[Au sortir de l'Hiver] La Perle du Nord.

1er jour de la 1ère ennéade de Bàrkios – Second mois du Printemps.
Année XX | XI cycle.
Durant le banquet royal, après le discours.

Nombreux furent les témoignages de soutiens qui vinrent étoffer de ci de là, les réactions consécutives au discours de Harald. Galvanisé lui aussi, par ces marques et par tous ces regards et ces cœurs qui, à l’unissons, battaient d’un rythme endiablé, Harald était optimiste. Optimiste envers l’avenir bien-sûr… Mais optimiste, également, face aux conséquences positives qu’auraient les derniers évènements sur le monde des Nains, et sur son propre règne. Oh son cœur saignait…

… Il saignait encore de la mort de son fils ainé, survenue bien trop tôt. Le guerrier qu’il était avait toujours désiré une telle fin. Jamais ô grand jamais, Thorald ne s’était vu vieillard entouré d’enfants et de petits enfants. Jamais non plus, il n’avait voulu d’une vie simple et pacifique. Le guerrier était, après tout… Un guerrier.

Mais son sacrifice n’était pas vain. Non. Harald y croyait. Il devait y croire. La mort de son fils, dans la Nérania, ne pouvait point se solder par autre chose qu’une victoire sur le long terme. Les Engeances seraient sauvées… Sinon, elles seraient anéanties. Définitivement.

Conformément à sa parole, et à la demande honorable d’une vieille barbe, Harald menait Sognir jusque dans le bureau royal, un endroit calme, dédié à l’étude et à l’administration du royaume. Lorsque s’ouvrirent les deux lourdes portes de bois de chêne savamment travaillées, Harald mena le vénérable ancien jusqu’au cœur de la pièce. D’un côté se trouvait le bureau du Roi, où œuvrait jadis, feu Hardrek Poing-de-Fer. De grandes armoires et autres bibliothèques se dressaient de part et d’autre, excepté sur un mur, le plus au Nord. Ce dernier représentait une carte du monde, à l’échelle, gravée dans le roc de la montagne, annotée de marques diverses et variées représentant tantôt le grand mur du Sud, tantôt les comptoirs, les forts et fortins.

Harald fit signe à l’ancien de prendre place, lui, et quiconque il aurait jugé bon d’amener avec lui, sur les sièges présents devant le bureau. Un garde se trouverait non loin. Sa mission serait simple : ramener autant de nourriture et de bière que nécessaire durant cette entrevue.

« Sognir, du clan Vieille-Veine… » Commença alors Harald. « … Tu es ici chez toi. Parle librement, et par ma barbe, dit ce que tu as a dire. La Perle du Nord compte sur ta parole aujourd’hui… » Dit-il, solennel, sans pour autant oublier l’importance de cette situation, de cette discussion. « Tout comme moi. »

Quand fut venu le temps de l’entrevu, Sognir manda Dagoran de le seconder, il n’existait parmi sa troupe, qu’un seul nain apte à ourdir les paroles qui seraient échangées. Point que les autres ne soient assez futé pour les entendre - du moins presque tous ; mais le Racleur souhaitait qu’ils profitassent au mieux de ce moment de liesse et d’échange, si rare aujourd’hui pour le peuple de la montagne. Lui et le Porte-Bouclier ne se faisait plus d’illusion, tout deux, à leurs manières, ils avaient trop usé le manche de la pique, s’ils souriaient, buvaient, festoyaient même, cela n’était au mieux qu’une façade censé masquer l’abîme d’une myriade de blessures toujours trop vives. De plus, le Racleur le savait : il ne vivrait plus un autre siècle, les choses devaient donc s’accélérer s’ils souhaitaient offrir un meilleur futur aux siens. Ils s’étaient jurer ne prendre repos et bon temps, qu’une fois que le temps serait venu de rejoindre la grande tablée de ses ancêtres.

C’est donc sans grands mots qu’il faisait chemin en suivant le Groman-Rik dans son bureau privatif. Durant le trajet, il lorgna de son oeil expert les contours solidifiés des tunnels de Kirgan la Belle. Chaque moulures, chaque bas-relief était une oeuvre d’art digne des plus habiles artisans du peuple et il dut s’avouer à soit même que ce simple relucage, lui fit quelques biens au palpitant. Ainsi c’est dans un sentiment plutôt bon - toute notion gardé en parlant la d’un Ancien , qu’il s’installa le plus confortablement possible dans le fauteuil qui lui fut alloué. Dagoran, la trogne basse, le sourcil froncé, préféra rester debout une simple choppe à la main. Durant ce laps de temps ou deux paroles furent échangés, Sognir en profita pour allumer son brûlegueule et commença à extirper de lent et épais nuage de fumé. «  Toutes bonnes discussions se doit d’être accompagné de hale et d’herbes, retient cela mon petit. ». Une citation qui lui revint spontanément et attribué à Dukankar le Sage, son plus ancien maître. Quand le Grand-Roi lui donna parole, Sognir la saisit.

