Mon petit doigt m'a dit... | Marc-Aurèle & Alicia

Fin de la sixième ennéade
Eté, Karfias 19:XI

Magdeleine sort, les mains chargées de quelques vêtements sales qu'elle va porter aux lingères. J'ai demandé à ce qu'elle me laisse seule. Aujourd'hui, après une bonne quinzaine de jours de convalescence, j'ai enfin pu me lever, m'habiller et marcher. Les prêtres étaient très enthousiastes et positifs, alors moi aussi. J'aurais dû me montrer plus mesurée... A présent, je suis assise sur le banc face à la cheminée éteinte. Je fixe d'un air perdu les deux cannes posées contre la table basse. Mes espoirs ont laissé place à une grande déception. Et lorsque la porte se ferme derrière ma suivante, je laisse enfin une larme silencieuse perler sur ma joue.

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Tandis que Magdeleine avance dans le couloir aux teintes orangées du soleil qui décline à l'horizon, tenant dans ses mains une boule soigneusement refermée de linge blancs, elle croise le chemin du fiancé de sa maîtresse. A son passage, elle s'arrête et le salue en pliant légèrement les genoux et en baissant la tête. Elle se redresse et marque un temps d'arrêt. Elle hésite, quitte à le laisser la dépasser, prenant le temps de la réflexion. Alicia est quelqu'un qui exprime peu ce qu'elle ressent et la suivante l'a déjà entendue évoquer la maladresse de son futur époux à son égard. Elle n'en a pas vraiment parlé mais la domestique est perspicace et a su lire entre les lignes. D'habitude, la famille de la noble infirme est si attentive à son égard qu'elle remarque bien vite quand quelque chose ne va pas. Mais le Seigneur de Terrefière est loin de la connaître aussi bien qu'eux... Et il a bien des préoccupations.

Alors...

-Mon Seigneur ? L'interpelle-t-elle, encore un peu hésitante. Mais maintenant qu'elle est lancée... Si vous avez une minute... C'est à propos de Dame Alicia.

Elle attend son accord. S'il ne se rapproche pas, elle le fera pour lui, conservant une distance plus que respectable avec un homme dont le statut est bien plus élevé que le sien, ne serait-ce que par la couleur de son sang. Ainsi a-t-elle été éduquée parmi les de Terresang.

-Madame n'est pas du genre à se plaindre... Alors mon rôle est parfois de signaler à ses proches quand quelque chose ne va pas. Mais puisque c'est à vous de veiller sur elle en l'absence de sa famille et que vous êtes fiancés... Elle marque un temps de silence, avant de reprendre, un peu plus déterminée. Voilà. Lorsque j'ai intégré le service de Dame Alicia, c'était juste après son accident, comme elle l'appelle. Elle avait onze ans. Elle ne disait rien mais à son regard tous les matins, je savais qu'elle avait fait des cauchemars à cause de ce qui lui était arrivé. Et... Depuis sa chute, elle a le même regard.

Elle marque une pause, pas tout à fait certaine d'avoir bien fait de lui en parler. Mais si elle est loyale envers sa maîtresse, cela signifie parfois s'adresser aux personnes qui peuvent lui faire du bien afin qu'elles lui viennent en aide. Et elle sait l'attention qu'Alicia porte à Marc-Aurèle. Il est son principal centre d'intérêt depuis leurs fiançailles.

-Elle ne m'en parlera pas à moi mais peut-être qu'à vous elle s'ouvrira un peu plus... SI vous voulez bien... Évitez simplement de lui dire que cela vient de moi ou elle fera davantage attention à ses réactions en ma présence aussi.

Réquisitions… Justice… Impôts… Taxes… L’esprit de Marc-Aurèle raisonnait des décisions qu’il devait prendre jour après jour, à chaque instant, dès le lever du soleil et jusqu’à-ce que celui-ci ne se couche, sous la bénédiction de La Mère. Les réquisitoires se suivent mais ne se ressemblent pas. Les demandes de justice, s’enchaînent, et avec elles, viennent les arrêtés Comtaux et toutes les autres paperasses administratives qui nécessitent l’apposition du sceau royal.

Blé, orge, son, avoine, foin pour les chevaux, bières pour les Hommes, laitues, tomates, haricots… Des vivres, des produits frais, récoltés plus ou moins difficilement sur les terres peu hospitalières du Comté d’Arétria, et qui, par conséquent, doivent être surveillés comme le serait l’huile sur un feu de cuisson. Les Arétans devaient manger à leurs faims, ils devaient boire sans craindre la maladie, ils devaient pouvoir se reposer sans craindre de ne point se réveiller le lendemain, tués par la famine, affaiblis par la disette. Lorsqu’il n’était pas en train de gérer le Comté d’un point de vue décisionnel, exécutif, il le faisait d’un point de vue agricole et social, économique et tourné vers l’avenir. Concernant l’avenir, les ordres du Comte d’Arétria étaient clairs… Il fallait de la paix, de la stabilité, de la justice, et de la sécurité.

