Défaire des liens, en forger d'autres [Zaahrian]

Ce matin-là est comme les autres dans les soieries de Thaar. Tout est particulièrement calme et propre. La fange est repoussée à l’extérieur des murailles. Elle n’a pas sa place sur les pavés lissés du petit monde bourgeois.

Quoi que parfois, comme ce jour là, il arrive qu’un grain de poussière parvienne à se glisser dans l’oasis de perfection et de faux semblant. Il y a une  silhouette, dissimulée sous un épais capuchon qui s'est joué des soldats avec une facilité presque inquiétante. A présent, il se tient dissimulé dans l’ombre d’une élégante demeure dont les volets tous fermés trahissent l’absence de propriétaires. Mais peut importe il n'est pas là pour chaparder. En fait, il a plutôt l'air d'attendre, perché sur le balcon. Tranquillement il observe plutôt la maison en face de lui attendant tranquillement qu’un mouvement se fasse enfin le soleil se levant.

Finalement, il finit par avoir ce qu’il voulait après un long , trop long moment d’attente. Le propriétaire de la demeure fait mine de sortir de chez lui. Malheureusement pour ses plans, quels qu'ils soient, il n’a pas fait 10 mètres que l’étranger saute de son perchoir, et avec un calme tout à fait paradoxal pour la situation, l’apostrophe.

-Tu voulais me parler je crois.

En se retournant, l’assassin a tout le loisir de constater qu’il n’y a absolument aucune violence ni menace dans les gestes du bandit qui s’approche comme s’il s’étaient toujours connus. Il se permet même de fumer, occupant ses main de cette manière plutôt que de tenir la rapière pourtant à sa hanche.

La manière est brusque, il en convient et sans doute pas au goût du mercenaire, mais de l’autre côté, Viliam n’aime pas non plus savoir qu’on le traque pour une raison qu’il ne connait pas et cela semble faire un moment que c'est le cas. Alors ils doivent sans doute être quittes à présent. Et puis, pris au dépourvu ainsi, il n’y a pas de risque que tout cela ne soit qu’une vaste embuscade de la part de l'assassin…

« Je vais être absent pour quelques heures et j’aimerais beaucoup que la maison soit encore debout à mon retour. Est-ce trop demandé? »

Le regard de Zaahrian passa d’Aya à Mehran, tous deux étant l’incarnation parfaite de l’innocence. Comme les apparences étaient trompeuses. Ces deux-là avaient un don indéniable pour se mettre dans le pétrin et imaginer des bêtises, et c’était Aya la tête pensante du duo. Malgré qu’elle soit la plus jeune, elle ne manquait pas de cran et Mehran, dans le rôle du grand frère, ne la quittait jamais des yeux et l’aidait dans ses entreprises. Zaahrian devrait être heureux de leur complicité si elle ne troublait pas autant la quiétude de la maison. Heureusement, Mehran était presque entièrement rétabli et il allait bientôt commencer son éducation plus sérieusement. Il allait apprendre à lire et à écrire, mais également les calculs, la géographie, l’histoire et la politique. À cela s’ajouterait une formation aux armes sous la supervision de Zaahrian. Il ne cherchait pas spécialement à faire de lui un assassin, mais il avait reçu lui-même une rigoureuse éducation qui devait lui permettre de s’infiltrer dans les cours et approcher les puissants. Mehran était né dans la boue, on l’avait traité comme un animal, un moins que rien. Il allait lui donner les outils pour s’élever et devenir quelqu’un de bien capable de faire la différence dans ce monde et, peut-être qu’un jour il pourra regarder ses tortionnaires dans les yeux et être fier.

« Je vais la tenir à distance des lampes à l’huile », promit Mehran avec un sourire.

« C’est une excellente initiative. Si vous êtes sage, vous aurez peut-être droit à une surprise. »

L’idée fut reçue avec des exclamations de joie et c’est avec le sourire que Zaahrian quitta la maison.

Il n’avait fait que quelques pas qu’une silhouette sautait derrière lui.

Pendant une fraction de seconde, Zaahrian crut que c’était Guilin qui voulait lui dire quelque chose hors de portée des oreilles des enfants, mais la voix n’était pas la bonne. Il l’a reconnu aussitôt non sans éprouver une certaine frustration.

« C’est donc ça qu’il faut faire pour te parler. Je te cherche durant des jours, sans succès et à l’instant où j’arrête, tu apparais devant chez moi… »

Il porta une main à sa poitrine, prenant un air faussement effrayé.

« Tu m’as fait peur! Non, plus sérieusement, je suis content que le message se soit rendu jusqu’à toi. Suis-moi. Je vais t’expliquer à l’intérieur. »

Tant pis pour ce qu’il avait prévu de faire, mais comme il avait Vil sous la main, le reste allait devoir attendre.

« Et non, ce n’est pas un piège, j’ai vraiment besoin de ton aide. »

-Que veux-tu ? Viliam répondit sur le même ton calme à la demi reproche du blond. Je n’aime pas quand on me traque.

Derrière son calme apparent similaire à l’attitude détaché que Zaahrian avait déjà pu lui voir l’autre jour, il y avait tout de même une certaine méfiance qui lui fit plisser les yeux lorsque l’assassin l’invita à rentrer chez lui sans plus d’explication.

-Besoin de mon aide, vraiment ?

Il hésitât à ajouter une remarque brulant de sarcasme, mais par diplomatie, préféra se contenir. Inutile d’ajouter de l’huile sur le feu pour le moment. Il se contenta de vaguement suivre à contrecœur l'assassin après un soupir mental. Déjà qu'il n'avait pas envie d'être là, entrer encore une fois dans a demeure ne le réjouissait pas d'avantage.

-Qu'est- ce qui peut bien te pousser à me demander mon aide ? Demanda-t-il malgré tout, bien intrigué par la question.

« Tu le verras bien assez vite », répondit Zaahrian en passant la porte de sa demeure, Vil sur les talons. « Mais si je te demande ton aide, c’est parce que tu es en partie responsable de la situation et que tu es probablement le mieux placé pour savoir quoi faire. »

Dans le vestibule, ils tombèrent sur Aya et Mehram, qui, en retour, regardèrent leur père avec une expression d’extrême surprise. Zaahrian connaissait trop bien cet air. Ces deux-là préparaient encore quelque chose et il était arrivé juste à temps. Moins de 5 minutes après son départ! Était-il comme ça au même âge?

« Papa! Tu es déjà rentré? Tu viens de partir! »

« Tu sais, ma chérie, ton père est vraiment doué, mais il est surtout doté d’un instinct extrêmement développé et il a senti que tu préparais une bêtise. »

« Non, pas du tout. On voulait juste s’amuser, je t’assure. » Aya remarqua pour la première fois la présence de Vil. Elle le regarda curieusement. « C’est qui? »

« Quelqu’un qui est venu me donner un coup de main. »

« Je croyais que tu étais le meilleur. »

« Exact, je le suis encore, mais même le meilleur des meilleurs a besoin d’un peu d’aide à l’occasion. » Il leva la tête et appela d’une voix forte son intendant, Zahir. Il arriva quelques instants plus tard. « Peux-tu escorter cette jeune demoiselle jusqu’à sa chambre et t’assurer qu’elle y reste. Demande à l’une des filles de rester avec elle s’il le faut. » Il s’adressa ensuite à sa fille. « Soit sage et fait ce que je te dis. D’accord? »

Il laissa la fillette aux soins de Zahir. Mehran fit mine de vouloir les suivre, mais Zaahrian l’arrêta.

« Non, j’ai besoin de toi, mon garçon. » Il se retourna vers Vil, l’air un peu embarrassé. « Désolé pour cet instant de gestion parentale. La petite s’appelle Aya et lui, c’est Mehran. Ce sont mes enfants. »

La gamine était le portrait craché de son père. N’importe qui ayant vu le père ferait immédiatement le lien avec lui en la voyant. Quant à Mehran, c’était tout le contraire. Ses yeux rouges et ses cheveux blancs trahissaient ses origines drows. Ils ne se ressemblaient en rien.

