Elle avait fait la vaisselle pour la première fois de sa vie. Pour la lessive, elle s'était contentée d'essorer le linge propre et de l'étendre aussi soigneusement que possible. Quant à le ranger, ce n'était certainement pas aussi bien réalisé sur le haut de la pile que sur le bas... Mais elle préférait aborder le sujet avec humour tout en essayant de faire de son mieux afin de s'améliorer. Vivre sans avoir de domestique représentait donc aussi un effort supplémentaire pour elle qu'il ne prenait sans doute pas en compte dans l'évaluation de son état.

A nouveau elle lui confirma aller bien. Il voulait la croire mais une partie de lui ne pouvait s’empêcher de continuer à s’inquiéter malgré tout. Il ne dit rien, hochant à nouveau la tête et caressant de son pouce la main qu’il continuait de serrer. Peut-être qu’avec un peu plus de temps, lorsqu’elle serait habituée à cette vie elle irait mieux.

-Promis je n’irais pas vérifier

Il sourit timidement à sa plaisanterie. Les choses n’étaient pas simples pour elle, il le comprenait parfaitement et sans qu’il puisse y faire grand-chose il savait qu’il n’était parfois pas le plus aidant sur certains des aspects les plus banal d’une vie à deux.

Détestant profondément le moindre désordre que se fut chez lui ou au sein de son environnement de travail, le militaire était parfois capable de réarranger les objets qui passaient à sa portée un nombre de fois considérable. Si ça en amusaient certains, Aegden savait que ce genre de réflexe obsessionnels avait de quoi en agacer plus d’un. D’autant qu’il savait que Sinieth faisait de son mieux et il ne voulait pas qu’elle pense qu’il lui en voudrait à propos de choses si futiles ni qu’il exigeait d’elle des compétences qu’elle n’avait visiblement jamais mises en pratique jusqu’ici.

-Repose toi. Il déposa une douce caresse sur le front de la belle. Je m’occupe de tout ce soir.

Cette fois se sont ces lèvres qui vinrent déposer un chaste baiser sur son front. L’elfe se leva ensuite, s’étirant un peu pour chasser l’engourdissement qui finissait par le gagner.

Il se changea ensuite rapidement, échangeant son armure de cuir et les tissus verts de l’armée contre une tunique toute simple comme il en portait souvent. Il en profita aussi pour laisser libre ses cheveux roux jusque-là strictement noués.

Une fois fait, il descendit sans un bruit au rez-de-chaussé afin de ne plus déranger la jeune femme. Il restait troublé par l’état de cette dernière. Quand bien même disait-elle vrai, cela démontrait à nouveau tout ce qu’elle devait endurer pour vivre au sein de la prime œuvre. C’était le bon choix, Aegden ne pouvait penser le contraire. Jamais l’un ou l’autre n’aurait désormais la force ni même l’envie de faire marche arrière mais l’immense impact de ce choix, qu’il n’avait vraisemblablement pas totalement bien mesuré continuait tout de même d'occuper les pensées du soldat.

Sinieth lui répondit d'un sourire touché et amusé à la fois car elle ne pouvait s'empêcher de se dire qu'il voulait s'assurer de manger chaud et bien cuit. Mais elle ne dit rien et le laissa simplement lui échapper. Elle le regarda se changer avant de retrouver le silence qui baignait la maison à chaque fois qu'il était absent. A la fenêtre un oiseau approcha et fit un peu de surplace avant de se poser à l'entrée de son nid et d'y entrer. Le couple s'était vite aperçu qu'ils avaient un petit voisin. Un passereau qui avait récemment construit son nid juste à côté de leur chambre. Bientôt, il partirait en quête d'une compagne avec qui y vivre et des oisillons viendraient animer le quotidien des deux familles. Un nouveau sourire, plus doux, étira les lèvres de la jeune femme puis elle ferma les yeux, baignée par les chants de ce petit compagnon à plumes.

Au rez-de-chaussée, alors qu'Aegden commençait la préparation du repas, quelques coups furent frappés à la porte. Devant l'entrée attendait une grande silhouette très fine et toute de blanc vêtue. Sa présence attirait le regard des passants mais il semblait les ignorer totalement. Il ne se départissait jamais de son air espiègle et mystérieux. Son menton levé témoignait du fait qu'il assumait parfaitement ce qu'il était : un homme jouant de son androgynie. Un vaani que l'on avait pourtant laissé entrer en Anaëh.
Lorsque la porte s'ouvrit, Andrea reconnut immédiatement le compagnon de sa fille et sourit de plus belle.