Les journées sont donc très longues, et malheureusement pour Marc-Aurèle, avoir sa promise alitée suite à un accident ô combien grave, n’était point source de dispense, ni source de passe-droit. Il n’y avait personne d’autre que lui pour faire ce pour quoi le Comte… En son for intérieur, il priait pour que La Mère favorise le retour de Magnus et que celui-ci reprenne sa place légitime. Le petit seigneur d’un petit bourg n’avait jamais eu aucune ambition politique d’aucune sorte, sinon celle de faire le bien pour les siens, et ceux de son peuple. Jamais il n’avait désiré être marié, jamais il n’avait voulu être Premier Conseiller, jamais il n’avait jamais voulu devenir Régent… Et encore moins Comte.

Il était tout à sa prière intérieure lorsqu’une voix l’interpela. Prit dans sa ferveur religieuse, Marc-Aurèle cru d’abord, durant un bref instant, qu’il s’agissait d’une hallucination auditive, comme ces fois où l’on à l’impression que l’on nous appelle, sans que ce soit réellement le cas. Mais la curiosité le poussa à se retourner, et c’est là qu’il vit – parce qu’il ne lui avait pas fait attention tout à l’heure – Magdeleine, la fidèle servante d’Alicia. Cette dernière l’avait effectivement interpellé, et il fallut deux bonnes secondes pour que le Régent reprenne pleinement possession de ses moyens.

Sans rien dire, il approcha. Sans rien dire, il écouta. Sans rien dire, il mesura chaque syllabe et le message renfermé derrière ces mots prononcés avec gravité. Il comprit que ce énième accident était peut-être celui de trop pour Alicia, et que cette dernière s’enfonçait dans un était psychologique peu positif pour elle, sans aucun doute.

« Et comment aviez-vous fait, à l’époque ? Y avait-il un remède ? »

-Si seulement... Laisse échapper Magdeleine en baissant la tête, comme si elle se parlait surtout à elle-même.

S'il suffisait d'un remède... La loyale servante l'aurait administré et ils ne seraient pas en train d'en parler. Ce ne serait même pas un problème à vrai dire. Elle ne sait même pas de quoi rêve sa maîtresse exactement. Sans doute des bribes de souvenirs de sa chute lui sont-ils revenus et elle a dû avoir sacrément peur pour sa vie en se voyant dégringoler les marches. Cela peut suffire à quelqu'un qui a déjà autant souffert qu'elle.
La jeune femme se redresse pour faire de nouveau face au Seigneur.

-Dame Alicia est quelqu'un de sensible mais aussi de très fort. Elle est capable d'endurer beaucoup de choses sans piper mot. Elle ne parlait pas de ses cauchemars à l'époque... Mais elle était très entourée et a été éloignée de tout danger. Je ne saurais dire si tout ce qui a été fait était une bonne chose... Ça a fini par passer avec le temps. Elle prend un instant de réflexion puis reprend, semblant se rappeler de quelque chose. C'est à cette époque aussi qu'elle s'est plongée dans la musique. Cela lui libérait sans doute l'esprit. Peut-être qu'elle a simplement besoin de se changer les idées ?

Elle ne peut hélas que supposer. Alicia est quelqu'un de fier qui ne montre pas ses faiblesses. Oh, bien sûr, elle est jeune et les enjeux sont minimes donc elle ne les cache pas aussi bien qu'elle le voudrait. Il suffit de la connaître un peu et de prêter attention à son attitude pour savoir quand quelque chose ne va pas. Mais puisqu'elle n'en parle jamais, comment savoir comment faire pour l'aider à aller mieux ?

-Les prêtres sont venus la lever dans la matinée. J'aurais pensé qu'elle serait allé prendre un peu l'air mais elle n'est pas sortie. Elle ne m'a pas non plus demandé de lui apporter l'un de ses instruments ou quelque chose pour passer le temps. Je lui ai demandé si tout allait bien, elle m'a répondu que oui. Je n'ai pas insisté...

Ce n'est pas son rôle. Si sa maîtresse la refoule, elle n'a pas à revenir à la charge. Mais en parlant de tout ceci au Seigneur de Terrefière, elle espère le sensibiliser à la question afin qu'il tente sa chance lui aussi. Elle sait mieux que quiconque l'intérêt qu'Alicia lui porte car elle a pu observer son humeur changer du tout au tout après l'avoir vu ou lui avoir parlé. Il est important à ses yeux et la moindre marque d'attention de sa part la touchera certainement.