«  Grand-Roi, je ne suis pas sans connaître tes projets pour la Nérania. Je ne suis pas non plus aveugle aux blessures que la Vallée aux Pins ta faite et au lourd tribu qu’elle ta prélevée, soit sûr que nous partageons le sort de chaque barbe tombé. » Il marqua un instant de silence manifeste et teinté de respect. «  Mais il me faut maintenant te dire les choses comme elles le sont réellement pour les habitants d’Almis. »

Il toussa avec force, grogna, et déroula de son veston, le parchemin qu’il avait conservé secret jusqu’ici. Le vélin était large et constellé d’un amoncellement de runes naines qui, quand on se penchait dessus, se révélait être une liste de nom et de clan suivit des différents sceaux liés.

«  Malgré mon âge, je me bats toujours Grand-Roi, jours après jours, nous parcourons les souterrains à l’embouchure des tunnels qui furent scellés par l’Oeil-Tempête. Si les grobis sont moins nombreux, ils sont toujours la. Avec eux, d’autres mal et d’autres bêtes que je ne serais te décrire mais que nous, mineur, connaissons bien. Dans les boyaux, des barbes et des tressent meurent toujours et quand vient le moment de mander aide et protection, nos requêtes reste veine. La Chante-Roche reste sourde. Cette situation ne peut plus durer Harald fils de Thormund, celle que tu as placé à ce poste, ne remplit plus son rôle de Gardienne de l’Est. On l’a dit relu dans les salles hautes à tenter de déchiffrer les savoirs de la pierre, on l’a dit fermé à toutes discutions et à dire vrai, certains la prétendent même morte tant elle manque à l’appel. Si je sais une chose, c’est qu’elle refuse, volontairement ou non de me recevoir et aucuns de mes appels ne reçu réponses. »

Sognir était manifestement plus énervé qu’au début de sa tirade tant la situation l’exaspéré. Il pensait effectivement que cette jeune naine s’était perdue dans les méandres de sa propre caboche et qu’il était difficile pour elle de reprendre le chemin menant aux filons.

«  Voici la liste des Thanes, Anciens et Longues-Barbes m’ayant mandé pour faire ce voyage et te transmettre ces paroles. Voici ceux souhaitant que j’accède au titre de Narundi. J’aurais attendu une de tes visites pour te la remettre, mais les évènements du Nord et la disparition de la Montagne me font craindre le pire si nous n’agissons pas rapidement. Dans les souterrains, la colère gronde et les Almiens déjà blessés par les évènements que nous connaissons tous, ne peuvent se permettre veines querelles. Aussi je te le demande, permet moi d’accéder à cette requête. Il me sera alors possible de rétablir l’ordre en mettant bon fer dans bonne caboche. Nous devons faire front uni et dissipé les velléités causés par l’absence de la Chante-Roche.»

Les mots du Gromtrommi étaient crus, mais vrais. Ils étaient forts, mais ô combien simples. Ils étaient prononcés avec la ferveur des convictions et des sentiments, des pensées et du vécu que seul un Almien de souche pouvait rendre tangible. Palpable. Presque… Visible, devant les mires d’un étranger.

Car bien que Harald soit un fier Dawi et un pur produit du Zagazorn, il demeurait un Dawi du Brissalion. Oh, il avait vu Almis, bien avant la tempête de la guerre civile… En tant que fier Mogarite et combattant invétéré appréciant la violence, il s’était rendu entre les murs de l’ancien Grand Temple du Père pour rechercher ses bénédictions, pour lui demander son aide face aux combats menés tantôt contre les Grobis, tantôt contre les sauvages venus des Wandres. A cette époque déjà, Almis était réputée pour sa dangerosité : Grobis, Kobolds, Kerkands et autres créatures ténébreuses ou solitaires, chassaient dans les profondeurs et dans les sommets entourant l’Almion. Et pourtant, elle était resplendissante et magnifique.

Mais le Voile, puis la folie d’un prêtre, la réduisirent presque à l’état de ruine trop dangereuse pour accueillir la vie. Même la vie des Dawi, pourtant guerriers réputés et troglodytes naturels. Ses contreforts étaient invivables… Ses profondeurs, territoires préférés de créatures viles et féroces. Placée sous loi martiale depuis des années, le dirigeant était nommé par la couronne, et la cité ne répondait qu’aux ordres directs de ce dernier, et du souverain. Définitivement moins autogérée que les cités de Lante et de Thanor, le pouvoir central y était fort et omniprésent.