« Je l’ai récemment adopté. » Expliqua Zaahrian en posant une main sur l’épaule de l’adolescent. Ce dernier n’était toujours pas confortable en présence d’inconnu et gardait les yeux baissés, un réflex d’esclave difficile à faire oublier. « Son histoire est particulière et est en lien avec ce que j’ai à te demander. »

Zaahrian lui fit signe de le suivre.

« La dernière fois que tu es venu ici, j’ai libéré mes esclaves. C’était ma façon de te monter que, bien que je ne sois pas d’accord avec toutes tes méthodes, je comprends pourquoi tu fais ce que tu fais. Je ne le regrette pas, mais je craignais que ça s’ébruite et c’est exactement ce qui est arrivé. Mehran fut le premier à trouver ma demeure. Il s’est échappé d’une maison des environs, je ne saurai pas dire d’où exactement et lui non plus, d’ailleurs. »

Le gamin confirma d’un signe de tête.

« Nous l’avons trouvé dans la réserve en train de se gaver de nourriture. Il est encore maigrichon, mais il était bien pire en arrivant. Il n’avait que la peau sur les os et portait des marques évidentes de torture. Je l’ai lavé, nourri, donné de nouveaux vêtements ainsi qu’un lit où dormir. Pour le reste… Eh bien, ce n’est qu’un gamin et avec le sang de drow dans les veines… Il avait besoin d’une aide particulière que je peux lui offrir. Quand je lui ai demandé comment il avait trouvé ma maison, il m’a dit que ceux que personne n’écoute parlent de moi. D’autres ont rapidement suivi et, en date d’aujourd’hui, j’ai 12 esclaves en fuite cachés ici. »

Il s’arrêta pour faire face à Vil.

« Je ne peux pas les garder ici. Je leur ai offert nourritures et vêtements ainsi que des soins de santé. Ils sont confortablement logés, mais ils ne peuvent pas rester. Je sais qu’il y en aura d’autres, c’est une question de temps. Je ne peux pas les libérer comme les autres, car ils n’ont jamais été à moi et il est hors de question que je le mette simplement à la porte où ils risquent d’être reconnus et recapturés. Alors, j’ai pensé à toi. Je sais que tu ne m’aimes pas beaucoup et c’est plus ou moins réciproque, mais j’ai encore du respect pour toi. Dis-toi que tu le fais pour eux. »

Viliam laissa échapper un long soupir las, lorsque Zaahrian lui présenta son fils. Ce n’était pourtant pas l’attitude de l’assassin responsable cette fois-ci. Doucement il fit un geste au blond qui comprit et lui rendit un hochement de tête. Alors doucement, Viliam approcha de l’enfant.

Il avait quoi…13, 14 ans peut être ?

Avec une infime délicatesse il plia les genoux à son niveau, pour que l’adolescent le regarde sans se sentir forcé de lever les yeux. Beaucoup d’esclaves gardaient ce réflexe, cette peur qu’un simple regard vous fasse tuer ou pire. Il lui avait fallu des mois entiers pour qu’il n’ose soutenir le regard de Ren plus de quelques secondes.

-Mehran c’est ça ? Fit-il d’une voix douce que l’assassin ne lui avait certainement jamais connue. Tu es un garçon courageux. Lui sourit-il. Tu ne me connais pas et ton père pas vraiment plus alors ça peut te paraitre bizarre d’entendre ça de ma part, mais je sais ce que ça fait d’être à ta place. Après s’être assuré que le geste ne poserait pas de soucis, il posa doucement sa main sur son épaule encore squelettique. Garde courage, de ce que je connais de lui, ton père prendra soin de toi. Soit fier d’exister garçon. Laisse personne te retirer ça.

Il se releva et refit face à l’assassin. Ses yeux brillaient de colère face à ce que le corps et le visage du gamin racontaient encore.

-Il y a vingt ans, j’étais à la place de ton fils à peu de choses près. J’étais au bord du gouffre et prêt à sauter dedans à pieds joints. Mais là encore, chance ou pas, j’ai pas eu le choix. Alors j’ai fait une promesse : Puisque j’étais obligé de vivre plus jamais j’accepterais de voir des gens être traité comme des chiens, crever de peur et de faim, comme j’ai crevé de peur et de faim pendant des années. Plus jamais. Alors aujourd’hui, qu’on peut enfin faire la différence… Je m'en tape de nos sentiments personnels.Un sourire amère étira le coin de ses lèvres alors qu’il tendit son bras. Je t’en fait le serment Zaahrian, si tu aides ces gens, l’Aile Blanche sera toujours là pour te soutenir.

Zaahrian laissa approcher Vil de l’adolescent, car Mehran devait apprendre à faire confiance aux autres, c’était essentiel pour à son cheminement. Le garçon résista et finit même par fermer les yeux pendant un moment. Son regard faisait peur à la plupart des gens. Il n’y pouvait rien si ses yeux étaient rouges. Malgré la peur, il se força à les ouvrir alors qu’il écoutait l’inconnu lui parler. Il avait une voix douce, mais il pouvait sentir la colère en Vil, comme une vibration dans tout son corps. Mehran avait appris à détecter les signes très tôt, une question de survie. Pourquoi était-il fâché? Était-ce à cause de lui? Les questions se bousculaient dans sa tête, la panique montait avant qu’il ne réalise que ce n’était pas sa faute. Il n’avait rien fait de mal. Il était fâché contre ceux qui lui avaient fait ça. Il écouta attentivement ce que Vil avait à lui dire et lorsqu’il eut fini de parler, l’adolescent osa un bref sourire. Le coin de ses lèvres se souleva à peine, mais c’était déjà ça. Zaahrian observait le tout en silence, extrêmement fier du courage du garçon, et il le lui avait dit plusieurs fois depuis son arrivé.

« Je suppose que je n’étais pas un esclave à proprement parler, mais je n’en étais pas bien loin. Daeron prenait des enfants sous son aile. Il les voulait le plus jeunes possible afin de les élever pour en faire de parfait assassin, bercé dans le sang et la cruauté jusqu’à en être désensibilisé. J’avais probablement son âge quand j’ai tué pour la première fois un autre gamin de mon âge jugé insuffisant par le maître. Daeron obligeait les plus forts à tuer les plus faibles. Je voulais vivre, alors je suis devenu le meilleur. Toi et moi, nous portons des marques qui resteront toute notre vie. »

Arrivé à un accord, il serra le bras de Vil sous le regard abasourdi de Mehran. Il ne connaissait pas l’histoire de l’homme qui était maintenant son père. Il avait posé quelques questions, mais Zaahrian était resté évasif pour de bonnes raisons apparemment. Malgré les horreurs vécues, il parvenait à sourire et à rire. Ça, il le faisait beaucoup tous les jours et s’il pouvait faire ça, alors peut-être que lui aussi pouvait y arriver.

« Ils sont par ici », indiqua Zaahrian en se mettant en marche. « Avant que tu ne m’accuses de les garder dans une seule pièce, c’est eux qui ont insisté pour rester ensemble. Ce sont des hommes et des femmes, tous des adultes. Le plus vieux doit avoir 60 ans bien qu’il n’en soit pas certain lui-même. Il a les mains tordues sous l’effet de l’arthrite et il craignait que ses maîtres se débarrassent de lui à cause de son incapacité à travailler. Une des femmes est très enceinte. Je ne sais pas s’il est sage de la déplacer dans cet état, mais elle s’est quand même rendue jusqu’ici. »

Il s’arrêta devant une porte et y cogna doucement.

« C’est moi, Zaahrian. J’ai avec moi un ami qui peut vous aider. » Il ouvrit la porte. « N’ayez pas peur, il ne vous fera aucun mal. »

Le spectacle faisait peine à voir. Malgré qu’ils soient bien nourris et confortablement installés, leur visage était marqué à différent degré par la peur. Certains affichaient une froide détermination, celle de ne pas être repris. La femme enceinte était dans un coin, assise sur un lit de camp, une main posée sur son ventre distendu comme pour en protéger le précieux contenu. Zaahrian n’était pas un expert en la matière, mais il avait l’impression que le bébé pouvait arriver à tout moment. Honnêtement, ça le rendait nerveux.

