[Entre les lignes] L'après... | Alicia & Magnus

Premier jour de la première ennéade
Hiver, Verimios 19:XI

Marc-Aurèle n'avait pas besoin de son cheval, alors il me l'a laissé. Je ne pouvais plus rester dans la charrette qui était nécessaire à la réalisation de son plan avec Ego. J'ai dû consentir à le laisser partir cette fois, inquiète à l'idée que tout ne se déroule pas tel qu'il l'a prévu et en même temps consciente qu'il doit accomplir cette mission pour notre bien à tous. A moi la première...
Enveloppée dans son manteau, j'ai fait en sorte que mon visage soit aussi propre que possible, le lavant avec le d'eau froide pour lui apporter de l'éclat alors que je viens de passer les derniers jours allongée dans une carriole, dormant comme je le pouvais, me réveillant après des cauchemars en cherchant aussitôt la présence de mon époux afin de me rassurer. J'ai peigné mes cheveux aussi correctement que possible, positionnant l'épingle que les bandits n'ont pas pensé à me prendre afin de paraître aussi apprêtée que d'ordinaire. Le reste de ma personne est cachée sous l'épaisse couche qui m'enveloppe afin que personne ne voit dans quel état je suis... Que je traverse la ville sur un cheval est déjà inhabituel, même s'il est guidé par un soldat de Terrefière. Mais s'ils voyaient ma robe déchirée, sale et tâchée de sang... Je ne veux pas que tous sachent ce qui m'est arrivé. Ou, tout du moins, qu'ils ne le constatent pas de leurs propres yeux. On peut voir la fatigue sur mon visage, c'est déjà plus que suffisant...

Une fois dans la cour, les deux hommes m'aident à descendre de la manière la plus respectueuse possible. Ils me posent au sol tandis qu'un écuyer se précipite déjà pour venir chercher ma monture, ainsi que celles des soldats.

-Prenez-en grand soin. Demande-je. Ces fidèles animaux le méritent.

L'homme acquiesce, évidemment, puis s'en va avec les trois bêtes. Je me tourne alors vers la grande porte et... je prends soudain conscience que je ne peux pas entrer. Je peux faire quelques pas mais je ne pourrais pas aller jusque là-bas et encore moins monter les escaliers sans assistance. Je n'ai pas mes béquilles et j'ignore encore que je ne pourrais plus jamais les utiliser. Cependant, je sais que je suis capable de marcher d'une autre façon.

-Trouvez deux cannes. Ordonne-je avec douceur. Et... vous pouvez m'annoncer.

Mon frère saura tôt ou tard que je suis là. Et Marc-Aurèle ne devrait guère tarder à nous rejoindre avec son prisonnier. Je n'ai donc pas le temps de me laver et de me soigner avant son arrivée. Alors autant que j'explique ce qu'il se passe dès maintenant à Thorus... Mais je vais être surprise en découvrant que ce n'est pas lui qui va m'accueillir...

Comté d’Arétria –Arétria-la-Ville
Salle du Trône
dix heures et trente minutes.

«Comment s’est passé t’régence, m’frère ? J’n’ai pas vu de guerre c’est déjà ça !

Demanda Magnus qui se baladait en compagnie de son jeune frère et d’une escorte de trois gardes d’honneur. Les Terresanguins avaient été accueilli en grandes pompes comme promis, sous la joie du peuple de la cité et le regard mauvais de certains, ses actions n’avaient pas été aimés de tous mais il se fichait de cela. Il avait admirablement réussi à contrecarrer la famine prévu à cause de l’épidémie et des mauvaises récoltes hivernales. Son Premier Conseiller et son Régent avaient fait un travail admirable également.

Certains avaient trouvés barbare la destruction du hameau du Sud du comté, mais Alain de Pierrepont avait fait le nécessaire. La bande a Drarik était décimée, le crime était revenu à la baisse même s’il y avait encore des bandes aux frontières d’Arétria, les attaques de villages se faisaient plus rare.

[color=#white]- Non, frère. Tout s’est bien passé, les vassaux se sont bien tenus et les séances de justice ont été faîtes. La gestion du comté est entièrement entre tes mains désormais… il faut que tu saches néanmoins, que le camp de travail est opérationnel mais ne fait pas l’unanimité auprès des grands. Surtout des Sternois.

Magnus fit un simple geste de sa main gantée de fer et poussa un soupir.

- Qu’importe. Ils n’ont rien à dire, c’est l’argent Terresanguin qui a fait cela pas celui du comté. La fortification des villages ?

- Tout se passe comme prévu. Marc-Aurèle avait bien débuté ton projet et il est en bonne passe de finir. Si tu le souhaites je devais partir avec un convoi pour Runesvi, un petit village proche de Karlsburg d’ici trois jours.

Magnus mit une tape amicale dans le dos de son frère, tout se déroulait à merveille. Il regarda alors derrière lui dans le couloir menant à la salle du trône et s’approcha d’un tableau.

Magnus, surpris, regarda son jeune frère d’un œil mauvais.

- Il n’était pas là ce tableau de Igor Rouge-les-Près.
- Leur famille a assez souffert, je pensais que mettre le patriarche de notre famille cousine ici, pouvait leur donner un peu de réconfort après la Croisade des Benjamins.

Magnus s’était mis à réfléchir, le rejeton des Rouge-les-Près avait pris un cheval ainsi qu’une dizaine de paysan de la seigneurie de Terresang pour partir à la chasse au Dragon. Il n’en était jamais revenu, Le Comte se fichait bien de savoir ce que cette famille avait endurée, il n’était lié que par un cousin germain obscur.

-Tu me retire ça.

Thorus acquiesça puis ils traversèrent les quelques mètres qui leur restaient jusqu’à la salle du trône où attendait la plupart des vassaux du comte ainsi que les conseillers Arétans. Il y avait même des représentants des guildes, ce qui faisaient bizarre car jusqu’à maintenant ils avaient été parqués à Lün comme des otages du moins, les guildes de pêcheurs, de bûcherons et de fermiers. Magnus alla alors s’asseoir sur son trône accompagné des cors célébrant le retour du comte.

Il fit signe à Thorus de s’approcher et celui-ci s’agenouilla comme si de rien n’était, comme si ils n’étaient pas en pleine discussion entre frères quelques minutes plus tôt.

« Chevalier Thorus de Terresang, Commandant du Guet Noir de la Seigneurie de Terresang, Ambassadeur et Stratège d’Arétria, Intendant de la Seigneurie de Terresang. Régent désigné du Comte de Terresang, votre mandat prend fin aujourd’hui et ici même. Vous avez bien servi notre peuple. Les Vacances du Pouvoir prennent fin immédiatement. Relevez vous Thorne de Terresang et pour votre immense loyauté, donnez moi une suggestion pour l’avenir. »

Il semblait que le Benjamin n’attendait que cela de la part de son frère, il se releva et se tourna vers l’assemblée tout en fixant bien quelques secondes certains des grands vassaux de celle-ci.

- Seigneur de Terresang, Magnus, Comte d’Arétria. Je vous suggère de dissoudre le Grand Conseil. Flottement dans l’air… silence embarrassant. Celui-ci pris fin lorsque les Grands Conseillers prirent tous la parole en même temps, s’indignant de cette proposition. Magnus leva alors la voix.

« SILENCE !!!! SILENCEEEEE !!!! »
- C’est une honte ! » dit une voix seule dans le silence qui s’était fait presque immédiatement tandis que Magnus s’était levé de son trône.

« Voyez, Comte d’Arétria. La maturité de cette assemblée, voyez comme les conseillers que vous avez nommé à leurs sièges ne pensent qu’à leur pouvoir et non au bien être de la politique de notre comté ! Je vous suggère de dissoudre cette assemblée. Votre premier conseiller et votre régent futur n’ont pas à s’occuper d’une basse cour où les combats de coqs se font plus voir que de réelles décisions ! Le bien être de nos sujets ne les intéresse aucunement, ils préfèrent débattre que d’agir ! Vous leur avez demandé d’être présent pour le peuple, ils ne sont présents que pour la nourriture et l’or ! »

Nouveau capharnaüm. L’un des représentants du Sud d’Arétria était prêt à sortir son épée du fourreau lorsque Magnus descendit de son estrade tout en prenant l’épée du garde qui se trouvait à son côté qui lui tendit.

« SILENCE !! Mon premier acte en tant qu’comte revenu sera t-il d’exécuter un membre éminent de notre comté ?! »

« La Guerre dans ce cas ! La Guerre avec le Sud ! Avec Stern ! » s’avança alors Arnaud de Stern, la main sur le fourreau.
« Dans ce cas, Karlsburg se défendra contre les Sternois ! Le Nord vaincra ! » Eructa l’intendant de Karlburg qui remplaça Thorne à la tête de la seigneurie, la masse sur son épaule.
«Volaigle se joindra à Terresang ! La Malelande brûlera ! La Malelande exterminera le Sud ! La Malelande écrasera le Nord ! » Cette fois c’était au tour des Malelandois présents de hurler des « Ahou Ahou » et d’écraser leur pied dominant sur le sol rugueux de la salle en rythme.

Magnus haussa encore le ton, tandis que Thorus était satisfait de l’exemple vivant qui était donné au comte. Il n’avait pas à se justifier de cette décision.

« SILENCE !! SILENCE OU JE FAIS APPELER LA GARDE !! Et je vous fais tous enfermer ! Qu’est ce que c’est que cette attitude ! »

L’assemblée se calma tandis que les gardes présents restaient sur le qui-vive et que les conseillers s’étaient reculés de peur de prendre un coup d’épée perdu.

Magnus se tourna vers Thorus. Il lui avait pourtant dit que tout s’était bien passé. Pourquoi ce revirement.

«Que proposez vous, Thorne de Terresang ? »

« La Justice n’a pas pu avoir lieu correctement, les vassaux ici présents n’ont penser qu’à leur profits et ont fait du favoritisme. Je vous suggère, Comte d’Arétria d’annoncer la création d’un nouveau Tribunal Seigneurial d’Arétria où des membres du peuples siégeront, des seigneurs et des bourgeois pour que tout se déroule en parfaite équité. Mes camarades Arétans ne trouveront pas cela assez traditionnel mais nous devons faire avancer les choses ! Nous ne devons plus nous cacher derrière ces faux prétextes pour seulement amasser du pouvoir ! Le peuple à besoin de nous et nous lui devons la justice !

Ce tribunal sera en lien direct avec votre politique de crime zéro, mon seigneur. Nous devons montrer à tous que nous accordons autant de gravité contre les crimes de nos sujets et de nos seigneurs.

Votre premier conseiller restera en poste bien entendu, nous lui trouverons d’autres prérogatives mais nous devons faire cela pour le bien de notre comté. »

Des murmures se firent entendre dans l’assemblée générale, Magnus regarda son frère d’un œil mauvais . Il avait mis tout cela sur le tapis devant tout le monde, il avait crée des tensions, sa diplomatie avait t-elle été grillée lors de cette régence ?