Et pourtant, les Dawi continuaient d’y mourir en trop grands nombres. Une vie Dawi valait bien plus que tous les gisements aurifères de ce monde. Bien plus que tous les filons de métaux et de minerais. Harald, bien-sûr, savait que la mort frappait plus souvent en l’Almion que nulle part ailleurs. Mais le témoignage du Gromtrommi apportait un nouveau regard face à tout cela.

« Les nouvelles que tu m’apportes sont bien tristes… Oui, bien tristes… » Déplora Harald, la mine sincèrement contrite, le cœur larmoyant d’une tristesse sincère. « S’il est vrai qu’Almis représente le cœur de mes projets depuis mon élection, je n’ai sans doute pas porté assez attention à Inga Chante-Roche… Jusqu’à aujourd’hui. » Jusqu’à-ce qu’enfin, les voix s’élèvent d’au-delà les profondeurs de la cité du l’Est. « Ils existent des choses qui eurent lieu voilà quelques années, au cœur de la Perle du Nord… Des choses que personne ne sait. Feu Hardrek avait géré la chose dans le plus grand secret, car seuls quelques runistes, et quelques soldats, purent être les témoins de ces affreuses choses… »

Les Mares Noires, évidemment. Ces Mares, dont Harald apprit l’existence en lisant des heures durant, les vélins et parchemins que possédait Hardrek dans son bureau, ce bureau, sur lequel reposent ses pognes actuellement. Là, il découvrit l’ampleur de la menace… Une menace magique, laquelle fit naître plusieurs Golems de fer qui tuèrent de courageuses Braises-Vies. Aujourd’hui, le piège est refermé. Du moins, elle est protégée. Les runes s’en assurent, et quelques runistes s’assurent que les runes demeurent présentes, capables, et que la magie n’est point altérée.

Peu de temps avant cela, Hardrek avait nommé Inga au poste désiré aujourd’hui par Sognir. Mais les rapports envoyés par la bavette au fur et à mesure des mois et des années, s’étaient faits de plus en plus disparates, et de plus en plus centrés sur l’analyse de ces pierres runées… Le témoignage du vénérable ancien semblait donc se corroborer… Et puis, de toute manière, pourquoi mentirait-il ?

« La Narundi avait été choisie par feu Hardrek. Mais ses derniers comptes rendus se sont faits… Rares. Aujourd’hui, je comprends pourquoi… » Et pourtant, nul ne pouvait retirer à la jeune bavette, l’étendue de ses capacités, et les réussites qui furent siennes. « Nombreux sont tes soutiens. Et tous remettent leur honneur entre tes pognes. De quoi aurais-tu besoin, Sognir, afin d’aider la cité ? »

Plus de soldats ? Plus d’approvisionnement ? D’accélérer la reconquête ? Des questions, et des informations qui seraient importantes pour Harald. Il ne s’agissait pas de prendre une décision trop rapide… Car Almis méritait bien toute l’attention du monde.

Tout aussi Ancien qu’il était, le Racleur n’en était pas moins éclairé au sujet de certaines discutions. Les siens logeaient dans les parties basses de la Perle du Nord, la ou jamais aucunes lumières naturelles ne filtre, la ou les ténèbres dormaient et virevoltaient à la lueurs des torches et autres pierres lumineuses. Mais cette condition ne l’empêchait pas d’entendre et de récolter les racontars et autres palabreries de fond de boyaux. Les langues se déliaient toujours et dans le Khaton, on avait reprit l’habitude de commenter les différents faits et gestes commis une fois la pinte de trop atteinte. Sognir grogna une nouvelle fois et le panache de fumée qu’il extirpa dans le même temps par ses naseaux, le fit passer pour un vrai cracheur de feu.

«  Mmh. J’ai eu vent des rumeurs auxquels tu fais allusions Grand-Roi, j’arpente cette cité depuis deux siècles, par l’Almingirt qui reliait feu Gormonkar, nous commercions avec Almis sans s’arrêter et cela, depuis les temps du Premier Exil. Dans ma caboche, les secrets des Zagazkroni qui me précède sont toujours vivace et certains, comportes des faits troublants sur d’antique et sombre secret. Mais toutes les Cités du peuple en comportent leurs lots. Qui sait dire ce que recèle encore les boyaux les plus bas de la Belle reconquise ? Qui pourrait certifier qu’aucunes menaces ne dort encore dans les tunnels fondateurs de Thanor ? Qui connait réellement les affres que subirent les premiers piocheurs de terre quand ils érigèrent Lante ? Nous ne nous protégerons des maux du passé, uniquement en restant vigilant. »

Comme tout les plus vieux parmi les barbes, il appréciait remémoré les bribes tout en s’écoutant un brin parler. Un mal qui frappait tous ceux ayant vécut et qui restait toujours assez sain d’esprit pour témoigner. Mais l’instant n’était pas à plus de philosophie, l’instant était au concret, c’était la ce que le Grand-Roi attendait de lui.