-Je m’appelle Viliam. Le bandit avait suivi Zaahrian et fixait la petite assemblée inquiète. Certains d’entre vous connaissent peut-être l’Aile blanche. Ce que certains murmures confirmèrent automatiquement. J’en suis le chef.

-Je croyais que ce n’étaient que de fausses rumeurs…Que ça n’existait pas.
-eh ben si…Viliam tendit ses mains, les secoua un instant comme s’il faisait mine de les examiner. J’existe vraiment.
-Vous allez vraiment nous aider alors ?

-Oui mais je vais pas non plus vous mentir.


Il aurait pu. Ce genre de fugitifs étaient terriblement plus manipulables que leurs regard farouches ne le laissait penser. Il aurait pu profiter de leur espoir, et simplement les emmener Nééra savait où sans rien leur expliquer. Les abandonner et les laisser voués à eux même une fois la porte franchie. Mais Viliam n'était pas un charlatant. Il était conscient de ses limites et de son rôle.

-Je peux pas vous offrir une amnistie complète. Je peux vous cacher, loin, et en sécurité. Je peux aussi aider certain d’entre vous à retrouver une nouvelle vie et faire en sorte qu’on les oublie assez pour être tranquilles jusqu’à la fin de leur jour. Expliqua-t-il. Ça je peut oui et je le ferais. Mais je pourrais jamais totalement effacer les risques et les sacrifices que ça implique. Si vous décidez de passer le pas de la porte, il n’y aura pas de retour en arrière, c'est une nouvelle vie, parfois dangereuse, parfois amère. Il croisa ses bras. De l’autre côté, hé bien au moins vous vivrez par vos propres choix. Un vague sourire. Une fois qu’on y a gouté ça non plus on revient plus dessus...

Zaahrian observait les visages tournés vers eux, tous portaient les stigmates de leur vie en captivité. Il admirait leur courage tout en sachant très bien que c’était le désespoir qui les avait finalement forcés à agir et il connaissait très bien ce sentiment. La rage l’avait poussé à tuer Daeron à l’époque, une rage nourrie par le désespoir. Il savait très bien qu’il risquait d’y laisser la peau. Daeron n’avait pas usurpé son titre de maître assassin. Il était indéniablement très doué, mais Zaahrian s’en moquait. Lui aussi il était doué et pour Djamel et tous les autres, il avait été prêt à mourir de la même manière que ces esclaves avaient pris le risque d’y laisser leur peau dans l’espoir de goûter à la liberté. Ce n’était malheureusement que la première étape d’un long processus qui comportait de nombreux risques. La liberté venait avec un prix, mais ça en valait la peine.

« Je vais aider aussi, ne vous en faites pas. Ce n’est pas parce que je ne peux pas vous garder tous ici que je me moque de ce qu’il adviendra de vous une fois dehors. Ce n’est pas sans raison que je suis allé le chercher. » Il pointa Vil avec son pouce. « Je sais qu’il peut vous aider. »

« Vous n’êtes pas de l’Aile blanche? » Demanda l’un des hommes, timidement.

« Non, je ne le suis pas. J’aide la ville et les gens qui y vivent d’une autre façon. Et puis je travaille mieux seul! »

Valait mieux éviter de leur dire que sa relation avec l’Aile blanche était, au mieux, tendue, au pire, franchement antagoniste. Après tout, ils venaient d’accepter de mettre de côté leurs différends afin de les aider et garder vivants ces gens était bien plus important que leurs querelles.

« Je suppose qu’il faudra quelques jours pour les préparatifs. En attendant, vous êtes en sécurité ici. Peux ceux et celles qui auraient des demandes particulières, de la famille qui pourrait les accueillir, c’est le moment de demander. »

La femme enceinte leva la main.

« Oui? »

« J’ai une sœur. »

Zaahrian acquiesça d’un signe de tête.

« Oui, c’est très bien. Avez-vous une petite idée d’où nous pouvons la trouver? Est-ce qu’elle est en ville? »

« Je sais où elle est. » Sa voix était étonnement ferme et elle fixait Zaahrian et Vil sans sourciller. « Elle est encore dans la maison de mon ancien maître. Il nous utilisait comme… » Elle baissa les yeux sur son ventre. Elle n’avait pas besoin d’en dire plus pour comprendre la façon dont le maître utilise ses esclaves. « Pouvez-vous aller la chercher? »

-Ne brûlons pas les étapes.

Viliam croisa ses bras contre son torse, son visage fermé et froid se refusant de refléter le flot d'émotion qui secouait son Souffle tandis que son imagination et ses propres souvenirs s'emballaient.

-Effectivement Zaahrian, tu vas devoir les garder chez toi quelques temps encore. L’endroit où j’emmènerais ces gens doit rester secret pour leur sécurité, la mienne et celle de mes hommes. Et donc, je vais devoir rester discret. Deux ou trois personne me suivront par voyage. Ceux qui ont besoin de soin urgent sans doute à privilégier. Eux je pourrait les accueillir dès que possible.

Sans attendre de protestation, il jeta ensuite un regard à la femme qui semblait être sur le point d’accoucher d’une minute à l’autre. Sa voix était ferme mais douce.

-Il est hors de question qu’on laisse votre sœur là où elle est bien entendu. Mais il va nous falloir plus de détail, une adresse, et ce que vous savez qui puisse nous aider à la récupérer sans verser de sang. Si votre ancien tortionnaire avait des habitudes particulières dont vous pouvez nous parler, où peut être votre sœur…

Il leur fallait un plan d’action, même vague. Contrairement à ce que l’assassin pouvait imaginer, aussi têtu et emporté pouvait-il être, Viliam ne fonctionnait pas à l’instinct uniquement. Il y avait trop en jeux.

Loin de là l’idée pour Zaahrian de miner l’autorité de Vil, mais en l’écoutant, il eut quelques doutes quant à la logique derrière son plan et, venant de lui, c’était tout dire. L’assassin n’était pas reconnu pour être un habile planificateur bien qu’il y ait eu une nette amélioration sur ce sujet avec le temps. Avoir des gens sous sa responsabilité l’avait assagi et maintenant, il réfléchissait avant d’agir… la plupart du temps. Zaahrian se mordit la langue dans un effort pour se taire, mais lorsque Vil parla de la mission de sauvetage, il se pouvait plus se contenir.

Un sourire mielleux à souhait fleurit sur son visage alors qu’il se retournait pour faire face à Vil. Il ne voulait pas heurter ses sentiments, pas avant que le dernier esclave n’ait quitté sa propriété.

« Vil, mon cher ami, tu oublies que tu es dans la maison du meilleur assassin en ville. Tout ce dont j’ai besoin c’est un nom, une brève description physique de la jeune femme et je la sors de là ni vu ni connu. Contrairement à ce que tu peux imaginer, je peux m’abstenir de tuer les gens. Tu devrais être bien placé pour le savoir. Quant à les déplacer… » Il fit signe en direction des esclaves dont le regard s’était quelque peu élargi à la mention du mot assassin. Ils avaient entendu entre les branches que Zaahrian était un héros sans pour autant connaître les détails. « Je procure déjà des soins aux plus mal en point et je n’ai aucun problème à le faire plus longtemps s’il le faut. Commence par ceux qui ne risquent pas de te ralentir. Les autres suivront lorsqu’ils seront prêts. Je ne t’ai pas fait venir parce que je suis pressé de les voir partir, mais parce que j’ai le pressentiment qu’il y en aura d’autres. Cette femme devrait rester ici au moins jusqu’à ce qu’elle ait accouché. Je ne sais pas où tu as l’intention de les amener, mais je doute que ce soit une bonne idée de trop s’agiter lorsqu’on a le ventre sur le point d’exploser. Si je n’ai jamais vu une femme accoucher, j’en ai entendu, et ça semble impliquer pas mal de hurlements et une bonne dose d’insultes envers la gent masculine en général. Ce n’est pas très discret. Laisse-moi m’occuper de la sœur et concentre-toi sur le reste. »

Les bras croisés, Viliam haussa les épaules aux remarques de l’assassin. En revanche, il avait laissé paraitre sa surprise lorsque le blond s’était permit de le désigner par un surnom qui d’habitude n’était utilisé que par ses proches. Voilà bien de familiarité en si peux de temps...