Il alla ouvrir la bouche lorsque des cors de la citadelle annonça la venu d’un hôte de marque. Qui était-ce ? Et tiens, où était Marc Aurèle en parlant de cela ?

« Nous en rediscuterons plus tard. »

Puis il partit de la salle du trône. Il laissa les mécontents le suivre jusqu’à la cour en compagnie de son frère et des gardes.

Il vit alors celle qui avait quitté le giron familial pour aller se glisser dans les parchemins du giron seigneurial. Elle était plus radieuse que jamais malgré un peu de fatigue qui se lisait sur son visage. Magnus se mit à sourire pour la première fois depuis qu’il était revenu et s’approcha de sa jeune sœur.

« La Dame de Terrefière aurait-elle senti un bouleversement dans le pouvoir ? Elle est revenu aussi tôt à Arétria la Ville pour renouveler son serment d’allégeance ? »

J'attends quelques minutes puis le soldat revient et me tend des cannes dépareillées. Elles ne sont pas très élégantes et n'ont pas tout à fait la même taille mais je vais bien être obligée de m'en contenter. Je m'apprête à les prendre lorsqu'une certaine agitation attire mon regard sur la grande porte d'entrée de la citadelle. Mes frères sont là. Oui... Mes frères. Je croyais Magnus encore sur les terres familiales et je suis assez surprise de la trouver là. J'aurais préféré ne pas le mêler à mes malheurs... Mais on dirait que je ne vais pas avoir le choix. Dès que je sortirai mes mains de ce manteau pour prendre les cannes ou un bras salvateur, ils verront l'état de ma robe et comprendront. J'aurais voulu pouvoir atteindre ma chambre d'abord... J'aurais voulu que nous abordions ce sujet en privé. Mais, non contents de venir tous deux, ils sont accompagnés de plusieurs Seigneurs et de gardes. Alors, cette affaire n'aura rien d'intime et sera directement rendue publique...

Je prends sur moi afin de sourire. L'absence des chevaux ne lui mettra pas la puce à l'oreille quant au fait que je suis arrivée en selle et non dans un carrosse. Il manque néanmoins mon époux et mon escorte n'est composée que de deux hommes mais le relèvera-t-il ? Magnus s'approche de moi et s'arrête sans me saluer. Il m'appelle par mon titre -à présent que j'en ai un- et c'est assez étrange à entendre, même après un mois de mariage et surtout de sa bouche. C'est que je n'étais pas encore revenue dans le monde depuis mes noces.
Ne pouvant toujours pas faire de révérence, j'incline la tête pour imiter ce mouvement que les Dames savent réaliser avec tellement de grâce. C'est ma façon à moi de témoigner mon respect à celui qui est à la fois mon frère et mon suzerain.

-Je suis heureuse de vous revoir, votre Grandeur. Je me redresse pour retrouver le regard de mon aîné, non sans avoir rapidement cherché celui de Thorus qui se tient non loin. J'ignorais ces changements et je serais ravie de prêter serment au nom de ma Seigneurie le moment venu. Malheureusement... C'est une toute autre affaire qui m'amène devant vous, aujourd'hui.

L'épais manteau que je porte dissimule aisément le léger tremblement de mes mains que je fais taire en les unissant devant moi, à l'abri des regards. Tout juste peut-on deviner la position que je viens d'adopter.

-J'ai bien peur... que la malchance m'ait poursuivie jusqu'à Terrefière.

J'esquisse un sourire forcé. Je me rends soudainement compte qu'il faut que je parle de ce que je viens de vivre en publique. Que j'aborde ces évènements -dont je n'ai pas eu le temps de me remettre- à haute voix et non pas en tant que femme et victime mais en tant que Dame présentant une affaire importante à son Seigneur. J'aurais aimé avoir pu m'épancher... Être consolée... Prendre le temps de pleurer et de serrer mon frère et Marc-Aurèle dans mes bras. D'évacuer tout cela, tout simplement. La partie "officielle" n'aurait dû venir qu'après. Mais je n'ai pas le choix...

-Mon époux nous rejoindra sous peu avec le responsable qu'il tente d'appréhender en ce moment-même. Cet homme est notamment accusé de plusieurs meurtres de masse au sein de la paysannerie, les ayant organiser de manière à faire croire à une attaque de bandits. Mais aussi... d'enlèvement et de tentative d'assassinat sur une Dame. Il y a quelques jours.

Je prends une inspiration plus profonde en relevant le menton. J'ai senti ma gorge se serrer vers la fin de mon discours et mes yeux brillent d'un éclat reconnaissable. Je dois retenir mes larmes, ce n'est pas le moment de les verser. Pas à grand flot en tout cas. Mais ma tentative pour garder contenance me trahit sans doute... Car c'est de moi dont je parle à la troisième personne.

Le sourire de Magnus disparut au moment où Alicia lui annonça sa véritable venue.

Meurtres … paysans … Marc Aurèle … kidnapping … assassinat … Dame … Malchance …

C’est tout ce que Magnus avait retenu. Cela ne faisait pas une véritable phrase bien sûr mais pour un Malelandois, c’était les mots clefs pour se mettre en branle. Thorus s’était avancé avec un léger sourire tandis qu’il regarda son frère aîné qui commençait a comprendre ce que sa vassale de sœur lui annonçait.

Tout le monde était tenu en haleine, des membres du peuple de la cité s’éloignèrent tandis que les portes de la cour de la Citadelle se refermèrent par les gardes sur l’ordre discret du Bailli d’Arétria. Le Comte d’Arétria avait une expression guerrière. Fini le sourire amical, fini les bonnes manières. Alicia venait-elle vraiment de lui dire qu’elle avait été victime d’un enlèvement ? Il s’approcha encore plus de la Dame et d’un geste de son épée en main, écarta les plis du manteau qu’elle portait. A qui était-il d’ailleurs ? Qu’importe. Il vit la robe souillée jusqu’en haut du vêtement, ses cannes n’étaient pas celles de d’habitude et où était son carrosse ? Bon sang … non ! Non ! Il se recula doucement tout en baissant la tête et murmura quelque chose.

« Qu’avez vous dit votre Grandeur ? Demanda Thorus tout en s’approchant un peu plus de son frère.

Magnus releva la tête, une mine neutre arborait son visage. Il tendit l’épée du garde qu’il tenait vers l’arrière, son propriétaire la prit en hâte et se recula.

«Que le Conseil Comtal se réunissent ! » Il se tourna vers les seigneurs derrière lui qui ne savaient plus sur quels pieds danser.

« Le nouveau Grand Tribunal Seigneurial est également convoqué ! Vous êtes tous sommé d’y participer ! Personne ne sortira d’ici ! »

« C’est une prise d’otage ! Une séquestration ! Le Marquis de Ste Berthilde en sera informé ! »

Hurla Rotherg de Wenden, le jeune puceau qui avait reprit la seigneurie de Wenden. Son visage encore imberbe faisait horreur à Magnus quand il le voyait et ce depuis le départ … ni une, ni deux et d’une agilité outrageante, le poing de métal du comte avait entreprit de fendre l’air et atterrir sur l’appendice de celui qui voulait jouer au seigneur. Une coulée de sang se fit presque immédiatement voir dans un craquement sonore. Surpris, personnes n’avaient bougés et même lorsque celle ci était passé, tout le monde se rendit compte que le jeune homme avait été idiot.

Il avait atterrit sur le derrière. Magnus prit sa propre dague à sa ceinture et d’un rictus mauvais domina de toute sa hauteur le châtelain.

« Osez encore discuter mes ordres, Rotherg le puceau et je vous fais bouffer vos couilles tandis que je vous arracherais les doigts de pieds un par un , morceau par morceau, que je ferais frire et ensuite que je vous ferais bouffer. »

Thorus assistant à la scène fit un geste a Alicia de ne pas s’approcher. Il lui fit également un non de la tête au cas où elle voudrait parler.

Il toisa alors le reste de l’assemblée.

« Nous sommes un peuple à part entière ! Un peuple souverain ! Nous n’avons pas besoin de la justice marquisale ! Elle ne nous a rien apportée mis à part la mort ! Osez dire que vous allez vous plaindre au marquis et je mettrais ma menace à exécution ! Le Tribunal Seigneurial est rassemblé ! Et personne ne sortira de cette cité tant que nous n’aurons pas mis cette affaire au clair ! »

Il rangea alors sa dague et fit signe à l’un de ses gardes de relever le seigneur. Lorsqu’il put tenir sur ses jambes, une violente gifle lui fit perdre de nouveau l’équilibre.

« Vous pourrez vous plaindre à votre ancien tuteur, ainsi. »

Cette fois de légers rires fusèrent. Les Arétans n’aimaient pas les cafteurs et encore moins lorsque ces derniers allaient voir l’instance marquisale qui leur avait fait voir que mort et destruction lorsqu’elle venait en Arétria avec Thibaud de Kelbourg à sa tête. Mais frapper un seigneur, un grand vassal surtout … Magnus avait peut être crée un précédent mais qu’importe. Il haussa alors la voix :

« Que tous se dirigent dans la salle du conseil ! La Dame de Terrefière a des explications à nous donner ! »

Sans discussion, l’assemblée des seigneurs et même Magnus se dirigèrent vers l’intérieur de la Citadelle pour écouter le sinistre récit de Alicia de Terrefière.

Un long silence suit mes déclarations. Un silence pesant pour la femme fragile que je suis aujourd'hui alors que je retrouve seulement la civilisation et un cadre rassurant après les épreuves que je viens de traverser. Magnus ne dit rien. Il se contente de s'avancer. Et tandis que je le demande, presque tremblante, ce qu'il a l'intention de faire, il lève sa lame vers moi. Je n'ai pas peur qu'il me fasse du mal, il a passé sa vie à me protéger et jamais il n'a levé la main sur moi, même lorsque j'étais une enfant -capable de courir- et que je faisais une bêtise. Lorsque je comprends son geste, je ferme les yeux un bref instant. Non seulement je viens d'annoncer haut et fort ce qu'il vient de m'arriver mais cela ne s'arrêtera pas là. Écartant le vêtement qui préservait ma dignité des regards, mon frère dévoile l'état de ma robe plein d'accros, sale, tâchée d'un sang qui n'est apparemment pas le mien.
Je rouvre les paupières pour détailler l'expression de mon aîné tandis que je retiens tant mes tremblements que mes larmes. Son ordre me surprend. Je m'attendais à une explosion de colère incontrôlée, pas à une décision aussi... rationnelle, même si la forme laisse un peu à désirer.

