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 S'ennuyer sec les pieds mouillés

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Enguerrand l'Outremer
Humain
Enguerrand l'Outremer


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MessageSujet: S'ennuyer sec les pieds mouillés   S'ennuyer sec les pieds mouillés I_icon_minitimeVen 21 Jan 2022 - 22:22


Milieu Karfias, an 19:XI
Isgaard

Les ennéades s’étaient enchaînées sans grandes histoires, après les tumultueuses aventures de l’Outremer en pays scylléen. Difficile en effet de faire plus grandiose que leur spectaculaire évasion, digne d’un récit romanesque !

La compromission de l’Archidiacre, tombé nez à nez avec le duc de Langehack, avait été le premier incident ayant failli coûter sa couverture à la compagnie, qui avait dû cacher le kyrian déchu dans une large caisse pendant deux jours. Mais tout avait fini par tourner de travers lorsque le Mesquin et ses marauds avaient finalement trouvé un capitaine acceptant de les prendre sur son navire, ce malgré l’hiver et l’attitude suspicieuse de ses clients. Un homme pas très regardant, mais qui avait des connexions isgaardiennes qui avaient grandement facilité les négociations. Ce qui avait fait tourner le lait, cependant, n’avait rien avoir avec le fieffé passeur, mais bien avec les Hommes du Roi eux-mêmes, qui, en pleines festivités, retrouvèrent leurs habitudes de coquins mal dégrossis. Oh, certes, quelques cottes-noires causant du grabuge était monnaie courante dans ce genre d’événement. Pourtant, après avoir tenté de voler les éperons de plusieurs chevaliers se préparant pour la joute, les ennuis avaient commencé à pleuvoir. Enguerrand n’avait même pas eu le temps de jouter qu’il devait déjà penser à prendre la poudre d’escampette ! Quel gâchis, lui qui souhaitait tant savoir si dans sa félonie, le ribaud n’avait pas quelque noblesse cachée au plus profond de son être…

Poursuivis par une pléthore de sergents servant divers maîtres, les filous de l’Outremer opérèrent une retraite de la cité, trouvant refuge près d’une crique où devait les embarquer leur mystérieux sauveur – qui augmenta bien entendu les prix en apprenant qu’un groupe d’individus louches avait semé le trouble en les festivités données par le seigneur local. A peine le vaisseau était-il arrivé que quelques éclaireurs envoyés à travers la campagne s’en revenaient dire à Enguerrand que les fouilles amenaient la soldatesque à braver les campagnes de la Brande à leur recherche. Le temps d’embarquer les vivres, les femmes et le butin, voilà que des groupes isolés leur tombaient déjà sur le râble ! Viretons et sagaies n’avaient découragé que brièvement les suppôts de la loi, qui s’étaient bien vite rassemblés pour attaquer en force. Néanmoins, le repli temporaire de ces énergumènes permirent à l’Outremer de penser un plan pour embarquer sans laisser de force derrière lui. Et lorsque la sergenterie se décida enfin à attaquer en force le campement proche de la crique, ils furent accueillis par une bien mauvaise surprise : les Hommes du Roi avaient laissé tentes et braseros, et avaient montés des mannequins avec des branches et des sacs de jutes, pour donner l’illusion de sentinelles guettant leur arrivée. Les mercenaires, à l’abri des traits et voguant sur l’océan, s’étaient fendu de quelques adieux obscènes, consistant pour la plupart à lever quelques doigts et déblatérer des insanités sur la famille et autres concepts chers aux hommes.

La traversée en hiver s’était avérée particulièrement éprouvante pour l’équipage, mais par un heureux hasard et les bonnes grâces de Tyra, les Hommes du Roi retrouvèrent le chemin de leur foyer, accostant sur leur petit îlot boueux : Isgaard. A peine avaient-ils mis pied à terre que les joyeux compagnons se sentirent à nouveau dans leurs pénates : l’air marin, la gadoue suintant l’iode, les masures mal dégrossies, et les forteresses rivales se regardant en chien de faïence leur avaient manqué. Ils s’en revenaient au pays avec moult butin, ce malgré les pertes accumulées sur leur tumultueux chemin du retour. L’Outremer, gonflé d’or et d’orgueil plus encore, retrouva ainsi sa maisonnée, se perdant à nouveau dans les bras de la belle Raymonde et s’émerveillant de la femme faite qu’était devenue Gisèle, sa fille unique.