-Si tu penses t’en sortir sans aide, eh bien… Nééra te guide. Répondit-il avec le même calme. Étrange réaction de la part de quelqu’un qui s’était acharné à le traquer pour obtenir son aide… Enfin tant que le résultat était le bon...Pour le reste. Un sourire qui ne semblait pas savoir ce qu'il devait refléter étira ses lèvres. Comme je l’ai dit, ma destination est secrète et le restera. Ne t’occupe pas de comment je m’y prendrais ou de si certains me ralentirons ou non. J’ai l’habitude. Se désigne qui aura besoin d’un refuge sûr le plus rapidement possible, c'est tout.

Des esclaves, il en avait déjà secouru pas mal, certains blessés, certains en peine de marcher. Même des enfants à quelques reprises. S’il fallait se cacher, ou user de moyens pour échapper à la garde sur le chemin, Viliam s’en chargerait sans soucis.

-Pour ceux qui viendrons plus tard c’est simple. Est-ce que tu as une carte ? Demanda-t-il en regardant autour d’eux. Peu importe, un vélin suffira.

Un esclave lui tendit un morceau de papier vierge et un autre une craie. Un bref remerciement et le bandit s’appuya contre un meuble, gribouillant rapidement. Il avait un étonnant coup de crayon pour la vie qu’il menait…

-Je vais te désigner…hm…Deux lieux devraient suffire pour l’instant.En même temps, il traça des petites ailes d’oiseau sur des bâtiments de la carte grossière qu’il dessinait. Arrange-toi pour les faire rallier ces points-là. Mes hommes sur place prendront ensuite le relais.

Vil possédait un talent certain à manier le crayon. Un rapide coup d’œil suffit à Zaahrian pour identifier les emplacements. « Tu es sacrément doué pour dessiner un plan », dit-il en examinant le croquis d’un peu plus près. « J’aimerais en dire autant. J’ai, apparemment, une belle écriture, mais je dessine tellement mal. Ma fille m’a demandé de lui dessiner un cheval. Elle m’a dit qu’il ressemblait à un chien mort… »

Du coin de l’œil, il vit la jeune femme qui les observait toujours.

« Écoute, ce n’est pas que je ne tienne pas à ce que tu m’accompagnes, mais plus on sera, plus il y a de risque qu’on se fasse remarquer. » Zaahrian n’osait pas lui dire franchement qu’il préférait travailler seul. Même Guilin le suivait rarement à l’intérieur des demeures, assurant plutôt ses arrières depuis l’extérieur armé de son fidèle arc. « Cela étant dit, ça ne serait peut-être pas complètement idiot d’avoir quelqu’un qui m’attend à l’extérieur… »

« Je vais vous accompagner. » Déclara la femme d’un ton résolu, coupant la parole à Zaahrian. Elle s’était approchée d’eux, une main toujours posée sur son ventre. L’assassin la dévisagea bêtement pendant quelques secondes, le temps d’assimiler ce qu’elle venait de dire.

« J’admire sincèrement votre courage », commença Zaahrian en la regardant dans les yeux, « mais je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Quelqu’un pourrait vous reconnaître. »

« Il n’a qu’à m’accompagner. » Elle désigna Vil d’un signe de tête. « Je peux me déguiser. De plus, ma sœur ne s’attend probablement pas à ce que je vienne la chercher. Je lui ai promis de le faire, mais elle me croit sans doute morte. D’autres ont essayé et se sont fait prendre… Elle va avoir peur, je dois être là », insista la jeune femme, les poings serrés.

Zaahrian savait reconnaître une femme qui ne changerait pas d’avis, quoi qu’on lui dise. Il soupira, puis demanda à Vil. « Tu vas devoir repousser l’évacuation de quelques heures, le temps d’aller récupérer la fille. » Il se retourna vers la jeune femme. « Pour aller la chercher, je dois savoir où elle se trouve avant. J’ai aussi besoin d’une description physique ainsi que son prénom. Un détail que seulement vous pouvez savoir serait utile. »

« Elle s’appelle Nina. Elle me ressemble beaucoup en plus d’avoir une cicatrice qui lui barre le menton et la lèvre, comme ça. » Elle montra à l’aide de son index l’emplacement et la forme de la cicatrice en question. « Elle a une dent de cassé et une autre d’ébréchée. Sinon, elle a trois grains de beauté qui forment un triangle au-dessus de son genou. » Elle sembla hésiter pendant un instant. Aucun de ces esclaves n’avait osé révéler l’endroit d’où ils venaient, par crainte d’y retourner. Toutefois, si elle voulait revoir sa sœur, elle n’avait pas le choix de le faire. Au prix d’un effort visible, elle parla enfin. « Vous la trouverez dans la maison de Nazir Aruj. »

« Aruj? », s'esclama Zaahrian, stupéfait.

Elle acquiesça d’un rapide signe de tête, visiblement étonné par la réaction de Zaahrian. Venait-elle de faire une bêtise en révélant le nom de son ancien maître?

« Je connais la place et j’y suis déjà entré… Très bien, il ne reste plus qu’à se préparer. Tu viens, Vil? »

-Attend Zaahrian. Le bandit leva la main et se tourna vers la future mère. Je comprend que vous vouliez retrouver votre sœur…Il hésitât et s’interrompit brusquement.

-Cora. Comprit la jeune femme.

-Cora. Répétât-il. Je comprends que vous vouliez retrouver votre sœur, mais je peux pas vous laisser prendre un risque pareil, dans cet état c'est de la folie.

-C’est ma sœur. Je dois être là. J’ai toujours été là pour Nina.

Son joli minois se tordis en une moue agacée. Il y avait une fierté farouche dans ses yeux qui rappelait un peu au bandit celle d’Esperanz, l’ancienne prostituée défendant maintenant bec et ongle son oasis de liberté féminin. Ce genre de femme ne se laissaient pas faire une fois leurs chaines ôtées.

- Je suis enceinte, pas diminuée. Ajouta-t-elle.

Viliam ne put empêcher un bref soupir échapper de ses lèvres. Nééra, la réputation flamboyante qu'avaient souvent les femmes d'Itrhivaan n'était clairement pas volée.

-Quand bien même on arrivera pas à passer inaperçus …Il désigna son ventre. Pas possible de camoufler ça. Puis se désigna lui-même. Et moi J’ai pas vraiment une dégaine d’aristocrate…

La cape sur ses épaules n’était effectivement pas de première fraicheur, pas plus que le reste de ses vêtements, propres mais usés par l’usage. Ses joues étaient quant à elles grisées par une barbe de quelques jours qu’on ne voyait pas chez les bourgeois ayant le temps de soigner leur apparence dans les moindres détails. Il savait passer inaperçu s’il le voulait, mais il n’était pas magicien pour autant et s’ils étaient vus, il ne pourrait ni fuir ni mentir. Vue la prime sur la tête du bandit, être repérée en sa compagnie au beau milieu des soieries, voire de la maison de son ancien tortionnaire était la dernière chose que la jeune femme voulait.

-Laissez nous lui transmettre un message de votre part…quelque chose que vous deux seules pouvez reconnaitre. Il ajouta d’un ton plus doux. Nina comprendra, votre enfant ne peux pas risquer de naitre en pleine rue…

Elle hésita, sa main retrouvant le confort de son ventre rond. Puis, à contrecœur, elle détacha un bracelet de petites perles qu’elle tendit à l’assassin, visiblement trop contrariée de l’évidence que le chef de l’aile blanche lui fichait sous le nez pour le reconnaitre assez et lui confier l'objet.

-Nina porte le même, lorsqu’elle en a la liberté…C’était à notre mère.