-Bonsoir Aegden. Dit-il paisiblement.

Il détailla le jeune homme de la tête au pied, lisant en lui comme dans un livre ouvert. Le militaire qu'il était semblait bien décontracté. Les cheveux détachés, les vêtements confortables... Et puis, un officier qui ne vivait pas à la caserne n'était-il pas un officier qui avait une vie en dehors de son service ? Ainsi donc, il parviendrait sans nul doute à trouver les réponses à ses questions auprès de lui.

-Je m'excuse pour la visite impromptue mais, peut-être pourrez-vous m'aider à éclaircir un mystère. Il marqua une pause avant de l'interroger enfin. Où est ma fille ?

Il avait posé la question en arrivant en ville mais personne ne semblait connaître de Laella-Neassa Siryn. Il avait essayé avec un seul de ses prénoms, sans nom de famille, avec son surnom... Il n'y avait rien à faire : personne ne savait où elle se trouvait. Pourtant, l'administration avait bien des registres avec les adresses de ses habitants pour la répartition des logements ? Il avait bien eu vent de sa présumée mort mais n'y avait pas cru : la guerre n'avait pas encore commencée lorsque la rumeur avait commencé à se répandre et elle allait très bien lorsqu'il l'avait laissée. Alors, il avait utilisé sa dernière carte. Celui qu'il était certain de trouver dans la Capitale, maintenant que la guerre était finie : Aegden.

Il avait à peine allumé un feu dans l’âtre de la cuisine lorsque des coups avaient retentis à la porte. Vu l’heure cela avait étonné l’elfe mais il s’était dit que c’était peut-être un soldat ayant besoin d’il ne savait quoi. Ça arrivait lorsqu’il habitait à la caserne alors ça pouvait bien arriver ici alors il avait vite réagi.

Lorsqu’il avait ouvert la porte sur l’elfe androgyne cependant il eut un moment de totale incompréhension. Il eut l’impression d’halluciner et d’imaginer le visiteur à sa porte. Lorsqu’ils avaient fait leurs adieux à Andrea à Naëlis, ce dernier partait pour Thaar dans l’intention de s’y mettre à l’abris le temps de la guerre. Jamais il n’avait fait mine de partir pour Anaëh et Aegden n’avait aucunement eut vent de sa présence en Alëandir.

-…Bonsoir, se reprit-il finalement après une ou deux seconde sans réagir, le bout de ses oreilles s’agitant vaguement de bas en haut.

Il recula pour laisser l’autre entrer et referma derrière lui machinalement, ne comptant de toute façon pas laisser le père de sa bienaimée dehors. L’incompréhension était double du fait de la question d’Andrea. Aegden n’envisageait pas qu’il ne fut pas au courant des plans qu’avait mené sa compagne. Pour lui il n’y avait aucun doute quant à sa présence dans la petite maison. Pourquoi Andrea parlait-il alors d’un mystère ?

-Sinieth est en haut. Du pouce il désigna l'escalier. Elle se repose mais heu…Un problème ?

Il n’avait encore pas écrit à l’elfe blanc à propos de toute cette nouvelle vie. Non pas qu’il ait oublié sa promesse mais il n’en avait jusqu’ici pas eu le temps. Il espérait que son beau père ne lui en voudrait pas pour cela. Quoi que visiblement il ne les aurait de toute façon pas reçues…

Andrea haussa un sourcil mais aussi les oreilles.

-Sinieth ?

Il savait pertinemment ce que cette association de mots signifiait. Il parlait elfique. Certes pas aussi bien que sa fille qui avait pourtant commencé son apprentissage quelques années après lui mais il se débrouillait très bien. Toutefois, l'ultime question d'Aegden le tira de ses songes et il tourna vers lui un regard un peu égaré mais il se reprit rapidement.

-Non, aucun. Je suis venu quérir l'aide des elfes pour une amie de votre peuple et je me suis dit que j'allais passer voir ma fille dans sa nouvelle vie.

Maintenant qu'il savait qu'il l'avait bel et bien trouvée et qu'elle était là, il laissa son regard s'attarder autour de lui. Il examina la demeure de sa progéniture avec intérêt grandissant. Il tenait à savoir où elle vivait et comment, même s'il n'avait pas le moindre doute quant au fait qu'on la traiterait bien et qu'elle ne manquerait de rien.

-Comment se fait-il qu'elle se repose à cette heure ? A-t-elle été blessée à Naelis ?

