Au sortir de l'Hiver...

1er jour de la 1ère ennéade de Bàrkios – Second mois du Printemps.
Année XX | XI cycle.

Kirgan jouissait d’une activité renouvelée depuis plusieurs jours. Le retour de Harald, de ses enfants, et des siens, des journées dans la lointaine contrée des Humains, c’était accompagné de plusieurs préparations en vue du retour des beaux jours. Des véritables beaux jours. Déçu, et quelque peu coléreux après la fin brutale de la rencontre des trois couronnes – fin dont il fut l’auteur bien malgré lui – Harald s’était à nouveau tourné vers les enjeux de son propre peuple.

Et ces derniers étaient nombreux…Depuis la mort de son fils, dans la Nérania, les positions Naines ne firent que se renforcer. On reconstruisit l’ancien hameau des Crin-d’Acier, qui fut ensuite renforcé tel une petite forteresse destinée à accueillir soldats et… Engeances. Mais malheureusement, l’état actuel des choses avait forcé au ralentissement des actions concernant l’étude de ces créatures. Jusqu’ici. Il était maintenant temps de reprendre cela, afin que l’avenir soit assuré.

Mais là n’était point le seul combat à venir. Voilà plusieurs ennéades maintenant, une montagne vint à s’éteindre. Dans le lointain Septentrion, on entendit le fracas d’un effondrement, le tonnerre d’une terre qui s’ouvre et qui s’enfonce dans l’éruption volcanique qui, étonnamment… S’arrêta là. Une seule montagne. Et pourtant tous les symptômes du Voile passé, où Mogar fut si destructeur. Un rappel cruel de ce qui fut, de ce qui aurait être de nouveau… Mais qui ne fut point.

La destruction de cette montagne dans conditions similaires à celles qui secouèrent les Nains durant le Voile, raviva de vieilles blessures. Mais cela arriva dans un contexte nouveau : Thorgrel Poing-de-Fer, avatar du Puissant, s’était sacrifié sur l’autel de la liberté d’un peuple tout entier, face à la plus grande menace pesant sur les Nains depuis des années : le drake noir. Combattant la créature jusqu’à la mort, l’envoyé d’Ikthor sur terre perdit la vie, blessant la bête, libérant le fardeau de cette dernière sur le Zagazorn pour des années et des années.

C’est avec cette image de sacrifice divin que vint la destruction de la montagne… Qui fut étonnamment restreinte. Harald, comme beaucoup d’autres, virent en cette destruction limitée, une intervention divine. Encore une fois, Mogar vint frapper les Nains, recommençant ce qu’il avait fait vingt ans plus tôt… Mais cette fois, il fut arrêté. Cette fois, Ikthor, le Puissant, protégea le peuple tout entier du nouvel Ire de Mogar. Une protection divine qui ne passa point inaperçu.

Toutefois, il ne fallait point tout laisser passer. La destruction de cette montagne avait sans doute provoqué tout un tas de changements, et peut-être même, plusieurs bénédictions pour les Nains désireux de reprendre le contrôle de leurs richesses perdues. Pour le savoir… Il fallait s’y rendre.

Harald, de retour, fit alors préparer un banquet royal. Convoquant quelques-uns des clans et des Dawis influents du royaume, et ceux d’ores-et-déjà impliqués dans ces enjeux, il invita également celles et ceux qui désiraient profiter d’un banquet dont les nains connaissaient les secrets.

Aujourd’hui serait jour de fête… Et jour de décisions, de préparations et sans doute de promesses et de serments.

Khazalid:

2er jour de la 9ème ennéade de Favrius – Premier mois du Printemps.
Année XX | XI cycle.

La naine se sentait encore raide et n'avait pas reprit encore toute sa mobilité, ce qui ne saurait tardé selon les guérisseurs. Son corps avait subit des dommages non négligeable, mais elle s'en sortait étonnement bien, une cicatrice et beaucoup de fatigue dû à la perte massive de sang. Elle avait sentit le besoin de s'isoler pour reprendre ses forces et apaiser sa colère, ou bien était ce son regret, prendre du recule, respirer, penser.
Si c'était ce que l'on pouvait appeler de la déprime, alors elle l'avait expérimenter.
La triste de la perte d'un être cher, la colère de n'avoir pu le protéger, le désespoir d'avoir dû l'annoncer à son père. Des sentiments mixés en son sein et l'impression de se noyer dedans.
La guerrière comprenait désormais la distance qu'avait prit son propre père à la mort de sa mère. La douleur sourde qui pourtant résonnait dans l'esprit sans arrêt.
Mais à la différence de celui-ci, elle avait reçu le soutien des siens. Harald lui avait envoyé des lettres, ses neveux et nièces la couvrait de présent en tout genre (si bien qu'elle ne savait plus où les stocker et refusait de les jeter), Aldwine sa belle-sœur -dont la douceur maternelle n'était plus à prouver- avait prit du temps pour parler et l'apaiser, les siens avaient prit part à sa peine et s'efforçaient de lui réduire sa tâche quotidienne.

Cela faisait trois ennéades qu'elle avait reprit les entrainements -au grand damne de ses baveux qui s'attendaient a couler encore quelques ennéades de fainéantises- , ce qui étonnement lui avait remontrer le moral. Tout cela lui avait manquer, les jérémiades des uns et de autres, voir leur progrès, la satisfaction d'une journée bien achevée avec une bière fraiche, la joie sur leur visage.
Au final, elle les aimait ses bougres d'imbéciles de nains, avec un sentiment maternel.

Brynhild était dans son bureau, lisant les derniers rapports de garde, quand Leif entra pour lui déposer son courrier.
* Rapport, rapport, facture, rapport, oh Harald!*
Elle s'empressa d'ouvrir la lettre de son lié, ses yeux parcouraient le parchemin avidement et enregistra chacun des mots inscrits. Un banquet royal? voilà qui était une bonne idée après cette période difficile. Cela tombait même à point nommé car depuis quelques jours, elle clôturait les affaires en cours de son clan afin de rejoindre son Roi à Kirgan.

- Tu souris ma sœur, as tu reçu de bonne nouvelle? lui demanda Leif.

- En effet, Harald va tenir un banquet royal.

- Toi qui pensait retourner à Kirgan, ca tombe à pic!

- Oui tout à fait, le temps de finir, je pense partir dans deux jours. Veux tu venir? ça vous changerait Aldwine , les enfants et toi?

- Je lui en parle tout de suite, dit-il en commençant à sortir du bureau, je t'envoie quelqu'un pour préparer le voyage?

- Oui merci mon frère! Qu'est ce que je ferais sans toi?

- Tu lèverai ton joufflu pour le faire toi même! finit-il en riant et en fermant la porte.

Le sourire aux lèvres, la guerrière attrapa un morceau de parchemin et griffonna un mot pour tenir son lié au courant de son départ proche pour la capital souterraine. Dans une ennéade au plus tard, elle serait auprès de son roi pour tenir ses fonctions de première naine.

1er jour de la 1ère ennéade de Bàrkios – Second mois du Printemps.
Année XX | XI cycle.