Une étrange sensation commença à poindre dans l’esprit du petit seigneur Marc-Aurèle. Une sensation de colère, une sensation de ras-le-bol, une sensation d’incompréhension… Une sensation d’abandon. Il voulait tout abandonner. La régence, la noblesse, le conseil, les épousailles, il voulait tout abandonner, pour n’être plus qu’un chevalier avec de petites terres, terres dont il pourrait faire les semailles, les récoltes et les labours. Il voulait être loin de tout cela…

Pourquoi La Mère avait-elle fait de lui l’être qu’il était ? Pourquoi Magnus avait voulu que ce soit lui, le futur époux de sa sœur ? Le régent de son Comté ? Pourquoi ? Alors que, pourtant, le vieux Comte savait ô combien il était difficile pour Marc-Aurèle d’être loin de ses terres, et d’être ainsi retenu captif, d’une certaine manière. Aimait-il la torture ? Aimait-il le pouvoir ? Aimait-il dire à autrui ce qu’autrui devait faire ? En tout temps et en tout lieu ?

Cela commençait à faire trop pour Marc-Aurèle… Sa régence était trop prenante, ses missions trop éreintantes, ses responsabilités trop développées… Et maintenant, il lui fallait également gérer, ou plutôt composer, avec la psychologie et les traumatismes d’une femme qui allait être son épouse, d’un mariage imposé ? Cela commençait à faire trop…

Alors, il souffla. Ses deux grandes et épaisses pognes, devenues trop douces par le manque de pratique manuelle, se posèrent sur ses hanches, et sa tête s’abaissa. Ses épaules se voutèrent, et ses cheveux tombèrent, comme tombe une cascade, sur le devant de son crâne, masquant complètement son visage. Ainsi masqué, caché, le régent posa son index et son pouce droit sur chacun de ses yeux, les massant doucement comme pour en extraire toute la fatigue. Mais cela était évidemment bien inutile.

Alors, il releva sa tête, repoussant tous ses cheveux vers l’arrière en un jet depuis longtemps maîtrisé, et, gardant sa position d’homme épuisé, il avisa son vis-à-vis.

« Et que conseillez-vous de faire, vous qui la connaissez si bien ? » Demanda-t-il, le ton légèrement éreinté et agacé. « Que puis-je faire pour apaiser ma Dame, ou qui puis-je trouver ? »

Puisse La Mère lui trouver une solution rapidement, avant qu’il n’en puisse tout simplement plus.

Magdeleine voit la réaction du Seigneur de Terrefière et elle reste un instant interdite face à ses questions. Non pas qu'elles le surprennent, elles sont tout à fait légitimes et naturelles. Cependant, elle pensait qu'il se montrerait au minimum soucieux ou, au pire, indifférent quant à la situation dans laquelle se trouve sa fiancée. Mais ce qu'elle lui dit semble profondément l'agacer. Cela signifie que la situation l'affecte, certes, mais pas dans le sans auquel elle s'y serait attendu. Elle n'avait pas envisagé cette possibilité. Mais peut-être est-il fatigué aussi ? Comme le Seigneur Magnus ? Ce dernier se tue à la tâche jour et nuit pour son Comté. Marc-Aurèle n'était pas destiné à emprunter la même voie. Alors, la jeune servante finit par se reprendre et répond au noble sur un ton plus doux.

-Peut-être... Quelque chose qui vous ferait du bien à vous aussi ? Suggéra-t-elle presque timidement, comme si elle redoutait un peu sa réaction devant ce conseil à moitié dissimulé. Elle a juste besoin de sortir de son marasme et son principal centre d'intérêt ces derniers temps, c'est vous... Montrez-lui ce que vous aimez ?

Magdeleine connaît bien sa maîtresse malgré tout. Découvrir un petit bout de la vie de son futur époux, quelque chose de personnel, cela la toucherait tellement... Elle pourrait en oublier ce qui la tourmente ces derniers temps. La servante ne soupçonne même pas ce qui la perturbe tant mais, une chose est certaine : elle est tout à fait capable de le surmonter, avec un peu de temps Ce geste qu'elle propose à Marc-Aurèle n'est qu'un petit coup de pouce.

-Et je crois que cela vous fera du bien aussi... Si je puis me permettre cette remarque. Vous avez l'air exténué.

Marc-Aurèle était, en effet, exténué. Exténuer comme il ne l’avait jamais été. A côté, réaliser les récoltes, bêcher un champ complet, semer les graines sur des hectares et des hectares, labourer ses terres durant des jours… Tout cela, et même guerroyer, étaient bien moins éreintant qu’une seule journée, assis derrière le bureau Comtal, à réaliser l’œuvre d’un Comte.

Sans doute est-ce là une épreuve imposée par la Damedieu ? La Mère était-elle derrière tout ceci ? Car, de toutes celles et de tous ceux qui désireraient devenir Comte, qui convoiteraient le trône Comtal, de tous ceux qui cherchent la gloire, la renommée et le pouvoir… Pourquoi avait-il fallu qu’un tel fardeau échoue sur les épaules du seul serviteur qui n’en avait jamais voulu autant ?

Et le mariage… Le mariage… Une chose que Marc-Aurèle n’avait jamais voulu non plus. Bien qu’il se soit toujours douté qu’une telle épreuve arriverait un jour, il ne le désirait pas plus que cela.

