Un moment rare | Dante

Bàrkios de l'An 19:X1
6ème jour de la deuxième ennéade
Fernel
Petit matin

« Discrète est l’Ombre»

Trois petits mots qui accompagnent souvent les pensées de Louise alors même qu’elle accomplit ses propres tâches. Voilà déjà quelques jours que la châtelaine a réintégré ses terres, en compagnie d’un chevalier eraçon et d’un autre qui a brillé par ses absences ponctuelles.

Dante.

Ou Claude, selon le visage qu’il consent à laisser voir.

Il n’est point homme à demeurer au même endroit bien longtemps et cela concerne également les pièces de vie de ces mêmes endroits dans lesquels il réside. Il possède sa chambre au château mais elle est certaine qu’il n’a pas dormi dans son lit. Peut-être même a-t-il dormi dehors, loin du château. Loin d’Elazar. Lors du chemin de retour, il a passé l’essentiel de son temps à l’extérieur, ne demeurant en compagnie de Louise et des autres que le temps de se réchauffer et de s’assurer que tout allait bien. Peut-être. Ou peut-être pas. Qui peut le dire, sinon lui-même ?

Il en est de même à Fernel.

Même si elle sait qu’il est là, non loin, elle n’empiète jamais sur sa liberté et le laisse aller et venir comme bon lui semble parce qu’il est ici chez lui, ainsi qu’elle le lui a répété à maintes reprises. Nul autre que lui en ce monde ne peut se targuer de posséder la confiance de la châtelaine. Il sait pratiquement tout d’elle, du moins tout ce qu’elle a bien voulu lui confier et il faut bien avouer que ce trajet depuis Diantra n’a guère permis de fraternelles retrouvailles. L’arrivée à Fernel ne l’a pas permis davantage, la châtelaine privilégiant la reprise en main de sa seigneurie avant le plaisir des conversations. Aussi, depuis leur retour commun, Dante et Louise ne se sont guère parlé, jamais sans témoin en tout cas.

Pourtant, il y a des choses importantes à discuter, des choses que seul un frère peut entendre, le meilleur confident en ce monde.

Ce matin, après un rapide petit-déjeuner, Louise est donc à la recherche de Dante, qu’elle n’a pas trouvé dans sa chambre. Evidemment. Drapée dans sa cape, elle est dans les écuries, brossant les poils drus de Lasgalen qui piaffe déjà d’impatience. Une sortie ! Peut-être est-il en dehors de la petite cité ? Peu importe, il est encore tôt et la journée est à elle.

Dante prends soin de ses investissements. Et le bébé de Solange, bien planquée dans la cabane à loups, ne fait pas exception à la règle. En ce moment, la gamine sur les genoux, il l'examine attentivement. Amorphe et morvant à tout vent, manifestement le bébé a attrappé un truc sur les routes. Et lui qui voulait lui faire faire le relais bref pour aller rejoindre les De Termers et ses autres gamins outre-mer, se retrouve a devoir la soigner avant. Le temps qu'elle se remette en plus, les routes seront peut-être impraticables.

Lui faisant ouvrir la bouche d'une pression savante et délicate sur la menue mâchoire, il regarde l'état des gencives et de la cononctive avant de rendre son verdict.

-Ca va aller, elle a juste chopé un rhume. Dit il à la nourrice avant de sortir un pot d'onguent à l'eucalyptus.
-Frictionne dois et poitrine trois fois par jour, qu'elle boive beaucoup... Et pour vous trois, infusion de cèdres minima une fois par jour, tu coupe trois quart d'eau pour la gamine... Je m'occupe du ravitaillement, je reviens ce soir.

Tout plutôt que de coucher la nuit au château... Avant de repartir, il prend Gayle à part

-Il y a un mage des ombres... Si tu sens fureter autour de la cabane, pas de cadeaux. Mais frappe a distance. une flèche entre les omoplates. On plaidera l'accident de chasse.

Il rentre alors, en pleine nuit et à pieds, arrivant à Fernel au moment ou les portes s'ouvrent pour la journée. Monsieur Claude se montre alors prévenant et aimable, s'arrêtant parler au boulanger et au boucher auxquels il achète son petit déjeuner qu'il veut prendre dans le box de Melkor avec qui il veut partager une carotte ou deux chipées au passage.

Entrant dans les écuries, il entend piaffer d'impatience. Aussi va t'il vérifier ce qu'il en est.

-Bon matin Dame.

La salue gracieusement Monsieur CĿaude avec son accent chantant.

Louise se tourne tranquillement vers Dante, et salue tout aussi dignement que lui, d’un mouvement lent de la tête. Il y a d’autres palefreniers, ce n’est guère l’endroit pour une conversation informelle. Elle tapote gentiment l’encolure de Lasgalen et approche, l’œil pétillant de gaieté.

- Bonjour…Je vous cherchais justement. Consentiriez-vous à une promenade à cheval…mon ami ? J’aimerais m’entretenir avec vous tout en profitant du beau soleil d’automne.

Les apparences, toujours. Il est désormais encore plus important qu’avant de les conserver, alors elle garde une distance avec lui en public. Aux yeux des autres, il n’y a rien de plus qu’une conversation tout à fait convenable entre la maîtresse des lieux et un invité bien connu de tous ici pour sa gentillesse et sa façon courtoise de parler à tout le monde. La cité de Fernel est unanime au sujet de Monsieur Claude : il est vraiment charmant, pour un impie estreventin. Puis Dame Louise l’apprécie beaucoup, c’est que ce ne doit pas être un mauvais homme.

- Les chênes sont merveilleux en cette saison.

Il y a un endroit, à une heure de cheval, où il ne passe jamais personne aux pieds des montagnes. Il y a des chênes partout, aucun champ à labourer pour l’instant, c’est le meilleur endroit pour discuter sans que personne ne puisse entendre quoi que ce soit.

Déjà elle le dépasse, entraînant Lasgalen vers l’extérieur, non sans avoir décoché au passage un clin d’œil amusé à Dante. Il est intelligent, il sait qu’elle ne peut guère agir comme elle le voudrait face à des gens qui ne comprendraient rien et qui risquent de mal interpréter le moindre geste ou le moindre mot. Elyias est là, lui aussi, à prendre soin des nouveaux venus, saluant la Dame de Fernel en s'inclinant, et en la suivant des yeux. Des yeux qui se posent ensuite sur Dante, sans qu'aucun mot ne soit prononcé.

- Nous y allons ?, dit Louise depuis l'extérieur des écuries.

Elle est déjà dans la cour, grimpant sur le dos de sa monture avec souplesse, attendant le plus tranquillement du monde l’herboriste et son fanfaron de cheval à la robe sombre.

