[Entre les lignes] La chute | Marc & Alicia

Cinquième ennéade
Eté, Karfias 19:IX

Un soupir discret s'échappe de la bouche de l'un des deux gardes postés de chaque côté de la porte de la salle du trône. Le hall est vide est silencieux et, il faut bien l'avouer, c'est bien calme à cette heure de la journée. D'autant plus depuis le départ de la famille Terresang dont il ne reste plus que la douce Alicia dans le Comté, ainsi que son futur époux. Autrement dit, les deux hommes s'ennuient mais ils doivent rester à leurs postes et aussi concentrés que possible.
Rompant la monotonie des heures qui s'écoulent bien lentement, un bruit se fait entendre un peu plus loin. Les soldats froncent les sourcils et échangent un regard d'incompréhension. On aurait dit du bois frappant la pierre puis dégringolant. Cela ne viendrait-il pas de l'escalier à leur droite ? Celui qui mène à l'étage supérieur ?

D'un signe de tête, l'homme au soupir fait signe à son collègue d'aller voir cela de plus près tandis que lui-même reste à son poste. D'un air entendu, il s'exécute et avance pour aller jeter un œil dans la cage d'escalier. Il en est tout proche lorsqu'il distingue un autre bruit, bien plus ténu, presque étouffé. Comme quelque chose qui descend les marches plus vite encore qu'il ne s'en approche. Mais tous deux arrivent en bas pratiquement en même temps et le soldat n'a que le temps de s'écarter pour l'éviter. Il reconnaît aussitôt la silhouette d'une femme et, à la vue de sa robe, il l'identifie sans mal.

-Par tous les Dieux !

Il se précipite à ses côtés en lui demandant si elle va bien mais elle ne répond pas. Ses yeux sont clos et elle n'a pas la moindre réaction. Le soldat relève le regard mais, dans l'escalier, il ne voit que les deux béquilles dont la course s'est arrêtée bien avant celle de leur propriétaire. Il se retourne alors vers son collègue.

-Va chercher de l'aide, vite ! Puis il reporte son regard sur la demoiselle qu'il n'ose même pas toucher. Dame Alicia, réveillez-vous !

Notes:

Que de travail. Que de missives à lire, des documents à parapher, de réunions à mener, à diriger, et même, parfois, à monitorer tant certains esprits peuvent rapidement s’échauffer. Le sang Arétan n’est point prompt à la patience, à la tempérance, bien au contraire. En cela, les qualités de Marc-Aurèle se montrent bien utiles, peut-être même rafraichissante, en bien des manières. Ou en certaines manières. Car certains, parmi les seigneurs et nobles encore présents, voient encore en ce petit seigneur sans château, sans forteresse, et aux terres à la très faible population, un être qui ne devrait point être là où il est aujourd’hui.

Mais, fort heureusement, le Comte aura bien préparé le terrain…

Mais aucune préparation n’aurait pu être tentée, pour faire face au tragique évènement de cette journée. Le régent et Premier Conseiller, n’entendit rien du tumulte des escaliers, rien des cris, ni de la chute de sa promise. Son bureau était trop loin, ses épais murs, trop larges pour que quoi que ce soit ne puisse le déranger. D’ordinaire, ce silence était recherché, car, bien qu’être de lettre et de combat, Marc-Aurèle avait besoin de toute sa concentration pour faire ce que l’on attendait de lui…

Mais aujourd’hui, rien n’allait comme prévu…

« Monseigneur ! Monseigneur ! » Cria-t-on, tandis que le bruit des talons courant sur le sol de pierre, indiquait au régent que l’on approchait de son bureau à toute jambe. Finalement, le valet ouvrit la porte avec fracas, et Marc-Aurèle, comme transit par une idée subtile, se leva d’un bond. « Monseigneur régent ! C’est… C’est votre promise ! Elle a eu un accident ! Dans les escaliers ! Les guérisseurs sont déjà à son chevet, ils m’envoient vous quérir ! »

Marc-Aurèle laissa choir – ou plutôt projeta – ce qu’il avait en main contre son bureau, le petit verre en terre cuite qui se trouvait dans sa main et qui contenait un fond de ce très mauvais vin. Ce dernier se brisa en plusieurs morceaux, et Marc-Aurèle, comme transit d’une vive inquiétude, fit le tour de son bureau en à peine deux foulées, apparaissant devant le petit valet comme s’il était un géant au cœur bouffi de violence.

« Que s’est-il passé ? Parlez, par la Mère ! » Ordonna-t-il, restant là, face au valet.
« On… Personne ne le sait, monseigneur ! Venez, venez vite, je vous en prie ! »

Alors, Marc-Aurèle s’exécuta, suivant le valet vers là où les soigneurs auront emmenés Alicia, si cela leur était possible.