Le voyage s'était passé à merveille, accompagné de la nature qui finissait de renaitre tranquillement. Le rire des enfants les avaient gardé de bonne humeur tout le trajet. Qu'il était agréable après ses ennéades à Lantes de pouvoir voyager de nouveau, changer d'air, revoir Harald, profiter d'un banquet comme seul les nains en avait le secret.
Elle finit de se préparer et rejoins son lié dans la grande salle, le voyant déjà donné de grand pogne aux invités qui arrivaient. Elle se glissa à côté de lui en souriant aux invités qu'il saluait.

- Profiter de la bière pendant qu'elle est fraiche! dit-elle aux convives qui s'en allèrent en rigolant. Eh bien mon Roi? on commence sans moi?

Quittant Hjolgrim à l'entrée, je me faufile dans la salle. Afin d'éviter la cohue et les mouvements de la foule imposante -plus par le volume de ses membres que leur nombre- des dawis, je longe les murs. Discrètement, je me faufile assez rapidement pour contourner tout ce beau monde et je rejoins Harald à l'autre bout de la salle. Je le salue d'un simple signe de tête accompagné de l'un de mes sourires innocents, avant de le dépasser. A quelques pas de lui, je fais volte face, faisant virevolter un peu ma robe au passage, et je me poste assez près pour capter ce qu'il se passe et assez loin pour me faire oublier du Roi et de son entourage.
Je me suis fait un peu jolie pour l'occasion, portant un habit d'un bleu profond rehaussé d'une ceinture d'or parsemée de quelques saphirs (oui, je sais, c'est un comble quand on s'appelle Rubis...). Les cheveux sont habilement tressés et ornés par endroit d'un petit anneau d'or qui ressortent finalement assez bien sur ma crinière fauve.

De là où je suis, je vois beaucoup de choses.
Les convives qui viennent honorer leur Roi et le remercier de l'invitation.
Ararün à sa table qui profite de son assiette et de son verre bien garnis. Cela me fait penser que j'ai quelque chose à lui demander...
L'entrée de Hjolgrim et ses salutations. Est-ce qu'il va me remarquer dans ma position de retrait ou l'appel de la bière va-t-il le faire filer sans plus prêter attention à autre chose ?
L'arrivée de la liée royale qui, si elle tourne son regard vers moi, me verra baisser les yeux et m'incliner en signe de respect. C'est une tresse qui a beaucoup de mérite et je comprends ce qui a pu séduire notre Roi chez elle. Je ne serais jamais la moitié de ce qu'elle est. Aussi, je me dis soudaine qu'il ne faut pas que je ne l'oublie pas de mes écrits car elle y a tout à fait sa place. Sans doute participe-t-elle aussi à la grandeur de notre souverain. Une idée à creuser, tiens...

Prise de mes pensées, j'en oublierais presque ce qu'il se passe autour de moi.

Voyager, voile une notion qui ne rentrait plus vraiment dans le spectre de ses prérogatives ; à dire vrai, il n’avait jamais vraiment parcourut la lande et cela, même du temps ou ses guibes disposaient encore de la force nécéssaire à le traîner avec stabilité. Non, le Racleur n’était pas de ceux qui battaient la plaine et les chemins de montagnes, encore moins de ceux qui aspiraient au grand espace et à l’air frais. Lui provenait d’un autre argile, d’une autre trempe : on l’avait modelé pour avancer dans le noir, pétrir et soumettre la roche, avancer à pas de taupe au contact de la matière et du minerai. A sa façon, il avait parcourut des espaces que peut même parmi les nains n’avaient foulé, à sa façon il avait entraperçu des lieux qui resteraient à jamais hors de la vue des vivants ; son savoir du voyage se résumé à des espaces clos, loin dans les souterrains du monde, la ou la vie n’était pas faite pour être vécue.

Alors, quand il avait reçu sa convocation à un banquet dans la lointaine capitale, la question s’était posé : envoyer un plus jeune ? Ne pas s’y rendre ? Abandonner les siens et partir seul ? De long moment de palabrerie avaient eu lieu autour d’un brasero avec ce qu’il restait des résidus de son clan. Bien sûr, toutes les braises les plus vives s’étaient portés volontaires pour y aller, pour le seconder, pour le remplacer. Mais quand vint l’aube qu’ils ne devinèrent que par l’habitude de leurs existence, la décision était prise : ils partiraient en petite délégation. Les préparatifs furent plus rapide que le choix, habituer à se satisfaire de peu, les Vieille-Veines se parèrent de leurs plus beaux autours et du nécéssaire pour la route. Grace à un plan finement préparé à l’avance, ils organisèrent une trace qui empruntait à maxima les boyaux praticables. L’idée était de voyager le plus possible à l’abris de la lumière et des rayons mordant du Zharrat. Pour les morceaux de routes qui ne pourraient être évité à la surface, Sognir ordonna qu’on les arpentes soit de nuit, soit aux premières lueurs de l’aube ou aux dernières du jours. Loin d’être la plus sagace des décisions, tous redoutaient plus la cascade de grognement et d’injure qui résulteraient d’une trop longue période passé à « Cramer comme du mauvais frongol ».

Malgré toutes ses précautions, cela point ne suffit.

A en voir les faces torves et mornes des mineurs qui se présentèrent dans le hall ou se tenait le banquet, on y devinait aisément le goût âpre qu’avait dut revêtir cette marche à travers le continent. Seul parmi le gravillon à ne pas sembler défait : Sognir souriait. Le Thane et mémoire de son clan scrutait de son oeil unique les tables de barbes et de tresses remplies, voila longtemps que telle liesse ne s’était présenté à sa vision et même si les temps de malheurs semblaient plus proches que lointain, il ne put se retenir de quelques secondes grisantes qui réchauffèrent le vieux charbon palpitant encore dans sa poitrine. Mais l’instant fut fugace, aussi éphémère qu’un pet de souris dans une mine.

« Les Vieille-Veine d’Almis. »

Beugla alors Dagoran à la droite de Sognir. Ce nain était le guerrier du clan, du moins, l’un des seuls survivants. Si tous savaient manier de la pique et de la pioche, lui descendait encore de la lignée de Vigir et de la branche des combattants des tunnels. Sa carrure était aussi large que sa peau blême et sa barbe d’un noir de jais lui donnait l’aspect d’un ours mal léché. C’était un nain rustre mais appréciant les coutumes et respectant les traditions. Il servait de hérault et de porte-bouclier au Racleur qui avait beaucoup d’estime à son égard. En toute franchise, il aurait même préféré que le clan le nomme lui, Thane, mais le bougre avait refusé, préférant que cette charge soit sur les épaules d’un plus sachant.