- Bonjour…Je vous cherchais justement. Consentiriez-vous à une promenade à cheval…mon ami ? J’aimerais m’entretenir avec vous tout en profitant du beau soleil d’automne. Les chênes sont merveilleux en cette saison.


Tout le plaisir sera pour moi, répond Dante avec son accent chantant d'outre mer avant de tourner talons pour aller seller Melkor, piaffant déjà d'impatience dans sa stalle ouverte. Parce que sa stalle est touours ouverte.


- Nous y allons ?, dit Louise depuis l'extérieur des écuries. J↑ste avant que µelkor, de toute sa superbe, sorte de ces dernières, avec un monsieur Claude couché sur son encolure pour s'éviter
de se recevoir le cadrage de porte en pleine gueule. Encensant, l'animal marque une pause en prenant une posture avantageuse avant de hennir bruyamment de contentement avant de partir au trot, prestement rappelé à l'ordre d'un mot estreventin qui fait tourner les oreilles vers son cavalier.

Poliement, l'étalon incline alors sa bonne grosse tête vers la châtelaine, la laissant prendre des devants, maintenant les apparences juste assez longtemps pour que le château disparaisse de la vue du duo. U♪ claquement de langue lui donne alors l'autorisation de partir à toute vapeur, chose qu'il fait avec un hennissement de joie, les sabots résonnant fièrement sur le pavé. Flèche noire et feu qui défie Lasgalen et sa cavalière de les rattrapper.

Ce moment-là…Il ne dure qu’une toute fraction de seconde et pourtant, c’est l’éternité, pour Louise. Le château est hors de vue, ils sont seuls, à cheval et il n’y a plus de protocole, plus de règles, plus rien si ce n’est deux cavaliers, deux montures d’exception et le grondement sourd de deux chevaux lancés au galop sur une terre lourde. Dante est peut-être un excellent cavalier mais Louise le rattrape, couchée sur l’encolure de Lasgalen auquel elle glisse des mots d’encouragement à l’oreille. Bientôt, le hongre gris galope à côté d’un éclair de feu et d’ombre.

Louise a un regard pour Dante, un regard heureux, malicieux et totalement serein. Une petite secousse dans les flancs et voilà que Lasagalen hennit sa joie, dépassant Melkor dans une foulée rapide et précise.

Les cheveux libres, l’œil luisant, les joues rouges, il pourra entendre le rire de Louise, un vrai rire de joie simple disparaissant entre les troncs d’arbre d’une dense chênaie.

Lorsque Dante arrivera à son tour, Lasgalen sera seul, en train de fouiller tranquillement les feuilles au sol du bout de son museau, pas inquiet du tout.

Louise a disparu.

Il n’y a pas un bruit.

A l’abri derrière un épais tronc d’arbre, Louise épie les alentours, le sourire jusqu’aux oreilles. Elle avait envie de jouer un peu, ne serait-ce que pour retrouver un peu de complicité avec celui qu’elle considère comme son frère. Un peu de rire après de si longues ennéades sérieuses et tristes. Et qu’elle n’est pas sa surprise de voir arriver Melkor tout seul ! Elle a un rire du nez, tout discret, avant de lever les yeux au ciel en secouant la tête.

- Ha oui, Messire l’Ombre, on a eu la même idée, se dit-elle en regardant les branches et les troncs d’arbres, aussi immobile qu’une statue.

Lasgalen, lui, vient de relever la tête à l’arrivée de ce grand fanfaron de Melkor. Une expiration bruyante de ses grands naseaux puis il se tourne, affichant sa croupe sous le nez du grand cheval noir pour exprimer tout ce qu’il pense de lui, ce qui amuse énormément Louise.

La châtelaine, sourire aux lèvres, sort de sa cachette pour aller se dissimuler derrière un autre arbre. De là où elle est elle pourra le voir surgir depuis les ombres denses de la chênaie, elle en est certaine.

- Allez, sors de là, Dante, pense-t-elle, le regard attentif sur ce qu’il se passe au niveau du sol et des troncs, s’attendant à voir surgir le grand Estreventin d’un instant à l’autre de derrière un chêne là-devant.

Le bruit n’échappe pas à Louise. Le corps de la châtelaine se penche brusquement derrière le chêne  pour voir la lourde chute d’une silhouette toute de noir vêtue et Melkor s’approcher en manifestant toute son inquiétude. Son cœur vient de rater un battement et une sueur froide roule dans son dos, en un instant.

- DANTE !

La chatelaine sort bien entendu de sa cachette et se précipite immédiatement vers le corps gisant au sol, courant aussi vite que le peuvent ses jambes et sa tenue, posant sans se retenir un seul instant les deux mains sur la grande silhouette inerte. A genoux dans les feuilles, toute l’inquiétude bouleversée de la châtelaine sera audible dans sa voix, alors qu’elle regarde les branches humides, les larmes aux yeux.

- Dante ! Mais quel crétin !  Les branches sont humides ! DANTE !!!

Elle soulève la capuche noire, en tremblant. L’accident idiot…Il ne peut pas être mort, pas lui !

Au moment ou la capuche se soulève, le rire grave et rauque de l'assassin s'élève discrètement au même moment ou la grande main s'empare du poignet fin de la châtelaine, faisant reculer Melkor qui se met à hennir bruyamment de rire face à la bonne blague qu'on vient de lui faire. Se soulevant un peu sur ses pattes arrières, oreilles bien dressées et dents découvertes en un rire tout chevalin.

-Je t'ai eue....

Rit il en la relâchant aussi rapidement avant de s'asseoir sur le sol feuillu. Grimacant soudainement, Dante soulève une fesse pour enlever un gland inopportunément pointu de sous lui avant de le lancer, par jeu, sur Louise tandis que d'une roulade leste, il se dégage pour se relever à demi sur une main, prêt à l'éventualité d'une contre attaque sur fond d'un Melkor qui s'excite bruyamment.

Louise attrape le gland au vol et le lance vers lui avec force, avant de croiser les bras sur son ventre, sans dire un seul mot. Sur son visage, il y a un soulagement mais aussi autre chose, comme une colère, une frustration indéfinie qu’elle a du mal à exprimer. Elle regarde ailleurs, inspirant et expirant profondément.

- La perspective de te revoir est une des seules choses qui m’a permise de ne pas sombrer, quand j’étais au Zagazorn à être littéralement rôtie par la haine de tout un peuple ou à Diantra quand j’ai du faire entendre ma voix au milieu de gens qui se moquaient de moi.

Elle se relève et frotte ses habits, le visage fermé, ôtant les feuilles humides s’attardant sur ses cuisses, tout occupée à ne pas se fâcher.