La raison l'abandonne néanmoins lorsqu'un Seigneur qui doit avoir mon âge parle avec un peu trop de ferveur, espérant sans doute se distinguer. Et ce sera le cas, mais pas de la façon dont il l'espérait. Je veux intervenir, interpeller mon frère dont je vois la violence fondre sur ce jeune homme qui, certes, n'a pas été très intelligent que parler de la sorte mais ne mérite pas pour autant de subir sa colère animée de prime abord par mes récents tourments. Cependant, Thorus m'en empêche lorsqu'il me voit faire un pas dans sa direction. Mon père adoptif a toujours été très avisé alors je suis son conseil mais je désapprouve cette manière de procéder. J'en ai suffisamment vu et subi en quelques jours pour ne pas avoir envie d'être à nouveau le témoin de gestes gratuits.
L'incident clos par l'humiliation de de Wenden, Magnus reprend son objectif initial et, cette fois, m'y associe. Il est normal que l'on veuille recueillir mon témoignage qui fera office de dépôt de plainte et de base pour les accusations qui seront portées contre Klaus mais je ne m'attendais pas à ce qu'on me le réclame dès mon arrivée. Je suis sale et meurtrie tant dans ma chair que dans mon Souffle et voilà que je vais devoir me présenter en l'état devant le Conseil pour conter mon périple et répondre aux questions sans même une heure de liberté pour me poser, me laver, me changer ou respirer, tout simplement. Je n'en montre rien mais, en silence, je réclame l'assistance de Thorus pour qu'il se fasse mon soutien jusqu'à la grande salle. De par ma position et mon allure, nous nous retrouvons bien vite en queue de file, séparés par un distance respectable des autres. Je peux alors lui parler sans que l'on nous entende.

-Ne peut-il au moins m'accorder un instant ?... Je suis éprouvée, mon frère... La première fois, je souffrais mais je ne craignais pas tant pour ma vie. Il y a quelques jours, j'ai bien cru... que je ne verrais plus le soleil illuminer le ciel.

Mes doigts se resserrent sur son bras alors qu'une brève vision me revient. Celle de cette grange en flamme dans laquelle j'étais enfermée. Je vais devoir tout raconter... sans avoir pu au préalable m'en épancher auprès d'un confident. J'ai certes pu expliquer rapidement à Marc-Aurèle ce que j'avais vécu, comblant les trous de ce qu'il ignorait, mais c'est différent de la démarche à laquelle j'aspire. Celle de pouvoir poser ce lourd bagage à tête plus reposée afin de m'en défaire, de pouvoir me livrer entièrement et de pleurer tout mon sou. Mon histoire, je vais devoir la conter pour un auditoire qui se moque bien de savoir comment j'ai vécu les choses et qui n'est concerné que par les faits. Car ce sont les faits qui vont permettre de confondre l'accusé.
S'il ne peut rien y faire et que tel doit être mon devoir, je l'accomplirai. Mais si Thorus pouvait au moins avoir un mot pour m'y encourager... Le chemin vers la justice est peut-être long mais je ne pensais pas l'entamer si vite.

Thorus se mit à soupirer, il voyait que la jeune Alicia était tourmentée et son regard n’était pas comme d’habitude. Plus triste. Il connaissait assez sa sœur pour savoir qu’elle ne plaisantait pas sur sa souffrance. Il lui fit un petit signe de la main pour lui signifier de rester ici et prit le temps de remonter la file de seigneurs et de gardes pour se mettre au niveau de son frère qui marchait d’un pas décidé.

« Magnus…. » Aucune réponse. Le comte continuait sur sa lancée. « Magnus ! »

Il avait apposé sa main sur son épaule et ce dernier s’était arrêté. Une larme avait coulée sur sa joue. Il semblait plus touché qu’il ne voulait le montrer mais il avait raison. Un instant de faiblesse entouré par ces vautours et c’était les serres assurées (héhé…)

« Laisse la se reposer. Laisse la se nettoyer et porter quelque chose de convenable. Notre sœur est éprouvée tu ne le vois pas ? Laisse lui une minute. »

Magnus regarda sa jeune sœur a l’extrémité de la file, des seigneurs semblaient d’accord avec Thorus malgré son discours de tout à l’heure. Terresang regarda alors Thorus.

« Deux heures. Deux heures et lorsque celle-ci sera passée, elle viendra en salle du conseil. Prends soin de notre sœur. »

Puis il partit en direction de la grande salle du conseil qui avait servi de nombreuses fois à Marc-Aurèle et Thorus, celle salle qui pouvait accueillir une centaine de personnes facilement contrairement à la salle du trône qui était faite pour une petite assemblée. Il avait envie d’éclaircir tout cela au plus vite et cette heure allait être la plus longue de sa misérable vie.

Thorus se dirigea vers sa sœur et lui mit sa main sur son épaule pour qu’elle le suive jusqu’à l’étage réservé aux membres de la famille et des invités comtaux.

« Allons te rafraîchir ma sœur. »

Je n'ai pu qu'adresser un sourire reconnaissant à mon frère. A mes deux frères. J'avais besoin de ce moment, aussi court soit-il à mes yeux. Mais que l'on me donne deux heures ou deux ennéades, je ne suis pas certaine que je serais davantage préparée à ce qui m'attend de toute manière. Je peux aisément prouver que j'ai bien été agressée, mon apparence a parlé pour moi jusqu'ici et ils n'ont même pas pu examiner mes blessures. En revanche, je n'ai aucune preuve concernant Klaus... On doit pouvoir prouver qu'il était dans la capitale au moment de ma chute mais il n'était pas le seul... Rien ne le désigne comme coupable.

-Merci Sophie. Dis-je afin de congédier la servante qui m'a aidée à me laver, à m'habiller et à me coiffer. Elle a fait quelques pansements là où ils étaient nécessaires. Elle peut témoigner des bleus, des hématomes, des écorchures et des brûlures de liens sur mes poignets... si jamais certains devaient encore émettre des doutes. Cependant, j'ai beau retourner le problème dans ma tête, cela reste ma parole contre celle de mon cousin et je ne vois pas comment faire pencher la balance de mon côté. Et cela me désespère...

Soudain, j'ai la sensation que des doigts caressent ma gorge. Alors je secoue la tête et je chasse cette main imaginaire à l'aide de la mienne. Ce jeune homme est parti... Je suis en sécurité dans ma chambre, en plein cœur de la citadelle. Il ne peut rien m'arriver ici.

Tandis que je reste plantée devant le miroir, Thorus m'interpelle d'une voix douce afin de ne pas me brusquer ou de m'effrayer. Je ne l'ai même pas entendu entrer... Sans doute a-t-il pris la place de Sophie lorsqu'elle est sortie et je suis à ce point prise par mes pensées que je ne m'en suis pas rendue compte. Je l'aperçois derrière moi dans le reflet et je me force à lui sourire pour le rassurer. Il a dû déceler mon comportement étrange et il sait sans doute ce qui me tourmente. Il doit craindre certaines choses... La première fois, je n'étais qu'une enfant. Aujourd'hui, je suis une femme et il connaît les hommes bien mieux que moi. Mais il choisit de ne pas m'interroger.

-Il est l'heure. Tu es prête ?

Je prends une grande inspiration et me force à expirer aussi doucement que possible. Finalement, je hoche la tête. Je n'ai pas le choix et puis... Il faut bien que quelqu'un témoigne... Ne serait-ce que pour tous ces malheureux qui sont morts par sa faute. Thorus vient se positionner à mes côtés et m'offre son bras. Je m'en saisis, même si cela me demande un effort, puis nous sortons de mes appartements.
Tandis que nous marchons dans le couloir en direction de l'escalier principal, je perçois de l'agitation par la fenêtre et je m'arrête. Mon frère ne me brusque pas et suit mon regard. En bas, dans la cour, deux hommes en tiennent un troisième par les bras, l'escortant de manière à ce qu'il ne puisse pas se soustraire à eux. Ils sont suivis d'une petite troupe dont se détachent les silhouettes d'un Seigneur et d'un Chevalier plus modeste, tous deux pourtant bien connus par Thorus et moi-même. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, mon regard n'est point fixé sur mon époux mais plutôt sur le prisonnier. Je me sens traversée par une vague d'émotions à sa vue, dont la peur qui, l'espace d'un instant, me paralyse totalement. Il semble remarquer ma présence car, après avoir levé les yeux dans ma direction, il s'arrête malgré la contrainte de ses geôliers qui ne tardent pas à le forcer à reprendre son chemin. J'ai bien l'impression... qu'il me sourit... de son air malsain.

-Tu es en sécurité.

Mon frère tente d'attirer mon attention mais il ne l'obtiendra que lorsque Klaus aura disparu de mon champ de vision. Je sais qu'il a raison mais c'était plus fort que moi... La dernière fois que je l'ai vu, c'était juste avant qu'il ne m'assomme pour me laisser me réveiller dans les flammes. Il avait cette même expression qu'à l'instant.

Nous arrivons finalement dans le grand hall en même temps que le petit groupe. Ego s'approche, s'incline devant mon frère, me fuit du regard sans pour autant se montrer irrespectueux, puis reprend son chemin. Cependant, j'oublie bien vite la gêne et la honte de mon cousin...

-Marc-Aurèle. L'appelle-je, soulagée de le voir rentré et de constater qu'il n'a rien. Je tends une main vers lui afin de quémander à son soutien. Peut-être que maintenant que Klaus est aux arrêts, il se montrera un peu plus détendu et attentif à mon égard... S'il accepte de venir à mon contact, je prendrais la main ou le bras qu'il voudra bien me donner pour le serrer un instant avec discrétion et prendre une seconde pour réaliser qu'il est bien à mes côtés. Magnus veut que je témoigne... Maintenant. Devant une Grand Tribunal.

Bien sûr, l'idée ne m'enchante pas et je ne suis pas certaine d'être à la hauteur pour le moment. Je fais ce que je dois faire, il le comprendra mieux que personne, mais peut-il imaginer ce que je ressens à l'idée de devoir parler à un autre que lui de ce qu'il m'est arrivé ? De devoir m'exposer devant une assemblée au complet, à quelques jours seulement de l'incident ? De sans doute devoir me retrouver confronter à mon agresseur sous peu ?...

Les portes du palais Comtal. Marc-Aurèle, ancien régent qui avait siégé ici plusieurs ennéades durant, fut tout à la fois satisfait de se retrouver ici… Et tout à la fois déçu d’y retourner si tôt. Les quelques ennéades qu’il vécut en tant que régent furent parmi les plus éprouvantes de toute sa jeune existence. Lui qui, jusqu’ici, n’aspirait qu’à la paix, l’agriculture et la gestion de son petit domaine, s’était retrouvé propulsé jusqu’à la tête de tout un comté. La mission manqua de l’achever tant l’épuisement fut conséquent.

Aujourd’hui, Marc-Aurèle demeurait épuisé. Epuisé par 36 heures de traque infernale sans dormir un seul instant ; épuisé par plusieurs jours de voyages sans presque aucun arrêt et avec seulement une heure pour reposer des paupières bien trop accablées de fatigue. Aujourd’hui, le petit seigneur de Terrefière faisait pâle figure. Si l’on oubliait ses épaules carrées et sa robustesse physique, on aurait pu le confondre avec un vésicatoire condamné à une agonie lente et douloureuse.