La petite troupe s’avança alors sous l’escorte d’un valet de salle qui les conduits à une place alloué. Autour de lui, le Racleur ne distinguait pour l’instant aucuns visages connus, sauf ceux qui trônaient en tête de cette assemblée. Le Grand-Roi avait fier allure, tout comme sa liée. Tapotant par instinct une sous poche qui se trouvait sous son veston, l’ancien s’arma de patience, sachant que son tour viendrait. Alors il prit place et la hale lui fut offerte. La première goulée fut comme toutes les autres premières : emplis de sable et de silice, un goût typique que seule peuvent connaitre ceux qui résidaient trop longtemps sous la surface. La seconde fut elle, bien plus agréable, lavée de tout déchet. La troisième elle, dépendrait de la tourne des évènements à venir, car si Sognir avait parcouru toute cette route, c’était avec une idée bien précise.

« Au loin la montagne gronde, hurle et je n’ouïs ici que des panses pour en couvrir les bruits. » marmonna t-il comme à son habitude en pressant de sa main libre, la statuette de bronze de Falgar Soufflesouffre, un nain qui de son vivant dans le clan, ne fut jamais connu pour retenir ses mots. Si on l'eut entendu, sans point douter cette jeune naine qui se trouva non loin, ou se capitaine à la hache lourde, peut être même cette autre nain qu'il distinguait comme un égale des souterrains. Mais la remarque ne leur était pas spécialement adressé, dans le cas contraire, ils l'auraient su. Non, Sognir lui, portait rancoeur en sa braise mais pas contre cette belle assemblée.

Comme pour les banquets réalisés depuis son élection, Harald se trouvait au-devant de son trône, sur une table centrale, où se trouvaient à sa droite et à sa gauche, ses enfants, sa liée, et celles et ceux qui osaient ou voulaient prendre une place à cette table centrale. Devant eux, deux tablées en « U », une plus grande, et une plus petite. Cette disposition, Harald l’avait choisie lors de la cérémonie de son Serment de Fidélité avec Brynhild. Et il l’avait adopté à chaque banquet et chaque rassemblement depuis. Ainsi, tous pouvaient le voir… Et lui pouvait voir tout le monde.

Les bières coulèrent très tôt à flot, alors qu’on mettait en perce, quelques-uns des fûts les mieux préparés et construits parmi tous les maîtres brasseurs rassemblés ici. Ces bières s’accompagnent de tranches de jambons, de pièces de viandes fumées, salées, et de belles parts de fromages. Cela, pour n’importe quel estomac, serait l’équivalent d’un repas garni et ô combien incommodant pour un foie inexpérimenté. Mais, pour les Nains… Il ne s’agissait alors que d’amuses gueules, et d’humectes glissoir.

Chaque tresse et chaque poilu qui montaient la trogne vers lui, recevait un signe de tête. Chaque coup d’avant-bras recevait une réponse similaire. Chaque marque de respect était saluée et rendue par le Grand-Roi du Zagazorn. Ce jour ressemblait, bien-sûr, à un jour de liesse… Mais, en réalité, Harald avait beaucoup d’idées derrière la caboche. Ce jour était, en réalité, un jour de rassemblement afin de décider d’une orientation commune, d’un but commun… Et de lancer, et relancer, ces combats qui secouent et animent tout un royaume depuis l’Ire du Maudit.

Finalement, lorsque tous sont à table, et lorsqu’enfin la salle est remplie, Harald quitte la table, et se dirige vers le trône. Ses habits de velours et de lin détonnent avec les armures de plate blanches et ors qui portent les gardes royaux. Sa couronne, en Mogarium, resplendit tel un astre lumineux. Les symboles de la puissance royale se montrent au peuple Nain, non point pour l’impressionner… Mais pour le rendre fier. Fier de tout ce que le peuple a accompli, pour lui-même, et par lui-même. Car, après tout, ce sont les thanes qui ont élu Harald ; ce sont eux encore qui ont placé leur confiance en lui, pour le meilleur, et parfois pour le pire ; ce sont les Nains qui creusent l’Ungordrinin, eux encore qui défendent les frontières, eux toujours qui retrouvèrent le précieux Mogarium et reforgèrent la couronne légendaire. Le peuple pouvait être fier de lui-même.

« Mes frères ! Mes sœurs ! » Dit-il, pour débuter ce discours. « Mes fils ! Mes filles ! » Ajoutait-il, s’adressant aux plus jeunes barbes de l’assemblée, et aux courtes tresses. « Vénérables anciens, gardiens de mémoire et de savoirs ! » Dit-il enfin, rendant hommages à ceux dont la barbe était blanche comme la neige, blanche comme la sagesse. « Par les dieux, merci ! » Dit-il. « Merci d’être venus si nombreux aujourd’hui, en la capitale de notre royaume bien aimé ! Par la magnifique barbe de Girdon et les bourses d’acier d’Ikthor, je suis heureux d’être face à vous aujourd’hui ! » Dit-il, débutant assurément l’annonce d’un discours qui se voulait puissant, et surtout, important. « Voilà vingt années, le Maudit nous envoya toute sa colère dans une onde dévastatrice. Notre peuple en fut meurtri de bien des manières, mais par ma barbe, jamais nous n’avons abandonné ! »

Il se relève, quittant son trône qu’il avait rejoint seulement quelques secondes auparavant. Regardant l’assemblée d’un regard de fer, il voulait, ici, leur montrer qu’il sondait chacune de leur Braise-Vie et chacun de leurs cœurs qui battait à l’unisson aujourd’hui. Il se voulait fort, il se voulait fier… Mais il se voulait aussi – et surtout – intéressé et concerné par les vies de ceux qui l’écoutent, de leur devenir, de leurs attentes… De leur existence toute entière.

« Aujourd’hui, grâce aux sacrifices de nos pères, de nos mères… De nos frères et de nos sœurs… De nos aïeux, et de nos enfants, le Zagazorn est fort. Et il est imbattable ! » Dit-il, la voix devenant rauque et puissante, alors que son poing frappait dans sa pogne comme pour marteler ce dernier mot dans les caboches curieuses. « L’Hunzrung-Langk fut bâti en trois années seulement, et, depuis près de huit ans, il nous protège de la menace sauvage qui pesait sur nous depuis si longtemps. Nos soldats gardent nos frontières, et nos ingénieurs peuvent festoyer librement face à ce qu’ils ont accompli dans le Lörn. » Expliquait-il, rappelant alors ce que le peuple avait effectivement accompli. « L’année dernière, L’Ungordrinin prit enfin forme, alors que l’ancienne voie reliant Thanor à Kirgan fut à nouveau achevée. Cette année, les ingénieurs sont formels : Lante et Thanor seront à nouveau reliées par les souterrains, d’ici quelques ennéades seulement. Et cela, seuls les Nains peuvent le fait ! » Dit-il, haussant à nouveau la voix, incitant ainsi à la fierté, tentant de se montrer comme un orateur puissant à l’instar de feu Hardrek Poing-de-Fer. « Dans 5 années, ce sera le tour de l’Etoile de l’Est d’être liée par les souterrains, au port de Thanor, et à ses sœurs, Kirgan et Lante. » Expliquait-il ensuite. « Mais ce n’est pas tout. Nous avons retrouvé l’antique cité de Molgrunn, et les savoirs perdus qu’elle possédait. Des Nains se battent aujourd’hui, pour pouvoir rendre viable, une place-forte au Nord-Ouest d’ici, dans laquelle se trouvent de bons filons de fer, de titane, d’aciers et autres minerais importants. De cette place-forte, nous lancerons la reconquête du Nord, ça, je vous l’assure. » Dit-il, refaisant une promesse qu’il tentait de tenir, et qu’il ressassait, depuis son élection déjà. « Mais pour cela, il nous faudra encore combattre. »

