Les choses tournent mal, parfois | Caleb & Yssa

Fin de la 4ème ennéade
Printemps, Favrius 20/XI

Je ne pensais pas revenir ici un jour. J'ai laissé mes bijoux et mes robes en soie pour un vêtement moins seyant et plus commun. Tant que l'on ne m'approche pas, difficile de savoir qu'en réalité je viens des Soieries. La douceur de ma peau, le parfum de mon huile pour le corps ou le soyeux de mes cheveux pourraient me trahirent mais encore faut-il venir assez près de moi pour repérer tout cela sous ma capuche. Je n'attire même pas l'attention avec cet accessoire étant donné l'endroit où je me trouve. Ce quartier n'est pas le mieux fréquenté de la ville. Nombre de personnes voulant se faire oublier passe par là. Alors je ne suis pas la seule à cacher mon visage. Et, dans mon cas, ce n'est pas tellement mon identité que je cherche à dissimuler... Dans un tel endroit, les belles femmes sont rares. Et je suis une femme rare même dans les Soieries...
Grande, élancée, des formes présentes mais pas ostentatoires, une peau d'un brun exotique, des longs cheveux blancs, des yeux d'or... Sur le papier, j'ai presque l'air irréelle. J'en joue en temps normal car j'aime plaire et séduire. Même comme gérante, sans aller jusqu'au sexe, j'adore sentir ce pouvoir que j'exerce sur les hommes, puisque c'est le seul que je possède vraiment.

Mais pas cette fois. Cette fois, je dois me faire discrète. Je cherche quelqu'un... Quelqu'un que je n'ai pas revu depuis longtemps et sur qui j'ai fait enquêter pour qu'on le retrouve. Je sais qu'il zone dans le coin et je suis la seule qu'il acceptera d'entendre alors je me suis déplacée moi-même. Mais je me demande si je n'aurais pas mieux fait de le faire ramener de force au bordel...

Je m'arrête un instant, réfléchissant au chemin que je suis en train de prendre. Se faisant, une paire d'yeux me remarque. Je ne m'en aperçois pas et reprends ma route. Je marche encore quelques mètres, sans me rendre compte qu'on me suit. Jusqu'à ce qu'une voix peu raffinée me hèle. Je continue mais on m’interpelle encore. J'avance toujours et l'homme derrière mois perd patience. Je sens une main me saisir le bras et me forcer à m'arrêter pour me retourner.

-J't'ai parlé la catin !
-Pardon ?

Comment il peut savoir que je suis une prostituée ? Je suis habillée comme une fille classique et c'est pas écrit sur mon front non plus.

-Fais pas genre. J't'ai sauté une fois ou deux dans c'tripot devant lequel tu f'sais l'pied d'grue.

Ah ? Possible. J'en ai vu tellement défiler des comme lui...

-J'ai changé de mains. Je travaille plus dans ce quartier ou pour des types comme toi.
-J'vois ça. Il étire une sourire carnassier avant de venir piocher une mèche de mes cheveux de sa main libre. T'es toute fraîche. Ça s'ra d'autant plus agréable pour moi de pas être le quinzième gars de ton tour de passe.

Sans avoir le temps de répliquer, il m'entraîne à sa suite. J'essaie de le retenir mais il serre mon bras d'autant plus fort. Personne n'intervient, évidemment. Ici, chacun se mêle de ses affaires. Ça a ses avantages et ses inconvénients... Il m'attire dans une ruelle si étroite que la lumière y pénètre à peine. Je proteste et je me débats mais c'est à peine si ça le ralentit. J'ai pas quitté cet endroit infâme pour me faire violer de cette façon, bordel !
Dans un petit renfoncement, il me plaque au mur et vient lécher mon cou. Il bave, c'est dégoûtant... En appuyant sur ses épaules, j'essaie de le repousser, en vain évidemment. Le salaud me malaxe déjà un sein d'une main et soulève un pan de ma robe de l'autre. Quelle classe... Il halète déjà en plus alors qu'il a même pas commencé. Encore un lapin...

Je finis par lui griffer le cou. Il peste après moi en mettant sa main sur la blessure légère. Il regarde ses doigts et y trouve quelques traces de sang... C'est que je ne l'ai pas loupé avec mes ongles manucurés. Il m'insulte et, d'un revers, me frappe violemment au visage. Puis il me redresse en m'attrapant par la gorge pour le coller au mur.

-Tiens toi tranquille ! Fait-il pendant qu'il m'empêche à moitié de respirer tout en soulevant encore ma robe.

J'ai bien l'impression que je vais devoir y passer pour qu'il me foute la paix... S'il ne m'étrangle pas pendant son affaire... Chose que j'essaie de l'empêcher de faire en agrippant son poignet et en essayant d'en faire autant avec ses doigts qui me serrent mais ma respiration siffle déjà...

Plus je me débats, plus ce connard serre ses doigts sur mon cou et je n'arrive pas à le faire au moins aller plus molo... Avec une seule main, il galère à défaire son froc, sortir son engin, soulever ma robe qui est retombée entre temps... Et moi, pendant ce temps, je commence à suffoquer sérieusement. Même si j'arrête de me défendre maintenant, le temps qu'il comprenne, il sera trop tard et c'est dans un cadavre qu'il giclera cet abruti. Je ne peux plus attendre qu'il ait fini son affaire, même se ça ne lui prend que deux allers-retours.