«  Almis à besoin de retrouver cette vigilance. Nous nains sommes ainsi fait, taillé pour obéir, hors si aucuns n’ordre jamais n’émanent, nous nous fourvoyons rapidement en conjonctures qui nous poussent dans des retranchements périlleux. C’est donc d’abord de stabilité que la cité à besoin et cela afin de calmer les craintes qui agitent les dawis. Une fois atteinte, je ne te mentirais pas Grand-Roi : nous manquons toujours de bras et des ressources nécessaires pour stabilisé l’expansion. Les caves à frongol produisent constamment, mais le gibier se fait rare et partir à la chasse ne peut se faire que via de lourde escorte armée. En réalité Harald des Brise-Os, je n’ai besoin que de ton soutient marqué, car de celui ci, découlera tout le reste, aide moi en remettant la Perle du Nord la place qui est sienne : la Cité de l’Est et non pas un simple fortin arrière recluse et croupissante. Nous aurons besoins de toutes les bonnes volontés, mais pas sans contrepartie. Dans les jours qui arrivent, si tu souhaites vraiment te rendre au lieu de la Disparition, nous mettrons tout en oeuvre afin que les troupes reçoivent le meilleur des accueilles et bénéficient des meilleurs conditions pour se rendre dans cette partie du Septentrion. »

Une quinte de toux acheva son discours plutôt enflammé, le vieux charbon entre ses côtes s’étaient réveillés ; Sognir rongeait son frein depuis maintenant trop longtemps et appréciait réellement pouvoir partager ce qu’il avait sur le palpitant directement avec le Grand-Roi. Dagoran lui tendit sa choppe afin qu’il puisse lubrifier son canal à bière, le Racleur en renversa une bonne rasade dans sa barbe, prit un moment pour se calmer, puis repris en courant une nouvelle pipe.

«  Il y a un dernier sujet qui je le sais, doit te tarauder, autant que le mien. Sache Grand-Roi, j'ai détourné mes pensées des dieux. Ma foi, réside en celle des Ancêtres. Si les dieux furent pour nous toujours des parents sévères, ceux qui furent des nôtres restent mes réels guident. A travers leurs enseignements, il nous faut tirer leçon du passé et toujours aller de l’avant. »

Harald n’avait rien demandé, mais Sognir était assez éclairé pour connaitre les ombres qui se cachaient dans le palpitant du dirigeant.

L’instant avait beau être d’une importance capitale, Harald l’appréciait à sa juste mesure. De plus en plus, la politique devenait intéressante et importante pour le Groman-Rik. Oh, le guerrier restait un guerrier, et reprendre la hache une fois de plus lui faisait si envie ! Mais il était le Roi maintenant, et cela lui demandait donc de gouverner, de prendre des décisions, et de prendre de la hauteur… S’éloignant ainsi des actes glorieux du combat sanguinaire.

Mais oui. La discussion avec la vénérable barbe d’Almis était revigorante. Car face à lui, il avait une barbe digne. Il avait un combattant. Il avait un Almien de souche, l’héritier d’une histoire millénaire dans cette partie du monde qui, bien qu’inhérente au Zagazorn, demeurait inconnue de la plupart des Nains. Il fallait dire que, depuis toujours, la vie dans l’Almion, et dans Almis, était difficile et… Particulière. Et Sognir l’ancien ne demandait qu’une chose au souverain du Zagazorn : les clés de la cité de l’Est.

Devenir Narundi. Le gardien de l’Est. La dirigeant local. Seul dirigeant, aujourd’hui, a être directement nommé par loi martiale, contrairement aux cités de Thanor et de Lante, devenues largement indépendantes. Sognir voulait les clés de la cité, mais pas par orgueil, non. Car l’ancien avait déjà eu sa dose d’aventures et d’orgueils dans la force de l’âge. Aujourd’hui, et cela ce sentait, il parlait avec la sagesse de celui qui avait trop vu, trop entendu, trop… Vécu, peut-être même.

Harald ne connaissait pas personnellement l’individu. Il ne l’avait peut-être croisé qu’une fois, durant les batailles, ou peut-être au détour de l’ancien temple de Mogar, lorsqu’il s’y était rendu par le passé. Peut-être que ni le mineur, ni le capitaine Lantais, n’avait jamais posé les yeux l’un sur l’autre autrement que pour une salutation cordiale. Et pourtant… Il le croyait. Il croyait en ses motivations, en ses propos, et en sa parole. Sa prise de position, infaillible, semblait réfléchie depuis des lustres.