- Pendant des ennéades entières, tout ce qui m’a maintenue debout, c’est toi et Fernel. Alors…

Louise a enfin un regard pour Dante, un regard vraiment peiné, retenant des larmes qu’elle ne laisse pas couler par fierté. Ce grand dadais d’Estreventin, là, cet homme-là, son frère, c’est la moitié de son cœur à lui tout seul. S’il disparaissait, elle en serait totalement anéantie. Dante est le seul être au monde envers lequel elle fait preuve d’une très réelle et toute aussi sincère affection.

- Ne me fais plus jamais croire que tu es mort. Jamais.

La châtelaine regarde à nouveau ailleurs, la gorge serrée.

- Allez, on continue, ce n’est rien. J’ai plein de choses à te dire et à te demander puisque personne ne nous écoute. Comment vas-tu, mon frère ?

L'aveu de Louise cause une immobilité absolue de l'estreventin.  Etre une source d'inspiration et de survis de quelqu'une st... déstabilisant. La ferneloise peut voir l'interrogation passer dans le regard dépareillé de ce sombre visage si peu expressif quand il s'agit de montrer ses émotions vraies. Il en est manifestement déstabilisé devant ce changement de statut. Passer d'être craint à être une source d'admiration pour plusieurs est encore relativement nouveau pour lui.


- Pendant des ennéades entières, tout ce qui m’a maintenue debout, c’est toi et Fernel. Alors… Ne me fais plus jamais croire que tu es mort. Jamais.


Se redressant sur ses genoux, il pose ses grandes mains à plat sur ses cuisses, fixant le noisette directement, passant outre les iris pour plonger jusqu'à l'âme.

Note bien ce dicton: M... en Péninsulaire, ca se traduirait par: il n'y a pas de mort sans cadavre. Ca amène un autre truc intéressant. Ou est ta rage de vivre ma soeur?

La châtelaine regarde à nouveau ailleurs, la gorge serrée.

- Allez, on continue, ce n’est rien. J’ai plein de choses à te dire et à te demander puisque personne ne nous écoute. Comment vas-tu, mon frère ?


Le regard dépareillé se plisse. Dur. Incisif. Curieux. Concerné.

Tu me cache un truc mais passons. Je vais bien, mes projets se concrétisent doucement. Comment trouve tu tes Qyriotes? Ils vont être frileux, mais je pense qu'ils pourraient être une bonne addition à ton corral.

Louise secoue brièvement la tête en fermant les yeux. Il doit donc être écrit quelque part dans un grand livre magique que personne ne comprendrait jamais rien au peu de sentiment qu’elle exprime. Pourtant, elle lui a déjà dit toute l’importance qu’il a pour elle. A de nombreuses reprises. Ici ou à l’étranger. Et là, il réagit comme s’il l’apprenait, comme si c’était nouveau.

- Ne t’inquiète pas pour ma rage de vivre. Si elle avait disparu, je ne serais pas ici avec toi, à Fernel.

Elle lui rend son regard, soutenant les deux orbes dépareillés sans ciller. Il est peut-être un artiste de la mort, un baroudeur invétéré qui a vécu probablement l’équivalent de deux vies mais elle n’est plus pour autant l’oie blanche qu’elle était lorsqu’il l’a rencontrée. Elle aussi a les mains sales, sur bien des points, c’est ce qui a endurci son cœur et c’est aussi ce qui lui donne le courage de dire tout haut un sentiment qu’elle ne peut pas souvent exprimer.

- Ils sont très beaux. Un peu fragiles au niveau des jambes et très nerveux. Les palefreniers ont du aménager les stalles différemment pour eux mais je pense qu’ils s’y feront. C’est un très beau cadeau que tu as fait à toute la seigneurie. Il faudra que je voie s’ils passent l’hiver déjà…L’hiver nordien est rude, je ne t’apprends rien.

Elle s’éloigne et s’en va caresser son cheval, donnant enfin un baiser sur le museau, retrouvant un sourire avant de serrer l’épaisse encolure blanche.

- Je te cache des choses ? Moi ?

Le regard de Louise pour Dante est tranquillement posé sur l’assassin. N’importe qui d’autre aurait peur en sa compagnie en sachant ce qu’il est. Pas elle.

- Peut-être bien. Tu m’en caches bien, toi !

Une petite tape amicale sur l’encolure de son cheval puis elle va s’asseoir sur un tronc tombé au sol, soupirant bruyamment.

- Je suis fatiguée. Tous ces nobles sangs, ces rois, vrais ou faux, ces conseils, cette tension, ça m’a vraiment bouleversée et je ne pouvais absolument rien dire à qui que ce soit puisque je n’avais aucune personne de confiance à mes côtés…C’était difficile, vraiment très difficile, et ça me renvoyait constamment à ma propre solitude.

Elle arrache un morceau d’écorce pourrie et le jette au loin, pensive.

- Parce que la vérité est là, mon frère. Je suis toute seule. Je parviens à donner le change, mais pour combien de temps encore ? Il y a des soirs où je t’envie vraiment beaucoup d’avoir une personne qui t’aime pour celui que tu es, un amour véritable quelque part et qui te soutient. Moi je ne peux rien partager avec qui que ce soit et le temps passe…Je vieillis et je ne suis pas éternelle. Qui va prendre soin de Fernel quand je ne serai plus là ?

Un autre soupir.

- L’avenir de mes terres m’inquiète beaucoup. Je pense que je n’aurai pas le choix, in fine, même si je sais que ça te déplaît totalement tout autant que cela me répugne. Il va falloir que je trouve un époux. La noblesse et l’amour sont incompatibles, visiblement.

Louise regarde ailleurs. Elle a aimé. Follement. Eperdument. Pour être abandonnée. Elle a désiré, ardemment, pour n’être finalement qu’un objet dont on se sert. Elle s’est abandonnée, à son tour, pour apaiser un feu dévorant, un feu qui couve toujours sous la cendre d’un cœur sans cesse piétiné pour demeurer, quoi qu’il advienne, parfaitement seule.

- Je me suis résignée à ne plus vivre ce que j’aimerais vraiment vivre. Peut-être qu’avec ma nouvelle charge à la Cour et le service que j'ai rendu au royaume, je passerai un peu moins pour une épaisse paysanne du Nord…peut-être je n’en sais rien…

Elle ne lui demande pas son avis, elle énonce des faits et vide son cœur avec la seule personne au monde qui peut, un tant soit peu, l’écouter sans la juger.

- J’ai envie de partager tout ça avec quelqu’un…c’est tout.