D'un geste, je détache la petite broche qui maintenait ma cape en place et, juste avant qu'elle n'entre en moi, je lui plante l'épingle dans la main qui m'étrangle. Il hurle, évidemment, et me lâche par réflexe et parce que la douleur l'en empêche. C'est une minuscule épée que je viens de lui enfoncer dans la chaire. Là, j'aurais voulu me mettre à courir mais l'air entre brusquement dans mes poumons dans un bruit peu élogieux et racle ma gorge à m'en faire tousser... La tête me tourne un peu...
Pendant ce temps, l'homme à la boucle d'oreille retire l'objet de sa main et essaie de voir sa blessure mais, dans la pénombre, il réalise bien vite que c'est peine perdue. De colère, il se retourne alors vers moi juste avant que j'ai retrouvé assez de souffle. Je tente de m'en aller mais il est bien plus vif que moi... J'ai à peine fait un pas qu'il m'agrippe et me repousse contre le mur, si violemment que ma tête frappe la terre séchée et je perds l'équilibre. Étourdie, je tombe au sol. J'essaie de me reprendre, par instant, mais je ne distingue plus que des ombres et les voix qui me parviennent résonnent dans ma tête...

Caleb observait toujours la scène sans quitter son sourire aux coins des lèvres, amusé par ce qui se passait devant lui. Il avait reconnu l’homme qui tentait de s’attacher les services de cette pauvre demoiselle sans en payer le prix. Il s’agissait de « Jarret » un membre de son équipage, pas le plus malin, mais le Rokvenha l’appréciait pour ce qu’il était, un bon mercenaire toujours partant pour le suivre au casse-pipe.

Quand il vit Jarret se relâcher la jeune femme et crier de douleur, il grimaça comme s’il avait lui-même ressentit la sensation, ou du moins l’imagina. Il ne quitta pas des yeux la suite, sachant très bien qu’un tel geste allait énerver l’énergumène qu’il avait devant lui. Sans faute, Jarret venait d’envoyer sa victime contre le mur dans un bruit lourd. Et s’apprêta déjà à passer à la suite.

C’est à cet instant qu’elles décidèrent de nouveau de se faire entendre, résonnant dans sa tête comme toujours dans un brouhaha assourdissant. Cette fois-ci, elles firent même retourner le mécan, qui pensa avoir été appelé, le surprenant, avant de se souvenir de ce qu’elles étaient.

- Cric crac croc…
- La demoiselle est morte…
- Ahahahahah…
- Non non non, elle vit encore…
- C’est à ton tour, finit le travail !
- Non surtout pas !
- Si si si si…
- Hééééé hop hop hop !
- Vite fait…
- Personne ne le saura !
- Retiens-toi, retiens-toi !

Il s’avança alors dans la ruelle sombre, tiquant légèrement comme prit de spasme musculaire au niveau du cou applaudissant dans un rire moqueur. L’homme au-dessus de la femme inconsciente se retourna aussitôt quand il entendit les claquements de mains et se raidit, portant la main à une dague à sa ceinture.

« Et bien Jarret… On s’en prend aux p’tites donzelles sans défense maint’nant ? Ahaha tu m’étonneras toujours… Elle t’a fait quoi celle-là, cette fois ? Mmh ? »

En voyant qui s’adressait à lui, ledit Jarret lâcha la dague à son ceinturon et se redressa. Il déglutit légèrement en le voyant approcher et recula même d’un pas ou deux, prenant soin d’éviter d’écraser la personne a ses pieds.

« Naye, l’Rokvenha, c’est pas c’que tu crois… J’l’ai trouvé comme ça j’te jure. » S’essaya le marin en levant les mains, se faisant passer pour innocent.

« T’es sûr d’toi ? T’es donc devenu l’sauveur d’ces dames maint’nant ? C’est tout à ton honneur l’Jarret, aye… » Caleb continua d’avancer jusqu’à se retrouver au-dessus de la demoiselle presque inconsciente. Il savait que l’homme lui mentait, il avait tout vu de ses propres yeux et en se penchant vers la victime du soir, il vérifia sa respiration en plaçant sa main devant sa bouche et son nez. « Ecoute moi bien Jarret… Déjà qu’tu t’permets de faire tout l’contraire de ce que j’ai d’mandé avant qu’on arrive ici, à savoir d’pas faire de vague, en plus tu t’permet de te fout’ de ma gueule ouvert’ment et d’me mentir ? C’est bien ça ? Mmh ? »

Caleb fixa l’homme au-dessus de lui, penchant la tête sur le côté, les sourcils légèrement haussés. Sa mâchoire se crispa et sa main, appuyé sur le sol vint se fermer machinalement. Il était silencieux, l’air d’attendre une quelconque réponse de la part de son interlocuteur, mais en réalité il semblait se perdre dans une réflexion tout autre.

- Ooooh !
- Danger.
- Danger.
- Psssst !
- Menteur.
- Il ne te respecte pas.
- Tue-le !
- Tue-le !
- Oui oui oui oui !!

Enfin il expira séchement du nez et chassa l’homme d’un signe de la main. Jarret ne demanda pas son reste et parti en remerciant le Rokvenha, il disparu au coin de la ruelle rapidement. Caleb se retrouvant alors seul celle qui auparavant avait était agressée, il claqua des doigts devant elle pour tenter de la réveiller. « Hé oh ! Allez !  On s’reveille ma jolie. »

Le mécan prit quand même le temps de détailler la jeune femme des pieds à la tête cherchant possiblement des bijoux ou autre signe de richesses qui seraient faciles de dérober, en profitant de son inconscience.

Je me passe une main sur le visage, comme si j'avais juste du mal à me réveiller. Mais je ne viens pas de dormir. Ma tête tourne. Les voix que j'arrive à percevoir sont si lointaines... que j'ai du mal à imaginer qu'elles sont tout près de moi. Il s'est passé quoi ? Je suis totalement perdue... Mais il reste en moi ce sentiment d'urgence... de danger.
Une masse noire se penche sur moi. Je vais pour la repousser mais mes mains ne trouvent que du vide : je l'ai manqué.