Ainsi, même lorsque l’ancien indique n’avoir plus aucune once de foi en les dieux, et uniquement pour les ancêtres, Harald n’en trouve ni offense, ni insulte. Le culte des anciens était largement répandu au Zagazorn depuis les temps jadis… Et plus encore, sans doute, depuis l’Ire du Maudit. Ceux qui furent cruellement arrachés sont vénérés, alors qu’ils festoient dans le Monde du Dessous… Cruelle ironie que de ce dire que ceux qui périrent sous le joug de Mogar, festoyaient à sa table dorénavant, et depuis tout ce temps.

« Aller de l’avant, grâce aux enseignements des ancêtres… » Répète-t-il. « Voilà bien un enseignement d’actualité, et d’une importance capitale. Ip. Acquiesce-t-il, tant de la voix que du chef. « J’avoue, pour ma part, croire en Ikthor avec la même force que je l’ai fait jadis pour le père. Après tout… Je suis un guerrier… Et de nombreux combats doivent être menés aujourd’hui, demain, et dans les années encore à venir. Ma lame n’a pas fini son œuvre, par les dieux ! » Témoignait-il, comme galvanisé par ses propres propos. « De la sagesse des anciens… Voilà bien ce dont Almis aurait le plus besoin, je pense. »

Un garde apparaît alors avec un plateau empli de chopes. Il en dépose une devant chaque Dawi avant de disparaître à nouveau. Harald s’en saisit sans plus tarder. Et, l’avalant d’une traite, laisse éclater un rot tonitruant provenant de ses entrailles après ce cul sec ardemment désiré. Il frappe le cul de la chope sur le bureau avant de s’exclamer.

« Par ma barbe ! Que je sois massacré par un Grobi aveugle et cul-de-jatte si je refusais ton honneur ! Je te soutiens ! »

Sans plus attendre, le Groman-Rik fouilla dans un tiroir de son bureau, retirant un vélin de qualité sans la moindre douceur. De sa pogne gauche, il agrippa un encrier d’un noir de jais et de sa pogne droite, la plume qu’il utilisait bien plus aujourd’hui que sa propre hache. Rapidement, il griffonna quelques runes importantes. La nomination par décret de Sognir du clan Vieille-Veine, au poste de Narundi. Refermant le vélin, il le cacheta de la cire rouge de Kirgan et du sceau royal, avant de la remettre à Sognir.

« Moi aussi, j’irais à Almis. »

L’espace d’un instant, le Racleur observa la barbe qui lui faisait face avec son unique oeil, mais un oeil cette fois ci, ô combien nouveau. Harald semblait réellement habité par ses propres paroles : ses mimiques, sa façon de réagir, d’annoncer les choses et de grommeler même, tout dénoté en lui la puissance d’une braise vigoureuse et forte mais aussi, prompt au coup de sang. Il avait ourdit des rumeurs sur le clan royal du moment, un clan qui portait un nom qui n’avait rien de philosophique ou de métaphorique. Un réel clan guerrier qui avait dut forger durant les âges, des barbes faites d’acier. Sognir s’était toujours méfié des guerroyeurs, qui bien que faisant partie des piliers de la race, étaient souvent bien trop rapide du tranchoir, qu’il soit fait de fer ou de chair. En réalité, Sognir c’était toujours méfié de tout le monde ou presque, une tare qui lui avait été légué par les nombreux nains qui l’avaient précédé ; un sentiment d’ailleurs, qui n’avait fait que croitre durant le Voile et la perte de son foyer ancestrale.

Alors, c’est d’abord dans un silence respectueux qu’il reçut le vélin des mains du Grand-Roi. Parcourant de sa vieille pogne le morceau de parchemin qui venait de lui être remit, il accusa l’instant, sachant que trop bien que le réel travail ne faisait que commencer. Dans son dos, il pouvait sentir la respiration forte du Porte-Bouclier qui lorgnait ostensiblement dans sa direction. Dagoran devait sûrement se sentir aussi soulagé que lui, mais le Hérault était bien trop taciturne pour se permettre une simple réaction. C’est Sognir qui brisa le figé du moment en rangeant le précieux document dans la même poche qui avait accueilli les sceaux des clans Almien. L’Ancien se fendit en suite d’une révérence toute naine, du style d’on seul les vieilles barbes avaient le secret : une inclinaison raide accompagné d’un grognement sonore en direction de Harald, sa façon à lui de le remercier.

« Ainsi, voici le premier coup de pique. Nous mineurs des Vieille-Veine avons pour habitude de partager la gnôle à cet instant. Le tunnel qui m’attend sera long et hardis à sécuriser, mais avec ton soutient et la confiance que tu m’accordes en cet instant, Harald Thorgmunsson, la voix sera rapidement praticable. »

Le Racleur joignit le geste à la parole en extirpant d’une seconde poche, une flasque de cuivre ciselé qui contenait un liquide blanchâtre. L’odeur qui se diffusa était caractéristique : une distillation de frongol. Un alcool plutôt rare, même en Zagazorn qui était généralement l’apanage des clans de l’en dessous. Son goût était aussi infecte que sa hume, mais on s’y habituait vite avec le temps. Sognir en racla une lampée, passa la flasque à Dagoran qui l’imita et le combattant des tunnels fit de même en tendant le bras en direction de Harald.