Au premier étage de la citadelle, l'agitation y est bien différente de d'habitude. Ils sont loin les rires, la musique et les chants de la douce et belle Alicia et a laissé place à une rumeur qui courent dans tous les couloirs. La nouvelle de son accident est encore en train de faire le tour du château mais, déjà, plusieurs serviteurs se trouvent devant la porte de la chambre de l'infortunée. Après un rapide examen, les prêtres ont conclu qu'elle était transportable et ont fait venir une civière afin de la transporter jusque dans sa chambre car, en tant que Dame de la famille du Comte régnant, elle a droit à d'autres égard que de loger dans le Temple durant ses soins. La blessure qui inquiète le plus, c'est celle sur le côté de sa tête qui la maintient inconsciente. Du fait de son état de santé général, les fractures ne surprennent pas les deux soigneurs. Ce sont probablement les cicatrices les plus mal soignées qui ont lâché pendant la chute... Ce sera l'occasion pour eux de les réparer convenablement.

Lorsque le valet arrive avec le Seigneur de Terrefière, il signale rapidement sa présence au petit groupe de serviteurs qui s'est amassé devant la porte de la chambre, chuchotant tout en guettant ce qu'il se passe à l'intérieur. L'homme les presse de s'écarter, craignant la colère du Conseiller qui l'a presque fait tremblé quelques minutes plus tôt. Tous lui obéissent lorsqu'ils aperçoivent Marc-Aurèle dans leur dos mais ils auront tôt fait de se regrouper de nouveau après son passage si on ne leur commande pas de disparaître.

A l'intérieur, deux soldats replient la civière et s'apprêtent à repartir. Magdeleine est debout au pied du large lit installé quelques ennéades plus tôt. L'un de ses bras entoure son ventre et sa main libre est portée à ses lèvres, se rongeant presque les ongles en observant ce qu'il se passe devant elle. Lorsqu'elle aperçoit le fiancé de sa maîtresse, elle pivote vivement pour lui faire face et s'incline devant lui.
Sur la couche, Alicia est allongée et immobile. Sa robe lui a été retirée, la laissant en chemise de nuit afin de faciliter les soins. Ses yeux sont clos. Son visage se colore çà et là de ronds et de traits violacés. Un prêtre et un apprenti sont penchés sur elle, l'examinant avec plus d'attention qu'ils ne l'ont fait au pied de l'escalier. Le jeune Frère lève brièvement son regard vers Marc-Aurèle tandis que le Père d'une quarantaine d'années ne s'occupe pas de cette intrusion une seule seconde. Du moins, pas avant d'avoir fini son ouvrage, demandant parfois au novice de réaliser quelques manipulations très simples, à la hauteur de ses capacités.

Les minutes s'écoulent lentement avant que chaque partie du corps de la jeune femme ne soit examinée. Les soigneurs ont laissé les bleus pour se concentrer sur les éventuelles blessures internes auxquelles ils ont accordé plus de temps et d'énergie. Finalement, ils se redressent, un peu fatigués, et le prêtre émerge de sa concentration. Il découvre alors le noble aux traits tirés et s'imagine aussitôt que c'est à lui qu'il doit s'adresser en l'absence de Magnus de Terresang. Le Culte ne s'intéresse certes pas à la politique mais tout un chacun porte une certaine attention à ce qu'il se passe autour de lui.

-Vous êtes le Conseiller du Comte ? Demande-t-il. Après confirmation, il poursuit. Malgré les apparences, elle a eu de la chance. Il n'y a que peu de véritables blessures à déplorer. La première est une belle bosse sur le côté du crâne, probablement le résultat de l'un des coups de sa chute qui l'aura assommée. Nous l'avons résorbée mais il se peut qu'elle mette encore un peu de temps à se réveiller. Deux de ses anciennes fractures aux jambes se sont également rouvertes. Nous les allons veiller à ce qu'elles soient correctement soignées cette fois. Cela modifiera un peu son équilibre, il faudra qu'elle fasse attention lorsqu'elle recommencera à marcher. En dehors d'hématomes un peu partout, il n'y a rien de plus à signaler. Les dégâts auraient pu être bien pire. Elle devrait rouvrir les yeux dans quelques heures.

Le prêtre marque une pause avant sa conclusion, laissant au Seigneur le temps d'ingérer toutes ses paroles et de poser d'éventuelles questions.

Un accident. Encore un. C’était l’hypothèse la plus plausible par ici, car Marc-Aurèle ne pensait point instant qu’au cœur de la demeure Terresang d’Arétria, quelqu’un puisse tenter d’attenter à la vie d’Alicia. Un accident donc. C’était en effet la chose la plus logique.

Contre toute attente, Marc-Aurèle poussa un long soupir. Était-il soulagé ? Était-il désappointé ? Bien évidemment qu’il ressentait un grand soulagement, seulement voilà, son esprit était beaucoup trop occupé pour qu’il ne puisse réellement se défaire de ses pensées. Administrer tout un Comté avec les enjeux laissés par le Comte, lui qui ne désirait rien de plus que de subvenir aux besoins de son tout petit hameau, était une tâche bien trop étouffante pour le petit seigneur. Si étouffante, qu’il en perdait presque de vue le reste de ses obligations. Son mariage, sa vie de futur époux, et ses obligations auprès de sa promise.