J'hallucine ou quoi ? Bordel, Yssabel, reprends-toi !!

J'entends quelque chose claquer près de moi. Je commence à percevoir quelques couleurs malgré le manque de lumière. Un homme est près de moi. Par réflexe, alors que je suis incapable de distinguer son visage, je le repousse encore et, cette fois, je parviens à le toucher. Bon, dans mon état, c'est un peu vain comme geste. Je crois qu'il n'a pas bougé d'un iota.
Avec l'aide de mes bras et de mes jambes, j'arrive à me reculer un peu mais le mur m'empêche de toute façon d'aller plus loin. Je me redresse un peu et, soudain, ma tête me fait mal... Je porte une main sur ma tempe, toujours étendue dans la poussière mais appuyée sur un coude.

Mes souvenirs me reviennent mais c'est encore vague. Je relève mes iris d'or vers l'homme devant moi. Je n'arrive pas à savoir si c'est le même que tout à l'heure mais il n'est pas en train de me sauter dessus, lui. Je plisse les paupières pour essayer de mieux le voir mais c'est peine perdue. S'il me parle, je n'arrive pas à comprendre et retenir ce qu'il dit et je ne suis de toute façon pas en état de répondre.

Ça me lance à l'arrière du crâne. J'y porte mes doigts pour les ramener devant mes yeux. Qu'est-ce que j'espérais ? Du sang sur ma peau brune... Je ne risque pas de le voir dans mon état et c'est à peine si je sens les textures. Je repose ma main ensanglantée sur le sol pour y prendre appui. Il faut que je me lève... Qui que soit le mec devant moi, je ne dois pas rester là... Mais j'ai l'impression de ne plus avoir de force dans les membres et je ne sors de ma torpeur que trop lentement à mon goût.

Putain mais pourquoi j'ai pas pris de gardes avec moi ?

Le mécan était encore accroupi, aux côtés de la jeune femme toujours sonnée par le coup qu’elle avait reçu. Il la vit essayer de se redresser, porter la main à l’arrière de son crâne et, dans le même temps, remarqua sa blessure. Il continua de sourire en la voyant avoir tant de difficulté à reprendre ses esprits mais ne la bouscula pas davantage.

« Douc’ment ma jolie, douc’ment… Va pas t’amocher encore plus. »

Il posa alors une de ses mains sur le dos de la femme aux cheveux d’argent, se voulant rassurant et apaisant, néanmoins elle pu sentir que les doigts se crispèrent sur sa peau comme dans un simulacre de griffure, ce n’était pas douloureux, mais peut-être légèrement désagréable aux vues des bagues et de la sensation d’être agrippée par la peau. Le regard de Caleb se renferma un instant et s’assombrit.

Tue la…
Aucun témoin…
Personne pour voir…
Profite…
Profite !
Ahahahah !

Il inspira profondément tout en continuant de la contempler. Il comprit très rapidement pourquoi Jarret avait voulu s’amuser avec celle-là. Elle était belle, son corps bien proportionné et agréable à la vue. Une belle femme qui, en plus, semblait prendre grand soin d’elle à la manière dont elle était coiffée et entretenue.

« Prend l’temps qui t’faut, aye, t’crains plus rien… »

Il souffla ses propos en se voulant rassurant, mais lui-même ne semblait pas y croire au fond de lui tant il sentit monter en lui une drôle de sensation, lui parcourant l’échine. Il en frissonna et dans un mouvement qui aurait pu être étrange, il se pencha pour renifler les cheveux de la belle à moitié endormie, secouant la tête comme marqué par le parfum qu’elle portait.

J'entends de loin les paroles de l'homme à mes côtés et, malgré cela, je me force à me redresser encore un peu plus. Ce n'est pas de l'entêtement ou de l'imprudence mais simplement de l'instinct. Parfois, il faut savoir se mettre à l'abri, et vite, pour sa propre survie. Et, actuellement, je suis seule et sans protection dans une ruelle sombre, sonnée, avec un inconnu...

-Où il est ?...

Je m'inquiète de ne pas capter la présence de celui qui m'a agressée. Il pourrait bien y avoir un cadavre derrière une de ces caisses cela dit... Et si ce gars l'a tué, il ne me le dira certainement pas donc il y a peu de chances que je crois à ce qu'il va me répondre de toutes façons. C'est à se demander pourquoi j'ai posé la question...

Même si ma tête tourne et me fait un mal de chien, j'arrive à m'asseoir. Je suis incapable de lever les jambes mais je peux au moins les replier devant moi, parallèlement au mur contre lequel je m'appuie. Enfin une position à peu près stable et dans laquelle je me sens un peu moins vulnérable. Un peu...

-Vraiment ? Et t'es qui toi ?

Je ne suis pas spécialement agressive mais je suis méfiante. Quoi de plus normal après ce qu'il vient de m'arriver ? Il est bien gentil de me dire que je ne crains plus rien mais j'ai de gros doutes. Et le voir se rapprocher de moi de cette manière ne me rassure pas tellement. Est-ce qu'il vient de me renifler ? Que cherche-t-il ? C'est un prédateur ou il veut juste vérifier quelque chose ? Parce qu'il y a peu de chances qu'il ne m'identifie pas comme une riche avec mon odeur... Et, là aussi, c'est à double tranchant. Soit ça l'incite à ne pas faire de vagues pour ne pas s'attirer d'ennuis, soit au contraire il cherche à en profiter. Et, dans le deuxième cas, je n'ai rien sur moi pour le contenter...