Si elle était mal en point, elle ne serait pas chez elle mais dans un Temple. De plus, sa fatigue actuelle ne pouvait pas être le fait des blessures qu'il avait contribué à soigner, cela faisait trop longtemps maintenant... Elle devait en être totalement remise. La première possibilité qu'il avait envisagé était donc celle-ci. Même si les drows n'avaient pas pénétré la cité, il n'était pas impossible qu'elle ait voulu participer aux combats sans être militaire. Elle avait le cœur assez pur et solide pour cela. Mais il pouvait aussi très bien se tromper... Il se tourna donc à moitié vers son gendre, curieux de connaître la réponse.

Aegden ne comprit pas le trouble de son interlocuteur. Peut être avait-il oublié que c'était le nouveau nom choisit par sa fille ? Il ouvrit la bouche pour le lui rappeler mais Andrea eut l'air de revenir à lui et  enchaina.

-Non bien sûr que non. Aegden s'empressa de répondre pour dissiper ce qui semblait être un désastreux début de quiproquo. Elle est saine et sauve, la Mère soit louée. Elle est juste…fatiguée ces derniers temps.

Andrea put observer l’expression de son gendre s’assombrir un peu à cause de l’inquiétude qu’il ne savait pas taire pour de bon. Il était évidemment qu’il ne considérait pas cela à la légère malgré ses paroles rassurantes.

-D’après elle c’est à cause de tous ces changements. C’est beaucoup à encaisser d’un coup.

Un instant Aegden fixa l'elfe blanc, comme hésitant à lui demander quelque chose et puis il se ravisa et sembla passer à autre chose. D’un geste il désigna alors une des assises du salon.

-Installez-vous Andrea, vous êtes ici chez vous. Je vais la prévenir.

Il n’était pas certain qu’elle ait la force, ou l’envie de descendre voir son père, ce qu’Aegden avait encore du mal à concevoir, mais il préférait qu’elle ne se retrouve pas prise au dépourvu si elle décidait de se lever plus tard dans la soirée.

Quand à Andrea, il avait été d’une grande aide ainsi que d’une hospitalité qu’Aegden ne pouvait que rendre. Le soldat était donc sincère dans sa proposition.

Il partit rapidement poser de l’eau sur le feu qu’il avait eu la bonne idée d’allumer avant de filer vers les escaliers et la chambre de la belle endormie. Il toqua doucement à la porte qu’il avait laissé entrouverte avant de se retrouver une nouvelle fois à genoux près de la prêtresse.

-Sinieth ?

Et il se retrouva face à un dilemme…Comment annoncer ça à la jeune femme ? Sinieth pouvais sans doute percevoir son désarroi dans le ton de voix.

-On a de la visite… C’est...ton père. Il avait quelque chose à faire par ici alors il en a profité.

Andrea haussa un sourcil. Fatiguée ? C'était tout ? Cela ne le rassurait pas vraiment. Cependant, il se contenta de hocher la tête et de chercher un siège sur lequel s'asseoir tandis que le militaire allait quérir sa bien-aimée. Il lui aurait bien dit de la laisser tranquille mais cette affaire l'intriguait. Il ne pourrait certes pas utiliser sa magie sans qu'elle le sache mais il avait d'autres moyens de l'examiner sans qu'elle ne s'en rende compte. Et alors qu'Aegden montait les marches, lui prit place dans un fauteuil qui sembla lui convenir.

Sinieth ouvrit faiblement les yeux en entendant frapper à la porte, se demandant pourquoi il venait la réveiller. Le dîner était déjà prêt ? Non, le soleil semblait avoir à peine décliné... Elle regarda son compagnon approcher, fronçant légèrement ses sourcils devant sa mine embarrassée. Et lorsqu'il lui apprit qui attendait en bas, elle comprit aussitôt pourquoi.

-Mon père ?... Répéta-t-elle comme pour intégrer cette notion surréaliste. En plus de six cent ans d'existence, il n'avait encore jamais mis les pieds en Anaëh.

Qu'il la cherche au détour d'un voyage, pourquoi pas... Mais qu'il vienne sur la terre ancestrale des elfes, c'était plus qu'incongru. Il aimait trop les plaisirs d'Arcam pour s'en éloigner si longtemps. Elle avait du mal à concevoir qu'il ait fait tout ce chemin sans une véritable raison et elle tenait à la connaître. Alors, elle se leva sans plus attendre, réarrangea ses cheveux et descendit.
Dans le salon, l'androgyne se leva en distinguant les pans d'une robe qui voletaient dans l'escalier. Il accueillit sa fille avec un sourire radieux.

