Les affaires sont les affaires | Nehril & Yssa

Cinquième ennéade
Printemps, Favriüs 20:XI

Dans les rues de Thaar, deux silhouettes évoluent dans la nuit, l'une derrière l'autre. La première semble guider la seconde vers une destination qui lui est inconnue. Pourtant, elle la suit sans broncher.
Il fait nuit mais les rues sont loin d'être sombres. Dans les Soieries, les lanternes brillent pratiquement jusqu'à l'aube. Rien n'est négligé pour assurer la sécurité des riches du quartier et de leur entourage. C'est peut-être l'une des raisons qui rendent la seconde silhouette si confiante ?

Après un moment, les deux hommes s'avancent vers une bâtisse. De la lumière émane largement de l'intérieur mais l'enseigne n'est pas éclairée et les lampions de chaque côté de l'entrée sont éteints, signe que la boutique est fermée. Le premier pousse l'un des battants et le tient au deuxième le temps de le laisser entrer. La pièce est à la fois cossue et confortable. Elle appelle au bien-être mais avec une chaleur que l'on de trouve certainement pas aux thermes. On cherche à attirer la confiance tout en éveillant les sens et cela fonctionnerait davantage encore si les encensoirs étaient allumés.
Alors que cette salle tout en longueur dispose de deux portes menant visiblement sur une cour intérieure, elle est flanquées d'un escalier de chaque côté menant à l'étage. Le guide indique à l'autre homme de le suivre et grimpe les marches d'un pas rapide. Une fois en haut, il pivote presque entièrement sur lui-même pour se diriger vers une porte donnant à une pièce située exactement au-dessus de l'entrée. Il frappe. Une vois féminine lui accorde le droit de pénétrer à l'intérieur et il obéit.

Allongée sur une méridienne, une main soutenant ma tête, je relève les yeux de mon parchemin pour voir l'un des gardes que nous avons engager revenir de la mission que je lui ai donnée. Derrière lui, une autre silhouette entre à sa suite et je le détaille de la tête aux pieds des mes iris dorées. Je ne cache pas mon air appréciateur, même si on peut douter de ce que j'ai exactement derrière la tête.

-Approche.

Ma voix est claire et déterminée malgré l'aspect suave que j'ai été habituée à lui donner. D'un geste qui n'a rien d'hautain, je congédie le garde qui nous laisse seuls. Je repose le parchemin sur les autres et je les écarte sur le guéridon non loin de moi.

-Assieds-toi.

A lui de choisir où il veut s'installer. Avec moi, sur la large méridienne, dans la causeuse pour être presque face à face, sur le canapé devant la cheminée, sur le lit... Même si quelque chose me dit qu'il optera pour quelque chose de plus formel que l'endroit où je me couche.
Sans attendre qu'il se décide, je me lève et me dirige vers le meuble bar qui trône dans un coin de la chambre. L'endroit est décoré avec goût et donne un air distingué à l'endroit. C'est peut-être un bordel mais ce n'est pas une raison pour négliger le décorum, surtout au prix que coûte une passe avec l'un ou l'une d'entre nous. Ma tenue va avec les lieux d'ailleurs. C'est le soir, j'ai donc enfilé quelque chose de confortable, à savoir : une robe de chambre légère sur une tenue de nuit tout aussi légère. On devine ma silhouette et mes formes sous mes vêtements et je suis manifestement très à mon aise ainsi.

-Qu'est-ce que tu bois ? Je lui demande en sortant deux verres pour les poser dans un bruit métallique sur le plateau d'or qui se trouve sur le bar.

Dans l’apparente quiétude qui s’installait aux Soiries à la nuit tombée, le mercenaire semi-elfe suivait son guide dans les venelles partiellement éclairées qui serpentaient autour de bâtisses imposantes. Ne faisant pas grand cas des flaques d’eau boueuse qui parsemaient leur chemin, Nehril prenait garde à surveiller attentivement l’homme qui était venu à lui dans l’une des tavernes crasseuses de la cité de Thaar. Il n’avait perçu en lui nulle duplicité qui justifiait cette méfiance, mais certains hommes cachaient adroitement de sombres desseins sous une servilité feinte.