Caleb laissa la jeune femme reprendre peu à peu ses esprits et se redresser, il resta à sa hauteur, accroupi, les mains posées sur le sol. Dans l’obscurité de la nuit, sur une de ses mains pouvait se voir une petite pierre qui luisait de temps en temps, tel un cœur d’un rouge presque semblable à un brasier miniaturisé.

« L’gars d’avant ? Tu l’cherches vraiment ? T’as pas eu assez d’la sorte ? » Il se mit à rire, un brin amusé par la situation et reprit alors. « L’gaillard s’est tiré, il r’viendra pas, c’était un d’mes gars j’peux t’l’assurer. »

Le Mecan s’assit comme un enfant en face de son interlocutrice, sur son séant, les jambes un peu écartées et relevées, les main posées entre. Il la contempla un instant, la tunique et les mains toujours marqués de sang séché. Il pianota du bout des ongles sur le sol, nerveusement, sembblant s’impatienter de quelque chose.

« J’suis l’Rokvenha, t’dois pas connaît’, j’t’en voudrai pas pour ça t’en fais pas. Que fout une jolie donzelle comme toi perdu dans c’quartier là ? Mmh… Tu cherches un p’tit peu la merde, naye ? A moins qu’t’aime tout simplement ça… J’ai p’t’être arrêter l’Jarret trop tôt et qu’c’était vot’ petit jeu d’tourtereaux ? »

Il continua de la fixer, toujours souriant, ses yeux grands ouverts l’air de se contenter de ce qu’il voyait à cet instant et d’en apprécier les moindres détails. Il ne se cacha même pas quand il examina la personne en face de lui, des pieds à la tête, sans oublier les formes qu’il pouvait voir quitte à se pencher en avant ou sur les côtes.

« Et toi donc ? Tu t’es pas présentée… Raconte-moi tout. »

Je ne vois pas bien ce qu'il y a de drôle dans le fait que je veuille m'assurer que je ne risque plus rien. Je suis peut-être sonnée mais pas encore complètement idiote... Et sans mon instinct de survie, je serais morte depuis longtemps. Même s'il n'aurait pas été suffisant cette fois-ci...

Je commence à mieux discerner les couleurs mais je vois mi-trouble mi-double... Je n'arrive pas encore à comprendre pourquoi mais le fait que celui qui a tenté de me violer et de me tuer soit un des hommes de ce type-là ne me rassure pas forcément. Peut-être que c'est à cause du côté écœurant de son humour... Je ne parviens pas encore à distinguer les traits de son visage mais, comme il semble vouloir discuter calmement, ça viendra sans doute.

-Je cherchais quelqu'un. J'ai vécu dans les lanternes rouges, je pensais pas que j'aurais besoin de gardes ici... D'ailleurs, tout ce passait très bien avant que ton gars me reconnaisse et veuille une passe gratuite alors que je ne suis plus dans ses moyens.

Je n'ai pas vraiment de raisons de le lui cacher. Après tout, je l'ai plus ou moins fait entendre à l'autre en espérant qu'il me lâche donc le... Rokvenha l'aurait su en l'interrogeant. Mais il n'a sans doute pas imaginé ce qu'il risquait en s'en prenant à moi malgré tout et je me demande ce que ma maîtresse en pensera... Après tout, entre mon acquisition, mon habillement et mon éducation pour être capable de tenir la maison close, je lui ai coûté très cher. Sans parler de tous les investissements faits pour l'ouverture de notre établissement.

-Mais j'ai retenu la leçon. J'enverrai des gardes. Je repose doucement ma tête douloureuse contre le mur. Cet homme ne me donne pas de raisons de me méfier de lui. Et puis, si j'avais quelque chose à craindre, il ne me laisserait pas le temps de me remettre du choc. A moins qu'il ne soit particulièrement pervers... Je suis le Lys d'or. Il m'a donnée son surnom, j'en fais autant. Quoi que le mien soit vieux et plus tellement en usage. Je le portais lorsque je travaillais à Baaz'Hima. Peu sont ceux qui le connaissent ici. Je cherchais un vieil ami... Mais il attendra. Pour l'instant, j'ai surtout besoin de soins.

... et de sortir de cette ruelle si sombre qu'on se croirait en pleine nuit et où je me trouve seule avec un inconnu qui ne me rassure pas vraiment.

Il était assit en face d’elle, dans une position enfantine, les pieds ramenés l’un contre l’autre et en se tenant les chevilles, se balançant lentement d’avant en arrière en se parant d’un sourire amusé qui semblait ne jamais vouloir quitter son visage. Il contemplait la jeune femme devant lui, sans surprise, elle était ravissante et comprenait très bien pourquoi Jarret avait voulu prendre ce qu’il désirait, mais malheureusement pour lui, il n’avait pas pu le faire à temps, avant de croiser son capitaine.

Le Rokvenha détailla donc le Lys d’or qui reprenait doucement ses esprits, encore assommée par le choc violent, il la laissa faire, sans même la toucher ou lui offrir une quelconque aide. « Aaaah donc t’es une catin donc, une catin d’luxe même ? Bien trop chère pour l’Jarret ? AHAHAH j’parierai pas sur ça, mais ça m’intéresse d’savoir combien faut raquer pour s’payer les services d’un Lys d’or… Et ose pas m’dire que ça s’rait bien trop cher même pour moi. »

Il fronça un peu les sourcils, l’air entendu, à dire vrai, il ne semblait pas manquer de moyen aux vues des bagues faites de diverses pierres précieuses. Il planta son regard sur Yssa, semblant intéressé par la réponse et les réactions de cette dernière. Son impatience était palpable, ses doigts s’agitèrent sur ses chevilles en pianotant dessus frénétiquement comme s’il n’attendait qu’une réponse et rien d’autre.