Ecoutant attentivement Louise, l'homme se relève et époussette soigneusement son matériel, claquant de la langue, ce qui a le mérite de calmer Melkor qui vient lui donner un léger coup de tête amical, réclamant quelques caresses et un bout de sucre que l'assassin lui refile en douce.

Je suis pas inquiet. Appelle ca un paiement, Melkor a déjà fait le jolicoeur pendant ma visite, du coup je m'attends à des poulains bientôt. Ca serait bien une lignée résistante.


Et il s'approche de Louise quand elle s'assied sur le tronc. Prenant place à ses cotés, il dépose son paquetage et déballe son pain qu'il rompt en deux avant de lui en tendre une part, silencieux et attentif.

Tu es pas seule... Je veux te dire quelque chose, je serai peut-être à côté de la plaque, mais ca va peut-être pouvoir t'aider.

Dit il enfin... Entre deux mastications, contemplant le paysage au delà des deux canassons.

Non, tu n'es pas seule... En tout cas, moins que tu le pense. Je suis peut-être pas le prince charmant, mais je suis là et pas que moi, ya ton canasson, en bas, puis les hommes et femmes de ta terre. J'ai compris récemment pourquoi tu les protège.... Parce que tu aurais pu rester à Thaar, ou disparaitre et choisir n'importe quelle vie. Tu as choisi d'être un chien de berger. Une barrière nous sépare, mais rien ne nous empêche de courir ensemble sous la lune

IUl y a un silence, avant que la voix aux intonations chantantes d'outre-mer ne reprenne voix.

Je sais que je suis un vagabond... Je ne peux pas me fixer nulle part, je deviens malheureux. Je vais probablement crever un jour dans le caniveau et seul et, franchement, ca ne me fait pas peur. On nourrit tous les asticots....

Il marque une pause, en paix.

- L’avenir de mes terres m’inquiète beaucoup. Je pense que je n’aurai pas le choix, in fine, même si je sais que ça te déplaît totalement tout autant que cela me répugne. Il va falloir que je trouve un époux. La noblesse et l’amour sont incompatibles, visiblement. J’ai envie de partager tout ça avec quelqu’un…c’est tout.


Je déteste les Péninsulaire. Leur règles ... Leur hypocrisie cachée sous des velours et des soieries. La façon dont ils vous traitent et vous regardent. Le pire c'est entre vous. Vous devriez tous égorger vos géniteur aussitôt que vous êtes enceinte. Si ca pouvait leur faire fermer la gueule, je te marierais en blanc et laisserait celui que tu veux te faire les héritiers. C'est épouvantable tout miser sur la lignée et le sang et non sur le mérite. Et j'ai Redinem en tête. J'aurais pu avoir été jaloux  de toi si j'en avais eu quelque chose à foutre de ses lubies.

Dit il en déballant sa viande dans laquelle il mord à pleine dents.

- Je me suis résignée à ne plus vivre ce que j’aimerais vraiment vivre. Peut-être qu’avec ma nouvelle charge à la Cour et le service que j'ai rendu au royaume, je passerai un peu moins pour une épaisse paysanne du Nord…peut-être je n’en sais rien…


Arrête de minimiser ce que tu as accompli. Tu es une pionnière. En plus d'être une femme de tête au milieu de ces outres pleines de vin et de merde, tu as tissé des liens avec les nains et certain des Thaaris, tu as mis Fernel sur la carte. Avec les avantages et les inconvénients que ca a. Je t'ai envoyé des immigrants, mais plus que ca. Avec ce que j'ai entendu sur les routes... Je t'ai envoyé des volontaires et il sa levé la main en premier. C'est ca mon vrai cadeau, si tu l'accepte. Une volière à Fernel pour que tu ne sois plus jamais isolée.  Je t'ai envoyé de mes gens à moi. Des gens qui peuvent t'aider et qui en ont strictement rien à foutre de ton lignage.  En cas de besoin et ils sauront où me joindre rapidement et de façon sécuritaire. En plus, ils savent tous se battre. Je peux pas rester tout le temps, mais je t'offre des loups pour t'aider à garder tes moutons. .

Louise prend le bout de pain et en mange une bouchée, pensive, tandis qu’elle écoute Dante. Elle secoue la tête avant de l’interrompre, avalant le pain dans un sourire :

- Je sais que je ne suis pas seule et que des tas de gens se jetteraient au feu pour moi, je le sais parfaitement. Ce n’est pas de cette solitude là dont je parle, moi, je parle de cette solitude du cœur qui m’oblige à envisager un mariage de convenance. Je ne peux pas décemment partager cela avec mon peuple…

Cela étant, il a raison. Elle aurait pu rester à Thaar, vivre une vie de liberté, oublier les dogmes et les traditions, ces traditions qui l’effrayent tant, bien plus qu’un regard désapprobateur du Roi Harald.

- Moi ça m’effraye, que tu puisses mourir, Dante. A qui pourrais-je parler de tout ceci si ce n’est toi ? Notre père ? Je t’en prie…Il est incapable de me comprendre, il ne sait rien et je ne veux pas qu’il sache.

Elle n’a pas encore rencontré Elazar en tête à tête depuis son retour. Elle repousse l’épreuve parce qu’elle sait qu’elle risque de perdre le contrôle d’elle-même et que cela risque d’avoir de très lourdes conséquences et pourtant elle sait qu’elle ne pourra pas le faire indéfiniment. Tête un peu basse, elle appuie son coude sur son genou puis mange encore un morceau de pain avant de manquer de s’étouffer à cette évocation étrange de mariage blanc. Il lui faut quelques secondes pour se remettre, éclaircissant sa voix :

- Dante, sérieusement, parfois tu as de ces idées…haha. Il n’y a pas qu’une question d’héritier ou de lignée ici…Je parle de quelque chose qui m’est propre, qui ne concerne que moi. Oublie un instant la châtelaine…la Péninsule…cette barrière qui nous sépare…Je veux juste partager du temps, ma vie, des projets avec une personne qui pourra voir celle que je suis et pas celle que la noblesse de Péninsule aimerait que je sois. Je me sens vide…

Elle finit de manger son pain et ôte les quelques miettes qui trainent sur ses cuisses.

- Vide, c’est le mot. Il n’y a que quand j’aide mes gens que je me sens mieux. Ou quand je m’entraîne avec Enguerrand. Ou quand je chevauche. J’aimerais connaître autre chose, réapprendre à faire confiance, et avoir quelqu’un à aimer…Quand je me lève le matin, quand je me couche le soir, je n’ai personne à qui conter mes jours. Certes, je n’ai besoin d’aucun mâle pour ce qui est de la gestion de mes terres et pour mes affaires. Mais…

Louise passe une main sur son visage pour tenter de dissiper cette misère de solitude qui est la sienne depuis si longtemps.

