Que les dieux t'accueillent, mon fils | Brynhild

7ème jour de la 1ère ennéade de Karfïas.
Second mois de l’Hiver – An XX | XI cycle.
Plaines du Brissalion – Loge du clan Brise-Os.

Ils voyagèrent, depuis la capitale souterraine de Kirgan, cité antique autrefois exceptionnelle, abattue par la colère divine, sourde, aveugle… Reconquise depuis, se relevant dès lors, mais encore loin d’avoir retrouvé sa grandeur d’entant… Ils voyagèrent, Harald, Baldwin, Hilda et Brynhild, et beaucoup d’autres encore. Celles et ceux qui quittèrent la loge clanique lors de l’élection de Harald et qui rejoignirent la capitale, firent le trajet avec le Roi, alors en deuil.

La neige hivernale n’aura pas rendu les choses faciles. Le trajet, déjà long, prit deux fois plus de temps que d’ordinaire, mais tous purent rejoindre la loge sains et saufs. Thorald, fils ainé, mort au combat, était déjà là. Son corps avait été préparé par les prêtres d’Heidum, et la crypte clanique fut aménagée par les artisans afin de recevoir le tombeau de Thorald. Une chose aurait pu être choquante, d’une certaine manière : la crypte était des plus simples, peu chichement dotée ou pourvue, ne disposant pas de grandes dorures, de sagas écrites, ou de gisant impressionnant. Le clan Brise-Os, jusqu’ici, n’était qu’un simple clan de guerriers dédiés à la défense du Zagazorn et de la cité de Lante.

Le fait que Harald soit aujourd’hui Grand-Roi de tout le Zagazorn n’allait rien changer à cela. Il était le premier Roi issu de ce clan guerrier… Et sa condition, bien qu’exceptionnelle et honorifique, ne changerait rien à l’essence de son clan : on est clan royal que le temps d’un règne, rarement plus. Aussi, la crypte garda-t-elle son essence…

Lorsqu’ils arrivèrent, tout le clan était là. Ils accueillirent Harald, ses enfants, Brynhild et les autres voyageurs, avec un festin entretenu dans un grande pièce souterraine, aux effluves guerrières. Ça et là, des armes, des boucliers, des casques et des armures, servaient de décoration, alors qu’il n’y avait que très peu de place pour des écrits, ou quoi que ce soit d’autre. Le festin était bien-sûr présidé par Harald, Roi, thane… Et père du défunt. A sa droite, Brynhild, sa liée. A sa gauche, un ancien du clan. Et devant lui, tous ceux et toutes celles qui naquirent au cœur de ce clan séculaire.

Les heures du banquet furent joyeuses, emplies de chants, de témoignages, d’offrandes faites sur un autel dressé pour l’occasion. Il n’y eut ni pleurs, ni colère… Car aujourd’hui, on célébrait la vie, et la mort d’un des fils du clan.

Bientôt viendrait l’heure de porter son corps en sa crypte.

Sur la clairière d’herbes courtes séparant le hameau de la crypte clanique, se dressaient les membres du clan Brise-Os. A leurs côtés, d’autres Nains, ceux-là même qui font partis des autres clans qui, au sein du hameau, se tiennent droits, dans un silence respectueux. Là, en cette clairière, les cœurs de pères, de mères, de frères et de sœurs, de marmots et de nanillonnes, battent à l’unisson tandis que les esprits, eux, sont tous droits tournés vers les cieux.

Les lèvres s’animent de prières discrètes. Discrétion, car, bien que cela soit les funérailles du fils ainé du Grand-Roi du Zagazorn, il s’agit pour toutes et tous de la disparition d’un Nain connu, depuis ses premiers jours… Jusqu’à ses derniers, dans la lointaine Nérania et les sombres cavernes creusées par les Gobelins et les Kerkands. Ces prières sont donc moins pour le fils ainé du souverain du Zagazorn, que pour un fils du hameau dont la perte est douloureuse pour tout le monde.

Soudainement, l’assemblée se retrouve comme coupée en deux en son milieu, tel un bras de mer se frayant un passage entre deux bandes de terres une fois la marée basse à son niveau le plus bas. Sur ce chemin, un cortège s’avance… Des Nains du clan Brise-Os, en armures, tenaient sur leurs épaules le corps embelli et vêtu de bijoux, d’une magnifique armure de plate et de sa fidèle hache, le corps de feu Thorald Brise-Os. Il fallait bien une demi-douzaine de Nains pour porter ce cortège funéraire.

Devant ledit cortège se trouvaient deux prêtres : un d’Heidum, et un représentant Ikthor. En tant que guerrier, la présence du clergé d’Ikthor était aussi obligatoire que naturelle. Le prêtre d’Heidum, lui, avait la très importante mission de prier Le Fortuné afin que ce dernier accepte le passage du défunt jusqu’au Mogankordum où, en compagnie des ancêtres, des anciens et des divinités, il pourra vivre et festoyer pour l’éternité.

Les tambours battaient à un rythme lent. Etendards et fanions battaient aux vents qui, présents à faible vitesse et provenant du Nord, portaient les couleurs comme si la nature elle-même présentait ses hommages pour celui qui s’apprêtait à reposer pour l’éternité. Un cor, lourd, grand et à la profondeur abyssale, résonna alors que le cortège s’arrêtait devant la porte de la crypte clanique. Déposant la pierre au sol, les gardes s’écartèrent, laissant la place à l’assemblée.

Les uns après les autres, Nains, Naines et marmots déposèrent tour à tour écus et souverains, armes courtes et pierres gravées de runes liturgiques ou en hommage au défunt, sur cette pierre plate qui serait bientôt déposée au fond du caveau avant d’être surmontée du gisant.

Le dernier à passer était Harald. En tant que père, son hommage devait être le plus important et le plus significatif. Au côté du visage de son fils ainé, Harald s’agenouilla et posa une pogne tremblotante sur le front froid et pâle de celui qu’il avait envoyé combattre en Nérania. En son cœur, il murmura quelques paroles que seul son fils pourrait entendre de là où il était. Doucement, presque trop doucement pour un guerrier aussi célèbre que l’était le Barbe-Sanglante, il déposa dans la main tenant d’ores-et-déjà le long pommeau de la hache de bataille funéraire, un chapelet à l’effigie d’Ikthor. La chaine avait été faite dans l’or le plus fin des mines de Kirgan. La statuette était faite de titane, la petite hache était en argent, et les yeux d’Ikthor étaient faits de rubis parmi les plus purs du monde.

Sa pogne resta cependant plus longtemps que nécessaire sur celle du fils défunt. Puis, doucement, dans un mouvement continu à l’allégresse surprenante, il posa son front sur celui de Thorald et ferma les yeux… Avant d’enfin se redresser et s’éloigner.

Cela fut le signal pour que les soldats reviennent, et, dans un effort commun ne souffrant d’aucune grimace, soulevèrent la table… Avant de s’enfoncer dans la crypte. Là-bas, ils déposèrent le cortège dans le tombeau, s’assurant que toutes les offrandes demeuraient en place… Avant de déposer le gisant qui serait scellé à jamais.

Là, aux côtés de ses ancêtres, de sa mère, de ceux qui fondèrent le clan voilà des siècles et des siècles, Thorald reposerait maintenant pour l’éternité, attendant que son père le suive. Chose qui ne se produira jamais car, en tant que Groman-Rik, son tombeau se trouvera dans la crypte royale, à Kirgan.