Sa voix se fit plus calme, plus posée aussi. Les Nains n’étaient jamais les derniers pour se battre, surtout lorsque se battre signifiait l’honneur, la force, et parfois, le sacrifice pour le bien commun. Une parole avait valeur de loi. Une hache, avait valeur de force. Jamais un Nain ne refusait un combat, surtout lorsque celui-ci symbolisait l’avenir et la renaissance. Et cela, malgré les sacrifices que la guerre impose…

« Vous n’êtes pas sans le savoir, combattre n’est pas facile… Et bien qu’Ikthor nous garde et veille sur nos braises, et cela, plus encore depuis que son fils, le Gormisson nous fût cruellement arraché. Face au Grand Ver, il s’est levé. Seul, il l’a combattu. Et sous l’égide d’Ikthor le Puissant, il a blessé le Vers Maudit au point de l’éloigner de notre peuple et qu’il ne soit plus une menace pour nous. Son sacrifice, est un crève-palpitant… Mais le rappel du fils auprès du Puissant, ne signifie qu’une chose : Ikthor lui-même protège les Dawis envers et contre tout… » Dit-il, laissant volontairement une pause, un silence, emplir la salle et mettre l’assemblée en haleine. « … Y compris contre le Père, Maudit soit-il. Car, j’en suis persuadé… C’est bel et bien le puissant qui nous a protégé du Père. » Assurait-il. « Vous le savez… Au loin, au Nord-Ouest d’Almis, une montagne toute entière s’est écroulée sous les assauts furieux d’une force mystique. Un tremblement de terre, ressenti jusqu’au lointain Lörn. Sous les assauts de la terre et de la lave, la montagne s’est écroulée… Cela n’est pas sans rappeler en nos caboches, la malédiction de l’Ire. Et pourtant, bien que nous ayons ressenti les tremblements, et vu la fumée de chaque côté du royaume… Il n’y eut qu’une seule montagne. Car Ikthor nous a protégé. » Martelait Harald, le regard empli de sincérité et d’une frénésie religieuse renouvelée. Il voulait que les Nains se lèvent avec lui, festoyant, jetant en l’air nourriture et bières alors qu’ils trinquent à la santé des leurs. Il voulait de la fierté dans les mirettes et dans les cœurs. « Nous allons nous y rendre. Car nous devons comprendre, et savoir, ce qu’il s’est passé là-bas. De braves guerriers s’y rendront, accompagnés d’érudits, car ces terres sont nôtres, et en plus de les reconquérir par les armes, nous devons en reprendre possession par le savoir et l’expertise. » Dit-il, indiquant clairement la suite des opérations. « Mais ce sont point là les seuls savoirs que nous devons acquérir, mes amis. Nous devons également en apprendre plus sur cette malédiction qui frappa jadis les nôtres… Cette malédiction qui rend la Nérania si dangereuse, tout comme l’Almion, et le Nivor : les Engeances de Brisséa. » Ce nom, il l’avait en horreur… Comme beaucoup de Nains aujourd’hui. Parmi cette assemblée, beaucoup avaient vu un père… Une mère… Un parent, ou un enfant, se transformer en ces ignobles créatures taillées comme des Dawis, mais qui ressemblaient en réalité à d’ignobles bêtes. « Voilà plusieurs mois maintenant, j’ai ordonné une étude de ces créatures. Savoir si nous pouvons les soigner… Et sinon, comment les anéantir. Pour cela, nous disposons d’un lieu de capture et d’un lieu d’étude. Pour obtenir cela, ma liée, nos soldats, durent se battre durement contre une armée de Grobis et de Kerkands. Mon… » Il se râcle la gorge. « … Mon fils, s’est sacrifié, pour notre peuple, et pour protéger les siens. Au nom du Puissant, il aura abattu une bête, avant de succomber aux autres… » Il baisse la tête, regarde le sol, avant de reprendre, la mine grave. « Mais ce n’est pas le premier fils du Zagazorn qui sacrifie sa Braise-Vie pour sauver les autres. Puisse-t-il toutefois être le dernier… » Mais il en doutait. Trop de combats à venir… Trop de choses à conquérir, reconquérir. Trop d’adversaires à combattre, et trop de menaces à écarter. « D’autres fils, et d’autres enfants, meurent à Almis. La pression que les Engeances et les autres créatures, exercent sur l’Etoile de l’Est, ne peut plus être tolérée. C’est pourquoi nous devons continuer d’étudier ces viles créatures, pour mieux les combattre. Car l’Almion et la Nérania doivent être reprises… Et nous le feront. »

Vindicatif, incisif, directeur, Harald montrait là qu’il était le Roi. Mais plus qu’un discours, il recherchait également l’adhésion d’un peuple. Car plus que quiconque, il savait qu’il n’était le Grand-Roi du Zagazorn que grâce à la confiance et la bénédiction de tous les thanes. Sans eux, il n’était rien. Sans eux, il ne serait point là aujourd’hui en face d’eux.

« Dawis ! Je suis fier d’être votre Roi, et je suis fier de chacune des Braises-Vies qui animent nos terres. Je prie Ikthor qu’il me donne la force de me battre jusqu’à la mort… Car oui, je serais moi-même en première ligne dans les combats à venir. Aujourd’hui, nous buvons. Nous festoyons, afin de rendre Girdon aussi fier de nous qu’il le fut lorsque nos aïeux brassèrent la première bière, dans le monde du Dessous, jadis. » Dit-il, faisant appel à la cosmogonie afin d’un peu plus fédérer ceux qui étaient son peuple. « Mais nous festoyons également pour rendre hommage à ceux qui festoient dans les Derniers Halls. En l’honneur de ceux qui combattent aujourd’hui, de ceux qui se battirent hier, et de ceux qui combattront demain. Nous festoyons en notre honneur. BARUK ! »

Sa voix s’était faite forte, rauque, profonde et gutturale. Il prononça ce dernier Baruk, avec la force d’un Beärog lancé à pleine vitesse dans une chasse qui pourrait être sa dernière, s’il ne réussissait point à atteindre sa proie. Levant sa pinte bien haut, il cria encore d’un cri de fédération, avant d’avaler cul sec ce qui lui restait de sa pinte, invitant maintenant à la célébration.