«  Je rejoindrais la Perle du Nord au plus rapidement Grand-Roi, m’accompagneras tu ou d’autres obligation t’attendent encore avant ton départ pour la Cité de l’Est ? Il me faudra organiser rapidement les préparatifs à l’arrivé de l’expédition, mais cela ne devrait pas prendre trop de temps. Le Khaton possède assez de masure pour accueillir cinq fois la peuplade actuel, nous ne serons pas à l’étroit. Ne prend pas ombrage de mon attitude hâtive, mais le temps me manque, je ne suis qu’un vieux charbon parmi un brasero de braise toujours bien luisante. »

Ainsi donc, la décision fut prise, et la chose, dorénavant, était entendue. La cité de l’Est, l’Etoile du Nord, allait avoir un nouveau dirigeant. Un dirigeant nommé, l’un des seuls à l’heure actuelle au Zagazorn. Le Vieille-Veine avait de nombreux, très nombreux soutiens dans la cité. Les témoignages attestaient de cet état de fait. Satisfait, Harald se laissa aller aux festivités proposées : un verre d’un alcool qu’il n’avait que très peu goûté dans sa vie.

Et le moins que le souverain puisse dire, fut que l’alcool était… Surprenant. Il ne s’était point souvenu de cette agression du palais une fois l’élixir mit en bouche. Heureusement pour lui, il était fort bien bâti, et son gosier en feu pu encaisser les assauts sans le faire tressaillir face à son vis-à-vis. Toutefois, il souffla longuement après cette gorgée, signe de la force du breuvage bien-sûr, mais aussi de l’attrait qu’il lui portait. De cette manière, Harald pouvait apprécier chaque arrière-goût et chaque bribe de cette liqueur qui revenait du gosier, dévoilant quelques nouveaux arômes que les papilles, brûlées sur le coup, ne surent décrypter.

« Par les roustons d’Girdon, cette fiole décaperait le gosier d’un golem ! » Dit-il, soufflant encore, raclant ensuite sa gorge comme pour se remettre de ses émotions. « Je t’accompagnes, bien-sûr ! »Lui répond-il. « Mais pas tout de suite, et pas demain. Le Grand Nord nous attend, pour une expédition importante, ça, tu le sais. J’en ai donné le commandement à Ararün ! Mais je me dois de lever une autre armée pour te raccompagner, et mettre certaines choses en place. Tu dis avoir besoin de la sagesse des anciens, et de stabilité pour Almis. Le contingent sur place a été diminué, depuis le retour des Almiens de souche voilà deux années. Nous y retournons, avec une armée, afin de poursuivre la sécurisation des lieux. » Dit-il, reprenant cette fois ce qui lui restait de sa propre bière. « Par ma barbe ! Nous allons manger ! Puis nous allons nous battre. »

Après tout ce temps passé à s’occuper de la politique extérieure, des accords avec les Humains, et des ententes avec les Elfes, Harald s’était senti épuisé. Son épuisement s’était fait encore plus fort lorsque son ainé sacrifia sa vie dans la Nérania pour une grande cause. Difficile fut son existence, grands furent ses tourments. Mais là, aujourd’hui, alors qu’il se tourne pleinement sur l’avenir du Zagazorn… Il était excité autant qu’il était lui-même transcendé.

Et c’est sur ces instants, ces mots, et cette motivation renouvelée, qu’il mena tout ce petit monde jusqu’à la salle du trône, reprendre le banquet là où les autres l’avait mené.

Ce qu’il redoutait, arriva. Plus rapidement qu’il n’aurait sut le prédire et cela, malgré sa grande expérience d’entregents parmi les membres du peuples. Dagoran se resservit une lampée du fameux liquide, seul moyen pour lui de cacher ses appréhensions face aux paroles du Grand-Roi. Sognir lui, n’eut pas besoin de s’en remettre une dans la margoulette : il avait l’esprit clair et vif, même si le reste de son corps lui ressemblait plus à une vieille ruine abandonné. Ses craintes étaient légion quand elle concernait son peuple, surtout celui qui évoluait toujours dans les boyaux d’Amis. La Perle du Nord souffrait depuis la terrible éclipse qui dévasta ses places et ses loges ; depuis que les grobis y avaient percés la gangue, elle n’avait jamais arrêté de saigner et même aujourd’hui, la plaie béante ne semblait pas vouloir se refermer totalement. Le Racleur doutait qu’il soit de bon augure de chercher à cautériser cette cicatrice avec encore plus d’acier. Aussi, il ne chercha pas à ses pensées au souverain.