- J’ai peur, en fait. J’ai peur de laisser quelqu’un entrer dans ma vie à nouveau…et pourtant j’ai envie d’essayer. Au moins essayer. C’est compliqué…Je sais. Je n’ai juste pas oublié ce que ça fait de donner puis d’être abandonnée. Et je n’ai pas envie de revivre ça. Et le hic c’est que tous ces hommes de Péninsule sont pareils à mes yeux. Enfin…presque tous. Et ce « presque » m’est totalement inaccessible. Donc il ne compte pas.

La châtelaine a un soupir du nez puis sourit en regardant son frère.

- Tu vois ? On peut être tout seul au milieu d’une foule de gens. C’est ce qui m’arrive. J’ignore si tu peux comprendre ça mais c’est précisément ce qui m’arrive. Et c’est vraiment pénible en réalité.

Louise donne un petit coup de coude amical à Dante, en ajoutant :

- Tu me vois parler de tout ça à Père ? Comment as-tu fait, toi, pour rencontrer ta douce ?

Est ce qu'il peut comprendre ca? Non, pas du tout. Cette notion de devoir absolument aimer pour être complet lui est infiniement étrangère. Et il se rend, pour la énième fois, compte que Louise est très différente de lui. Elle est obstinément ce qu'on pourrait appeler loyale bonne... ou conne, au choix. Tellement engoncée dans ses carcans qu'elle ne songe même pas à ronger ses chaînes. Envoyer tout ces trou de culs paître et vivre.

Ca a l'air un truc très difficile en Péninsule, simplement exister, pense t'il en prenant une bouchée de son déjeuner. Il laisse de longue minutes passer pendant qu'il tourne et retourne la question en tout les sens.

Non, je ne comprend pas. Parce que être seul n'est pas une tare. Quand je suis seul, je suis seul. Quand je cotoie quelqu'un, je cotoie quelqu'un si je commençais à mêler les cartes pendant un contrat, je ferais pas de vieux os. Je pourrais te dire que la peur c'est pour les faibles mais... Dis, tu as entendu parler de la terrible Maitresse des Lamentations? Les histoires de la croque mitaine te sont elles parvenues aux oreilles? Lui demande t'il à brûle pourpoint. La Maitresse des Lamentations. Cécilie de Missèdes, née de Laval. Aveugle mariage de convenance. Elle a embrassé la magie noire, mange maintenant les enfants. Pourchasse les innocents et dévore leur âme.  En parle t'on à Fernel, pour faire tenir les gamins tranquilles la nuit? Utilise t'on son spectre pour en faire le croque mitaine? Est ce que des gens tuent pour la politique mais font passer ca sur son dos?  

Il attend la réponse, avant d'enchainer.

- Voilà en quoi nous sommes différents, mon frère. Tu sais vivre seul pour plein de raisons. Pas moi…J’ai besoin de donner un peu de ce qu’il y a là, dit-elle en pointant son cœur qu’il sait gardé par un dragon aux griffes acérées. Vu que tout ce que je pouvais donner à une seule et unique personne a été repoussé…Je me contente de donner à Fernel. Et à toi. Mais…

Elle repousse un caillou du bout de sa botte, pensive, un peu honteuse même, d’avouer ça à Dante.

- …J’ai envie de plus. C’est tout. Le problème est que nous sommes en Péninsule…Et que ce que je cherche n’existe pas dans la noblesse. Pourtant je me dis que mes parents se sont aimés follement, Père aime toujours ma mère, même si elle est morte. C’est la preuve que c’est possible…Ils devaient sans doute être des exceptions.

Et elle, elle doit être une personne qui n’inspire que peu de sentiments positifs, finalement. Tout juste un désir brutal et violent chez ces messieurs, pas un seul petit mouvement du cœur, quelque chose de vrai. Pourtant, elle n’est pas vilaine à regarder, elle a une terre, une charge à la cour désormais, elle n’est point sotte, elle a de la conversation, des relations…Seulement voilà, elle n’est qu’une châtelaine. Et les châtelaines, sur le triste marché des noces péninsulaires, c’est tout juste le paillasson sur lequel on essuie ses pieds, on les regarde une fois, on en tire ce qu’il faut puis on les oublie. C’est son intime conviction.

- Ce n’est rien, j’arrête de t’embêter avec ça.

Elle dissipe ses pensées d’un sourire, juste pour lui tout en l’écoutant, avant de hausser un sourcil.

- La Maîtresse des Lamentations ?

Oui elle a entendu des choses à propos de cette créature mais toujours de manière étouffée et lointaine, jamais rien de bien précis. Elle hausse les épaules avec un petit rire.

- En fait, ici, pour calmer les plus turbulents, on leur parle des Gobelins ou des Drows. Généralement, c’est efficace. Pourquoi me parles-tu de cette créature ?

- …J’ai envie de plus. C’est tout. Le problème est que nous sommes en Péninsule…Et que ce que je cherche n’existe pas dans la noblesse. Pourtant je me dis que mes parents se sont aimés follement, Père aime toujours ma mère, même si elle est morte. C’est la preuve que c’est possible…Ils devaient sans doute être des exceptions.

Le doute que Louise ressent, Dante a de l'incapacité à le concevoir. Se mettre dans la peau des autres est difficile et ce, même si il a fait preuve d'une nette évolution à ce sujet. Voici en quoi ils sont diamétralement opposés. Si Louise garde cette étincelle, ce désir de plaire à tout prix, lui n'en garde que le goût du sang dans la gueule et un échec cuisant. Qu'un hurlement intérieur, allez tous vous faire foutre chez les elfes. Faisant son petit bonhomme de chemin, sans demander rien à personne, sauf le prix de ses contrats.

Le regard incandescent qu'il lui retourne est furieusement pâle. Comme si il la défiait de se définir seulement par le rang et la charge. Et si elle pense que cet enfoiré d'Elazar est un modèle à suivre.

- Ce n’est rien, j’arrête de t’embêter avec ça.

Tu n'as pas parlé à père récemment toi hein? Rappelle moi qu'on fasse un croche à sa piaule en rentrant...

Dit il succinctement, sachant pertinemment que ses paroles sybillines vont attiser la curiosité. Mais Louise change abruptement de sujet, apparamment mal à l'aise. Bon joueur, il la laisse faire.

- La Maîtresse des Lamentations ?En fait, ici, pour calmer les plus turbulents, on leur parle des Gobelins ou des Drows. Généralement, c’est efficace. Pourquoi me parles-tu de cette créature ?