« Hum.. » Souffla-t-il, grondant du fond de sa gorge comme le ferait le sanglier flairant le danger. « Bien. »

Il n’eut aucun autre mot pour la très fidèle et serviable servante de sa douce promise. A la place, il s’éloigna, et, au lieu de se rendre là où il le devait, il prit la direction de la chambrée de sa promise. Arrivant enfin à la hauteur de la porte, le Régent… Temporisa. Il prit plusieurs profondes inspirations, comme le ferait un champion au seuil de sa toile de tente, avant de se jeter dans l’arène. Finalement, il leva son poing, fermé pour l’occasion, et frappa trois fois à la porte.

« C’est moi… » Dit-il, sobrement.

Magdeleine laisse le Seigneur s'éloigner sans plus rien ajouter ni chercher à le retenir. Vu sa réaction, elle se demande si c'était une bonne idée de lui en parler... Il n'a pas l'air de bonne humeur... Il n'est ni inquiet, ni indifférent concernant la problématique de sa fiancée, il a plutôt l'air agacé. Et fatigué aussi. Peut-être est-ce pour cela qu'Alicia ne s'ouvre pas à lui ?... Elle est secrète avec tout le monde concernant ses sentiments mais, avec lui, plus encore apparemment. Et elle commence à se demander s'il n'y a pas une raison à cela qu'elle-même n'a pas décelé.

Trop tard. Elle ne peut pas revenir en arrière. Alors, après avoir lâché un soupir, elle fait elle aussi volte-face et reprend la direction de la lingerie pour déposer ces draps sales qu'elle a toujours dans ses bras.

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Je n'ai pas entendu les pas -pourtant peu discrets- qui sont venus jusqu'à ma porte. Aussi, quand quelques coups résonnent sur le bois, je relève la tête, un peu surprise. Puis j'entends la voix de Marc-Aurèle et je cherche aussitôt à me reprendre. J'essuie rapidement les quelques larmes silencieuses qui ont coulé sur mes joues puis, prenant appui sur l'accoudoir du banc, je me lève et je pivote légèrement afin de faire face à la porte. Je l'autorise à entrer, et je l'accueille avec un sourire qui se veut paisible, quoi qu'un brin forcé. J'ai les mains jointes devant moi dans une posture détendue, comme si je ne faisais rien de particulier avant son arrivée.

-Bonjour. Je ne m'attendais pas à te voir si tôt.

C'est vrai que, d'ordinaire, il ne passe qu'une fois sa journée terminée -ou qu'il a décidé qu'il en avait assez fait-, ce qui n'arrive que rarement avant que le soleil n'ait sérieusement décliné. Nous dînons assez tard à cause de cela d'ailleurs mais je ne m'en plains pas. J'essaie le plus souvent de lui changer les idées durant nos soirées, même si les passe-temps auxquels j'ai accès ne sont pas nécessairement les siens. Sans doute a-t-il davantage cherché à me faire plaisir qu'autre chose.

-Tu as déjà fini ?

Je lui sers des banalités mais je n'ai pas beaucoup mieux à ma disposition... Je ne sais même pas pourquoi il est venu si tôt. D'habitude, nous nous voyons rarement avant le dîner. Et je me demande si le temps qu'il m'accorde est vraiment du repos pour lui. J'attends toujours cet enthousiasme qu'il m'a promis concernant notre union, sans pour autant chercher à lui mettre la pression car je sais que ce serait contre productif. Je me contente d'être patiente et j'essaie de ne pas envahir son espace plus que nécessaire ou plus qu'il ne le souhaite. C'est pourquoi je vais rarement vers lui... Au pire, je lui fais savoir que nous avons un sujet ou deux à voir ensemble mais j'attends toujours que ce soit lui qui vienne, lorsqu'il s'en sent l'humeur.
Mais, pour l'instant, j'attends simplement qu'il réponde à ma question, priant pour que mes yeux ne trahissent pas les quelques larmes que j'ai versé et qu'il ne s'interroge pas sur la présence de deux cannes contre la table basse. Je préfèrerai parler d'autre chose.

Le Régent attendait, derrière la porte. En des instants comme celui-ci, aucun rôle, aucun titre, ne pouvait forcer qui que ce soit à accepter d’ouvrir la porte d’une chambrée, sinon sous la menace d’une arme. Dans l’histoire de la Péninsule, combien de nobles, combien de riches commerçants, combien de suzerains et combien de vassaux, furent arrêtés, enlevés ou tués, par une troupe en arme enfonçant une porte privée ? A l’inverse, combien d’entre eux furent stoppés devant telles portes de bois, lorsqu’armés de bonnes intentions, ou d’idées pacifiques, ils ne furent point autorisés à entrer ?

Mais pour Marc-Aurèle, l’autorisation vint bien vitre. Entrant, le Régent, quelque peu anxieux, prit le temps de refermer la lourde bobinette, de sorte d’échapper un peu encore au regard de sa promise. Un petit peu seulement. Car bien vite, son regard dû se relever, et il la vit, splendide comme le jour, mais triste comme la pleine lune au beau milieu d’une trop longue nuit, lors d’un trop long hiver. Les sentiments, naissants, n’étaient pas encore assez forts pour que l’idée du mariage soit encore satisfaisante… Mais naissants, ils étaient.