Il finit par s’arrêter d’un seul coup en entendant parler de gardes et les raisons pour lesquelles la jeune femme était venue se perdre dans ces quartiers à risques. « … Mmh… C’vieil ami pourra attend’ aye, parce que là, ma jolie j’vais pas pouvoir t’laisser repartir d’la sorte surtout une donzelle qui semb’ importante comme tu l’sous-entend. » Il marqua un long silence en se penchant un peu en avant vers elle, dégageant une mèche de cheveux qui l’empêchait de mieux voir le visage de la belle perdue. Il était impossible de savoir si c’était une menace et qu’il sous entendait quelque chose de bien pire, ou si ce n’était qu’une manière maladroite de se vouloir rassurant.

« J’veux bien t’emmener pour d’soins, aye, mais va falloir m’remercier pour ça, déjà que je t’ai évité d’passer une soirée bien pire ent’ les mains du Jarret. Toi qui semb’ bien connaît’ cette ville, tu sais fort bien qu’rien n’est gratuit ici, pas même la bonté d’cœur. » Il reprit son tic nerveux avec ses doigts, pianotant de nouveau frénétiquement sur ses chevilles, son sourire s’étirant davantage.

« Prend l’temps qui t’faut pour reprend’ tes esprits et quand ça ira mieux, tu m’diras ou tu veux que j’t’emmène. »

Je fronce les sourcils, cherchant à me remémorer les prix sur lesquels nous nous sommes mis d'accord avec la sombre, que ce soit pour une simple compagnie, une gâterie ou la totale avec les différentes options. Puis je les donne au type assis devant moi. Pour ceux qui vivent aux soieries, ce n'est pas si cher payé pour un service de qualité, d'autant qu'ils peuvent se le permettre au vu de leurs finances. Pour un bourgeois des beaux quartiers, il peut se l'offrir une ou deux fois dans l'année mais il préfèrera sans doute une fille de classe inférieure, correcte et meilleur marché. Quant aux autres, il faudrait qu'ils gagnent un gros magot pour le claquer de cette façon mais ce serait une bêtise selon moi. Cependant, ces gens-là sont souvent idiots et ne voient pas plus loin que le bout de leur nez... Je me demande si ce gars est dans cette catégorie.

-Je suis d'accord.

Je vais devoir mettre mes recherches de côté pour aujourd'hui. Il y a plus urgent. Maintenant que je commence à retrouver les sensations de mon corps, je réalise que la douleur qui me tenaille le crâne est concentré vers l'arrière. Je dois avoir au moins une belle bosse... En espérant que ça ne soit pas plus grave que ça.
Je soupire en laissant ma tête retomber doucement contre le mur. Ben voyons, il faut qu'il y trouve son intérêt... Je ne suis pas vraiment surprise mais disons que je n'y pensais pas pour le moment. Ce n'est pas comme si j'avais autre chose à penser, présentement. Mais vu qu'il aborde le sujet...

-Et qu'est-ce que tu veux ?

Je ne suis pas du genre patiente. Enfin, ça dépend pour quoi. Pour le travail ou pour obtenir ce que je veux, je sais la jouer fine et prendre mon temps. Mais quand j'ai des ennuis, je préfère savoir rapidement à quoi m'en tenir. Il ne sait pas grand chose de moi, hormis ce que je lui ai permis de comprendre jusque là. Je ne me suis d'ailleurs pas offusquée du mot "catin", j'assume parfaitement ce que je suis. Et, même libre, il y a fort à parier que je continuerai à jouer de mes charmes. Ne serait-ce que parce que c'est amusant... Et parce que j'aime prendre mon pied.

Peu à peu, ma vue se stabilise et ma perception se précise. Aussi, j'arrive à présent à discerner les traits du type devant moi. La couleur de ses cheveux, la forme de ses yeux, sa barbe, ses vêtements... Je m'arrête un peu sur ces derniers. Il m'ont l'air particulièrement sales, non ? Ce quoi ces tâches ?
Et alors que je commence à comprendre, je relève le regard vers celui de mon interlocuteur. Je ne montre pas de réaction particulière et je ne dis rien. Je ne juge pas et je ne tire aucune conclusion. Il peut autant d'être battu pour se défendre qu'avoir participer à un combat clandestin ou avoir tuer quelqu'un. Je ne peux pas le savoir et, à dire vrai, je ne veux pas le savoir. Je ne veux pas être mêlée à ses affaires.

Il était toujours installé à terre, continuant de la contempler dans sa difficulté. A aucun moment il ne semblait vouloir l’aider à quoi que ce soit, profitant juste de l’instant en affichant un sourire qui se faisait avenant et poli. Il n’avait aucunement envie ce soir de poursuivre dans ses œuvres macabres, après tout il avait eu sa dose d’adrénaline quelques instants plus tôt, non, cette fois-ci il se sentait davantage d’humeur joviale et s’était donc mit en tête de ne rien tenter contre cette jeune femme perdue. Elle était certes une proie facile pour le prédateur qu’il est, seule dans une ruelle si sombre et en état de faiblesse, mais le Rokvenha était repu et n’en redemandait pas.

Ainsi il continua de la regarder peu à peu reprendre ses esprits, quand il comprit qu’elle retrouvait la vue, il la salua en secouant sa main de manière enfantine. « Ca y’est, tu commences à r’prend’ le d’ssus ? » lui demanda-t-il en se penchant un peu vers l’avant. Yssa pu remarquer que le regard de l’homme trainait sur son corps sans se gêner, sans pour autant faire quoi que ce soit de plus que la regarder même s’il pouvait être assez insistant. « Baaaah, c’que j’veux ? J’sais pas trop, t’as quoi à m’offrir ? » il haussa les épaules en gardant son sourire.