-Lessie... La mode elfique te va à ravir, ma chérie.
-Que fais-tu là ? Rétorqua-t-elle sèchement, ignorant son compliment. Andrea était coupé dans son élan mais ne perdit pas sa bonne humeur pour autant.
-Eh bien, je te rends visite, comme tu vois...
-Je voulais dire... Que fais-tu en Anaëh ?

L'elfe blanc soupira. Effectivement, ce n'était pas dans ses habitudes. Il ignorait s'il devait se réjouir de voir sa fille à ce point attachée à son nouveau peuple qu'elle en devenait suspicieuse envers les étrangers ou s'il devait s'attrister qu'elle ne fasse toujours pas confiance à son propre père.

-Je suis venu au nom de la Reine de Naelis.
-Tiens dont... Répliqua Sinieth en croisant les bras, plus que sceptique. La Reine t'aurait commandité ? Toi ? J'ignorais que tu étais de son entourage.
-Il y a tant de choses que tu ignores sur moi, mon enfant...
-Et quelle mission t'a-t-elle confiée ?
-Celle de mettre ses enfants à l'abri.

Un silence envahit soudain la pièce. Les enfants de la Reine ? Sous la garde d'Andrea ? C'était une blague ? Mais le proxénète n'en démordit pas et continua.

-A l'origine, je devais seulement les conduire incognito jusqu'à Thaar le temps de la guerre. Mais la route vers Naelis est désormais bloquée et les drows circulent trop librement en Ithri'Vaan. Ils ne sont plus en sécurité en ma demeure et je ne peux les ramener à leur mère. Je suis donc venu demander à ses alliés de leur accorder leur protection.

Il était rare que Sinieth ait vu son père aussi sérieux. Elle ne savait plus quoi répondre à cela... A part peut-être...

-Pourquoi la Reine t'a choisi, toi ?
-Parce que nous nous aimons.
-Et Asgëril ?
-Aussi. Nous l'aimons tous les deux et il nous aime. Je sais que tu n'as jamais pu comprendre ce genre de choses mais c'est ainsi. Nos sentiments sont sincères et nous veillons les uns sur les autres à notre manière. Asgëril est resté auprès de Glinaina et j'ai emporté les enfants avec moi.

La jeune femme resta sceptique. Il semblait sincère mais il avait raison : elle ne comprenait pas. Elle n'avait toujours aimé qu'un seul homme à la fois. Lui aimait sans se soucier du nombre, du sexe ou même de la multitude. Il disait aimer deux personnes à la fois et vivre avec eux une triade. Elle ne voyait pas comment cela était possible. Le silence se prolongeait sans que ni l'un ni l'autre ne le rompe.

Aegden ferma les yeux une demi seconde et soupira discrètement en constatant le poids qui avait envahit l’atmosphère dès que père et fille s’étaient retrouvés face à face. Il avait compris que les choses n’étaient pas faciles entre eux, mais naïvement il avait espéré que la soirée se passe bien au moins au début…

Il ne comprenait pas ce que racontait Andrea d’ailleurs. Pour un taledhel, ce genre de relation n’existait absolument pas. On aimait une personne et celle-ci le rendait ou non, ça s’arrêtait là. Aegden avait cru que l’elfe blanc avait d’ailleurs pris le soldat qui l’avait guidé à travers la ville comme compagnon mais cela était visiblement plus complexe. Bien que cela ne regardait pas l’anedhel, il était tout de même intrigué par certaines des explications du vaani.

Il n’aimait pas cette sensation de marcher sur des œufs en revanche. Il l’avait déjà ressenti lorsque Sinieth était encore convalescente, c’était loin d’être confortable… Il jeta un regard vers la jeune femme, cherchant à évaluer le niveau de tension qu’elle voudrait bien laisser voir et d’un signe de tête et un regard tendre lui demanda d’aller s’asseoir à son tour. Le militaire n’avait aucune idée de comment s’y prendre mais il désirait, si ce n’était trouver une entente durable, que père et fille cohabitent au moins le temps de la soirée.

Dans un rapide allez retour il entreprit de ramener de quoi proposer du thé à tout le monde, n’ayant aucune idée de ce que pouvait bien vouloir d’autre le vaani et il s’installa à son tour dans le salon familial.

-Les enfants d'heri Glinaina seront plus en sécurité ici que n'importe où, c'est un fait qu'on peux difficilement nier.