Ses mires ne quittèrent point Klaus depuis l’instant de sa capture jusqu’à l’arrivée à la salle du tribunal. La seule et unique personne pour qui il accepta de quitter le coupable des yeux fut Alicia qui, l’interpellant, se rappela à lui. Se remémorant les affreuses choses que la frêle colombe avait vécus, le jeune époux lui offrit un sourire fatigué. Serrant à son tour le bras de sa douce, le seigneur de Terrefière lui offrit un regard doux, mais un visage fermé.
« Il ne veut pas perdre de temps. Et il ne faut pas perdre de temps. Toi, et toi seule pourra confondre Klaus. Je fais parti de ce tribunal… Je ne pourrais être à tes côtés, mais je ne serais pas loin. Et s’il tente quoi que ce soit, ma lame sera prête à l’accueillir et à verser son sang. Mieux vaut plus tôt que plus tard. »

Mes émotions sont mitigées. La présence et le contact de Marc-Aurèle me rassurent. Mais le début imminent du procès, la présence de Klaus, la menace qu'il peut représenter, la souffrance de mes souvenirs que je dois dévoiler... Je ne sais pas comment j'arrive à trouver la force de relever le menton dans une profonde inspiration avant de hocher la tête pour acquiescer. Je prends alors le bras de mon époux et c'est entouré par les deux hommes qui sont les plus proches de moi que je pénètre dans la grande salle. L'agitation faiblit tandis que je fais mon apparition. Plusieurs regards se tournent vers moi. Je suis peut-être mieux mise que tout à l'heure mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir que j'essaie de refouler mes récents tourments et mes émotions. Ils se lisent sur mon visage et dans mon attitude que j'essaie de rendre aussi naturelle que possible.

Nous traversons la salle tous les trois, contournant les tables mais aussi l'emplacement où se tient déjà Klaus, solidement gardé. J'évite de croiser son regard, ainsi que ceux de tous les seigneurs présents. Lorsque mon chemin doit se séparer de celui de Marc-Aurèle, je serre une dernière fois sa main, je m'efforce de lui sourire, lui promettant silencieusement d'être aussi forte que possible. Puis je le laisse repartir vers ses obligations. Thorus prend alors le relais et me guide jusqu'à ma place. Debout près de mon siège, mon regard trouve celui d'Ego. Il est assis à ma gauche. Il me fuit toujours des yeux. Est-ce que je dois continuer à être aussi mal à l'aise que lui en sa présence ? Il est à la table des témoins après tout... Pourtant, je reporte mon attention vers mon frère qui tire ma chaise afin que je m'installe et je fais mine de ne pas me préoccuper de mon cousin. Il ne serait sans doute pas bon pour ce procès que l'on nous voit fraterniser. J'ai constaté par moi-même le mal-être du chevalier Losir depuis mon sauvetage. Je sais qu'il ne cautionne pas ce que son frère a fait et que le choix qu'il a fait a été plus que difficile. Pourtant, n'importe qui pourrait croire qu'il fait ça pour récupérer l'héritage de sa famille ou pour simplement sauver sa tête. Mais moi je sais qu'il n'en est rien et qu'il a l'impression de perdre une partie de lui-même en agissant ainsi. Mais sa conscience lui dicte qu'il ne peut en être autrement. Alors, il faut qu'on le croit impartial et sans le moindre lien avec moi. Je m'assois. Je joins les mains devant moi sur la table. Et j'attends que le procès commence, tout en ressentant la présence mes frères et de mon époux à côté et derrière moi.

Magnus enjamba l’estrade et s’assied à sa place en compagnie du bailli de Fercrok, un trentenaire rouquin qui, d’après sa face, avait déjà vu des batailles.
Il était le Bailli d’Arétria mais aussi le commandant de la garde de la cité. A côté de celui-ci, à la table des conseillers et des seigneurs se trouvaient Alain de Pierrepont, le Sénéchal. Il était en charge de la Justice Comtale, il trouverait peut être injuste de ne pas se trouver au côté du comte mais qu’importe. Il allait avoir son rôle.

Il fut ensuite rejoint par le Seigneur de Terrefière en même temps qu'Alicia. Un émissaire lui avait demandé de faire un rapport lorsqu’il était arrivé et c’est ce qu’il avait entre les mains. Un parchemin rapidement gribouillé de l’écriture presque illisible du seigneur qui avait cavalé pendant des jours pour trouver Alicia de Terrefière née Osmond adoptée de Terresang.

La salle était pleine, tout les sièges étaient occupés. On attacha Klaus Losir à un garde de chaque côté tandis qu’un autre pointait sa lance sur son dos. Au moindre faux pas, l’accusé serait empalé.

Ego puis Alicia accompagnait de Thorus se positionnèrent en bas des trois sièges principaux puis Magnus suivit le regard de son frère qui lui indiqua qu’ils étaient fin prêts. Les lourdes portes de la salle du conseil se refermèrent alors sur deux autres gardes qui ne laisseront personnes entrer.

Magnus se leva alors accompagné de tout les autres notables du comté. Poing sur le coeur, un homme en tunique grise montrant son appartenance au clergé de Néera accompagné d’un Frère d’Othar reconnaissable à son tabar rouge s’avancèrent parmi l’accusé, les témoins pour s’immobilisèrent devant Magnus et ses deux compères.

« Que la DameDieu bénisse cette assemblée et que le Choix se fasse. Qu’elle soit impartiale et qu’elle donne sa chance à l’innocent comme à l’accusé. » Enonça le Prêtre Néerite.

« Que Othar vous guide dans le chemin de la vérité. Que la Vraie Justice règne ! Que la Justice des Hommes se fasse, que la vengeance du guerrier se fasse ! La Justice Régnera ! »

« La Justice régnera ! Que la Justice de l’Homme se fasse, que le Guerrier nous regarde et que la DameDieu nous bénisse ! Pour Arétria ! » tintèrent les voix de chacun et même de Magnus.

On pouvait dire ce que l’on voulait. Que Arétria était peuplé de barbares ou que ces derniers n’étaient que des animaux … mais, il y avait bien une chose qui les rassemblaient : C’était l’amour pour leur terre et la justice d’Othar.

Tous s’assirent lorsque les deux prêtres allèrent chacun d’un côté. Il était temps de commencer le procès. Magnus prit le petit maillet que le bailli lui tendit et frappa une fois sur sa table.

« Que le procès commence ! Qui est l’accusé ? »
« Klaus de la maison Losir, mon seigneur. » répondit alors Ego du tac au tac.

Nouveau coup de maillet.

« Qui est le suzerain des Losir ? »

«La Maison de Stern, mon seigneur. Nous ne nous portons pas garant pour lui. Ma Maison n’a rien a voir avec cette affaire. » Répondit Arnaud de Stern qui s’était levé puis rassit tout en regardant Klaus puis Ego avec une expression neutre.

Nouveau coup de maillet.

«Qui se propose pour défendre les intérêts des Losir ? »

Un silence se fit cette fois. Tout le monde se regardait mais personne ne répondit. Le coup de maillet suivant rompît ce silence.

« L’accusé se défendra seul ! Qui accuse Klaus de la Maison Losir dont la Maison Stern ne se porte pas garante ? »

« La Maison Terrefière par le biais de Alicia de Terrefière défendu par la Maison Terresang par son représentant, Thorus de Terresang. » Répondit alors Thorus à côté d’Alicia.

Nouveau coup de maillet.

« Que le procès de Klaus de la Maison Losir dont la Maison Stern qui en est le suzerain ne se porte pas garante et qui par conséquent se défendra seul contre les accusations de Alicia de la Maison Terrefière défendu par Thorus de la Maison Terresang commence ! La parole est au Premier Conseiller Marc-Aurèle de Terrefière ! Quels sont les accusations ? »

La salle du conseil du Tribunal Comtal était là, devant lui, devant eux. Tenant Alicia, le seigneur de Terrefière eut soudainement une pointe au cœur : à nouveau il devait siéger, à nouveau il devait prendre une responsabilité qu’il n’avait absolument pas ambitionné. A nouveau, il devait faire honneur à son rôle, à son rang, à son serment. Qu’importe les défis imposés par le seigneur de Terresang et Comte d’Arétria… Marc-Aurèle était un vassal fidèle, capable, débordant d’honneur et aux valeurs fortes. Et Magnus le savait. Si le Comte demandait, demain, que son vassal aille guerroyer jusqu’au cœur du Puy d’Elda, jusqu’aux plus profondes forêts d’Anaëh, jusqu’aux sommets enneigés du Zagazorn, jusque dans les entrailles puantes du Sud… Marc-Aurèle irait, et s’il fallait mourir pour son suzerain, il le ferait sans sourciller.

Lorsque la main de son épouse le quitte, il se retourne, s’arrête, et lui offre une légère inclinaison de la tête. Une parole tacite, une tentative pudique de lui donner encore un peu de force. Deux personnalités différentes, deux individus différents. Alicia, dans sa robe, et Marc-Aurèle dans son armure pleine de poussière qu’il n’aura point eu le temps de changer. Sa grande claymore se trouvait d’ailleurs toujours dans son dos.

Il prit place, et il écouta. Les prêtres firent leurs sermons ; et Magnus entreprit d’ouvrir le tribunal. Pour la première fois, Marc-Aurèle fut surpris par Magnus : ses mots furent clairs, ses phrases construites, et le Comte au tempérament de feu était soudainement aussi froid et austère que le nord, et aussi tranchant que la justice. Ni une, ni deux, il installa les protagonistes et les participants… Et Marc-Aurèle, au milieu de tout cela, peinait à suivre, tout épuisé qu’il était.

Être enfin assis, ici, à ne rien faire – pour le moment – après des jours et des jours de voyage, de recherches, d’actions… Et de très, très, très peu de repos, l’esprit et le corps de Marc-Aurèle s’apprêtaient à le quitter d’un instant à l’autre.

Jusqu’à-ce que son nom ne soit prononcé de la bouche du suzerain de tout Arétria. La vigueur imposée par Magnus était contagieuse. Mais plus que cela encore, la vision de Klaus, non loin d’Alicia, raviva l’animosité du Premier Conseiller d’Arétria. Oh, il y avait bien des gardes… Mais Klaus, maudit soit son nom, était à quelques pieds de sa douce qu’il tenta d’assassiner si horriblement. Qu’à-cela ne tienne, le seigneur épuisé ressenti à nouveau cette décharge d’adrénaline qui l’avait maintenu en vie – et éveillé – jusqu’ici.