Finalement, il s’approcha de quelques pas. A sa droite, à quelques enjambées, se trouve le lit d’Alicia. Sitôt, il sentit ses yeux se creuser, ses cernes s’agrandir, sa fatigue lui éteindre le cerveau. Las, la voix basse, il lui dit :

« Je suis épuisé… » Son ton était à la fois las, mais aussi, il revêtait une pointe d’autorité. Une autorité qui allait introduire ce qu’il allait demander ensuite à Alicia. « Je te veux près de moi. »

En deux ou trois pas, il s’approche du côté droit du lit. D’un geste de la main, il soulève les soieries et draperies chaudes, pour découvrir un littré frais. En deux temps, trois mouvements, il retire ses bottes de cuir, se départit de son épaisse tunique tannée – car celles de soie ou de velours font trop chiches pour lui – et se retrouve ainsi en pantalon et en chemise de lin. Ni une ni deux… Il s’allonge… Et il ouvre son bras droit, telle une invitation.

« Viens. S’il te plait… »

Il avait besoin de dormir, sans avoir la tête pleines de pensées juste avant…

La haute silhouette de Marc-Aurèle apparaît mais je n'arrive pas à me réjouir de sa visite. Ses épaules sont basses, son pas lourd, ses traits creusés. Je note son regard en direction de ma couche et j'ai l'impression que tout le poids de ces derniers jours devient soudainement plus difficile à porter. Lorsque sa voix résonne, mon sourire de convenance disparaît pour un air certes contrit mais sincère. Je suis si désolée qu'il doive endurer tout cela. Et j'aimerais pouvoir l'aider. J'allais lever ma main dans sa direction dans un geste réconfortant mais il reprend la parole.
Ses mots suivants provoquent en moi des sentiments mitigés. "Près de lui" ? Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. C'est la première fois qu'il me dit une chose pareille. Qu'il exprime une pensée telle que celle-ci. Il n'a jamais montré le moindre sentiment à mon égard si bien que j'ai sans cesse l'impression de n'être qu'une charge supplémentaire pour lui. Mais pourquoi ai-je l'impression qu'il ne parle pas de notre avenir ?...

Sans attendre, Marc-Aurèle se rend jusqu'à mon lit. Mais que fait-il ?! Il se couche ?!! Je le regarde faire sans être capable de l'arrêter tant je suis abasourdie par son audace. Et lorsqu'il me demande de le rejoindre, je ne sais plus ce que je dois faire. Nous ne devrions pas partager la même chambre avant notre mariage. J'ignore ce qu'est la vie d'un couple et comment on fait les enfants mais si on parle de "nuit" de noces et que l'on a élargi mon lit, ce n'est pas pour rien... Alors j'hésite. Mais j'observe le regard de mon fiancé et je le sens si mal en point que je me laisse convaincre.
Je baisse finalement les yeux et je trouve les cannes. Mes béquilles sont trop loin et Marc-Aurèle est déjà installé... Alors... Je me baisse... Et je les prends. Chacune dans une main, je me mets en marche d'une façon que mon futur époux n'avait encore jamais vue. Mais je déteste cela... Mes jambes se plient mais mon pas est fragile, mon dos voûté, mes bras tremblants avant même d'atteindre le lit... J'ai l'impression d'être une dame âgée ayant perdu à la fois sa forme physique et ses capacités mentales.

Une fois à la hauteur du lit, je m'assois sur les draps ouverts et je me défais bien vite de ces horribles cannes en les posant par terre pour ne plus les voir. Je retire mes souliers d'un rapide mouvement puis j'écarte un peu plus les couvertures afin de pouvoir m'allonger plus facilement. Se faisant, je cache mes jambes autant que possible sous mes jupons. Mes tibias brisés ne sont pas des plus élégants... Enfin, je me couche, tirant un pan de couverture vers moi pour m'en abriter. Je me tourne vers Marc-Aurèle et vois son bras toujours tendu. Il souhaite que je m'approche ? Un peu hésitante, je pivote pour me mettre sur le côté. Ce n'est pas une tâche facile... Alors aller jusqu'à lui...

-J'ai bien peur... que ce soit à toi de t'approcher. Lui dis-je avec un sourire à la fois gêné et contrit.

Que sommes-nous en train de faire ?... Je n'y vois pas de mal, mais qu'est-ce que j'en sais ?