Le Rokvenha n’avait pas idée de ce qu’il pouvait tirer d’elle, après tout, c’était une prostituée et des passes gratuites l’intéresseraient certainement, étant donné qu’en plus, elle en valait probablement la peine aux vues de son physique. Cependant, il n’avait guère l’esprit à ça actuellement et se demandait ce qu’elle pourrait bien lui proposer en échange.

"Tout c'que j'sais c'est que j'veux m'assurer qu't'ira pas t'plaind' aux autorités concernant mon gars, ça j'en fais mon affaire. Ca c'est possible t'penses ?" Il pencha alors la tête sur le côté en la regardant avec insistance l'air d'attendre sa réponse avec intérêt, guettant ses réactions.

Ce que j'ai à lui offrir ? Il en a de drôles, lui... Je ne m'appartiens pas moi-même. Mais ça, il n'a pas besoin de le savoir. Surtout si je fais d'avoir une certaine importance m'assure de sortir de cette ruelle en un seul morceau.

-Mon affaire va seulement démarrer. Dans quelques temps, j'aurais un carnet d'adresse assez alléchant. Mais si t'attends une récompense rapide, j'ai pas grand chose de plus à t'offrir que ce que tu vois là.

Merde, s'il opte pour la version rapide et que la drow apprend que je règle une dette pour ma vie en couchant gratuitement, je suis pas certaine de sa réaction... Parce que, même avec les tarifs d'une passe avec moi, je doute qu'une nuit suffise à nous mettre quitte. Il faudrait que je lui rende un sacré service ou que je partage son lit pendant des mois, voire des années...

Pour l'instant, j'ai un tout autre problème. Alors que je sens une violente migraine poindre, le type me pose la question fatidique et qui explique aussi qu'il soit toujours là. Il a arrêté son gars, c'est vrai, mais il n'est pas tellement attentionné envers moi. Il m'a dit d'y aller doucement et il a dit qu'il avait l'intention de m'accompagner pour me faire soigner mais, à part ça, ses gestes envers moi sont très limités et ses yeux sont très baladeurs. J'aurais pu le voir venir en temps normal mais... je ne suis pas dans mon état normal. Autrement, j'aurais parlé de la possibilité de coucher ensemble avec un peu plus de... sensualité.

-J'ai pas d'intérêts à voir le Guet fourrer son nez dans mes affaires. Et puis une pute qui manque de se faire violer, tu parles d'une affaire pour eux.

Je lève une main vers mon visage pour venir presser mon poignet contre l'espace entre mes sourcils. Ça me soulage un peu même si je sais que j'aurais de nouveau mal une minute après avoir arrêté de faire ça. D'ailleurs, je ne le fais pas longtemps avant de chercher à nouveau le Rokvenha du regard.

-Et puis quelque chose me dit que tu lui réserves pas juste deux jours au mitard.

Ce qui serait la punition dont il écoperait sans doute pour m'avoir agressée. Mais je ne suis pas surprise que lui non plus ne veuille pas voir le Guet l'approcher. Moi, c'est pour que ma maîtresse puisse continuer à rester dans l'ombre. Lui, j'en sais rien et je ne suis pas sûre de vouloir le savoir.

A présent, je pense que mon état s'est suffisamment stabilisé... Je n'ai pas forcément envie de rester ici plus longtemps, entre les odeurs de pisse et de dégueulis de la veille, sans parler de cette impression de noirceur alors qu'on est en pleine journée. Je veux m'en aller, me changer, prendre un bon bain et un traitement contre les maux de tête... Alors, prenant appui contre le mur puis contre une caisse à proximité, j'essaie de me lever, à mon rythme.

Balançant sa tête de gauche à droite, se donnant le temps d’une réflexion, le mécan continuait de fixer la belle femme qui se trouvait devant lui. Elle avait su attiser une sa curiosité quand elle lui parla de ses affaires et, même s’il n’aurait pas refusé de profiter d’elle d’une tout autre manière, songeait à cet intérêt qui pourrait lui être bénéfique. Il continua tout de même à la reluquer sans une once de gêne, car après tout, ce qu’il « voyait là » était pour lui fort agréable. Un sourire carnassier s’étira aux coins de ses lèvres et il mordilla l’ongle de son pouce tout en réfléchissant.

« Ah ! T’es dans les affaires ? J’suppose que c’est en rapport avec l’bordels ? T’bosses pour la Princesse d’la Chair ? Ma foi, j’pourrai tout aussi prend’ ce que j’vois là et c’que t’as à m’offrir aye, mais… J’suis assez joueur et j’aime l’bon pari alors dis-moi… »  Il se pencha davantage en avant, étant sûr de capter le regard de son interlocutrice, son expression se fit plus sérieuse, bien qu’elle se para d’un air taquin. « … A combien t’estime ta vie ? »

La question était pour lui un jeu dont il avait l’habitude de jouer. Que ce soit poser directement à la personne ou par l’intermédiaire d’une autre, comme pour Viliam et ses esclaves, il laissa toujours à l’autre la possibilité d’estimer et de négocier son prix de telle manière. Rares son ceux qui répondaient qu’elle ne valait rien et les prix grimpaient bien souvent au-delà de ce que lui-même avait pu s’imaginer. Quand bien même l’offre donnée ne lui convenait pas, il faisait bien souvent une contre-offre afin d’obtenir ce qu’il espérait.

« Comme tu l’dis, on a tout l’deux pas intérêts à voir l’Guet se pointer ici. » Sa tunique et ses mains étaient toujours couverts de sang séché. D’ailleurs, maintenant qu’Yssa voyait plus clairement, il ne portait aucune blessure ou trace de lutte qui aurait pu faire penser à une rixe d’ivrognes ou tout autre sous entendant qu’il se serait défendu. « Tu t’retrouves donc coincée avec moi… » Il sourit comme si ce n’était qu’une simple boutade et le ton le laissait croire.