Il ne disait pas cela parce qu’il était en partie responsable de la sécurité de la cité dans laquelle ils étaient, ce n’était absolument pas de la vantardise mal placée. Il pensait plutôt à l’ambiance générale d’anaëh qui, si elle n’était pas la plus ouverte envers les étrangers, ne comportait au moins pas de risque de voir des eldéens débarquer un jour en quête des fameux enfants.

-J'imagine que si vous n'avez pas put les ramener à cause de la frontière, leur mère n'a pas pu être mise au courant de ce changement de plan ?

Mine de rien, Andrea avait beau avoir des aspects étranges qu'Aegden ne comprenait pas toujours, il semblait sincèrement vouloir protéger ces enfants qui n'étaient probablement pas les siens. Sinieth pouvait probablement lui reprocher nombre de choses, sans doute parfois à juste titre mais ça elle devait bien l'avoir noté elle aussi. Peut-être serait-ce là une piste sur laquelle les réconcilier ?

Ce duel de regards prit fin avec l'intervention d'Aegden qui invita sa compagne à s'asseoir. Le silence se fit pesant le temps qu'il revienne avec le thé. Le militaire devait avoir du mal à reconnaître la jeune femme si douce et bienveillante qui partageait sa vie. Lorsque son père était dans les parages, elle n'était plus la même... La rancœur et la désapprobation perpétuelle l'habitait. Ses yeux n'étaient plus malicieux mais seulement en colère. Une colère contenue depuis des centaines d'année. La colère d'une autre faite sienne... Andrea le savait et demeurait presque paisible malgré tout. Répondre à la colère de son ancienne amante à travers leur fille ne ferait qu'attiser un peu plus les flammes. Et tout ce qu'il souhaitait, c'était se réconcilier avec sa progéniture...

L'androgyne remercia son hôte d'un sourire tandis qu'il lui tendait une tasse de thé.

-Oh non, ils sont ici. Je ne les aurai jamais laissé seuls si loin de moi. Ils sont à... l'hospice. Je suis désolé, j'ai du mal avec ce mot qui signifie autre chose, une fois traduit dans notre langue. Je les ai confié aux bons soins de vos prêtres, le temps de partir à la recherche de Less... Sinieth. Fit-il en plissant légèrement les yeux vers sa fille qui ne l'avait pas mis dans le secret. Leur mère leur manque mais ils sont courageux. Ils sont élevés pour régner un jour...

C'en était presque triste de voir que leur destinée était déjà toute tracée. Cela manquait cruellement de fantaisie. Et même si Glinaina n'en oubliait pas qu'ils n'étaient que des enfants, elle ne pouvait ignorer le fait qu'elle était Reine et qu'ils seraient appelés à lui succéder un jour.

-Et non, Aina n'est en effet pas au courant de ce changement de plan. Si jamais les Taledhels ont un moyen sûr de la contacter, j'aimerais la rassurer sur le fait que nous sommes tous en sécurité. En revanche, notre relation n'est pas de notoriété publique, pour des raisons évidentes. Je vous ai mis dans la confidence car nous sommes de la même famille mais j'apprécierai que cela reste entre nous.

Il jeta un œil sur sa fille qui le fixait sans rien dire. Elle n'était pas tout à fait d'accord avec ce concept de... famille... mais elle n'avait aucun intérêt à en parler, sans compter que cela pourrait nuire à une alliée de sa nouvelle patrie. Elle ne dirait rien, il le savait. Il n'avait que peu de doutes concernant Aegden mais celui-ci jugerait peut-être utile d'en informer d'autres. Une fois qu'il eut recueilli et accepté son avis, Andrea se tourna une nouvelle fois vers Sinieth.

-Tu as l'air sceptique.
-Sur le fait que tu saches t'occuper d'enfants ? C'est peu de le dire.
-Si ta mère m'a privé de toi, j'ai eu d'autres enfants que j'ai pu élever au moins en partie et qui sont devenus des hommes et des femmes très bien. Comptable, marchand, artiste, tailleur...
-Tout est sans doute mieux que de servir Tyra. Coupa-t-elle sèchement. Andrea en fut assez surpris et soupira après une seconde.
-Ce n'est pas parce que les Dieux que nous aimons le plus se détestent que nous devons nous détester aussi... Et puis, tu ne serais pas devenue Prêtresse sans mon intervention.

Sinieth se libéra d'un bref rire de dérision. Ben voyons ! Il allait se donner le mérite de la voie qu'elle avait choisi d'emprunter.