A ce moment-là, Marc-Aurèle s’abandonnait presque à lui-même. L’on aurait pu enfoncer la porte à grands renforts de haches, et lui planter une épée dans le ventre, qu’il n’entendrait rien, ni ne pourrait faire quoi que ce soit. Ses forces l’abandonnaient presque, son esprit s’en allait déjà pour rejoindre le monde des rêves, un monde plus doux…

Jusqu’à-ce que la voix d’Alicia ne se fasse entendre, à nouveau. Elle ne pouvait point aller plus loin, s’approcher plus, c’était à lui de devoir le faire. Ouvrant ses yeux à grandes peines, le régent battit des cils, comme pour reprendre contenance. Doucement, il s’appuya sur les coudes, mouvant ainsi son bassin, puis ses épaules, puis ses pieds, puis à nouveau son bassin, ses épaules, et ses pieds, de sorte qu’il s’approche doucement de sa promise comme le ferait le crabe en dehors de l’eau. Lorsqu’il sentit la peau chaude de sa promise, il se laissa choir, son poids, sa carrure, faisant s’enfoncer le lit avant que celui-ci ne fasse rebond. Une fois allongé à nouveau, le régent ouvrit encore une fois son bras, de sorte que la tête d’Alicia soit ainsi enchâssée au creux du bras du Régent… Avant que ce dernier ne l’aide à se mettre sur son côté gauche à elle. De cette manière, Alicia se retrouvait avec sa tête blottie contre la poitrine du régent, une main sur son abdomen, un oreiller pour combler les appuis.

Là… Marc-Aurèle sembla comme disparaître. Ses poumons se vidèrent de tout l’air d’angoisse qu’il avait accumulé depuis des ennéades. A mesure qu’il vidait ses poumons, son corps s’enfonçait dans le matelas de plumes, et son cœur, qui battait la chamade, se mit à ralentir presque brutalement. Ses muscles se mirent à se détendre, et tout son corps semblait alors être désarticuler. Tous les points de tensions disparurent. C’est là qu’il sentit son esprit suffisamment apaisé… Pour parler.

« Ton frère… Mon suzerain… Magnus… » Commence-t-il, bredouillant un peu, avant de prendre de l’assurance. « Qu’il revienne vite. Je n’en peux plus. Cette tâche est bien trop grande pour moi. Je n’en veux pas. Par La Mère, je suis un chevalier, et un petit vassal ! Pas un régent, ni un Comte ! Qu’a-t-il eu en tête pour décider de me nommer… Nous sommes si loin dans l’échelle de succession, toi et moi… Et puis, si un malheur devait arriver, je refuserais cette place ! Par La Mère, je refuserais tout net ! Il faut que nous rentrions chez nous… Les miens ont besoin de moi, l’Automne approche… Il faut finir les moissons tardives, rentrer le foin et la paille, labourer les champs pour les préparer à l’hiver… Notre demeure doit être réagencée… Et puis, Magnus à ordonné que les petits bourgs soient protégés par des palissades, des défenses… Il faut quelqu’un pour préparer tout ça… Je n’en peux plus, Alicia… »

Je n'avais pas vu qu'il s'endormait... Ou je n'aurais rien dit et l'aurait simplement laissé se plonger dans le sommeil. Je ne le comprends que lorsque je vois ses paupières se rouvrirent péniblement alors que je lui demande de faire ce que je suis incapable de faire... Et il s'exécute, sans un mot. Le lit est large et il lui faut quelques manœuvres avant d'arriver jusqu'à moi.
Cette proximité me met assez mal à l'aise parce que je n'y suis pas habituée. Les Terresang sont unis mais nobles. Les fois où nous nous sommes enlacés sont fort rares. Thorus est l'homme qui m'a le plus prise dans ses bras, dans un geste à la fois fraternel et paternel, notamment cet hiver avec tous ces décès dans notre famille... L'étreinte que Marc-Aurèle me conduit à avoir avec lui est différente. Nous sommes allongés, sous les draps. Ma tête est soigneusement logée dans le creux de son épaule. Je sens son odeur. J'entends son cœur battre sous mon oreille. Sa chaleur m'enveloppe. C'est très intime comme situation.

Ainsi blottie contre lui, j'ai l'impression d'être une brindille dans les bras d'un puissant chêne. Je me sens fragile et à la fois... à l'abri. Je le sens s'apaiser et se détendre et j'étire un discret sourire, comme s'il pouvait me surprendre... S'il me voulait à ses côtés, ce n'était pas pour plus tard. C'était tout de suite. Il avait besoin de moi pour s'apaiser... Et j'en suis touchée. C'est une marque de confiance, mais pas seulement. En cet instant, il ne me considère pas comme la sœur et nièce adoptive de son suzerain. Je ne suis pas non plus la fiancée qu'on lui a imposée. Il ne voit que moi... Moi... Et seulement moi... Je croyais qu'il ne me verrait toujours que comme une intruse dans sa vie mais il vient de me montrer que j'ai déjà ma place à ses côtés, que je lui apporte déjà quelque chose... Non pas pour ses terres ou ses gens, mais pour lui.
Sans bouger ni rien dire, je l'écoute s'épancher de ce poids qui lui pèse tant sur les épaules et ses paroles provoquent en moi des sentiments mitigés. D'abord, j'éprouve de l'empathie. La tâche qu'on lui a confié est bien trop ardue à ses yeux. Magnus se ruine la santé depuis trop longtemps... J'ignore comment font les autres Barons, Comtes et Marquis pour parvenir à gérer leurs terres des années durant. Il semble y avoir trop à faire pour un seul homme en Arétria.
Et puis, Marc-Aurèle a des mots qui me font chavirer le cœur...