« C’qui concerne mon gars, aye, comme j’te disais, j’vais bien m’en charger. C’qui va lui arriver t’regardes pas, c’est ma prop’ justice que j’vais appliquer. Il a d’la chance, il m’a pas encore attiré d’ennui donc je serai assez clément avec lui. » Il porta son pouce à ses différentes bagues de la même main en les faisant tourner autour des doigts.

Quand la jeune femme essaya de se relever, Caleb fit de même, se remettant debout en face d’elle. Il ne lui porta aucune aide et glissa même ses mains dans les poches en la regardant faire non sans mal. « Douc’ment, faudrait pas qu’tu glisses d’nouveau hein » lança-t-il en la voyant s’appuyer sur le mur et la caisse. « J’t’aurai bien aidé, mais d’une j’veux pas qu’tu penses que j’essaye d’te toucher et d’deux, comme tu peux l’voir, j’suis pas l’plus fringuant qui soit en c’moment, et d'trois... bah j'ai pas très envie...alors débrouille-toi. » Il prenait un malin plaisir néanmoins à la voir faire dans sa difficulté continuant de sourire d’un air amusé ne ratant aucun instant de la scène.

Je ne travaille pas pour la Irohivrah mais il n'a pas besoin de le savoir. Tous les bordels sont en lien avec elle de toute manière et il faudra s'y confronter tôt ou tard. Et puis, je n'ai pas le temps de lui répondre qu'il se rapproche de moi. Sans m'en rendre compte, mon dos se tend à son approche et je relève légèrement le menton. Sa question me surprend et me laisse en même temps un goût amer. Je crois comprendre où il veut en venir... Et me voilà prise à mon propre piège. Après avoir laissé entendre que j'avais de la valeur pour pouvoir sauver ma vie, voilà qu'il me demande d'y mettre un prix pour obtenir une compensation à sa hauteur. Il ne se doute pas que je sais pertinemment combien je vaux. Je sais combien ma maîtresse m'a achetée et l'intervention d'Abraham pendant les enchères a grandement fait augmenter mon prix. On parle en centaines de souverains... Puis elle a investi un certain nombre de sommes pour qu'on m'enseigne à lire et à écrire mais aussi à tenir des comptes et mener à bien des investissements. Je passe sur les achats annexes qui ne son pas proprement rattachés à ma personne comme les robes et les bijoux. Mais, dans tous les cas, le manque à gagner pour la sombre est énorme. Et voilà que je vais devoir rembourser cette dette colossale à ce type...

-Disons... Quatre cent.

Je n'ai pas besoin de préciser l'unité de mesure, je pense qu'il a compris que je ne parlais pas d'écus... Ou alors c'est que je le prendrais vraiment pour un idiot et ce n'est pas dans mon intérêt. Le sang sur lui n'est pas le sien et, vu la quantité... Je ne tiens pas forcément à être la prochaine.

-J'ai pas demandé à savoir. Je lui fais remarquer d'un ton désintéressé lorsqu'il me dit que le traitement qu'il réserve au Jarret ne me regarde pas. Je suis tout à fait d'accord à vrai dire. Je préfère ne pas me mêler de ses affaires... Surtout que j'ignore encore à qui j'ai à faire.

Tandis que je m'efforce de me lever, le Rokvenha me donne toutes ses raisons de ne pas m'aider. Je lui répondrais bien que, là encore, je ne lui ai rien demandé mais je vais éviter car je risquerais de l'agacer à la longue. Difficile pour moi d'ouvrir ma grande bouche dans cette situation... Alors, plutôt que de continuer sur le sujet, je reviens sur celui de tantôt.

-Alors quoi ?... Tu attends que je te règle la somme en passe ? Ca risque d'être long...

Enfin debout, je m'adosse au mur. Il faut que j'arrive à me faire à cette nouvelle position maintenant. La tête me tourne de nouveau si bien que je me demande comment je vais réussir à sortir de cette ruelle s'il n'a pas l'intention de m'aider. Il avait l'air de vouloir m'accompagner pour me faire soigner mais j'en viens à douter. Ou alors, il a des heures à tuer... Mais, dans son état, est-ce qu'il est bien prudent qu'il se balade en ville ?

Toujours face à elle il continuait de l’observer, lui laissant le temps de se remettre de son choc et de reprendre tous ses esprits. Il s’était tenu à distance ne l’aidant pas pour autant et ne comptait visiblement pas changer d’avis. Il sortit alors une main de sa poche en venant la passer dans ses cheveux. Quand il entendit la somme alors proposé ses yeux s’écarquillèrent un instant et semblèrent même briller d’une étincelle de bonheur. C’était une sacrée somme qu’elle valat et de nombreuses choses se mirent à se bousculer dans sa tête.

Devait-il l’enlever et demander une rançon plus importante ? Ça serait bien trop long et compliqué… Profiter de tout cet ordre pour obtenir des passes gratuites ? C’était une idée, mais là encore et comme elle venait de lui dire, ça serait long à rembourser, agréable aux vues de la belle créature, mais long et il s’en lasserait surement. Non il hésitait encore et ça se voyait, il la regardait en silence, penchant la tête de droite et de gauche en la détaillant des pieds à la tête, un sourire carnassier ancré aux coins de ses lèvres.

« Mmh… J’pense qu’on peut trouver un arrang’ment, aye, ma jolie… » Il finit alors son observation en se redressant totalement, replongeant sa main dans la poche et reprit finalement. « Tu m’dois donc maint’nant d’nombreuses passes et … Et d’aut’ services qui m’seront peut-êt’ fort utile en temps en heure, aye… L’genres d’informations qu’tu pourras obtenir en t’faisant tringler par un riche marchand ou tout aut’, mais t’vois l’genre, j’vais pas t’apprend’ ton boulot. » Il renifla de plus belle et tendit la main en direction d’Yssa, paume ouverte.