Il a un léger rire.

Parce que cette créature que les Péninsulaires se targuent d'être maléfique à l'os, est une femme en chair et en os. Cécilie de Missèdes, née De Laval. Elevée comme ventre. Mariée comme ventre. Pas une ou deux, mais trois fois.  Echangée comme une putain contre de l'influence, des terres. Elle a aimé cette femme, et ils ont buté son amant de l'époque. Et pourtant, elle n'a pas montré les crocs. Elle a tenu son beau petit rôle de péninsulaire. Elle a eu un enfant d'ailleurs, l'héritier de Missèdes. Une vraie sainte je te dis. Un jour, un livre maudit lui est tombé entre les mains... Et elle l'a emmené sauver le monde... Elle a réussit. Et qu'est ce que ca lui a donné comme récompense? Une dague dans le dos, se faire purement démoniser et pourchasser. Sa réputation détruite. Elle? Obligée de fuir en Estrevent pour sauver sa peau. Elle qui ne s'était jamais retrouvée seule.  

Et c'est là qu'elle a rencontré une jeune tête brûlée, lors d'une de ses premières missions. A genoux, nue et indomptable, les cheveux d'encre coulant en vague souples autour de ses reins, tenant un mignon à distance et terrassant le despote régnant sur ces terres merdiques. Pour cette cible, il y eut un combat terrible, mais il lui transperca, sans sourciller, le coeur de sa dague avant de fuir, le Feu d'Uriz aux fesses. Et Uriz si tu te demande, c'est le big boss chez ces tarés d'Eldéens.

Laissons les ennéades passer. L'avatar, ne trouvant pas le jeune blanc bec, se rabattit sur qui? Sur la jeune femme qui avait survécu contre toute attente.  Qu'elle lanca aux trousses de l'impudent qui lui échappait comme une anguille. Ils se retrouvèrent. Et il failli la tuer de nouveau. Il la tortura... Et ellene lui fit que du bien en retour. Ils complotèrent pour se sortir de la panade. Mais elle l'abandonna et fuya, par crainte de se faire blesser. Un an passa, la réputation de la Maitresse des Lamentations grandit. Et quand ils se retrouvèrent, ce fut bombance et carnage. Ils n'étaient plus des prédateurs, mais de sales gosses gâtés qui se nourrissaient de morts et d'âmes. Mais, dans tout cela, ils s'oublièrent et se quittèrent de façon violente, très violente. Se renièrent, essayèrent de s'hair, comme ils détestaient le reste du monde.  Mais c'était trop tard. Ils pouvaient se détester eux même mais pas l'autre quand bien même qu'ils essayaient très fort.

Il continua de parcourir les terres, mais une part restait derrière. Son dieu n'avait plus toute la main mise sur son âme. Et, bataillant contre lui meme, il découvrit qu'il n'avait pas à détester la terre entière. Et quand ils se revirent, c'était en tant qu'adulte et non en gosses. Ils ont appris avec les années qu'ils étaient libre, mais qu'ils n'avaient pas à faire de concession.  

Il marque une pause.

Tout ca pour te dire que la Maitresse des Lamentations, celle qui fait trembler les vieux. Source de toutes les atrocités, est au départ une femme en chair et en os. Une Péninsulaire, comme toi, qui n'entrait plus dans les cases que ces vieux croûtons ont dessinés pour elle et qu'ils ont voulu détruire. Une femme qui a trouvé, dans sa malédiction, sa vraie voie, sa vraie identité. Et cette femme, c'est la mienne.

Dit il avec une fierté non dissimulé.

Tout ca pour te dire, n'essaye pas de rentrer à tout prix dans leur cases parce que tout le monde est remplacable. Ne te sacrifie pas en attendant leur louanges. Et surveille ton dos si tu persiste dans cette voie. Et n'attend pas la corde ou le gibet. Si c'est vraiment l'amour que tu cherche... Je trouve ca dommage que tu te contente d'être un ventre à vendre. Mais bon, je suis un Vaani, je peux pas comprendre ces moeurs de Barbare.  

Louise soutient le regard furieux. Elle sait que son père n’est pas un modèle sur bien des points mais le fait qu’il ait réellement aimé son épouse n’est pas à démontrer. Ce fait est même, à peu de choses près, la seule chose positive qui le concerne.

- Non, je n’ai pas encore eu le temps de me rendre chez lui. Et il ne semble guère plus désireux de me voir, d’ailleurs.

Bien sûr, il tient parfaitement son rôle d’intendant, impeccable jusqu’au bout des ongles, sérieux et digne. Pour le reste par contre…Oui il faut qu’elle voit Elazar et qu’ils parlent, ils n’ont eu aucune occasion de le faire depuis des mois.

Lorsque Dante parle enfin de celle qui partage sa vie, elle pâlit un peu mais ne l’interrompt pas un seul instant, assimilant les informations qui ne sont jamais vraiment claires, à l’exception de…

- Cécilie de Missèdes ? Née…de Laval ?

Louise passe une main sur son visage, étirant un sourire étrange sur ses jolies lèvres corail.

- J’ai rencontré Gaël de Laval, seigneur de Chiard, à mon retour d’Estrevent. Un homme aimable et excellent cavalier…Mais…Je comprends mieux maintenant. Enfin, je comprends bien des choses même si tu fais référence à des événements que j’ignore.

Entendre Dante parler de sa compagne de cette façon la fait sourire, même si elle baisse la tête, occupée à regarder l’espace compris entre ses pieds bottés.

- C’est le sort de toutes les femmes de Péninsule dès l’instant où elles portent un titre de noblesse, en effet. Et c’est ignoble, je suis la première à en convenir. Elle a du souffrir énormément, cela devait être horrible…Pourtant…

Louise tend sa main à Dante pour qu’il s’en empare.

-  Elle a trouvé quelqu’un qui lui convient et qui l’aime. Elle a été maltraitée et désormais, elle a un repère dans sa vie. Toi. Peu importe qui elle a été ou qui elle est maintenant. Si tu te sens bien avec elle, c’est tout ce qui m’importe.

Un regard à son frère, un peu émue.

- Je suis contente pour toi. Tu n’as pas eu une vie facile, tu mérites cette joie-là. Pourtant…mon frère…Tous les hommes de Péninsule ne sont pas des monstres…Il y a même des hommes très bien. J’en ai rencontré un…mais…les choses sont telles qu’en Péninsule, même si j’ai fait en sorte d’éviter une guerre et que j’ai une charge à la Cour, je ne suis qu’une châtelaine…

Louise plisse un peu les lèvres.

