Le Feu dans la Forêt [PV Urgoll]

Début de Bàrkios
19e année du Onzième Cycle
Un peu à l’Ouest de la Dross

Sous les branches vivantes qui faisaient ton armure, ta peau commençait déjà à frissonner. Avec le déclin de l’automne venait la promesse de l’hiver, et avec la promesse de l’hiver celle de deux nouveaux mois de lutte contre l’implacable morsure du froid. Mais s’il te tailladait déjà l’épiderme, au moins l’automne était-il saison de chasse fructueuse ; occupée qu’était la faune à se gorger de ce qu’elle pouvait en prévision de mois difficiles. Jusqu’au plus profond d’Aduram les bêtes – si elles n’étaient pas en rut – étaient grasses, pataudes et frappées par les prémices de la léthargie saisonnière à venir. Les bêtes préparaient leur sommeil… et pour cette raison elles étaient plus agressives qu’à n’importe quelle autre période.

Ta langue cueille une goutte de sang perdue au coin de tes lèvres. Tu déglutis, chassant un peu du goût de la venaison de ta langue. Tes mains quant à elles se crispent sur la peau couverte de fourrure de feu ta proie. Cette part de l’hiver, tu ne l’aimais pas le moins du monde. Tu n’avais jamais particulièrement apprécié ce genre de travaux manuels, mais Le Monde ne te laissait maintenant plus le choix. De peaux il t’en faudrait d’autres, de fourrures il t’en faudrait d’autres, et ensuite il te faudrait prendre le temps de laver, de tanner et de raccommoder tout ce que tu avais récolté en un semblant de vêtement d’hiver… ou peut-être cette fois-ci pourrais-tu chercher quelqu’un pour le faire à ta place ?

Depuis ton réveil, tu ne t’étais finalement jamais véritablement rapproché des personnes habitant ces bois. La Dross ne t’avait jamais semblé propice à t’apporter les moindres réponses. Mais peut-être te trompais-tu. Peut-être y avait-il plus à apprendre que tu ne le pensais à observer les Sans-Flammes qui s’y agitent jour et nuit pour joindre les deux bouts. Leur création n’était-elle pas l’une des plus intrigantes décisions de Kerhel ? Peut-être en les connaissant mieux, trouverais-tu finalement une raison à l’existence de ces étranges créatures.
Mais le jeu en valait-il la chandelle ? Tu ne pourrais pas en être moins sûr. Car si tu ne t’étais finalement jamais véritablement rapproché des personnes habitant ces bois après près de deux décennies à les arpenter, c’est parce que le peu que tu avais pu voir des Sans-Flammes t’agaçait au plus haut point. Trop inconstants. Trop faibles, tant de corps que d’esprit. Trop vides de convictions. Les Sans-Flammes – faisant finalement honneur à leur nature – semblaient vivre sans autre raison de vivre que leur amour pour leur propre insignifiante existence. Et à cause de cela rien de ce qu’ils faisaient ne te semblait faire le moindre sens. Ils se contredisaient trop souvent, se parjuraient trop souvent, se choisissaient des alliés et des ennemis sur un coup de tête… mais ça au moins, ils ne semblaient pas être les seuls.

Il est difficile de voir un Frère choir au niveau des Sans-Flammes. Difficile, mais ô combien fascinant. Presque deux ans. Combien de temps avant qu’il n’en vienne à proprement devenir l’un d’eux ? Tu ne lui donnais pas plus d’une poignée de mois. Et pourtant cet Ilythiiri fut autrefois l’un des plus féroces d’entre vous.
Difficile de ne pas reconnaître – même dans ce pitoyable état – le faciès d’Urgoll’Ven, ancien Grand-Prêtre de Zakhbar. Plus difficile encore – en le voyant ainsi – de ne pas craindre d’avoir emprunté le même chemin… voire pire encore. Car viennes-tu à chuter à ton tour, que tu ne ferais pas qu’adopter les basses mœurs des Humains comme lui semblait l’avoir fait. Viennes-tu à chuter que Kerhel aurait une chose d’entièrement te corrompre. Et alors, ta quête de vérité au lieu de t’avoir simplement arraché aux mensonges d’Uriz te verrait quitter le joug d’un dieu trompeur pour un autre.
Tu ne pouvais pas chuter. Et comprendre là où avait péché ton aîné ne pouvait que t’aider.

