Le grognard courrait.
Sans faillir, tête devant, groin levé, défenses dressées, il traçait une ligne droite dans les taillis et les buis, défigurant les ronciers à jamais à grand coup de trogne. C'est la peur qui le poussait toujours plus loin en avant, la peur et la souffrance. Car il souffrait, une plaie béante lui cinglait la poitrine, dévoilant sa chaire et répandant son sang sur le feuillage qui croisait sa course folle. Pourtant, il connaissait les lieux mieux que quiconque, car il arpentait ses sentiers depuis toujours, chacun des troncs avaient pour lui un air de commun, comme de vieux amis qu'il croisait et recroisait inlassablement. Cette connaissance lui permettait d'augmenter sa vitesse, de fuir la peur, de battre la boue avec force pour sa survie. Un virage à gauche, une chicane à droite, un presque demi tour, un évitement de rocher et un saut en avant. Il sentait sa cage thoracique prête à exploser sous l'effort, mais il devait continuer, toujours tout droit. Reniflant l'air, une odeur lui donna de l'espoir, car il pouvait sentir les effluves d'un de ses trous, un endroit sûr ou il avait déjà réussit à semer une meute de pistard par le passé. C'est dans cette direction qu'il fila, droit, toujours tout droit. A grande vitesse, il sentait déjà le salut, la fin de la partie pour ses poursuivants, la fin de ses souffrances, la fin de sa course.
«
Maintenant ! »
La voix rauque sortit du néant, elle le surprit et lui fit freiner des quatre fers, envoyant la boue volée aux alentours. Il couina, grogna, et finit par chuter, le crâne brise net par un lourd marteau qui venait de le terrasser. Alors que la vie s'échappait, il ne retint rien de la clameur des nains qui s'éleva autour de lui. Son regard se posa sur son trou, qui était à une dizaine de mètre à peine. Son trou qu'il ne reverrait plus. Jamais.
«
Eh bien, voila un qui avait le Voilée aux trousses les gas. Toi la, passe moi ton tranchoir ,je vais lui couper les noix histoire qu'on puisse le becter sans que ça poque la charogne. Dépêche. »
Le nain qu'Oda avait admonesté ne se fit pas prier. Il tira une lame de sa ceinture et la jeta habillement en avant à ses pieds. La lieutenante émis un grognement sourd et commença son travail. Le sang gicla partout, mais elle était une professionnelle, et surtout, elle avait faim. Le gibier était coriace dans cette partie du Kirgion, mais il restait toujours bien plus abordable que les prix que pratiquaient ces arnaqueurs de la cité Maudite. Alors, Oda tranchait la chaire, pensant uniquement à son repas.
Quelqu'un vint la secouer dans son œuvre, elle faillit lui envoyer un gnion dans les dents, mais l'intéressé ne la regardait déjà plus, il désignait le ciel. D'une œillade morne, elle suivit son regard et chercha à distinguer quelque chose. Elle mit un temps certain à voir, mais elle vit. Entre les nuages, une ombre familière était entrain de tracer de largue cercle au dessus du groupe de la Fraternité du Marteau.
«
Akvar. » Murmura t-elle dans sa barbe qu'elle n'avait pas.
Elle resta un long moment à observer l'aigle géant. Il semblait nerveux, battait des ailes frénétiquement et surtout, commença à hurler. Il descendit, se rapprocha du sol et de la clairière ou se trouvait Oda et les siens. L'aigle fit encore quelques tours, braillant comme jamais et remonta en piquet à la vitesse du vent.
Son départ laissa un grand silence. Les nains semblaient ne pas comprendre. Mais Oda elle, avait comprit. Comprit que quelque chose clochait. Toisant le pic qui abritait la cité de Kirgan, elle grogna à sa petite troupe d'une dizaine de barbes.
«
On se tire. Fissa. Direction les béliers. Il est arrivé quelque chose. »
Sans un mot, ils suivirent leur chef. C'était de bon luron. Oda ne pouvait le montrer, mais elle ressentait une puissante anxiété qui ne disparut pas, alors qu'elle chevauchait en direction de l'Est et des contreforts de la Haute-Virnée.