Chez nous...
Notre demeure...

Cela lui ait venu le plus naturellement du monde. Je me retiens d'exprimer ma joie, ce n'est nullement le moment. Mon fiancé est au plus mal, trop de choses lui pèsent, trop de pensées le préoccupent. Sa seule charge de Régent est excédentaire pour lui et son absence de Terrefière est plus que présente dans son esprit.

-Je te proposerai bien de rentrer pour avancer certains de ces sujets... mais je ne veux pas te laisser seul ici.

Je ne connais rien aux moissons, aux laboures ni aux palissades mais je peux me faire aider, prendre quelques décisions mineures, étudier cet agencement de la maison qu'il a évoqué mais dont il n'a jamais parlé jusque là. Je suppose que c'est en lien avec mes difficultés pour me déplacer... Avec la famille que nous sommes censés fonder après notre mariage... Et puis, je pourrais en rendre compte à Marc-Aurèle afin que son esprit soit déchargé de ces tracas. Mais ce qu'il se passe ici l'épuise et ternit dangereusement son moral. Je veux rester afin de veiller sur lui. J'en oublie mes propres problèmes et les larmes de déception que je versais tout à l'heure à cause de ces affreuses cannes qui me permettent de marcher mais qui détruisent le peu de dignité que je peux encore arborer.

-Je t'ai proposé d'utiliser mes services mais tu ne l'as pas fait. Tu ne peux plus utiliser ma convalescence comme excuse désormais... Lui dis-je gentiment, faisant en sorte qu'il ne prenne pas mes paroles pour une accusation. Loin de moi le désir de l'accabler davantage. Et il ne sert plus à rien de travailler à l'organisation du mariage si nous devons le faire en hâte. Ma robe est déjà prête. La liste des invités est caduque. Quant au menu et à la décoration des lieux... Une cérémonie toute simple à Terrefière, parmi tes gens, me suffira amplement. C'était le projet que je voulais te soumettre à ton retour de Fernel... Avant que Magnus ne me fasse comprendre qu'il voulait faire un grand mariage. Donc... Je suis totalement disponible.

A quoi bon réfléchir aux fleurs et aux tentures si nous ne nous marions plus au Temple ? A quoi bon penser à un menu si les moyens du bords suffisent ? La liste des invités est juste bonne à jeter au feu, de même que le modèle des cartons d'invitation. C'était bien la peine d'y passer autant de temps... A présent, je peux revenir à mes premières idées, celles qui me sont venues lorsque la premier mission de Marc-Aurèle. Ma famille ne sera peut-être même pas là... Ce serait mon seul regret concernant nos noces. Tout le reste de ce qui constituait un mariage comtal, je n'en ai que faire.
Avec douceur, je décolle ma tête du buste de mon fiancé et je lève enfin les yeux afin de trouver les siens. Mon visage ne s'est jamais trouvé aussi près du sien. C'est étrange de l'observer sous cet angle. Il m'a soudainement l'air moins impressionnant car je suis presque à sa hauteur.

-Si Magnus m'a envoyée à Lün avec toi, c'est qu'il estime que je suis capable de te seconder. Laisse-moi t'aider, s'il-te-plaît.

Je le supplie presque. Il est au bord du précipice et je ne veux pas le voir sombrer. J'ai encore moins d'expérience que lui dans ce genre d'affaires mais je suis déterminée à lui prêter main forte du mieux que je le pourrais. Je lui ai déjà proposé de faire quelques tâches simples qui lui feraient gagner du temps : il n'aurait plus que les décisions à prendre. Je peux même me charger de formuler des réponses qu'il n'aurait plus qu'à signer. Je peux jouer les scribes ou les secrétaires qui lui mâche une partie de son travail afin de le soulager. Et il est arrivé à un tel point d'épuisement physique et moral que je n'accepterai pas qu'il refuse mon aide. Je lui demande son aval par pure forme et en espérant qu'il accueillera ma proposition avec un certain optimisme mais, s'il me dit non, je trouverai malgré tout un moyen de lui faciliter les choses.

Marc-Aurèle ainsi rapproché, la chaleur de sa douce promise le rassura bien plus encore qu’une épaisse armure sur un champ de bataille. De chaleur humaine, c’était ce dont il avait besoin à ces heures sombres. De lâcher prise plus encore ! De lâcher prise, afin de ne plus être le chef, le régent, le décideur et l’époux. Il voulait n’être qu’un être humain… Un être humain épuisé, tourmenté, qui n’avait besoin que d’une ancre solide pour amarrer son navire sur un océan tourmenté.