Zaahrian regarda le bracelet dans sa main et acquiesça d’un signe de tête. « Je vais vous la ramener, j’en fais la promesse. » Il rangea le précieux bracelet dans sa bourse. « Vil, j’ai besoin de te parler une minute, en privé. » Il désigna la porte d’un signe de tête. « Suis-moi. » Zaahrian sorti de la pièce, seul le bruit des pas de Vil lui confirma qu’il le suivait réellement. Il marcha pendant un moment. Apparemment, ce qu’il avait à lui dire ne devait pas être entendu par les esclaves. Il finit par passer une porte, aboutissant dans un bureau, l’endroit même où il avait libéré ses esclaves en présence de Vil quelque temps plus tôt.

« Aruj, j’ai un contrat sur sa tête. Son propre fils ainé en est le commanditaire. Si ce n’est pas là l’exemple même d’une famille soudée, je ne sais pas ce que c’est. » Il sourit. « Plus sérieusement, ça me place dans une situation délicate. Vois-tu, je ne suis pas prêt à passer à l’action et j’ai besoin de ce contrat. Je n’en prends plus autant qu’avant parce que j’ai des enfants, mais je dois continuer à en prendre pour exactement les mêmes raisons. C’était censé être facile : je rentre, je tue, je sors. Et avec ce que l’on vient d’apprendre du personnage, je ne pense pas que sa disparition fera pleurer qui que ce soit. En revanche, en ajoutant la fille à l’équation, il faudra un certain temps pour la chercher et plus longtemps je reste à l’intérieur, plus grands sont les risques pour tout le monde. »

Il regarda Vil. « À ton avis, est-ce que je tente de faire les deux? Il n’y a pas si longtemps, je n’aurais pas hésité à prendre le risque, mais là… » Il se gratta le menton, pensif. « On peut toujours y aller tous les deux, mais ce sera chacun pour soi dans ce cas. Est-ce que tu t’en sens capable? Évidemment, si tu as une autre solution, je suis tout ouïe. »

-Si on doit être honnêtes, je t’avoue que je ne suis pas spécialement ravi de m’impliquer dans une affaire d’assassinat. Répondit-il. Mon groupe a déjà pas mal d’ennuis et celui là en sera un énorme de plus.

Pourtant, il n’avait pas fait mine de reculer, gardant les bras croisés et une attitude toujours aussi calme. Il réfléchissait clairement à la manière la plus optimale d’accomplir leurs objectifs. S'il était là, c'est que le risque en valait largement la chandelle. Il y avait des vies en jeu.

-Mais oui, je peux me charger de chercher Nina pendant que tu t’occupes d’Aruj. Je ne sais pas comment tu comptes t’y prendre, mais si tu arrives à me laisser un délai, que je puisse sortir avant que ton crime ne soit repéré ça m’arrangerait grandement. Est-ce que tu as un moyen de communiquer à distance ? Un sifflement par exemple?

C’était ainsi que l’Aile blanche communiquait lors de ce genre de coup. Le temps avait fait qu’ils possédaient leur propre code, leur propre langue, qu’un non initié ne pouvait comprendre. Peut-être l’assassin connaissait-il un système similaire pouvant les aider ?

« Tu sais, sauf si tu commences à crier à qui veut bien l’entendre que tu es le chef de l’Aile Blanche, personne ne le saura. Évidemment, évite de te faire prendre, mais si ça arrive, j’ai confiance que tu sauras te taire. » Zaahrian sourit comme s’il était en train de discuter du beau temps et non du fait qu’il s’apprêtait à entrer dans une maison dans le but de tuer une personne. « De toute façon, de nous deux tu es celui qui risque le moins si tu te fais prendre, chef de l’Aile Blanche ou pas. Tu n’as qu’à t’inventer une histoire comme quoi tu as aperçu cette esclave un jour et tu en es tombé amoureux au point d’agir comme un idiot. Au mieux, ils vont se moquer de toi et de mettre à la porte avec un grand coup de pied au derrière. Au pire, tu auras peut-être droit au fouet vu que les esclaves sont la propriété de leur maître et que de chercher à fuir avec l’un d’eux est un vol aux yeux de la loi. Ne fait pas cette tête, je sais ce que tu en penses. Si tu te retrouves en prison, je t’en ferai sortir. L’homme qui en est responsable m’en dois une. »

« Hm… » Un air pensif fut rapidement remplacé par un sourire difficile à décrypter. « Je ne finirais pas en prison, tu n’auras pas à te soucier de ça. C’était dit comme une vérité absolue et immuable. Quoi qu'il en soit, je me débrouillerais pour que ça ne retombe pas sur mon groupe, ça ne sera pas difficile, je te rejoins sur ce point. »

Vil fut plus facile à convaincre qu’il ne l’imaginait, mais Aruj avait une mauvaise réputation et avec ce que Cora venait de leur révéler, il n’allait pas pleurer la mort d’un homme comme lui.

« Quand je suis sur un contrat, je me donne 10 minutes une fois à l’intérieur de la maison pour exécuter le plan et en sortir. Ça, c’est quand je suis prêt et que je sais exactement où je vais. Là, je ne sais pas où est la chambre d’Aruj ni s’il y sera et, si oui, s’il sera avec quelqu’un. Il est marié, mais lui et sa femme ne se sont jamais entendus selon ce que son fils m’a dit. Possible que j’aie à composer avec une maîtresse hystérique ou peut-être une esclave qu’il aura amenée dans son lit. Tout est possible. »

Zaahrian réfléchit un instant. Vil n’était pas un assassin, il n’avait pas reçu le même entraînement que lui et, par conséquent, ne réfléchissait pas de la même façon. Il y avait certaines choses qu’il devait comprendre et accepter avant de mettre les pieds dans cette demeure.

« Non, je n’ai pas de moyen de communiquer. Une fois à l’intérieur, c’est le silence complet. Aussi dramatique et ridicule que ça puisse paraître, lorsque je suis en mission, je deviens une ombre, une arme au service de mon employeur qui peut m’utiliser comme bon lui semble à condition d’en mettre le prix. Les armes ne parlent pas, elles tuent. La règle la plus importante à retenir, c’est qu’une fois à l’intérieur de la maison, c’est chacun pour soi. Si je me fais prendre, je risque la corde, pas toi. Je te donne 30 minutes pour la retrouver, pas plus. Si à la fin tu tournes en rond et que tu n’as aucune idée d’où elle peut être, tu sors. Le plus important, ce n’est pas tant de sortir avec la fille que de ne pas se faire prendre. Tu pourras toujours retenter le coup une prochaine fois, alors que si tu te fais remarquer et que tu dois fuir en catastrophe, les habitants seront sur leurs gardes et ça deviendra beaucoup plus difficile de le faire.

Ensuite, une fois dehors, que ce soit avec ou sans la fille, tu reviens ici. Tu ne m’attends pas, tu ne cherches pas à m’aider, tu me laisses de démerder comme un grand garçon. Je sais ce que je fais, je sais ce que je risque et j’assume entièrement les conséquences de mes actes. Si au bout d’un certain temps je ne suis pas de retour, les habitants de cette maison savent quoi faire. Il y a tout un plan préétabli selon si je suis fait prisonnier ou tuer. »

-Tu sais Zaahrian. Viliam soupira. Il sembla peser le pour et le contre de ses mots, avant de finir par se décider. J’aime vraiment pas expliquer ça, marmonna-t-il, donc prend ça comme un acte de confiance de ma part. L’assassin pouvait même se vanter d’en connaitre plus que certains de ses propres hommes à présent… Quelle ironie. "Même si c’est « chacun pour soi » …Autant que tu sache maintenant que d’apprendre ça au mauvais moment. Je l’ai dit tout à l’heure de toute façon mais je suis aussi un esclave.

Aux yeux de la loi en tout cas, il était un fugitif. Son identité était toujours gravée sous sa peau, malgré le tatouage et le foulard qui cachait l’odieuse marque de fer.  Quelques une des remarques de l'assassin l'avaient fait tiquer, et malgré lui il se sentait obligé de rétablir une partie de la vérité.

-Ça, je l'avais deviné dès le début. Seul quelqu'un étant passé par là peut se battre avec autant d'acharnement afin d'éviter le même sort à d'autre. Si tu m'avais avoué avoir un faible pour moi, là j'aurais été vraiment surpris."