- Urgoll’Ven ? tu plonges d’une branche haute au renflement d’un souche à portée de vue du Drow comme à son habitude errant dans la forêt Ça fait un moment que je me pose la question maintenant tu soulèves un sourcil Qu’est-ce que tu fais là ?

Milles pas inconstants. Milles chasses infructueuses. Milles errances absurdes, au but clair seulement pour lui même... Ou bien, ce lien qui l'attirait en toute direction au sein de cette forêt corrompue, était-il une relique de ce qui n'était plus, seulement maintenu par quelque magie maudite ? Il ne savait. Sentait seulement. Cherchait encore, à en perdre par moment la raison. Autrefois, il se perdait pour mieux s'offrir au divin, s'abîmer dans une folie religieuse de chasseur en lutte avec les bêtes que lui offraient son dieu préféré. Maintenant... La chasse ne servait qu'à lui permettre de continuer de chercher, sans savoir combien de temps, ni s'il retrouverait jamais ce qui lui manquait. Mille fois il eut souhaité abandonner. Mille fois il était reparti sous les frondaisons obscures, délaissant le peu qui lui restait. Mille fois il avait manqué ne pas en revenir.

"Urgoll'Ven ? Ca fait un moment que je me pose la question maintenant. Qu'est-ce que tu fais là ?"

Son pas égaré et pourtant si sûr se prit une racine et l'envoya brutalement face contre terre, colosse arraché à son délire par une gravité sans subtilité. Presque aussitôt, il était de nouveau debout, indifférent à la douleur de la chute, mû par des réflexes centenaires... Pour faire face avec une hébétude de drogué tout juste réveillé par une baffe, à une vision qui n'avait pas de sens : celle d'un drow descendu des hauteurs, physiquement - presque - plus drow que lui-même, pourtant vêtu de végétation, utilisant un nom qu'il n'avait plus entendu depuis longtemps si ce n'est dans la bouche de quelqu'un qui en avait payé le prix, lui posant une question qu'il ne se posait même plus, avec la tranquilité d'un voisin curieux. Vraiment incongru.

Et puis, la réalité le frappa : un drow, en Aduram, lui parlant eldéen. A la seconde de stupéfaction succéda un réflexe dû au bon sens, celui de fondre sur l'ennemi pour vérifier d'une beigne s'il était bien réel. Et si l'hallucination se faisait fuyante, voire même pire, réelle, une rapide incantation, en quelques pas, suffirait à brûler tout doute sur plusieurs mètres autour de lui.

Du moins, c'est ce qui était prévu, avant qu'il ne se retrouve - encore - le nez dans la poussière. Un autre rappel à la réalité, encore plus fou que le premier, quand il réalisa qu'une racine lui retenait un pied. Celle qui l'avait fait choir. Sauf que son pied s'en était écarté préalablement. Et pourtant, la coquine s'y trouvait bien accrochée.
Vraiment, vraiment incongru.

La perplexité la plus totale eut pour bienfait de le faire parler civilement, alors qu'il prenait son temps, cette fois, pour se relever.

"Qu'es... Tu ? s'interrogea-t-il à voix haute, colère et incompréhension se livrant bataille sur son faciès buriné, et sa voix grave et rude, inutilisée depuis plusieurs jours si ce n'est pour quelques onomatopées bestiales. Suis-je... Fou ?"