-Ignores-tu donc vraiment qui a fait appel au culte de la Voilée après la disparition de ta mère.
-Laisse-moi deviner. Tu vas avoir le culot de me dire que c'était toi ? Andrea ne répondit rien et se contenta de fixer sa fille qui fut prise d'un nouveau rire plus sarcastique. Elle se tourna vers Aegden. J'en ai assez entendu pour aujourd'hui. Dit-elle avant de se lever et de commença à se diriger vers l'escalier. Mais son père ne l'entendait pas de cette oreille.
-Sais-tu qu'il n'y a eu ni obsèques ni période de deuil après l'annonce de ta disparition ?

Sinieth s'arrêta aussitôt sans pour autant se retourner. Si les deux hommes avaient pu voir son visage, ils y auraient lu la stupéfaction et... le choc.

-Tes bien ont été revendus en quelques jours et tes serviteurs congédiés sans préavis.

La jeune femme ne bougeait plus. Comment était-ce possible ? Sa famille représentait une part importante de sa vie à laquelle elle s'était raccroché toutes ces années. Elle constituait la principale raison qui l'avait fait tant hésiter au moment de se décider à tout quitter pour Aegden et Anaëh. Et ils... avaient tout balayé d'un revers de main. Pourquoi ?... Comment ?...
Andrea se leva à son tour et continua.

-Tu as tellement de sang elfique en toi... Lorsque Maryam est décédée, c'était déjà la troisième génération de ses héritiers qui t'entourait. Tu ne retrouvais déjà plus beaucoup de ses traits en eux... Armahn avait tout prévu pour que tu ne manques jamais de rien en dépit du poids que tu représenterai pour ses descendants. Il marqua une pause, conscient de l'impact de ses mots sur sa fille. Mais il était temps qu'elle ouvre les yeux. Ils savaient qu'ils devraient te verser cette rente à vie... Et tandis qu'eux vieillissaient et mourraient, tu ne prenais pas une ride. Alors pourquoi t'auraient-ils sauvé tandis que tu sombrais ?

Une larme perla sur les joues de la jeune femme. Elle était un poids... L'ancienne génération s'était contentée de ne rien faire. La suivante avait rongé son frein puis avait sauté sur l'occasion de sa mort pour la faire disparaître totalement. Quelque chose devait donc encore les retenir d'agir directement sur elle. Mais qu'aurait fait la suivante ? Ou celle d'après ?
Sinieth se sentit mal et vacilla...

Il hocha la tête lorsqu’Andrea lui demanda de garder le secret de sa relation avec Glinaina. Aegden n’était pas du tout du genre à ébruiter ce genre de chose, pas plus qu’à propager des rumeurs, vraies ou fausses. Il n’aurait rien dit quand bien même l’elfe blanc ne lui aurait pas demandé explicitement.

Lorsque la conversation revint entre le père et la fille, Aegden se tint silencieux. Il écoutait sans savoir comment intervenir pour calmer le jeu. Il n’avait pas l’intention de se mettre à dos sa compagne mais il ne partageait pas sa colère envers l’androgyne. Il n’avait eu que des bribes de ce qui les opposaient jusqu’ici.

Il était triste pour la jeune femme. En grandissant une partie de son enfance et toute son adolescence sans figure paternelle, Aegden s’était rendu compte à quel point la famille était une entité précieuse qu’il fallait garder tant qu’on le pouvait. L’elfe aurait tout donné si cela avait pu ramener ses parents. Sinieth avait été élevée par un autre homme qu’Andrea mais ce dernier restait lui aussi son père. Il trouvait cela triste de la voir si amère envers la seule famille qu’il lui restait.

Il ouvrit la bouche pour protester et leva une main lorsque la prêtresse fit mine de s’en aller mais Andrea le devança. Ses mots étaient durs et plus l’elfe blanc parlait plus ils devenaient durs.

-Ce n’est peut-être pas le… Il se stoppa net avant de s’écrier, Sinieth !

Lorsqu’elle vacilla, le militaire réagit au quart de tour et d’un bond rattrapa la jeune femme avant qu’elle ne tombe au sol. Ses oreilles étaient couchées en arrière à la manière de celles d’un chat. Il jeta un bref regard vers Andrea, lui demandant silencieusement son aide de mage de vie.

-Vous vous expliquerez tous les deux à tête reposée. Fit-il. C’était plus une demande appuyée qu’une proposition qu'ils pouvaient refuser. Il y avait des blessures qu’il fallait impérativement refermer entre eux. Mais pour l’instant Sinieth n’est pas en état de le supporter.

Il passa une main sous les jambes de la jeune femme et la souleva pour la prendre dans ses bras. Il fixa un instant son visage, remarquant ses larmes.