Il soupira donc. Avisant le corps endormi et meurtri d’Alicia, il posa sa main sur elle, se courbant au-dessus du frêle corps de la jeune femme, avant de se redresser d’un bond.

« Surveillez-la, et assurez tous ses soins. Faites-moi quérir dès lors que vous le jugerez nécessaire. Je dois retourner travailler. »

Et puis, il fit demi-tour, et retourna au bureau. Trop de choses en têtes pour pouvoir ne penser que par ses émotions humaines. Il devait rester pragmatique.

Du fin fond des abysses, je m'extirpe péniblement. Je me hisse avec une sensation étrange. Celle de ne pas savoir où je me trouve. Et pour cause : je ne me souviens même pas m'être couchée. Je remue faiblement, éveillant mon corps au même rythme que mon esprit, mais je suis arrêtée dans mon élan par de multiples douleurs. J'ai mal un peu partout, comme si j'avais couru des lieues durant et que l'on avait rouée de coups. Je fronce légèrement les sourcils et je réitère mon geste, essayant de mouvoir jusqu'à mes jambes. J'ouvre alors subitement les yeux, retenant un cri, alors qu'une souffrance oubliée se ravive. J'entends aussitôt que l'on m'interpelle et je perçois du mouvement. Je suis prise d'une peur presque panique en découvrant à mes côtés les visages de deux hommes que je ne connais pas. Je n'ai pas encore réalisé où je suis. J'ai l'impression d'avoir replongé dans le passé, lorsque j'ai perdu le peu de valeur que j'avais en me retrouvant sous ce carrosse.

Rapidement, je remarque les robes de prêtre. Je distingue les traits inquiets de Magdeleine. Déroutée par la présence de ce grand lit auquel je peine à m'habituer, j'ai du mal à reconnaître ma chambre mais c'est bien elle. Les portraits de ma famille sont là et, au-dessus de la cheminée, trône toujours cette grande composition de broderie blanche et dorée que j'ai réalisée à l'automne. Alors, je m'apaise un peu. Non pas sous les recommandations de ceux qui m'entourent mais parce que je retrouve mes repères.

-Que s'est-il passé ?

Ma suivante toise le prêtre le plus âgé d'un air inquiet mais celui-ci m'explique les évènements calmement. Il me parle de ma chute et me détaille mes blessures. Je suis restée inconsciente pendant six heures... à cause d'un choc à la tête. Cela explique pourquoi la luminosité à déclinée à l'extérieur. Mon amnésie n'a rien d'inhabituelle dans ce genre de situation et tout devrait me revenir plus tard. Je lui demande pourquoi j'ai mal partout et il me répond que mon corps s'est raidit au moment de tomber, que cela passera dans quelques jours. Mes bleus et mes bosses mettront un peu plus de temps à disparaître totalement. Quant à mes jambes, ils les soigneront afin que je ne me retrouve pas alitée un mois durant et ils s'assureront qu'elles guérissent bien. Mais tandis qu'il me parle, je réalise que ma tête me fait de plus en plus mal.

-C'est le contre-coup du choc. M'assure le prêtre avant de placer ses paumes sur mes tempes. J'ignore ce qu'il fait mais je sens alors l'étau sur mon crâne se desserrer et je soupire de soulagement. Evitez de bouger vos jambes. Nous en avons réduit la douleur mais au moindre mouvement elle reviendra.

Oui, j'avais remarqué...

Ayant fini ses explications, le soigneur cède la place à Magdeleine qui se précipite presque à mon chevet. Je profite de notre semi intimité pour l'interroger à voix basse.

-Marc-Aurèle est-il au courant ?
-Oui, il a été prévenu aussitôt. Il est venu et a observé les soins mais il a dû retourner travailler.

Les affaires d'Arétria ne peuvent attendre, j'imagine. Ma suivante perçoit dans mon regard ce petit pincement au cœur de savoir qu'il n'est pas resté un peu afin de guetter mon réveil et elle reprend aussitôt.

-Il a demandé à ce que nous l'avertissions au moindre changement de votre état.

J'esquisse un sourire un peu forcé, davantage pour la remercier de son effort que parce que ce qu'elle me dit me touche. Gendry n'aurait pas agi différemment à la place du Seigneur de Terrefière. Mais Gendry n'est pas mon fiancé, un homme auquel je m'attache malgré tout ce qui nous différencie. Je crois l'aimer un peu, ignorant pourtant tout de l'amour. C'est d'ailleurs la remarque que me feraient mes frères et mes sœurs si je leur faisais cet aveu. A moins qu'ils ne me laissent dans mon illusion afin que je vive heureuse. Mais je suis bien loin de toutes ces préoccupations et persiste dans mon petit rêve sans me soucier de ce qu'il en est réellement. Aussi, parmi toutes les blessures dont je souffre actuellement, il y a celle de l'absence de la seule personne dans toute la cité que j'aurais aimé voir à mes côtés à mon réveil. Et je me demande si je ne devrais pas me faire à l'idée de me marier à un homme qui devra toujours me faire passer au second plan, ou en tout cas cesser d'espérer que notre union pourrait être scellée dans l'affection mutuelle.
Après tout, même s'il a fini par se faire à cette idée, je désirais ce qui nous arrive. Pas lui.