Tous les dawis invités étaient enfin arrivés et avaient pris place autour de l’imposante table faite pour l’occasion. Ararün avait salué tous ceux qu’il avait croisé, rendant la pareille à ceux qui venaient le voir, qu’il les connaisse ou non. Il discutait comme à son habitude, bruyamment, s’étant déjà servie plusieurs mets et boissons à sa disposition, essayant de se faire entendre de ses interlocuteurs au milieu de la cohue ambiante – Il faut dire qu’un nain, c’est déjà bruyant, alors une assemblée tout entière … - A le voir faire, on comprenait bien vite qu’il était impatient d’entendre le discours d’Harald, afin de savoir ce que le Grand-Roi préparait pour le Zagazorn. Le Capitaine lui-même avait des idées, des propositions à faire, mais pour cela il se devait d’attendre le discours afin d’y réagir ensuite.

Après quelques instants, Harald se dirigea vers son trône. Pour l’occasion le Grand-Roi avait décidé de faire preuve de toute la grandeur dawi en affichant ses symboles de puissance, dont la magnifique couronne faite en Mogarium. Ararün le suivit du regard et coupa la parole à un de ses cognards venu l’accompagner d’une lourde tape sur l’épaule, lui signalant la prise de parole imminente d’Harald.

Le regard rivé sur son ami, il l’écouta alors, comme la majorité des nains présents. Il y avait tant à dire quant au glorieux passé des dawis, bien que sombre par instant, mais bien plus à raconter sur l’éclatant futur auquel ils aspiraient. Harald réussit, en ce qui concernait le Capitaine, à le joindre à ses paroles et ses ambitions. Ararün et le clen des Fiers-Marteaux aspiraient aussi à la grandeur du Zagazorn, depuis leur naissance aux creux de ses montagnes. Il désirait ardemment rendre aux siens leurs terres et leurs savoirs perdus en grande partie. Oui, Ararün se sentait concerné par le discours unificateur d’Harald, Grand-Roi du Zagazorn.

Parmi tous les sujets évoqués, certains ne le concernaient pas directement, ou du moins, ne faisaient pas partie de son domaine ; La construction de l’Hunzrung-Langk, ainsi que de l’Ungordrinin étaient des exploits qui devaient couvrir d’honneur les bâtisseurs et ingénieurs, mais même si Ararün par patriotisme et loyauté se sentait fier de ça, il n’en tirait aucune satisfaction.
Ce qui lui importait plus que tout, pour l’heure, était avant tout la reconquête des terres perdues et les explorations dirigées vers le Nord et la montagne perdue. Ces points là étaient bien plus à sa portée et l’intéressaient grandement, alors il attendit avec impatience que ces sujets soient à leur tour abordés.

Enfin ! Lorsque les sujets vinrent aux lèvres d’Harald, le capitaine se pencha davantage sur la table, s’accoudant pour mieux entendre les propos.
Comme tous les dawis le savaient, leurs territoires étaient hostiles en bien des raisons, mais leurs frontières n’avaient pas toujours été si fragiles et inatteignables. C’était un devoir pour eux de les sécuriser et les reprendre pour que chaque nain puisse y circuler paisiblement. Alors vouloir étudier… ou éradiquer les engeances était là un premier objectif nécessaire à la bonne résolution d’un but bien plus grand, reconquérir l’Almion et la Nérania. Tapant de son poing avec vigueur à ces propos, il marqua là son ambition et son approbation à pareille décision.
Par la suite, Harald, parla de l’expédition dans le Nord-Ouest, là où la montagne avait disparue. Comme le disait le Grand-Roi, Ikhtor avait protégé les nains d’une autre tentative de Mogar de vouloir les éradiquer, mais cette fois-ci, il avait échoué. Imaginer la haine du Père envers les siens, fit monter sa propre colère et ses pognes se serrèrent fermement avant de s’ouvrir en signe d’apaisement. Il ne comprenait pas pourquoi le Père voulait s’acharner sur eux, mais il y avait bien une raison et celle-ci pouvait se tourner auprès de la montagne disparue. Peut-être y trouverait-on des traces du duel entre le Père et Ikhtor ? Quoi qu’il en soit, c’était là une expédition à la hauteur de ses attentes et les réponses à leurs questions, valaient leur pesant de risques.

Il laissa alors Harald terminer son discours, lançant le cri de ralliement des dawis au son du « BARUK » que le Fiers-Marteaux suivit avec entrain, porté par ce discours galvanisant et qui avait réchauffé son cœur. Ararün leva bien haute sa choppe de bière et la bu d’une traite, avant de la claquer sur la table lourdement. Dans le même geste, après s’être assuré que personne ne prenne la parole, il tapa de ses mains lourdement sur la table en signe d’attention et se leva.

Le dawi fixa alors les présents ainsi qu’Harald et après quelques instants prit la parole.

« Harald ! Mon ami ! Mon frère … Mes Frères et Sœurs. » Il pivota, signalant que tous ceux autour de cette table l’étaient au même titre qu’Harald, après tout, ils avaient tous reçu la Braise-Vie du même Père. « Tes paroles réchauffent ma Braise-Vie comme l’feu des Grande-Forges ! En c’jour et devant tous les aut’ représentants des Clans du Zagazorn. » Il se tut de nouveau, détaillant encore les présents, thanes ou invités d’honneur. Le Capitaine avait son éternelle expression sévère gravée sur son visage. Le tatouage de runes n’aidait en rien pour apaiser cette façade. « Moi Ararün, Fils d’Kurad, Thane des Fiers-Marteaux, je tiens à réitérer mon serment d’fidélité et d’loyauté envers l’Zagazorn et son Grand-Roi ! Par mon Honneur et ma Barbe ! » Il tapa de son poing sur son plastron pour marquer sa promesse ainsi faite à Harald, puis reprit alors. « Fais-moi l’Honneur d’mener l’expédition dans l’Nord-Ouest afin d’voir ce qui s’y est passé. Les Fiers-Marteaux n’ont jamais déçus le Zagazorn. »

Le Volcan dawi fixait alors Harald d’un air déterminé, gardant son poing sur son plastron. En faisant pareille demande devant l’assemblée, il souhaitait marquer les esprits de son nom -et celui de son clan – Cependant il risquait gros, car si l’expédition était un échec, son nom et celui des siens seraient entachés de la même manière qu’ils pourraient être glorifiés.

Le Grand-Roi c’était levé et le Grand-Roi, avait parlé. Un discours plein de gouaille, de hargne, de fer et de force. Une ode comme seul en était capable les nains de sa trempe, mais dans chaque chanson se trouvait toujours quelques fausses notes. Le Racleur savait qu’il n’était pas le seul à les avoirs relevé, mais Harald des Brise-Os était loin d’être un idiot, s’il avait fait ce choix, c’était pour une bonne raison, une raison qui prévalait à toute les autre : l’unité.
Tandis que s’ouvrait la lice des braises vives, deux des Vieille-Veine palabraient dans leur coin.

«  Regarde Dagoran, le temps des décisions arrivent. Soit mes yeux Dagoran, dit moi qui de ceux qui s’avancent sont vraiment digne de le faire. Dit moi qui ne vaut pas mieux qu’un lèche-souffre et qui au contraire, possède l’étoffe de représenter sa lignée. »

Temps de silence dans le tintamarre ambiant entre les deux nains. Dagoran réfléchissait, pas vite comme souvent, mais toujours pour éviter d’en dire trop ou trop peu. C’était un nain à la caboche plus rempli que ne laissait présager sa tenue et il le prouvait à mainte reprise.