-Cette vie en Ithri vaan est finie. Il ajouta plus doucement dans l'intention de la calmer un peu. Sinieth n’est pas Neassa-Laella. Sinieth est une jeune femme pleine de vie qui n’a pas à s’inquiéter. Elle ne sombrera jamais parce que la famille qu’elle possède maintenant veille sur elle et ne laissera jamais ça arriver.

Si elle ne voulait pas accepter Andrea, elle pouvait au moins comprendre qu’il parlait de lui-même. Il était sa famille désormais. Ces lointains cousins vaanis ne comptaient plus.

Sinieth fut recueillie par des bras désormais bien connus et se laissa blottir contre lui. Oui, elle avait renoncé à cette vie mais elle avait craint attrister son entourage... inutilement. Elle avait hésité des ennéades durant pour des gens qui n'attendaient que cela. C'était blessant et déroutant. Elle avait dû faire son deuil d'une affection à sens unique... La tête dans le creux de l'épaule d'Aegden s'enfonça un peu plus pour y trouver le réconfort du seul amour qu'il restait. Car si elle n'avait déjà plus que lui auparavant, cela lui semblait d'autant plus vrai à présent.

Andrea, de son côté, la regardait d'un air plutôt intrigué après son malaise. Son esprit réfléchissait presque trop à ce qui avait pu provoquer cette réaction qu'il n'avait pas le temps de s'en montrer inquiet. D'autant qu'une intuition lui disait que ce n'était rien. Même s'il n'avait pas eu le loisir de l'élever, il la connaissait et savait tout ce qu'elle avait traversé. C'était une femme forte, capable de refouler ses émotions quand cela s'avérait nécessaire pour prendre le temps de les digérer plus tard. La voir s'écrouler de cette manière ne lui ressemblait pas. Elle semblait... plus émotive qu'à l'accoutumée. Et entendre Aegden dire qu'elle n'était pas en état de supporter son discours l'intriguait.

Cependant, l'androgyne n'était pas insensible à l'état de sa fille et hocha la tête à la requête silencieuse de son gendre. Il était certes un mage de la vie un peu particulier mais il était encore capable de dire si un mal était sévère ou non. Et Sinieth n'ayant jamais été malade, c'était d'autant plus aisé. D'un geste de la main, il l'invita à remonter à l'étage pour l'allonger. Il les suivit sans rien dire, laissant son regard s'attarder sur les deux chambres vides et visiblement délaissées par les maîtres des lieux. Il s'arrêta une seconde sur le lit de bébé, comme si une pensée venait de lui effleurer l'esprit.
Lorsque le militaire eut déposé sa compagne sur leur couche, Andrea vint se poster à ses côtés. La jeune femme sentit la Trame se mouvoir autour d'eux et se laissa faire, bon gré mal gré.

-As-tu d'autres symptômes que la fatigue et l'hyperémotivité ?
-Je te demande pardon ? S'interloqua la nouvelle taledhelle qui était connue pour son grand cœur autant que pour la maîtrise de ses émotions.
-Ma chérie, tu es capable de faire face à un nécromancien qui agite ses marionnettes sans ciller mais tu t'effondres pendant une simple conversation ?

Elle n'avait pas grande chose à rétorquer à cela... Si tous les anedhels étaient horrifiés par l'existence des mages de la mort, c'était encore plus vrai pour une servante de la Voilée. Cela lui faisait mal de l'admettre mais, en tant normal, elle se serait contentée de partir et de prendre l'air pour réfléchir à tout cela. Elle pouvait accuser le coup sans en montrer quoi que ce soit. Cela en allait de sa survie en Ithri'Vaan. Cependant, elle le regardait sans comprendre pourquoi il en parlait comme d'un "symptôme" d'un éventuel mal.

Aegden avait été soulagé de constater que l’un et l’autre avaient obtempéré et laissés leurs griefs de côté pour l’instant. Il ferma les yeux à peine une demie seconde lorsqu'il sentit la jeune femme dans ses bras se détendre. La soirée était plus mouvementée que prévue…

Ils remontèrent finalement à l’étage et le soldat déposa sa bienaimée avec douceur sur le matelas de la seule chambre qu’ils occupaient jusqu’à présent. L’elfe ne percevait pas la magie mais il se douta qu’Andrea avait accepté sa requête et cherchais à savoir pourquoi Sinieth était-elle ainsi.