Plusieurs minutes plus tard, lorsque Marc-Aurèle pénètre dans ma chambre, je ne sais pas comment l'accueillir et le regarde simplement sans un mot. Tout comme les prêtres qui se tiennent à sa disposition au pied de mon lit pour répondre à ses éventuelles questions avant de prendre congés. Quant à Magdeleine, elle est partie chercher de quoi me désaltérer.

Les affaires du Comté étaient d’une importance capitale. Tous les jours, Marc-Aurèle devait lire et relire les demandes de réquisitions, les comptes rendus des impôts, les réquisitoires diverses et les doléances des autres régents, ceux des petites gens et des petits seigneurs locaux. Il n’était, d’ordinaire, pas plus grand qu’eux sur l’échiquier politique. Mais depuis le départ de Magnus pour Diantra, il était devenu le régent Comtal, en plus d’être le Premier Conseiller du Grand Conseil d’Arétria… En bref, il avait beaucoup, beaucoup de choses à faire.

Alors, l’accident d’Alicia était rapidement parti loin derrière les tracasseries de la régence. Des heures durant, Marc-Aurèle travailla d’arrache-pied. Sans doute un peu choqué par l’accident, il en oublia même de manger, chose exceptionnelle pour cet homme à la carrure nécessitant une grande quantité de nourriture tous les jours. KA seule chose qui le tira de ses occupations ? Que l’on vienne le chercher pour lui dire que sa Dame s’était réveillée.

Alors, il comprit. Il était temps pour lui de quitter ce bureau qui n’était le sien que provisoirement, et de se rendre dans la chambre de sa future épouse. A pas pressés, il s’y rendit. Dès qu’il ouvrit la porte, il reconnut son épouse alitée, mais surtout, cet air à la fois triste et à la fois… Déçu, qu’elle portait si bien dans les instants de déception et d’incompréhension qui sont les siens. Le régent souffla longuement, avant d’aviser les prêtres. Ceux-ci semblaient ne pas savoir sur quel pied danser, tant le Régent prenait des airs imposants. Finalement, après deux ou trois secondes de silence, il leur ordonna : « Sortez. »

Et puis, il prit place aux côtés d’Alicia, sur un fauteuil confortable. Il souleva le bas de sa tunique de cuir pour plus de confort, et prit place. Légèrement éloigné de sa promise, il se releva aussitôt, et tira sur les accoudoirs de son assise pour la rapprocher du visage de sa dame. Une fois suffisamment proche, il s’installa, et posa son épaisse pogne de moins en moins caleuse – car le stylo n’éreinte point autant que la bèche – sur la frêle mimine de sa promise.

« Que s’est-il passé ? Comment te sens-tu ? Est-ce que… Est-ce que je peux faire quelque chose ? »

Les prêtres sortent sans se poser de questions. Ils auraient davantage de réticences s'ils étaient serviteurs de la maison ou nobles de compagnie mais ils n'ont pas les mêmes soucis que mon entourage concernant ma pureté. Alors ils nous laissent et ferment derrière eux. Nul doute qu'ils retiendront Magdeleine à son retour afin de nous laisser en privé et jamais elle ne braverait l'ordre d'un membre de notre famille qu'elle sert avec dévotion. Même si Marc-Aurèle ne fait pas encore tout à fait partie de la famille, c'est tout comme pour les Terresang et elle le sait.

Nous ne sommes pas encore tout à fait seuls que, déjà, le Seigneur avance vers moi et prend place à mes côtés. La première distance qu'il nous impose me met presque mal à l'aise quand je sais qu'il est parti dès mes soins terminés mais il remédie bien vite à la situation. Il se rapproche, se met à ma portée et pose sa main sur la mienne. Le contact n'a rien de doux mais le geste me touche et mon cœur se serre un bref instant dans ma poitrine.
Soudain, les questions fusent et je pivote légèrement ma dextre, presque malgré moi, afin que mes doigts puissent se refermer sur les siens. Je sens sa confusion et son inquiétude, malgré tout. Je ne me plaindrai pas de son absence à mon réveil, ignorant qu'il a lu ma déception et ma tristesse dans mon regard à son arrivée. Les tracas du Comté sont importants, peut-être plus à ses yeux que moi. Sûrement plus... Mais si je tiens à lui, je ne dois pas avoir la naïveté d'espérer que cela sera un jour réciproque. Je ravale donc mes sentiments et entreprends de lui répondre. Par où commencer... Quelle était sa première question déjà ?

-J'ai mal partout. Fais-je en étirant un sourire désolé et amusé à la fois afin de lui faire savoir que c'est loin d'être insupportable. Le prêtre a dit que mon corps s'est raidi au moment de tomber et que c'est pour cette raison que tous mes muscles me font souffrir. Quant à mes jambes... J'y jette un œil rapide. Ils m'ont apaisée de sorte que, tant que je ne bouge pas, je n'ai pas mal.