«  Je n’en connais aucuns Sognir. Du moins, aucuns à qui je confierais ma pique. Des noms, pour sûr, des récits, tout aussi sûr, mais du reste ? Comment puis-je juger ? Je n’ai respiré aucunes silices en leurs compagnies et nous n’avons épongés aucunes poussières sur nos fronts. Alors ne place pas autant de poids sur mes épaules, je serais tes yeux, mais seulement pour te décrire ce qu’il t’est impossible de voir. »

Sognir lui répondit par un grognement éloquent et suffisant. Bien qu’elle soit remplit, la caboche de Dagoran était paré d’un granit inextricable et jamais encore de sa longue vie, il n’avait vu quelqu’un le faire changer d’avis. Alors soit, l’Ancien acceptait son sort comme seul il pouvait le faire.

«  Tu étais moins causant à l’entrée de l’Ungordrinin, dans les ténèbres cette fois, j’ai parfaitement vu ta trogne, tu ne pouvais cacher le glabriot sous ta toison. » claqua le Racleur d’un ton sarcastiquement cassant.

«  La paix l’Ancien, la paix. Si tu avais aussi bien regarder que tu le suggères, tu aurais toi aussi tiré pareille face. Ces tunnels sont beaux. Sûrement les plus beaux construit aujourd’hui. Une fois le tracé terminé, la sureté des voyages pour les nains sera acquise, nous ne craindrons plus le froid et les bêtes. Et tu pourras enfin bouger ta vieille carcasse sans avoir à affronter le soleil. »

«  Aye. Tu parles d’or. » Sognir c’était radoucit, en un rien de temps. « C’est belle chose de que pouvoir apprécier encore bien bel art. Mais l’heure n’est plus à la contemplation mon amis, il est temps de commencer à faire bouger les choses ou nous nous perdrons dans les boyaux que nous avons nous même construit. »

Le Racleur se saisit alors d’une lourde chope et la rossa avec force sur la table. Si son acte unique n’attira pas l’attention de grande monde, il fit reprit par Dagoran, puis par l’ensemble membres du clan. Des dizaines de nains battirent alors la cadence à l’unisson, créant un écho sonore qui eut l’effet escompté : on les considéra. La coutume aurait voulut que celui qui souhaitait la parole s’avance, mais cette dernière était l’apanage des braises plus jeunes. Une seconde coutume concernant les plus âgés - lui en l’occurence, autorisa à ce que l’Ancien en question, s’exprime sans quitter son siège.

«  Arärun des Fiers-Marteaux parle fort, mais parle juste. » commença l’Ancien de sa voix de rocaille. Bien conscient qu’on le lorgnait du coin des mires, il se fit souffrance et concéda lever son joufflu endolori. « Si ma caboche ne vous revient pas, le nom de mon clan parlera pour moi. Nous Vieille-Veine, sommes originaire des contreforts de cette partie du monde. Moi,  Sognir, suit un descendant des nains qui fouillèrent le roc et érigèrent Gormonkar aujourd’hui perdue. Depuis, ceux qui restent des nôtres se battent dans les souterrains de la Perle du Nord et au moment ou nous festoyons, ils saignent et souffrent. »

Autant dire que le Racleur avait toujours eu le chique pour refroidir même les forges les plus chaudes.

«  Grand-Roi, j’ai fais le chemin en personne jusqu’à notre capitale pour te rencontrer. S’il est sûr que de nombreux problèmes se doivent d’être débattus et régler par cette assemblée, il en est un que tu as omis de citer : Almis. Car ma cité bien que tenace, est rongé par un mal insidieux. La disparition de la montagne n’a fait que jeter de l’huile sur le feu. Dans les boyaux de la Perle du Nord, la colère gronde parmi les barbes et les tresses. Cette dernière n’est pas tourné contre toi, mais contre celle que tu as placé à la tête de notre cité. Si tu le juges bon, j’appuierais mes arguments en publique afin que tous puissent savoir. Dans le cas ou tu souhaites que ses paroles soient réservés aux esgourdes concernées, alors considère mes paroles comme demande d’audience. Nous te suivrons Grand-Roi, dans le feu et les ténèbres, mais pas sans avoir été entendu. »

Sognir conclua son plaidoyer par un dernier coup de chopine qui finit de renverser la bière contenu à l’intérieur, puis il sortit le vélin qu’il cachait dans une poche de son veston à la droite du coeur.
Le Racleur reprit place, les mires campés dans ceux du dirigeant. Ses mots n’étaient pas à prendre à la légère et le sort des Almiens étaient toujours un sujet alimentant maints débats. Mais la réputation de
Sognir était assez vivace et respecté, surtout chez les plus anciens, pour qu’on affirme une chose simple à son sujet : le Galazandi n’était pas un agitateur inconscient.

« Grand-Roi, ton discours a ravi nos esgourdes, galvanisé nos jeunes braises et fortifié les convictions d'nos anciens. » débuta t-il, « Je parle au nom du clan Brokkgog, qui jadis connaissait les routes et les artères par d'là la montagne d'la plaine ou nombre de nos frères ont été fauchés par la colère du père, maudit soit-il. Nous proj'tions initialement d'commencer une percée d'puis les montagnes au nord de Thanor afin d'regagner les anciennes mines par la plaine, et sache que nous n'abandonnons pas l'idée d'te demander audience à ce sujet, mais pas d'suite. »

Un projet qui pourrait rapidement prendre plusieurs ennéades, quand bien même ils instaureraient des groupes de jour et d'autres de nuit.

« Car ton entreprise nous semble finalement être une opportunité d'étudier le sol - et le sous-sol - sur place afin de pouvoir prospecter. Nous mettrons à disposition not' propre matériel de transport et nos meilleurs éléments au cas ou nous trouv'rions quelques gis'ments sur place. Nous n'sommes pas de fiers guerriers à la hauteur d'la garde de Kirgan. » poursuivit-il en hochant la tête humblement en direction d'Ararün avant de reprendre d'un ton plus fort et enjoué, « Mais nous assurerons not' prop' sécurité autant qu'faire se peut. C'que nous trouv'rons sur place permettra d'relancer d'autant plus les grandes forges de Thanor dont les artisans frapperont bientôt l'Azul nuit et jour. »

Après une courte pause et ces quelques formalités, il acheva son discours.