Debout, il agita la guibolle pour se libérer de l'ennuyeuse végétation, qui ne lui jouait pas ce genre de tour d'ordinaire, tout en gardant un œil - rouge, mais il n'y avait rien de personnel là dedans - sur l'apparition.

Tesso en soit béni, tu étais toujours sur tes gardes, et sans savoir ce que te voulait soudainement l’ancien prêtre, l’on pouvait assumé cela t’avoir sauvé la vie. Nul doute d’ailleurs, qu’il te faille bientôt à nouveau jouer de tes dons, car ton interlocuteur était plus instable que tu ne l’aurais cru. Bas sur tes appuis, les yeux fixés sur l’Eldéen à la peau pâle, mais l’attention à moitié sur les branches et racines vous entourant, accroché à autant d’alliées que d’échappatoires, tu attendais ton moment. Et la forêt, ta confidente – entre deux pénibles murmures – frémissait presque visiblement.

- Probablement. tu réponds, un sourire presque moqueur se dessinant discrètement au coin de tes lèvres Mais je ne pense pas en être la preuve la plus accablante

Ton visage se resserre, tes oreilles sont parcourues d’un spasme, et le rouge de tes yeux brille plus fort l’espace d’une fraction d’une seconde. Ta mâchoire claque sèchement, te coupant avant même que tu ne continues ta diatribe. Puis tu souffles. Qu’es-tu ? La Dissonance ne te donne que peu souvent l’occasion d’y réfléchir par toi-même. Ce que tu es, la forêt t’en a convaincu au point qu’il s’agisse aujourd’hui de la seule chose que tu ne questionnes plus… sans pour autant être capable de l’expliquer.

- Mais si tu veux tout savoir…

Le rhytidome de ton vêtement glisse sur les parts nues de ta peau, s’y enfonçant allègrement par endroits, visiblement sans t’infliger la moindre douleur. Tes chairs s’effacent peu à peu, dévorées par le tissu ligneux, et bientôt, là où tu te tenais ne se trouve plus qu’une silhouette vaguement humanoïde, mais entièrement végétale. L’apparence que choisit de revêtir ton totem durant toutes ces années où il te garda en vie en son sein.
Dans un sens, et maintenant dans l’autre, ton habit en redevient un. Tu fais à nouveau face à ton interlocuteur en tant que Drow en chair et en os, toujours aussi attentif.

- J’ai échoué ici après le siège d’Alëandir, et c’est comme ça que je me suis réveillé. tu souffles des nasaux Mais je ne m’en plains pas. C’est mieux que de servir de toutou à des Sans-Flamme.

Face à la créature de verdure, l'ancien eldéen eu un mouvement de recul, les bras levés comme protection, les yeux ouverts grands, emplis d'une horreur viscérale face à l'aberration. Et puis... La chose redevint drow, et parla, mais le sombre gris demeurait incertain, le cœur soulevé par une stupeur sans commune mesure. L'autre disait ne pas savoir, mais la vérité se passait de mot, et une part du paria se rappelait à lui, appelant à la purification, au feu, à la destruction de quelque chose qui n'avait pas à être. Mais... Cette part de lui n'avait plus guère voix au chapitre. Et tandis que l'inconnu expliquait avec un vague ennui, son interlocuteur lui, affichait un air halluciné... Et souriant. L'on ne pouvait dire s'il semblait heureux ou horrifié.

"Un Aimé de Kerhel..." souffla-t-il, émerveillé, et pourtant parlant bas, comme s'il redoutait d'être entendu.

S'étant défait de la racine, le colosse s'avança à nouveau mais cette fois à pas mesurés, détaillant l'individu, le drow végétal, son physique pourtant typiquement eldéen, mais ceint d'une écorce vivante, en une symbiose ? Qui aurait fait hurler à l'hérésie tout prêtre eldéen. Mais... Pas lui. Plus maintenant. Il semblait tout au contraire des plus fascinés, hésitant même à toucher, comme pour vérifier la réalité de la chose.