«  Grand-Roi, Almis à besoin de stabilité et y loger une armée, car tel sont tes mots, ne me semble pas approprier. Comme tout les nains, les Almiens apprécient cette indépendance offerte aux repentis : nous travaillions durent, jours après jours, dur à mal comme le sont toutes les tresses et barbes du Royaume, mais la méfiance restera toujours de mise face à une troupe armée débarquant en nombre. Si tu souhaites affermir ton autorité en gardant sauf la confiance que t’accordes le peuple, voici mon premier conseil : sécurisons la route de la Nérania. Rebâtissons le réseau de fortin en commençant par installer des avants postes temporaires. C’est ici que le gros des troupes trouvera une utilité et les chasseurs d’Almis prendront pleinement par à l’effort. »

Il reprit une bonne bouffée d’herbe à pipe et redevient l’espace d’un instant, le vieux dragon. Dans sa caboche, plusieurs idées germaient et l’Ancien commençait à peine à effleurer le potentiel que lui accordait ses nouveaux droits. Trop longtemps il avait remit à entre d’autres pognes les décisions qui lui semblaient le plus judicieuse.

«  Si tu me l’accordes, je partirais à l’aube pour la Perle du Nord. Une fois sur place, je préparerais le peuple à ta venue et à celle de l’expédition : ainsi, aucunes braises ne sera lésé et tous sauront de quoi il retourne. Je ferais envoyer en suite, les continents de montagnards de la cité afin qu’ils puissent baliser le terrain et t’avertir en cas de présence inhabituel d’Engeance ou de Berserker. »

Les menaces étaient nombreuses, mais le moment était venu de redonner un second souffle à l’albion et à la Nérania.

«  Si nous sécurisons une fois pour toute cette route, nous rendrons à Almis sa prestance passée. C’est de cela qu’à réellement besoin la cité : un passage sur pour les nains et les vivres. Une fois cela fait, nous pourrons nous occuper sereinement, de la menace qui agite le Nord. »

Harald se renfrogna. S’il avait vu les choses sous le prisme d’une certaine grandeur, l’attitude du nouveau Narundi l’étonna, et ses propos, d’une honnêteté sans faille, estompèrent l’envie et la passion d’une nouvelle entreprise expéditionnaire. Oui, Harald souhaitait affermir son pouvoir. Oui, il n’avait jamais caché cette envie qu’il avait de voir Thanor et Lante revenir toutes les deux dans le giron de la couronne, de la même manière qu’elles le furent autrefois. Certes, il avait su profiter de l’indépendance de Lante, en devenant Gazanundi en l’an XII de ce cycle. Mais, comme tous les Nains, il se souvenait des temps d’avant l’Ire du Maudit, lorsque la couronne resplendissait sur chaque parcelle du royaume des Nains. Mais il serait bien erroné de penser là que Harald ne voyait qu’une question de pouvoir.

Il voulait surtout un témoignage fort, par des actes, en plus des pensées et des discours. Il voulait montrer aux Almiens la puissance renouvelée de la couronne, la sincérité de ses projets guerriers pour l’Est et le Nord. Car, après tout, nombreux furent les thanes qui se déplacèrent pour élire Harald, en l’an XVII. Et nombreux sont ceux qui attendent encore l’acte décisif de son projet de reconquête des territoires. Les Almiens, plus que tout autre, souffrent de ce manque de contrôle territorial. Par un déplacement armé, il ne cherchait qu’à… Prouver. Prouver qu’il était là, qu’il pensait à eux, qu’il n’oubliait aucun des sacrifiés, ni aucune des Braises-Vies qui survivaient dans les entrailles du monde. L’acte de libération des Almiens exilés en l’an XVIII n’était point suffisant à ses yeux…

« Hum… » Grogne-t-il, se renfrognant. Sa main se crispa autour de sa chope, et son faciès se ferma un peu plus alors que ses mires dansaient de droite à gauche en regardant les prunelles laiteuses du Vieille-Veine. « Il ne s’agit pas ici de pouvoir… Mais de témoignages, de serments… Et d’honneur. » Un court résumé de ses pensées complexes qui motivèrent ces quelques mots, donc. « Ce premier conseil, je l’ai déjà deviné depuis longtemps, ami… »

S’envoyant ce qui restait dans sa chope, il la déposa avec une certaine lassitude dans le geste, sur l’ébène de son bureau. Se détournant des deux mineurs, il contempla la carte du monde, gravée dans le roc de la montagne. On pouvait y voir, stylisés, et peinturés, les forts et fortins qui existent sur tout le territoire : Fort Hardrek à Lante ; Fort Harald sur la sente des Neiges Eternelles, menant à Molgrunn ; le fortin qui suivait sur cette même route, afin de parfaire sa sécurisation ; le complexe construit au croisement des trois frontières Nérania/Brissalion/Virnée, où se trouvait jadis le hameau des Crin-d’Acier, et où Thorald perdit la vie… Et quelques autres encore. Notamment Gromgrund, l’un des seuls villages de tout le Zagazorn, prit par les Gobelins, reprit par les Nains durant les offensives.