J'ai connu bien pire avec mon accident. Des ennéades à endurer mes maux sans le moindre soin puis la rééducation... Et jusqu'à récemment, chaque changement de position était douloureux. Alors ce ne sont pas quelques courbatures qui vont me faire flancher. Quant à ma tête, elle va si bien pour le moment que j'en ai oublié que la migraine pouvait finalement me reprendre.

-Je... Je ne sais pas ce qu'il s'est passé. Ce qui est tout à fait normal apparemment. Cela peut me revenir dans les prochains jours. Je ne sais pas comment j'ai pu tomber...

Depuis le temps que je parcours la citadelle, je n'avais encore jamais perdu l'équilibre dans les escaliers. Je fais toujours très attention. Je ne suis pas à l'abri d'une erreur d'inattention, bien sûr... Même si cela me surprendrait. Je ne sais même pas ce que je faisais près de cet escalier-ci.

-La dernière chose dont je me souvienne, c'est que je me rendais au bureau de Gendry. Déclare-je d'un air pensif alors que j'essaie de replonger dans ma mémoire.

Cet escalier n'était même pas sur mon trajet... Aurais-je changé d'avis entre temps ?
Après un bref instant de confusion, je relève les yeux vers Marc-Aurèle dont je m'étais détournée le temps de ma réflexion et lui adresse un sourire contrit.

-On dirait que je ne vais pas v... t'être d'une grande aide pour les ennéades à venir. Même si les prêtres vont veiller à accélérer ma guérison, je vais rester alitée un moment... Ceci dit, je peux peut-être faire venir quelques artisans ici pour progresser un peu dans les préparatifs du mariage.

Le vouvoiement m'a presque échappée. Nous n'avons pris que récemment la décision de nous tutoyer et j'ai un peu du mal à m'y mettre. Non pas que cela me dérange, au contraire : j'ai été ravie de nous voir nous rapprocher de la sorte. Je ne sais pas pourquoi... J'ai peur d'aller trop vite pour lui peut-être. Déjà qu'il a été contraint à notre union... Et puis, c'est à la fois étrange d'être en même temps si proches et si distants. Nous sommes presque mariés sans l'être et nos fiançailles semblent s'éterniser, si bien que je me demande si nous parviendrons à nous unir un jour.

Un accident, encore un. Pendant un instant, Marc-Aurèle se demanda si Alicia n’était point poursuivie par une malédiction, un mauvais sort, car la pauvre jeune femme essuyait plus de chutes qu’aucun autre être humain dans l’entourage du régent. Elle avait chuté à Terrefière, et maintenant, dans les propres escaliers de la forteresse d’Arétria. N’était-elle donc point en sécurité, ici même ? Pourtant tout le monde connaissait son infirmité, et tout le monde évitait soigneusement les plis et replis des tapis, les marches biscornues étaient retravaillées, et on laissait suffisamment de place autour d’Alicia pour qu’elle puisse manœuvrer sans trop de mal. Alors, pourquoi cette énième chute ?

Et puis, qu’arriverait-il si elle venait à chuter ainsi alors qu’elle portait en ses entrailles, l’enfant de leur union ? La médecine humaine n’est point aussi salvatrice que celle des Elfes, ou même des Nains – du moins à ce que l’on disait – et sauver un enfant né trop prématurément relèverait du miracle… Et puis, les accouchements sont difficiles… Qu’adviendrait-il d’Alicia, dans une telle situation ? Marc-Aurèle pourrait souffrir de perdre à la fois son épouse, et son enfant à naître, dans un accouchement difficile… Ou dans un accident de ce genre…

Ces pensées morbides et macabres, Marc-Aurèle les chassa bien vite, se concentrant sur le récit d’Alicia. Ses souvenirs reviendront dans quelques jours, d’après les prêtres. Espérons-le. Non pas que Marc-Aurèle ne croit pas en la thèse de la chute, mais disons qu’il ressentait le besoin de savoir comment elle était arrivée… Pour éventuellement prévenir toute récidive.

Toutefois, une information vint l’interpeller, un peu à retardement. Le bureau de Gendry ? Il n’était point par cet escalier-ci. Qu’aurait-elle fait ? Il n’y avait ni travaux, ni quoi que ce soit qui puisses empêcher la déambulation d’Alicia dans le couloir direct, alors pourquoi passer par là ? Le régent lui aurait bien posé la question, mais… Elle était encore en état de choc. Alors, cela attendrait.

La question du mariage revint encore sur le tapis. Le mariage… Cette chose imposée, qu’il n’avait jamais désiré ni avec Alicia, ni avec qui que ce soit d’autre d’ailleurs, mais qu’il devait respecter car c’était un noble, vassal de son suzerain, et que son suzerain l’avait ordonné… Ainsi allaient les choses. Ainsi Marc-Aurèle devait l’accepter. Oh, il aurait pu tomber bien plus mal… Mais l’idée de se marier était encore nouvelle, et de toutes les nouveautés qui étaient tombées sur ses larges et fières épaules, celle du mariage était la plus effrayante… Mais il savait à quel point le mariage était important pour Alicia… Aussi faisait-il des efforts pour le rendre heureuse. Du moins essayer.