Viliam étira un sourire en coin, mais ne sembla pas vouloir renchérir. A la place il continua sur leur préoccupation principale.

-Qu’on soit clair, je compte pas me faire attraper. Je connais les risques qui nous attendent, et ça m’a jamais fait renoncer, ça changera pas aujourd’hui. Je les assume autant que toi. Mais je risque plus que des coups de fouets ou de la prison. Beaucoup plus.

Et à côté, l’option de la corde lui semblait bien plus douce.

-Je viens de te dire que je risquais mon cou aussi. Cela étant dit, si jamais il devait t'arriver quelque chose, je ne vais pas te laisser moisir dans ta prison. Tu en as ma parole. Je vais faire ce que je peux pour t'aider."

-Tu m'en voit touché. Sincèrement. Il hocha la tête, ne cherchant pas à insister d'avantage. Enfin…Quoi qu’il en soit, si tu veux fonctionner de cette manière. Très bien. Je maintiens quand même ma proposition. Il lui glissa le plan dessiné plus tôt. En cas de problème, retrouvons-nous dans l’un ou l’autre de ces endroits ou fait au moins en sorte que nos amis les rejoignent.  

Zaahrian examina une dernière fois le plan.

-Mieux vaut éviter d'amener ce dessin avec nous. Bon, je vais aller me préparer. Nous allons faire ça cette nuit, très tard quand les gens seront au lit ou trop ivres pour se rappeler quoi que ce soit. Tu as encore le temps de trouver quelqu'un pour te remplacer si tu ne souhaite pas prendre le risque toi-même. Je peux comprendre, ne t'inquiète pas."

-Non. Au risque de me répéter, répondit-il dans un nouveau sourire amusé, ce n'est pas la première fois ni la dernière que je prend ce genre de risques. Tu commence à me connaitre assez pour comprendre à quel point ce genre de mission m'importent plus que tout. Un silence avant qu'il n'ajoute. Pour le plan, garde le, détruit le, peu importe. Tout ce que je te demande, c'est de le garder secret.

Et ce secret, Zaahrian allait le garder. Il n’était pas idiot, en lui révélant l’emplacement de ces cachettes, Vil démontrait qu’il avait confiance en lui, chose qu’il aurait cru impossible quelques ennéades plus tôt. Après tout, le début de leur relation fut plus que chaotique, au point que Zaahrian s’était convaincu que jamais ils ne pourraient s’entendre. Il ne cautionnait toujours pas certaines de leurs méthodes, mais il était impossible de ne pas éprouver une certaine sympathie envers Viliam et la mission qu’il s’était donnée.

Quelques heures furent nécessaires à Zaahrian pour se préparer, laissant à Vil la liberté de faire ce dont il avait envie. L’assassin se permit de faire une petite sieste et il espérait que son complice du jour en aurait fait autant. Même si tout allait bien, il était peu probable qu’ils puissent aller se coucher avant l’aube et la dernière chose que Zaahrian voulait c’était de partir en mission complètement épuiser. Plus que jamais, il avait besoin d’avoir l’esprit clair et ses réflexes, bien aiguisés.

Il était très tard quand vint enfin le moment de partir. Zaahrian était dans le vestibule, vérifiant une dernière fois son équipement. Il portait une cuirasse teinte en noir ainsi qu’un impressionnant assortiment d’armes composé de couteaux à lancer, d’une dague et d’une épée. Ses cheveux blonds avaient été soigneusement attachés puis cachés sous un capuchon. Son visage disparaissait sous un masque, seuls ses yeux gris étaient visibles. Habituellement rieurs, ils étaient particulièrement sérieux. En fait, l’assassin offrait un contraste saisissant, comme si Zaahrian avait deux personnalités très différentes en lui.

Fait étonnant, Guilin était là lui aussi. Il était réapparu plus tôt dans la journée, blessé et de fort mauvaise humeur, état qui ne s’était pas amélioré en apprenant le plan de Zaahrian pour la nuit.

« Attends au moins une ou deux ennéades. Avec cette entorse, je ne pourrai même pas t’aider si ça tourne mal. »

L’inquiétude de Guilin était palpable. Il ne doutait pas des aptitudes de Zaahrian, mais il avait lui-même avoué ne pas être aussi bien préparé qu’il l’aurait souhaité. Sachant qu’il laissait toujours une grande place à l’improvisation, quelque chose embêtait Zaahrian. Il n’aurait jamais fait cet aveu sinon.

« Ne t’inquiète pas. Si j’avais vraiment eu un doute sur notre capacité à mener à bien cette mission, j’aurais attendu. Tout ira bien. »

Zaahrian donna une tape sur l’épaule de Guilin pour l’encourager. Quand Vil entra dans le vestibule, Guilin le regarda comme s’il était responsable de tous les maux de l’univers, mais il ne dit rien, se contentant de rapporter son attention.

« Ne fais rien de stupide. Si quelque chose ne va pas, tu sors. »

« Oui, oui. Va te reposer maintenant. »

Guilin se retourna, s’adressant directement à Vil cette foi.

« S’il lui arrive quoi que ce soit, tu es mort. »

Sans attendre de réponse, il sortit du vestibule en boitillant. On pouvait presque voir l’énergie positivement meurtrière irradier du corps de Guilin. Zaahrian le suivit des yeux avant de regarder Vil.

« Ne fais pas attention à lui, il est de mauvais poil. Il aboie plus qu’il ne mord. » En vérité, Guilin mordait beaucoup et avec violence en plus de ça, mais inutile d’inquiéter Vil. Son frère riposterait seulement s’il se faisait tuer et Zaahrian n’avait pas du tout l’intention de mourir cette nuit. « Bon, on va passer par les toits. Ça va nous éviter les rondes du guet. Suis-moi et fais attention à bien suivre mes pas. »

-Ne t’inquiète pas pour ça. Disons que j’ai l’habitude.

Et puis, quelque part… Il avait beau ne pas aimer ce type, il comprenait l’inquiétude qui pouvait le ronger. Il voyait si souvent la même dans les yeux de Ren.

Après un hochement de tête silencieux, il releva son foulard blanc, camouflant à son tour le bas de son visage. Sa capuche vint quant à elle cacher la pointe arrondie de ses oreilles. Il n’était pas aussi armé que son camarade, n’ayant que sa rapière à sa hanche et un couteau dissimulé dans le dos du baudrier, mais dans le meilleur des mondes, il n’aurait pas à s’en servir…

-Nééra nous protège. Soupira-t-il pour lui-même avant de définitivement emboiter le pas à l’assassin.

Si l’assassin avait troqué sa flamboyance contre la concentration nécessaire à ses futures exactions, Viliam ne se montrait pas plus bavard. A vrai dire, cette histoire ne lui plaisait guère. Malgré tout, il acceptait d’aider un homme l’ayant par deux fois menacé à en tuer un autre dont il ne savait presque rien. Il n’aimait pas cela. Il n’aimait pas devoir mettre son sens moral de côté ainsi.

-Dépêchons nous. Fit-il a voix basse, le nez baissé vers le sol, alors qu'ils arpentaient les rues en quête d'un accès aux toits. Les gardes sont à cran en ce moment, j'ai presque failli ne pas arriver à revenir.

« Je ne crois pas que Néera approuve ce que l’on fait ce soir. En tout cas, certainement pas ce que je vais faire. Personnellement, j’ai une nette préférence pour Arcam, mais encore, je doute que l’assassinat soit dans ses cordes. Du coup, j’irais vers Tyra. Cela dit, n’ayant jamais eu l’occasion de lui parler, qui sait ce qu’elle en pense vraiment. Ça nous laisse avec peu d’options sauf d’accepter toute aide qui nous sera donnée. »

C’était l’heure la plus sombre de la nuit. Quand Zaahrian pénétrait des taches d’ombre que la lumière de la lune n’atteignait pas, il disparaissait complètement. La nuit était son élément, marchant sans bruit, tel un chat à la recherche de sa proie. Il bifurqua dans une ruelle où on ne distinguait pas grand-chose. Au bout, il y avait un mur. Zaahrian s’arrêta devant, plia les genoux et sauta. Ses mains s’agrippèrent au rebord et la seconde d’après, il était en haut. Il tendit la main vers Vil et l’aida à monter. Il lui fit signe de se taire et, d’un geste de la tête, lui indiqua la direction à prendre.