- Je ne peux pas songer à lui. Voilà pourquoi je m’efforce de ne songer à rien. Et pourtant…Il va venir ici. J’ai reçu un courrier officiel annonçant sa venue. Et je me sens totalement heureuse et démunie à la fois. Heureuse parce que je vais le revoir, démunie parce qu’il est Duc.

Louise tend sa main à Dante pour qu’il s’en empare ce qu'il fait avec son hésitation usuelle. La poigne, forte et ferme, est régulée de façon à ne pas lui faire mal. Comme si elle pouvait devenir meurtrière à tout instant. Il l'écoute, et il se dit soudainement qu'elle a passé totalement à côté du point. Il ne veut pas de pitié pour Cécilie. Si elle savait.... Mais elle pousse encore son point, lui amenant un début de migraine.

- Je suis contente pour toi. Tu n’as pas eu une vie facile, tu mérites cette joie-là. Pourtant…mon frère…Tous les hommes de Péninsule ne sont pas des monstres…Il y a même des hommes très bien. J’en ai rencontré un…mais…les choses sont telles qu’en Péninsule, même si j’ai fait en sorte d’éviter une guerre et que j’ai une charge à la Cour, je ne suis qu’une châtelaine…- Je ne peux pas songer à lui. Voilà pourquoi je m’efforce de ne songer à rien. Et pourtant…Il va venir ici. J’ai reçu un courrier officiel annonçant sa venue. Et je me sens totalement heureuse et démunie à la fois. Heureuse parce que je vais le revoir, démunie parce qu’il est Duc.


Louise plisse un peu les lèvres. Et l'estreventin lance son restant de viande dans les fourrés n'ayant plus aucun appétit. Commencant à sentir poindre une certaine irritation, le maitre assassin retire sa main, pour mieux se mettre debout et lui faire face, de totue sa sombre prestance. Même si il s'est étoffé avec la trentaine, il a toujours la dégaine sèeche et souple. Les prunelles dépareillées flamboient.

Il pourrait être un haut-prêtre que je m'en foutrais. T'entends tu parler? Tu n'as rien compris. Ce sort que vous dites réservé aux femmes de rang de Péninsule, c'est parce que vous l'acceptez que ca existe. T'entends tu? Je ne suis qu'une ... Je ne peux pas. Ces codifications et ces rôles rentrés dans votre crâne depuis que vous étiez aux couches. Ecoute moi bien ma soeur. Ton duc... Il est avant tout un homme. Il mange, il chie, il saigne comme tout le monde. Votre problème à vous, Péninsulaires, c'est que vous voyez les titres avant les individus. Vous n'écoutez pas vors tripes et vous laissez vendre comme des quartiers de boeuf. Et ca m'écoeure. Tout est tellement codifié que je serais pas étonné d'apprendre qu'il y a un rituel nuptial. alors que vous devriez en avoir rien à foutre. Tu veux l'amour? Regarde l'homme... Pas le titre. Et arrête de te voir comme une marchandise et un titre aussi. Ce que vous pouvez être castrant quand même. C'est à se demander comment vous faites pour vous reproduire... Et c'est nous qu'on taxe de barbares... Si tu le veux cet homme ''bon'' Vas-y, mais en tant que femme... Et, je te jure sur Zhak'Bar, si je vois une larme couler de ta joue parce qu'il t'a fait souffrir, je le bute.

Elle est contente de tenir sa main, cela n’arrive pas tellement souvent et même là elle sent, sous sa paume, toutes ces contractures qui sont caractéristiques du grand estreventin. Louise est consciente de sa chance et du privilège, il n’est pas certain qu’à part la dame de ses pensées il laisse les gens s’emparer de sa main. Tout comme elle. Elle ne la donne jamais à personne et quand le protocole l’oblige de l’abandonner à quelqu’un pour un salut courtois elle la retire aussitôt. Prendre la main de Louise c’est accepter la confiance qu’elle octroie. Et cette confiance, pour l’instant, il est le seul à la recevoir.

Alors quand elle le voit se lever pour se planter face à elle, le regard luisant, elle a compris que ce qu’elle lui a dit lui a déplu souverainement. Elle l’écoute pourtant avant de lever les yeux au ciel et de se lever, pour lui faire face. Louise est vraiment petite, même pour une Péninsulaire, aussi lève-t-elle aussi bien la tête que le regard, un regard qui ne cille pas sur ce grand homme-là qui comprend lui aussi tout de travers.

- Ecoute moi bien, Dante Corvac…Que vois-tu face à toi ? Une femelle en pleurs sur son pauvre sort ? Une dame qui file de la laine et joue de la harpe en chantant des romances à sa fenêtre, attendant un prince charmant ? Une fragile personne qui a besoin de l’aide de tout le monde pour seulement exister ?

Elle sourit en coin, supportant le regard furieux avec aplomb, parce que cela, elle sait le faire mieux que quiconque, compte tenu des événements récents.

- Non. Je suis là, je dirige ma terre, je me bats, au propre comme au figuré, pour que Fernel demeure Fernel parce que c’est MA terre. Pourquoi crois-tu que je me suis rendue au Zagazorn ? Pour les beaux yeux d’un gamin qui n’est même pas notre roi ? Pour la gloire ? Parce que je n’ai rien d’autre à faire de ma vie ? Non. J’y suis allée parce que je savais que si je n’essayais pas de faire quelque chose pour empêcher cette guerre qui se profilait, Fernel…ma terre, mes gens, tout ce que j’aime aurait fini rasé par la puissance magique et martiale des Dawis. Je n’ai besoin de personne, pas même de toi, pour me dire quoi faire, comment et avec qui. Personne, tu entends ?

Elle n’a pas haussé une seule fois la voix mais la volonté de Louise est aussi forte que celle de son frère et il pourra parfaitement le sentir.

- Je vais avoir 23 ans, à mon âge, toutes les femmes nobles sont mariées et ont des enfants. Est-ce mon cas ? Non plus ! Parce que ça me répugne et que je n’ai pas envie de passer par là mais, mon frère, la réalité de Péninsule est telle que si je ne donne pas un héritier à Fernel, on me la prendra ! ça, c’est ma réalité, Dante, pas la tienne. Tout comme celle de Cécilie de Missèdes n’est pas la mienne non plus. Je ne te demande pas ton accord ou ton approbation, je te demande simplement de m’écouter. D’être là. Parce que dans toute cette…vie de merde qui est la mienne…tu es mon seul repère. Tu es le seul en qui j’ai confiance. Assez pour te dire que je suis malheureuse et que moi aussi je voudrais pouvoir dire que j’aime sans devoir me restreindre.

Elle regarde ailleurs, contrite de devoir en arriver là, elle place même ses mains dans ses poches, gênée d’avouer cela.