"Venu tuer ses enfants, ravager son oasis, et pourtant, accueilli par elle... ? réfléchissait-il à voix haute, tournant autour de son cadet comme s'il s'agissait d'une bête étrange. La remarque lui tira une réflexion amère. Des siècles j'ai servi des traîtres. Alors pourquoi pas des mortels ? Des sang-mêlés aux enfants de leur Ennemie ? Ceux-ci ne peuvent rien me prendre. Ceux-ci sont à ma portée si je décide qu'il en ira autrement. CEux-ci... Un chuintement horrible, celui d'un rire de désillusion, de mépris... Et de joie. Une joie creuse. Si cela peut Leur déplaire, je continuerai."

Nulle barrière à ses pensées qui fusaient, qu'il osait même énoncer, en présence de ce qu'il pensait un instant plus tôt devoir réduire en cendre pour sa survie. Son esprit enfiévré prenait un tour inattendu et fou, découvrant l'impossible, envisageant des possibilités absurdes. Et pourtant, elles étaient là, sous ses yeux, sous la forme d'un drow, eldéen de surcroît, lié d'une manière ou une autre à Celle que leur sang avait juré d'abattre, au nom de leur Père et de tous les autres. C'était impossible. C'était fantastique.

Si les mires du drow gris n'avaient pas été noyées dans le sang, elles auraient pu briller d'un émerveillement presque enfantin, tant il était éperdu, transformant le faciès encrassé et creusé par le temps, les épreuves et la folie.

"Comment... ? Une curiosité fébrile teinta son timbre, ému. La sers-tu ? Qu'as-tu appris d'Elle ?"

À voir comment s’étaient déroulés les événements durant leur assaut de Naélis tu t’en serais douté… mais il semblerait que durant ton absence, le Puy ait encore plus perdu de sa superbe que tu ne le pensais. Des Traîtres ? Des sang-mêlés ? Etais-ce cela aujourd’hui le commandement de Puy, ou alors ces siècles de sommeil ont-ils plus heurtés ta capacité à comprendre les tiens que tu ne l’imaginais ? Après de longs Cycles à tenir bon, l’Elda finissait-il par étouffer sous les conséquences du Prime Mensonge qui l’a si longtemps fait tenir ?
Aussi détaché sois-tu du Vatna aujourd’hui, tu peines à ne pas t’attrister de telles nouvelles. La colère que tu éprouves face aux fabulations de leurs prophètes n’a pas effacé l’affection que tu voues à ton peuple. Tu aurais seulement aimé qu’ils soient capables de conserver force et honneur dans leur mirage, jusqu’au jour où t’auraient été offertes les clefs nécessaires à le dissiper. Mais au moins les quelques mots d’Urgoll auront su te rassurer quant à ce qu’il lui reste de fierté. Il n’était plus un brasier, mais au moins quelques charbons incandescents subsistaient.

- Il faut croire que « Maman » ne s’est pas encore décidée à abandonner notre côté de la famille... un sourire narquois t’échappe …Surtout qu’on dirait bien qu’on tient plus d’elle qu’on ne voudrait le croire. tu finis par poser le pied au sol, et ouvres grand les bras, désignant la forêt tordue et les branches menaçantes qui vous entourent Je n’ai jamais vu Uriz nourrir ce genre de colère. un spasme parcourt rapidement ton visage, alors que ton attention – car tu as osé la mentionner – est happée par la Dissonance Des Cycles déjà que les anciens ont quitté cet endroit, et c’est comme si leurs Flammes y brûlaient toujours. Elle garde peut-être les Anedhels dans une heureuse ignorance, mais je doute que Kerhel ait oublié Unvan. Elle ne tordrait pas son précieux « équilibre » de cette manière si c’était le cas.

Sans jamais quitter ton interlocuteur des yeux, tu fais à nouveau quelques pas en arrière, et d’un bond, reprend place sur l’énorme souche que tu avais fait ton premier perchoir, plus perplexe encore que tu ne l’étais au départ.