Ce n’était pas si facile de marcher sur les toits. Toutes les maisons n’étaient pas collées l’une à l’autre et, souvent, il fallait sauter pour atteindre le toit suivant. Ceux couverts de tuiles étaient à éviter à tout prix. Non seulement ça fait du bruit, mais certaines pouvaient tomber et alerter les gens qui se trouvaient en bas, mais Zaahrian savait comment les éviter. Il vivait depuis assez longtemps dans le quartier pour connaître le chemin à prendre. Ce n’était pas le plus rapide, passer par la rue n’aurait pris que quelques minutes, mais c’était le plus sécuritaire et ils finirent éventuellement par atteindre la maison d’Aruj.

La plupart des fenêtres étaient plongées dans le noir, mais brillaient, ici et là, quelques lampes. Les maisons des riches ne dormaient jamais totalement. Il y avait toujours un esclave réveillé ou un garde à son poste, rien pour faire hésiter Zaahrian dans sa mission.

Il avait déjà identifié un point d’entrée, mais avant, il montra à Vil le chemin à prendre lorsqu’il sortira. C’était à la condition qu’il parvienne à passer par le même chemin, ce qui était peu probable. Une partie de cette mission demandait une bonne dose d’improvisation et de débrouillardise. Zaahrian grimpa à l’une des fenêtres et se glissa à l’intérieur. Quelques secondes passèrent, sans doute, une éternité pour Vil, avant que le bras de l’assassin ne passe par l’ouverture pour faire signe de le suivre. Ils étaient dans une chambre d’invité, vide pour la nuit. Zaahrian ouvrit la porte tout doucement et regardant par l’étroite ouverture s’il y avait quelqu’un dans le couloir. Personne. Jusqu’à présent, tout allait bien. C’était le moment de se séparer. Les quartiers des esclaves devaient se trouver dans les niveaux inférieurs, le plus éloigné possible de la chambre des maîtres. Zaahrian leva le pouce dans un signe d’encouragement, avant de disparaître.

Tandis que l’assassin se jouait des ombres, se fondant avec elle avec une facilité déconcertante, Viliam se contentait de le suivre avec prudence, l’air plutôt renfrogné. Lorsqu’il le pouvait, comme en miroir il préférait ne pas trop s’éloigner des taches de lumières sur leurs chemins.
Pour autant, il faisait de son mieux pour rester discret. D’ailleurs, peut-être l’assassin pouvait-il remarquer que la cape qu’il portait, différente de celle de la matinée, était en réalité un complexe assemblage de longues plumes serrées entre elle. Dans la lumière elle oscillait, mais dans le clair-obscur, le bandit semblait presque disparaitre par moment, seulement trahis par un discret jeu de reflet irisé.

Malgré tout, lorsqu’il fallut s’engouffrer dans une ruelle obscure, dont on ne voyait pas le fond, il avait franchement hésité, jusqu’à faire un pas en arrière par réflexe. Seulement, l’assassin lui tendait déjà la main en hauteur, alors à grand peine il avait plongé dans le noir pour le suivre. Cela ne dura qu’un instant avant qu’ils ne se retrouvent enfin sur les toits des bâtiments des soieries. Là, tout devenait beaucoup plus simple. Ce genre de courses, il en avait fait mille fois, même sans l’assassin, il savait s'en sortir.

Finalement, ils atteignirent la demeure qu’ils visaient et se séparèrent.

Le chef de l’Aile Blanche se dirigea dans les étages inférieurs, cherchant une aile moins élaborée du bâtiment. On ne faisait pas dormir le bétail dans le même luxe que leurs maitres après tout…Seulement rapidement, il semblait qu’ici aussi, les habitant étaient en émois. On chuchotait au détour d’un couloir, plus loin, un garde haranguait deux femmes de chambres, leur hurlant presque dessus qu’elles n’avaient rien à faire là, d’autres patrouillaient avec une étonnante vigilance, bref, il semblait que la maisonnée attendre quelque chose de pied ferme, rendant la tâche des deux intrus beaucoup plus complexe.

Alors qu’il traversait un couloir vide, des pas métalliques se firent entendre derrière lui. Des pas rapides, très rapides. Pris de cours, le bandit se glissa alors dans l’entrebâillement de la première porte qui lui tomba sous la main. Heureusement pour lui, la salle était vide. Pourtant un feu crépitait dans l’âtre de ce qui semblait être un salon, ou un bureau. C'était une petite pièce tout ce qu'il y avait de plus confortable. Il y avait des sièges rembourrés comme le semi-elfe n'en avait encore jamais vu, les meubles étaient rehaussés de dorures et de décoration sans doute à la dernière mode de l'Itrihvaan bourgeois. Il y avait même une pipe à eau sur un petit guéridon. Mais le plus étonnant c'était le nombre de papiers étalés sur une plus grande table au centre. C’était assez étrange, Viliam aurait pu s’en saisir sans soucis et repartir aussi sec, comme n’importe quel voleur passant par là… Il n’y avait aucune protections. Il y avait même un sceau, une bougie et de la cire laissés négliement trôner ici.

Mais à nouveau, avant qu’il ne puisse assouvir une quelconque curiosité à l’égard de ces parchemins, deux voix, des hommes, et courroucés se firent entendre. La poignée de la porte, que le bandit avait eu l’intelligence de refermer, se mit à vibrer.

Alors, à nouveau, il chercha à se cacher.

Aucun des deux hommes prit dans leur querelle ne remarqua l’éclat irisé d'une plume qui se glissa juste à temps sur la corniche de la fenêtre entrouverte et leur dispute continua de plus belle sans se douter des oreilles indiscrète qui en captait absolument tout...

De l'autre coté, le bandit se trouvait malgré lui forcé d'écouter la querelle qui se jouait dans ce bureau étrange. Recroquevillé sur la corniche de la fenêtre, il ne voyait pas ce qui se déroulait, devinant simplement aux voix qui résonnaient.

-Pense-tu que je sois déjà sénile Emory ?! Pense-tu que ton heure de gloire est déjà venue ?! Tempêtait la voix d’un homme d’un certain âge, cinquante, soixante ans peut être. Je suis le chef de cette famille !  Toi et ton bâtard de frère dépassez les bornes depuis trop longtemps !  

Un bruit sourd de quelque chose s’abattant sur une table retentit.

-J’étais sensé négocier avec Ovaanzen et le fils Ley’alnen ce soir. Moi et moi seul !

Sous la fenêtre, celui qui s’y cachait releva brusquement la tête et réprima un hoquet de surprise, qui heureusement sembla passer inaperçu. Son poing se serra sur la broche cachée dans ses vêtements. Il fallait fuir, retrouver la fille et disparaitre.

-Mesure-tu le risque que tu nous fais courir en prenant les devants comme tu l’as fait ?! Si nous perdons leurs faveurs maintenant la famille est finie. Tu m’entends ? Finie ! Mais c’est ce que tu veux n’est-ce pas ? Tu en crève d’envie dès que tu poses ton regard sur moi ! Tu rêves que "la Voix" ne se tourne que vers toi, l’Ibak perdu du troupeau.