Alors que ses prunelles peinaient à demeurer ouvertes, alors que ses cils battaient par épisodes sagaces, une très petite larme se mit à perler à la commissure externe de ses yeux. Des larmes de fatigues davantage que des larmes de tristesse. Garder les yeux ouverts devenait une véritable torture.

« D’accord, d’accord… »Soupira-t-il, s’enfonçant plus encore dans le lit, à mesure que l’air quittait ses poumons. « Tu… Tu liras le courrier quotidien, le courrier des vassaux, et celui des doléances. Et… Nous… Nous nous entretiendrons chaque soir, afin de planifier les réponses du lendemain. Mais… Avant… Avant… Il… Dormir… Dormir… »

Il s’enfonçait dans un sommeil qu’il espérait plus réparateur que les précédents.

Pauvre Marc-Aurèle. J'obtiens enfin de lui l'autorisation de l'aider tandis qu'il lutte contre un sommeil qui ne tarde pas à l'emporter sous mes yeux. J'imagine qu'un homme aussi fort que lui gagne souvent ses batailles mais il n'a pas une chance dans celle-ci. J'étire un sourire, tendre et triste, avant de venir me blottir à nouveau dans ses bras. Je ferme les yeux à mon tour mais pas pour m'endormir. Je profite simplement de cet instant plein de douceur. Je me sens en sécurité, sereine. J'acquiers de plus en plus la conviction d'aimer cet homme et je me dis que, peut-être, il m'apprécie davantage que je ne le pensais. Après tout, il a ressenti le besoin de m'avoir près de lui pour s'apaiser et lâcher prise...

Les minutes s'écoulent au son du cœur de mon fiancé qui bat à un rythme régulier sous mon oreille. Son torse se soulève dans une lente respiration. Je me redresse finalement et je le regarde dormir quelques instants. Je ne suis pas certaine de l'avoir déjà vu aussi paisible. Nos fiançailles n'ont pas été de tout repos. Nos retrouvailles non plus. Notre voyage d'Arétria à Lün était chargé. Et puis, il y a la régence désormais... J'aimerais tant le voir arborer un tel visage lorsqu'il est éveillé. Le voir sourire avec sincérité... Je ne crois pas l'avoir déjà entendu rire.
Lentement, je lève une main jusqu'à son visage. J'écarte une mèche de cheveux sur son front, comme pour dégager davantage ses traits. Puis je l'effleure de la pointe du doigt. L'ours géant me semble bien docile dans cette situation. Serais-je parvenu à l'amadouer, ne serait-ce qu'un peu ? Le frêle oiseau que je suis se sent presque à sa place ici, entre ses bras.

Toute à ma contemplation, j'en oublie le temps qui passe et le soleil qui se couche. Marc-Aurèle me semble bien partit pour passer la nuit ici. Mais alors que j'entends des pas dans le couloir, je suis prise d'une angoisse soudaine. Et si quelqu'un nous surprenait ? Si on découvrait qu'il n'a pas dormi dans son lit mais dans le mien ? Nous allons nous marier, c'est certain, mais que dira-t-on de nous ? Que dira-t-on de moi ?... Je me sentais si bien mais je suis forcée de reconnaître que c'est une très mauvaise idée. Il en retire peut-être plus de bienfait encore que moi mais ce sont quelques heures de paix pour une vie de on-dit. Pour nous deux, je dois mettre fin à cette si douce étreinte...
Alors, avec précaution, je me redresse lentement, écartant les bras de mon fiancé. Je prends son poignet pour le reposer délicatement devant lui puis j'ajuste la couverture sur son épaule. Il est si épuisé qu'il n'a pas la moindre réaction... Je le regarde encore un peu puis je me penche sur lui après une seconde d'hésitation. Mes lèvres déposent un baiser sur sa joue, tel un effleurement. Je m'en sens l'audace puisqu'il dort si bien... Puis je m'extirpe de mon lit pour m'asseoir sur le bord. Une fois debout, j'ajuste le draps afin que Marc-Aurèle reste bien au chaud. Je reprends ensuite mes cannes. J'ai quelques petites choses à faire pour me préparer à cette nuit.

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Le jour perce à travers les épais rideaux de ma chambre. Pour la première fois depuis mon accident, je les ai tiré moi-même afin que l'aube -encore matinale- ne réveille pas mon invité prématurément. La porte du couloir est entrouverte afin que personne ne doute que ce qu'il se passe à l'intérieur de cette pièce n'est trop intime. Quant à moi, je me suis installée sur un fauteuil. Je n'en ai qu'un qui soit rembourré, les autres étant en bois simple. Il est trop lourd pour que je le rapproche du lit donc je me trouve toujours dans le petit espace salon de ma chambre. Cependant, je suis parvenue à le tourner de manière à pouvoir observer Marc-Aurèle dans son sommeil. Mais, pour l'heure, je dors, une couverture sur les épaules et une autre sur mes jambes. J'ai sombré alors que je songeais à cette étreinte et à toutes les sensations que j'ai éprouvé. Je me suis endormie, heureuse comme je ne l'ai plus été depuis un moment.