« C’est une excellente idée, en effet. Les affaires de ton frère ne sont pas faciles à gérer. Pour sûr, elles me demandent bien plus de concentration qu’à lui, je n’ai pas ses épaules, ni ses habiletés. Un peu d’aide ne serait que bien venue, il en va de notre mariage. D’ailleurs, es-tu au courant pour ce qu’il s’est passé du côté de Langehack ? Des Nains ont été tués… » Dit-il, le regard devenant aussi serré que celui d’un rapace scrutant sa prochaine proie. « Il est parié que ces petits êtres belliqueux chercheront vengeance… D’après les missives, le Marquis aurait fait exécuter deux Nains d’une délégation officielle, à cause d’un affreux quiproquo… Son Excellence Magnus est un guerrier impétueux… Je n’ai pas encore reçu d’ordres de sa part allant en ce sens, mais je suis certains qu’il lèvera les bans. Il te faut te préparer à une guerre, ma chère… Et je devrais m’y trouver, dans les lignes d’Arétria. Les temps seront troubles pour nous deux, je le crains… »

Il s’agissait là de la première fois qu’il parlait des affaires du Comté avec Alicia… Mais la situation l’interpellait beaucoup trop. Et savoir sa promise clouée au lit, n’allait pas pour l’aider.

Je suis loin d'imaginer tout ce qu'il se passe dans l'esprit de Marc-Aurèle. Il y a tant d'idées que se bousculent dans la mienne en ce moment. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, je tombe rarement. A Terrefière, je ne me suis simplement pas méfiée de ces vieilles marches. Et tout à l'heure... Rah, je n'en sais rien ! J'essaie de me souvenir mais cela ne vient pas. Ma chute n'avait pas plus de raison d'être que ma simple présence dans cette partie de la citadelle.

Je détourne finalement mon attention de ces pensées pour écouter mon fiancé me parler de son travail. Il ne m'en parle jamais, à part pour me dire que cela le préoccupe beaucoup et lui demande beaucoup d'énergie. Choses que je savais déjà pour m'en être rendue compte par moi-même. J'ai tenté de lui venir en aide en assistant Gendry, à défaut de pouvoir l'assister lui. Car s'il ne me parlait pas de ses affaires, c'était qu'il ne voulait pas que je m'en mêle, j'imagine. Mais il évoque enfin ses doutes devant moi et je sais aussitôt ce que j'ai à faire. J'ai été préparée depuis ma naissance à devenir une épouse. Les femmes ne sont éduquées que pour cela. Je sais où est ma place par rapport à lui. Alors je serre légèrement mes doigts sur les siens afin de lui apporter un premier soutien moral.

-Si je peux t'être d'une aide quelconque...

Il essaie de se montrer enthousiaste quant à notre mariage mais je sais qu'il n'en est rien. Cela va bientôt faire deux mois que nous sommes officiellement promis l'un à l'autre et il ne s'est toujours pas fait à cette idée. Pourtant, nous sommes censés être déjà mariés. S'il n'y avait pas eu les festivités de Diantra... D'ailleurs, ma famille n'en est pas encore revenue et je m'interroge à ce sujet. C'est alors que Marc-Aurèle évoque un sujet dont je n'ai pas connaissance. A peine parle-t-il de Langehack que je me montre aussi attentive que soucieuse devant de l'expression du chevalier. Les informations fusent... Des assassinats. Des exécutions. Une guerre. Et le départ des hommes de ma famille pour la guerre.
Je baisse les yeux, retenant mon inquiétude autant que ma tristesse. Même si ces dernières s'entendent dans le petit côté rocailleux de ma voix alors que je reprends la parole.

-Alors les préparatifs n'ont définitivement rien d'urgents. Glisse-je pour moi-même alors que je travaillais à notre mariage sans même avoir de date définie. Mes doigts se sont presque crispés sur la main de mon fiancé sans que je ne m'en aperçoive. Comme si je cherchais à le retenir alors qu'il n'a pas encore prévu de partir. Au moins... Tu auras un nouveau délai pour t'accoutumer à l'idée de notre union. Je relève les yeux vers lui et lui adresse un sourire qu'il peut facilement imaginer comme forcé, même si mon ton est volontairement humoristique. Je ne lui fais aucun reproche, au contraire. Je sais qu'il fait son devoir en acceptant le mariage mais je suis peinée de le savoir opposé à la chose. Je ne désespère pas que tu y sois sincèrement enthousiaste un jour. Ajoute-je avec douceur et une naïveté dont j'ai parfaitement conscience.