Ainsi s’écoula l’hiver, doux et oisif pour les Hommes du Roi, qui dilapidèrent sans commune mesure leurs biens mal acquis. Ils firent souffler un vent de fête et d’abondance sur l’île, perdant leur fortune en jeux, coureuses de remparts, paris et investissements douteux. C’était une tradition bien ancrée dans l’esprit de chaque routier digne de ce nom : profiter de la vie devenait presque un besoin viscéral, pour quiconque se frottait à la mort de si près pendant si longtemps. L’Outremer, lui, chercha cependant à ménager sa fortune. Sur l’île, les autorités voyaient d’un mauvais œil la venue en masse de mercenaires en vadrouille, et ne se montraient suffisamment coopératives qu’une fois quelques pattes graissées et quelques esprits rassérénés. Enguerrand était constamment sur le qui-vive, à négocier avec les Vatan et le gouverneur, et quand il ne les rencontrait pas d’homme à homme, le margoulin faisait le bilan de tout ce que cette aventure avait apporté à la compagnie.
Rien. Ou pas grand-chose.

Les nuits d’hiver, couché auprès de sa belle, le mercenaire vieillissant n’arrivait pas à trouver le sommeil, malgré l’alcool et le rut. Dans sa tête tournaient mille et unes manières de rendre aux Hommes du Roi leur gloire passée. Elle était bien éloignée, l’époque où l’argent coulait à flots, où la paysannerie le craignait plus encore que la peste, où il possédait encore sa propre forteresse volée. La paix avait tout pris aux hommes de guerre tel que lui. La réalité était amère, mais sans appel : c’en était fini des grandes compagnies d’aventure, dans une Péninsule assagie et reconstruite. Aussi, devant l’inéluctable destin des siens, ses épisodes de rage lui revinrent. Son humeur maussade prit le pas sur sa joyeuseté, et dépassé le verre du raisonnable, il en venait facilement aux mains. Le Mesquin laissait couler, l’Archidiacre tentait de le raisonner. Mais en définitive, tout jouait contre l’Outremer. Le temps, comme l’époque, comme l’endroit, le vouaient tous à disparaître.

L’hiver passa, le printemps s’installa et pourtant, l’Outremer ne donna nulle directive à ses hommes pour de futurs plans. L’été s’installant, ses lieutenants vinrent le trouver personnellement, cherchant guidance tandis que les hommes s’évertuaient à réduire à peau de chagrin leurs dernières économies. Malgré cela, Enguerrand ne fit rien. L’été tirant à sa fin, tous les Hommes du Roi vinrent finalement à la rencontre de leur chef, réclamant de nouvelles rapines, des pillages pour mettre un peu d’or dans leurs poches. Devant l’inaction de leur chef, certains tentèrent de contester son autorité. Mal leur en prit : l’Outremer avait beau être déprimé et en manque d’idée, il n’en restait pas moins un homme de poigne, et fit taire la grogne de manière à ce que tous y repensent à deux fois avant de le contester à nouveau.

Ce fut les premières désertions qui firent se réveiller l’Outremer. Quand cinq de ses hommes tentèrent de monter leur propre petite troupe, il préféra les faire tous pendre que de voir d’anciens compagnons le concurrencer. La bête échauffée s’était enfin réveillée ! Mais déjà l’automne pointait le bout de son nez. Pour divertir les siens, avec la possibilité d’amasser un solide pécule, l’Outremer dirigea une nouvelle expédition pour aller s’en retrouver son cousin Seguin et les Canailles en Ancenis. Une fois sur place, les mercenaires s’en donnèrent à cœur joie, détroussant sur les grands axes tant les caravanes que les voyageurs isolés. Se servant des connaissances de son cousin pour échapper aux autorités le temps d’amasser assez d’or pour penser au retour, l’Outremer étonna tout le monde en jouant la sécurité, contrastant avec ses habitudes de va-tout. Peu y trouvèrent à redire cependant, lorsque les Canailles se firent moucher par des chevaliers ancenois en vadrouille après s’être montrés un peu trop hardis. Quand bien même, à la fin de l’automne, il y avait assez de butin pour un honnête partage, et l’Outremer salua son cousin Seguin pour s’en revenir à nouveau en sa retraite paisible.

Ce n’est qu’une fois retournés en Isgaard que l’Outremer et ses hommes réalisèrent que la donne était différente, sur l’îlot boueux. Les gens s’agitaient. Des rumeurs enflaient partout, parlant de marquis décapités, de nains magiciens, d’apparitions apocalyptiques, de nécromancie et d’héritiers illégitimes ! Intrigué, peut-être même effrayé par toutes ces choses nouvelles qui secouaient une île se voulant recluse du reste du Royaume, l’Outremer prit le temps d’écouter les différents racontars. Parmi ceux-ci, pourtant, ce ne furent ni les grandiloquents affres de Diantra, ni les troubles langecins qui firent frémir les oreilles d’Enguerrand, mais un colportage bien plus tangible et bien plus proche. En effet, parmi toutes les nouvelles bouleversant le Royaume pentien, il en était une qui se trouvait bien plus proche et plus abordable : la comtesse d’Odélian, Solange d’Escault, était portée disparue, son père offrant de fortes récompenses pour qui la retrouverait.