« Si not' présence t'favorable, nous prendrons activement part à cette sortie et tent'ront également de ram'ner les dépouilles de nos frères et sœurs perdus pour préserver l'honneur de notre famille. Notre clan te suivra jusqu'à la fin, quand bien même fusse t-elle dans les flammes de la montagne. »

J'ai mangé, un peu. J'ai bu, de l'eau. J'ai observé, beaucoup. J'ai écouté, tout ce qui était à portée de mon oreille. Personne ne prête attention à une jeune tresse aussi frêle que moi et aux doigts asséchés plus par les pages des livres que par le maniement de la hache. D'ailleurs, quand Harald commence son discours, je ne peux m'empêcher d'étirer un sourire en coin. Il me met dans quelle case ? Les jeunes Braises-Vies ou les Gardiens du savoir ? Cette pensée m'amuse mais je ne me détourne pas de son propos pour autant. J'en écoute chaque parole et je commence à me maudire de ne pas avoir pris de quoi écrire. Je vais avoir du mal à me rappeler tout ce qu'il a dit... Ça irait si au moins les autres ne se mettaient pas à enchaîner sur d'autres sujets...
Bon, je vais me concentrer sur les grandes lignes du discours d'Harald. Ce n'est pas très grave si je ne le retranscris pas mot pour mot. Et puis, je le lui lirai. Comme ça, il pourra me dire ce que j'ai oublié. Quant aux autres, je n'ai pas besoin de me souvenir de ce qu'ils disent, seulement de l'essentiel. Ararün : direction le volcan. Sognir : problème avec le dirigeant d'Almis. Hjolgrim : la recherche d'un nouveau filon. Je m'en sors pas si mal avec ça, non ? Dans tous les cas, je suis pas couchée parce qu'il va falloir que je mette ça sur papier tant que c'est clair dans ma tête...

Mais alors que tout le monde commence à se positionner, je me demande où est ma place à moi dans tout ça. Harald ne semble pas vouloir bouger donc, à moins d'un imprévu, je ne manquerai rien en m'éloignant quelques temps. Bon, mon père me tuerait s'il apprenait que je suis partie en mission, mais bon...
Tenant un couteau à la verticale, la pointe sur mon assiette, je joue à le faire tourner tout en réfléchissant. Un volcan grand ouvert, qu'est-ce que cela peut-il bien avoir révélé ? Et en même temps... Je dois bien admettre que les Engeances de Brissea m'ont toujours interpellée. J'ai été placée sous sa protection par le biais de mon prénom, savant mélange entre le joyau et le nom de la déesse. Alors, forcément, j'ai du mal à imaginer qu'elle ait pu réserver ce sort à certains de mes Frères et Sœurs... L'a-t-elle vraiment voulu ou ne s'attendait-elle pas à l'effet que cela produirait sur eux ? J'ai tellement de questions...

Perdues dans cette réflexion, je lâche mon couteau sans fer exprès. Le métal du couvert cogne avec un certain fracas celui de l'assiette et quelques regards se tournent vers moi. Dans un geste rapide et maladroit, je croise les bras sur la table. Je ne sais pas trop si je veux me donner l'air de rien ou dire que j'arrête mes bêtises mais peu importe. Je relève mon regard vers le dernier qui a pris la parole, les joues légèrement rougies pour m'être faite remarquer comme ça.

Oups... !

Kirgan.. Cité autrefois prospère, proéminente dans le paysage du Zagazorn, où l’on retrouvait la puissance d’une couronne séculaire régnant grâce au peuple, pour le peuple, depuis le confins de ce monde jusqu’aux dernières cymes des arbres du Lörn. Combien avait-elle possédé de galeries ? Un nombre incommensurable, pour sûr.

Oh, oui… Kirgan.. Les Rois et les Reines du Zagazorn se succédèrent sur son trône depuis les âges sombres de la destruction d’Ankorong. Lorsqu’ils vinrent du lointain Nord, inaccessible aujourd’hui, autrement que dans les songes, ils dirigèrent le monde des Nains depuis cette cité tentaculaire. Une cité de pouvoir, oui. Une cité forte. Avec son armée. Son peuple. Ses richesses. Toutes ces choses qui font des Nains, un peuple aux richesses incroyables et aux pouvoirs insondables.

Mais, plus encore que tout le feu rougeoyant des hauts-fourneaux de la belle cité du cœur du Zagazorn., plus encore que les montagnes d’or, de rubis, de saphirs… Plus encore que l’odeur âcre et forte de ces métaux divers, rarissimes pour certains, communs pour d’autres, que l’on travaillait avec acharnement… Dans le cœur d’Yggdar, ce qui lui manquait réellement, aujourd’hui, c’était les savoirs perdus dans la Gransalle des Scriberunes.

Wyrgar, le Sage-Pierre, serait sans doute de son avis. Car plus que quiconque ces derniers temps, le Scriberune oeuvrait d’arrache-petons pour pouvoir retrouver cette salle mythique. Celle-là même où Yggdar avait apprit le secret des runes, voilà tant d’années, auprès de son maître. Oh… Revoir cette sale, voilà qui emplissait ses rêves depuis tant et tant d’années… Et revoir l’entrée d’un tel lieu avait été un incroyable rebondissement. L’espoir était revenu, ça oui…

Le clan Front-Noirci avait en effet fait des merveilles, aux côtés de clan Main-Ferme. Si l’un s’était illustré par une dévotion entière et sans faille pour ce chantier titanesque, l’autre l’avait rejoint plus tard, et dans des conditions plus sombres… L’opposition entre Braähm Main-Ferme et le Groman-Rik Harald était connue jusque dans la lointaine Molgrunn.

Mais la politique n’avait aucune importance aux yeux d’Yggdar. Du moment que les chantiers dédiés aux savoirs des runes et à la Gransalle continuaient d’être activement recherchés, Yggdar saurait se montrer agréable et patient envers les autres. Mais qu’un seul Dawi daigne faire passer ces chantiers runiques après d’autres aspirations, moins importantes aux goûts de l’archiruniste… Et son courroux se ferait grand.

Alors, lorsque le Groman-Rik parle des futurs combats, des entreprises risquées, des offensives et des projets, Yggdar se met à tapoter du bout de sa canne sur le sol de pierre, Tharkùnazorn. Sa fidèle canne forgerunée produisait de minuscules étincelles bleutées à chaque fois que la pointe s’enfonçait dans le sol. Sa rune de terre assurait à son porteur, un équilibre parfait sur tout type de terrain, et une résistance incroyable. Rien ne pourrait détruire la pointe, ni même atteindre l’intégrité du métal.

Yaknüt Yoründsson regardait le vieux Rhunki avec un fin sourire dans sa très longue et épaisse barbe blanche. Le vieillard, âgé de 273 ans, pouvait presque deviner toutes les pensées derrière la caboche du vieillard toujours fâché. Il posa une pogne amicale sur l’épaule meurtrie du scellerune.

« Allons, Yggdar. » Commença-t-il, alors qu’autour d’eux se levèrent tresses et poilus avides de combats et de beuveries, toujours prêts à faire honneur à leurs noms, leurs clans, leurs aïeux. « Cesses donc de faire ta tête de sanglier ! Wyrgar a retrouvé la Gransalle ! Toi-même, tu y étais ! Par les poils de la barbe de Yaron le Sage, souris ! »

« La bière est bonne… Mais pourquoi ne pas parler des runes ?! Et de la Gransalle ?! » Pesta alors Yggdar, tapotant la table en plus de sa canne.