Je cherche à alléger l'ambiance alors qu'il se passe beaucoup de choses en seulement quelques minutes. Je suis certes triste parce que nos noces vont encore être repoussées mais je suis surtout terrifiée. Nous ne sommes même pas encore mariés qu'il risque de m'être enlevée. Cet homme qui a été choisi pour moi et que je trouve gentil, attentionné -à sa manière-, bienveillant... Cet homme à qui je suis dévouée depuis le premier jour et pour qui j'ai même été capable de me mettre de côté pour son propre bien-être. Cet homme que je commence à aimer même s'il ne veut pas de moi.
Je ne veux pas d'un autre que lui pour mari...

-Mais... Qui s'occupera d'Arétria si ni Magnus ni toi n'êtes là pour en assurer la gestion ?

Le petit seigneur eut une réaction positive à l’attitude de sa promise. Il venait de trahir son propre code d’honneur, en parlant des affaires officielles à sa promise, elle qui, normalement, devrait s’en tenir éloignée. Elle aurait tôt fait de faire sa part du travaille à Terrefière, mais Terrefière n’était qu’un très petit bourg en comparaison de tout un Comté. Et puis, la mission de gestion du Comté lui avait été donnée par Magnus en personne… En parler à sa sœur, et donc sa promise à lui, pouvait être source de conflit.

Mais au lieu de s’en éloigner, Marc-Aurèle décida de s’en approche encore. Il raffermit à nouveau sa poigne sur celle de sa promise, et l’écouta, avant de répondre à son tour. « Ou les préparatifs sont de plus en plus urgents… Si une guerre se prépare, tu pourrais devenir la Dame de Terrefière bien plus rapidement que ce qu’on aurait cru… » Dit-il alors, comme si cela venait de lui échapper, dans un souffle, un soupir.

Puis, il reprit sur autre chose, car Marc-Aurèle était en effet très préoccupé. Depuis plusieurs ennéades, il avait abandonné jusqu’à son propre repos, pour pouvoir satisfaire sa mission. Mais il arrivait bientôt au bout de ses capacités à élucider ses propres besoins, ses propres envies. « Je m’y ferais, ne t’en fais pas. Quand je pourrais me le permettre. » Répondit-il, en offrant un petit sourire et en tapotant la frêle mimine de sa promise. « Magnus devra gérer Arétria depuis le front, ou alors, il nommera un autre régent. Mais ce ne sera pas moi. Peut-être Thorus, qui sait… C’est un individu bien étrange, Magnus… Il est aussi violent que le volcan et aussi rustre qu’un bœuf, mais il se dépasse pour une cause plus grande… Et pourtant, s’il pense au bien des Arétans, il en oublie parfois celui de ses proches… Il m’enverra à la guerre, et tu seras alors seule. Mais ainsi va la vie, je crois. Tu ne croirais pas à la moitié des décisions qu’il à déjà prit en tant que Comte… Et ce fardeau me revient… Il ne sera jamais revenu assez rapidement à mon goût… J’ai besoin de repos… »

Il n’avait jamais parlé avec un cœur si grand ouvert auparavant…

Étrangement, l'idée de devoir me marier dans la précipitation ne m'enchante pas. Peut-être parce que le bonheur que devrait me procurer cette union se retrouverait noyé dans la tristesse de voir mon époux disparaître soudainement puis l'angoisse de ne jamais le voir revenir. Cela me rappelleraient dangereusement nos fiançailles...

-Dans ces conditions, je ne suis plus si pressée de me marier en fin de compte... Souffle-je.

Ce n'est pas une opposition. Je suis comme lui : je ferais mon devoir. Mais même si je l'ai ardemment désiré, je ne souhaite pas un mariage à n'importe quel prix non plus. Je préfèrerai être plus sereine au moment de mes noces qui m'apporteront déjà tant d'inconnus...

Mais je n'ai pas le temps de me reposer sur mes propres soucis. Marc-Aurèle évoque librement ce qui pèse sur ses épaules depuis plusieurs ennéades maintenant. Il est bien plus à son aise en tant que Seigneur de Terrefière que Régent d'Arétria. C'est un homme simple qui ne nourrit pas d'ambition particulière. J'apprécie cela... Sa simplicité autant que son honnêteté. Je ne suis pas une femme politique ou de pouvoirs, quelqu'un comme lui me convient parfaitement et ce qui peut semblé être un défaut pour certains est une qualité à mes yeux.

Depuis qu'il s'est assis à mes côtés, sa main n'a plus quitté la mienne. Il la sert même un peu plus fort qu'au début. Et de le voir se montrer vulnérable avec moi fait naître davantage de tendresse que je n'en avais déjà à son égard. Ce colosse n'est pas aussi inébranlable qu'il n'y paraît et il devient moins impressionnant à mes yeux, ce qui est une bonne chose pour une future épouse j'imagine.

La façon dont il décrit mon frère me fait sourire avec douceur.

-Nous avons tous les deux faits les frais de sa maladresse. Il a agi pour notre bien mais avec l'indélicatesse qui le caractérise.