Il se recula très légèrement pour lui laisser le champ libre d’ailleurs, non sans détacher son regard de la prêtresse allongée. S’il était toujours inquiet, c’était plus diffus que la brusque vague de panique qui l’avais saisi en la voyant s’effondrer. Et puis cette sensation-là, il la connaissait depuis quelques ennéades maintenant... Il répondit d’ailleurs machinalement à la place de l’intéressée.

-Elle était malade sur le bateau si je me souviens bien. Et ça n’a pas toujours l’air d’aller mieux ces derniers temps. On pensait que c'était le voyage au départ...

Aegden fixa Andrea avec un air aussi troublé qu’interrogateur car celui-ci semblais définitivement plus perspicace que le couple. Il avait l’air d’avoir une idée derrière la tête sans qu’Aegden puisse vraiment le jurer.

-Vous pensez à quelque chose Andrea ?

Persuadée que ça n'avait pas spécialement d'intérêt à être évoqué maintenant, Sinieth ne releva pas les yeux vers son compagnon et les détourna. Andrea, de son côté, acheva brièvement sa consultation, les éléments apportés par Aegden lui étirant un discret sourire avant même d'avoir terminé. Il posa ensuite ses mains sur son genou et observa la jeune femme sans se départir de son expression bien heureuse qu'il essayait malgré tout de contenir.

-Oui, en effet. Répondit-il finalement à son gendre avant de commencer à se lever. Et à dire vrai, vous n'avez pas besoin de moins pour établir un diagnostic. Il se dirigea vers la porte tout en continuant. Emotivité... Fatigue... Et nausées matinales.

Sur ces derniers mots, il quitta la pièce sans plus les regarder, les laissant entre eux pour célébrer cette grande nouvelle. Mais, à peine dans le couloir, son sourire s'élargit plus que largement et il s'arrêta une seconde fois devant cette chambre d'enfant inoccupée. Il se plut à l'imaginer avec de nouvelles couleurs, celles déjà présentes étant un peu passées, et bercée par les premiers rires d'un bébé.

Dans la chambre principale, le visage de Sinieth avait changé de couleur. Son regard stupéfait fixait Aegden depuis que son père avait prononcé ses derniers mots. Nausées... matinales ?!! Ce... Ce n'était pas... possible ! Alors, à Naelis... Non, non, c'était impossible ! Et pourtant... Elle en avait tous les signes.

La jeune femme recommença enfin à respirer à travers un sanglot, ses lèvres s'étirant brièvement dans un large sourire avant que la surprise de reprenne sa place sur ses traits. Elle sourit encore et porta une main sur sa bouche, la seconde venant inconsciemment se poser sur le bas de son ventre. De nouvelles larmes coulaient sur ses joues, bien différentes des premières, et elle se mit à pleurer plus encore. Mais, cette fois, de bonheur.

Il eut un instant d’incompréhension à la réponse et au comportement soudain de son interlocuteur et puis tout devint clair alors qu’il partageait le même air que sa compagne. Ses sourcils se haussèrent et il ouvrit la bouche sans pouvoir dire un mot.

-Par la Mère ! Lâcha-il finalement.

Il se rapprocha instantanément de la jeune femme, toujours sous le choc. Il vint tout doucement prendre ses mains dans les siennes qui tremblaient un peu.

-On va avoir un bébé ?! fit-il  à mis voix plus pour essayer de réaliser qu’autre chose. Il se mit à rire nerveusement. Oh nin meleth…Sa main vint sécher quelques larmes de joies qui brouillaient sa visions mais celles-ci furent immédiatement remplacées par d’autres. Je suis tellement heureux…

Ça sonnait irréel. Il peinait à réaliser que c’était bien cela qu’avait voulu dire Andrea mais il n’y avait pas de doute une fois qu’ils réunissaient toutes ces évidences sous leur nez depuis des ennéades.

Kyriä venait de leur offrir le plus beau cadeau qui pouvait exister pour des Anedhels. Et si tôt dans leurs vies… Des couples peinaient à avoir des enfants des siècles durant. Ils avaient une chance inestimable. Une chance qu’Aegden comptait bien chérir de tout son souffle désormais.

Bon sang, il allait devenir père… Aegden n’aurait jamais osé l’espérer. Ça lui donnait un peu le vertige même si pour l’instant c’était la joie qui agitait son souffle. Il s’imaginait difficilement avec un enfant dans les bras, malgré le bonheur que cette vision pouvait apporter. Ses mains vinrent se poser sur les joues de la désormais future mère et il les caressa alors qu’il souriait comme rarement.

- Je suis tellement heureux…lui répéta-t-il comme si les mots lui manquaient. Les mots lui manquaient bel et bien.