Après la boue et les larmes... | Pv Solange

HRP:

Moitié de la 8e ennéade de Karfias
An 19 du XIe cycle
Frontière entre l'Aduram et Isgaard

En cette morne journée d'automne survint un évènement que nul n'attendait : d'un bosquet sans attrait jaillit un duo, usé, épuisé par les affres d'un douloureux voyage qui les avait vu échapper à maint dangers... Pour rejoindre un possible salut. Et, pour ceux qui connaissaient l'origine de ce duo, une telle arrivée était des plus étonnantes. La belle avait été enlevée par des bandits drossiens, et voilà que l'un des leurs revenait avec. Curieux, n'est-ce pas ? Mais revenons en arrière...

Comme dit, la belle fut enlevée. Sans aucune courtoisie, emmenée, trimballée, à travers campagne et fleuve, jusqu'aux bois malfamés de l'Aduram. Pour son plus grand déplaisir, elle y fut retint, pour être échangée - les malfrats l'espéraient - contre un bon poids de pièces péninsulaires. Le camp était installé, les bandits aux aguets, les bêtes sauvages calmées quand elles tentaient de réclamer leur chair. Sans grande délicatesse, ces 'hôtes' gardèrent à l’œil leur butin à deux pattes pendant de longues journées, leurs viles instincts retenus seulement par une promesse dorée bien plus alléchante que le féminin arrière-train - quoique... -.

Au fil des jours, la petite noble connut la lie de la vie des miséreux : servir ceux qu'elle honnissait tout en trébuchant dans la boue et les racines, sous peine d'être raillée, secouée, dénudée comme un jambon sorti de son sac, pour mieux ramper et aller récurer les écuelles ou leur linge, sans quoi elle n'était pas sûre d'avoir droit à sa propre gamelle. Ses protecteurs - et bourreaux ! - s'occupaient comme ils le pouvaient, ces pauvres et odieux bougres, dans l'atmosphère étouffante de la forêt maudite, veillant à leur survie par la chasse, leur protection par leur vigilance aigu, et leur détente par des jeux indignes.

"Dance dance petite noblette, si tu ne veux pas que mon couteau te pique le c-
- Tu-tu-tu, dit le Lazar. L'on abîme pas la marchandise comme cela, range cette lame et joue à autre chose."

Certains la 'perdirent' dans les bois le temps qu'elle ait quelques frayeurs et manque se faire manger, d'autres encore lui ordonnèrent d'offrir son dos à leurs pieds, le temps de faire ripaille. Et qu'ils s'amusaient de sa trogne alors que la glaise s'enfonçait entre ses doigts, pénétraient ses vêtements et ses chaussures usées affreusement. Le temps était fort long, et pas pour tout le monde... Mais au milieu des brigands hilares, sombrement sérieux ou bien trop loquaces et cruels, il y en eut un pour ne pas faire comme tout le monde. Pour offrir un peu de dignité au moment de sa veille, poser quelques questions, moins se jouer de la frêle femme, observant avec un sérieux étrange ses manières et sa résistance fébrile.

Après des ennéades, le jour béni vint et... Rien.

Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que le nom donné par l'enlevée n'était pas le bon. Et ce qu'elle ne savait pas, c'est que la personne renseignée pour la sauver n'était pas là au moment désiré, pour recevoir le message et envoyer la rançon. Zut.

L'or fut réclamé, aucune explication ne fut donnée, le messager revint dépité, et ses camarades enragèrent. Autant dire que le ton monta, et plus d'une fois. Les propositions de tortures et de morts atroces furent multiples, les regards immondes et voraces innombrables, et les insultes volèrent comme autant de charognes jetées en pâtures à leur impatience larvée depuis des ennéades. Le chef garda la tête froide - quand bien même certaines tortures lui étaient très agréables à imaginer - et retint la meute... Un temps. D'autres messagers furent envoyés, le silence demeura, et l'indignation gonfla. Tout cela pour ça ?!

Le temps tournait drastiquement à l'orage, et l'un sut quand il fut temps de décamper. Après une réflexion intense, quelques mots furtifs échangés avec la belle, et un bandit abandonna ses pairs pour une promesse fébrile : celle d'un meilleur avenir, loin des parias, dans une Péninsule noble et reconnaissante. L'avenir seul savait ce qu'il y découvrirait, après avoir échappé à leurs ennemis sous les arbres tordus, puis aux flots tumultueux les séparant des terres civilisées... La demoiselle en tout cas, retournait à la maison.

Eran, le bandit drossien amoureux: