Les cris et la brûlure du soleil au zénith.
Krish ouvrit les yeux. Juste devant elle, deux enfants se disputaient. Une fillette et un garçonnet qui ne devaient pas avoir plus de vingt ans. Les mots qu’ils employaient étaient chantant mais bien au delà de sa compréhension. Leurs visages bruns d’écorce et leurs cheveux aussi vert que la canopée qui les surplombait dévoilaient une violente colère. Leurs yeux rouge sang s’affrontaient. Le ton monta brusquement et le garçon se jeta sur la fillette pour lui tirer les cheveux, la griffer, la mordre. Ils crièrent de rage et de douleur. Elle rendait coup pour coup.
Une violence dérisoire… Mais un absolu sans faux semblant dans leur monde à eux.
Le soleil se couvrit, remplacé par une chaleur baignant chaque parcelle de la peau de l’eldéenne. Elle baissa les yeux sur le sol de pierre. Elle connaissait cette chaleur. Le fracas des armes lui fit lever la tête. Des êtres rablets et barbus se frappaient à coup de lame et de marteau. Leurs armures rudimentaires luisaient faiblement sous la lumière que dispensait les champignons luminescents et les cristaux. Des cris rauques. La chaleur qui augmentait graduellement. Des ordres. Des armures et des armes de plus en plus belles, de plus en plus travaillées. Des armées plus grandes. Des victoires. Des défaites. La chaleur qui augmentait toujours. Une tentative de paix.
Un tremblement. Le visage d’un daedhel aux yeux d’or. Un visage qu’elle connaissait. Elle approcha la main. Une gerbe de lave fit rompre la roche. Des hurlements d’agonies. Une profonde satisfaction. Un grand pas en avant. Elle sourit.
Un autre feu au creu de la terre. Elda. D’autre batailles. Contre les humains. Contre les dragons. Contre les elfes. Contre eux même. Et pour chacune d’elle, les survivants, les vétérans. Des hommes et des femmes qui se dépassent, se relèvent et vont toujours plus loin. Qu’ils soient elfes ou drow. Des êtres débordant de force. Une force qu’elle sentait vibrer dans leurs yeux.
Tout cela, elle l’avait déjà vu. Les mains de Néo lui avaient transmis un Appel qu’elle n’était pas digne d’entendre. Mais contrairement à l’époque, la douleur qui rognait sa peau et rongeait ses os n’était pas un problème. Le spectacle ne l'emplissait plus de peur ou de doutes. Fascinée, elle regardait les combats changer la face du monde. Coincé dans une froide torpeur pendant si longtemps, elle se rendait maintenant compte de la magie de ce qui l’entourait. Le Feu réduisait en cendre le Linoïn pour qu’une nouvelle évolution puisse avoir lieu. Chaque couleur, chaque émotion, chaque acte était poli par la guerre jusqu’à en devenir rayonnant. La colère au ventre, ils avançaient toujours plus loin et l’univers tremblait sous leurs pas.
Les pertes n’avaient pas d’importance. La douleur faisait parti du processus. Il fallait maintenir l’affrontement. Et cette Guerre, par sa nature même, pousserait le monde vers une meilleur version de lui-même.
Un monde d’une Pureté Sauvage ou la médiocrité n’aurait plus sa place.
Le chemin était aussi plaisant que la finalité. Vivre ou mourir. Vaincre ou abandonner.
Wydrin sauta sur ses pieds en voyant la silhouette d’Ekmir se glisser sans frapper dans le bureau de l’Intendant.
- Alors ?- Son crâne et sa colonne vertébrale sont réparés. Le bras, les côtes, le bassin et les jambes également. Honnêtement, vu son état, soit elle a été torturée pendant les derniers mois, soit un dragon lui est passé dessus. Le reste dépend des dieux. S’il y a des atrophies ou qu’elle a perdu l’esprit, je n’y pourrai pas grand chose.- Et pour Wik ? - Le petit chien respire toujours… Et je suis bien obligé de lui reconnaître une certaine combativité. Il y a deux jours je pensais déjà qu’il ne passerai pas la nuit. En quelques pas, la prêtresse était arrivée au niveau du bureau. Wydrin ne put s’empêcher de sourire à sa réflexion. Oui… Wik était plutôt du genre buté sous ses aspects de servile esclave de glace. Par contre elle se demandait comment il faisait pour faire tourner la boutique avec autant de facilité, parce que rien que le fait d’organiser le déblaiement et les réparations du Palais avait été un véritable calvaire à ses yeux.
Trois jours après la destruction du marché libre, la panique était redescendue d’un cran et les choses reprenaient doucement leur cours… Du moins c’est ce que le Capitaine de la Garde d’Argent espérait parce que si Krish était réapparue au centre de ce genre d’évènement après une disparition aussi soudaine qu’inexplicable à Elda, cela pouvait aussi vouloir dire beaucoup d’ennuis en perspectives. Des ennuis que seule une myriadénaire dans le coma pouvait leur décrire.
Une présence écrasante culminait sur le spectacle infini qui se déroulait autour de l’eldéenne. Il n’y eut pas de mot cette fois-ci. C’était inutile. Seulement cette présence brûlante qu’elle sentait pulser au creux de son corps au rythme des tambours de guerres.
Un pas.
Sur les champs de bataille incendiés par les derniers dragons, elle avança parmi les héros de son peuple. Un homme au doigt duquel brillait un rubis. Une femme portant une émeraude. Elle courait pour éviter les lames des serviteurs de l’Empire et les flammes de leurs mastodonte rouge.
D’un mouvement sec, elle arracha une épée du sol craquelé.
Elle ne mourrait pas.
Ses poumons s’alourdirent. Elle suffoqua. Ses jambes se dérobèrent. Elle bascula en arrière. La douleur faisait parti d’elle mais des mains tentaient de l’agriper pour la trainer vers le néant.
Non.
Elle ne mourrait pas.
Badoum - Badoum
Un rythme lent et égal.
Badoum - Badoum
Un rythme profond. Un courant infime qui caressait sa peau. Un calme écrasant. Les sons distordus par le liquide qui l’entourait.
Badoum - Badoum
Des voix. Lointaines. Connues. Des chants vibrants. Le goût du sang. Métallique. Le poids du liquide visqueux la dissuade d’ouvrir les paupières. Elle fronce les sourcils. Quelque chose manque. Quelque…
Sa poitrine se sert violemment. Elle étouffe. Elle suffoque. Elle s’agite, remontant vers la surface aussi vite que possible. Elle crève la surface mais le liquide lourd ne quitte pas sa poitrine. Elle crache, se traîne à l’aveugle à l’extérieur du bassin, tirant sur ses bras. Les craquements de ses articulations résonnent. Son coeur bat de plus en plus vite mais ses poumons ne se vident pas. Des voix crient. Des voix inquiètes.
On s’empare d’elle. Un coup. Un flot de sang sur le sol. Entre deux quintes de toux, enfin ses poumons se déploient. Elle respire.
On la soulève. On la tend. On la pose. La douleur augmenta. Elle augmenta jusqu'à ce que des cris prennent la place du liquide dans ses poumons.
… Et le monde s'éteind de nouveau.
été - 6e jour 6e ennéade de Karfias
11e année du XIe Cycle
Au loin, des rires d’enfants résonnaient dans des couloirs qui ne semblaient pas avoir de fin. L’oreille de Krish frémit et elle se redressa sur un coude, passant la main sur son visage pour chasser l’impression collante qui y persistait. Le bord d’un drap fin appuya sur son épaule, l’empêchant d’aller jusqu’au bout de son geste. Elle ouvrit pleinement les yeux.
Une couverture de soie blanche couvrait son corps jusqu'à son cou, soigneusement bordée. Elle était allongée dans un vrai lit. Elle rebondit légèrement pour tester le sommier et le matelas. Agréablement dur. Elle sourit malgré elle, lâchant quelques éclats de rire en se laissant retomber sur le dos, les cheveux pêlemêles sur l'oreiller. Une longue inspiration vint couronner ce petit moment de pur bonheur.
Depuis quand n'avait-elle pas eut l'occasion de dormir dans un lit ? D'ailleurs... une question la heurta soudain : Dans quel lit ?
A droite et à gauche, des rideaux. Un plafond haut. Des rires d'enfants. Des respirations amples. Un lit confortable mais sans fioriture. Un hospice ? Un temple ? Pourquoi n'était-elle pas chez elle ?
Poussée par la curiosité, elle s'assit au bord de son lit, s'étira comme un chat... Et s'immobilisa. Elle rabattit brutalement les bras qu'elle avait levé, inspectant ses mains avec la plus grande minutie. Au fur et à mesure que ses doigts remontaient le long de son bras gauche, son sourire s'étirait. Couturé de cicatrice, il était de nouveau droit et ses articulations étaient dégrippées. Ses deux doigts étaient toujours recroquevillés et faibles, mais les autres os de sa main tenaient sans bandage. Puis le reste lui vint petit à petit. Elle respirait sans douleur. Les muscles de son côté étaient cicatrisés. Les côtes ressoudées. Même en inspirant à fond, elle ne sentait aucune masse lui oppresser la poitrine. Elle s'y essaya deux ou trois fois, riant toute seule. Ses bras retombèrent sur ses cuisse. Un frisson lui remonta jusque dans la nuque.
- Par Uriz... " murmura-t-elle en baissant les yeux. Elle agrippa ses genoux à pleine main, remontant le long de ses cuisses, descendant jusqu'à ses chevilles. S'appuyant sur la tête de lit, le cœur battant, elle se hissa sur ses jambes. Elle était chancelante, mais elle était debout. Ses muscles lui répondaient. Elle se laissa retombé sur le matelas et cette fois, elle ne tenta pas de se retenir. Elle éclata d'un rire à la limite de l'hystérie.
En quelques secondes, une silhouette rouge tirait le rideau pour la découvrir avachie sur le dos, la tête reverser en arrière, secoué d'un rire frénétique.
- Que... Vous allez bien ? "Elle avait réussi. Elle était de retour. Elle avait survécu. Elle avait ses jambes. Elle se fichait de ne rien sentir de la gauche, les deux réagissaient lorsqu'elle essayait de les bouger. Elle se fichait de l’approximation de ses mouvements, elle se savait capable de se remettre en condition. T'Challa et Elghinn étaient en vie. Ils seraient là d'ici quelques jours. Elle était de retour ! Les Piliers soient loués ! Uriz puisse la voir !
Enfin... Et elle allait pouvoir faire de ce monde une sanglante perfection.
Ses rires s’éteignirent sous les questions de la novice de Natha qui venait de venir s'enquérir de son état. Avec autant d'énergie qu'elle le pouvait, elle se redressa, s'appuyant sur sa visiteuse. Ses bras passèrent autour de son cou, s'appuyant avec délectation contre les parcelles de peau que la tenue sacerdotale de la jeune femme laissait nues.
- Oh oui. " Elle dévoila ses crocs en un sourire carnacier.
" Je ne me suis jamais sentie aussi bien. "