- Et c’est ce que je ne comprends pas. tu grognes Comment est-ce qu’elle peut encore être à ce point en colère contre ses propres créations, et ne pas simplement les détruire ? tes poings se serrent Et si elle n’a pas cœur de le faire elle-même, pourquoi nous avoir empêché nous, ses premiers enfants de le faire ? Quelque chose ne tourne pas rond dans cette histoire. Kerhel à elle seule tenait encore aujourd’hui tête à Uriz et Teiweon, alors pourquoi craindre de pauvres Sans-Flamme privés d’un Gardien ? J’espérais le comprendre en observant les Sans-Flamme, mais jusque-là, je n’y comprends toujours rien. Ils me paraissent juste un peu plus insignifiants et inconstants chaque jour.

Insignifiants, inconstants, et dangereux pour l’équilibre tel que Kerhel elle-même l’entendait. Alors pourquoi ? Pourquoi s’infliger elle-même ce genre de souffrance pour préserver leur existence. À moins que… à moins qu’elle soit à ce point folle ? À ce point dégoûtante ? Faible au point d’être prête à trahir ses propres valeurs pour ne pas avoir à faire face à son échec et à détruire l’une de ses créations… quitte à ce que ses premiers enfants aient à en payer le prix.

Obnubilé, le grand drow gris n'entendait qu'à moitié, ne retenait que ce qui trouvait un écho' en lui. Bien des propos de son interlocuteur ne provoquèrent qu'un froncement de sourcil, lui qui parlait d'autre chose se voyait répondre des interrogations qui l'indifféraient. Pire, l'autre avait pris une distance... Que le plus ancien franchit à grands pas. Écoutant sans écouter. Tirant des conclusions bien loin des préoccupations de son cadet. Ou... Pas tant que cela ?

"Tu ne vois pas... ? souffla-t-il. Tu ne comprends pas ? Un jeu, ce n'est rien qu'un jeu, pour eux... Un jeu dont les règles sont connues d'eux seuls, où les petits êtres que nous sommes ne sont que pions, à balayer, à fracasser, à jeter dans l'abîme du chaos qui les... Divertit. Un murmure qui ne voulait pas être entendu, où se cacher incertitude et doute, horreur et déni, renoncement et folie. Je peux tuer leurs enfants et me battre encore. Je peux maudire Leur nom et respirer encore. Je peux les renier et vivre encore. Ils n'ent ont cure. Il n'y a que leurs pions pour s'acharner à appliquer leurs volontés. Eux regardent... Et s'amusent. Une voix basse et ancienne, blanche, aussi faible que le souffle d'un nouveau-né presque mort-né. Un nouveau Feu s'est élevée, habitée par Lui. Le regard était vague, de même que la main qui se porta vers sa gorge, en souvenir d'une blessure qui n'avait pas laissé de trace. Elle a chu elle aussi, comme tous les autres. Un sourire s'étira horriblement, révélant ses crocs. Il parlait, mais son regard était ailleurs. Il n'y a rien à brûler au Puy, si ce n'est les enfants venus s'y cacher. S'y battre. Y mourir contre le monde. Contre eux-mêmes. Sans même savoir si leurs Parents leurs sourient vraiment."

Il n'y avait ni grand prêtre glorieux, ni fou dangereux à voir dans ce souffle qui s'éteignait, rien qu'un drow, vieux, trop vieux pour son propre bien. Ses épaules se voûtèrent comme le toit d'une maison aux fondations pourries. Ses mires étaient troublées comme les eaux obscures qui avaient englouti les leurs, la seule fois où ils s'étaient risqués sur les flots sombres. Son corps était l'épave d'une puissance ancienne qui se refusait à mourir, tout en le souhaitant ardemment.