L’homme le conduisit vers une haute boutique qui déployait sur eux son ombre menaçante, telles les ailes duveteuses d’un aigle géant. Nehril pénétra dans les lieux, ses yeux identifiant rapidement les points d’accès et de sorties en cas de fuite précipitée. Il se tint à distance respectable de son accompagnateur, le suivant d’un pas lent à l’étage. Il l’introduisit ensuite dans une large pièce où l’attendait une femme particulièrement en forme malgré l’heure tardive.

Le regard argenté du mercenaire coula lentement vers la silhouette de la jeune femme, notant l’absence d’arme, lui laissant supposer qu’elle était soit bien trop imprudente, soit qu’elle savait disposer elle-même de la plupart des menaces qui pouvaient subvenir lors des entretiens privés.

La jeune femme l’incita à s’asseoir, mais le semi-elfe secoua sèchement la tête.

— Si vous n’y voyez guère d’inconvénient, commença-t-il d’une voix rauque, je resterais debout.  

Il s’approcha toutefois de la causeuse, tout en gardant son dos face au mur.

— Je ne bois rien, refusa-t-il à nouveau. Votre compère m’a trouvé dans un bar où j’ai bu plus que mon saoul.

C’était bien évidemment faux. Il n’avait pas touché une goutte d’alcool ce soir-là. Mais la prudence le poussait à décliner l’offre : on ne négociait pas un contrat avec l’esprit embrumé par l'alcool ou par un autre breuvage dans lequel une substance pouvait être glissée subrepticement.

— Vous avez sollicité l’aide d’un mercenaire, poursuivit-il en croisant les bras. Pour quelles raisons ?

Le mercenaire refuse mes deux propositions et, tout en gardant le dos tourné, je fais la moue.

-Tu n'es pas drôle...

Finalement, je pivote et je me pose contre contre le meuble, les hanches posées contre le bar de même qu'une de mes mains. La deuxième est prise par un verre de vin dans lequel je trempe mes lèvres.

-Parfois, il faut savoir profiter de ce que l'on nous offre, tant que c'est possible.

Un petit conseil gratuit... de la part de quelqu'un qui n'a pas toujours connu ce luxe. Maintenant que je l'ai retrouvé, je reste néanmoins consciente que ce n'est pas acquis et que je pourrais perdre tout ça demain. Alors je me fais plaisir, sans pour autant en abuser. Juste assez pour ne pas avoir de regrets.

-Droit au but. C'est sans doute une qualité appréciable dans ton milieu.

Sous-entendu : pas dans le mien.

Je plie légèrement l'une de mes jambes et un genoux dénudé dépasse de ma robe de chambre. Il n'y a aucune intention derrière ce geste, je suis simplement chez moi et à mon aise. De là où je suis, je l'observe de la tête aux pieds. Un peu avec mon œil de prostituée mais aussi et surtout avec en tête la mission que je souhaite lui confier. Son équipement n'est pas trop mal je crois mais il est un peu usé. Lui-même n'a pas l'air neuf, ce n'est donc pas une première pour lui. Et que dire de son attitude distante et sévère ? Un peu trop professionnel à mon goût. Il ne doit vraiment pas s'amuser souvent.

-Je cherche quelqu'un. Je finis par lui dire après une deuxième gorgée. Enfin... J'ai des renseignements sur son emplacement. J'ai tenté d'y aller moi-même mais les rues ne sont pas sûres dans un endroit comme celui-là pour une femme comme moi.

Sous-entendu : j'ai eu quelques problèmes... Mais il n'a pas besoin de savoir lesquels.

-Mais un homme comme toi ne devrait pas se faire trop embêter. Le principal hic, c'est qu'il risque de ne pas vouloir te suivre. Et je le veux en un seul morceau.