D’un bloc, il se leva. Son armure – de cuir et d’acier – cliqueta sobrement. Sa grande claymore, dans son dos, dépassait de son pommeau par-dessus son épaule droite. Plaçant ses mains caleuses, poussiéreuses, noires de suie et tâchées de terres, dans son dos, il déclama les chefs d’accusation.
« Dans le procès opposant Alicia de la maison Terrefière, partie plaignante, contre Klaus de la maison Losir, partie accusée, les chefs d’accusation sont les suivants… » Commença Marc-Aurèle, dardant un regard intense, empli de flammes invisibles et d’une ambition mortifère à l’encontre du félon et de l’assassin… Deux tentatives d’assassinat contre la plaignante, Alicia de Terrefière, le premier à Arétria-la-Ville, et le second dans une bourgade de la Malelande, il y’a à peine quelques jours. D’enlèvement et de séquestration contre la plaignante, Alicia de Terrefière. Du meurtre de trois sujets de Terrefière, meurtres réalisés par des mercenaires engagés par l’accusé. De pillages, saccages et massacres en plusieurs villages et bourgades de la Malelande, De félonie, d’opprobre à l’honneur et à son rang. » Termina-t-il, regardant ensuite tour à tour l’assemblée de ce tribunal. « Votre Grandeur, la lecture des chefs d’accusation est terminée. »

Et il reprit place, attendant la suite, s’apprêtant à asséner la justice à grands renforts de claymore.

Magnus ferma alors les yeux pendant un instant alors que le jeune premier conseiller lui énonçait les chefs d’accusations. Autant, la prise en otage et la tentative d’assassinat sur la personne de sa sœur était un crime qui méritait cent fois la mort … mais alors tuer des paysans et mettre à sac des villages Malelandois étaient un crime d’autant plus grave. Il y avait des personnes dans les cachots de la citadelle qui avaient la même chose et qui étaient désormais destinés à mourir et cela très bientôt. Il n’avait pas encore exécuté Drarik ni les chefs de bandes qui avaient commis ces atrocités mais cet homme allait peut être être le levier pour commencer.

Il était également accusé de félonie … bon sang, Klaus Losir était un traître de la pire espèce, un lâche, un assassin … il devra répondre de ses actes mais Magnus s’abstint de sauter par dessus son siège et de lui arracher la tête avec les ongles avant de lui arracher les génitoires. Il devait faire preuve de neutralité comme l’avait préconisé Thorus. Il ne devait pas montrer sa bestialité devant l’ensemble de ses vassaux.

Il regarda alors Marc-Aurèle, éreinté, poussiéreux, sur le point de faillir mais toujours fidèle à son devoir. Il avait de la chance d’avoir un vassal aussi loyal. Lui qui était entouré de vipères et de loups. Il avait sauvé sa sœur … mais il avait également failli à son devoir de protéger celle-ci et par deux fois. Son châtiment viendra en temps et en heures.

Il reporta son attention sur Klaus sans un sourire mais sans une expression d’agressivité non plus.

« Qu’avez vous à répondre à cela Klaus de la Maison Losir ? »

Sur cette phrase, la hampe du marteau de guerre du Frère d’Othar tapa lourdement le sol tandis qu’une plume de colombe virevoltait jusqu’au milieu de la pièce. Magnus porta ensuite son regard en bas vers Alicia.

« Et vous Alicia, Dame de Terrefière ? Corro... » Il fit mine de tousser un instant puis se reprit. «Ces chefs d’accusation sont-ils exacts et que pouvez vous nous dire ? »

Klaus me fixe. Il ne me quitte pas des yeux. Même lorsque le procès commence. Même lorsque son frère se lève pour donner son nom aux juges. Même lorsque Stern l'abandonne. Même lorsque Marc-Aurèle énumère les accusations. Il ne bouge pas. Il me regarde sans sourciller. J'ai du mal à me concentrer sur ce qu'il se passe autour de moi. Je sens ma tête tourner, mon cœur battre à tout rompre... Même la voix de mon époux, froide et cinglante, ne me tire pas de mon état de torpeur. Finalement, une main vient prendre la mienne. Je suis surprise par ce contact, je quitte enfin mon bourreau des yeux pour les baisser sur les doigts qui serrent délicatement les miens. Puis je suis le bras et retrouve le regard de mon frère qui me parle tout bas.

-Il veut te déstabiliser. Ne le laisse pas faire.

J'hoche lentement la tête. Je comprends ses paroles et je prends quelques secondes pour les intégrer. Ne pas me laisser faire... Ne pas le laisser mener le jeu... Ou il sortira d'ici parfaitement libre, malgré ce qu'Ego ou Marc-Aurèle pourraient dire. Si je ne suis pas en mesure d'apporter mon témoignage, l'accusation ne tiendra pas.
Mais, déjà, c'est à Klaus de prendre la parole...

-Je ne vois pas ce que je pourrais dire pour vous faire changer d'avis à mon sujet. Je crois que votre décision est déjà prise.
-Vous mettez en doute les chefs d'accusation ? Demande une voix dans l'assistance.
-Je mets en doute l'impartialité de ce tribunal. Et notamment de ceux qui le dirigent. Sans parler de l'un des témoins qui a des intérêts dans ce procès. Conclut-il en fixant son frère.

Ego lui lance alors un regard qui témoigne de toute l'émotion qui le traverse. Le remord qu'il a à se trouver ici mais aussi l'injustice des paroles de son aîné. Il sait qu'il lui a avoué ses crimes quelques heures plus tôt mais qui pourrait le croire après ça ? Non, il ne peut plus évoquer ce point désormais et c'est sans doute ce qu'il voulait... Il va devoir se contenter des faits, et rien que des faits.

Magnus me donne alors la parole. Par quoi dois-je commencer ? Il m'est si difficile de me concentrer... Peut-être ont-ils tord. Peut-être avais-je besoin de temps pour réfléchir à la façon dont le procès allait se dérouler et comment j'allais expliquer ce qu'il s'est passé...

-Les chefs d'accusation sont exacts, Votre Grandeur. Et exhaustifs. Je marque une pause. Je dois commencer par le début... Tandis que Marc-Aurèle de Terrefière occupait le poste de Régent, j'ai cherché à me rendre utile auprès de l'Intendant Gendry. J'espérais qu'en l'aidant, il pourrait assister davantage celui qui était alors mon fiancé dans ses fonctions. J'ai donc entrepris de faire du tri dans les rapports qui s'amassaient sur ses étagères. C'est ainsi que j'ai découvert tout d'abord un... puis plusieurs rapports étranges. Tous faisaient état d'attaques de bandits mais avec un point commun : rien n'avait été volé. Les attaques faisaient "seulement" des victimes. Les rares biens de valeurs étaient laissés sur place ou même brûlés dans ces mêmes incendies qui tuaient des paysans dans certaines régions reculées d'Arétria. J'ai laissé ces rapports sur la table qui avait été installée pour moi dans le bureau de Gendry. Un jour, en entrant dans le bureau, j'y ai découvert Klaus Losir, ici présent. Il m'a dit qu'il venait voir l'Intendant afin de lui remettre l'inventaire des récoltes qu'ils venaient de déposer aux greniers. Puis il a prétexté vouloir parler avec moi en l'absence de Gendry. J'ai préféré ne pas rester seule avec lui dans cette pièce alors je l'ai invité à aller marcher. Nous étions dans un couloir... Devant un escalier... Et soudain... Il m'a poussée tout en me confisquant l'une de mes orthèses.

Je marque une nouvelle pause. Des voix chuchotent autour de nous. Tous doivent être surpris d'apprendre que ma chute n'avait finalement rien d'accidentelle. J'en avais parlé à Thorus à son retour de Diantra mais j'avais... omis... ce détail. Lui, comme tous les autres, ignoraient ce qu'il m'était arrivée. Lorsque le silence revient et que j'ai pris le temps de respirer calmement, je reprends mon récit.

-A mon réveil, je ne me souvenais plus de ce qu'il s'est passé. Cela a pris quelques jours... J'ignorais alors pour quelles raisons Klaus s'en était pris à moi et je n'avais aucune preuve... Alors j'ai feint ne pas avoir retrouvé la mémoire afin qu'il ne puisse rien soupçonner. J'ai cru être à l'abri, même si j'avais peur... Puis ma famille est revenue. Le mariage approchait, puis a été célébré. J'en ai oublié tout cela, ou plutôt... Je l'ai mis de côté, me croyant hors de danger. Et puis, il y a quelques jours... Je suis sortie du bourg de Terrefière avec trois de nos gens. Ce devait être une simple cueillette de champignons... Ils ont été tué devant moi...

La vision de ce pauvre Jean... De tout ce sang... Je ferme les yeux un instant, même si je sais que cela ne changera rien. J'ai l'image devant moi. C'est Thorus qui m'incite à continuer, intervenant officiellement.

-Continuez. Me commande-t-il avec douceur.

Il est étrange de l'entendre me vouvoyer mais c'est logique aussi. Et puis, maintenant que j'ai commencé, je ne peux plus m'arrêter. Je dois aller jusqu'au bout.

-J'ai été assommée. Je me suis réveillée, les mains ligotées et un bâillon sur la bouche. J'étais dans une charrette. Un jeune homme était assis près de moi et m'observait. Les autres nous entouraient, à cheval ou aux commandes du véhicule. J'ai voulu m'asseoir, on m'a frappée sans sommation pour que je reste allongée. Le voyage a duré une journée et demie.
-Comment vous a-t-on traitée ? Vous a-t-on nourrie ?
-Non. Ni nourriture. Ni eau.
-Vous a-t-on frapper encore ?
-Oui... Chaque fois que je désobéissais. Ou que je faisais mine de vouloir résister... On me frappait, ou on me faisait mal.
-Vous a-t-on touchée ?

Thorus essaie de se montrer aussi détaché que possible. Je sais qu'il veut m'aider à témoigner. Mon récit doit être aussi complet que possible. Ce dernier point qu'il évoque... Me perturbe. Je n'ai jamais évoqué une question aussi intime avec qui que ce soit. Pas même avec Marc-Aurèle. Je n'ose même pas regarder mon frère que je distingue seulement dans mon champ de vision.

-On m'en a menacée. Il m'a fallu du temps pour comprendre... Qu'ils voulaient seulement me faire peur. Je relève les yeux vers Klaus. Pour mieux me contrôler.

Je veux qu'il sache... que j'ai compris sa manœuvre de tout à l'heure. La même que ces brigands ont réalisé pendant mon enlèvement. Mais, aujourd'hui, cela ne fonctionnera pas.

-L'un d'eux a maintenu cette peur, jusqu'à ce qu'ils m'aient livrée à Klaus Losir dans ce hameau de Malelande. Ayant accompli leur mission, ils ont reçu leur paiement et sont partis. C'est là qu'il m'a confiée ce que j'ignorais : La raison pour laquelle il avait tenté de me tuer... Il m'a avouée être le responsable de ces soit-disantes attaques. Et il m'a dit que j'allais mourir de la même manière...