- On a couché ensemble à Kirgan, Dante. Pour lui je ne suis qu’un passe-temps, rien de plus. Et honnêtement, à Kirgan, il en a été un pour moi aussi, je ne lui ai pas tellement demandé son avis. Sauf que je l’ai revu. A plusieurs reprises. Et il est…Je n’ai même pas les mots…Il est gentil. Doux. Charmant. Respectueux aussi. Il me plaît. Pas parce qu’il est Duc…mais parce qu’il est ce qu’il est. Il vient de perdre son épouse, crois-tu que c’est réellement le moment idéal pour lui dire ce que je viens de te dire ? Non pas vraiment…

Elle frappe un caillou du bout de sa botte, fâchée contre elle-même à présent.

- Moi et ma manie insupportable de tomber amoureuse de ce qui est inaccessible…C’est vraiment pénible.

Il y a un moment de silence. Dante sourit intérieurement, même si le dehors reste pareil, sa sale gueule de soudard couturée de cicatrices du côté gauche, téoins d,une vie on ne peut plus mouvementée. þrotéger des choses et des gens, il connait maintenant. Et il comprend parfaitement la situation même si il n'en parle pas. Ni de ses ombres, ni de ses corbeaux. Ni des jeunes orphelins à qui il apprend à se défendre. Eho!!! Après tout, ont ils défendus le manoir. terrassé un commando de l'oeil et ce sans perte!!!!

Oh que oui, a t'il bien avancé autant physiquement qu'émotionnellement. Il place tranquillement les choses pour l'après... Et Fernel est un stop stratégique de premier choix. Autant par la situation géographique qui lui donne sans trop de mal une très belle mobilité à travers la péninsule, que par l'avantage que ca peut donner à Louise si elle devient un jour dans la merde. Mais bon, ca c'est une autre histoire. Pour le moment, le problème est ailleurs

-Bah, je vois pas trop ou ca coince en fait. Dit il en se portant à la hauteur, froncant les sourcils quand il voit un truc. ŀa voix grave et rauque claque alors... MELKOR! LACHE LASGALEN!!!!!

Hennissant sa désapprobation, l'étalon d'ombre et de feu décide de piquer un petit galop dans la clairière.

-Bon, comme je disais, vous vous êtes connus et plu en tant qu'homme et femme.... Alors je vois pas ou ca coince en fait. Je parie que ton duc doit bien aimer se faire traiter en homme normal. En tout cas, Céċilie, elle, n'a pas pu résister. Ensuite, avise comment ca se goupille. Et je crois que votre roi doit approuver? Ben si il approuve pas ce petit bâtard, je lui ferai entendre raison. Mais je pense pas que ca arrive sérieusement....  

Il se tourne vers Louise, sérieux, et pose un doigt sur l'emplacement du dragon scarifié. Elle n'a jamais vraiment compris Zhak'Bar, mais il veille au grain... Il sait être patient quand il veut...

Met un peu d'Estrevent dans ta facon de penser Péninsulaire. Bouscule les conventions. Ose vivre! Saute les barrières et va chercher ce qui t'es dû. Et avise ton grand frère en cas de problème à résoudre. Je te déblaierai le chemin

- Si tu étais Péninsulaire, tu saurais alors à quel point je suis déjà en train de les bousculer, mon frère…Mets un peu de péninsulaire dans ta façon de penser estreventine…

Elle a répliqué en posant son doigt sur le cœur de Dante, en miroir. Elle ne lui en veut pas, bien sûr, elle ne lui en veut pas du tout de ne pas cerner les finesses, appréhender les subtilités d’un monde fort complexe dans lequel il est difficile d’évoluer quand on n’y a pas été intégré depuis la naissance.

Louise prend beaucoup de libertés par rapport aux conventions et aux standards de Péninsule, elle est probablement l’une des seules femmes réellement libres de ce royaume, d’ailleurs.

- Parlons d’autre chose.

Elle ôte son doigt et se détourne pour observer Lasgalen, les oreilles couchées sur la tête, avant de rire un peu et de regarder son frère, tout sourire.

- Pourquoi m’as-tu dit tout à l’heure que l’on devrait rendre visite à notre intendant favori ? Il s’est passé quelque chose en mon absence ?

- Oui ta chambre se désespère de te recevoir, à vrai dire.

Louise dit cela avec un sourire, sur le ton de la plaisanterie. Elle sait très bien qu’il n’est pas homme à se coucher dans un lit, bien au chaud face à une cheminée, même à Fernel où il est pourtant en sécurité. Elle ne s’en offusque pas le moins du monde même si elle s’inquiète parfois pour sa santé. Même lui n’est pas à l’abri d’une méchante fluxion.

- Quant à Père…Oui, je sais que vous ne vous entendez pas. Et je pèse mes mots.

Elazar est toujours un sujet sensible. Dante ne s’est confié qu’une seule fois à ce sujet, au cours d’une lutte qui a opposé le frère et la sœur. Des coups ont été échangés, elle a été blessée, elle l’a blessé aussi et ils se sont soignés l’un l’autre comme un frère et une sœur, lui avec des baumes appliqués sur les blessures de Louise, elle par une attitude compréhensive et plus empathique vis-à-vis de son passé qu’elle n’évoque qu’en de très très rares occasions.

Pourtant, aujourd’hui, il va falloir parler. Et parler fort. Louise vient de s’arrêter, le regardant continuer sa marche, totalement pétrifiée par ce qu’il vient de dire. L’envol de la petite noisette ne la distrait pas un instant, les yeux de la chatelaine sont obstinément fixés sur Dante. Elle est pâle. Très pâle.

- Je te demande pardon ?

C’est un peu comme si le sol venait de se dérober sous ses pieds, elle vacille un peu d’ailleurs avant de se ressaisir et de rejoindre Dante, s’emparant de sa main sans demander, l’œil luisant d’incompréhension, de colère et de peur aussi. Beaucoup.

- Une épouse ? Une épouse de Paville ? Mais…Mais enfin…C’est impossible ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Elle me suivait à Papincourt ? Et c’est seulement maintenant que tu me le dis ?

Louise plisse les yeux, bouleversée. Qu’Elazar se marie est déjà choquant mais avec une femme de Paville ?

- Il n’y a que ma tante…que je n’ai jamais vue. Elle a toujours refusé de venir à Fernel, je n’ai jamais su pourquoi. Et là…là, tu es en train de me dire que Père…que Père a potentiellement…épousé ma tante ?

Les paupières de Louise battent plus vite, si vite qu’elle chancelle à nouveau, affreusement pâle.

- Tu es certain de ce que tu me dis ?