« Et j’ai tout fait pour m’y tenir… Malgré les chantiers immenses. Des chantiers qui demandent toujours plus de pioches, toujours plus de sueurs, toujours plus de bois, de fer, d’acier et de labeur. Mais tel est notre peuple. Jamais il ne renonce ! Par les milles songes de Yaron le Sage… Je donnerais tout pour mon peuple… » Dit-il, sans se départir de cette carte murale, une voix à la fois profonde et grave appuyant ses mots. « Soit. » Conclut-il, se retournant finalement. « Je ne prendrais pas d’armées à mes côtés pour rentrer avec toi jusqu’à la Perle du Nord. Toutefois, je ne peux te laisser rentrer sans escorte, ni laisser plus longtemps les choses s’envenimer par chez toi. Si tu es d’accord avec cette idée, voici ma proposition… » Il se rapproche du Vieille-Veine. « Prend un contingent de soldats et quelques officiers, que je ferais rassembler au-devant du palais. Avec eux, établit des reconnaissances sur les portions de routes non sécurisées entre Gromgrund et Almis. Ils te protégeront, repèreront les lieux durant le trajet, et, si possible, établiront un poste avancé qu’ils pourront tenir durant la belle saison. Le temps pour nous de lancer l’expédition militaire, durant l’été. Qu’en penses-tu ? »

« Sagesse n’attend point forcément le temps qui passe. » cita machinalement Sognir en réponse aux dernières paroles du Grand-Roi. L’Ancien se surprenait à répéter presque mot pour mot, les élocutions que ses propres ainés avaient prononcé durant leurs temps. Peut être était-ce cela le réel secret de la transmission chez les nains : l’on ne faisait que répéter, inlassablement et avec grand entêtement, un cycle sans fin. Néanmoins, il se garde bien de le dire, car affirmer cela revenait à le faire passer pour une pie revêche à la glotte bien pendue, une image qu’il apprécia peu rien qu’à son évocation. Mais le Racleur n’en avait pas moins dit la vérité, Harald faisait preuve d’une sagacité qui trahissait encore peu, le prime avis qu’il s’était forgé sur lui. Autant pouvait-il sembler aussi cassant et violent que le laissait désigné le nom de ses dieux, autant il était manifestement devenu un fin dirigeant. En somme, le souverain venait de gagner quelques galons dans l’échelle interminable que confectionnait Sognir quand il s’agissait de classer les individus.

«  Cette proposition me convient Grand-Roi, que les barbes que tu auras désigné se tiennent prêtent à partir à l’aube, je n’apprécie pas voyager de jours ni à la lumière, mais pour rejoindre au plus rapidement la cité, je suis prêt à entreprendre se voyage à dos de rosse. Une petite troupe sera néanmoins un signe fort pour les Almiens en plus des avec les nouvelles que j’apportes : les braises se sentiront entendues et nous donnerons ainsi nouvelle flamme pour un nouvel élan. »

De sa main tenant le brûleguele, il fit grand signe, de l’autre, il reprit le liquide fort et s’en envoyé une goulée. Si Sognir s’épanchait plus qu’à son habitude, il en taisait aussi beaucoup : bien qu’il doutasse que des émeutes sur sa nomination agitent la Perle du Nord, il n’était pas à omettre complètement les intentions du clan Chante-Roche qui avait prit ses aises durant les dernières années. Bien sur, aucuns nains ne seraient assez fou pour aller à l’encontre d’un ordre royal, du moins, pas sans en payer les conséquences, mais il se pouvait tout de même qu’une escorte bien armé soit assez dissuasive pour dissuader tout sentiment de velléité. Une fois les faits établis, le reste ne serait plus que formalité, même si le Racleur ne doutait pas de l’ampleur de sa tâche à venir.

«  Une fois Almis atteinte, je mettrais en oeuvre les différents rouages qui permettront aux guerriers de disposer d’un lieu convenable selon nos standards, s’il le faut, je creuserais moi même la roche. Maintenant, si tu nous l’accordes Grand-Roi, regagnons la tablet afin que nous puissions encore profiter un temps de la liesse que tu nous offres. »

Il n’aurait sut le jurer, mais Sognir avait put sentir l’acquiescement dans le reniflement de Dagoran. Sognir lui, n’avait plus vraiment faim mais il s’accorderait encore un foyer d’herbe à fumer, une bonne rasade de distillat et peut être, un tonnelet de bière.