Une nouvelle vague de chuchotements. Je sens sur moi bon nombre de regards. Je peine à maintenir ma respiration à un rythme régulier mais je m'y efforce. C'est la dernière ligne droite... J'y suis presque...

-Il m'a assommée juste après cela. Je me suis réveillée au milieu des flammes. Et la première chose que j'ai vu en ouvrant les yeux, c'est le visage d'un homme aux traits déformés par la douleur et figés par la mort...

Klaus n'en montre rien mais j'imagine qu'il jubile à l'idée que sa mise en scène ait fonctionnée.

-J'étais encerclée de cadavres. Et, autour de nous, tout brûlait. Chaque issue était closes. Je me suis crue perdue... Quand mon époux est arrivé et m'a sauvée en me faisant sortir par une lucarne jusqu'à laquelle je me suis hissée.

Klaus commença son discours d’accusé qui se pensait déjà condamné. Il est vrai que le défenseur de la victime était son frère, le président du tribunal l’était également et le premier conseiller à l’accusation était le mari … on pouvait déjà se voir la corde au cou. L’impartialité … il n’y avait jamais eu d’impartialité dans ce royaume et Arétria en faisait parti, c’était l’une des rares choses que ce bout de terre avait en commun avec le reste des Péninsulaires.

Alicia commença alors son monologue, son témoignage. Glaçant. Horrible. Quelque chose qu’une Dame ne devrait pas subir, Magnus arqua un sourcil quand elle annonça avoir été victime d’un premier attentat … pardon ? Elle était tombé dans les escaliers, elle avait failli mourir une prem…une deuxième fois et on ne lui avait pas dit ? Il porta son regard quelque seconde sur Marc-Aurèle avait une mine toute aussi inexpressive puis repris son attention sur sa sœur qui, sur la douce mais ferme insistance de Thorus, continuait son histoire.

Une partie de l’histoire de celle-ci fit frémir Magnus et il s’était presque levée en entendant que le Losir était responsable des attaques de villages de la Malelande … pardon ? Drarik n’avait rien dit sur cela… bien au contraire, malgré la menace de tuer son enfant à Ste Berthilde, il n’avait pas bronché. Il irait donc lui rendre une petite visite dans les heures qui allaient suivre au cloaque où il l’avait laissé avant de partir et si Thorus avait suivi ses ordres, il y était resté. Cette fois, les menaces n’allaient plus avoir lieu, il allait passer à l’acte.
Cet ordure était donc l’instigateur des massacres de villageois et en plus de cela, il avait tué des sujets de Terrefière … son peuple, des paysans qui faisaient partie de sa seigneurie … oh bon sang.

Magnus se leva alors, son maillet en main. Il contourna son siège puis descendit l’estrade sur le regard insistant de ses vassaux et conseillers. Il se dirigea alors vers Klaus Losir. Son regard était toujours aussi inexpressif. Son regard, oui. Mais ses mains ? Elles disaient autre chose. En effet, les jointures de celle qui tenait le maillet était aussi blanche que la toison qui surplombait le crâne du comte. Il avança doucement vers l’accusé qui semblait tout aussi neutre dans son regard.

Un craquement se fit entendre alors que le maillet de bois du jugement accueilli la joue du Seigneur Losir. Une dent ensanglantée tomba alors au sol, l’homme était a moitié dans le coltard tandis que les gardes le redresser, les vassaux hurlaient à l’injustice tandis qu’une voix tonna dans l’assemblée, celle de Alain de Pierrepont :

« La Justice Comtale est impartiale ! Taisez vous ! Le comte fait loi ! »
« L’accusé a été frappé par le maillet du jugement ! Le jugement n’est plus impartiale ! La justice comtale ne l’est plus ! Ceci est une mascarade ! » Répliqua Rotheng de Wenden qui n’avait pas compris la leçon et osait encore se lever contre Magnus.
« Taisez vous Wenden ou vous subirez la justice de mes poings, parole de Thevendor ! » Reprit un molosse qui était un seigneur des bords de l’Eris en Malelande.

Magnus se retourna alors vers l’assemblée et haussa la voix.

« TAISEZ VOUS !!! Je n’ai pas agis comme Comte mais comme frère ! Ce récit est digne des pires horreurs de not’ histoire ! Un seigneur Arétan qui organise des pillages et des meurtres de masse dans une campagne qui a souffert de l’hiver dernier, d’une épidémie dont nous avons tous payé le prix fort. D’une recrudescence du banditisme alors que l’hiver approche, voilà qu’on les martyrise une fois de plus !
Cet homme a organisé des attaques en règles sur des villages ! Non pas pour les dépouiller mais pour les massacrer sans raison ! En plus de cela, il a organisé par deux fois le meurtre avorté d’une Dame de notre terre ! Une innocente ! Une femme qui peu a peine marcher et qui a déjà souffert de ce type d’attaque par le passé ! Est-ce digne de nos ancêtres ? Est-ce digne de nos guerriers de s’attaquer à une femme a peine sortie de l’enfance qui ne souhaite que profiter de sa nouvelle terre et de son mari ? Je vous le demande, Seigneurs et notables d’Arétria ! Est-ce digne de nous ?! »

Le coup de maillet lui avait fait du bien et voilà qu’il venait d’improviser un discours sur la moralité et l’honneur des Arétans … putain, on était mal barré. Magnus qui se prenait pour un orateur, c’était limite ironique.

Quelques murmures puis des applaudissements se firent entendre autour de lui. Il n’avait normalement pas le droit d’agir comme comte présidant le tribunal mais comme Thorus l’avait dit, il était temps de changer les habitudes… d’ailleurs même lui avait décidé d’applaudir sobrement. Magnus se tourna vers l’accusé qui reprit peu a peu son esprit.

« La partialité de ce tribunal n’a pas a vous inquiétez, Seigneur Losir. Les accusations sont assez graves pour vous en faire pour cela. Pourquoi faire cela ? Pourquoi faire cela à votre terre ? Pourquoi à Alicia de Terrefière en particulier ? »

Mes doigts entrelacés entre eux se serrent tandis que j'entends Magnus se lever puis marcher jusqu'à Klaus. Je le regarde, presque tremblante. J'ai peur de ce qu'il peut faire alors qu'il a déjà été accusé de ne pas être impartial. Je n'ai apporté aucune preuve de ce que j'avance, seulement mon témoignage. Certes, la parole d'un noble ne peut être remise en doute mais je suis une femme et mon opposant est du même statut que moi. Mes mots ne peuvent suffire à eux seuls pour le condamner...

Le coup part, je sursaute et la main de Thorus se pose sur mon bras. Il le fait autant pour me rassurer que pour m'empêcher d'intervenir, comme il l'a fait dans la cour alors qu'il giflait l'impertinent jeune homme. Je tourne légèrement la tête vers lui, puis vers mon époux. Je ne peux pas me retourner pour croiser son regard mais je peux me contenter de l'apercevoir du coin de l’œil. Lorsque tout ceci sera terminé, j'espère pouvoir à nouveau jouir du réconfort de ses bras.

Magnus reprend sa place et je reporte mon attention sur le procès. J'ai fini mon témoignage et la parole est désormais à l'accusé. C'est sa chance de mettre en avant les failles de mon argumentation. Et je crois savoir ce qu'il a l'intention d'attaquer. Ce coup ne semble pas l'avoir beaucoup ébranlé. Il est rompu au maniement des armes, je suppose qu'il en a vu d'autres.

-Vous me demander quoi. J'entends encore que l'on me prouve ma responsabilité dans les crimes dont je suis accusé. Madame de Terrefière m'implique mais elle n'a pas de preuves qui m'incriminent de façon claire et non équivoque. Elle parle de villages attaquer ? A priori, rien n'indique dans ces rapports que je suis le responsable. Tout ce qu'elle peut dire, c'est que je le lui aurais soi-disant avoué. Elle dit que je l'ai poussée et qu'elle n'est pas tombé d'elle-même ? Il n'y a personne pour corroborer ses dires. Qui nous dit que ce n'est pas le fruit de sa chute qui a embrouillé son esprit ? Elle assure que je suis responsable de son enlèvement et de la tentative d'assassinat sur sa personne ? Qui peut le confirmer ? Sans parler de son sauvetage miraculeux ! Comment une femme qui peut à peine tenir debout aurait pu se hisser seule jusqu'à cette fameuse lucarne ?...
-Permission de prendre la parole, Votre Grandeur ? Interrompt finalement Ego qui sent sa cousine accablée par tous ces contre-arguments, sans possibilité de le contredire. Lorsqu'il obtient le droit de répondre, il se lève pour apporter son propre témoignage. Le jour où Dame Alicia est tombée, nous étions en ville. Mon frère devait apporter un rapport à l'Intendant Gendry sur les récoltes que nous venions d'escorter jusqu'aux greniers de la cité. Il est revenu en disant qu'il n'avait pas pu le voir, affirmant que la chute de notre cousine avait provoqué une telle agitation que l'entrevue était devenue impossible. Quant à l'enlèvement, Klaus était censé nous aider à protéger l'or que nous amenions de Stern. Il a prétexté avoir une autre affaire à gérer. C'est donc sans lui que nous avons quitté nos terres. En chemin, nous avons croisé le Seigneur de Terrefière qui poursuivait ceux qui avaient pris son épouse.
-Si je puis me permettre, mon frère... Souligne-t-il avec un air de dédain face à celui qui est du même sang que lui et qui est en train de trahir leur lien. Ce sont là des preuves circonstancielles. Je n'étais pas avec toi au moment des faits, certes. Comme bon nombre d'autres hommes n'étaient pas auprès des leurs... Cela fait-il nécessairement de moi le coupable ? Et cela ne signifie pas non plus que je suis responsable de ces étranges attaques.

Non, des preuves, nous n'en avons aucune. Nous n'avons même pas les brigands qui m'ont enlevée car nous nous sommes concentrés sur lui... Il n'y a aucun écris, aucun témoin. Seulement des mots...

La fatigue accablait le pauvre seigneur de Terrefière. Plusieurs fois, durant les réquisitoires et les plaidoiries, les témoignages et les échanges, il aurait souhaité être congédié, ne serait-ce que quelques heures, afin de pouvoir dormir… Mais son rang, ses responsabilités, et, surtout… Son suzerain, ne le lui permettait point.

Son attention fut toutefois renouvelée lorsqu’il entendit le témoignage de son épouse. Apprendre qu’il avait faillit à sa tâche de protection lors de l’enlèvement, était déjà quelque chose d’horrible… Savoir qu’il s’agissait en réalité d’une récidive, était un véritable crève-cœur. Oui, un crève-cœur…

Ainsi donc, déjà avant qu’il ne jure de protéger son épouse devant les divinités, il avait failli. Avant d’être marié, il avait déjà manqué à son rôle de fiancé… Marc-Aurèle, en cet instant, se sentait telle la fiente d’un pigeon tombée dans la bouse d’une vache au milieu de la pire fange des bas quartiers d’une cité maudite. Il avait failli… Il avait échoué… Il n’avait point été à la hauteur, avant même de s’engager… L’accident n’en n’était pas un… Elle avait souffert, terriblement…

Et des gens de Terrefière furent tués… Massacrés… A cause de son incompétence à lui. Quelle honte… Quel embarras… Quelle malédiction… Quelle horreur.