Et puis... Il regarda à nouveau celui qu'il avait devant lui, et ses mires brillèrent à nouveau d'une lueur folle : celle de l'envie d'en découdre avec ceux qui le dépassaient.

"Que t'importe les mortels ? Pions des pions, ils sont utiles, tout au plus. Cette fois, le rictus monta jusqu'aux yeux, qui pétillaient d'une envie mauvaise. Qu'attends-tu pour aller les voir, ceux qui croient encore ? Ta simple vue en rendra fou, de rage et d'incompréhension. Qu'ils sachent que tu existes ! Qu'ils se perdent en questionnements ! En incompréhension... En doute. Soudain, la rage. QU'ATTENDS-TU ? Pour leur montrer cette autre voie ?! Une mère maudite, qui pourtant accepte l'un de ses enfants maudits ? Qui a maudit, Elle ou Lui ? QU'ESPERES-TU ACCOMPLIR ICI ?"

De conteur las il se fit accusateur véhément. Il s'emplit, se gonfla, de rage et de question, levant la tête vers le perché avec ses grandes questions bêtes. Les battoirs s'étaient ouverts grands, crispés, le torse enfant, près à s'époumoner. Avait-il incanté ? En tout cas un vent froid soufflant sous les frondaisons obscures, balayant feuilles mortes et torturées, et leurs corps sombres si incongrus dans cette forêt maudite d'où leurs ancêtres avaient été chassés.

- Celui qui connaît les joueurs connaît les règles du jeu. tu réponds nonchalamment au prêtre qui s’excite Et rien ne dis plus d’un joueur que la manière dont il déplace ses pions.

Trop désabusé peut-être. Intimidé par sa propre impuissance devant les habitants de Silène. Urgoll avait arrêté de se battre pour autre chose que sa survie, lorsque – tu en restes convaincu – les clefs de la victoire au petit jeu que jouaient vos Pères étaient entre vos mains. Qu’ils vous voient comme leur adorée progéniture ou comme de simples jouets, le fait est que vous leur deviez la vie, et que s’ils vous ont donné la vie, c’est que votre existence leur plaît, et celui trouve plaisir à votre existence est un puissant allié. Que l’on y attache l’affection d’une Mère ou le cynisme d’un marionnettiste, plaire aux dieux voulait dire au mieux obtenir leur bénédiction, et au pire se protéger de leur ire. Devenir les favoris des dieux, c’était s’assurer la victoire.

- J’attends d’en savoir assez, voilà tout. un sourire espiègle se dessine sur ton visage Quand on ne peut pas se libérer, on fait en sorte de régner sur sa prison… mais ça tu l’as déjà compris, je me trompe ?

Vivre soumis à qui l’on ne peut défier, dominer sur ceux qui ne peuvent nous défier. Ainsi en allait l’ordre des choses. Ainsi était bâti le Puy. Ainsi était toujours bâtie l’existence de celui qui ne croyait plus. Seulement, tristement dans ses doutes semblait-il ne pas le voir, ou alors – en digne apostat – refusait-il de le voir.
Un jour tu prieras. Tu prieras que la fierté soit rendu à ce Noirelfe, et qu’à nouveau sa force de caractère brûle en lui. Un jour tu prieras. Tu prieras Isten qu’elle lui rappelle que si les dieux ne sauraient être défiés par leurs Créations, il est des êtres de cette Création pour lesquels ils gardent une place à leur droite. Qu’il est des êtres de cette création qu’ils sont prêts à élever au-dessus des autres, dans cette vie comme dans la suivante. Qu’il n’est point de règles qu’ils aient bâti que celui qui cherche ne saurait découvrir, car si parfois les dieux se font la guerre, c’est à vous qu’il incombe de suivre les règles pour faire le jeu. Les dieux ne prennent pas la victoire. Vous vivez pour la leur offrir.

Et ainsi la victoire de votre patron devient vôtre. Voilà pourquoi tu continues de jouer.