-Je vous le répète, vous vous imaginez des choses Père. L’autre voix était plus jeune, agacée mais s’efforçait de garder un certain calme. Tout ce que je fais, je le fais pour le bien de cette famille. Vous…

-Assez ! Le premier hurla et un autre coup fit gémir le bois de la précieuse table. Assez de mensonges fils ! Tu ouvres la bouche et c’est ta catin de mère que j’entends ! Je vois vos petits secrets ! Persifla-t-il. Vos petites manigances à mon nez et à ma barbe ! Je sais Emory. Un silence. Voit-tu, il me reste quelques serviteurs loyaux dans cette maison. Il y eut un autre silence, tout aussi lourd.  Je sais même que tu as envoyé je ne sais quelle crapule faire ce que tu n’as pas le courage d’accomplir toi-même…Par le bruit des pas, Viliam supposa sans mal que l’un s’était rapproché de l’autre qui reculait. Dans la voix du premier se percevait un sourire mauvais. Mais je suis d’humeur ces jours-ci. Nos plans s’accomplissent à merveille après tout. Alors qu’il vienne.  Aujourd’hui, demain ou peu importe. J’attends avec impatience que le piège se referme, et toi…Toi tu vas mesurer toute l’ampleur de ta stupidité.

Voilà donc à quoi semblait s'attendre la maison sur le qui vive...

« Qui êtes-vous? » Répéta le jeune homme avec un peu plus d’insistance, mais toujours d’une politesse exemplaire et d’un calme étonnant vu les circonstances.

« Je suis… » Zaahrian s’arrêta, à court de mots. Le jeune homme ne pouvait pas le reconnaître à cause de son masque, mais il était prêt à mettre sa main au feu que ce gamin était tout sauf stupide. Il n’y avait pas des dizaines d’explications à la présence d’un homme masqué entièrement habillé de noir.

« Vous êtes un assassin », termina le jeune homme en croisant ses mains sur le bouquin posé sur ses cuisses. « Mon père s’attend à votre visite, je l’ai entendu parler à l’un de ses serviteurs. Il sait que c’est mon frère qui vous a envoyé. » Il fit la moue. « Ils sont aussi horribles l’un l’autre. »

Ça risquait de compliquer les choses. Pourtant, Zaahrian n’avait pas décelé la présence de gardes supplémentaires et entrer dans la maison fut très facile. Trop facile… Était-ce là un piège dans lequel il venait stupidement de tomber? Qu’en était-il de Vil? Est-ce qu’il allait bien? Si quelque chose lui arrivait, Zaahrian n’aurait pas fini d’en entendre parler.

Il examina le jeune homme qui continuait à le regarder depuis sa chaise. Pourquoi n’avait-il pas bougé?

« Dois-je m’attendre à ce que vous sonniez l’alarme? » Demanda Zaahrian avec la même politesse dont faisait preuve le jeune homme. Ce dernier haussa les sourcils, étonné. Apparemment, il ne s’attendait pas à ce qu’un assassin puisse être bien élevé et encore moins articulé.

« Non, ils ne m’écoutent jamais quand j’essaie de leur parler de toute façon. Ils me croient stupide à cause de mes jambes. »

Honnêtement, Zaahrian ne voyait pas le lien entre la tête et les jambes, mais le gamin enleva le livre de ses cuisses et retira la couverture qui couvrait le bas de son corps, dévoilant des jambes d’une longueur en apparence normale, mais horriblement atrophiées, comme si elles étaient dépourvues de muscles.

« Je suis né comme ça », expliqua le jeune homme.

« Un mage de la vie aurait certainement pu faire quelque chose. Même aujourd’hui… »

Il sourit tristement.

« La magie coûte cher et puis, si mes jambes sont défectueuses, alors il est possible que je sois défectueux ailleurs. Voilà comment mon père pense. Comment mon frère pense aussi, d’ailleurs. Si votre lame pouvait trouver la gorge de mon frère en plus de celle de mon père, ça ne serait pas une grande perte pour cette ville. Comme je l’ai dit, ils sont aussi mauvais l’un et l’autre. »

« Que va-t-il arriver s’ils meurent tous les deux. »

Le garçon haussa les épaules.

« Je suppose que la maison sera à moi… Mais je pourrai sortir de cette chambre, peut-être faire venir un mage de la vie… Tout ce que je veux, c’est voir le soleil autrement que par cette fenêtre… »

Viliam en avait certainement assez entendu à présent. Forçant ses doigts à se détacher de sa broche, il se glissa à pas de loup le long de la corniche. D’une impulsion il sauta ensuite sur un rebord voisin. L’atterrissage fut plus sec que prévu et manquant de basculer dans le vide, il se raccrocha in extremis à une pierre. Une autre tomba dans le mouvement provocant un bruit sourd.

Heureusement pour lui, lorsque l’un des deux hommes se pencha pour en chercher l’origine, il s’était déjà à nouveau faufilé à l’intérieur de la maison. L’espace d’un instant il avait hésité sur le chemin à prendre. Zaahrian lui avait précisé de ne pas s’occuper de lui, mais les choses semblaient légèrement dérailler à présent. Devait-il le prévenir du danger qu’il courrait. ?

Quoi que pour ça il fallait déjà le retrouver...

Poursuivant son périple, Viliam décida de continuer vers les étages inférieurs. Finalement, il lui sembla atteindre la bonne aile, les murs se faisant de moins en moins ornés, les gardes plus inattentifs. Finalement le semi elfe se glissa dans ce qui semblait être une large remise. Plus longue que large, chaque pan de mur était tapissés d’étagères emplies de toute sortes de ressources sagement conservées dans diverse poteries, tonneau et caisses de bois salées. L’endroit était à peine illuminé et le bandit longeait les murs, restant sous les maigres torches. « Néera est guide. Elle donne force et courage» répétait-il mentalement alors que tout ce qu'il avait entendu lui déplaisait de plus en plus.

Là en haut se tramaient des choses qui ne lui disait rien qui vaille. Il se demandait même si, vu les noms auquel cette famille était liée, si l'assassinat du patriarche n'allait pas empirer les ennuis qu'avait déjà Ren depuis quelques temps...

Malheureusement, le temps n'était plus à la réflexion. Au bout de la pièce, il y avait une jeune femme, pied nus et tenue de souillion qui semblait préparer quelque chose. Lorsqu’elle se rendit compte qu’elle n’était pas seule, elle lâcha tout bonnement l’amphore qu’elle tenait dans ses mains déversant partout autour des olives huileuses. Par chance cependant elle ne cria pas, dardant simplement ses prunelles écarquillées sur l’homme.

-Je ne vous veux pas de mal. Souffla-t-il à voix basse. Pour preuve, Il leva ses mains devant lui, se contentant d’un indexe à l’endroit où son foulard cachait ses lèvres.

-Judith !Cria soudain une voix plus vieille alors que des pas se firent entendre derrière une porte de bois. Celle-ci ne tarda pas à s'ouvrir à la voléeJudith, Maitre…Oh…Une vieille femme venait de débarquer dans la réserve, constatant les débits sur le sol. Son visage comme son corps droit et fin respiraient une certaine rigidité que sa moue agacée n'atténuait gère. A quoi rime ce chaos ?!

-Pardonnez-moi intendante. S’excusa alors la plus jeune, en s’inclinant alors qu’elle recula tout naturellement au-devant de gros présentoirs à tonneau dont les torches ne parvenaient à faire mourir l’obscurité entre les lattes de bois. Sans le savoir elle marcha sur une plume irisée, cachant ce dernier indice de la présence d'un autre aux yeux de l’intendante. Simple maladresse.

-Eh bien tâchez de réparer votre...''simple maladresse'' de ce pas. Vous serez bonne sur le bâton si cela se sait Râla la vieille femme. Et dépêchez-vous. Lavez-vous, changez-vous. Maitre Aruj vous attend dans sa chambre. Vous savez qu’il n’apprécie guère plus attendre que de voir ses propriétés dans cet…état.

Et sans plus en ajouter, la porte se referma et l’intendante disparu. Alors, elle se tourna vers celui qu’elle avait eu l’audace de cacher dans son ombre.

-Vous venez pour lui n’est-ce pas ? Souffla-elle.

En même temps qu’elle plantait un regard étrangement résolu dans celui du bandit, une odeur flotta dans l’air. Une odeur que Viliam connaissait pour avoir vu Esperanz en cultiver mine de rien. Une odeur qu’on ne voulait pas retrouver au milieu d’olives consommables. L’ombrefeuille ne payait pas de mine, petite plante fine et discrète, un brin d'herbe pour un néophyte. Pourtant elle était reconnue pour ses ravages si on ne la préparait pas correctement…