Jamais Magnus ne m'a parlé de ses projets pour mes fiançailles. Et si cela s'est révélé être une bonne surprise pour moi, elle a rapidement été gâchée par la réaction de mon fiancé qui, lui, aurait eu besoin de plus de temps et peut-être de se voir aborder la chose différemment que comme un ordre. Elyanna aurait peut-être dû s'en charger, je suis certaine qu'elle aurait fait des merveilles.
Délicatement, mon pouce monte et descend, caressant cette partie de la main de Marc-Aurèle qui se trouve à sa portée. Je le regarde avec tendresse, tellement concentrée sur ce moment que j'en oublie que je viens de faire une chute de plusieurs mètres dans un escalier. C'est une chance inouïe qui s'offre à moi de lui montrer que je peux l'aider bien plus qu'il ne l'a permis jusque là.

-Magnus a accepté de me laisser sortir de mon cocon en me parlant de Lün lorsque je l'ai interrogé à ce sujet et en m'y envoyant avec toi. Pourquoi continues-tu à me laisser de côté ? Les décisions te reviennent mais je pourrais te faire gager un peu de temps... en lisant des rapports pour toi afin de t'en faire un résumé, en préparant des lettres, en te faisant une liste des requêtes... Il m'est difficile de te voir te tuer à la tâche quand je reste oisive la moitié du temps. Mon rôle n'est-il pas de t'épauler ?

Alicia était la sœur de Magnus, une femme, dans la lignée de succession. Elle était assujettie aux règles Péninsulaires, celles-là même qui régissent tout, y compris en Arétria. La voix du mâle prévalait, d’autant lorsque celui-ci était le premier héritier, ou le plus haut suzerain des terres. A sa manière, Alicia n’avait point beaucoup de choix sur sa vie, sur son avenir.

Marc-Aurèle, lui, était un vassal. Un vassal des Terresang, et vavassal du Comte. Ce dernier étant un Terresang, Marc-Aurèle se devait d’être autrement plus à ses ordres. Magnus régissait la vie du bourg, les impôts, les attributions, le mariage du seigneur, et son devenir.

Alicia et Marc-Aurèle étaient tous les deux assujettis à la volonté d’un suzerain, et ils n’avaient tout simplement rien à dire.

« Tu as déjà beaucoup de choses à gérer, je ne voulais pas t’accabler avec les affaires du Comté… Mais celles-ci sont bien trop lourdes pour moi. Je n’ai jamais désiré de telles responsabilités… Lorsque Magnus reviendra, je lui manderais audience et lui demanderait de me libérer ce ces responsabilités… Je ne peux continuer ainsi plus longtemps que nécessaire… »

-Ce n'est pas moi qui m'en plaindrai...

Je ne chercherai certainement pas à l'empêcher de renoncer à son titre de Premier Conseiller. D'une part parce que je vois bien que c'est trop pour lui et que cela le met mal à l'aise. Il est angoissé par toutes ces responsabilités qu'il n'a pas réclamé, ni même souhaité. Il ne se sent pas à la hauteur, peut-être parce qu'il n'y a pas non plus été préparé. Et puis, il est déjà chevalier et soldat. Deux titres qui lui vaudront d'être souvent loin de Terrefière, et de moi. J'en ai déjà eu un aperçu depuis nos fiançailles. D'ailleurs, nous nous serions bien moins vus si nous étions mariés car, pendant sa régence, j'aurais dû me trouver sur le domaine et non ici, à la citadelle. En somme, nous ne nous serions vus que quelques jours en deux mois... Je suis d'accord pour le remplacer en son absence mais pas pour vivre en permanence sans lui.
Et puis, mon rôle n'est-il pas de lui fournir une descendance ? Je ne sais peut-être pas comment on procède mais cela me semble difficile à réaliser s'il n'est jamais là...

-En attendant, laisse-moi t'aider, s'il te plaît. J'avais assez de temps libre pour faire un peu de rangement chez Gendry, espérant qu'ainsi il pourrait mieux t'assister. J'en ai bien assez de temps pour te soulager un peu.

Mais alors que je lui fais cette offre, je sens une vive douleur se rappeler à moi. Ma tempe me fait mal, me lance par vagues successives et me force à fermer les yeux et à grimacer. Ma main libre se porte sur cette zone, tentant vainement d'apaiser mes maux par une pression. Cette conversation a été longue et chargée en émotions. Je ne m'attendais pas à pouvoir parler aussi longtemps et de sujets aussi importants. Il est peut-être temps de s'arrêter là pour aujourd'hui.

-Cela attendra peut-être demain... La migraine me reprend... Tu... Tu peux rappeler les prêtres, s'il te plaît ?

Paradoxalement, mes doigts ont resserré leur emprise sur sa main, ce qui est contradictoire avec ma requête. C'est que je n'ai pas envie qu'il s'en aille, même si je doute qu'il reste pendant les soins et même après. J'imagine qu'il va me laisser pour que je me reposer et que je ne le reverrais pas avant demain, lorsqu'il aura une minute. Mais je ne dirai rien et ne demanderai rien. Je ne veux pas qu'il me voit comme une enfant, pas plus que je ne souhaite m'imposer à lui plus que Magnus ne l'a déjà fait. Je souhaite lui laisser son espace, au prix de mes propres envies.