« Si ça t’va, c’est d’bonnes affaires. Tu m’dis ou j’dois te mener pour qu’on t’soigne tout ça et j’t’y emmène sans un accroc’, parole d’Rokvenha aye. » Il ne donnait guère confiance à cet instant tant son visage était souriant et brillait d’une lueur qu’on ne saurait qualifier. Il était tel qu’on aurait pu croire qu’il venait de trouver un trésor à la valeur inestimable. Peut-être était les perspectives de leurs accords qui le rendaient ainsi.

Dos au mur, au propre comme au figuré, je n'ai pas tellement d'autres choix que de prendre la main du Rokvenha pour la lui serrer et conclure notre accord. Me voilà obligée de lui régler la dette de ma vie contre des parties de jambes en l'air et des informations. Situation délicate pour moi étant donné que la Sombre risque de ne pas aimer ça si elle l'apprend. Il va falloir que je fasse le tri entre ce qu'elle veut que je retire des clients et ce qui peut l'intéresser, lui. Heureusement pour moi, ils n'ont pas l'air de naviguer dans les mêmes eaux... Et puis, je peux le faire patienter le temps de mes activités se lancent et prennent de l'ampleur. Peut-être qu'avec le temps, je pourrais négocier de réduire la dette avec une partie de mes pourboires. Mais je préfère ne pas évoquer cette possibilité trop vite ou il risque de me prendre pour une vache à lait.
Alors, je garde sa main un peu plus longtemps...

-Je sais parfaitement tenir des comptes. Une fois ma dette payée, je ne te devrais plus rien.

Je suis courtoise mais ferme. Je dois déjà contenter une maîtresse et une pléthore de clients. Je ne tiens pas à m'assigner une nouvelle tâche à vie. Avec les bons tuyaux, tout ça peut être réglé en quelques années et j'aimerais autant en finir rapidement pour que personne ne l'apprenne. D'autant que je vais devoir redoubler de précautions pour ne pas chopper une saloperie qu'il ira récolter sur une collègue bas de gamme ou une drôlesse quelconque.
Je ne lui lâche la main qu'une fois qu'il a accepté cette dernière condition. Cela dit, je ne suis pas certaine qu'il tiendra parole. Il me faudra alors tout avouer à la doebenne... A moins que je sois devenue assez influente pour parvenir à régler ça moi-même ? C'est une idée, tiens... Mais il va falloir la jouer fine dans ce cas.

-Je sais où aller pour me soigner. C'est à plusieurs pâtés de maison. Mais, si tu veux te débarrasser de moi au plus vite, il va falloir m'aider à marcher.

J'ai bien compris qu'il n'avait pas la moindre envie de m'assister. C'était le cas pour me lever alors je ne voir pas pourquoi il changerait subitement pour avancer. Seulement, sans lui, ça risque de prendre du temps pour arriver jusque là-bas parce que je sens bien que je ne suis pas très sûre sur mes appuis. Sans parler de mes vertiges qui persistent. C'est qu'il n'y est pas allé de main morte l'autre...

Le Rokvenha faisait face à la belle qui tenait encore difficilement sur ses jambes, la tête encore alourdit et qui pourtant s’essayait au négoce de leur entente plus ou moins mutuelle. Elle lui tenait la main dans une poigne douce mais ferme, se voulant décisionnaire de ses propres intérêts, ce qui arracha un sourire au Mécan qui opina lentement.

« L’bons comptes, font l’bons amis, comme on dit, aye. Une fois qu’t’auras payé ta dette, tout s’ra parfait. »

Yssa relâcha alors la main du marin et ce dernier l’enfouie aussitôt dans ses poches en continuant de la regarder, la tête toujours penchée sur le côté comme s’il cherchait le moindre détail ou signe de faiblesse autre que son état actuel. Il renifla quand elle lui demanda de l’accompagner pour les soins, prétextant qu’il se débarrasserait d’elle plus rapidement. Il est vrai qu’il ne souhaitait pas être vu, dans son état, aux côtés d’une femme qui semblait graviter quand même dans les beaux quartiers. Peut-être profiterait-elle d’appeler le Guet en prétextant qu’il l’avait attaqué.

Caleb fit alors une grimace en la regardant et ne répondit pas tout de suite. Il profita tout de même qu’elle soit enfin debout pour une nouvelle fois la regarder sous toutes les coutures et tous les angles, ne se gênant toujours pas qu’il puisse être vu en train de le faire.

« T’m’as pas dis où j’pouvais t’trouver ma belle… Ca s’rait dommage que j’puisse pas passer t’voir. » Il sourit en relevant enfin le regard vers elle.

Finalement, après tout ça, il décida de garder ses mains dans les poches et désigna le bout de la rue d’un geste du menton. Visiblement il avait pris sa décision.

« T’peux y arriver seule, aye, j’pense pas qu’tu risques grand-chose et si jamais c’est l’cas, j’te file un p’tit conseil… Tu leur dis qu’le Rokvenha rôde pas loin et qu’c’est lui qu’surveille ton joli p’tit cul dans c’coin. Ça d’vrait en calmer certains dans c’coin là d’moins. » Il garda encore son sourire et fit alors demi-tour pour se diriger dans la ruelle. « On va s’revoir ma jolie, t’fais pas, j’ai d’jà hâte de r’poser mes pieds à Thaar rien qu’pour venir te voir. »

Il disparu alors après un virage au fond de la ruelle, reprenant sa route comme si de rien n’était.