« Par Yaron, arrête donc ! »[i] Dit l’ancien, plaçant une pogne douce et fraternelle sur celle du forgerune. « Ou tu creuseras bientôt jusqu’au Monde du Dessous à force de frapper ta canne. Je te rappelle que l’on voit encore les trous que tu as fait lors du serment de fidélité, il y’a deux ans. »

« Bah… » Pesta Yggdar, sachant pertinemment que son parent avait raison. Il bu alors cul sec le fond de sa chopine, avant de s’essuyer la barbe. « Puisque personne ne l’a fait, je vais le faire, moi ! »

Il se lève alors. Mais, petit, même pour un Nain, Yggdar doit se résoudre à attirer l’attention, d’une manière ou d’une autre. Il frappa alors se fidèle canne avec force contre le sol, dégageant une détonation presque semblable à celle d’un lourd marteau frappé contre un acier chauffé à blanc. On l’écoutera alors, dorénavant. Il prit la parole.

« L’antique Gransalle des Scriberunes a été retrouvée. En ce moment même, nos fiers-à-bras creusent la gangue pour retrouver les savoirs perdus d’nos anciens. » Dit-il, d’une voix qu’il voulut forte, mais que des années de labeur, de suie et de poussières de métal, avaient fini par rendre moins puissante, raillée et rauque. « L’conseil des Archirunistes s’réunira ici, bientôt, à nouveau. Oh, nous n’oublieront pas Molgrunn, l’cité des Gueules-Brûlantes. Ah ça non. Yaron lui-même nous maudirait d’oublier telle cité. Mais les runistes r’viendront au cœur de Kirgan, afin de collecter, sauver et retrouver les savoirs d’nos aïeux. Qu’ceux qui ne se retrouveront point dans les expéditions futures, qui resteront ici, viennent nous aider. Yaron bénira vos bras, j’en suis persuadé. Et par ma barbe, je frapperais à nouveau des runes au cœur du métal, avant la fin d’ma vie, au cœur d’la cité d’Kirgan. »

Puis, il reprit sa place aux côtés de Yaknüt. Ce dernier l’accompagna d’une pogne dans son dos, autant par soutien, que par soucis de sécurité. Le vieux Rhunki avait dit ce qu’il avait à dire.

Son dernier cri précédent le barbotage de lèvres sèches dans la bière humide, s’était suivi de cris de joie, d’allégresse et d’honneur, partout dans l’assemblée ainsi représentée face au Roi. Oh, quelques grognements de désaccords et de désapprobations naquirent ça et là… Les oreilles du souverain lui rapportèrent également quelques râles et autres paroles typiques de Nains peu satisfaits, ou qui s’attendaient à d’autres choses, d’autres déclarations…

Mais ainsi allaient les choses au sein du Zagazorn. Lorsque le Roi parlait, et administrait le royaume, et décidait de quoi faire des prochains combats, des prochains assauts, des prochains objectifs… Toutes et tous avaient le droit, sinon le devoir, de réagir et d’agir en conséquence. Que cela soit en accord avec ce qui s’était dit, ou en désaccord. Jamais ô grand jamais un Nain ne verrait d’honneur à garder son caquet fermé. Au contraire, faire valoir ses revendications, voilà qui était la voie honorable pour un thane. Car, ne l’oublions point : le Roi n’était Roi que par la bénédiction des thanes.

Le premier d’entre eux qui prit la parole, le fit dans le soutien et l’abnégation d’un soldat désireux de suivre les ordres. Ararün. Harald eut un sourire en coin, avant de frapper la table de sa chope vide qu’il voulut remplir. Le soldat Kirganais de souche s’était montré des plus utiles, et des plus robustes ces derniers temps. N’hésitant pas à ramener son gueuloir dans les esgourdes du souverain dès lors que quelque chose ne lui plaisait pas, gueulant son approbation ou son soutien dès que cela lui paraissait important, l’officier était digne de confiance.

« Ainsi soit-il ! » Dit-il, d’une voix forte, pour se faire entendre. « Ararün, tu seras en charge de cette opération ! Qu’Ikthor m’en soit témoin, et puisse Brisséa et le Puissant protéger ton chemin, et celui des fiers Dawis qui t’accompagneront. Prépare une armée, et prend avec toi les meilleurs artisans et experts qui puissent vouloir t’accompagner. BARUK ! »

A nouveau, la salle fut emplie des cris de celles et ceux qui profitaient d’un gueuleton de qualité, tout en reconnaissant à celui qui venait de se voir offert l’honneur d’une telle mission historique, sa place parmi les célébrations du jour. Les gardes royaux eux-mêmes acquiesçaient ça et là, ressentant en leurs cœurs de combattants, l’ardeur des combats à venir.

Puis, une autre voix s’éleva. Une voix plus grave, plus rauque aussi, signe d’une vie dans les profondeurs et dans les poussières. Quoi de non commun, pour des Nains ? Rien, dirons-nous. Mais le Roi, lui, savait entendre et prêter attention à ce qui faisait l’unicité de celui ou celle qui s’adressait à lui.

Et, à l’instant, ce fut le cas d’Almis qui entra dans les discussions. La Perle du Nord, antique cité millénaire, cœur ésotérique du Zagazorn depuis les temps immémoriaux. Sognir Vieille-Veine. Tel était son nom. Tel était son clan. Et telle était la renommée qui suivait le sillage de ses pas, alors qu’il avait fait le trajet depuis le lointain contrefort, jusqu’ici, à Kirgan. Oh, oui. Harald connaissait ce clan. Et dès lors, le Nain qui demandait audience appuyait sa demande avec tout l’honneur et le passé glorieux de ce clan célèbre.

« Ainsi soit-il. » Dit Harald. « Le sort d’Almis n’a point été oublié dans mes paroles. Almis est dans ma caboche, depuis les batailles que nous tenions jadis, sous les ordres de feu Hardrek Poing-de-Fer, et du légendaire fils d’Ikthor… Les dieux puissent festoyer avec eux. » Dit Harald, baissant la chope vers le sol, vers le Monde du Dessous. « Là, sur les contreforts de la Perle du Nord, un fanatique parvint à me percer de sa lance, manquant presque de m’envoyer auprès de mes ancêtres. Jamais, depuis, Almis n’aura quitté ma caboche. Suis-moi, Sognir… Nous avons à parler. »

Une audience privée, donc. Dans le bureau royal. Mais point de suite. Car d’autres avaient des choses à dire, à faire parvenir aux oreilles de Harald. D’autres devaient parler, palabrer, demander. Et vint le tour du clan Brokkog.

« Ton cœur est pur, Hjorlgrim. Et tes intentions sont nobles. Puisque toi et les tiens connaissez les sentiers passés et les gisements d’autrefois, votre présence me semble plus qu’importante. Mais je ne serais pas disposé à perdre telle somme de savoir, ni tels honorables Dawis. La protection reviendra à Ararün, en tant que soldat. Et j’ai pleine confiance en lui. Puissiez vous retrouver les dépouilles de vos parents et les enterrer dignement. »