Alors, Marc-Aurèle se leva. Le coup de Magnus dans le visage de Klaus ne fut même point d’une quelconque satisfaction… Si encore il avait été l’auteur du coup.... Mais là encore, il avait failli. Et Klaus, lui, s’en sortait avec des pirouettes et des arguments simples : il n’y avait aucune preuve… Aucune preuve… Point même les morts et les villages pillés ; point même les souffrances de son aimée ; point même les témoignages d’Alicia et d’Ego, non… Aucune preuve… Si Magnus décidait de condamner Klaus sur si peu d’éléments, il risquait d’être perçu comme tyrannique, et nul doute que quelqu’un, dans cette assemblée, irait s’en plaindre auprès du Duc… Ou peut-être même du Roy.

Marc-Aurèle avait déjà tant failli… Il ne pouvait point faillir à nouveau, ou laisser faillir son suzerain légitime et seigneur lige. Il se leva, donc, et, alors que le silence retombait, il prit la parole.
« Lorsque je vous ai mis les fers, voilà seulement deux heures, vous aviez dit : « au moins, je n’aurais plus à me cacher ». Cette phrase, contrairement à ce que vous pourriez avancer, ne souffre d’aucune équivoque : vous êtes coupable. » Dit-il, assénant la chose tel le marteau de la justice… Bien qu’il ne le possédait point. « Et néanmoins, vous vous parjurez, tel le cancrelat que vous êtes. Vous avez réussi le crime parfait : des paroles contre la vôtre, sans preuve tangible. Mais si vous pouvez effectivement vous soustraire ainsi à la justice des Hommes, vous ne pourrez assurément point vous soustraire à la justice divine. » Dit-il, concluant son avant-propos… Et ouvrant le prochain. « Je vous provoque en duel. Un duel judiciaire, à mort. Pour que votre culpabilité soit prouvée par la bonté de la Damedieu et l’impartialité du Guerrier. Refusez, et vous serez un couard en plus d’être un assassin. »

Les dès étaient jetés.

Klaus écoute religieusement Marc-Aurèle l'accuser de parjure mais il ne montre aucune réaction. Là encore, ce n'est que le témoignage d'une personne dont la parole peut être remise en doute. Ego ne pouvait pas utiliser cela contre lui alors c'est mon mari qui rapporte ses paroles mais son cadet ne peut que se taire. Alors certes, cette déclaration fait jaser un peu dans l'assemblée mais elle ne suffit pas. Et mon amant le sait... C'est alors qu'il prononce sa provocation en duel. Mon cœur se serre jusqu'à s'arrêter et je suis prise d'un violent vertige. Je m'empêche pourtant de défaillir et la main de Thorus qui vient prendre la mienne m'y aide. Je la serre aussi fort que possible tandis que je me tiens en même temps à la table. Pourquoi a-t-il fait cela ? Marc-Aurèle s'en remet aux Dieux et je sais mon cousin coupable mais je ne peux que craindre le pire. Les deux hommes ont presque le même âge et sont tous les deux rompus au maniement des armes. Mon époux pourrait être grièvement blessé... ou tué. Par ma faute...

-Vous faites certes preuve d'honneur, Seigneur de Terrefière, mais votre démarche est surtout la preuve de votre désespoir. En l'état, le jury ne peut me condamner car les seuls témoignages apportés proviennent d'une jeune femme traumatisée et d'un homme qui a tout à gagner dans ma chute. Des sources discutables dont les paroles peuvent être remises en doute. Alors pourquoi irais-je risquer ma vie -et la vôtre- dans un duel ?...

Klaus est si détaché... Il sourit presque malgré son air paisible. Il sait qu'on ne peut pas aller plus loin. Nous avons été trop vite... Il aurait fallu que nous prenions le temps d'organiser nos accusations, de travailler nos témoignages, de trouver des preuves... Nous allons perdre. Je demeurerai en danger. Je vivrai dans la peur qu'il revienne... et il ne ratera pas son coup la prochaine fois. Pas après m'avoir manquée par deux fois.

Tandis que le silence pèse, la voix d'Ego s'élève soudainement.

-Votre Grandeur, puis-je approcher ? Dès qu'il a l'autorisation, il se lève et rejoint la table derrière nous. Mon regard cherche celui de Thorus, ne comprenant pas ce qu'il se passe. L'échange qui a lieu à quelques pas se fait à voix basse et je n'entends rien. Il vient de m'apparaître que Klaus n'a pas pu faire cela tout seul. Ou pas à chaque fois. Un de nos hommes était très souvent avec lui il y a encore quelques mois, il sait sûrement des choses et a peut-être participé lui-même. Je ne saurais le garantir mais... il peut peut-être évoquer des dates et des lieux que nous pouvons faire coïncider avec ces fameux rapports trouvés par Dame Alicia. Cependant, il risque de ne pas vouloir témoigner si cela doit le conduire à la mort. S'il est impliqué, il ne peut être gracié mais une promesse d'allègement de peine est-elle envisageable ?

Magnus était allé se rasseoir après son petit monologue. Il avait encore les nerfs en belote, l’adrénaline allait redescendre mais pas avant que ce procès ne soit fini. L’accusé se parjurait une fois de plus malgré les nombreux témoignages notamment de son frère, Ego. Cela commençait à bien faire. Il parlait bien, mais il était arrogant. Il se pensait protégé, c’est alors que Marc-Aurèle se leva alors. Il commença un nouveau monologue a la suite des autres. L’honneur de Terrefière n’était plus à prouver et sa loyauté non, Magnus n’était donc pas surpris quand il annonça qu’il voulait un duel judiciaire.

Evidemment, il refusa. Il n’était pas bête. S’il n’y avait pas de preuves, il pouvait être acquitté, un duel judiciaire jetterait l’opprobre sur sa maison, s’il était reconnu coupable auprès des dieux.

Un bruit sourd se fit entendre.

« La Justice des Dieux a été invoqué ! » La hampe du marteau de guerre du Frère d’Othar avait pourfendu le sol.

Une nouvelle plume virevoltait en travers la salle du jugement tandis que la voix neutre du Prêtre de Néera se fit entendre.

« Et le Choix a été de la refuser. »

Magnus se leva alors une nouvelle fois avec son maillet du jugement tandis qu’on demanda un allégement de peine pour un possible témoin.

« La Cour va décider de cela. Conseillers, Grands Vassaux. La Défense demande à faire venir un témoin qui pourrait être complice des méfaits. Bénéficiera t-il d’un allègement de peine pour son témoignage ou non ? »

Spoiler:

Chacun votèrent. Une claque sur son bureau pour un oui, un poing pour non. Magnus fut étonné de voir que Rotherg de Wenden avait dit oui, il n’était donc pas aussi stupide, par contre, Eralk de Givreplaine avait décidé de dire non tout comme son Sénéchal… c’était leur choix, il n’allait pas leur en porter préjudice, qu’importe. Il avait également fait voter Ego Losir et Thorus. Qu’importe, la partialité était déjà a moitié fissurée.

Le bureau accueilli une nouvelle fois le maillet de Magnus.

« Que les Dieux prennent acte de la décision de la Justice des Hommes. »
« Othar en est témoin. »
« Néera est témoin de ce choix. »

« Moi, Magnus, Seigneur de Terresang et Comte d’Arétria, promet devant les dieux et devant les hommes, que le témoin d’Ego Losir échappera à toute peine de mort ou de châtiments corporels pour son témoignage. Faîtes entrer le témoin. »

C'est une forme de soulagement pour Ego, même si sa tension reste palpable. Klaus, lui, fixe son frère d'un air interrogatif. Qui va-t-il appeler ? Même moi je n'en sais rien. Mon cousin demande à faire venir un dénommé Hector, garde au service des Losir et donne son emplacement. Il est en ville et je comprends alors que nous avons fait route avec lui depuis le début... Tout à cet odieux constat, je ne réalise pas que le chevalier se penche à l'oreille de Thorus et qu'ils échangent quelques mots. Je me tourne légèrement pour apercevoir Marc-Aurèle. J'ai résisté à cette envie... à ce besoin depuis le début du procès mais il marque désormais une petite pause, le temps que l'on amène cette homme, alors je me le permets un instant. Mon frère se lève finalement et quitte momentanément la salle pour en revenir après quelques minutes avec un plateau couvert de parchemins, tantôt roulés, tantôt pliés.

Que se prépare-t-il ?

Finalement, le soldat entre, escorté jusqu'à sa place, et toute l'assistance fait silence. Il croise à peine le regard de Klaus pour se tourner vers la table où se trouve Magnus. Il n'a pas l'air de savoir pourquoi il est là. A moins que ce soit la culpabilité qui lui donne ce regard hésitant ?
Contrairement à ce à quoi on pourrait s'attendre, ce n'est ni le Comte, ni Ego qui prend les rênes de l'interrogatoire, mais Thorus. J'imagine que mon cousin ne voulait pas que l'on pense qu'il influençait le témoin qui se trouve être l'un de ses hommes.

-Veuillez décliner votre identité devant cette cour.
-Euh... Ouais... J'suis... Hector. J'suis garde au service des Losir d'puis... bien quinze ans maint'nant.
-Bien. Bien... Il marque une pause, semblant chercher la suite de son propos. Mais je le connais, il sait parfaitement ce qu'il fait. Hector, il a été porté à notre connaissance que vous étiez assez proche de Klaus Losir ici présent. C'est exact ?
-Euh... Bah... ça dépend c'que vous entendez pas "proche". C'est mon Seigneur, quoi.
-Son premier héritier. Le corrige Thorus, rappelant que Klaus n'avait pas encore ce statut et le remettant peut-être même en question. Certes oui, c'est votre maître. Mais, même avec son maître, on peut se trouver une affinité et se lier d'une certaine forme d'amitié, n'est-ce pas ?
-J'comprends pas vraiment où vous voulez en v'nir. Fait-il, incrédule.
-Je crois que si. Rétorque mon aîné qui marque une pause avant de pousser le plateau couvert de lettres vers moi. Dame Alicia de Terrefière, reconnaissez-vous ceci ?

Je dévisage mon frère un bref instant puis je regarde les parchemins. Je finis par en prendre un pour commencer à le parcourir, puis un autre. Il ne me faut pas longtemps pour comprendre et les remettre en place. J'ai souvent parcouru ces lignes, je les connais presque par cœur

-Ce sont les rapports suspects que j'ai trouvé au milieu de tous les rapports faisant état de brigandages sur le Comté. Ceux-là même qui ont attiré mon attention et que j'avais mis de côté sur mon bureau.
-En effet. J'ai profité de ce petit intermède pour aller les récupérer.