Dans l’esprit retors et tortueux d’Enguerrand, un nouveau plan se mettait en place. Un sang nouveau coulait dans ses veines, rajeuni par l’excitation de nouvelles aventures, et d’un nouveau souffle le portant vers de plus brillantes opportunités encore que jamais. L’Outremer reprenait du service, après presque un an de questions et de doutes. Le feu brûlait à nouveau au fond de ses yeux : ce même feu qui avait vu consumer bien des grandes, et bien des honnêtes gens à travers la Péninsule…
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Solange d'Escault
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MessageSujet: Re: S'ennuyer sec les pieds mouillés   S'ennuyer sec les pieds mouillés I_icon_minitimeLun 31 Jan 2022 - 22:03



Gérard d'Escault était un homme occupé. Chevalier, Seigneur de la ville du même nom, il s'était senti empli d'une immense fierté lorsque sa fille était devenue, de manière tout à fait inattendue, comtesse d'Odélian. Sa fierté s'était encore accrue alors qu'elle avait eu une petite fille, preuve de sa fertilité ; et malgré un contexte politique agité, malgré des vassaux circonspects, il s'était pris au jeu de cette place honorifique qui lui tenait à cœur.

En bon Premier Conseiller du Comte, qu'il avait accepté juste pour veiller sur sa fille au début, il s'était occupé de connaitre le Comté d'Odélian sur le bout des doigts. Il prenait désormais plaisir à écouter les doléances des vassaux et du peuple, veillait sur les comptes avec un soin jaloux ; et seule une terrible nouvelle avait ébranlé ses nouvelles certitudes.

La disparition de sa fille et de sa petite-fille avait été vécu comme un tonnerre, une perte irrémédiable et cruelle. Peu importait à ce guerrier, cet homme qui méprisait les femmes, qui n'avait jamais vu Solange que comme une douce enfant immature, que chacun crût que la comtesse était morte - il ne pouvait s'y résoudre.
Il en perdait le sommeil. Sa chevelure, si noire auparavant, s'était striée de nombreux fils d'argent, qui étaient apparues par poignées. Dans sa bouche, la nourriture avait un goût de cendre, et imaginer sa progéniture sur le sol, froide et silencieuse, lui était insupportable !

La cité d'Isgaard, près de qui l'évènement s'était produit, s'était répandue en courbettes horrifiées, avait presque supplié le pardon de son comte, après des jours de recherches acharnées quand ils eurent retrouvé le carrosse éventré et saccagé. Et puisqu'il fallait bien que la noblesse continuât de soutenir son gendre, le Sieur d'Escault s'était finalement déplacé dans cette fameuse cité portuaire, où sa seule enfant adorée et chérie avait été vue pour la dernière fois.

Il était ainsi resté une ennéade complète, ruminant sa détresse en parcourant la ville de long en large, droit, fier et revêche sur sa canne qui ne pouvait le quitter, en raison de son infirmité ; et d'abord ennuyé par la venue d'une compagnie de mercenaires sur le territoire d'Odelian, il eut subitement comme une illumination.
Si sa douce Solange et son enfançon ne pouvait être recherchées par l'armée, car la guerre menaçait toujours, il avait parfaitement le droit - et le devoir même ! - de dépenser son argent personnel, celui de la ville d'Escault.

Déterminé, il envoya ainsi un haut gradé de la garde d'Isgaard quérir le Capitaine de la Compagnie Mercenaire, le mandant sans plus attendre au château... peut-être pourraient-ils la retrouver discrètement ?
Qu'importait que le Roi ne soit en réalité qu'un obscur petit garçon, que Néera elle-même réclame sa survie, qu'Elle révèle la vérité, qu'Odélian n'ait été que partiellement représenté au Tournoi à Diantra : la vie de sa fille était peut-être sur le fil. Il fallait que l'affaire soit traitée sur le champs, sans aucun délai !
Toujours fut-il que ledit Capitaine serait reçu dans un salon fort spacieux mais plutôt formel, aux tentures brodées de scènes martiales, et étroitement escorté par des hommes d'armes consciencieux et passablement nerveux. On ne savait jamais avec ces gueux déshonorants... .
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