Sur ces mots, Thorus se lève, prend le plateau et fait le tour de la salle. En chemin, il distribue les parchemins à plusieurs membres du tribunal puis il revient à sa place, pose le plateau mais se ne rassoit pas, restant debout devant la table à laquelle je suis assise aux côtés d'Ego.

-Voyez-vous, il nous est apparu que Klaus Losir n'avait pas pu agir seul dans les faits qui lui sont reprochés. Ou pas toujours. Il a dû recevoir de l'aide pour accomplir certaines de ses exactions. Est-ce que vous comprenez, maintenant, où je veux en venir ?
-Vous utilisez tout un tas d'mots savants. J'suis qu'un...
-Cessez de jouer aux idiots. Tonne Thorus d'un ton autoritaire. Même sans comprendre mes paroles, vous êtes capable d'interpréter le sens de mes phrases. Nous pensons que Klaus Losir avait un complice et nous pensons que c'est vous.

Le soldat fixe mon frère sans réagir. Il ne sait visiblement plus quoi répondre. Ses yeux tendent à se tourner vers l'un et l'autre des Losir, et tout particulièrement l'aîné, mais sans oser les regarder vraiment. Mon frère reprend alors d'une voix plus tranquille, presque douce.

-Nous vous donnons une chance. Même si le tribunal conclut aujourd'hui à un non lieu, il y aura une enquête sur ces attaques étranges afin de trouver qui a profiter de l'instabilité et de l'insécurité en Arétria pour commettre ces actes atroces. Les suspects seront gardés en prison jusqu'à ce que nous ayons une preuve de leur innocence, et autant vous dire que le sort des coupables ne sera pas enviable. Si vous avez joué un rôle quelconque dans cette affaire, votre tête tombera. Néanmoins, dans sa grande magnanimité, le tribunal vous fait une faveur aujourd'hui. Celui que nous voulons avant tout, c'est le commanditaire des tueries décrites dans ces rapports. Si vous êtes en mesure de faire le rapprochement entre cette personne et plusieurs dates et lieus de ces crimes, vous n'aurez pas à craindre les peines les plus sévères. Ainsi en a-t-il été décidé.

Hector est visiblement en proie au doute. Et puis, il fixe les prêtres, comme pour chercher confirmation que c'est vrai. Il regarde Klaus un instant avant de revenir sur Thorus.

-D'accord. Fait-il à mi-voix. Je vais vous dire c'que j'sais.

Je ne ressens ni soulagement, ni peur à l'écoute de ces mots. Je n'ai même plus l'impression de respirer et je doute même que mon cœur batte. Hector continue à parler, quelque fois pour répondre à des questions de Thorus ou de l'assistance, mais, sinon, il le fait de lui-même. Il avoue les crimes de Klaus et sa participation à certains d'entre eux. Il avoue des manipulations, des viols, des jeux sordides dont l'un d'eux à mal tourné, provoquant un premier décès accidentel mais qui a réveillé les appétits macabres de Klaus. Le soldat a participé au début, l'aidant à maquiller des crimes pour faire croire à une attaque de brigands. Il y en avait tellement que ça passait inaperçu. Mais ça a fini par aller trop loin pour le soldat tandis que son maître ne semblait plus pouvoir s'arrêter. Il a fait en sorte de ne pas être disponible quand il savait que Klaus voudrait aller "faire un tour" ou "gérer une affaire".
Hector a donné beaucoup d'éléments. Des lieux, des dates et même des descriptions de ce qu'il s'y était passé. Plusieurs membres du tribunal ont pu confirmé que cela concordait avec le rapport qu'ils avaient entre les mains. Ces récits ont été pour moi aussi accablants qu'éprouvants. Je me sentais de plus en plus mal alors que les minutes s'écoulaient. J'aurais dû être soulagée, j'imagine, de voir les preuves s'amonceler autour de la culpabilité de Klaus. Mais ce n'était pas ce que je ressentais.

Finalement, un autre témoignage prend fin. Au lieu d'en demander un nouveau, Thorus se tourne vers Magnus, l'interrogeant du regard pour savoir s'ils en ont assez ou s'il doit continuer. Moi, je suis toujours sur ma chaise. Je n'ai pas bougé depuis près d'une heure, prostrée, le regard posé sur le bois, mes mains jointes l'une dans l'autre, une larme a perlé silencieusement sur ma joue.

La décision avait été donnée.

Un témoin allait être appelé et Magnus devra se résoudre à minimiser sa faute en ne le punissant pas à mort.

Et par les Dieux qu’il en avait envie en entendant ce témoignage.

Ce misérable était coupable de tant d’atrocités dans le comté. Il n’était pas seulement un lâche qui s’était attaqué à une handicapée. Il était un lâche, traître à sa terre qui allait jeter l’opprobre sur sa Maison et sur son suzerain qui n’avait pas su voir la barbarie de son vassal et Arnaud de Stern semblait lire dans les sombres pensées du Comte. Il y allait avoir des répercussions et pas seulement sur les Losir. Pas seulement sur les Stern mais sur tout le comté. Une enquête devrait avoir lieu, des perquisitions allait être effectuées. Des exécutions de masse. Magnus n’allait pas être très appréciés pendant quelques mois mais … sa politique de crime zéro allait être sévère encore plus qu’elle ne l’était.

Magnus regarda alors ses congénères, ses vassaux, ses conseillers. Tous plus ou moins outrés par ce qu’ils entendaient et même de Wenden, après tout il était un Arétan avant tout. Le peuple avait souffert. Arétria allait se relever. Arétria allait se venger sur la Mort.

Lorsque le témoignage fut terminé, Magnus capta le regard de son jeune frère. Ils se comprenaient. Il n’y avait pas besoin de plus. La vengeance allait sonner. Son maillet accueilli une fois de plus la table dans un bruit sec.

« La Cour va décider de votre sort, Klaus Losir mais avant cela, je vous avais promis une peine légère pour votre témoignage, Garde Hector. »

Il attendit quelques instants pour faire comprendre à tout le monde que personne n’aurait droit à l’interrompre et c’était lui et personne d’autres qui aurait le dernier mot.

« Vous êtes condamné aux travaux forcés à la Palissade. Vous rejoindrez le camp d’ici trois jours avant cela, vous serez baigné dans la poix et emplumés. Vous circulerez dans la cité d’Arétria-la-Ville ainsi que ses faubourgs durant une journée et une nuit attaché à la queue d’un roncin Malelandois. »

Quoi ? C’était pas si sévère ! Le cheval n’allait pas être envoyé au galop. Ça sera horrible … pour l’équidé.

Avant que le larbin ne puisse dire quelque chose, deux gardes l’entourèrent et l’un d’eux lui mit un coup de la hampe de sa lance à l’arrière de ses genoux et se fit traîner en dehors de la salle du conseil. Magnus effectua alors une nouvelle agression sur sa table avec son arme du jugement.

« Pour les chefs d’accusation de kidnapping en la personne de Alicia de Terrefière, l’assassinat de plusieurs membres du peuple dont des sujets de Terrefière mais également de la Malelande, de pillages, de massacres, de félonie et d’opprobre à son rang et sa maison, la Cour va trancher ! »

Spoiler:

Magnus observa chaque membre de la cour. Tous étaient d’accord … une première depuis le début de ce procès. Tout le monde était d’accord sur le fait que Klaus Losir était coupable, même son frère en était certain. Le Comte d’Arétria était satisfait. Sa décision avait été prise dès la fin du témoignage d’Alicia mais là, il n’était plus obligé de faire semblant. Un nouveau martèlement se fit entendre, la hampe du marteau de guerre d’Othar.

« La Justice des Hommes a décidée ! »
« Que la DameDieu en soit témoin ! »

« Klaus de la Maison Losir ! Par ce Conseil, par ces témoignages, vous avez été reconnu coupable des faits qui vous sont reprochés.
Ce jugement de la Justice des Hommes a été reconnu par les Dieux représentés dans cette salle ! Moi, Magnus, Seigneur de Terresang, Comte d’Arétria, Protecteur des Pyks d’Ortheim, je vous condamne à la mort. La sentence complète vous sera communiqué d’ici deux ennéades où la noblesse d’Arétria sera conviée pour assister à la mort d’un traître.
Moi, Magnus, Seigneur de Terresang, Comte d’Arétria, Bras de la Justice Comtale, vous retire de plein droit votre droit du sang, à partir de cet instant, votre noblesse de naissance vous est retirée, votre appartenance à la maison Losir n’est plus qu’anecdotique. Vos terres et possessions personnelles vous sont confisquées. Votre droit à une mort honorable vous est retiré. Votre droit à un réexamen de votre accusation vous est retiré. Vous n’êtes plus qu’un fantôme. Un rebut. Et la sentence est irrévocable. »

Pour ponctuer cela, le maillet tapa une nouvelle fois la table en même temps que le marteau de guerre sur le sol de la salle.

« La séance est levée. »

A la fin du témoignage, nombre de visages ont changé. L'auditoire est plein de haine, de jugement, de rancœur tandis qu'il épie les coupables. Hector semble... à la fois rongé par la culpabilité et soulagé. Klaus, lui, n'essaie plus de faire semblant. Ses yeux plein de colère se posent sur son ancien subordonné, sur son frère... et même sur moi. Thorus s'interpose entre nous afin de me protéger de son regard.

La sentence tombe. Celle du soldat n'est pas totalement conforme à ce qu'il avait promis. Il avait dit qu'il n'aurait pas de châtiment corporel... Mais être traîné derrière un cheval n'a rien d'agréable. Il finira avec le dos en sang et aura de la chance si ses plaies ne s'infectent pas. Cependant, l'homme s'incline et le remercie. Il est encore dans la force de l'âge, il sait qu'il peut survivre à sa sanction. Ce qui n'est pas le cas de Klaus qui, non content d'être exécuté, est également humilié alors qu'il se voit dépouillé de tout, y compris du droit de faire appel.
Moi, je ne sais pas quoi penser. Mon esprit n'est plus vraiment là. Puisque tout le monde se lève et que le dernier condamné est emmené, je me lève également. Cependant, je chancelle bien vite. Je suis épuisée... surtout émotionnellement. J'ai besoin de m'isoler, de souffler, de pleurer... Thorus est rapidement à mes côtés pour m'empêcher de tomber et je cherche Marc-Aurèle de la main. Le procès est fini, il a le droit de venir me rejoindre désormais, non ? Il n'est plus le Premier Conseiller, il est mon époux... et j'ai besoin de lui. Il est fatigué et a besoin de prendre soin de lui, je le sais. Tout ce que je souhaite, c'est remonter dans ma... dans notre chambre. Et c'est la direction que nous prendrons en sortant enfin d'ici.

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